JOB 21 à 30

Jb21.1 Et Job prit la parole et dit:

Jb21.2 Écoutez, écoutez mes paroles. C'est ainsi que vous me consolerez.

Jb21.3 Supportez-moi, et moi je parlerai. Et quand j'aurai parlé, tu te moqueras.

Jb21.4 Moi, est-ce d'un homme que je me plains? Alors, pourquoi ne perdrais-je pas patience?

Jb21.5 Tournez-vous vers moi. Vous serez stupéfaits et mettrez la main sur votre bouche.

Jb21.6 Moi-même, ce souvenir me bouleverse et un frisson saisit ma chair:

Jb21.7 Pourquoi les scélérats vivent-ils? Vieillir, c'est pour eux accroître leur pouvoir.

Jb21.8 Leur postérité s'affermit en face d'eux, en même temps qu'eux et ils ont leurs rejetons sous leurs yeux.

Jb21.9 Leurs maisons en paix ignorent la peur. La férule de Dieu les épargne.

Jb21.10 Leur taureau féconde sans faillir, leur vache met bas sans avorter.

Jb21.11 Ils laissent leurs gamins s'ébattre en troupeaux et leur marmaille danser.

Jb21.12 On improvise sur le tambourin et la harpe, on se divertit au son de la flûte.

Jb21.13 Ils consument leurs jours dans le bonheur, en un instant ils s'effondrent aux enfers.

Jb21.14 Or ils avaient dit à Dieu: «Écarte-toi de nous, connaître tes voies ne nous plaît pas.

Jb21.15 Le Puissant vaut-il qu'on se fasse son esclave? Et que gagne-t-on à l'invoquer»?

Jb21.16 Le bonheur n'est-il pas en leurs mains? Pourquoi dire alors: Loin de moi, les intrigues des scélérats!

Jb21.17 Est-ce souvent que la lampe des scélérats s'éteint, que leur ruine fond sur eux, que Dieu leur assigne pour lot sa colère?

Jb21.18 Et pourtant l'on dit: «Qu'ils soient comme paille au vent, comme bale qu'emporte la tempête»!

Jb21.19 Dieu, dira-t-on, réserve aux fils le châtiment du père? Qu'il pâtisse lui-même, il le sentira!

Jb21.20 Qu'il voie de ses yeux sa ruine et qu'il s'abreuve à la fureur du Puissant!

Jb21.21 Que lui importe, en effet, sa maison après lui, une fois que le nombre de ses mois est tranché?

Jb21.22 Est-ce à Dieu qu'on enseignera la science, lui qui juge le sang versé!

Jb21.23 L'un meurt en pleine vigueur, tout heureux et tranquille;

Jb21.24 ses flancs sont lourds de graisse, la moelle de ses os est encore fraîche.

Jb21.25 L'autre meurt, le coeur aigre, sans avoir goûté au bonheur.

Jb21.26 Ensemble, ils s'étendent sur la poussière, et les vers les recouvrent.

Jb21.27 Oh! je connais bien vos pensées et les idées que vous vous faites sur mon compte.

Jb21.28 Car vous dites: «Où est la maison du tyran, qu'est devenue la tente où gîtaient les bandits»?

Jb21.29 N'avez-vous pas interrogé les voyageurs, n'avez-vous pas su interpréter leur langage?

Jb21.30 Au jour du désastre le méchant est préservé, au jour des fureurs il est mis à l'abri.

Jb21.31 Qui lui jettera sa conduite à la face et ce qu'il a fait, qui le lui paiera?

Jb21.32 Lui on l'escorte au cimetière et on veille sur son tertre.

Jb21.33 Douces lui sont les mottes de la vallée et derrière lui toute la population défile. L'assistance est innombrable.

Jb21.34 Pourquoi donc vous perdre en consolations? De vos réponses, il ne reste que fausseté.

Jb22.1 Alors Elifaz de Témân prit la parole et dit:

Jb22.2 Est-ce à Dieu qu'un brave peut être utile, alors que le sage n'est utile qu'à lui-même?

Jb22.3 Le Puissant s'intéresse-t-il à ta justice, que gagne-t-il si tu réformes ta conduite?

Jb22.4 Est-ce par crainte pour toi qu'il te présentera sa défense, qu'il ira avec toi en justice?

Jb22.5 Vraiment ta méchanceté est grande, il n'y a pas de limites à tes crimes.

