Vie d'Anne Catherine Emmerich - Tome1


APPROBATIONS

 

Le premier volume de l'ouvrage intitulé : Vie d'Anne Catherine Emmerich, par le P. Schmoeger, de la congrégation du Très-Saint-Rédempteur, qui nous a été présenté en manuscrit, ne contenant rien de contraire à ce qu'enseigne l'Église catholique, quant au dogme et à la morale, mais, au contraire, paraissant plutôt propre à affermir la foi et à exciter la piété, nous lui accordons avec plaisir l'approbation demandée par l'auteur.

Limbourg, le 26 septembre 1867.

PIERRE-JOSEPH Évêque de Limbourg.

 

Nous autorisons M. l'abbé de Cazalès, notre vicaire général et chanoine de notre cathédrale à faire imprimer sa traduction de la Vie d'Anne Catherine Emmerich, publiée en Allemagne par le R. P. Schmoeger, de la congrégation du Très-saint Rédempteur, avec l'approbation de Mgr. l'Evêque de Limbourg.

Versailles, le 18 janvier 1868.

PIERRE, Evêque de Versailles.

 

AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

 

 C'est sur l'obligeante invitation du R. P. Schmoeger que celui qui écrit ces lignes a entrepris de traduire en français la Vie d'Anne Catherine Emmerich, publiée tout récemment en Allemagne. (note) On lui pardonnera de mentionner cette circonstance qui prouve que ses traductions précédentes ont été jugées suffisamment fidèles de l'autre côté du Rhin et qui lui permet, à certains égards, de placer son nouveau travail sous le patronage du juge le plus compétent et le plus intéressé dans la question. Le traducteur ne juge pas nécessaire de faire précéder le présent volume d'une introduction ou d'une préface, le père Schmoeger ne lui ayant rien laissé à dire sur les raisons qui ont déterminé le savant religieux à écrire cette nouvelle biographie de la sœur Emmerich, sur les circonstances qui en ont retardé pendant des années l'achèvement et la publication, sur les documents nombreux, inconnus à Clément Brentano lui-même, qui lui ont servi de base, enfin sur les caractères particuliers qui la distinguent. Il croit pourtant devoir dire quelques mots sur le genre d'utilité que peut avoir un livre comme celui-ci dans un moment où ce qu'on appelle» la question du surnaturel» , préoccupe et passionne les esprits les plus divers : Il ne se propose nullement de traiter la question en elle même, car il faudrait pour cela un travail approfondi dont ce n'est pas ici la place.

 

(note) L'éditeur a eu la bonté de lui envoyer les feuilles à mesure qu'on les imprimait, afin que la traduction française pût paraître très peu de temps après l'ouvrage original.

 

