JOB 11 à 20

Jb11.1 Alors Çofar de Naama prit la parole et dit:

Jb11.2 Un tel flot de paroles restera-t-il sans réponse? L'homme éloquent aura-t-il raison?

Jb11.3 Tes hâbleries laissent les gens bouche bée, tu railles sans qu'on te fasse honte.

Jb11.4 Et tu as osé dire: «Ma doctrine est irréprochable, et je suis pur à tes yeux»!

Jb11.5 Ah! si seulement Dieu intervenait, s'il desserrait les lèvres pour te parler,

Jb11.6 s'il t'apprenait les secrets de la sagesse _ car ils déroutent l'entendement _ alors tu saurais que Dieu oublie une part de tes crimes.

Jb11.7 Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu, sonder la perfection du Puissant?

Jb11.8 Elle est haute comme les cieux _ que feras-tu? Plus creuse que les enfers _ qu'en sauras-tu?

Jb11.9 Plus longue que la terre elle s'étend, et plus large que la mer.

Jb11.10 S'il fonce, emprisonne et convoque le tribunal, qui fera opposition?

Jb11.11 Car lui connaît les faiseurs de mensonge, il discerne les méfaits sans effort d'attention;

Jb11.12 tandis que l'homme accablé perd le jugement et que tout homme, à sa naissance, n'est qu'un ânon sauvage.

Jb11.13 Toi, quand tu auras affermi ton jugement, quand tu étendras vers lui les paumes de tes mains,

Jb11.14 s'il y a des méfaits dans tes mains, jette-les au loin, et que la perversité n'habite pas sous ta tente.

Jb11.15 Alors tu lèveras un front sans tache; purifié des scories, tu ne craindras plus.

Jb11.16 Car tu ne penseras plus à ta peine, tu t'en souviendras comme d'une eau écoulée.

Jb11.17 La vie se lèvera, plus radieuse que midi, l'obscurité deviendra une aurore.

Jb11.18 Tu seras sûr qu'il existe une espérance; même si tu as perdu la face, tu dormiras en paix.

Jb11.19 Dans ton repos nul n'osera te troubler et beaucoup te caresseront le visage.

Jb11.20 Quant aux méchants, leurs yeux se consument et tout refuge leur fait défaut. Leur espérance, c'est de rendre l'âme.

Jb12.1 Alors Job prit la parole et dit:

Jb12.2 Vraiment, la voix du peuple c'est vous, et avec vous mourra la sagesse.

Jb12.3 Moi aussi, j'ai une raison, tout comme vous, je ne suis pas plus déchu que vous. Qui ne dispose d'arguments semblables?

Jb12.4 La risée de ses amis, c'est moi, moi qui m'époumone vers ce Dieu qui jadis répondait. La risée des hommes, c'est le juste, le parfait.

Jb12.5 Mépris à la guigne! c'est la devise des chanceux, celle qu'ils destinent à ceux dont le pied glisse.

Jb12.6 Elles sont en paix, les tentes des brigands, ils sont tranquilles, ceux qui provoquent Dieu, et même celui qui capte Dieu dans sa main.

Jb12.7 Mais interroge donc les bestiaux, ils t'instruiront, les oiseaux du ciel, ils t'enseigneront.

Jb12.8 Cause avec la terre, elle t'instruira, et les poissons de la mer te le raconteront.

Jb12.9 Car lequel ignore, parmi eux tous, que «c'est la main du SEIGNEUR qui fit cela».

Jb12.10 Lui qui tient en son pouvoir l'âme de tout vivant et le souffle de toute chair d'homme.

Jb12.11 «L'oreille, dit-on, apprécie les paroles, comme le palais goûte les mets;

Jb12.12 la sagesse serait chez les hommes mûrs; l'intelligence siérait au grand âge».

Jb12.13 Or, sagesse et puissance l'accompagnent, conseil et intelligence sont à lui.

Jb12.14 Ce qu'il détruit ne se rebâtit pas, l'homme qu'il enferme ne sera pas libéré.