Jb22.6 Tu prenais sans motif des gages à tes frères, tu les dépouillais de leurs vêtements jusqu'à les mettre nus.

Jb22.7 Tu ne donnais pas d'eau à l'homme épuisé, à l'affamé tu refusais le pain.

Jb22.8 L'homme à poigne possédait la terre, et le favori s'y installait.

Jb22.9 Tu as renvoyé les veuves les mains vides, et les bras des orphelins étaient broyés.

Jb22.10 C'est pour cela que des pièges t'entourent, que te trouble une terreur soudaine.

Jb22.11 Ou bien c'est l'obscurité, tu n'y vois plus, et une masse d'eau te submerge.

Jb22.12 Dieu n'est-il pas en haut des cieux? Vois la voûte étoilée, comme elle est haute.

Jb22.13 Tu en as conclu: «Que peut savoir Dieu? Peut-il juger à travers la nuée sombre?

Jb22.14 Les nuages lui sont un voile et il n'y voit pas, il ne parcourt que le pourtour des cieux».

Jb22.15 Veux-tu donc suivre la route de jadis, celle que foulèrent les hommes pervers?

Jb22.16 Ils furent emportés avant le temps; leurs fondations, c'est un fleuve qui s'écoule.

Jb22.17 Eux qui disaient à Dieu: «Détourne-toi de nous»! Car, que pourrait leur faire le Puissant?

Jb22.18 C'était pourtant lui qui avait rempli leurs maisons de bonheur. _ Loin de moi, les intrigues des scélérats!

Jb22.19 _ Les justes verront et se réjouiront, l'homme honnête se moquera d'eux:

Jb22.20 «Voilà nos adversaires anéantis, le feu a dévoré leurs profits»!

Jb22.21 Réconcilie-toi donc avec lui et fais la paix. Ainsi le bonheur te sera rendu.

Jb22.22 Accepte donc de sa bouche l'instruction et fixe ses sentences en ta conscience.

Jb22.23 Si tu reviens vers le Puissant, tu seras rétabli, si tu éloignes la perfidie de ta tente.

Jb22.24 Jette ensuite à la poussière les lingots et aux cailloux du torrent l'or d'Ofir.

Jb22.25 C'est le Puissant qui te tiendra lieu de lingots et de monceaux d'argent.

Jb22.26 Car alors tu feras du Puissant tes délices et tu élèveras vers Dieu ton visage.

Jb22.27 Quand tu le supplieras, il t'exaucera, et tu n'auras plus qu'à t'acquitter de tes voeux.

Jb22.28 Si tu prends une décision, elle te réussira et sur ta route brillera la lumière.

Jb22.29 Si certains sont abattus, tu pourras leur dire: «Debout»! Car il sauve l'homme aux yeux baissés.

Jb22.30 Il délivrera même celui qui n'est pas innocent; oui, celui-ci sera délivré par la pureté de tes mains.

Jb23.1 Alors Job prit la parole et dit:

Jb23.2 Aujourd'hui encore ma plainte se fait rebelle, quand ma main pèse sur mon gémissement.

Jb23.3 Ah! si je savais où le trouver, j'arriverais jusqu'à son trône.

Jb23.4 J'exposerais devant lui ma cause, j'aurais la bouche pleine d'arguments.

Jb23.5 Je saurais par quels discours il me répondrait, et je comprendrais ce qu'il a à me dire.

Jb23.6 La violence serait-elle sa plaidoirie? Non! Lui au moins me prêterait attention.

Jb23.7 Alors un homme droit s'expliquerait avec lui et j'échapperais, victorieux, à mon juge.

Jb23.8 Mais si je vais à l'orient, il n'y est pas, à l'occident, je ne l'aperçois pas.

Jb23.9 Est-il occupé au nord, je ne peux l'y découvrir, se cache-t-il au midi, je ne l'y vois pas.

Jb23.10 Pourtant il sait quel chemin est le mien, s'il m'éprouve, j'en sortirai pur comme l'or.

Jb23.11 Mon pied s'est agrippé à ses traces, j'ai gardé sa voie et n'ai pas dévié,

Jb23.12 le précepte de ses lèvres et n'ai pas glissé. J'ai prisé ses décrets plus que mes principes.

Jb23.13 Mais lui, il est tout d'une pièce. Qui le fera revenir? Son bon plaisir, c'est chose faite.

Jb23.14 Aussi exécutera-t-il ma sentence comme tant d'autres qu'il garde en instance.

