FRAGMENT SUR LE CENTURION ABENADAR



     Le 1er avril 1823, la soeur Emmerich, excitée par la vue d'une relique, dit que ce jour était la fête de saint Ctésiphon, le centurion qui avait assisté, au crucifiement et qu'elle avait vu pendant la nuit plusieurs particularités de vie. Mais la souffrance et les distractions extérieures lui avaient fait oublier la plus grande partie. Voici ce qu'elle raconta :
" Abénadar, qui fut ensuite appelé Ctésiphon, est d'un pays situé entre Babylone et l'Egypte, dans l'Arabie heureuse, à droite de la dernière demeure de Job. Il y a là, sur une montagne peu escarpée, un assemblage de maisons quadrangulaires, avec des toits plats sur lesquels les habitants se promènent. On voit là beaucoup de petits arbres : on y recueille l'encens et le baume. Le temps était nébuleux lorsque je m'y trouvai, j'ai été dans la maison d'Abénadar, édifice singulier qui n'est guère qu'un assemblage de loges carrées recouvertes d'un toit plat. Elle est grande et spacieuse, comme celle d'un homme riche, mais fort basse. Les maisons sont toutes ainsi bâties, peut-être à cause du vent, car leur position est élevée. Abénadar était entré comme volontaire dans la garnison de la forteresse Antonia à Jérusalem. Il avait pris du service chez les Romains, afin de se perfectionner dans les arts libéraux, car il était savant. C'était un homme très décidé ; son teint était brun, sa taille ramassée, son extérieur était un peu celui du chaudronnier M... ".

Les premiers enseignements de Jésus et un miracle dont il avait été témoin, lui avaient persuadé que le salut était chez les Juifs, et il avait adopté la loi de Moise. Il n'était pas encore disciple du Sauveur, toutefois il n'avait pas de mauvaises intentions à son égard ; il éprouvait même de la sympathie et une vénération secrète pour lui. C'était un homme très grave : lorsqu'il vint sur le Calvaire relever la garde qui s'y trouvait, il maintint partout l'ordre et la décence jusqu'au moment où la vérité triompha de lui et où il rendit hommage devant tout le peuple à la divinité de Jésus. Comme il était riche et volontaire, il lui fut facile de résigner à l'instant son emploi. Il aida à la descente de croix et à la mise au tombeau de Notre Seigneur, ce qui le mit en rapport intime avec les amis de Jésus : après la Pentecôte, il reçut le baptême un des premiers à la piscine de Bethsaida, et prit le nom de Ctésiphon. Il avait un frère en Arabie ; il lui fit savoir les miracles dont il avait té témoin, et l'appela dans la voie du salut. Celui-ci vint à Jérusalem, fut baptisé sous le nom de Cécile, et fut chargé, ainsi que Ctésiphon, d'aider aux diacres, dans la communauté chrétienne.

" Ctésiphon accompagna en Espagne avec plusieurs autres l'apôtre saint Jacques le Majeur, et revint aussi avec lui. Plus tard, il fut encore envoyé en Espagne par les apôtres, et il y porta le corps de saint Jacques qui avait souffert le martyre à Jérusalem. Il y fut évêque, et avait sa résidence habituelle dans une espèce d'île ou de presqu'île peu éloignée de la France. Il alla aussi dans ce dernier pays, où beaucoup de gens vinrent l'entendre, et où il fit quelques disciples. Le nom du lieu de sa résidence ressemble à Vergui. Cet endroit fut plus tard dévasté par une inondation. Je ne crois pas que Ctésiphon ait été martyrisé : je ne l'aurais pas oublié. Il a écrit plusieurs ouvrages où se trouvent quelques détails sur la passion de Jésus-Christ ; mais des livres falsifiés ont couru sous son nom, ou des livres faits par lui ont été attribués à d'autres. Rome a rejeté plus tard ces écrits, dont la plus grande partie était apocryphe, mais où il y avait pourtant quelque chose de lui.

" Un des gardes du tombeau du Christ, qui ne voulut pas se laisser corrompre par les Juifs, était son compatriote et son ami. Son nom ressemblait à Sulei ou Suleii. Après avoir été quelque temps en prison, il se retira dans une caverne du mont Sinai, où il vécut sept ans et où les amis de Ctésiphon lui portaient des aliments. Cet homme reçut de grandes grâces et écrivit des livres très profonds dans le genre de ceux de Denis l'Aréopagite. Un autre écrivain a profité de ses ouvrages, et il en est ainsi venu quelque chose jusqu'à nous. J'ai lu moi-même au couvent un livre où j'ai reconnu depuis qu'il y avait des choses qui venaient originairement de lui. J'ai su tout cela et aussi le nom du livre, mais je l'ai oublié. Ce compatriote de Ctésiphon le suivit plus tard en Espagne. Parmi les compagnons de Ctésiphon dans ce pays, se trouvait son frère Cécilius : d'autres s'appelaient Intalécius, Hésicius et Euphrasius. Un autre Arabe, nommé Sulima se convertit dans les premiers temps, je ne sais plus dans quelles circonstances ; plus tard, au temps des diacres, un compatriote de Ctésiphon, dont le nom sonnait comme Sulensis, se convertit également ".