Jb12.15 S'il retient les eaux, c'est la sécheresse, s'il les déchaîne, elles ravagent la terre.

Jb12.16 Force et succès l'accompagnent, l'homme égaré et celui qui l'égare sont à lui.

Jb12.17 Il fait divaguer les experts et frappe les juges de démence.

Jb12.18 Il desserre l'emprise des rois et noue un pagne à leurs reins.

Jb12.19 Il fait divaguer les prêtres et renverse les inamovibles.

Jb12.20 Il ôte la parole aux orateurs et ravit le discernement aux vieillards.

Jb12.21 Il déverse le mépris sur les nobles et desserre le baudrier des tyrans.

Jb12.22 Il dénude les abîmes de leurs ténèbres et expose à la lumière l'ombre de mort.

Jb12.23 Il grandit les nations, puis les ruine, il laisse s'étendre les nations, puis les déporte.

Jb12.24 Il ôte la raison aux chefs de la populace et les égare dans un chaos sans issue.

Jb12.25 Ceux-là tâtonnent en des ténèbres sans lumière, et Dieu les égare comme des ivrognes.

Jb13.1 Oui, tout cela mon oeil l'a vu; mon oreille l'a entendu et compris.

Jb13.2 Ce que vous savez, je le sais, moi aussi. Je ne suis pas plus déchu que vous.

Jb13.3 Mais moi, c'est au Puissant que je vais parler, c'est contre Dieu que je veux me défendre.

Jb13.4 Quant à vous, plâtriers de mensonge, vous n'êtes tous que des guérisseurs de néant.

Jb13.5 Qui vous réduira une bonne fois au silence? Cela vous servirait de sagesse.

Jb13.6 Écoutez donc ma défense, au plaidoyer de mes lèvres, prêtez l'oreille.

Jb13.7 Est-ce au nom de Dieu que vous parlez en fourbes, en sa faveur que vous débitez des tromperies?

Jb13.8 Est-ce son parti que vous prenez, est-ce pour Dieu que vous plaidez?

Jb13.9 Serait-il bon qu'il vous scrutât? Vous joueriez-vous de lui comme on se joue d'un homme?

Jb13.10 Il vous reprocherait sûrement d'avoir pris parti en secret!

Jb13.11 Sa majesté ne vous épouvante-t-elle pas, sa terreur ne s'abat-elle pas sur vous?

Jb13.12 Vos rabâchements sont des sentences de cendre, vos retranchements sont devenus d'argile.

Jb13.13 Taisez-vous! Laissez-moi! C'est moi qui vais parler, quoi qu'il m'advienne.

Jb13.14 Aussi saisirai-je ma chair entre mes dents et risquerai-je mon va-tout.

Jb13.15 Certes, il me tuera. Je n'ai pas d'espoir. Pourtant, je défendrai ma conduite devant lui.

Jb13.16 Et cela même sera mon salut, car nul hypocrite n'accède en sa présence.

Jb13.17 Écoutez, écoutez ma parole, que mon explication entre en vos oreilles.

Jb13.18 Voici donc: j'ai introduit une instance, je sais que c'est moi qui serai justifié!

Jb13.19 Qui donc veut plaider contre moi? Car déjà j'en suis à me taire et à expirer.

Jb13.20 Épargne-moi seulement 2 choses et je cesserai de me cacher devant toi.

Jb13.21 Éloigne ta griffe de dessus moi. Ne m'épouvante plus par ta terreur.

Jb13.22 Puis appelle, et moi je répliquerai, ou bien si je parle, réponds-moi.

Jb13.23 Combien ai-je de crimes et de fautes? Ma révolte et ma faute, fais-les-moi connaître.

Jb13.24 Pourquoi dérobes-tu ta face et me prends-tu pour ton ennemi?

Jb13.25 Veux-tu traquer une feuille qui s'envole, pourchasser une paille sèche,

Jb13.26 pour que tu rédiges contre moi d'amers verdicts en m'imputant les crimes de ma jeunesse,

Jb13.27 pour que tu mettes mes pieds dans les fers et que tu épies toutes mes démarches en scrutant les empreintes de mes pas?

