JOB 1 à 10

Jb1.1 Il y avait au pays de Ouç un homme du nom de Job. Il était, cet homme, intègre et droit, craignait Dieu et s'écartait du mal.

Jb1.2 7 fils et 3 filles lui étaient nés.

Jb1.3 Il possédait 7.000 moutons, 3.000 chameaux, 500 paires de boeufs, 500 ânesses et une très nombreuse domesticité. Cet homme était le plus grand de tous les fils de l'Orient.

Jb1.4 Or ses fils allaient festoyer les uns chez les autres à tour de rôle et ils conviaient leurs 3 soeurs à manger et à boire.

Jb1.5 Lorsqu'un cycle de ces festins était achevé, Job les faisait venir pour les purifier. Levé dès l'aube, il offrait un holocauste pour chacun d'eux, car il se disait: «Peut-être mes fils ont-ils péché et maudit Dieu dans leur coeur»! Ainsi faisait Job, chaque fois.

Jb1.6 Le jour advint où les Fils de Dieu se rendaient à l'audience du SEIGNEUR. L'Adversaire vint aussi parmi eux.

Jb1.7 Le SEIGNEUR dit à l'Adversaire: «D'où viens-tu»? _ «De parcourir la terre, répondit-il, et d'y rôder».

Jb1.8 Et le SEIGNEUR lui demanda: «As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'a pas son pareil sur terre. C'est un homme intègre et droit qui craint Dieu et s'écarte du mal».

Jb1.9 Mais l'Adversaire répliqua au SEIGNEUR: «Est-ce pour rien que Job craint Dieu?

Jb1.10 Ne l'as-tu pas protégé d'un enclos, lui, sa maison et tout ce qu'il possède? Tu as béni ses entreprises, et ses troupeaux pullulent dans le pays.

Jb1.11 Mais veuille étendre ta main et touche à tout ce qu'il possède. Je parie qu'il te maudira en face»!

Jb1.12 Alors le SEIGNEUR dit à l'Adversaire: «Soit! Tous ses biens sont en ton pouvoir. Évite seulement de porter la main sur lui». Et l'Adversaire se retira de la présence du SEIGNEUR.

Jb1.13 Le jour advint où ses fils et ses filles étaient en train de manger et de boire du vin chez leur frère aîné.

Jb1.14 Un messager arriva auprès de Job et dit: «Les boeufs étaient à labourer et les ânesses paissaient auprès d'eux.

Jb1.15 Un rezzou de Sabéens les a enlevés en massacrant tes serviteurs. Seul j'en ai réchappé pour te l'annoncer».

Jb1.16 Il parlait encore quand un autre survint qui disait: «Un feu de Dieu est tombé du ciel, brûlant moutons et serviteurs. Il les a consumés, et seul j'en ai réchappé pour te l'annoncer».

Jb1.17 Il parlait encore quand un autre survint qui disait: «Des Chaldéens formant 3 bandes se sont jetés sur les chameaux et les ont enlevés en massacrant tes serviteurs. Seul j'en ai réchappé pour te l'annoncer».

Jb1.18 Il parlait encore quand un autre survint qui disait: «Tes fils et tes filles étaient en train de manger et de boire du vin chez leur frère aîné

Jb1.19 lorsqu'un grand vent venu d'au-delà du désert a frappé les 4 coins de la maison. Elle est tombée sur les jeunes gens. Ils sont morts. Seul j'en ai réchappé pour te l'annoncer».

Jb1.20 Alors Job se leva. Il déchira son manteau et se rasa la tête. Puis il se jeta à terre, adora

Jb1.21 et dit: «Sorti nu du ventre de ma mère, nu j'y retournerai. Le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a ôté: Que le nom du SEIGNEUR soit béni»!

Jb1.22 En tout cela, Job ne pécha pas. Il n'imputa rien d'indigne à Dieu.

Jb2.1 Le jour advint où les fils de Dieu se rendaient à l'audience du SEIGNEUR. L'Adversaire vint aussi parmi eux à l'audience du SEIGNEUR.

Jb2.2 Le SEIGNEUR dit à l'Adversaire: «D'où est-ce que tu viens»? _ «De parcourir la terre, répondit-il, et d'y rôder».

