5° Le travail de Brentano sur ses notes après la mort d'Anne-Catherine.

 

Nouveau converti, Brentano était venu à Dülmen dans la solitude et à l'école de la croix, nous disent Diel et Kreiten. Après la mort d'Anne-Catherine il sort de cette solitude pour rentrer dans le monde, mais il en sort en apôtre décidé à travailler de toutes ses forces au salut de ses semblables.

Nous ne nous étendrons pas longuement sur les travaux de toutes sortes auxquels il se livra dans la deuxième partie de sa vie pour préparer le triomphe de l'Église catholique en Allemagne. Nous parlerons à peine des œuvres de miséricorde qu'il accomplit alors et de la vie d'ascète qu'il mena jusqu'à sa mort. Nous montrerons simplement qu'au milieu de tous ses travaux et de toutes ses préoccupations, il ne perdit jamais de vue la grande mission qui lui restait à remplir, la publication des visions d'Anne-Catherine.

Il avait emporté de Dülmen quatre énormes in-folio de notes recueillies au chevet de la malade pendant cinq ans. Il lui fallait mettre de l'ordre dans cet immense butin, – travail d'athlète devant lequel il laissa tomber bien des fois ses bras découragés. Mais quand il s'était ainsi laissé aller au découragement, une vision d'Anne-Catherine, la fameuse vision du Jardin lui revenait à l'esprit et il se remettait à la besogne.

 

Dans cette vision, Anne-Catherine lui avait parlé d'un jardin couvert d'une végétation luxuriante mais sauvage et en somme inutile. C'était un fouillis de verdure dans lequel les plantes entrelacées, enchevêtrées les unes dans les autres, formaient un fourré inextricable et poussaient des fleurs de toute beauté ; mais on n'y voyait pas un seul fruit. Toutes ces plantes appartenaient à Anne-Catherine. Bientôt le Pèlerin vint s'occuper du jardin, y traça des allées et cultiva divers coins de terrain qui donnèrent des fruits magnifiques. En même temps une foule de gens vinrent se promener dans le jardin, tombèrent sur le Pèlerin et sur Anne-Catherine et cherchèrent à leur nuire et à les séparer. Mais un ecclésiastique prit la défense du Pèlerin qui alors cultiva avec un soin et une peine infinis le jardin merveilleux et y fit pousser des fruits exquis. Cette vision symbolique où Brentano voyait avec raison le travail qu'il devait accomplir sur ses notes lui rendit bien des fois le courage quand il se sentait tout disposé à abandonner la tâche immense qui lui était départie.

Après Dülmen nous le trouvons d'abord à Bonn chez le professeur Windischmann. Tout en combattant l'hérésiarque Hermès, il met en ordre ses papiers. Peu après, nous le retrouvons à Coblentz où il seconde de son mieux les admirables efforts du conseiller municipal Dietz, « le Père des Pauvres » qui fondait dans cette ville un hôpital et un orphelinat catholiques tout en dirigeant d'autres œuvres pieuses et charitables. En même temps Brentano voyage. Avec Dietz il va à Paris et à Nancy, il étudie les institutions charitables françaises et il fait paraître quelque temps après son admirable ouvrage sur les Sœurs de la Miséricorde. Nous avons dit quel fut le retentissement de cet ouvrage. Ajoutons simplement que le produit de cette œuvre fut attribué par Brentano à une école de Coblentz, l'Armenschule « l'école des Pauvres ». La première édition rapporta à l'école onze cents thalers.

 

L'éducation chrétienne des enfants intéresse beaucoup Brentano à cette époque et nous le trouvons souvent à Marienberg près de Boppard où il aide de ses conseils très judicieux les deux sœurs Thérèse et Sophie Doll qui ont fondé là une institution catholique de jeunes filles. C'est lui qui change complètement l'esprit de la maison, un peu mondain au début, et y fait régner le pur esprit de l'Évangile.