Jb13.28 _ Et pourtant l'homme s'effrite comme un bois vermoulu, comme un vêtement mangé des mites.

Jb14.1 L'homme enfanté par la femme est bref de jours et gorgé de tracas.

Jb14.2 Comme fleur cela éclôt puis c'est coupé, cela fuit comme l'ombre et ne dure pas.

Jb14.3 Et c'est là-dessus-que tu ouvres l'oeil, et c'est moi que tu cites avec toi en procès!

Jb14.4 Qui tirera le pur de l'impur? Personne.

Jb14.5 Puisque sa durée est fixée, que tu as établi le compte de ses mois et posé un terme qu'il ne peut franchir,

Jb14.6 regarde ailleurs: qu'il ait du répit et jouisse comme un saisonnier de son congé.

Jb14.7 Car il existe pour l'arbre un espoir; on le coupe, il reprend encore et ne cesse de surgeonner.

Jb14.8 Que sa racine ait vieilli en terre, que sa souche soit morte dans la poussière,

Jb14.9 dès qu'il flaire l'eau, il bourgeonne et se fait une ramure comme un jeune plant.

Jb14.10 Mais un héros meurt et s'évanouit. Quand l'homme expire, où donc est-il?

Jb14.11 L'eau aura quitté la mer, le fleuve tari aura séché,

Jb14.12 les gisants ne se relèveront pas. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de cieux, ils ne s'éveilleront pas et ne surgiront pas de leur sommeil.

Jb14.13 Si seulement tu me cachais dans les enfers, si tu m'abritais jusqu'à ce que reflue ta colère, si tu me fixais un terme où te souvenir de moi

Jb14.14 mais l'homme qui meurt va-t-il revivre? _ tout le temps de ma corvée, j'attendrais, jusqu'à ce que vienne pour moi la relève.

Jb14.15 Tu appellerais, et moi je te répondrais, tu pâlirais pour l'oeuvre de tes mains.

Jb14.16 Alors que maintenant tu dénombres mes pas, tu ne prendrais pas garde à ma faute.

Jb14.17 Scellée dans un sachet serait ma rébellion, et tu aurais maquillé mon crime.

Jb14.18 Et pourtant une montagne croule et s'effrite, un roc émigre de son lieu;

Jb14.19 l'eau peut broyer des pierres, son ruissellement ravine la terre friable, l'espérance de l'homme aussi tu l'as ruinée.

Jb14.20 Tu le mets hors de combat et il s'en va, l'ayant défiguré, tu le chasses.

Jb14.21 Ses fils sont honorés, il ne le sait, sont-ils avilis, il l'ignore.

Jb14.22 Pour lui seul souffre sa chair, pour lui seul son coeur s'endeuille.

Jb15.1 Alors Elifaz de Témân prit la parole et dit:

Jb15.2 Est-ce d'un sage de répondre par une science de vent, de s'enfler le ventre de sirocco,

Jb15.3 d'argumenter avec des mots sans portée, avec des discours qui ne servent à rien?

Jb15.4 Tu en viens à saper la piété, et tu ruines la méditation devant Dieu.

Jb15.5 Puisque ton crime inspire ta bouche et que tu adoptes le langage des fourbes,

Jb15.6 c'est ta bouche qui te condamne, ce n'est pas moi, tes propres lèvres témoignent contre toi.

Jb15.7 Es-tu Adam, né le 1er, as-tu été enfanté avant les collines?

Jb15.8 Aurais-tu écouté au conseil de Dieu pour y accaparer la sagesse?

Jb15.9 Que sais-tu que nous ne sachions? Qu'as-tu compris qui ne nous soit familier?

Jb15.10 Vois parmi nous un ancien, un vieillard, et l'autre plus chargé d'ans que ne le serait ton père.

Jb15.11 Sont-elles indignes de toi, les consolations de Dieu, et les paroles si modérées que nous t'adressons?