Il veut seulement appeler l'attention du lecteur sur la conduite que tient l'Église catholique quand elle se trouve en présence de faits présumés surnaturels : or, rien n'est plus propre à en donner une idée juste et claire que la biographie d'Anne Catherine Emmerich. Qu'y voyons nous en effet ? Des phénomènes fort extraordinaires, notamment celui de la stigmatisation, se produisent chez une pauvre religieuse, jetée sur le pavée, si l'on peut s'exprimer ainsi, par suite de la suppression de son couvent. Malgré ses efforts pour cacher ces phénomènes, la petite ville de Dulmen qu'elle habite en a bientôt connaissance et ils deviennent le sujet de toutes les conversations. Le vicaire général capitulaire, administrateur du diocèse de Munster où le siège épiscopal est vacant depuis des années, est à peine informé de ce qui se passe qu'il arrive inopinément à Dulmen, pour dévoiler l'imposture, s'il y en a une, ce qu'il est tout d'abord porté à croire. Frappé de ce qu'il voit, mais non encore convaincu, il ordonne aussitôt une enquête dirigée par des prêtres expérimentés et des médecins habiles. Cette enquête, dont le compte-rendu remplit une grande partie du présent volume, dure longtemps, et elle est conduite avec une sévérité qui va presque jusqu'à la cruauté. La pauvre malade est soumise à l'examen le plus rigoureux, non-seulement sur son état actuel, mais sur toute sa vie antérieure ; ses plaies sont bandées et mises en quelque sorte, sous les scellés, ce qui amène pour elle des souffrances indicibles. On la met en surveillance, pendant dix jours, sous la garde de vingt bourgeois notables de Dulmen qui se relayent jour et nuit auprès de son lit : enfin on ne lui épargne aucune torture physique et morale. Et quand on est arrivé au terme, quand tous les rapports ont été faits, tous les procès-verbaux dressés, croit-on que les supérieurs ecclésiastiques vont crier au miracle, proclamer comme une oeuvre divine les faits merveilleux qu'ils ont constatés de la manière la plus certaine ? Telles ne sont pas les habitudes de l'Eglise. L'enquête a prouvé jusqu'à la dernière évidence qu'il n'y a là ni fraude ni illusion : c'était tout le résultat auquel le vicaire général voulait arriver. Quant aux stigmates et aux autres phénomènes extraordinaires, il incline à penser qu'ils ont une cause surnaturelle, mais il ne va pas plus loin ; c'est pour lui une probabilité, rien de plus. Il faut bien reconnaître que c'est là de la prudence et de la discrétion ; mais, quelque part qu'il y ait à faire au caractère personnel du vicaire général de Munster, on doit en faire honneur avant tout aux règles de conduite tracées par l'Eglise. Tout autre, en pareil cas, aurait fait comme lui, se serait considéré, non comme un juge, mais comme un simple rapporteur, ayant tout au plus une opinion à exprimer. Il n'y a qu'un juge qui puisse prononcer en matière de faits surnaturels et miraculeux ; c'est l'Eglise universelle, par l'organe de son chef suprême, lorsqu'il rend des décrets de béatification ou de canonisation. Hors de là, quelques fortes que soient les présomptions en faveur de la sainteté d'un serviteur ou d'une servante de Dieu, quelque surprenants que soient les faits qui se rencontrent dans sa vie, on raconte ces faits sans les qualifier, ou du moins on n'attribue aux qualifications qu'on leur donne qu'une autorité purement humaine. C'est ce que fait le père Schmoeger pour sa Vie d'Anne Catherine Emmerich, en déclarant dans sa préface qu'il entend se conformer en tout aux décrets du pape Urbain VIII sur ces matières. Ceci dit, il est permis de faire observer que les faits exposés dans la biographie de la sœur Emmerich, quelque jugement qu'on porte sur leur nature et leurs causes ; sont au moins fort étonnants et fort extraordinaires, qu'il s'agit ici, non d'une légende remontant à une obscure antiquité et pour laquelle manquent les moyens de contrôle, mais de choses qui se sont passées en plein XIX° siècle et attestées par une masse de témoins dont la véracité est au-dessus du soupçon. Ce livre aura donc pour tout le monde au moins un intérêt de curiosité, et, de plus, il édifiera les lecteurs pieux en leur présentant l'histoire d'une grande et belle âme et d'admirables exemples de toutes les vertus chrétiennes. La publication du second et dernier volume, qui sera peut-être plus intéressant encore que le premier ne se fera pas attendre. D'après la dernière lettre du père Schmoeger, il ne tardera pas à être mis sous presse et peut-être y est-il déjà. Le traducteur fera de son mieux pour qu'il puisse être offert au public français dans le plus bref délai possible.

 

PRÉFACE ET INTRODUCTION

 