Jb2.3 Et le SEIGNEUR lui demanda: «As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'a pas son pareil sur terre. C'est un homme intègre et droit qui craint Dieu et se garde du mal. Il persiste dans son intégrité et c'est bien en vain que tu m'as incité à l'engloutir».

Jb2.4 Mais l'Adversaire répliqua au SEIGNEUR: «Peau pour peau! Tout ce qu'un homme possède, il le donne pour sa vie.

Jb2.5 Mais veuille étendre ta main, touche à ses os et à sa chair. Je parie qu'il te maudira en face»!

Jb2.6 Alors le SEIGNEUR dit à l'Adversaire: «Soit! Il est en ton pouvoir; respecte seulement sa vie».

Jb2.7 Et l'Adversaire, quittant la présence du SEIGNEUR, frappa Job d'une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête.

Jb2.8 Alors Job prit un tesson pour se gratter et il s'installa parmi les cendres.

Jb2.9 Sa femme lui dit: «Vas-tu persister dans ton intégrité? Maudis Dieu, et meurs»!

Jb2.10 Il lui dit: «Tu parles comme une folle. Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l'accepterions-nous pas aussi»? En tout cela, Job ne pécha point par ses lèvres.

Jb2.11 Les 3 amis de Job apprirent tout ce malheur qui lui était advenu et ils arrivèrent chacun de son pays, Elifaz de Témân, Bildad de Shouah et Çofar de Naama. Ils convinrent d'aller le plaindre et le consoler.

Jb2.12 Levant leurs yeux de loin, ils ne le reconnurent pas. Ils pleurèrent alors à grands cris. Chacun déchira son manteau et ils jetèrent en l'air de la poussière qui retomba sur leur tête.

Jb2.13 Ils restèrent assis à terre avec lui pendant 7 jours et 7 nuits. Aucun ne lui disait mot, car ils avaient vu combien grande était sa douleur.

Jb3.1Enfin, Job ouvrit la bouche et maudit son jour.

Jb3.2 Job prit la parole et dit:

Jb3.3 Périsse le jour où j'allais être enfanté et la nuit qui a dit: «Un homme a été conçu»!

Jb3.4 Ce jour-là, qu'il devienne ténèbres, que, de là-haut, Dieu ne le convoque pas, que ne resplendisse sur lui nulle clarté;

Jb3.5 que le revendiquent la ténèbre et l'ombre de mort, que sur lui demeure une nuée, que le terrifient les éclipses!

Jb3.6 Cette nuit-là, que l'obscurité s'en empare, qu'elle ne se joigne pas à la ronde des jours de l'année, qu'elle n'entre pas dans le compte des mois!

Jb3.7 Oui, cette nuit-là, qu'elle soit infécondée, que nul cri de joie ne la pénètre;

Jb3.8 que l'exècrent les maudisseurs du jour, ceux qui sont experts à éveiller le Tortueux;

Jb3.9 que s'enténèbrent les astres de son aube, qu'elle espère la lumière _ et rien! Qu'elle ne voie pas les pupilles de l'aurore!

Jb3.10 Car elle n'a pas clos les portes du ventre où j'étais, ce qui eût dérobé la peine à mes yeux.

Jb3.11 Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein? A peine sorti du ventre, j'aurais expiré.

Jb3.12 Pourquoi donc 2 genoux m'ont-ils accueilli, pourquoi avais-je 2 mamelles à téter?

Jb3.13 Désormais, gisant, je serais au calme, endormi, je jouirais alors du repos,

Jb3.14 avec les rois et les conseillers de la terre, ceux qui rebâtissent pour eux des ruines,

Jb3.15 ou je serais avec les princes qui détiennent l'or, ceux qui gorgent d'argent leurs demeures,

Jb3.16 ou comme un avorton enfoui je n'existerais pas, comme les enfants qui ne virent pas la lumière.

Jb3.17 Là, les méchants ont cessé de tourmenter, là, trouvent repos les forces épuisées.

Jb3.18 Prisonniers, tous sont à l'aise, ils n'entendent plus la voix du garde-chiourme.

Jb3.19 Petit et grand, là, c'est tout un, et l'esclave y est affranchi de son maître.

