N'aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde. (Jean 11, 15).
Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique. (JEAN 111, 16).
Dans le monde vous aurez des tribulations; mais ayez bon courage, j'ai vaincu le monde. (JEAN XVI, 33).
Pour ne parler que de ce qui nous est accessible, le monde, c'est cette immense et merveilleuse création où l'homme n'est qu'une poussière, cette harmonie de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, cette splendeur inexprimable, ce « silence des espaces infinis » qui chante la gloire de Dieu.
Mais ceci n'est que le décor d'un drame inimaginable.
En effet, de par la volonté de Dieu, l'homme est le roi de la création. Aussi Dieu l'a‑t‑Il placé dans un cadre en rapport avec son éminente dignité. Dans cet univers prestigieux doit s'accomplir l'évolution de l'homme, la rédemption de l'homme.
Or Dieu a organisé le monde comme le champ clos où combattent deux forces égales : la Sienne ou plutôt la portion de Sa toute puissance nécessaire à la vie universelle, et la puissance de l'Adversaire, égale et opposée à la précédente.
Il faut bien comprendre que rien au monde ne subsiste sans une victoire sur des puissances de destruction. L'ombre est nécessaire à la manifestation de la lumière ; l'obstacle est indispensable à l'élan ; le travail est un effort contre une opposition ; sans le passé l'avenir n'existerait pas. Le simple fait de la conservation de la vie est le résultat perpétuellement changeant d'un combat entre l'homme et les germes malsains qu'il absorbe.
L'Adversaire est l'image inversée du Christ. Il est extraordinairement séduisant. L'être hideux, cornu, traînant une longue queue que représentaient les imagiers du Moyen Age ne lui ressemble en aucune façon ; il est beau, éblouissant, délicat, charmant et charmeur ; il n'effarouche pas, il attire. Il est revêtu de la puissance il a la richesse, la gloire, les dons de l'intelligence il lance sur le monde la fascination dé l'étrange et de l'inconnu. Mais il est immobile, effrayant à force d'insensibilité ; on dirait une flamme livide et glacée.
Dieu lui a confié ce monde comme cadre et comme moyen de son activité. Lors de la tentation, il a montré au Christ tous les royaumes de la terre et il Lui a dit : « je te donnerai cette puissance et la gloire de ces royaumes, car elle m'a été livrée et je la donne à qui je veux ».
Dans chaque monde il y a un Seigneur, un Prince et un esprit propre. Le Seigneur est un représentant du Christ envoyé pour sanctifier ce monde et par qui passent toutes les prières dites sur ce monde ; il les présente au Christ. En outre il combat le Prince de ce monde, représentant de Lucifer.
Dans cet univers Dieu a placé toutes les créatures, les inférieures et les plus élevées, puis Il a mis l'homme au‑dessous de toutes afin qu'il remonte à travers toutes jusqu'à Lui. Et Il lui a donné le mot d'ordre de son oeuvre cosmique : Va et travaille, le progrès est à l'infini.
Ainsi, de par la volonté de Dieu, l'homme se trouve, à tout moment de son histoire, dans un équilibre perpétuellement instable entre deux puissances égales et de sens contraire. S'il fait un pas vers l'une, il sera sollicité d'en faire un vers l'autre.
Le monde est donc réellement le champ de bataille de l'homme.
Il a été dit : « l'homme ne possédera que ce qu'il aura acquis ; il ne sera que ce qu'il se sera fait lui‑même ».
Or, qu'est‑il arrivé depuis la création du monde? Il est plus facile de descendre un chemin que de le monter ; il est plus facile de se laisser aller que de résister. L'homme a subi l'attraction, le charme de ce monde, il s'est enivré de ses parfums, il a goûté à tous ses fruits. Et, pour s'adonner aux joies éphémères de ce monde, il a fait taire en lui la voix qui lui parlait d'infini et de permanence.
Mais Dieu a aimé le monde. Il lui a envoyé des messagers qui ont parlé de l' « unique chose nécessaire » et qui se sont efforcés de tourner les regards vers ce qui demeure. Les hommes « battirent les uns, en tuèrent d'autres, en lapidèrent d'autres » (Matthieu XXI, 35).
