LE CONSOLATEUR

Venez à moi, vous tous qui peinez et qui ployez sous le fardeau; c'est moi qui vous soulagerai.(Matthieu, XI, 28)

Ces lignes sont tracées dans ma pensée la plus profonde de sympathie pour toutes les souffrances dont je suis chaque jour le témoin, souffrances du corps, souffrances du coeur ou de l'esprit, pour les souffrances par millions qui étreignent l'humanité.

Il est des moments où la souffrance humaine s'impose avec une insistance intolérable.

Tous nous souffrons ou nous avons souffert, tous nous voyons ou nous avons vu souffrir. Et la souffrance dont nous sommes témoins nous trouble davantage que celle qui nous atteint nous­ mêmes. Lorsque la souffrance est là, nous essayons de nous ressaisir ; nous bandons nos énergies, nous nous disons que cela pourrait être pire, qu'il en est autour de nous qui souffrent davantage que nous, La plus grande angoisse est d'assister à l'agonie d'un être aimé et de ne rien trouver à lui dire, de ne rien pouvoir faire pour lui ; voir souffrir et n'être capable que de regarder.

Que faire à l'heure de la souffrance?

Raisonner, discuter, chercher à comprendre, à expliquer ? - Des hommes par milliers s'y sont essayés et ce qu'ils ont découvert n'a jamais essuyé une larme, n'a jamais calmé un désespoir.

Lutter contre la souffrance ? ‑ Nous avons le devoir de chercher à guérir, à atténuer le mal, à la condition que ce soit par des moyens licites ; tous les procédés qui ressortissent à la magie, aux sciences occultes doivent être proscrits , ils amènent d'ailleurs des mécomptes qui dépassent infiniment les atténuations que l'on en attend. Au surplus, toute médication n'est jamais qu'un palliatif.

Chercher de l'aide? ‑ Appeler au secours ? Oui, et c'est instinctivement ce que nous faisons lorsque la souffrance nous étreint. Et la sympathie de ceux que Dieu a mis auprès de nous nous aide puissamment à porter notre croix.

Dieu n a pas construit l'univers par nécessité ; Il aurait très bien pu ne pas le créer et, s'Il nous a donné l'existence, ce n'est pas pour Son bénéfice, car Il n'a besoin de rien ni de personne; c'est pour notre avantage à nous.

La souffrance n'est pas une punition. Dieu n'est ni un juge ni un bourreau ; Il est le Père, Il est notre Père à chacun. La souffrance est la conséquence de nos erreurs et de nos incartades. Destinés à expérimenter le Relatif au long de notre montée vers l'Absolu, notre vie est un perpétuel élan, tantôt vers Dieu, tantôt vers les mirages du Créé.

Constamment Dieu doit nous remettre dans le chemin. Il veut que nous devenions ce que nous devons être. Tous les événements de notre vie, ceux que nous appelons bons comme ceux que nous appelons mauvais, sont placés et organisés pour notre bien le plus grand, pour notre perfectionnement. Irons nous demander au maître d'école pourquoi il emploie tel livre plutôt que tel autre, pourquoi il use de telle méthode plutôt que de telle autre pour l'éducation des élèves qu'il a mission d'instruire ?

Cela, nous le savons parce qu'on nous l'a enseigné; nous sentons que c'est vrai. Mais nous sommes dans la douleur et notre douleur nous martèle. Nous avons besoin d'une consolation, nous avons besoin d'un Consolateur.

Sans même que nous L'appelions, lé Christ est auprès de nous. Il est toujours là, mais plus. spécialement à l'heure de la souffrance. Et Il nous dit Venez à moi ; c'est moi qui vous soulagerai.

Le Christ ne S'est pas contenté de lancer des courants de sympathie sur le pauvre monde souffrant , Il n'a pas jugé suffisant de regarder avec compassion les créatures dolentes. La souffrance qui écrase les hommes, Il l'a prise sur Lui, Il l'a portée. Le Christ a souffert toutes les douleurs ; tout ce qui peut meurtrir le corps, l'esprit ou le coeur du plus misérable, non seulement sur cette terre mais dans tout l'univers, Il S'en est chargé. Le prophète Isaïe, annonçant Sa venue ici‑bas, Le nomme « l'Homme de douleur, habitué à la souffrance » , il affirme que toutes nos douleurs tomberont sur Lui , et Pascal déclare : Jésus est en agonie jusqu'à la fin du monde.

En donnant asile à la souffrance en Sa personne, le Christ a adouci la souffrance, non en elle‑même car elle est sainte, mais pour la rendre plus supportable à ceux sur qui elle aurait à se poser. Et c'est parce qu'Il a tout enduré qu'Il peut consoler ceux qui souffrent et qu'Il peut dire : Venez à moi, c'est moi qui vous consolerai.

Toute intervention de jésus est pour ceux qui en sont les objets un élan en avant. La consolation que donne le Christ n'est pas une consolation sentimentale , elle ne se contente pas d'aider à porter un fardeau. Elle est une transfiguration de la vie. La consolation que le Christ nous donne nous pousse vers le prochain qui souffre. Celui qui n'a pas souffert est fermé à la souffrance d'autrui; il vit, replié sur lui‑même, absorbé par ses chagrins, ses épreuves, ses souffrances. Le Christ nous demande de ne plus penser à nous mêmes et de considérer la souffrance des autres. Comment nous serait‑il possible de vivre dans la paix tant qu'il y aura ici‑bas un pauvre à soulager, un opprimé à délivrer, une conscience à éclairer ? Ayant souffert, nous sommes à même de comprendre les souffrances du prochain ; ayant été consolés, nous sommes invités à aller vers les souffrants et il nous est permis de les consoler. Ce que le Christ a fait pour nous, Il nous demande de le faire pour le prochain.

Ainsi se réalise la communion essentielle, La compassion humaine évoque la miséricorde divine. Le Christ l'a dit : Tout ce que vous faites à l'un quelconque des malheureux, c'est à Moi‑même que vous le faites.

L'enjeu de notre vie n'est pas un devoir d'écolier ni même la plus vaste des cultures. L'enjeu de notre vie est le Royaume de Dieu, la vie éternelle. Il faut longtemps peiner, il faut longtemps souffrir pour y parvenir. Si le bloc de marbre que taille le sculpteur pouvait parler, il se plaindrait de ce qu'on le fait souffrir; mais un jour il sera le chef‑d'oeuvre que soli créateur a voulu exprimer.

Puissions‑nous ouvrir nos coeurs à l'invitation que le poète a écrite au bas d'un crucifix :

Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure. Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit.

Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit.

Vous qui passez, venez à lui, car il demeure.

Emile BESSON. Janvier 69