(1) Dans l'été de 1831, neuf ans après avoir reçu cette communication et huit ans après la mort de la soeur Emmerich, le rédacteur de ce livre a lu, dans le troisième volume du Viage litterario a las Iglesias de Espagna de D. J. L. Villanuera, 10 tomos, Madrid, 1803-23, les détails suivants rapportés ici en abrégé.

En 1595, on trouva dans la terre, a Grenade, des reliques, des manuscrits et des tables de plomb où se trouvaient les noms de Ctésiphon et d'Hiscius de saint Jacques le Majeur. Plusieurs personnes : entre autres J. B. Perez, évêque de Ségovie, virent là une fraude ayant pour but d'assurer à la ville de Grenade la possession du tombeau de ces deux saints près de celui de Cécilius. Perez dit que l'auteur de cette fraude a dû en prendre l'idée dans la chronique attribuée à Dexter et reconnue fausse, laquelle nomme Ctésiphon, Hiscius et Cécilius comme disciples de saint Jacques. Il ajoute que, suivant un vieux manuscrit gothique, les personnages nommés ci-après débarquèrent à Cadix pour prêcher le christianisme : Torquatus resta a Acci (Cadix), Hésychius (Hiscius) alla à Garcesa (Garzorla), Indalesius à Ursi (Almeria ou bien Orce près de Galera) ; Secundus à Abula (Avila) ; Cecilius à Eliberrl (Sierra Elvira près de Grenade) ; Euphrasius à Iliturgi (Andujar) ; Ctésiphon à Berge, que les uns disent être Verja en Aragon, d'autres Verga dans le royaume de Grenade, d'autres encore Vera au bord de la mer, entre Carthagène et Capo de Gata. Ces disciples enseignèrent dans ces divers lieux, ils y moururent et leurs restes y furent honorés : ils avaient été envoyés de Rome par les apôtres. Un seul écrit sur la translation du corps de saint Jacques le Majeur en Espagne, écrit attribué au pape Calixte II, mais reconnu apocryphe, les nomme disciples de cet apôtre. Ses disciples, selon l'Histoire d'Espagne de Pélage, évêque d'Oviédo, furent Cadosérus, Basile, Chrysogone, Théodore, Archanasius et Maxime.

La principale preuve de la fraude selon l'évêque Perez, c'est que les tables de plomb disent que Ctésiphon s'appelait Abénadar avant sa conversion, or les sept autres ayant des noms grecs et latins, comment pourrait il se trouver un Arabe parmi eux ? Jamais Arabe n'est venu en Espagne à cette époque ? Pourquoi aurait-il quitté son nom arabe ? etc. Ces mêmes monuments indiquaient que Ctésiphon avait écrit un livre en arabe avec les caractères de Salomon. Là-dessus, l'évêque Perez demande ce que cela veut dire puisqu'alors il n'y avait pas encore d'Arabes en Espagne et se moque de ces lettres de Salomon employées à écrire en arabe.

En mal 1833, pendant que cette feuille était sous presse, nous avons trouvé dans Mariana, de Rebus Hispanicus, que la tradition ajoute aux disciples mentionnés plus haut, un Athanase et un Théodore qu'on disait avoir été parmi des gardes du tombeau du Christ. Le lendemain, nous avons trouvé dans les Acta Sanctorum, tome III, 1er février, une dissertation sur salut Cécilius et ses compagnons, où se trouvent beaucoup de détails sur ces écrits trouvés à Grenade, les déclarations du pape Urbain VIII contre ces documents apocryphes, une indication de ce qu'ils contenaient d'après l'Apparatus sacer de Possevin et une autre un peu différente d'après le commentaire de Bivar sur la chronique attribuée à Dexter. On y trouve entre autres choses les titres suivants : de l'empire infernal, de la suprême Providence, de la Miséricorde, de à Justice, de tout ce qu'a fait le Dieu Créateur, de la Création des Anges, des Gloires et des Miracles de Jésus-Christ et de sa Mère depuis l'Incarnation du Verbe jusqu'à l'Ascension, etc... Ces titres rappellent ce que dit la soeur Emmerich des écrits dans la manière de Denys l'Aréopagite, composés par Sulei, ami de Ctésiphon, de même que les détails rapportés dans cette note ressemblent singulièrement à ceux que la soeur a donnés, ce dont le lecteur sera sans doute aussi surpris que nous l'avons été nous mêmes

Les écrits de ces disciples arabes ont-ils existé et ont-ils été falsifiés par des sectaires comme l'histoire des apôtres d'Abdias et les Ouvrages de Denis l'Aréopagite. La soeur Emmerich a répété plusieurs fois que les écrits de cet derniers avaient été falsifiés, et elle a dit la même chose de ceux de Ctésiphon. Malheureusement il y a tant de lacunes dans tout ce qu'elle a raconté à ce sujet qu'on en est réduit aux conjectures.

FIN DU LIVRE
" LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST "