Aucun de nous ne vit pour lui même.(Saint Paul aux Romains, XIV, 7)
Voilà une parole qui ne prête pas à discussion. Tous nous sommes bien convaincus que les actions, que les manières d'être de chacune des créatures réagissent sur les autres créatures. Par la parole, par l'exemple, par les oeuvres extérieurement inertes l'homme agit sur l'homme. L'homme est solidaire de l'homme, solidaire dans le bien, solidaire dans le mal.
Il est donc exact de parler d'une religion de la solidarité; la solidarité reliant véritablement les hommes entre eux et tous ensemble à Dieu.
Et nous demanderons au Christ de nous révéler cette religion de la solidarité qui doit être notre pratique quotidienne.
Le récit de l'Evangile est dans toutes nos mémoires. Dès le commencement de Son ministère il est dit qu'en présence de la foule venue pour Le voir et L'entendre, Jésus fut ému de compassion.
Tous ces êtres étaient l’objet de la plus merveilleuse des pitiés. Ils ne le savaient sans doute pas, mais ils sentaient an moins quelques rayons qui émanaient de la divine charité du Christ. Et Lui, qui lisait jusqu'au fond des cœurs. Il déposait en chacun d’eux la consolation, le soulagement la lumière, l'espérance, le réconfort dont il avait besoin.
Or, voici la première parole du premier discours publie de jésus : « Heureux êtes‑vous, vous les pauvres ». Et, en un autre endroit : « Les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers ».
Les premiers, les riches les Puissants, les chefs, les souverains, les maîtres les seigneurs, les derniers : les pauvres, les besogneux, les misérables, les malchanceux, les naufragés, les ruinés, les asservis. Selon le monde, selon la sagesse et la coutume des siècles, les premiers sont les premiers et les derniers sont les derniers.
Pour le Christ il en va tout autrement. A ses yeux les premiers sont les derniers et les derniers sont les premiers. Il est venu mettre en haut ce qui était en bas et en bas ce qui était en haut. Cette parole n'aura son plein accomplissement que dans le Royaume de Dieu; mais, dès cette vie, ce renversement des conditions humaines est commencé.
Dans une comparaison bien connue, saint Jean Chrysostome présente deux villes : l'une composée uniquement de riches, l'autre habitée uniquement par des pauvres. La première a beaucoup d'éclat, mais elle est sans fondement solide : l'abondance, le luxe, l'oisiveté corrompent les esprits et amolissent les courages, si bien qu'elle tombe par elle même, ruinée par sa richesse. La seconde, stimulée par la nécessité, voit se développer l'industrie, les inventions utiles, la virilité, la vie.
Le Christ a promis à Ses disciples des difficultés et des croix, si bien que les pauvres, qui ont été les derniers dans la cité humaine, seront les premiers dans la Cité de Dieu.
Souvenons‑nous de la parabole du Royaume de Dieu, renfermée dans l'évangile de saint Luc» Elle montre le maître de maison donnant un grand dîner et y conviant ses invités. Mais ceux ci trouvent les prétextes les plus divers pour ne pas venir. Alors le maître « Pour remplir sa maison », ordonne à son serviteur de chercher dans les rues et sur les places « les pauvres, les infirmes, les aveugles les estropiés », tous ceux qui, selon la parole de Bossuet, portent la marque du Fils de Dieu, c'est à‑dire la croix et l'infirmité. C'est d'ailleurs à eux qu'il a été envoyé ; « Dieu m'a envoyé pour annoncer l'Evangile aux pauvres ».
Au reste, s'il n'y avait que des malheureux, qui soulagerait les malheureux ?
Solidaires de nos frères, notre devoir est double. D'abord incarner le Plus parfaitement possible dans notre vie l'idéal d'amour que le Christ nous a proposez : « Comme je vous ai aimés, aimés vous les uns les autres».
Et porter le plus entièrement possible sur notre coeur les fardeaux qui écrasent nos frères : « Toutes les fois que vous avez aidé un seul malheureux, c'est moi même que vous avez assisté ».
Les deux commandements qui résument toute la Loi : aimer Dieu et aimer le prochain lie sont pas seulement placés l'un à côté de l'autre; ils ne sont pas seulement juxtaposés; ils font un tout indissoluble; le second commandement est semblable au premier. On ne peut aimer Dieu sans aimer les hommes; on ne peut aimer les hommes sans aimer Dieu
Mais être pauvre, ce n'est pas seulement manquer d'argent ou de moyens matériels ; ce n'est pas seulement être dans le dénuement, c'est aussi connaître la privation d'affection, de compréhension, de foi, de sympathie d'amour. de fidélité. combien en est il parmi les riches parmi les pauvres riches qui manquent de ces choses qui sont la vie ?
L'obligation de ceux qui ont est de se pencher sur ceux qui il ont pas; le fondement de la religion de la solidarité est d'avoir le souci de ceux qui manquent, d'ouvrir son coeur à la plainte des hommes. Dieu est le point de rencontre des âmes Et l'effort de l'un sert à tous.
Où serions nous et que serions nous si le Christ n'avait pas eu pitié de nous ?
C'est en parlant de toutes les formes possibles du dénuement que le Maître de Sédir a dit : « Si j'étais riche, je voudrais avoir un palais pour y loger la misère, puisque personne ne la veut ».
Le Christ a établi sur la terre la religion de la solidarité; notre privilège et notre responsabilité est de continuer Son oeuvre. Elle se résume en un mot le service de Dieu dans la personne des hommes.
L'amour rend tout possible. Mais il lie s'agit pas d'un amour sentimental, il s'agit d'un amour en actes. Non d'un amour à éclipses, mais d'un amour total et permanent.
C'est donc à une victoire que nous sommes conviés. Aucune victoire n'est facile à remporter, surtout dans le domaine spirituel. Mais le Christ a déclaré : « le vainqueur, celui qui accomplira mes oeuvres jusqu'à la fin je lui donnerai l'étoile du matin ».
Emile BESSON.Avril 1970