Jb3.20 Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine, et la vie aux ulcérés?

Jb3.21 Ils sont dans l'attente de la mort, et elle ne vient pas, ils fouillent à sa recherche plus que pour des trésors.

Jb3.22 Ils seraient transportés de joie, ils seraient en liesse s'ils trouvaient un tombeau.

Jb3.23 Pourquoi ce don de la vie à l'homme dont la route se dérobe? Et c'est lui que Dieu protégeait d'un enclos!

Jb3.24 Pour pain je n'ai que mes sanglots, ils déferlent comme l'eau, mes rugissements.

Jb3.25 La terreur qui me hantait, c'est elle qui m'atteint, et ce que je redoutais m'arrive.

Jb3.26 Pour moi, ni tranquillité, ni cesse, ni repos. C'est le tourment qui vient.

Jb4.1 Alors Elifaz de Témân prit la parole et dit:

Jb4.2 Te met-il pour une fois à l'épreuve, tu fléchis! Mais qui peut contraindre ses paroles?

Jb4.3 Tu t'es fait l'éducateur des foules, tu savais rendre vigueur aux mains lasses.

Jb4.4 Tes paroles redressaient ceux qui perdent pied, tu affermissais les genoux qui ploient.

Jb4.5 Que maintenant cela t'arrive, c'est toi qui fléchis. Te voici atteint, c'est l'affolement.

Jb4.6 Ta piété ne tenait-elle qu'à ton bien-être, tes espérances fondaient-elles seules ta bonne conduite?

Jb4.7 Rappelle-toi: quel innocent a jamais péri, où vit-on des hommes droits disparaître?

Jb4.8 Je l'ai bien vu: les laboureurs de gâchis et les semeurs de misère en font eux-mêmes la moisson.

Jb4.9 Sous l'haleine de Dieu ils périssent, au souffle de sa narine ils se consument.

Jb4.10 Rugissement de lion, feulement de tigre; les dents des lionceaux mordent à vide.

Jb4.11 Le guépard périt faute de proie, les petits de la lionne se débandent.

Jb4.12 Une parole, furtivement, m'est venue, mon oreille en a saisi le murmure.

Jb4.13 Lorsque divaguent les visions de la nuit, quand une torpeur écrase les humains,

Jb4.14 un frisson d'épouvante me surprit et fit cliqueter tous mes os:

Jb4.15 un souffle passait sur ma face, hérissait le poil de ma chair.

Jb4.16 Il se tenait debout, je ne le reconnus pas. Le spectre restait devant mes yeux. Un silence, puis j'entendis une voix:

Jb4.17 «Le mortel serait-il plus juste que Dieu, l'homme serait-il plus pur que son auteur?

Jb4.18 Vois: ses serviteurs, il ne leur fait pas confiance, en ses anges même il trouve de la folie.

Jb4.19 Et les habitants des maisons d'argile, alors, ceux qui se fondent sur la poussière! On les écrase comme une teigne.

Jb4.20 D'un matin à un soir ils seront broyés. Sans qu'on y prenne garde, ils périront à jamais.

Jb4.21 Les cordes de leurs tentes ne sont-elles pas déjà arrachées? Ils mourront, faute de sagesse».

Jb5.1 Fais donc appel! Existe-t-il quelqu'un pour te répondre? Auquel des saints t'en prendras-tu?

Jb5.2 Oui, l'imbécile, c'est la rogne qui l'égorge, et le naïf, la jalousie le tue.

Jb5.3 Je l'ai bien vu, l'imbécile, qui poussait ses racines, mais j'ai soudain maudit sa demeure:

Jb5.4 «Que ses fils échappent à tout secours, qu'ils soient écrasés au tribunal sans que nul n'intervienne,

Jb5.5 et lui, ce qu'il a moissonné, que l'affamé s'en nourrisse, qu'on s'en saisisse malgré les haies d'épines et que les assoiffés engouffrent son patrimoine»!

Jb5.6 Car le gâchis ne sort pas de terre et la misère ne germe pas du sol.

Jb5.7 Oui, c'est pour la misère que l'homme est né, et l'étincelle pour prendre son essor.

