LE CHEMIN DU ROYAUME

Nous devons passer par beaucoup de souffrance pour entrer dans le Royaume de Dieu.(Actes des Apôtres XIV, 22)

Le Royaume de Dieu ‑ les souffrances. Toute la vie des êtres, tout le destin des êtres tient en ces mots.

Parmi les écrivains mystiques, Sédir a excellemment parlé du Royaume de Dieu. Quand on lit ses descriptions ‑ ses évocations plutôt ‑ du Royaume, on se trouve dans la situation de gens qui contemplent un merveilleux jardin à travers les grilles d'un parc dont on voudrait tant trouver la porte.

Une considération s'impose immédiatement. Il est impossible à l'homme d'entrer dans le Royaume de Dieu, dans l'éternel Paradis. Aucune créature ne peut vivre dans l'Incréé, à moins que l'Incréé ne la reprenne et ne la réorganise de fond en comble.

D'autre part, pour parvenir au Royaume de Dieu, il faut le désirer de toutes ses forces et par‑dessus toutes choses. Alors le Christ vient vers nous et nous place sur le chemin qui mène au Royaume.

Dieu nous aime ; Il nous aime, chacun, comme si nous étions seuls au monde. Mais Il nous aime pour nous; Il lie nous aime pas pour Lui, car Il n'a besoin de rien ni de personne.. Il nous aime pour nous et Il veut que nous devenions ce que nous devons être. Toutes les circonstances de notre vie, tous nos travaux sont orientés vers ce but.

Dieu nous aime. C'est pourquoi Il veut que nous soyons les artisans de notre félicité éternelle. Il nous donne tout ce qu'il faut pour accomplir notre travail, niais Il veut que nous travaillions.

Or le Christ a déclaré : Si vous lie devenez semblables aux tout petits, vous n'entrerez pas dans le Royaume de mon Père.

Arrêtons nous sur cette parole. Le tout petit enfant est ignorant, il est innocent; il a tout oublié. Il est mort à son individualité, à son passé; il est né à une vie nouvelle. Dans ce coeur qui s'est vidé de tout le Créé Dieu Se verse; Il lui révèle les choses « cachées aux savants et aux intelligents » et Il lui ouvre l'accès de Son Royaume; plus même, Il le lui donne.

L'instrument de ce travail, c'est la souffrance. « Nous devons passer par beaucoup de souffrances pour entrer dans le Royaume de Dieu ».

On ne peut entrer dans le Royaume de Dieu que si l'on est entièrement purifié. La souffrance est sainte. Elle est le feu qui purifie notre coeur notre intelligence, notre volonté, notre vitalité physique aussi. Sédir la nomme l'acide qui ronge nos impuretés. Elle nous oblige à voir clair en nous mêmes, a réorganiser, a régénérer notre vie et celle de notre entourage que nous avons compromises Elle opère ce que les théologiens appellent notre conversion ‑ ce mot qui signifie changement de direction; elle réalise la transmutation de l'homme naturel en homme divin. Elle développe nos forces; spirituelles et nous aide à marcher sur le chemin que le Christ a ouvert, ce chemin que la pitié des hommes a nommé « la voie douloureuse », mais qui conduit an Royaume de la Lumière et de la Paix.

La souffrance nous rapproche du Christ; mieux, elle nous unit au Christ., à Celui qui par amour a pris sur Lui la souffrance du monde et qui a donné Sa vie pour la rédemption du monde.

La souffrance nous révèle l'amour; elle nous montre que le chemin de la vie éternelle passe par la croix; la croix. l'obéissance parfaite, le don total.

Dans un passage souvent cité du Jardin d'Épicure, Anatole France écrit : « La souffrance, quelle divine méconnue ! Nous lui devons tout ce qu'il y a de bon en nous, tout ce qui donne du prix à la vie, nous lui devons la pitié, nous lui devons le courage, nous lui devons toutes les vertus ».

Et le MaÎtre de Sédir a dit « Si nous savions ce que c'est que la souffrance, nous la demanderions ».

« Nul n'avance s'il ne souffre moralement et physiquement. N'est‑il pas écrit : Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ».

« Le jour où nous saurons souffrir, nous aurons encore à souffrir, mais la souffrance ne nous fera plus rien ».

« Il y a une chose que je puis affirmer, c'est que, depuis qu'il y a des hommes, il n'y a pas une seule personne qui, de l’autre côté, n'ait été satisfaite à l'idée des souffrances qu’elle avait eu à supporter ».

Ecoutons encore :

« La souffrance nous associe an labeur éternel du Christ. Et ceci est accessible à tous. Tout homme, dans toute classe, dans toute situation, fût‑il le plus humble et le plus pauvre ‑ pauvre d'argent ou d'esprit ‑, oui, le plus faible, l'enfant même et le vieillard que l’âge a frappé d'impuissance peuvent travailler à l’oeuvre divine. Car il n'est pas nécessaire d'être des saints: il suffit d'orienter sa vie vers l'amour ».

Emile BESSON. Janvier 71