Jb23.15 Voilà pourquoi sa présence me bouleverse. Plus je réfléchis, plus j'ai peur de lui.

Jb23.16 Dieu a amolli mon courage, le Puissant m'a bouleversé,

Jb23.17 car je n'ai pas été anéanti avant la tombée des ténèbres, mais il ne m'a pas épargné l'obscurité qui vient.

Jb24.1 Pourquoi le Puissant n'a-t-il pas des temps en réserve, et pourquoi ses fidèles ne voient-ils pas ses jours?

Jb24.2 On déplace les bornes, on fait paître des troupeaux volés,

Jb24.3 c'est l'âne des orphelins qu'on emmène, c'est le boeuf de la veuve qu'on retient en gage.

Jb24.4 On écarte de la route les indigents, tous les pauvres du pays n'ont plus qu'à se cacher.

Jb24.5 Tels des onagres dans le désert, ils partent au travail dès l'aube, en quête de pâture. Et c'est la steppe qui doit nourrir leurs petits.

Jb24.6 Dans les champs ils se coupent du fourrage, et ils grappillent la vigne du méchant.

Jb24.7 La nuit, ils la passent nus, faute de vêtement, ils n'ont pas de couverture quand il fait froid.

Jb24.8 Ils sont trempés par la pluie des montagnes, faute d'abri, ils étreignent le rocher.

Jb24.9 On arrache l'orphelin à la mamelle, du pauvre on exige des gages.

Jb24.10 On le fait marcher nu, privé de vêtement, et aux affamés on fait porter des gerbes.

Jb24.11 Dans les enclos des autres, ils pressent de l'huile, et ceux qui foulent au pressoir ont soif.

Jb24.12 Dans la ville les gens se lamentent, le râle des blessés hurle, et Dieu reste sourd à ces infamies!

Jb24.13 Leurs auteurs sont en révolte contre la lumière, ils en ont méconnu les voies, ils n'en ont pas fréquenté les sentiers.

Jb24.14 Le meurtrier se lève au point du jour, il assassine le pauvre et l'indigent, et la nuit, il agit en voleur.

Jb24.15 L'oeil de l'adultère épie le crépuscule. «Nul oeil ne me verra», dit-il et il se met un masque.

Jb24.16 C'est dans les ténèbres que celui-là force les maisons. De jour, on se tient claquemuré sans connaître la lumière.

Jb24.17 Pour eux tous, l'aube c'est l'ombre de mort. Mais le pillard est habitué aux épouvantes de l'ombre de mort.

Jb24.18 Il surnage comme sur des eaux, son domaine est maudit par les gens du pays. Mais lui ne prend pas le chemin des vignes.

Jb24.19 «Le sol altéré et la chaleur engloutissent l'eau des neiges. Ainsi, dit-on, les enfers engloutissent celui qui a péché.

Jb24.20 Le sein qui le porta l'oublie, mais la vermine fait de lui ses délices, on ne se souvient plus de lui. La perfidie a été brisée comme un arbre».

Jb24.21 En fait, quelqu'un entretient une femme stérile qui n'enfante pas, mais il ne donne pas la joie à la veuve.

Jb24.22 Alors Dieu qui par force a emporté les puissants se dresse, et notre homme ne compte plus sur la vie.

Jb24.23 Pourtant Dieu lui accorde de s'affermir dans la tranquillité, tandis que ses yeux surveillent la conduite des autres.

Jb24.24 Eux sont élevés pour un peu de temps, et puis plus rien. Ils se sont effondrés comme tous ceux qui sont moissonnés, ils seront coupés comme une tête d'épi.

Jb24.25 S'il n'en est pas ainsi, qui me démentira, qui réduira mon discours à néant?

Jb25.1 Alors Bildad de Shouah prit la parole et dit:

Jb25.2 A lui l'empire et la terreur, lui qui fait paix dans ses hauteurs.

Jb25.3 Peut-on compter ses légions? Sur qui sa lumière ne se lève-t-elle pas?

Jb25.4 Et comment l'homme serait-il juste contre Dieu, comment jouerait-il au pur, celui qui est né de la femme?

Jb25.5 Si même la lune perd sa brillance, et si les étoiles ne sont pas pures à ses yeux,

Jb25.6 que dire de l'homme, ce ver, du fils d'Adam, cette larve!