Jb15.12 Pourquoi la passion t'emporte-t-elle et pourquoi ces yeux qui clignent,

Jb15.13 lorsque tu tournes ta rancoeur contre Dieu et que ta bouche pérore?

Jb15.14 Qu'est-ce donc que l'homme pour jouer au pur, celui qui est né de la femme, pour se dire juste?

Jb15.15 Même à ses saints Dieu ne se fie pas et les cieux ne sont pas purs à ses yeux.

Jb15.16 Combien moins le répugnant, le corrompu, l'homme qui boit la perfidie comme de l'eau!

Jb15.17 Je vais t'instruire, écoute-moi. Ce que j'ai contemplé, je le rapporterai,

Jb15.18 ce que les sages, sans en rien cacher, relatent comme reçu de leurs ancêtres,

Jb15.19 de ceux à qui le pays fut donné en propre, quand aucun étranger ne s'était infiltré parmi eux.

Jb15.20 Voici: pendant toute sa vie, le méchant se tourmente. Quel que soit le nombre des ans réservés au tyran,

Jb15.21 les voix de l'effroi hantent ses oreilles: En pleine paix le démolisseur ne va-t-il pas l'attaquer?

Jb15.22 Il n'ose croire qu'il ressortira des ténèbres, lui que guette le glaive.

Jb15.23 Il erre pour chercher du pain, mais où aller? Il sait que le sort qui l'attend, c'est le jour des ténèbres.

Jb15.24 La détresse et l'angoisse vont le terrifier, elles se ruent sur lui comme un roi prêt à l'assaut.

Jb15.25 C'est qu'il a levé la main contre Dieu, et qu'il a bravé le Puissant.

Jb15.26 Il fonçait sur lui tête baissée, sous le dos blindé de ses boucliers.

Jb15.27 C'est que la graisse a empâté son visage et le lard a alourdi ses reins.

Jb15.28 Il avait occupé des villes détruites, des maisons qui n'étaient plus habitables et qui croulaient en éboulis.

Jb15.29 Mais il ne s'enrichira pas, sa fortune ne tiendra pas, son succès ne s'étalera plus sur la terre.

Jb15.30 Il ne fuira pas les ténèbres, une flamme desséchera ses rameaux et il fuira sa propre haleine.

Jb15.31 Qu'il ne mise pas sur la duperie, il ferait fausse route, car la duperie sera son salaire.

Jb15.32 Cela s'accomplira avant sa fin et sa ramure ne reverdira plus.

Jb15.33 Il laissera tomber, comme une vigne, ses fruits encore verts, et perdra, comme un olivier, sa floraison.

Jb15.34 Oui, l'engeance de l'impie est stérile et un feu dévore les tentes de l'homme vénal.

Jb15.35 Qui conçoit la peine enfante le malheur, et son ventre mûrit la déception.

Jb16.1 Et Job prit la parole et dit:

Jb16.2 J'en ai entendu beaucoup sur ce ton, en fait de consolateurs, vous êtes tous désolants.

Jb16.3 Me dire: «Sont-elles finies, ces paroles de vent»? Et: «Qu'est-ce qui te contraint à répondre encore»?

Jb16.4 Moi aussi je parlerais à votre façon si c'était vous qui teniez ma place. Je composerais contre vous des discours et je hocherais la tête contre vous.

Jb16.5 Je vous réconforterais par ma bouche et l'agilité de mes lèvres serait un calmant.

Jb16.6 Moi, si je parle, ma douleur n'en est point calmée, et si je me tais, me quittera-t-elle?

Jb16.7 Mais c'est que maintenant il m'a poussé à bout: Oui, tu as ravagé tout mon entourage,

Jb16.8 tu m'as creusé des rides qui témoignent contre moi, ma maigreur m'accuse et me charge.

Jb16.9 Oui, pour me déchirer, sa colère me traque, contre moi il grince des dents, mon ennemi darde sur moi ses regards.

