Vie de Anne Catherine Emmerich - Volume 1 -
XXV
LE TEMOIGNAGE DE RENSING SUR ANNE CATHERINE
1. Le doyen Rensing, qui connaissait depuis longtemps la piété sincère d'Anne Catherine et spécialement son désir de mener une vie entièrement cachée au monde, avait, dès le commencement, regardé comme indubitable la vérité des phénomènes extraordinaires qui se produisaient en elle. Mais malgré cette conviction, les objections des étrangers ou des adversaires ne laissaient pas de faire leur effet sur cet homme circonspect et craintif. Un argument spécieux, un soupçon, si léger qu'il fût, portant sur l'indépendance de son jugement ou la fermeté de son caractère suffisait pour le tourmenter vivement et lui inspirer une grande méfiance à l'égard d'Anne Catherine. Avec une telle disposition d'esprit, la sagesse et le bon sens qui le caractérisaient d'ailleurs ne résistèrent pas à l'impression des suspicions absurdes qui se produisirent de toutes parts, dès que l'existence des stigmates fut portée à la connaissance du public. Ainsi, de son côté, rien ne manqua pour aggraver encore la tâche douloureuse d'Anne Catherine, déjà si pénible par elle-même ; et la patience de celle-ci, son humble obéissance, sa confiance en Dieu furent soumises à des épreuves comme Dieu n'en impose qu'à ceux qui sont appelés à choses des extraordinaires.
2. L'opinion favorable de Rensing avait été ébranlée d'abord par les bavardages d'une ancienne compagne de couvent d'Anne Catherine qui, environ un mois avant le commencement de l'enquête, prétendit avoir vu par le trou de la serrure la malade sortir de son lit et chercher des aliments dans une armoire. Deux autres personnes disaient avoir observé la même chose de la même manière et avoir trouvé Anne Catherine couchée sur le plancher avec une tartine de beurre à la main. Rensing qui, jusque-là, n'avait jamais douté de l'impossibilité où était Anne Catherine de manger quoi que ce fût, prit la chose très au sérieux. Il fit venir les personnes en question et dressa un procès-verbal de leurs dires. Mais quand lui-même voulut faire ses observations par le trou de la serrure, il put se convaincre qu'il n'était pas possible de voir par là le lit de la malade non plus que l'armoire qu'elle était censée avoir ouverte. Puis enfin la religieuse avoua qu'elle avait la certitude de l'impossibilité absolue où était Anne Catherine de sortir de son lit sans l'aide d'autrui. Malgré cela Rensing interrogea Anne Catherine elle-même, car le pain beurré l'inquiétait beaucoup :
« Je lui demandai, rapporte-t-il dans son journal, si elle ne se souvenait pas d'avoir été trouvée une fois hors de son lit.» Oui, sans doute, répondit-elle.» J'étais étendue par terre devant le lit, d'où j'étais tombée parce que je n'avais là personne pour m'assister. Il peut se faire que j'eusse à la main un morceau de pain beurré, mais je crois plutôt qu'il était à terre près de moi. J'en avais fait mettre un sur mon lit parce que j'attendais la fille d'une pauvre femme à laquelle je voulais l'envoyer. En tombant du lit j'aurai bien pu entraîner le pain avec le drap du lit.» Cela le tranquillisa ; cependant il ne se tint pour entièrement satisfait que lorsqu'il en eut parlé à Overberg et que celui-ci eut pris en main la défense d'Anne Catherine.