Jb5.8 Quant à moi, je m'adresserais à Dieu, c'est à Dieu que j'exposerais ma cause.

Jb5.9 L'ouvrier des grandeurs insondables, dont les merveilles épuisent les nombres,

Jb5.10 c'est lui qui répand la pluie sur la face de la terre, qui fait ruisseler le visage des champs,

Jb5.11 pour placer au sommet ceux qui gisent en bas et pour que les assombris se dressent, sauvés.

Jb5.12 C'est lui qui déjoue les intrigues des plus roués. Pour leurs mains point de réussite.

Jb5.13 C'est lui qui prend les sages au piège de leur astuce, et qui devance les desseins des fourbes.

Jb5.14 En plein jour ils se butent aux ténèbres, à midi ils tâtonnent comme de nuit.

Jb5.15 Mais il a sauvé de leur épée, de leur gueule, de leur serre puissante, le pauvre.

Jb5.16 Il y eut pour le faible une espérance, et l'infamie s'est trouvée muselée.

Jb5.17 Vois: Heureux l'homme que Dieu réprimande! Ne dédaigne donc pas la semonce du Puissant.

Jb5.18 C'est lui qui, en faisant souffrir, répare, lui dont les mains, en brisant, guérissent.

Jb5.19 De 6 angoisses il te tirera et à la 7ème, le mal ne t'atteindra plus.

Jb5.20 Lors de la famine, il te rachètera à la mort et en plein combat au pouvoir de l'épée.

Jb5.21 Du fouet de la langue, tu seras à l'abri; rien à craindre d'un désastre à venir.

Jb5.22 Désastre, disette, tu t'en riras, et des bêtes sauvages, n'aie pas peur!

Jb5.23 Car tu as une alliance avec les pierres des champs, et l'on t'a concilié les fauves de la steppe.

Jb5.24 Tu découvriras la paix dans ta tente; inspectant tes pâtures, tu n'y trouveras rien en défaut.

Jb5.25 Tu découvriras que ta postérité est nombreuse et que tes rejetons sont comme la verdure de la terre.

Jb5.26 Tu entreras dans la tombe en pleine vigueur, comme on dresse un gerbier en son temps.

Jb5.27 Vois, cela, nous l'avons étudié à fond: il en est ainsi, écoute et fais-en ton profit.

Jb6.1 Alors Job prit la parole et dit:

Jb6.2 Si l'on parvenait à peser ma hargne, si l'on amassait ma détresse sur une balance!

Jb6.3 Mais elles l'emportent déjà sur le sable des mers. C'est pourquoi mes paroles s'étranglent.

Jb6.4 Car les flèches du Puissant sont en moi, et mon souffle en aspire le venin. Les effrois de Dieu s'alignent contre moi.

Jb6.5 L'âne sauvage se met-il à braire auprès du gazon, le boeuf à meugler sur son fourrage?

Jb6.6 Ce qui est fade se mange-t-il sans sel et y a-t-il du goût à la bave du pourpier?

Jb6.7 Mon gosier les vomit, ce sont vivres immondes.

Jb6.8 Qui fera que ma requête s'accomplisse, que Dieu me donne ce que j'espère?

Jb6.9 Que Dieu daigne me broyer, qu'il dégage sa main et me rompe!

Jb6.10 J'aurai du moins un réconfort, un sursaut de joie dans la torture implacable: je n'aurai mis en oubli aucune des sentences du Saint.

Jb6.11 Quelle est ma force pour que j'espère? Quelle est ma fin pour persister à vivre?

Jb6.12 Ma force est-elle la force du roc, ma chair est-elle de bronze?

Jb6.13 Serait-ce donc le néant, ce secours que j'attends? Toute ressource m'a-t-elle échappé?

Jb6.14 L'homme effondré a droit à la pitié de son prochain; sinon, il abandonnera la crainte du Puissant.

Jb6.15 Mes frères ont trahi comme un torrent, comme le lit des torrents qui s'enfuient.

Jb6.16 La débâcle des glaces les avait gonflés quand au-dessus d'eux fondaient les neiges.

Jb6.17 A la saison sèche ils tarissent; à l'ardeur de l'été ils s'éteignent sur place.

Jb6.18 Les caravanes se détournent de leurs cours, elles montent vers les solitudes et se perdent.

Jb6.19 Les caravanes de Téma les fixaient des yeux; les convois de Saba espéraient en eux.

Jb6.20 On a honte d'avoir eu confiance: quand on y arrive, on est confondu.

Jb6.21 Ainsi donc, existez-vous? Non! A la vue du désastre, vous avez pris peur.

Jb6.22 Vous ai-je jamais dit: «Faites-moi un don! De votre fortune soyez prodigues en ma faveur

Jb6.23 pour me délivrer de la main d'un ennemi, me racheter de la main des tyrans»?

Jb6.24 Éclairez-moi, et moi je me tairai. En quoi ai-je failli? Montrez-le-moi!

Jb6.25 Des paroles de droiture seraient-elles blessantes? D'ailleurs, une critique venant de vous, que critique-t-elle?

Jb6.26 Serait-ce des mots que vous prétendez critiquer? Les paroles du désespéré s'adressent au vent.

Jb6.27 Vous iriez jusqu'à tirer au sort un orphelin, à mettre en vente votre ami.

Jb6.28 Eh bien! daignez me regarder: vous mentirais-je en face?

Jb6.29 Revenez donc! Pas de perfidie! Encore une fois, revenez! Ma justice est en cause.

Jb6.30 Y a-t-il de la perfidie sur ma langue? Mon palais ne sait-il pas discerner la détresse?

Jb7.1 N'est-ce pas un temps de corvée que le mortel vit sur terre, et comme jours de saisonnier que passent ses jours?

Jb7.2 Comme un esclave soupire après l'ombre, et comme un saisonnier attend sa paye,

Jb7.3 ainsi des mois de néant sur mon partage et l'on m'a assigné des nuits harassantes:

Jb7.4 A peine couché je me dis: «Quand me lèverai-je»? Le soir n'en finit pas, et je me saoule de délires jusqu'à l'aube.

Jb7.5 Ma chair s'est revêtue de vers et de croûtes terreuses, ma peau se crevasse et suppure.

Jb7.6 Mes jours ont couru, plus vite que la navette, ils ont cessé, à bout de fil.

Jb7.7 Rappelle-toi que ma vie n'est qu'un souffle, et que mon oeil ne reverra plus le bonheur.

Jb7.8 Il ne me discernera plus, l'oeil qui me voyait. Tes yeux seront sur moi, et j'aurai cessé d'être.

Jb7.9 Une nuée se dissipe et s'en va: voilà celui qui descend aux enfers pour n'en plus remonter!

Jb7.10 Il ne fera plus retour en sa maison, son foyer n'aura plus à le reconnaître.

Jb7.11 Donc, je ne briderai plus ma bouche; le souffle haletant, je parlerai; le coeur aigre, je me plaindrai:

Jb7.12 Suis-je l'Océan ou le Monstre marin que tu postes une garde contre moi?

Jb7.13 Quand je dis: «Mon lit me soulagera, ma couche apaisera ma plainte»,

Jb7.14 alors, tu me terrorises par des songes, et par des visions tu m'épouvantes.

Jb7.15 La pendaison me séduit. La mort plutôt que ma carcasse!

Jb7.16 Je m'en moque! Je ne vivrai pas toujours. Laisse-moi, car mes jours s'exhalent.

Jb7.17 Qu'est-ce qu'un mortel pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention

Jb7.18 au point de l'inspecter chaque matin, de le tester à tout instant?

Jb7.19 Quand cesseras-tu de m'épier? Me laisseras-tu avaler ma salive?

Jb7.20 Ai-je péché? Qu'est-ce que cela te fait, espion de l'homme? Pourquoi m'avoir pris pour cible? En quoi te suis-je à charge?

Jb7.21 Ne peux-tu supporter ma révolte, laisser passer ma faute? Car déjà me voici gisant en poussière. Tu me chercheras à tâtons: j'aurai cessé d'être.

Jb8.1 Alors Bildad de Shouah prit la parole et dit:

Jb8.2 Ressasseras-tu toujours ces choses en des paroles qui soufflent la tempête?