Jb26.1 Alors Job prit la parole et dit:

Jb26.2 Comme tu assistes l'homme sans force, et secours le bras sans vigueur!

Jb26.3 Comme tu conseilles l'homme sans sagesse et dispenses le savoir-faire!

Jb26.4 A qui tes paroles s'adressent-elles, de qui vient cette inspiration qui émane de toi?

Jb26.5 Plus profond que les eaux et que ceux qui les habitent, tremblent les trépassés.

Jb26.6 Les enfers sont à nu devant lui, et le gouffre n'a point de voile.

Jb26.7 C'est lui qui étend l'Arctique sur le vide, qui suspend la terre sur le néant,

Jb26.8 qui stocke les eaux dans ses nuages, sans que la nuée crève sous elles,

Jb26.9 qui dérobe la vue de son trône en étendant sur lui sa nuée.

Jb26.10 Il a tracé un cercle sur la face des eaux, aux confins de la lumière et des ténèbres.

Jb26.11 Les colonnes des cieux vacillent, épouvantées, à sa menace.

Jb26.12 Par sa force, il a fendu l'Océan, par son intelligence, il a brisé le Typhon.

Jb26.13 Son souffle a balayé les cieux, sa main a transpercé le Serpent fuyard.

Jb26.14 Si telles sont les franges de ses oeuvres, le faible écho que nous en percevons, qui donc comprendrait le tonnerre de ses exploits?

Jb27.1 Alors Job continua de prononcer son poème et dit:

Jb27.2 Par la vie du Dieu qui me dénie justice, par le Puissant qui m'a aigri le coeur,

Jb27.3 tant que je pourrai respirer et que le souffle de Dieu sera dans mes narines,

Jb27.4 je jure que mes lèvres ne diront rien de perfide et que ma langue ne méditera rien de fourbe.

Jb27.5 Quelle abomination, si je vous donnais raison! Jusqu'à ce que j'expire, je maintiendrai mon innocence.

Jb27.6 Je tiens à ma justice et ne la lâcherai pas! Ma conscience ne me reproche aucun de mes jours.

Jb27.7 Qu'il en soit de mon ennemi comme du méchant, de mon adversaire comme du malfaiteur!

Jb27.8 Ne dites-vous pas: «Quel profit peut espérer l'impie alors que Dieu va le dépouiller de la vie?

Jb27.9 Dieu entendra-t-il son cri quand la détresse le surprendra?

Jb27.10 S'il s'était délecté auprès du Puissant, il aurait invoqué Dieu à tout moment».

Jb27.11 Je vais vous la prouver, la maîtrise de Dieu, je ne cacherai pas la pensée du Puissant.

Jb27.12 Puisque vous tous l'avez constatée, pourquoi vous être évanouis en vanité?

Jb27.13 Voici la part que Dieu réserve à l'homme méchant, l'héritage qu'un tyran recevra du Puissant:

Jb27.14 «Si ses fils se multiplient, ce sera pour le glaive, et ses descendants manqueront de pain.

Jb27.15 Ses survivants seront enterrés par la male mort, sans que ses veuves puissent les pleurer.

Jb27.16 S'il amasse l'argent comme de la poussière, s'il entasse les vêtements comme de la glaise,

Jb27.17 qu'il entasse, c'est le juste qui s'en vêtira, quant à l'argent, c'est l'homme honnête qui le touchera.

Jb27.18 Il a bâti sa maison comme le fait la mite, comme la hutte qu'élève un guetteur.

Jb27.19 Riche il se couche, mais c'est la fin; il ouvre les yeux: plus rien.

Jb27.20 Les terreurs l'atteignent comme un flot. En une nuit, un tourbillon l'enlève.

Jb27.21 Le sirocco l'emporte et il s'en va, le vent l'arrache de chez lui.

Jb27.22 Sans pitié on tire sur lui, et il s'efforce de fuir la main de l'archer.

Jb27.23 On applaudit à sa ruine, de sa propre demeure on le siffle».

Jb28.1 Certes, des lieux d'où extraire l'argent et où affiner l'or, il n'en manque pas.

Jb28.2 Le fer, c'est du sol qu'on l'extrait, et le roc se coule en cuivre.

Jb28.3 On a mis fin aux ténèbres et l'on fouille jusqu'au tréfonds la pierre obscure dans l'ombre de mort.

Jb28.4 On a percé des galeries loin des lieux habités, là, inaccessible aux passants, on oscille, suspendu loin des humains.

