SUR LE COMTE DE STOLBEBG.(1)
1750 - 1819.
« Héritier de l'un des plus beaux noms de l'Allemagne, descendant d'Alfred-le-Grand et de Charlemagne, historien puissant, poète élevé sur les genoux de Klopstock, le comte Fréderic-Léopold de Stolberg naquit le 7 septembre 1750 à Bramstedt, dans le Holstein : il eut puer père Christian-Gunther, grand-maître de la maison de la reine de Danemarck, Sophie-Madeleine, veuve de Christian VI, auquel il était allié par sa mère, princesse de Mecklembourg. Le j eune Stolberg puisa de bonne heure dans les soins de l'éducation domestique ces goûts poétiques, cette noblesse dame, ces vertus éminentes qui rehaussaient admirablement l'éclat de sa naissance et la supériorité de son esprit. Envoyé avec son frère Christian à l'université de Goettingue pour y achever ses études. Il grandit au milieu de cette pléiade des amis de Goettingue, dont l'Allemagne littéraire a gardé le souvenir. Une traduction en vers de l'Iliade, fidèle reproduction des beautés homériques, fut son début dans le monde littéraire. Mêlé jusqu'en 1800 aux affaires publiques, il représenta tour à tour le cabinet d'Oldenbourg en Danemarck et en Russie, puis celui de Copenhague à Berlin, et fut appelé à plusieurs autres postes qui témoignent de la haute confiance dont il était environné. Chargé d'honneurs et de décorations, il s'était fait de studieux loisirs d'où s'échappaient de fraîches et gracieuses poésies, des ballades nationales, des essais dramatiques, des traductions rapides et brillantes d'Eschyle et de Platon et des relations de voyages en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Sicile, toutes pleines de goût, d'érudition et d'aperçus d'une exquise justesse en politique, en littérature et dans les arts.
" Un coup foudroyant vint, en 1788, l'arracher soudainement à ses paisibles jouissances. Après six années de la plus heureuse union, Agnès de Vitzleben lui fut enlevée par la mort, et Fréderic-Léopold écrivait en pleurant : " J'ai vu. se fermer mon oeil sur la terre, les yeux de mon Agnès, presque sans avoir senti la faux de l'ange. " Toutefois il contracta plus tard à Berlin une seconde alliance avec la comtesse Sophie de Redern que d'éminentes qualités et une sympathie profonde avaient rendue digne de lui.
" La révolution française venait d'éclater; pressée d'en finir avec le vieux dogme, elle avait rempli lEurope d'évêques proscrits : le comte de Stolberg ne fut pas le dernier à offrir aux fugitifs une hospitalité empressée; ce fut alors que Dieu envoya pour ainsi dire à sa rencontre le savant Asseline, évêque de Boulogne-sur-Mer .... De nombreuses conférences et une correspondance avec Monseigneur de Boulogne mirent fin aux luttes intérieures, qui le tourmentaient depuis longtemps; et, le 30 mai 1800, il rentrait avec sa femme dans le sein de l'unité catholique. Puis, se démettant de tous ses emplois, s'arrachant avec tous les déchirements d'un coeur tendre à ses amis, à ses parents, à son frère chéri, il se retira auprès du vén& eacute;rable Furstenberg, qui occupait le siège épiscopal et princier de Munster. Une réunion choisie d'esprits élevés habitait cette ville, et ne pouvait manquer de le faire opter pour cette résidence; c'était une belle et noble femme, une âme généreuse, la princesse Galitzin - Schmettau, qui, longtemps incrédule et fort distinguée comme écrivain, avait peu auparavant embrassé la foi catholique; c'é taient Hamann, une des plus fortes individualités que l'Allemagne ait produites; Jacobi, intelligence élevée et toute contemplative, et le Platon hollandais, Hemsterhuis..." Le retour à la foi catholique imprima quelque chose de plus suave encore à la piété si vraie du comte de Stolberg. " Mon cur et ma chair, écrivait-il alors, ont tressailli de joie dans le Dieu vivant... Vos autels, ô Dieu des vertus ! vos autels, ô mon Roi et mon Dieu, sont l'asile où maintenant je repose dans la paix et l'allégresse. Voilà, madame, voilà les sentiments dont mon âme devrait être pénétrée. Inondé d'un torrent de sainte joie, mon coeur devrait être un temple où la louange de Notre-Seigneur Jésus-Christ se fît entendre sans cesse; car il m'a fait miséricorde, ainsi qu'à Sophie, et il la fera à mes enfants. Il a regardé avec une complaisance indulgente notre désir de connaître la vérité, désir que lui-même avait fait naître. Il a exaucé les prières ferventes que plusieurs saintes personnes lui adressaient pour moi, prosternées au pied des autels. Il est tombé de mes yeux comme des écailles, dans le moment où mon coeur présentait une disposition d'amertume ou de dégoût à la douceur de la manne c&eacu te;leste que Dieu me faisait offrir. " (Munster, 16 mai 1800)
" Une autre lettre, datée d'Eutin (16 août 1800), après une nouvelle effusion d'actions de grâces, ajoute : « Il est bien juste que ce bonheur soit mêlé de quelque amertume; la position dans laquelle nous nous trouvons eu ce moment, n'en manque pas. On nous fuit, on nous abandonne... Je voudrais être déjà à Munster, car ici notre situation est pénible au delà de tout ce que je pourrais dire. Que celui qui a bien voulu être couronné d'épines me donne la grâce de cueillir, sur celles qu'il m'envoie, des roses immortelles !... »
" Ce voeu si chrétien fut accompli. Le soulèvement des esprits fut grand, la résignation du comte plus grande encore. Il ne tint pas au protestantisme et au déisme conjurés qu'il ne fût mis en quelque sorte au ban de s Etats du Nord. Le duc de Saxe-Weimar, dont la cour donnait le ton à l'Allemagne, lui dit publiquement : « Je n'aime pas les gens qui changent de religion.