Lorsque l'auteur de la présente biographie publia, y a huit ans, le dernier volume de la Vie de notre divin Sauveur d'après les visions d'Anne Catherine Emmerich, il promit d'y donner pour complément, aussitôt que possible, un récit de la vie de la servante de Dieu emprunté aux sources les plus authentiques. Mais des devoirs d'état, des maladies, des empêchements de toute espèce qu'il n'était pas en son pouvoir d'écarter, sans parler des difficultés que présentait le travail lui-même, en ont retardé 1a publication jusqu'à ce jour. Si Clément Brentano, qui avait résidé à Dulmen depuis l'automne de 1818 jusqu'au mois de février 1824 et qui avait noté jour par jour ses observations sur Anne Catherine, n'a pas voulu plus tard s'imposer la tâche de donner le tableau complet de cette vie si simple extérieurement et si peu faite pour frapper les yeux, mais si riche, si variée, si extraordinaire quant à sa signification intérieure, personne ne reprochera à celui qui écrit ces lignes de n'avoir pas été plus tôt en mesure de livrer le présent volume à la publicité. Il se serait même trouvé satisfait de la courte esquisse biographique dont Clément Brentano a fait précéder, en 1833, sa première édition de la Douloureuse Passion, si un ami bien cher, dont le souvenir ne s'éteindra jamais dans son cœur, le docteur Krabbe, doyen de la cathédrale de Munster, qui a si bien mérité de son pays natal, ne lui avait procuré, avec la faculté d'en faire l'usage qu'il lui plairait, la communication de tous les actes originaux de l'enquête ecclésiastique à laquelle Anne Catherine fut soumise en 1813 et s'il ne l'avait plus tard accompagné à Dulmen, à Coesfeld et à Flamske, pour y recueillir de la bouche du petit nombre des contemporains encore vivants d'Anne Catherine et de ceux qui l'ont connue particulièrement des renseignements malheureusement bien incomplets sur sa vie. La reconnaissance lui fait encore un devoir de mentionner les peines qu'a bien voulu se donner M. Aulike, conseiller intime de régence à Berlin, mort aussi depuis, pour rechercher partout et transmettre à l'auteur les notices et particulièrement les brochures ayant trait à Anne Catherine publiées depuis l'an 1813. Ces deux hommes étaient pleins d'une vénération touchante pour la servante de Dieu et attendaient avec impatience la publication de sa biographie qu'ils n'étaient pas destinés à voir paraître de leur vivant. Grâce au dépouillement consciencieux des actes de l'enquête, lesquels n'avaient jamais passé sous les yeux de Clément Brentano, il a été possible à l'auteur d'appuyer son récit sur des témoignages d'un tel poids qu'on n'en peut trouver de plus concluants dans la biographie d'aucune personne favorisée de grâces semblables. Les riches matériaux fournis par ces documents lui ont aussi ouvert la voie à une intelligence plus approfondie de la mission de la sœur Emmerich : car il y a reconnu avec certitude la reproduction d'un fait dont l'importance est généralement admise dans l'Eglise et qui a été plusieurs fois observé et apprécié dans chaque siècle, fait consistant en ce que Dieu, dans tous les temps, a choisi certaines âmes, qui, soit dans une retraite cachée à tous les regards, soit publiquement et sous les yeux du monde, lui ont servi d'instruments destinés à souffrir et à combattre pour son Eglise et pour la sainte foi catholique. Les circonstances de la vie extérieure de ces personnes sont quelquefois très dissemblables, et leurs souffrances elles-mêmes ont un caractère par lequel elles diffèrent complètement les unes des autres. Ainsi, par exemple, Lidwine de Schiedam ou de nos jours Domenica Lazzari se montrent avant tout comme de pures victimes corporelles, semblables aux anciennes vierges martyres, tandis que d'autres, comme Madeleine de Pazzi ou Colombe de Rieti, combattent et souffrent pour l'Eglise d'une manière spirituelle ; mais toutes se ressemblent en ce point que leur vie est un sacrifice continuel, une souffrance sans interruption où tout est abandonné sans réserve à la conduite et aux desseins de Dieu. Par leurs souffrances, elles doivent expier ou faire pénitence à la place des coupables pour les manquements qui ont eu lieu dans l'Eglise et le dommage qu'elle a éprouvé par la faute des différentes classes de personnes dont elle se compose. Par leurs prières et leurs supplications, ou plutôt par un don extraordinaire de la grâce qui fait de leur prière une action, elles ont à détourner les tribulations et les dangers qui menacent l'Eglise, son chef, telle ou telle de ses parties et des personnes qui y tiennent une place, à obtenir pour les pécheurs la grâce de la conversion, pour les égarés et les faibles la pureté et la fermeté de la foi, pour les pasteurs et les gardiens l'intrépidité et le zèle infatigables ; enfin elles ont à lutter pour les âmes qui se perdraient par la négligence des pasteurs. Outre la tâche de prière et d'expiation, il y a encore la tâche militante qu'ont à remplir des âmes favorisées de dons extraordinaires. Celle-ci consiste à prendre sur sa personne des dangers menaçant l'âme et le corps, des maux, des tentations, l'entraînement à certains péchés : ici donc, ce n'est plus simplement une souffrance ou un sacrifice dont les fruits doivent profiter à autrui, il s'agit de s'exposer personnellement à un danger déterminé menaçant le corps ou l'âme ; il s'agit de prendre complètement sur soi un mal, une maladie, une attaque ou une tentation, ce qui exige, de la part de celui qui se substitue le combat réel et la victoire complète au profit de ceux desquels il a détourné le danger ou le mal. Un des exemples les plus grandioses et les plus frappants de ce combat à la place d'autrui se trouve dans l'action de Judith qui alla au-devant d'Holopherne et de ses hordes pour empêcher la profanation du sanctuaire et l'opprobre du peuple de Dieu.