Jb28.5 La terre, elle d'où sort le pain, fut ravagée en ses entrailles comme par un feu.

Jb28.6 Ses rocs sont le gisement du saphir et là se trouve la poussière d'or.

Jb28.7 Les rapaces en ignorent le sentier et l'oeil du vautour ne l'a pas repéré.

Jb28.8 Les fauves ne l'ont point foulé ni le lion ne l'a frayé.

Jb28.9 On s'est attaqué au silex, on a ravagé les montagnes par la racine.

Jb28.10 Dans les rochers on a percé des réseaux de galeries, et tout ce qui est précieux, l'oeil de l'homme l'a vu.

Jb28.11 On a tari les sources des fleuves et amené au jour ce qui était caché.

Jb28.12 Mais la sagesse, où la trouver? Où réside l'intelligence?

Jb28.13 On en ignore le prix chez les hommes, et elle ne se trouve pas au pays des vivants.

Jb28.14 L'Abîme déclare: «Elle n'est pas en moi». Et l'Océan: «Elle ne se trouve pas chez moi».

Jb28.15 Elle ne s'échange pas contre de l'or massif, elle ne s'achète pas au poids de l'argent.

Jb28.16 L'or d'Ofir ne la vaut pas, ni l'onyx précieux, ni le saphir.

Jb28.17 Ni l'or ni le verre n'atteignent son prix, on ne peut l'avoir pour un vase d'or fin.

Jb28.18 Corail, cristal n'entrent pas en ligne de compte. Et mieux vaudrait pêcher la sagesse que les perles.

Jb28.19 La topaze de Nubie n'atteint pas son prix. Même l'or pur ne la vaut pas.

Jb28.20 Mais la sagesse, d'où vient-elle, où réside l'intelligence?

Jb28.21 Elle se cache aux yeux de tout vivant, elle se dérobe aux oiseaux du ciel.

Jb28.22 Le gouffre et la mort déclarent: «Nos oreilles ont eu vent de sa renommée».

Jb28.23 Dieu en a discerné le chemin, il a su, lui, où elle réside.

Jb28.24 C'était lorsqu'il portait ses regards jusqu'aux confins du monde et qu'il inspectait tout sous les cieux

Jb28.25 pour régler le poids du vent, et fixer la mesure des eaux.

Jb28.26 Quand il assignait une limite à la pluie et frayait une voie à la nuée qui tonne,

Jb28.27 alors il l'a vue et dépeinte, il l'a discernée et même scrutée.

Jb28.28 Puis il a dit à l'homme: «La crainte du Seigneur, voilà la sagesse. S'écarter du mal, c'est l'intelligence»!

Jb29.1 Alors Job continua de prononcer son poème et dit:

Jb29.2 Qui me fera revivre les lunes d'antan, ces jours où Dieu veillait sur moi,

Jb29.3 quand sa lampe brillait sur ma tête, et dans la nuit j'avançais à sa clarté;

Jb29.4 tel que j'étais aux jours féconds de mon automne, quand l'amitié de Dieu reposait sur ma tente,

Jb29.5 quand le Puissant était encore avec moi et que mes garçons m'entouraient,

Jb29.6 quand je lavais mes pieds dans la crème et le roc versait pour moi des flots d'huile.

Jb29.7 Si je sortais vers la porte de la cité, si j'installais mon siège sur la place,

Jb29.8 à ma vue les jeunes s'éclipsaient, les vieillards se levaient et restaient debout.

Jb29.9 Les notables arrêtaient leurs discours et mettaient la main sur leur bouche.

Jb29.10 La voix des chefs se perdait, leur langue se collait au palais.

Jb29.11 L'oreille qui m'entendait me disait heureux, l'oeil qui me voyait me rendait témoignage.

Jb29.12 Car je sauvais le pauvre qui crie à l'aide, et l'orphelin sans secours.

Jb29.13 La bénédiction du mourant venait sur moi, et je rendais la joie au coeur de la veuve.

Jb29.14 Je revêtais la justice, c'était mon vêtement. Mon droit me servait de manteau et de turban.

Jb29.15 J'étais devenu les yeux de l'aveugle, et les pieds de l'impotent, c'était moi.

Jb29.16 Pour les indigents, j'étais un père, la cause d'un inconnu, je la disséquais.

Jb29.17 Je brisais les crocs de l'injuste, et de ses dents, je faisais tomber sa proie.