- Ni moi non plus, Monseigneur, répliqua Stolberg : car si mes pères n'en avaient pas changé il y a trois cents ans, je n'aurais pas eu la peine d'en changer moi-même.» Mais il y avait tant de François de Sales et de Fénelon dans cette âme bienveillante et pure, un tel parfum de candeur et de loyauté respirait dans ses moeurs que bientôt justice lui fut rendue : l'ami de sa jeunesse, le compagnon de tous ses travaux, son frère Christian, ne cessa de voir en lui le modèle de toutes les vertus; Lavater, Claudius, Herder ne le méconnurent jamais; Klopstock et Gleim lui pardonnèrent; Jacobi lui-même lui rendit son ancienne amitié. Un seul homme s'aigrit de plus en plus et resta haineux jusqu'à la fin : c'était un des amis de Goettingue, un condisciple dont Stolberg avait assuré l'existence, du reste le plus habile traducteur qu'ait eu l'Allemagne, Jean Henri Voss. Il est curieux de voir comment ce Caton rustique justifie ses attaques effrénées contre le comte : « Le meilleur, le plus généreux, le plus humain des nobles, s'écrie-t-il, restera toujours un monstre. Tel fut Stolberg ; malgré un certain vernis de bonnes qualités, qui le distinguait dans sa jeunesse... »
" A cette période de sa vie, Stolberg, père de quinze enfants dont il fit presque seul l'éducation, adoré de sa famille et de ses vassaux, nous apparaît comme un patriarche des temps primitifs, sous l'auréole d'une des plus grandes gloires littéraires de ce siècle. Ses odes chevaleresques, qui rappellent les glorieuses romances du Cid, avaient mis le sceau à sa renommée poétique. Son Histoire de la Religion de Jésus-Christ, son ouvrage capital, avait déterminé des conversions éclatantes, entre autres celle du duc Adolphe de Meklembourg-Schwerin. Fréderic-Léopold venait de publier le livre de l'Amour de Dieu, le dernier et le plus suave épanchement de la charité la plus vaste, la plus aimante et la plus élevée, ce livre dont il disait lui-même à son lit de mort : « Je l'ai écrit avec amour. »
Enfin, après avoir eu la consolation de réunir tous ses enfants (une seule de ses filles exceptée) dans les croyances qui lui étaient chères, il fut appelé en un monde meilleur dans sa soixante-dixième année, n'ayant voulu sur sa tombe d'autre inscription que celle-ci : Frédéric-, Léopold de Stolberg, né le 7 novembre 1750, mort le 1er décembre 1819. - Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Sa mort, comme sa vie, avait été celle d'un prédestiné (2).
Citons encore le portrait que la Biographique universelle fait de Stolberg : " Plein d'ardeur pour tout ce qui est noble, honnête, juste, le comte de Stolberg était simple et doux comme un enfant; il apportait dans le commerce de la vie une grâce, un charme de bonté qu'on croyait ne pouvoir trouver qu'en lui. Aussi était-il respecté et chéri de tout c e qui l'entourait. L'offense personnelle ne l'irritait point et n'arrêtait point son obligeance. Le mensonge lui était odieux, et jamais la plus légère atteinte à la vérité ne souilla sa bouche. On n'aurait point osé tenir en sa présence un discours qui portât un préjudice quelconque à la réputation du prochain; son intégrité, sa patience et sa générosité dans l'exercice de ses fonctions lui avaient mérité l'affection des habitants de son bailliage d'Oldenbourg, et tous le regardaient comme un père. Ayant peu de besoins, il n'exigeait rien pour lui-même, et présentait toujours un front serein et un visage satisfait. "
Notes :
(1) - Cette notice est empruntée presque textuellement à M. l'abbé Foisset, mort, il y a quelques années, chanoine honoraire et ancien supérieur du séminaire de Dijon.
(2) - Nous renvoyons le lecteur désireux de connaître les détails de cette belle mort à la touchante Relation, écrite par l'un de ses fils et que l'on trouvera, à la suite de la notice de M. l'abbé Foisset, en tête du Traité de l'Amour de Dieu, traduit par M. Antony Luivard, Paris 1836, p, XVII-XLIX.