VIE D’ANNE CATHERINE EMMERICH

  TOME DEUXIEME (1819-1824)

 

CHAPITRE X

 

VOYAGES A LA MAISON DES NOCES. SOUFFRANCES EXPIATOIRES POUR LA PROFANATION DU TRES-SAINT SACREMENT DE L'AUTEL

 

         1. Au commencement de chaque jour du calendrier ecclésiastique, Anne Catherine, conduite par son ange, se mettait en voyage pour la Terre sainte et la maison des noces. Le choix de la route à suivre pour l'aller et pour le retour regarde son conducteur et il est déterminé par les tâches diverses qu'elle a à accomplir chaque jour près des nécessiteux et des malades de toute espèce, des moribonds et des âmes du purgatoire, près desquels son ange la conduit par toute la terre suivant un ordre réglé par Dieu. Aucun lieu du monde, aucun membre de l'Église n'est exclu de la bénédiction qui émane de ses souffrances et de ses oeuvres de charité : mais, avant tout, c'est le chef de l'Eglise vers lequel elle est envoyée, chaque fois qu'il est dans la détresse et dans la tribulation, afin qu'en lui rendant les services les plus divers, elle allège pour lui le poids de la charge pastorale suprême. A Rome, elle est chez elle comme dans la Terre sainte : elle connaît le Vatican, les églises, les sanctuaires de la ville éternelle aussi bien que le château de David, le temple, le cénacle et tous les saints lieux de Jérusalem et des environs. Elle visite aussi sur son chemin les lieux, les pays, les diocèses où les saints du jour ont vécu et fait leur oeuvre, où leurs corps reposent, où ils ont souffert le martyre : elle est accompagnée, éclairée par eux, et favorisée de la contemplation la plus claire de leur vie jusque dans les plus petits détails. Comme en outre il n'y a pas de jour où elle n'ait la vision strictement historique de la vie terrestre et des actes de notre divin Sauveur, ainsi que des divers mystères et des faits concernant la sainte oeuvre de la Rédemption qui sont l'objet des fêtes successives de l'Eglise, on peut se rendre compte de tout ce qu'embrassaient ses visions et ses pérégrinations quotidiennes et comprendre pourquoi elle ne pouvait rapporter au Pèlerin que la moindre partie de ses contemplations, lesquelles étaient chaque fois accompagnées de souffrances corporelles et spirituelles dont la grandeur n'excite pas moins l'étonnement que la richesse des visions elles-mêmes. Le voyage qu'elle fait pour aller à la maison des noces et en revenir, est le cadre dans lequel sont renfermées l'action, la contemplation et la souffrance de chaque jour : celui-là seul qui serait lui-même contemplatif pourrait connaître ce qui y est contenu dans toute sa plénitude et sa variété multiple et par là aussi apercevoir la relation intime et vivante qui relie tous les jours d'une année ecclésiastique, pris dans leur ensemble, avec la tâche de la vie entière d'Anne Catherine. Quelque courts que soient les fragments concernant ces voyages journaliers qui sont présentés dans les communications suivantes, ils sont pourtant assez frappants pour faire reconnaître au lecteur les voies merveilleuses par lesquelles était conduite cette âme pleine d'humilité au moyen de laquelle Dieu voulait accomplir des oeuvres si surprenantes qu'elles ne seront manifestées pour la plus grande gloire qu'au jour de la rétribution. Nous commençons par la vision la plus compréhensive suc ces voyages qu'elle ait pu communiquer, parce qu'elle nous douve plus de lumière qu'aucune autre sur leur caractère et leur signification.