Jb16.10 Gueule béante contre moi, on me gifle d'insultes, on s'ameute contre moi.

Jb16.11 Dieu m'a livré au caprice d'un gamin, il m'a jeté en proie à des crapules.

Jb16.12 J'étais au calme. Il m'a bousculé. Il m'a saisi par la nuque et disloqué, puis m'a dressé pour cible.

Jb16.13 Ses flèches m'encadrent. Il transperce mes reins sans pitié et répand à terre mon fiel.

Jb16.14 Il ouvre en moi brèche sur brèche, fonce sur moi, tel un guerrier.

Jb16.15 J'ai cousu un sac sur mes cicatrices et enfoncé mon front dans la poussière.

Jb16.16 Mon visage est rougi par les pleurs et sur mes paupières est l'ombre de mort.

Jb16.17 Pourtant, il n'y avait pas de violence en mes mains, et ma prière était pure.

Jb16.18 Terre, ne couvre pas mon sang, et que ma clameur ne trouve point de refuge.

Jb16.19 Dès maintenant, j'ai dans les cieux un témoin, je possède en haut lieu un garant.

Jb16.20 Mes amis se moquent de moi, mais c'est vers Dieu que pleurent mes yeux.

Jb16.21 Lui, qu'il défende l'homme contre Dieu, comme un humain intervient pour un autre.

Jb16.22 Mais le nombre de mes ans est compté, et je m'engage sur le chemin sans retour.

Jb17.1 Mon souffle s'affole, mes jours s'éteignent, à moi la tombe!

Jb17.2 Ne suis-je pas entouré de cyniques? Leurs insolences obsèdent mes veilles.

Jb17.3 Engage-toi donc, sois ma caution auprès de toi! Qui consentirait à toper dans ma main?

Jb17.4 Vraiment, tu as fermé leur coeur à la raison, aussi, tu ne toléreras pas qu'ils triomphent.

Jb17.5 Tel convoque ses amis au partage, alors que languissent les yeux de ses fils.

Jb17.6 On a fait de moi la fable des peuples. Je serai un lieu commun de l'épouvante.

Jb17.7 Mon oeil s'éteint de chagrin et tous mes membres ne sont qu'une ombre.

Jb17.8 Les hommes droits en seront stupéfaits, et l'homme intègre s'indignera contre l'hypocrite.

Jb17.9 Mais que le juste persiste en sa conduite, et que l'homme aux mains pures redouble d'efforts!

Jb17.10 Quant à vous, revenez tous, venez donc! Parmi vous je ne trouverai pas un sage.

Jb17.11 Mes jours ont passé, ce que je tramais s'est rompu, l'apanage de mon désir.

Jb17.12 Ils prétendent que la nuit c'est le jour, ils disent que la lumière est proche, quand tombe la ténèbre.

Jb17.13 Qu'ai-je à espérer? Les enfers sont ma demeure. De ténèbres j'ai capitonné ma couche.

Jb17.14 Au charnier j'ai clamé: «Tu es mon père»! A la vermine: «O ma mère, ô ma soeur»!

Jb17.15 Où donc est passée mon espérance? Mon espérance, qui l'entrevoit?

Jb17.16 Au fin fond des enfers elle sombrera, quand ensemble nous nous prélasserons dans la poussière.

Jb18.1 Alors Bildad de Shouah prit la parole et dit:

Jb18.2 Jusques à quand vous retiendrez-vous de parler? Réfléchissez, et ensuite nous prendrons la parole.

Jb18.3 Pourquoi nous laisser traiter d'abrutis? Pourquoi passerions-nous pour bornés à vos yeux?

Jb18.4 O toi qui te déchires dans ta colère, faut-il qu'à cause de toi la terre devienne déserte et que le roc émigre de son lieu?

Jb18.5 Oui, la lumière du méchant va s'éteindre et la flamme de son foyer va cesser de briller.

Jb18.6 La lumière s'assombrit sous sa tente et sa lampe au-dessus de lui va s'éteindre.