Jb8.3 Dieu fausse-t-il le droit? Le Puissant fausse-t-il la justice?

Jb8.4 Si tes fils ont péché contre lui, il les a livrés au pouvoir de leur crime.

Jb8.5 Si toi tu recherches Dieu, si tu supplies le Puissant,

Jb8.6 si tu es honnête et droit, alors, il veillera sur toi et te restaurera dans ta justice.

Jb8.7 Et tes débuts auront été peu de chose à côté de ton avenir florissant.

Jb8.8 Interroge donc les générations d'antan, sois attentif à l'expérience de leurs ancêtres.

Jb8.9 Nous ne sommes que d'hier, nous ne savons rien, car nos jours ne sont qu'une ombre sur la terre.

Jb8.10 Mais eux t'instruiront et te parleront, et de leurs mémoires ils tireront ces sentences:

Jb8.11 «Le jonc pousse-t-il hors des marais, le roseau peut-il croître sans eau?

Jb8.12 Encore en sa fleur, et sans qu'on le cueille, avant toute herbe il se dessèche».

Jb8.13 Tel est le destin de ceux qui oublient Dieu; l'espoir de l'impie périra,

Jb8.14 son aplomb sera brisé, car son assurance n'est que toile d'araignée.

Jb8.15 S'appuie-t-il sur sa maison, elle branle. S'y cramponne-t-il, elle ne résiste pas.

Jb8.16 Le voilà plein de sève sous le soleil, au-dessus du jardin il étend ses rameaux.

Jb8.17 Ses racines s'entrelacent dans la pierraille, il explore les creux des rocs.

Jb8.18 Mais si on l'arrache à sa demeure, celle-ci le renie: «Je ne t'ai jamais vu»!

Jb8.19 Vois, ce sont là les joies de son destin, et de cette poussière un autre germera.

Jb8.20 Vois, Dieu ne méprise pas l'homme intègre, ni ne prête main-forte aux malfaiteurs.

Jb8.21 Il va remplir ta bouche de rires et tes lèvres de hourras.

Jb8.22 Tes ennemis seront vêtus de honte, et les tentes des méchants ne seront plus.

Jb9.1 Alors Job prit la parole et dit:

Jb9.2 Certes, je sais qu'il en est ainsi. Comment l'homme sera-t-il juste contre Dieu?

Jb9.3 Si l'on veut plaider contre lui, à 1.000 mots il ne réplique pas d'un seul.

Jb9.4 Riche en sagesse ou taillé en force, qui l'a bravé et resta indemne?

Jb9.5 Lui qui déplace les montagnes à leur insu, qui les culbute en sa colère,

Jb9.6 il ébranle la terre de son site, et ses colonnes chancellent.

Jb9.7 Sur son ordre le soleil ne se lève pas, il met les étoiles sous scellés.

Jb9.8 A lui seul il étend les cieux et foule les houles des mers.

Jb9.9 Il fabrique l'Ourse, Orion, et les Pléiades et les Cellules du Sud.

Jb9.10 Il fabrique des grandeurs insondables, ses merveilles épuisent les nombres.

Jb9.11 Il passe près de moi et je ne le vois pas; il s'en va, je n'y comprends rien.

Jb9.12 S'il fait main basse, qui l'en dissuade, qui lui dira: que fais-tu?

Jb9.13 Dieu ne refrène pas sa colère, sous lui sont prostrés les alliés du Typhon.

Jb9.14 Serait-ce donc moi qui répliquerais, me munirais-je de paroles contre lui?

Jb9.15 Si même je suis juste, à quoi bon répliquer? C'est mon accusateur qu'il me faut implorer.

Jb9.16 Même si j'appelle, et qu'il me réponde, je ne croirais pas qu'il ait écouté ma voix.

Jb9.17 Lui qui dans l'ouragan m'écrase et multiplie sans raison mes blessures,

Jb9.18 il ne me laisse pas reprendre haleine mais il me sature de fiel.

Jb9.19 Recourir à la force? Il est la puissance même. Faire appel au droit? Qui m'assignera?

Jb9.20 Fussé-je juste, ma bouche me condamnerait; innocent, elle me prouverait pervers.