 

2. En juillet 1820, elle raconta ce qui suit : « Il me fut dit qu'il me fallait faire un voyage où je verrais la détresse du monde. Je fus conduite par la vigne de S. Ludger à celle de S. Pierre et je vis partout le triste état de l'humanité et de l'Eglise sous la forme d'obscurité, de froid, de brouillard à divers degrés d'intensité. Dans cette obscurité se montraient çà et là des points lumineux, des hommes lumineux que je voyais se terrant debout et priant. J'eus de nouveau des visions détaillées touchant les personnes, et, dans tous les lieux où j'allai, je fus conduite pris des nécessiteux, des délaissés, des malades, des opprimés, des captifs ; j'eus à prier pour eux, à les consoler, à leur venir en aide de diverses manières. Je vis partout l'état de l'Eglise et je vis partout les saints du pays, les anciens évêques, les martyrs, les religieuses et les anachorètes, en un mot tous ceux qui, dans chaque pays, avaient fait descendre sur lui la grâce de Dieu : ceux-là particulièrement me furent montrés qui avaient eu des visions et plusieurs de ces visions me furent mises sous les yeux. Je vis comment ils avaient apparu à d'autres dans la prière et d'autres à eux, comment ils avaient agi par là ; comment l'Eglise, depuis sa naissance, avait toujours eu des personnes, des visions, des apparitions, des secours de ce genre, en remontant jusqu'au temps des premières promesses, et comment c'était une des grâces qui lui étaient le plus utiles et qui contribuaient le plus à y établir l'union intérieure. Je vis aussi partout les corps saints dans leurs tombes, je vis leur action, leurs rapports avec les bienheureux auxquels ils appartenaient, la bénédiction répandue autour d'eux par suite de l'union de tous ces corps avec leurs âmes et leur action conforme à leur nature. C'est de cette manière qu'il faut entendre ce que je vis à peu près partout : mais dans toute cette vision d'une immense étendue je n'eus presque aucune joie si ce n'est de voir que l'Eglise est fondée sur le roc et qu'en aimant, on suit l'Église, on imite Jésus, on reçoit éternellement de lui et l'on répand la bénédiction. Il me fut dit que, dans l'Ancien Testament, Dieu avait envoyé ses anges aux hommes et avait enseigné ceux-ci par des songes : mais que tout cela n'avait pas été aussi clair et aussi complet que les enseignements spirituels donnés aux chrétiens. Et pourtant avec quelle fidélité et quelle simplicité ils avaient obéi à ces inspirations divines ! »


         « Quand j'arrive dans un pays, je vois le plus souvent dans sa capitale, comme dans un point central, l'état général de ce pays sous forme de nuit, de brouillard, de froid ; je vois aussi de très-près les sièges principaux de la perdition, je comprends tout et je vois en tableaux où sont les plus grands dangers. De ces foyers de corruption je vois des écoulements et des bourbiers se répandre à travers le pays comme des canaux empoisonnés et je vois au milieu de tout cela les gens pieux en prière, les églises où repose le saint Sacrement, les corps innombrables des saints et des bienheureux, toutes les oeuvres de vertu, d'humilité, de foi, exercer une action qui soulage, qui apaise, qui arrête le mal, qui aide où il le faut. Ensuite j'ai des visions où des méchants comme des bons passent devant mes yeux. Mais quand j'ai vu les péchés et les abominations d'un pays, d'une même race d'hommes, quand le bien et le mal ont passé sous mes yeux, quand j'ai reconnu jusque dans leurs sources le poison et la maladie, je vois par une conséquence nécessaire la souffrance, le châtiment, la destruction, le retranchement, ou bien la guérison, soit totale, soit imparfaite du mal, selon que le bien produit ses effets salutaires dans ce pays, ou qu'une charité s'exerçant ailleurs, d'autres mérites, d'autres efforts contraignent en quelque sorte l'amour de Jésus à répandre un fleuve de grâce et de rédemption. Et ainsi je vois planer, pour ainsi dire, sur certains lieux et certaines villes, des apparitions effrayantes qui les menacent de grands dangers ou même d'une destruction totale. Je vois tel lieu s'enfoncer en quelque sorte dans la nuit : dans un autre, je vois le sang couler à flots dans des batailles livrées en l'air, dans les nuages, et souvent il s'en détache un tableau séparé d'un aspect plus frappant qui a sa signification propre. Et ces dangers, ces châtiments, je ne les vois pas comme choses isolées, mais je les vois comme des conséquences de ce qui se passe dans d'autres contrées où le péché éclate en violences et en combats acharnés, et je vois le péché devenir la verge qui frappe les coupables.