Jb29.18 Je me disais: «Quand j'expirerai dans mon nid, comme le phénix je multiplierai mes jours.

Jb29.19 L'eau accède à ma racine, la rosée passe la nuit sur ma ramure.

Jb29.20 Ma gloire retrouvera sa fraîcheur, et dans ma main mon arc rajeunira».

Jb29.21 On m'écoutait, dans l'attente. On accueillait en silence mes avis.

Jb29.22 Quand j'avais parlé, nul ne répliquait, sur eux goutte à goutte tombaient mes paroles.

Jb29.23 Ils m'attendaient comme on attend la pluie. Leur bouche s'ouvrait comme à l'ondée tardive.

Jb29.24 Je leur souriais, ils n'osaient y croire, et recueillaient avidement tout signe de ma faveur.

Jb29.25 Leur fixant la route, je siégeais en chef, campé, tel un roi, parmi ses troupes, comme il console des affligés.

Jb30.1 Et maintenant, je suis la risée de plus jeunes que moi, dont j'eusse dédaigné de mettre les pères parmi les chiens de mon troupeau.

Jb30.2 Qu'aurais-je fait des efforts de leurs bras? Toute leur vigueur avait péri.

Jb30.3 Desséchés par la misère et la faim, ils rongeaient la steppe, lugubre et vaste solitude.

Jb30.4 Ils cueillent l'arroche sur les buissons, ils ont pour pain la racine des genêts.

Jb30.5 Bannis de la société des hommes qui les hue comme des voleurs,

Jb30.6 ils logent au flanc des précipices, dans les antres de la terre et les cavernes.

Jb30.7 Ils beuglent parmi les broussailles et s'entassent sous les ronces,

Jb30.8 fils de l'infâme, fils de l'homme sans nom, chassés du pays à coups de bâton.

Jb30.9 Et maintenant je sers à leur chanson, me voici devenu leur fable.

Jb30.10 Ils m'ont en horreur et s'éloignent. Sans se gêner, ils me crachent au visage.

Jb30.11 Puisque Dieu a détendu mon arc et m'a terrassé, ils perdent toute retenue en ma présence.

Jb30.12 Ils grouillent à ma droite, ils me font lâcher pied, ils se fraient un accès jusqu'à moi pour me perdre.

Jb30.13 Ils me coupent la retraite et s'affairent à ma ruine, sans qu'ils aient besoin d'aide.

Jb30.14 Ils affluent par la brèche, ils se bousculent sous les décombres.

Jb30.15 L'épouvante fonce contre moi. En coup de vent, elle chasse mon assurance. Mon bien-être a disparu comme un nuage.

Jb30.16 Et maintenant la vie s'écoule de moi, les jours de peine m'étreignent.

Jb30.17 La nuit perce mes os et m'écartèle; et mes nerfs n'ont pas de répit.

Jb30.18 Sous sa violence, mon vêtement s'avilit, comme le col de ma tunique il m'enserre.

Jb30.19 Il m'a jeté dans la boue. Me voilà devenu poussière et cendre.

Jb30.20 Je hurle vers toi, et tu ne réponds pas. Je me tiens devant toi, et ton regard me transperce.

Jb30.21 Tu t'es changé en bourreau pour moi, et de ta poigne tu me brimes.

Jb30.22 Tu m'emportes sur les chevaux du vent et me fais fondre sous l'orage.

Jb30.23 Je le sais: tu me ramènes à la mort, le rendez-vous de tous les vivants.

Jb30.24 Mais rien ne sert d'invoquer quand il étend sa main, même si ses fléaux leur arrachent des cris.

Jb30.25 Pourtant, n'ai-je point pleuré avec ceux qui ont la vie dure? Mon coeur ne s'est-il pas serré à la vue du pauvre?

Jb30.26 Et quand j'espérais le bonheur, c'est le malheur qui survint. Je m'attendais à la lumière... l'ombre est venue.

Jb30.27 Mes entrailles ne cessent de fermenter, des jours de peine sont venus vers moi.

Jb30.28 Je marche bruni, mais non par le soleil. En pleine assemblée, je me dresse et je hurle.

Jb30.29 Je suis entré dans l'ordre des chacals et dans la confrérie des effraies.

Jb30.30 Ma peau noircit et tombe, mes os brûlent et se dessèchent.

Jb30.31 Ma harpe s'accorde à la plainte, et ma flûte à la voix des pleureurs.