A cette même époque, nous voyons Brentano renouer ses relations avec Gœrres. Il lui rend visite à Strasbourg où celui-ci était exilé. Avec l'aide de quelques amis, Brentano et Gœrres se mettent à la tête du Journal le Katholik et fondent une presse catholique indépendante. Pour faire vivre et prospérer cette œuvre, Brentano se donne une peine infinie. C'est lui qui cherche l'imprimeur et les souscripteurs. Partout il mendie des subsides ou des articles de propagande. Il n'écrit guère dans le Journal, son style le trahit, dit-il, mais il suggère mille idées aux rédacteurs, à Gœrres surtout, et il leur fournit une masse énorme de documents et de matériaux pour nourrir leurs articles. Déjà il dirige l'attention de Gœrres sur les faits surnaturels de la vision et de la stigmatisation. Il visite avec lui la stigmatisée Appolonia Filzinger et lui demande avec instance de donner publiquement son opinion sur ces faits mystérieux. Ces instances de Brentano sont le point de départ des études de Gœrres qui aboutiront à la publication de son grand ouvrage sur la Mystique.

 

Au milieu de tons ces travaux, de toutes ces préoccupations et tout en remplissant partout sur son passage les devoirs de la charité chrétienne dans une mesure vraiment héroïque, il n'oublie pas ses notes. « Je fais le répertoire (Register) de l'énorme trésor des communications d'Anne-Catherine, dit-il, pour avoir une vue d'ensemble sur tous ces matériaux. En ce qui concerne leur élaboration définitive, je n'ose prendre une décision. Le don de Dieu est immense, il égale la détresse morale de notre siècle. » Il est effrayé de la tâche et il écrit un peu plus tard : « C'est avec beaucoup de peine que je me mets au travail, il me faut grouper les visions de même ordre pour arriver à la vue d'ensemble. » Il aurait bien besoin d'une aide spirituelle, dit-il. Il demande à son frère Christian qui est à Rome de prier pour lui et de faire dire pour lui une messe à l'église Saint-Clément, car il se sent mortellement fatigué et le cœur lourd et sans réconfort. Il sait comment tout doit être fait et pourtant il ne peut rien faire. Christian l'invite à venir à Rome. Il refuse. Il ne veut pas se séparer de ses notes acquises si péniblement. Du reste il a peur des distractions. Les voyages qu'il a faits précédemment l'ont mis en retard et lui ont « tout embrouillé ». Voilà six mois qu'il s'est remis au travail, ajoute-t-il, et c'est à peine s'il arrive à s'orienter de nouveau dans ce monde qui lui était devenu étranger. Du reste, ce voyage à Rome serait tout au plus un voyage d'agrément. Or il s'agit pour lui d'un devoir à remplir, d'une mission et non de plaisir.

De 1829 à 1832, nous le retrouvons à Francfort où son activité ne se dément pas. Il cherche à convertir le savant historien Bœhmer. Il détermine un ecclésiastique, précepteur dans une riche famille, à partir en mission, en le traitant de « prêtre de luxe ». Il cherche à exciter le zèle du clergé catholique de Francfort et à faire nommer dans les églises et dans les écoles d'excellents chrétiens. À un appel désespéré de Dietz il répond en envoyant cinq mille florins de sa bourse pour subvenir aux besoins de l'orphelinat de Coblentz et lorsque en février 1830, des inondations terribles de la Moselle viennent désoler la région de Coblentz, il fait des quêtes à Francfort et écrit son magnifique poème : La Débâcle de la Moselle, en faveur des malheureux inondés.

Mais à Francfort comme à Coblentz, il n'oublie pas son œuvre capitale. Ses notes sont suffisamment en ordre. Il en prend la partie la plus édifiante et commence à. écrire son ouvrage sur la douloureuse Passion de Notre-Seigneur.

A Ratisbonne Brentano terminera ce premier ouvrage auprès de Melchior Diepenbrock. Il est venu à Ratisbonne à la voix de Melchior qui a perdu récemment son père spirituel l'évêque Sailer, mort le 20 mai 1832. Nous connaissons l'affection de Brentano pour Sailer. A Ratisbonne les deux amis se consolent mutuellement. La dernière lettre du pieux évêque à Brentano avait été un encouragement à faire la volonté de Dieu.