Cependant à la haine grandissante du monde Dieu a répondu par une surabondance d'amour. « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils unique ». Le Christ, gloire de Dieu et lumière universelle, par qui tout vit, même les ténèbres, même le mal l'ignorance et la mort ; le Christ, réalisation de tous les désirs de la foi, accomplissement de tous nos idéaux, médecin du monde, le Christ vint donc vers les Siens ; mais, comme le dit saint jean, les Siens ne L'ont pas reçu.
L'histoire de ce monde est l'histoire d'une civilisation matérielle qui a atteint et qui atteint les plus hauts sommets, l'histoire d'un accroissement prodigieux de l'intelligence. Mais les conquêtes de l'intelligence et de la civilisation ne sont que poussière ; elles ont rendu plus facile la seule condition matérielle, extérieure des hommes. Il n'en restera rien, sinon les efforts qu'elles ont coûté et qui serviront un jour pour atteindre d'autres buts.
Leur résultat certain est d'aiguiller les hommes sur les voies illusoires de la connaissance, sur les impasses du savoir, sur les outrances de l'orgueil.
Si l'humanité avait écouté la voix du Christ, sans mépriser les avantages apportés par l'intelligence humaine, elle aurait fait des efforts vers l'amour qui, des retraites où il cache sa splendeur, fait réellement « mouvoir le soleil et les autres étoiles ».
L'humanité s'est donc divisée en deux groupes : d'un côté, une majorité qui a suivi le Prince de ce monde, représentant de l'Adversaire ; de l'autre, une petite minorité qui s'est laissée conduire par le Seigneur de ce monde, soldat du Christ.
Ce drame, qui, à un moment du temps, a été celui de l'humanité, il a été, il est ou il sera le nôtre, à un moment donné de notre voyage cosmique. Chacun de nous en effet sera mis en présence du Christ, notre Frère et notre Dieu, et il faudra qu'il Le « reçoive » ou qu'il Le « rejette ».
Quoi qu'il en soit, il est logique que les disciples du Christ soient repoussés, persécutés par les séides de l'Antéchrist. Le Christ les a prévenus : « Si le monde vous hait, vous savez que j'ai été avant vous l'objet de sa haine. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartient ; mais, parce que vous n'êtes pas du monde et que je vous ai tirés du monde, c'est pour cela que le monde vous hait » (Jean XV, 18‑19).
Les disciples ne peuvent attendre du monde que de la souffrance. Mais leur Maître leur a dit : « Dans le monde vous aurez des tribulations ; mais avez bon courage, j'ai vaincu le monde ».
Ce n'est ni par la force ni par la persuasion que le Christ a remporté la victoire sur le monde ; c'est par l'Amour. Il a aimé ce monde créé par Son Père, soumis momentanément à l'Adversaire. Il a accepté les tribulations qui viennent du monde. Il leur a répondu par le don total de Lui‑même. Sa vie dans le relatif a été un martyre perpétuel.
Mais de la sorte Il a mis dans le monde le moyen de la rédemption du monde.
Quelle doit être l'attitude du disciple du Christ en face du monde ?
Saint Jean a écrit : « N'aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde ; si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui ». Et saint Paul a exhorté les chrétiens de Corinthe à « user du monde comme n'en usant pas », car, leur dit‑il « la figure de ce monde passe ».
Dieu nous a placés dans le monde ; il ne s'agit pas pour nous de nous retrancher du monde ; il s'agit pour nous de ne pas mettre notre coeur dans les biens de ce monde et de faire briller là où nous avons mis la Lumière du Christ.
Ce travail ne s'accomplira pas sans que nous tombions bien souvent. Sédir disait à ses amis : « Si dans un jour vous tombez quarante fois, relevez‑vous quarante fois ». Et son Maître a déclaré : « Si l'homme n'était pas tombé, il ne connaîtrait rien. Tombé, puis relevé, il est au‑dessus des anges ».
C'est une prière du Christ qui terminera ces réflexions :
« je prie pour eux, je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés. je ne suis plus dans le monde, mais eux sont dans le monde. je ne te demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les préserves du mal. Ils ne sont pas du monde comme je ne suis pas du monde. Comme tu m'as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde ».
Emile BESSON. Avril 67