3° Les charismes d'Anne-Catherine Emmerich.

 

Il nous reste à étudier brièvement la vie intérieure d'Anne-Catherine, étude délicate s'il en est ; mais auparavant, nous dirons un mot des dons merveilleux, des charismes reçus par la pieuse nonne, et qui, à notre avis devaient l'accréditer auprès des hommes et lui faciliter l'accomplissement de sa mission.

 

Le premier de ces dons, le plus éclatant peut-être, celui tout au moins qui a fait le plus de bruit, c'est, la stigmatisation. – Mais, au fait, ses stigmates avaient-ils une origine surnaturelle ?

L'existence de ses plaies, à la tête, aux mains, aux pieds, au côté, n'est pas niable. Dans les enquêtes et contre-enquête, dans les visites si nombreuses reçues par Anne-Catherine, trop de témoins ont vu, touché, étudié à la loupe ses stigmates pour qu'il soit possible de nier leur existence. Du reste, Anne-Catherine Emmerich n'est pas la seule stigmatisée dont l'histoire fasse mention. Avec saint François d'Assise et sainte Catherine de Sienne, elle est en bonne compagnie. Clément Brentano compte cinquante stigmatisés dans l'histoire. Le docteur Imbert, de Clermont, en compte trois cent quarante et un.

Ce dernier renseignement nous est donné par l'ouvrage du pasteur protestant Rieks : « Emmerich-Brentano, - Canonisation de la religieuse augustine stigmatisée, A.-C. Emmerich et son cinquième Évangile, d'après Clément Brentano. » – Cet ouvrage très hostile à Brentano et à Anne-Catherine va nous servir dans notre discussion sur les causes probables des stigmates d'Anne-Catherine.

Rieks, en excellent Aufklaerer qu'il est, explique les plaies d'Anne-Catherine de la façon la plus simple du monde. Anne-Catherine était l'amie de cœur du « galant abbé Lambert ». C'est lui qui lui a percé les mains, les pieds et le côté ; c'est lui qui lui a imprimé deux ou trois croix sur la poitrine et deux ou trois rangs de piqûres d'épingles autour de la tête. Et il l'a fait par amour pour Anne-Catherine sans doute, mais aussi par fanatisme, par amour exagéré pour le bon Dieu. Elle était consentante du reste, également par amour pour le vieil abbé Lambert, et aussi par amour pour Dieu, et elle fit le serment solennel de ne jamais dévoiler, en aucun cas, les agissements de l'abbé Lambert.

Ils demeuraient dans des chambres séparées, Riecks nous l'apprend ! Sans lui nous ne l'aurions jamais deviné !- Néanmoins, tous deux, ils entretenaient soigneusement les plaies, le mercredi et le vendredi de chaque semaine et même plus souvent, quand c'était nécessaire.

Si le docteur Wesener prit plus tard, et durant toute sa vie, la défense d'Anne-Catherine, c'est que lui aussi, sans jalousie pour l'abbé Lambert, était devenu l'ami de coeur d'Anne-Catherine, à telles enseignes que... Passons, si vous voulez bien.

 

Au surplus, si cette explication sentimentale ne suffit pas, Rieks nous en donne une seconde. Prenez la brochure de Bodde avec la colle d'amidon, le blanc d'oeuf et le sang-de-dragon ; joignez-y les explications embarrassées de Bœnninghausen ; ajoutez l'étude très consciencieuse faite soixante ans plus tard par le docteur Karsch, uniquement avec les écrits de Bodde et de Bœnninghausen et vous arriverez à former un amalgame d'où il découlera clair comme le jour, que les causes de la stigmatisation chez Anne-Catherine Emmerich sont des plus naturelles.

Que si le fait de la stigmatisation d'une manière générale vous cause quelque embarras, on peut lui trouver, suivant Rieks, une troisième explication scientifique au plus haut degré, celle-là, et qui se résume en un seul mot : les stigmatisés sont victimes d'une maladie terrible et rare heureusement : la neuropathie stigmatique, une des formes de l'hystérie religieuse !

 

Cependant, ne plaignons pas trop ces malheureux névropathes. Ils ne sont pas très dignes d'intérêt ; qu'on en juge ! Le docteur Brück, qui s'est occupé de ces phénomènes anormaux, a interrogé un célèbre physiologue allemand. – C'est Rieks qui parle toujours. – Le docteur Brück a posé cette question : « Est-ce qu'une intention nourrie des années peut amener des saignements périodiques à certains points du corps ? » La science allemande du physiologue en question répondit carrément : Non, et ajouta : « Il faut pour une effusion du sang une transformation de la puissance mécanique du courant sanguin ou une transformation matérielle des vaisseaux. Aucune excitation nerveuse ne peut produire un écoulement sanguin. » Et Rieks conclut : Les stigmatisés sont des trompeurs plus ou moins conscients qui s'ouvrent les veines eux-mêmes ou se les font ouvrir par leur entourage.