Jb9.21 Suis-je innocent? je ne le saurai moi-même. Vivre me répugne.

Jb9.22 C'est tout un, je l'ai bien dit: l'innocent, comme le scélérat, il l'anéantit,

Jb9.23 quand un fléau jette soudain la mort, de la détresse des hommes intègres il se gausse.

Jb9.24 Un pays a-t-il été livré aux scélérats, il voile la face de ses juges; si ce n'est lui, qui est-ce donc?

Jb9.25 Mes jours battent à la course les coureurs, ils ont fui sans avoir vu le bonheur.

Jb9.26 Avec les barques de jonc, ils ont filé, comme un aigle fond sur sa proie.

Jb9.27 Si je me dis: Oublie ta plainte, déride ton visage, sois gai,

Jb9.28 je redoute tous mes tourments; je le sais: tu ne m'acquitteras pas.

Jb9.29 Il faut que je sois coupable! Pourquoi me fatiguer en vain?

Jb9.30 Que je me lave à l'eau de neige, que je décape mes mains à la soude,

Jb9.31 alors, dans la fange tu me plongeras, et mes vêtements me vomiront.

Jb9.32 C'est qu'il n'est pas homme comme moi, pour que je lui réplique, et qu'ensemble nous comparaissions en justice.

Jb9.33 S'il existait entre nous un arbitre pour poser sa main sur nous 2,

Jb9.34 il écarterait de moi la cravache de Dieu, et sa terreur ne m'épouvanterait plus.

Jb9.35 Je parlerais sans le craindre. Puisque cela n'est pas, je suis seul avec moi.

Jb10.1 La vie m'écoeure, je ne retiendrai plus mes plaintes; d'un coeur aigre je parlerai.

Jb10.2 Je dirai à Dieu: Ne me traite pas en coupable, fais-moi connaître tes griefs contre moi.

Jb10.3 Prends-tu plaisir à m'accabler, à mépriser la peine de tes mains et à favoriser les intrigues des méchants?

Jb10.4 Aurais-tu des yeux de chair, serait-ce à vue d'homme que tu vois?

Jb10.5 Est-ce la durée d'un mortel que la tienne et tes années sont-elles celles d'un humain

Jb10.6 pour que tu recherches mon crime et que tu enquêtes sur mon péché,

Jb10.7 bien que tu saches que je ne suis pas coupable et que nul ne me délivrera de ta main?

Jb10.8 Tes mains, elles m'avaient étreint; ensemble, elles m'avaient façonné de toutes parts et tu m'as englouti.

Jb10.9 Rappelle-toi: tu m'as façonné comme une argile, et c'est à la poussière que tu me ramènes.

Jb10.10 Ne m'as-tu pas coulé comme du lait, puis fait cailler comme du fromage?

Jb10.11 De peau et de chair tu me vêtis, d'os et de nerfs tu m'as tissé.

Jb10.12 Vie et fougue tu m'accordes et ta sollicitude a préservé mon souffle.

Jb10.13 Or voici ce que tu dissimulais en ton coeur, c'est cela, je le sais, que tu tramais:

Jb10.14 Si je pèche, me prendre sur le fait et ne me passer aucune faute.

Jb10.15 Suis-je coupable _ malheur à moi! Suis-je juste _ je ne lève pas la tête, gorgé de honte, ivre de ma misère.

Jb10.16 Si je me relève, tel un tigre tu me prends en chasse. Et tu répètes contre moi tes exploits,

Jb10.17 tu renouvelles tes assauts contre moi, tu redoubles de colère envers moi, des armées se relayent contre moi.

Jb10.18 Pourquoi donc m'as-tu fait sortir du ventre? J'expirais. Aucun oeil ne m'aurait vu.

Jb10.19 Je serais comme n'ayant pas été, du ventre à la tombe on m'eût porté.

Jb10.20 Mes jours sont-ils si nombreux? Qu'il cesse, qu'il me lâche, que je m'amuse un peu,

Jb10.21 avant de m'en aller sans retour au pays de ténèbre et d'ombre de mort,

Jb10.22 au pays où l'aurore est nuit noire, où l'ombre de mort couvre le désordre, et la clarté y est nuit noire.