3. Il avait été encore plus ému d'un propos qui circulait à Dulmen et à Munster ; on y disait» que quand même la sincère piété d'Anne Catherine serait hors de doute, ses stigmates devraient toujours éveiller le soupçon, tant qu'on n'aurait pas la certitude que l'abbé Lambert ne travaillait pas à les entretenir artificiellement. N'était-il pas permis de croire en effet que ce prêtre émigré était assez fanatique pour regarder comme une bonne œuvre d'aider une religieuse à porter constamment sur son corps des signes si douloureux en mémoire de la Passion de Jésus-Christ»
Le doyen Br. de Munster, dans une visite à Dulmen, avait émis cette conjecture devant Rensing qui en fut d'autant plus ému qu'il avait entendu dire quelque chose de semblable à Dulmen.» Cette remarque, écrit-il, a été aussi faite ici, non-seulement par des chrétiens judicieux, mais même par un Juif bien disposé qui a été très frappé de ce phénomène. `» Quoiqu'il fut moralement sûr, d'après les déclarations formelles» tant de l'abbé Lambert que de la sœur Emmerich, qu'ils étaient incapables d'une fraude pieuse de cette espèce, « cela fit pourtant naître en lui beaucoup d'inquiétudes et de doutes qui le poursuivirent jusqu'au moment où Anne Catherine elle-même vint à son aide et le délivra de ses angoisses. Son regard clairvoyant avait reconnu ce qu'il tenait caché dans son intérieur et, comme il n'y avait pas à espérer qu'il s'expliquât franchement à ce sujet, elle lui demanda la permission de lui dire ce qui se passait en lui, et lui signala ses inquiétudes et ce qui les causait
« Je fus profondément étonné, rapporte-t-il. La chose était bien comme elle la disait. Je lui déclarai alors qu'il vaudrait mieux qu'elle donnât ses stigmates comme l'œuvre d'une pieuse exaltation, parce qu'alors je serais délivré de beaucoup d'ennuis et elle de beaucoup de souffrances.» Comment pourrais-je dire pareille chose ?» répondit tranquillement la malade.» Je ferais un mensonge. Or un mensonge est tout au moins un péché véniel. Et le plus petit mensonge est si abominable devant Dieu que j'aimerais mieux souffrir encore bien davantage que de m'en rendre coupable.»
C'en était fait dès lors de la réserve silencieuse de Rensing. Il se mit à parler longuement des dangers du zèle religieux, quand il est peu éclairé : il conjura Anne Catherine au nom de la gloire de Dieu et du salut des âmes d'avouer si ses plaies étaient réellement l'œuvre d'une dévotion exaltée.
« Mais, « rapporte son journal, « elle protesta au nom de tout ce qu'il y a de plus sacré qu'elle ne pouvait dire autre chose sur ses plaies que ce qu'elle en avait dit jusqu'à présent, à moins de parler contrairement à la vérité ; que du reste, il lui serait très agréable que Dieu voulut l'exaucer et donner au médecin les moyens de faire disparaître les signes extérieurs.» J'accepterais alors bien volontiers, ajouta-t-elle, d'être punie par l'autorité comme coupable d'imposture et d'être méprisée et injuriée du monde entier.»
4. . La conscience pure d'Anne Catherine vint une autre fois au secours du doyen dans ses anxiétés d'une façon encore plus remarquable. Rensing avait été chargé par le vicaire général d'interroger l'ancienne supérieure et toutes les compagnes de couvent d'Anne Catherine sur sa vie dans le cloître. Anne Catherine pouvait prévoir aisément que ces femmes diraient bien des choses propres à tout embrouiller et jetteraient de nouveau le doyen dans l'incertitude et l'agitation. Mais, craignant qu'une fausse honte ne le portât à garder encore pour lui les soupçons qui pourraient lui venir, et désirant qu'il se décidât plutôt à s'acquitter rigoureusement et sans ménagement de la mission qu'il avait reçue à son égard, Anne Catherine elle-même l'y prépara d'avance.
« L'enquête que vous allez faire près de mes compagnes, lui dit-elle, vous donnera l'occasion de faire appel à ma conscience en termes très sévères, cela vous coûtera et vous causera du trouble : mais je vous supplie de ne pas vous laisser effrayer par ces difficultés et de me soumettre, aussi bien que mes anciennes compagnes, à l'examen le plus rigoureux. Je prierai pour vous afin que Dieu vous donne pour cela grâce et courage.»
Anne Catherine aida par là le doyen à s'armer de la fermeté et de la rigueur que la circonstance exigeait, et lui rendit plus facile l'accomplissement des graves devoirs que lui imposait la qualité de directeur de sa conscience. Mais plus il eut d'occasions de l'examiner, plus il trouva nombreuses et convaincantes les preuves de la réalité des dons extraordinaires accordés à Anne Catherine et de la haute perfection de ses vertus.
5. Son obéissance et son respect envers l'autorité ecclésiastique étaient véritablement sans limites. Comme on l'a déjà dit, les tentatives de guérison des stigmates faites par les médecins sur l'ordre du vicaire général lui causèrent des douleurs intolérables : mais ce qui la tourmentait encore davantage était la crainte de tomber par faiblesse dans la désobéissance. Souvent Rensing la trouva baignée de pleurs causés par l'excès de ses souffrances : mais il n'avait qu'un mot à dire et, au lieu de plaintes, il entendait ces touchantes paroles : « Est-ce que j'ai péché en m'affligeant ainsi ?» Au désespoir qui avait commencé à s'emparer d'elle succédait aussitôt la douce résignation d'un enfant innocent qui pouvait dire, les yeux mouillés de larmes : « Je souffrirai volontiers encore davantage, si seulement Dieu me donne assez de force pour tout supporter et pour n'être point désobéissante.» Jamais Rensing ne l'entendait se plaindre d'autre chose que de la multitude des . curieux qui venaient pour la voir : s'il les tenait à distance, elle l'en remerciait comme du plus grand bienfait qu'elle pût recevoir, et ses prières pleines d'anxiété donnaient à cet homme si facile à blesser la force de la défendre avec constance contre la presse des curieux. Jamais il ne vit en elle un signe d'impatience ou de mécontentement : au contraire, la paix profonde et la sérénité imperturbable qui, de son âme, passaient sur son visage, témoignaient assez de la grandeur de sa résignation et de la ferveur de son union continuelle à Dieu. Voici ce que dit le journal de Rensing
« Je la trouvai extrêmement faible, mais aussitôt qu'elle me vit, elle reprit l'air de sérénité qui lui est habituel.» Et ailleurs : « Pendant que je causais avec elle, sa figure était pleine de sérénité, mais je remarquai que, quand par hasard le derrière de la tête touchait l'oreiller, son visage se contractait par l'effet de la douleur.»
6. S'il arrivait que Rensing, au lieu de la consoler, lui fit de ses stigmates un sujet de reproches, elle prenait cela avec simplicité comme une chose sur laquelle elle-même ne pensait pas autrement que lui.
« Si vous n'aviez pas sur vous ces étranges signes, lui dit-il un jour, vous seriez soustraite aux douleurs qu'ils vous font souffrir maintenant (note).» Elle lui répondit» J'ai prié du fond du coeur le bon Dieu de me les retirer et je me résignerais volontiers à être traitée de fourbe et d'hypocrite, mais ma prière n'est pas exaucée.»
(note) Après la clôture de l'enquête, lorsque la réalité des stigmates eut été mise hors de doute, Rensing changea de sentiment, car alors, il reprocha à Anne Catherine ses prières pour la disparition des signes extérieurs. Le journal de Wesener contient à ce sujet la note suivante, à la date du 10 janvier 1815 : « J'ai vu aujourd'hui mardi les plaies des mains plus grandes qu'à l'ordinaire et, en examinant de plus près, j'ai constaté, que toutes avaient saigné, tant à la surface extérieure que dans l'intérieur. Je lui demandai d'où venait qu'elles saignaient ainsi un mardi, ce qui n'était pas habituel. Elle ne le savait pas, mais elle raconta ce qui suit, < hier le doyen Rensing est venu et m'a fort blâmée, quand je lui ai avoué que je désirais du fond du cœur que les signes extérieurs me fussent retirés et que j'avais prié Dieu pour cela. Je suis persuadée que je n'ai point eu tort de faire cette prière qui ne vient pas de mauvaise volonté car je suis fermement résolue à me conformer à la volonté de Dieu et il m'y abandonner entièrement. Je souffrirai de bon cœur jusqu'au jour du jugement dernier si je pais par là plaie à Dieu et être utile au prochain.»
7. Rensing lui-même était souvent découragé à la vue des souffrances d'Anne Catherine : parfois il en était tout bouleversé et voulait alors se retirer parce qu'il se sentait incapable de lui donner des consolations. Mais, se remettant aussitôt, elle le retenait, et le suppliait afin qu'il ne la privât pas de sa présence et de sa bénédiction sacerdotale. Rensing dit à ce sujet dans son journal
« Je restai près d'elle et ne la quittai que plus tard, profondément touché de voir combien la grâce de Notre Seigneur est forte dans les faibles.»
De telles expériences étaient pour lui la preuve que, chez Anne Catherine, la grâce de la patience et de la longanimité était attachée à la fidélité avec laquelle elle obéissait aux supérieurs ecclésiastiques comme représentants de Dieu, et il trouvait là un signe infaillible de la réalité des dons de la grâce en elle. Par suite de ses expériences de chaque jour, cet homme, d'ailleurs si peu enthousiaste, arrivait, comme malgré lui, à la certitude quant au pouvoir et à la plénitude de bénédiction que Dieu a attachés au caractère sacerdotal : car chaque fois qu'Anne Catherine lui faisait des déclarations comme celle-ci» Je me sens fortifiée quand vous êtes là, dans quelque état de faiblesse que je sois tombée : ce dont, je parle avec vous vient de Dieu, est pour Dieu : cela ne m'est jamais pénible, etc.» il voyait toujours ces paroles confirmées par des effets réels.
8. Comme le vicaire général avait enjoint à Anne Catherine de rendre au doyen Rensing un compte aussi exact de ses contemplations intérieures que de tout ce, qui lui arrivait extérieurement, elle s'appliquait à répondre à ses questions avec le soin le plus scrupuleux. Ces réponses nous font connaître que les mérites de sa patience dans les souffrances étaient offerts : pour les pauvres âmes du purgatoire et pour la conversion des pécheurs. Même pendant l'enquête, elle passait la nuit en prière et en contemplation et elle sortait souvent d'elle-même, suivant son expression habituelle. Lors de la première visite de Rensing, interrogée par lui, elle raconta ce qui suit
« J'étais cette nuit dans le purgatoire. Il me sembla que j’étais conduite dans un profond abîme. Je vis un lieu très-spacieux. Les pauvres âmes qui l'habitent sont silencieuses et tristes : on ne peut les voir sans être ému. Quelque chose sur leur visage indique pourtant qu'elles ont encore de la joie dans le cœur, à la pensée des miséricordes de Dieu. Je vis aussi sur un trône magnifique la Mère de Dieu, plus belle que je ne l'avais jamais vue. Après avoir raconté cela, elle adressa au doyen cette prière : « Exhortez donc au confessionnal, lui dit-elle, à prier avec ferveur pour les pauvres âmes du purgatoire car certainement elles prieront aussi beaucoup pour nous par reconnaissance. Et la prière pour ces pauvres âmes est très-agréable à Dieu parce qu'elle les fait arriver plus tôt à jouir de sa vue.» Quelques jours plus tard elle lui rapportait ceci :
« Cette nuit, de cruelles douleurs dans les plaies ne m'ont pas laissé un moment de repos : mais j'ai été grandement consolée par une apparition. J'ai vu comment le divin Sauveur accueille les pécheurs repentants et comment il en use avec eux. Il était bon et affectueux au delà de tout ce que je puis dire.»
Elle eut cette vision plusieurs fois à l'approche des fêtes de Pâques et elle y trouva toujours beaucoup de force et de consolation.
« Mes souffrances sont redevenues beaucoup plus supportables pour moi, dit-elle un jour : car j'ai été consolée et j'ai éprouvé une joie particulière en apprenant que beaucoup de grands pécheurs reviendraient prochainement à Dieu et même que c'était déjà fait pour plusieurs.»
Dans la semaine d'après Pâques elle dit à Rensing.» J'ai eu un ravissement assez court, mais qui m'a rempli de consolation. J'ai vu que, dans ce temps pascal, beaucoup de grands pécheurs sont revenus à Dieu et que beaucoup d'âmes sortent du Purgatoire. J'ai vu aussi le lieu de purification et j'ai remarqué sur les visages un air de joie indicible qui m'a paru le signe de la délivrance prochaine de ces âmes. C'était pour moi une grande joie de les voir délivrées de leurs tourments. Ainsi j'ai reconnu les âmes de deux prêtres qui ont été déjà admises dans le ciel. Ils avaient eu à souffrir pendant des années, l'un à cause de sa négligence à remplir les obligations de son état dans de petites choses, l'autre à cause de son penchant à la raillerie.»
Elle vit aussi la conversion de certains pécheurs retombés dans le mal et raconta ce qui suit
« Jésus était devant mes yeux et il avait à souffrir successivement divers mauvais traitements. Mais pendant tout ce temps, il avait l'air si plein de bonté et d'amour que la tristesse que me causait sa souffrance était mêlée de douceur. Ah ! me disais-je, tous les pécheurs ont leur part dans cette souffrance et ils se sauvent pour peu qu'ils aient de bonne volonté. Je vis aussi des personnes de ma connaissance. qui sont arrivées à reconnaître leurs fautes et à se corriger. Tout cela se montrait à moi aussi clairement que si je l'avais vu de mes yeux, étant éveillée. Parmi ces personnes, il y en avait une qui est très pieuse et qui parle humblement de ce qui la concerne, mais qui ne voulait pas reconnaître qu'elle est trop éprise d'elle-même. Il a fallu de la peine pour qu'elle en vint à reconnaître ses fautes. Ce n'est pas par une véritable humilité qu'on se déprécie soi-même, si en même temps on ne peut supporter qu'un autre nous blâme ou nous soit préféré.» .