Jb18.7 Ses pas, jadis vigoureux, se feront courts, et il trébuchera dans ses propres intrigues,

Jb18.8 car ses pieds le jettent dans un filet et il chemine sur des mailles.

Jb18.9 Un piège lui saisira le talon, un lacet s'emparera de lui.

Jb18.10 Pour lui un cordeau se cache à terre, une trappe sur son chemin.

Jb18.11 De toutes parts des terreurs l'épouvantent, elles le suivent pas à pas.

Jb18.12 La famine le frappera en pleine vigueur. La misère se tient à son côté,

Jb18.13 elle dévorera des lambeaux de sa peau, et le premier-né de la mort dévorera ses membres.

Jb18.14 On l'arrachera à la sécurité de sa tente, et tu pourras le mener vers le roi des terreurs.

Jb18.15 Tu pourras habiter la tente qui n'est plus à lui, on répandra du soufre sur son domaine.

Jb18.16 En bas, ses racines sécheront, en haut, sa ramure sera coupée.

Jb18.17 Son souvenir s'est perdu dans le pays, son nom ne figure plus au cadastre.

Jb18.18 On le repousse de la lumière dans les ténèbres, on le bannit de l'univers.

Jb18.19 Il n'a ni lignée ni postérité dans son peuple, aucun survivant dans sa demeure.

Jb18.20 Son destin stupéfie l'Occident, l'Orient en est saisi d'horreur:

Jb18.21 «Il ne reste que cela des repaires du brigand: le voilà, ce lieu où l'on ignorait Dieu»!

Jb19.1 Et Job prit la parole et dit:

Jb19.2 Jusques à quand me tourmenterez-vous et me broierez-vous avec des mots?

Jb19.3 Voilà 10 fois que vous m'insultez. N'avez-vous pas honte de me torturer?

Jb19.4 Même s'il était vrai que j'aie erré, mon erreur ne regarderait que moi.

Jb19.5 Si vraiment vous voulez vous grandir à mes dépens, en me reprochant ce dont j'ai honte,

Jb19.6 sachez donc que c'est Dieu qui a violé mon droit et m'a enveloppé dans son filet.

Jb19.7 Si je crie à la violence, pas de réponse, si je fais appel, pas de justice.

Jb19.8 Il a barré ma route pour que je ne passe pas, et sur mes sentiers, il met des ténèbres.

Jb19.9 Il m'a dépouillé de ma gloire, il a ôté la couronne de ma tête.

Jb19.10 Il me sape de toutes parts et je trépasse, il a arraché l'arbre de mon espoir.

Jb19.11 Sa colère a flambé contre moi, il m'a traité en ennemi.

Jb19.12 Ses hordes arrivent en masse, elles se fraient un accès jusqu'à moi et mettent le siège autour de ma tente.

Jb19.13 Mes frères, il les a éloignés de moi, ceux qui me connaissent se veulent étrangers.

Jb19.14 Mes proches ont disparu, mes familiers m'ont oublié.

Jb19.15 Les hôtes de ma maison et mes servantes me traitent en étranger, je suis devenu un intrus à leurs yeux.

Jb19.16 J'ai appelé mon serviteur, il ne répond pas quand de ma bouche je l'implore.

Jb19.17 Mon haleine répugne à ma femme, et je dégoûte les fils de mes entrailles.

Jb19.18 Même des gamins me méprisent; quand je me lève, ils jasent sur moi.

Jb19.19 Tous mes intimes m'ont en horreur, même ceux que j'aime se sont tournés contre moi.

Jb19.20 Mes os collent à ma peau et à ma chair, et je m'en suis tiré avec la peau de mes dents.

Jb19.21 Pitié pour moi, pitié pour moi, vous mes amis, car la main de Dieu m'a touché.

Jb19.22 Pourquoi me pourchassez-vous comme Dieu? Seriez-vous insatiables de ma chair?

Jb19.23 Ah! si seulement on écrivait mes paroles, si on les gravait en une inscription!