Sailer devait être suivi de près dans la tombe par son successeur l'évêque Wittmann, mort en odeur de sainteté le 28 février 1833. Celui-ci ne vit Brentano que deux fois et la deuxième fois au moment de mourir. La scène fut très touchante. Le vieillard mourant était assis dans un fauteuil. Depuis quarante ans environ, il n'avait jamais voulu reposer dans un lit. Brentano et Melchior s'agenouillèrent à ses pieds. Il dit quelques mots à Melchior, puis prenant les mains de Brentano, il lui dit : Ô mon très cher, oh ! travaillez fidèlement pour l'honneur de Jésus ! Continuez à travailler sans vous laisser ébranler par quoi que ce soit ! »

Frappé de ces paroles, Brentano acheva rapidement son travail. Vers la fin de juillet, il ne restait plus que quelques pages à écrire. « C'est un bien beau livre, écrit alors Brentano ; il réjouira le cœur de beaucoup de personnes ; il en irritera beaucoup d'autres. »

 

Brentano voyait juste. Si son livre fut accueilli avec joie par le peuple vraiment catholique, il fut reçu d'une façon plutôt équivoque par le public littéraire. C'est une mystification du poète, disait-on de toutes parts. Brentano se moque certainement du public. Sa sœur Bettina était la première à donner le signal des éclats de rire. Arnim plus sérieux que sa femme, était étonné et irrité. Il était protestant et il jugeait l'œuvre en bon protestant. « Toutes ces visions me paraissent vides et mensongères », dit-il. Pourtant il ne voit pas où la fraude s'insinue « wo sich das falsche Glas zwischendrængt ». Il n'ose mettre en doute le sérieux et la sincérité de Brentano. Il songe à la peine incroyable « ungeheure Mühe » que s'est donnée son beau-frère ; tout cela ne peut être en vain « vergebens ». Il n'est pas possible que ces dures années de pénitence n'aient servi qu'à préparer une mystification de Clément ; il y a certainement beaucoup de choses dans toute cette paperasserie « es ist gewisz viel in diesem ungeheuren Papierwerke ». Il ne sait que dire. « Aber Wehe hat es mir getan », « mais tout ceci m'a fait mal » dit-il mélancoliquement.

 

Ce sentiment chez Arnim se comprend très bien. Nous comprenons moins bien, à première vue les réserves faites par les plus proches amis de Brentano. Sans doute, eux, ils ne doutent pas du tout de la sincérité absolue de Clément pas plus qu'ils ne doutent du caractère surnaturel des visions d'Anne-Catherine. Mais ils pensent que Brentano n'a pas pu s'empêcher de transformer former quelque peu les révélations ou d'y ajouter du sien, inconsciemment du reste. Melchior Diepenbrock se plaint qu'il est bien difficile de séparer le miel et la cire dans cet ouvrage. Trop souvent il reconnaît Clément en personne au milieu de toutes ces visions. C'est aussi l'opinion de Louise Hensel qui voit trop souvent le poète Brentano, dit-elle, dans toute cette œuvre. Elle portera du reste plus tard des accusations plus précises que nous aurons à discuter. Gœrres lui-même semble bien au début avoir partagé les idées de Diepenbrock et de Louise Hensel à ce sujet. Pour le prouver on se sert trop souvent de lettres écrites par Gœrres en 1825, à l'époque où Brentano venait de quitter Dülmen et n'avait pas revu son ami d'enfance depuis de longues années. En 1825, remarquons-le bien, Gœrres ne connaissait que le poète romantique et non l'écrivain converti Brentano. – Quoi qu'il en soit à l'apparition de la Douloureuse Passion, Gœrres ne se prononça pas nettement en faveur de l'authenticité absolue des visions rapportées par Brentano, cependant il combattit en faveur de son ami et réduisit à néant certaines accusations ironiques de Bettina.

Cette attitude de ses amis n'aurait pas dû blesser Brentano qui devait se souvenir de ses péchés de jeunesse et qui avait fait précéder son livre d'une préface très prudente, très humble, dans laquelle il ne donnait les visions que comme des méditations d'une pieuse nonne. Il ne revendiquait en aucune sorte l'exactitude historique pour ce travail, disait-il. C'est du reste une question que nous aurons à discuter.