Elle dit un autre jour : « J'ai vu Dieu rendre son jugement sur de grands pécheurs. Sa justice est grande, mais sa miséricorde est encore plus incompréhensible. Il ne condamne que ceux qui ne veulent pas absolument se convertir : mais ceux qui ont encore une étincelle de bonne volonté se sauvent. Il y en a qui ont un très vif repentir de leurs péchés, qui les confessent sincèrement et ont le cœur plein de confiance dans les mérites infinis de notre Sauveur ; ceux-là arrivent au bonheur éternel et leurs péchés sont oubliés. Ils passent bien par le Purgatoire, mais ils n'y restent pas longtemps. Au contraire, beaucoup vont pour longtemps en Purgatoire, qui ne sont pas de grands pécheurs, mais qui vivent dans la tiédeur et qui, par amour-propre, trouvent mauvais que leurs confesseurs les avertissent et les redressent.
« Autrefois la pensée de la damnation, n'y eut-il de damné qu'un seul pauvre pécheur, me causait une si grande peine que je ne pouvais m'y résigner, mais cette fois je suis restée en paix quoique beaucoup fussent réprouvés, car je vis bien que la justice de Dieu voulait qu'il en fût ainsi. Tout était pour moi aussi clair et aussi frappant que si Dieu lui-même m'eût parlé.
« Je vis Jésus sur un trône brillant comme le soleil : près de lui Marie, Joseph et Jean. Devant lui étaient agenouillés les pauvres pécheurs repentants. Ils priaient Marie d'intercéder pour eux : je vis alors qu'elle est le vrai refuge des pécheurs et que tous ceux qui ont recours à elle trouvent grâce, pourvu qu'il leur reste un peu de foi.» Elle eut la vision qui suit sur la valeur de la prière
« J'étais dans un grand espace lumineux qui s'étendait à mesure que je regardais tout autour de moi. Je vis là ce qui advient de nos prières devant Dieu. Elles étaient comme inscrites sur de grands tableaux de couleur blanche et elles semblaient divisées en quatre classes. Quelques prières étaient écrites en magnifiques lettres d'or, d'autres en caractères brillants comme de l'argent, d'autres présentaient une nuance sombre ; d'autres enfin étaient en lettres noires et celles-ci étaient rayées d'une barre. Cette vue me donna de la joie : cependant j'étais inquiète, craignant de n'être pas digne de voir cela et, j'osai à peine demander à mon conducteur ce que tout cela signifiait. Il me répondit : « Ce qui est tracé en lettres d'or est la prière de ceux qui, une fois pour toutes, ont uni leurs bonnes œuvres aux mérites de Jésus-Christ et qui renouvellent souvent cette union, qui, en outre, travaillent avec un grand soin à observer ses préceptes et à imiter ses exemples. Ce qui a le brillant de l'argent est la prière de ceux qui n'ont point présente à la mémoire cette union avec les mérites de Jésus-Christ, mais qui pourtant sont pieux et prient dans la simplicité de leur cœur. Ce qui est de couleur sombre est la prière de ceux qui ne vivent pas en repos s'ils ne s'approchent pas souvent des sacrements et s'ils ne font pas chaque jour certaines prières, mais qui pourtant sont tièdes et ne font le bien que par habitude. Enfin ce qui est écrit en noir et barré est la prière de ceux qui mettent toute leur confiance dans les prières vocales et dans leurs prétendues bonnes œuvres, mais qui n'observent pas les commandements de Dieu et ne font pas violence à leurs mauvais désirs. Cette prière n'a aucun mérite devant Dieu : c'est pourquoi elle est rayée. De même aussi sont rayées les bonnes œuvres de ceux qui se donnent beaucoup de peine pour faire quelque fondation pieuse, mais qui en cela considèrent l'honneur et les avantages temporels qu'ils doivent en retirer.»
(Le passage du paragraphe 8 au paragraphe 11 est une coquille d'édition telle qu'elle figure dans le livre à l'origine) - Note du webmaster -
11. Rensing l'ayant trouvée un jour qui récitait les litanies des saints d'après un livre, voulait attendre qu'elle eût fini, mais elle lui dit « Je ne suis pas scrupuleuse pour ces sortes de choses je puis reprendre à l'endroit où j'ai fini. Je pense que Dieu n'est pas si exigeant en pareil cas et ne regarde pas où je commence.
