Vous me laisserez seul (Jean XVI, 52)
Il y a la solitude qui est imposée à l'homme par les circonstances ou par l'attitude de son entourage. La sympathie humaine est sujette à variations ; lit compréhension est instable. Qu'un être veuille ici bas servir la vérité ou la justice.. il doit s'attendre à être tôt ou tard solitaire.
A l'opposé, il y a une solitude voulue, recherchée pour elle‑même : la solitude de l'orgueil humait qui n'a besoin de personne, qui se suffit à lui‑même; il ne désire pas l'affection humaine, il suit sa route indifférent à tout et à tous. Rien ne le touche, sinon ce qui l'intéresse personnellement. Se considérer comme un être à part, comme un être exceptionnel gravir une cime inaccessible aux autres hommes, se vouloir une destinée hors série, plus d'êtres qu'on ne le pense recherchent cet idéal. Ils poursuivent leur but, foulent aux pieds ceux qui risqueraient d'entraver leur marche, même leurs amis, Le monde parle de la « grandeur » de cette attitude ; c'est la grandeur glacée de Satan.
Le Christ devait être seul dans ce monde qu'Il était venu sauver. Seul, trop totalement différent de ceux avec lesquels Il vivait; seul, parce qu'Il parlait de Dieu au milieu du peuple qui L'oubliait; seul parmi Ses disciples mêmes qui ne Le comprenaient pas, qui rêvaient pour Lui une gloire terrestre et qui, à l'heure du sacrifice suprême, ne furent pas capables de veiller une heure avec Lui.
Tout messager d'une vérité nouvelle est destiné à être seul. La vérité que le Christ a apportée au monde n'était pas nouvelle; mais Il l'a élevée à une altitude jusqu'alors inconnue et elle a été incomprise, les passions humaines se sont levées contre elle. Et Il a été seul. Et aujourd'hui encore, après vingt siècles de christianisme, lorsque nous, qui nous disons Ses disciples, nous n'accomplis sons pas Sa volonté dans les actes de notre vie quotidienne, nous sommes de ceux à qui Il a dit : « Vous me laisserez seul ».
La grandeur de Jésus ne dédaigne pas la sympathie, l'affection ; elle les réclame au contraire. Au soir de l'épreuve la plus douloureuse le Christ est allé par trois fois à Ses disciples, leur demandant leur présence auprès de Lui et Sa plainte éveille en notre âme un déchirant écho : « Vous me laisserez seul ».
Regardons cette solitude du Christ ; regardons comment le Christ S'est comporté dans cette solitude Lui, qui venait de Dieu, Il aurait pu S'enfermer en Lui‑même, vivre de Lui‑même, vivre Son union avec Dieu. Il ne l'a pas fait ; Il a cherché le contact avec Dieu, comme s'Il lie le possédait pas déjà; Il S'est réfugié dans la prière comme Il recommandait au plus petit de Ses disciples de le faire. L'Evangile nous dit : « Il se retirait dans les endroits solitaires pour prier ».
Le disciple est appelé à reproduire la vie de son Maître Il sait que, s'il veut servir la vérité et la justice, il sera solitaire, même si, certains jours ou dans certaines circonstances, il rencontre de la svmpathie, voire de l'admiration. Il a besoin de la retraite et du silence que soli 'Maître a recherchés. Lui aussi désire la solitude où les bruits du monde se taisent, où les inspirations d'En haut se laissent percevoir, la solitude où l'homme parle à Dieu et Dieu parle à l'homme.(1)
Nous n'avons pas de couvents à notre disposition et l'existence que nous menons n'est pas favorable ait recueillement. Mais l'union avec Dieu doit être notre préoccupation continuelle, notre idéal constamment poursuivi. Il nous faut, si nous voulons nous en approcher, nous ménager des moments de recueillement, de prière, en nous souvenant du commandement de notre Maître : « Quand tu pries, entre dans ta chambre et ferme ta porte ».
La vie n'est‑elle pas un dépouillement constant ? Ceux que nous avons aimés hier lie sont plus là; ceux qu'aujourd'hui nous aimons, un jour lie seront plus auprès de nous. Nous‑mêmes nous serons seuls à l'heure de la mort. Heureux ceux qui peuvent dire avec le Christ : « Je ne suis pas seul, car le Père est avec moi ».
Maintenant, de notre propre bonne volonté, nous pouvons connaître ce merveilleux don de Dieu : la solitude.
La solitude veut être aimée, voulue, et elle est le bonheur de ceux qui l’ont conquise. Rien de grand, rien de durable n'a été réalisé salis recueillement. La solitude est sainte, elle est bénie parce que Dieu S'y trouve. Elle compense et au delà toutes les méchancetés et tous les abandons; elle est victorieuse de tous les découragements. « Le Père est avec moi », c'est le secret de toutes les résistances et de toutes les victoires. La solitude ouvre devant nous toutes les espérances. « 0 beata solitudo, o sola beatitudo » 0 bienheureuse solitude, ô seule béatitude, chantaient les moines du Moyen‑Age. Mais, pour être vraiment seul, il faut avoir tout donné.
Villiers de l'Isle‑Adam a écrit cette magnifique, encourageante parole : « Il y aura toujours de la solitude sur la terre pour ceux qui en seront dignes ».
Et Henrik Ibsen : « L'homme le plus fort du monde entier, c'est celui qui est le plus seul ».
Emile BESSON.
JUILLET 1971
(1) Quand je l'aurai attiré au désert, je parlerai à son coeur. (Osée 11, 16).