LE VERBE

Au commencement était le Verbe (jean 1, 1).

La pensée d'écrire les lignes qu'on va lire m'a été donnée par une parole dite récemment par un archevêque canadien qui a résolu de vivre une vie de missionnaire en Afrique : « On ‑parle trop on écrit trop ; on n'a plus le temps de méditer de prier ».

Au commencement était le Verbe.

Etudions d'abord cette parole.

Cette idée souveraine formulée au début de l'évangile de saint Jean, préside à la narration qui suit et la résume. Elle est parallèle aux paroles qui ouvrent l'évangile de saint Matthieu et qui renferment également tout un programme général de la vie et de l'oeuvre du Christ. L'évangile de saint Marc débute de même par la formule résumant tout le récit qui suit : « Commencement de l'Evangile de Jésus‑Christ, le Fils de Dieu ». Et l'évangile de saint Luc, qui se propose d'écrire l'histoire de Jésus, introduit son récit, à, la manière des historiens grecs, par un préambule où il expose ses sources et son but.

Le premier verset du quatrième évangile est parallèle au premier verset de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre ». Mais, dans la Genèse, il est parlé du commencement temporel des choses, tandis que saint jean voit dans l'existence éternelle du Verbe le sujet de l'histoire évangélique.

Précisons, sans qu'il soit possible de développer ce point, que le mot Verbe (Logos) n'a, avec le même mot employé par les philosophes d'alors et . en particulier par Philon, aucun rapport que le nom.

Le terme de Verbe désigne, pour saint Jean, la révélation de Dieu dans la personne du Christ. Le Verbe est la manifestation de Dieu dans tout ce qui est notre vie. Il s'est exprimé avant toute chose, à l'origine des êtres et des choses. Il est renfermé dans l'Evangile et Sédir nous a dit qu'«il n'est besoin d'aucune science pour comprendre la parole du Christ; seul l'Esprit nous dévoile les mystères de l'Evangile à mesure que nous lui obéissons ».

Le chemin qui conduit à cet idéal est à la portée de tous.

Le Verbe, c'est la parole du Père. La parole de l'homme est aussi un verbe. Tout en haut il y a le Verbe de Dieu, dont l'univers est une des réalisations; tout‑ en bas il y a notre pauvre parole humaine, infirme et misérable. Mais il nous a été dit qu'au terme de notre évolution millénaire, notre parole sera de la force, de la lumière, de la vie.

C'est pourquoi nous, pèlerins sur la route indéfinie qui du Créé mène vers l'Absolu, devons avoir le plus grand respect pour la création de Dieu, notamment pour la parole. La parole est sainte; il ne faut pas la profaner.

Sans le génie de Bach, des mélodies sublimes existeraient dans l'univers, mais nous ne les entendrions pas. Le grand artiste a donné un corps à l'oeuvre merveilleuse et il l'a fait entrer en nous, où elle est devenue créatrice de vie.

A l'opposé, la parole, qui est le privilège de l'homme, peut faire bien du mal : le mensonge crée le désordre; une médisance, une parole méchante est toujours dommageable; une parole de rancune, de révolte est toujours meurtrière ; une parole oiseuse est toujours un gaspillage.

Par le Verbe, le Père a créé le monde, par le Verbe Il lui conserve l’existence dans un renou­veau perpétuel

 

Sédir fait observer que, dans la grammaire, le verbe est la partie du discours qui indique l'action. Dans le cosmos il est aussi l'acte, l'acte par excellence.

L'homme parle surtout par ses actes. Mais il doit veiller avec soin sur ses paroles ; la parole est le mode d'expression le plus parfait. Le Christ a dit : « je vous le déclare, au jour du jugement les hommes rendront compte de toute parole vaine qu'ils auront dite ». Et Il ajoute : « Par tes paroles en effet tu seras justifié et par tes paroles tu seras condamné ».

Celui qui n'a jamais trahi, médit, insulté peut guérir, consoler, éclairer.

Nous qui sentons palpiter en notre coeur le désir d'aider à vivre ceux qui nous entourent, il faut que notre parole devienne un écho ‑ si lointain, si imperceptible soit‑il ‑ du Verbe qui était au commencement et qui veut être au commencement de toutes les manifestations de notre vie.

Il faut lire les pages magnifiques que Sédir a écrites sur la parole (1) : « Le silence est la patrie de tous les langages. La parole est entre deux silences, comme le temps entre deux éternités, comme l'espace entre deux infinis. Parler, c'est semer; mais dans le silence se célèbrent les mystères. Faites que votre silence soit vivant». Et les paroles du Maître de Sédir : « Il faut beaucoup s’aimer pour pouvoir se taire ensemble ». Il faut surtout se pénétrer de ces paroles, et s’efforcer de les vivre. Alors nous n'aurons plus le courage d'en dire d'inutiles ou de méchantes.

Emile BESSON. Octobre 1969.

(1). Notamment : Forces mystiques, ch. XII; Enfance du christ, ch. XIII. 1

des ouvrages de Sédir.