Même quand chez certains de ces privilégiés, il peut sembler que la prière est leur tâche unique ou principale, ce n'est pourtant pas d'une manière exclusive, car le martyre de la pénitence accomplie par l'innocent est précisément ce qui fait que la prière est surabondamment exaucée et obtient pour l'Eglise de si riches bénédictions. La tâche d'expier et celle de combattre ne sont jamais séparées l'une de l'autre et toutes deux, comme celle de prier, se rencontrent avec une étendue vraiment surprenante dans la vie de la sœur Emmerich. Elle y fut préparée par Dieu dès sa plus tendre enfance ; bien plus, le commerce avec son ange gardien, l'intuition d'un autre monde, en un mot le don de contemplation commencèrent pour elle dès le premier jour de sa vie, afin qu'aucun instant de la courte durée de son existence ne restât inutile. Trois grands maux faisaient courir des dangers terribles à l'Eglise à l'époque où vécut Anne Catherine ; savoir, la profanation de toutes les choses saintes, les fausses doctrines et la corruption des mœurs ; elle leur fut opposée par Dieu pour les combattre sans relâche par la prière, par l'expiation et par des luttes incessantes, et pour venir au secours de l'Eglise livrée pour ainsi dire sans défense à ces ennemis. Tous les fidèles se sentiront consolés et fortifiés en trouvant dans la vie de cette servante de Dieu tant de preuves de la miséricorde avec laquelle le Seigneur, à une époque si remplie de tribulations, vint en aide à son Eglise, et en voyant quel instrument sa sagesse s'était préparé dans la pauvre petite bergère de Flamske. C'est cette vue qui a encouragé l'auteur à reprendre sans cesse une oeuvre si souvent interrompue par des dérangements de toute espèce et à n'épargner aucune peine pour arriver à bien comprendre cette vie si simple et si pauvre pour qui n'en voit que l'extérieur, par la comparaison de tous les faits qui s'y produisent avec ceux que présente la vie de quelques autres personnes favorisées de grâces semblables. Ceux des lecteurs que leurs études ont familiarisés avec les principes posés par Benoît XIV et avec les grandes autorités théologiques aux décisions desquelles ce savant Pape se réfère habituellement dans son ouvrage De servorum Dei beatificatione reconnaîtront bientôt, sans qu'il soit besoin de citer ces autorités, que l'auteur a pris sa tâche au sérieux, et ils conviendront sans doute avec lui que la vie d'Anne Catherine est un modèle frappant des qualités et des vertus exigées par les sévères prescriptions de l'Église comme marques et preuves de la vérité, là où il s'agit de grâces extraordinaires. Comme on a vu de nos jours se produire bien des imposteurs et des hypocrites soi-disant favorisés de dons extraordinaires, lesquels ont parfois trouvé créance chez beaucoup de personnes, l'auteur a cherché à reproduire aussi fidèlement que possible jusqu'aux moindres des renseignements sur Anne Catherine qu'il a pu trouver dans les documents mis à sa disposition. Il en est résulté pour cette biographie beaucoup de développements et une grande abondance de détails ; mais cela même lui vaudra un accueil d'autant plus favorable de la part des lecteurs qui veulent se former une opinion sûre quant à la vérité ou à la fausseté des voies et des grâces extraordinaires. L'ami le plus dévoué de Clément Brentano, M. Edouard Steinle, a dessiné le portrait dont la gravure est placée en tête de ce volume, d'après des dessins à la plume esquissés à différentes époques par Brentano lui-même pendant les années qu'il a passées à Dulmen près du lit de douleurs de la sœur Emmerich. M. Steinle a réussi à rendre avec une grande fidélité les traits de la pieuse fille, comme le prouve la profonde émotion dont se sont trouvées saisies à la première vue de ce portrait des personnes qui autrefois avaient eu des relations fréquentes avec Anne Catherine. En terminant, l'auteur déclare qu'il se soumet entièrement aux décrets d'Urbain VIII, en date du 13 mars 1625 et 5 juin 1634, et par conséquent ne prétend attribuer à tous les faits et incidents extraordinaires rapportés dans le présent livre qu'une crédibilité purement humaine.

 

Du couvent de Gara sur l'Inn (Bavière), le 17 septembre 1867.

P. SCHMOEGER