Elle voulait dire que cette interruption n'était pas l'effet de la distraction ou de l'indifférence, mais une marque de respect pour son supérieur ecclésiastique. Elle rapporta ainsi une autre vision symbolique touchant la prière.» J'étais dans l’église, à la place où j'avais coutume de m'agenouiller autrefois. Il faisait très clair et je vis deux femmes bien vêtues se mettre à genoux au pied du maître autel, le visage tourné vers le tabernacle, et, à ce qu'il me parut, avec beaucoup de dévotion. Je les regardais prier, le cœur touché de leur piété, lorsqu'apparurent deux couronnes d'or éclatantes suspendues au-dessus de leurs têtes. Je m'approchai et je vis qu'une des couronnes se posa sur la tête de l'une d'elles, tandis que l'autre resta en l'air à quelque distance, au-dessus de la seconde. Enfin elles se levèrent toutes deux et je leur dis qu'elles m'avaient semblé prier avec bien de la ferveur.» Oui, répondit la seconde, il y a longtemps que je n'avais prié aussi dévotement et avec un sentiment aussi vif qu'aujourd'hui. Au contraire, la première, sur la tête de laquelle la couronne s’était posée, se plaignait d'avoir voulu prier avec ferveur, mais d'avoir été troublée par des distractions de toute espèce qu'il lui avait fallu combattre sans cesse pendant sa prière. Je vis alors comment le bon Dieu, dans la prière, ne considère que le cœur.»
De ce récit il ressort clairement que cette vision avait été envoyée à Anne Catherine pour la garantir de la pusillanimité qui aurait pu lui faire regarder sa prière, si souvent troublée et interrompue par les dérangements extérieurs et l'affluence des étrangers, comme moins agréable à Dieu que le profond recueillement et la dévotion tranquille à laquelle autrefois elle pouvait se livrer dans le cloître.
12. On peut reconnaître une intention semblable dans une vision postérieure qui paraît bien simple et peu significative, mais qui est pourtant un témoignage frappant de la bonté avec laquelle Dieu daignait consoler et fortifier Anne Catherine, comme un enfant, pour l'aider à accomplir sa grande tâche.
« Il me fallait passer sur un pont étroit, raconta-t-elle. Je regardais en tremblant l'eau qui coulait au-dessous à une grande profondeur : mais mon ange gardien me fit passer heureusement. Sur le bord était une souricière autour de laquelle une souris courut longtemps. Enfin attirée par l'appât elle s'y glissa pour le prendre.» Folle petite bête, m'écriais-je, tu sacrifies à une friandise ta liberté et ta vie.» Les hommes sont-ils plus raisonnables, dit mon ange gardien, quand pour un plaisir d'un moment ils mettent en danger leur âme et leur salut ?»
La compassion qu'Anne Catherine ressentait pour la pauvre petite bête était tournée, par l'ange gardien vers l'aveuglement des pécheurs, afin qu'elle les avertit de se tenir en garde et cela non-seulement par ses prières et par ses souffrances secrètes et inconnues du monde, mais aussi par des exhortations et des supplications, ou même par la vue des tortures auxquelles elle était livrée. Il lui semblait impossible que le temps où elle menait une vie tranquille et cachée au monde ne revînt pas pour elle : mais Dieu en avait décidé autrement. Ce bien si désiré ne lui fut jamais rendu : au contraire, le moment était venu où Anne Catherine, au milieu des plus grandes tribulations, devait être préparée à entrer dans la dernière et la plus pénible phase de sa mission de souffrances. De même qu'à l'Eglise elle-même il n'était plus laissé d'asile où la piété pût être pratiquée sans trouble et la contemplation s'abriter en paix, de même qu'on lui enlevait toutes les saintes demeures dans lesquelles ses enfants pouvaient, loin des regarda du monde, endurer le martyre de la pénitence pour les péchés d'autrui ou pour leurs propres fautes, de même aussi Anne Catherine à qui Dieu faisait porter le poids des tribulations de son Eglise devait avoir en partage un sort pareil. Elle le subit, jusqu'au dernier instant de sa vie : mais nous verrons bientôt combien il lui en coûta d'avoir à remplir cette tâche.