Sur un point, nous sommes d'accord avec Rieks et son célèbre physiologue. Nous aussi, nous croyons que l'imagination, mettons l'autosuggestion est incapable de produire les phénomènes constatés chez Anne-Catherine. Mais nous n’en tirons pas la même conclusion que Rieks. Nous ne disons pas : Donc ! elle fut trompeuse. – A notre avis, les enquêtes si sévères auxquelles elle fut livrée ont prouvé suffisamment son innocence et ses prières répétées à Dieu pour se voir délivrée de ses stigmates, sont une autre preuve de son innocence. Du reste les docteurs affirment qu'une plaie saignante doit ou guérir ou s'envenimer, mais qu'elle ne reste pas indéfiniment stationnaire. Pourquoi les plaies d'Anne-Catherine restaient-elles toujours ouvertes ? Pourquoi ne rejetaient-elles pas de pus ? – Mystère.

 

Tout ceci, nous le savons bien, ne prouve pas d'une façon évidente l'origine surnaturelle de ces plaies. Mais ceci prouve au moins qu'on n'a pas encore trouvé d'explication naturelle vraiment satisfaisante. Pourquoi alors nous serait-il interdit de chercher cette explication dans le domaine surnaturel, dans le domaine religieux ?

Toute étude consciencieuse sur Anne-Catherine doit tenir compte des dires de la stigmatisée elle-même. Or elle affirme qu'elle a reçu les empreintes de ses croix, de sa couronne d'épines et de ses stigmates pendant l'extase. – La ressemblance de ses plaies avec celle du Divin Crucifié n'est-elle pas du reste très frappante ? – Parce que nous ne recevons pas de communications directes du Ciel, devons-nous en conclure que les âmes pures et saintes ne peuvent pas en recevoir ?

La possibilité de ces rapports entre le Ciel et la Terre ne peut être contestée. Or ces rapports chez Anne-Catherine sont beaucoup plus nombreux, que le fait seul de la stigmatisation ne le laisserait supposer, et elle possédait des pouvoirs si étendus et si merveilleux que si l'on voulait les expliquer tous d'une façon naturelle, le génie de mille Rieks n'y suffirait pas.

 

Nous disons donc que nous sommes amenés à voir dans la stigmatisation d'Anne-Catherine un don merveilleux et surnaturel, un charisme, non seulement en raison des affirmations de la stigmatisée qui n'ont pu être démenties, mais encore en raison des autres dons merveilleux et surnaturels, des autres charismes dont elle a été favorisée.

Ces autres dons sont ceux que nous désignerons d'une manière générale en disant que notre stigmatisée était en même temps une visionnaire, et une visionnaire à un degré éminent.

Elle a vécu dans l'extase une grande partie de sa vie. Elle affirme que ses visions ont commencé dès sa plus tendre enfance ; elles ont duré toute sa vie et à quelques semaines de sa mort elle les racontait encore à Clément Brentano.

Que voyait-elle dans ses visions ?

— Bien des choses, puisque l'Ancien et le Nouveau Testaments ont défilé en grande partie sous les yeux de son âme, puisqu'elle a revécu la vie des saints et les persécutions de l'Église, puisqu'elle s'est promenée en esprit à travers toute la Terre et qu'elle a jeté souvent de longs regards sur le Paradis, sur le Purgatoire et sur l'Enfer.

— A beau mentir qui vient de loin, dit la sagesse populaire. Anne-Catherine était une malade, toutes, ses visions, pures hallucinations !

— Peut-être !

— Tant que nous serons sur la Terre, nous n'irons pas vérifier ses dires sur le Paradis, sur le Purgatoire et sur l'Enfer. Sur l'Ancien et sur le Nouveau Testaments il est déjà plus facile de la suivre. Il est surtout plus facile de contrôler ses affirmations quand elle nous promène à travers toute la Terre.

 

Quand cette pauvre paysanne sans instruction nous conduit dans la Rome ancienne et dans la Rome moderne ou dans tous les carrefours de Jérusalem, à tous les moments de l'histoire, ou encore sur toutes les routes de la Palestine, en Perse ou en Egypte, dans l'Inde, à Chypre ou en Abyssinie, nos géographes, nos archéologues, nos philologues mêmes peuvent lui dire : « Attention, sœur Emmerich, la science a fait quelques progrès depuis votre mort et même depuis la mort de votre secrétaire Brentano ! » Or nous verrons dans un prochain ouvrage comment la science la plus récente vient confirmer les dires de notre visionnaire et réduire à néant les accusations de ses détracteurs.

Mais pourquoi aller si loin chercher les preuves de ses dons mystérieux quand nous avons ces preuves sous la main, quand nous pouvons les trouver en restant à son chevet où nous la voyons lire dans les âmes et dans les consciences et où nous l'entendons annoncer d'avance les visites qu'elle va recevoir, les enquêtes auxquelles elle va être soumise, les maladies qui vont l'assaillir et même les grands événements religieux de l'avenir.

De son lit, elle avait vu Wesener au cabaret quand il parlait contre elle, avant de la connaître ; de son lit aussi, elle avait vu ses amis réunis chez le doyen Rensing et méditant l'enquête qui devait se terminer par le procès-verbal envoyé au vicaire Elle avait signalé de même l’arrivée inopinée de Droste-Vischering et d’Overberg qui ne purent la surprendre comme ils l'auraient voulu.

Elle connaissait Overberg et Clément Brentano bien avant de les avoir vus. Elle avait prédit le sacre de Napoléon et les flots de sang qu'il répandrait en Allemagne tout en annonçant, ce qui s'est vérifié, que Dülmen serait épargné par la guerre, etc., etc.

 

Au point de vue catholique pur, il était impossible de la tromper. Non seulement elle condamnait les doctrines des Frères Moraves, les doctrines de Hermès et le magnétisme dont Brentano sans elle, aurait été un grand partisan ; non seulement elle condamnait la franc-maçonnerie dont elle dévoilait les agissements souterrains, mais encore elle battait en brèche le Jansénisme, les menées des Erweckten de Bavière et elle affirmait avec la dernière énergie, bien longtemps avant la promulgation du dogme de l'Immaculée Conception, que Marie, la mère de Dieu, avait été conçue sans péché.

Que de fois n'a-t-elle pas consolé Brentano avant qu'il ait pu lui dire ce qui l'affligeait ! Que de fois n'a-t-elle pas lu ses pensées ! D'où vient qu'elle lui serrait la main quand il lui disait mentalement de prier pour lui ? Un jour il avait béni secrètement de l'eau pour la lui apporter, car il savait que l'eau bénite par un prêtre procurait toujours un grand soulagement à la pauvre malade. Quand il lui offrit cette eau, elle le regarda en souriant et lui dit : C'est bien dommage que le Pèlerin (1) ne soit pas prêtre !

 

Lors de sa première enquête, Droste-Vischering s'était fait accompagner par Overberg et par von Drüffel, nous l'avons vu. Le professeur et conseiller de médecine von Drüffel, médecin savant et considéré, était un homme d'esprit indépendant. Le Vicaire général s'était adressé à lui parce qu'il le considérait, disait-il, comme « un observateur très perspicace, peu disposé à croire à la légère ». À Dülmen, Anne-Catherine déclara à Overberg qu'elle ne pouvait recevoir von Drüffel parce qu'il était franc-maçon. Le Vicaire général et Overberg furent très surpris de cette déclaration. Celui-ci demanda au docteur si cette affirmation était vraie. Von Drüffel reconnut que le fait était exact. Il promit de reprendre sa liberté et fut alors accueilli par Anne-Catherine qui le voyait du reste pour la première fois et n'avait jamais entendu parler de lui. La présence d'un franc-maçon comme la présence d'un magnétiseur lui causait toujours une secrète angoisse. Plus tard, pendant la seconde enquête, elle éprouvera un sentiment de répulsion très vif chaque fois que le docteur Borges, haut dignitaire de la franc-maçonnerie, s'approchera d'elle.

Veut-on une autre preuve de cette faculté que possédait Anne-Catherine de lire dans les âmes, même dans les âmes de personnes vivant loin d'elle ?

De Dülmen elle avait suivi Clément Brentano, qu'elle n'avait jamais vu, dans toutes les luttes qu'il eut à soutenir contre ses doutes et les prières de la pieuse nonne avaient hâté la conversion du poète.

De Dülmen également elle suivit l'évolution religieuse de Louise Hensel qui demeurait à Berlin et qui n'avait jamais vu Anne-Catherine. Quel ne fut pas l'étonnement de Louise lorsqu'elle apprit que son abjuration, qu'elle avait cachée à Brentano, était connue de celui-ci : Anne-Catherine la lui avait révélée dans une vision L'étonnement de Louise se changera du reste bientôt en une véritable stupéfaction lorsque, nouvelle convertie, elle recevra une lettre de Brentano dans laquelle celui-ci lui dira au nom d'Anne-Catherine : « La pensée que vous avez eue un certain soir en passant entre deux jardins est la bonne et les vers que vous vous disiez tout bas à ce moment doivent vous servir de règle de conduite, car cette pensée et ces vers vous étaient inspirés par votre ange gardien. »

 

Un des dons les plus merveilleux d'Anne-Catherine fut celui qu’elle avait de distinguer les objets bénis de ceux qui ne l'étaient pas. Les premiers sont lumineux, disait-elle, les seconds sont obscurs. Elle distinguait les lieux maudits et ténébreux où un crime avait été commis et les emplacements brillants sanctifiés par le passage des saints. Le son des cloches lui apparaissait comme formé de faisceaux de rayons lumineux mettant en fuite les mauvais esprits, et les doigts consacrés des prêtres avaient un pouvoir merveilleux sur elle. – Les doigts consacrés sont ceux qui doivent toucher la sainte hostie : le pouce et l'index ; l'évêque a fait sur eux une onction particulière. – Anne-Catherine déclare que les mauvais prêtres sont reconnaissables en enfer à leurs doigts consacrés et qu'ils souffrent dans ces doigts plus que dans tout le reste du corps.

Quand Anne-Catherine était dans l'extase, sa tête suivait tous les mouvements de ces doigts consacrés dès qu'un prêtre les approchait de son visage. Quand elle était dans cet état, si un prêtre lui donnait la bénédiction sacerdotale, elle faisait immédiatement le signe de la croix, même quand le prêtre s'était caché d'elle pour lui donner sa bénédiction.

Cette bénédiction des prêtres la soulageait toujours dans ses souffrances et l'eau bénite était pour elle le meilleur de tous les médicaments. Inutile de dire que des expériences innombrables furent faites par tous les prêtres qui l'approchèrent. Témoin de ce prodige qui se renouvela devant lui des centaines de fois, Clément Brentano en était grandement émerveillé et Rieks n'a pas complètement tort lorsqu'il affirme que si l'ex-poète romantique voulait se faire prêtre à la fin de sa vie, c'était pour avoir des doigts consacrés.

 

Quand Anne-Catherine était en extase, au seul mot d'obéissance prononcé à voix très basse par un de ses chefs spirituels, elle se réveillait brusquement. Une nuit le Père Limberg, en grand secret, alla chercher le Saint-Sacrement. La malade était en extase. Au retour, le Père Limberg n'avait pas mis le pied sur le seuil de la porte qu'Anne-Catherine s'était jetée à genoux sur son lit en criant : « Voici mon Seigneur et mon Dieu ! »

Parmi les dons les plus extraordinaires d'Anne-Catherine, nous devons enfin signaler le pouvoir qu’elle avait de distinguer les reliques des saints et de dire non seulement l'histoire des saints auxquels appartenaient les reliques qu'on lui présentait, mais l'histoire des reliques elles-mêmes et de leurs déplacements successifs. A quelles expériences ne fut-elle pas soumise à ce sujet !

Un jour, de Münster, Overberg envoya à Brentano des sachets scellés et marqués chacun d'une lettre. Brentano devait déposer en secret chaque nuit un de ces sachets sur la poitrine d'Anne-Catherine et noter, le lendemain, ce qu'elle dirait des visions qu'elle aurait eues à ce sujet. Bien entendu Brentano ne connaissait pas le contenu des sachets. Il remplit fidèlement sa mission, Quand Overberg eut reçu son rapport, il en fut enchanté et tint désormais Anne-Catherine pour une sainte. Nous verrons du reste constamment Droste-Vischering et Overberg se recommander aux prières d'Anne-Catherine.

 

Brentano lui-même fit ses expériences, – on s’en doute – et son imagination fertile lui suggéra des épreuves extrêmement variées. Une relique de saint Augustin placée dans une coquille marine, des os d'animaux, des os fossiles trouvés au fond d'une rivière des croûtes des plaies de la malade, quelques petits ossements trouvés dans un ossuaire, ossements appartenant à une vieille bohémienne, d'autres objets hétéroclites furent successivement posés sur la poitrine de la patiente qui, après avoir renseigné le Pèlerin sur le contenu de ses sachets, finit par lui demander de la laisser en repos.

Brentano ne tint guère compte de cette demande, mais nous devons dire à sa louange qu'il se servit souvent dans un très bon but des vraies reliques qu'il s'était procurées. Quand les souffrances de la pauvre malade devenaient trop vives, Brentano la soulageait en lui mettant sur la poitrine l'une ou l'autre de ses reliques.

Dans une révélation, Anne-Catherine dit à Brentano que jamais le don de distinguer les reliques n'avait été accordé à personne à un degré aussi élevé qu'à elle-même. Rieks ne peut nier ce don extraordinaire et il en fournit une explication qui, à défaut d'autre mérite, a du moins celui de l'originalité. Il explique ce don extraordinaire par l'acuité des sens chez les hystériques et tout particulièrement par la finesse de leur odorat. Il faut en effet un « flair » tout particulier pour pouvoir raconter l'histoire de l'apôtre saint Jacques par exemple, et l'histoire de ses reliques, au contact plus ou moins direct d'un seul de ses cheveux !

 

 

(1) C’est ainsi qu’elle appelait Brentano