Malgré toutes les critiques, l'ouvrage eut beaucoup de succès en librairie dès le début. Les éditions allemandes se succédèrent avec une grande rapidité et la Douloureuse Passion fut immédiatement traduite en français et en italien. Néanmoins Brentano fut un peu désenchanté en voyant toutes les critiques qui lui étaient adressées, et peu après l'apparition du livre, Melchior Diepenbrock écrivit à Gœrres : « Je suis bien peiné de voir que la satisfaction de notre Clément commence déjà à diminuer. »

Ce premier travail ne renfermait qu'une faible partie des visions d'Anne-Catherine. Brentano dut songer bientôt à se remettre à l'œuvre. À Munich, locataire chez le professeur Schlottenhauer, il reprend ses notes pour les étudier de plus près. Cette fois il procède avec beaucoup de lenteur. Il hésite énormément. Les nombreuses remarques personnelles qu'il avait écrites dans son Journal pendant la première partie de son séjour à Dülmen lui causaient de l'inquiétude et il cherche à les écarter avec un soin scrupuleux.

Il s'aperçoit bientôt que la mise en œuvre intégrale de toutes ses notes dépasse ses forces. Il se dit alors qu'il a donné dans la Douloureuse Passion le couronnement de la tragédie divine. Il pense qu'il lui serait plus facile de donner maintenant le tableau des années d'enfance du Sauveur et que la Vie Publique de Notre-Seigneur viendrait s'y joindre plus tard comme tableau central du triptyque.

Il chercha donc à extraire de ses volumineux manuscrits et à ordonner tout ce qui se rapportait à la vie de la Sainte Vierge, à la naissance de Jésus, à la fuite en Egypte et à la jeunesse du Sauveur. Mais ce plan restreint dépassait encore ses forces. Il se sentait vieillissant et maladif. Il fit prier pour que Dieu voulût bien lui permettre d'achever son œuvre. Il pensa même à remettre le travail tout entier entre les mains d'un écrivain catholique plus jeune. « Je voudrais que nous ne fussions pas si éloignés l'un de l'autre, écrit-il à Guido Gœrres, le fils de son grand ami, je te remettrais mon Journal entre les mains ainsi que la somme nécessaire pour le faire éditer. Mais de loin c'est impossible. Il faut beaucoup d'explications orales, beaucoup d'ordre et de réflexion, car ce qui s'y trouve de meilleur est léger et tendre comme la fine poudre qui colore les ailes des papillons... Il me semble que je suis dans un désert plein de dunes mouvantes ; assis et solitaire, penché sur un trésor de feuilles volantes, je les protège, – et je languis et je dépéris au milieu du tourbillon du monde. »

 

Comme il ne peut trouver de remplaçant convenable, il continue son travail et pour laisser à son successeur un sujet formant un tout, il se met à écrire uniquement la Vie de la Sainte Vierge. Ce doit être une sorte de prologue à la Vie de Notre-Seigneur.

Mais il s'arrêta bien vite encore dans ce travail. Beaucoup de visions n'étaient édifiantes vraiment que pour des enfants, disait-il, et comme certaines personnes bien intentionnées, Melchior Diepenbrock entre autres, étaient de son avis, il se découragea. Heureusement quelques prêtres pieux et savants l'engagèrent à reprendre son travail ; il le reprit, mais il n'avança qu'avec une grande circonspection. Il était devenu si scrupuleux, que partout des difficultés s'élevaient à ses yeux. En neuf ans, il put à peine terminer cet ouvrage sur la vie de la Sainte Vierge, d'après les Méditations d'Anne-Catherine Emmerich.

Il faut bien dire aussi qu'il fut souvent interrompu par la maladie. Il faut ajouter également qu'il entreprit encore à cette époque divers travaux poétiques assez longs dans un but charitable. Il se mit à corriger les Mærchen qu'il avait écrits autrefois cl il les lit illustrer. Il donna à deux de ces Mærchen un grand développement moral et religieux et les fit publier. Le produit de cette publication fut affecté à la construction d'une église, l'église de Gelnhausen. Quant aux autres Mærchen, il les légua plus tard, par testament, à Guido Gœrres, le fils de son ami. Guido devait les faire publier au profit des pauvres et de divers établissements charitables.