Jb19.24 Avec un burin de fer et du plomb, si pour toujours dans le roc elles restaient incisées!

Jb19.25 Je sais bien, moi, que mon rédempteur est vivant, que le dernier, il surgira sur la poussière.

Jb19.26 Et après qu'on aura détruit cette peau qui est mienne, c'est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu.

Jb19.27 C'est moi qui le contemplerai, oui, moi! Mes yeux le verront, lui, et il ne sera pas étranger. Mon coeur en brûle au fond de moi.

Jb19.28 Si vous dites: «Comment le torturer afin de trouver contre lui prétexte à procès»?

Jb19.29 Alors redoutez le glaive pour vous-mêmes, car l'acharnement est passible du glaive. Ainsi vous saurez qu'il existe un jugement.

Jb20.1 Alors Çofar de Naama prit la parole et dit:

Jb20.2 Voici à quoi mes doutes me ramènent et cette impatience qui me prend:

Jb20.3 J'entends une leçon qui m'outrage, mais ma raison me souffle la réplique.

Jb20.4 Ne sais-tu pas que, depuis toujours, depuis que l'homme a été mis sur la terre,

Jb20.5 le triomphe des méchants fut bref, la joie de l'impie n'a duré qu'un instant?

Jb20.6 Quand sa taille s'élèverait jusqu'au ciel et sa tête toucherait aux nues,

Jb20.7 comme son ordure il disparaîtra sans retour; ceux qui le voyaient diront: Où est-il?

Jb20.8 Comme un songe il s'envolera _ qui le trouvera quand il est mis en fuite comme une vision de la nuit?

Jb20.9 L'oeil qui l'apercevait ne le verra plus, même sa demeure l'aura perdu de vue.

Jb20.10 Ses fils devront indemniser les pauvres, ses propres mains restitueront son avoir.

Jb20.11 Ses os regorgeaient de jeunesse, mais elle couchera avec lui dans la poussière.

Jb20.12 Puisque le mal est si doux à sa bouche qu'il l'abrite sous sa langue,

Jb20.13 le savoure sans le lâcher et le retient encore sous son palais,

Jb20.14 son aliment se corrompt dans ses entrailles et y devient un venin d'aspic.

Jb20.15 La fortune qu'il avait avalée, la voilà vomie: à son ventre, Dieu la fera rejeter.

Jb20.16 C'est un venin d'aspic qu'il suçait, la langue de la vipère le tuera.

Jb20.17 Il ne verra plus les ruisseaux, les fleuves, les torrents de miel et de crème.

Jb20.18 Il rend ce qu'il a gagné et ne peut l'avaler, quoi que lui aient rapporté ses échanges, il n'en jouira pas.

Jb20.19 Puisqu'il a écrasé et délaissé les pauvres, qu'il a volé une maison au lieu de la bâtir,

Jb20.20 puisque son ventre n'a pas su se contenter, il ne sauvera aucun de ses trésors.

Jb20.21 Rien n'échappait à sa voracité, aussi son bonheur ne durera pas.

Jb20.22 Au comble de l'abondance, la détresse va le saisir, la main de tous les misérables s'abattra sur lui.

Jb20.23 Il en sera à se remplir le ventre quand Dieu déchaînera sur lui sa colère. Elle pleuvra sur lui en guise de nourriture.

Jb20.24 Fuit-il l'arme de fer, l'arc de bronze le transperce.

Jb20.25 Il arrache la flèche, elle sort de son corps, et dès que la pointe quitte son foie, les terreurs sont sur lui.

Jb20.26 Des ténèbres se dissimulent en toutes ses caches, un feu les dévore que nul n'attise, le malheur frappe ce qui subsiste en sa tente.

Jb20.27 Les cieux dévoilent son crime, et la terre se soulève contre lui.

Jb20.28 Les richesses de sa maison s'en vont comme des eaux qui s'écoulent au jour de la colère.

Jb20.29 Le voilà, le sort que Dieu réserve à l'homme méchant, la part d'héritage que Dieu a décrétée pour lui.