Dans cette dernière période de sa vie, il s'occupa encore beaucoup d'art, d'art chrétien surtout. À Coblentz déjà, il avait donné ses idées sur la musique d'église. À Munich, il fréquenta peintres, sculpteurs et graveurs. Le chef de l'école des Nazaréens, Overbeck, et surtout le graveur Steinle devinrent ses amis. Il chercha en même temps à convertir l'artiste bâloise Emilie Linder. Elle ne passa à la religion catholique que deux ans après la mort de Brentano, mais elle lui doit néanmoins sa conversion.

 

Inutile de dire qu'à cette époque les aumônes de Brentano restent toujours aussi abondantes et sa vie aussi exemplaire. La dévotion le poussait même à quelques excentricités de costume, comme nous l'avons noté déjà. Mais le pauvre poète repentant qui, à sa mort, fut trouvé porteur d'une ceinture en fil de laiton accomplissait ses pénitences les plus dures à l'insu de tout le monde.

Il ne se tenait pas cependant en dehors de la société. Au contraire. À cette époque nous le voyons fréquenter assidûment le cercle de Gœrres. C'est grâce à lui surtout que Gœrres avait été nommé professeur à l'Université de Munich. Gœrres réunissait chez lui toutes les célébrités catholiques du temps et Brentano, autour de la fameuse Table Ronde du maître, pouvait s'occuper encore de propagande catholique, applaudir par exemple au succès des « Historisch-Politische Blætter », avec des hommes comme l'historien Philipps, canoniste distingué, le médecin Ringseis, plus tard homme d'État, le numismate Streber, les savants Mœhler, Klee, Hofstætter, Windischmann, Haneberg, etc., etc., tous amis anciens ou récents de Brentano.

Deux de ces hommes lui furent surtout utiles dans son travail sur les visions d'Anne-Catherine : Mœhler et Haneberg. L'humble prêtre Adam Mœhler, auteur d'un ouvrage célèbre sur la Symbolique s'intéressa vivement aux visions d'Anne-Catherine ; il écouta des heures entières Brentano sur ce sujet et lui donna des conseils et surtout des encouragements. Quant au Docteur Haneberg, nommé en 1840 professeur de littérature orientale à l'Université de Munich, il prit auprès de lui Brentano qui était obligé de quitter la maison Schlottenhauer et ne savait où se réfugier. Le docteur Haneberg donna à Brentano des indications précieuses sur la concordance de certaines visions avec la Cabale juive ainsi que d'autres éclaircissements importants. C'est ainsi que beaucoup de notes scientifiques de la Vie de la Sainte Vierge sont dues aux renseignements de Haneberg.

 

Mais à ce moment, Brentano sentait sa fin approcher. Lorsqu'il reconnut les premiers symptômes de la maladie qui devait l'emporter, il redoubla d'activité pour terminer le travail commencé. Ses frères et sœurs apprenant son état, le prièrent instamment de venir se reposer près d'eux. Il les remercia de tout cœur, mais ajouta qu'il lui était impossible d'accepter leur offre sans s'exposer à une grande détresse morale, à la ruine complète de son âme (Seelenzerrütung). « Il me faut le plus grand repos, dit-il, il me faut la paix la plus complète ; il faut que je m'adonne tout entier à mon travail. Hélas ! ma mémoire s'affaiblit... Je ne veux pas m'anéantir avant d'avoir terminé ma tâche et rempli ma mission. Or si je m'expose à une forte émotion, je sens que je perdrai l'esprit... Que j'ai de peine pour écrire quelques mots, voilà deux jours que je suis sur cette lettre... Oh ! Que de fois je pense à la douloureuse situation de la pieuse Emmerich tiraillée de tous côtés et sans secours ; alors, toujours, une paix céleste s'étendait sur elle avec tant d'abondance qu'elle pouvait nous consoler tous. Que de fois je lève les yeux vers elle pour obtenir consolation et courage ! »

La maladie s'aggrava. Brentano prit beaucoup de digitale et perdit presque entièrement la mémoire. Il continua néanmoins à travailler. Il ne se décida à aller voir les siens que quand il fut arrivé à la fin d'un chapitre important. Mais tout malade qu'il était, il revint bientôt à Munich pour achever sa tâche. Il put encore travailler quelques mois. La maladie prit enfin le dessus. Un frère de Clément, Christian vint le chercher. Le pauvre Pèlerin partit enfin après avoir fait son testament. Rien ne le retenait plus : la Vie de la Sainte Vierge était sous presse.