         « Pendant que tout cela sort comme un développement des tableaux ténébreux que je vois sur la terre dans ces pays, je vois les bons germes lumineux qui sont en eux donner naissance à des tableaux placés dans une région plus élevée. Je vois au-dessus de chaque pays un monde de lumière qui représente tout ce qui s'est fait pour lui par des saints, enfants de ce pays, ce qu'ils ont fait descendre sur lui par les mérites de Jésus-Christ des trésors de grâce de l'Église. Je vois au-dessus d'églises dévastées planer des églises dans la lumière, je vois les évêques et les docteurs, les martyrs, les confesseurs, les voyants et tous les privilégiés de la grâce qui ont vécu là : j'entre dans les tableaux où figurent leurs miracles et les grâces qu'ils ont reçues, et je vois les visions, les révélations, les apparitions les plus importantes qu'ils aient eues : je vois toutes leurs voies et leurs relations, l'action qu'ils ont exercée de près et de loin, l’enchaînement de leurs travaux et les effets produits par eux jusqu'aux distances les plus éloignées. Je vois tout ce qui a été fait, comment cela a été anéanti ; et comment toutefois la bénédiction demeure toujours sur les voies qu'ils ont parcourues, comment ils restent toujours en union avec leur patrie et leur troupeau par l’intermédiaire de gens pieux qui gardent leur mémoire et particulièrement comment leurs ossements, là où ils reposent, sont, par suite d'un rapport intime qui les rattache à eux, des sources de leur charité et de leur intercession. Mais, sans le secours de Dieu, on ne pourrait pas contempler tant de misères et d'abominations auprès de cette charité et de cette miséricorde, sans en mourir de douleur. »


         « S'il se rencontre sur mon chemin des endroits où se trouve une misère pour laquelle le Seigneur veuille bien accueillir une prière humaine, je suis conduite à ceux qui en sont affligés. Je vois ensuite le siège de leur mal, j'assiste souvent à des scènes où ils figurent. Je vais près de leur lit s'ils dorment, je m'approche d'eux s'ils sont éveillés et j'offre à Dieu pour eux une fervente prière, afin qu'il daigne recevoir de moi pour eux ce qu'ils ne peuvent pas ou ne savent pas faire eux-mêmes. Souvent aussi il me faut prendre quelque souffrance à leur place. Parfois ce sont des gens qui ont imploré les prières d'autrui ou même les miennes. Cela occasionne de ces voyages pour aller au secours du prochain comme j'en ai si souvent à faire. Je vois ensuite ces personnes se tourner vers Dieu et recevoir des consolations. Je vois que ce qui leur manque leur sera donné ou même leur est donné tout de suite, et rarement d'une manière très-frappante, mais la plupart du temps par des moyens tirés de l’ordre naturel des choses, quoique souvent très-inattendus ; ce qui fait reconnaître que l'indigence et la détresse corporelles ou spirituelles viennent le plus souvent de la main de l’homme qui se ferme, incrédule et défiante, au lieu de s'élever dans un sentiment filial pour implorer et pour recevoir, et non de la main de Dieu, toujours prête à donner et toujours présente pour assister. Et quand je suis envoyée pour intervenir, moi qui ai reçu la grâce de voir, c'est la main de Dieu qui envoie à plus d'un coeur aveugle et fermé une personne voyante, ouverte à la lumière, laquelle devient comme un canal par lequel coule vers ce coeur la plénitude de la miséricorde. Souvent aussi dans mes voyages j'ai, dans un lieu ou dans un autre, à empêcher du mal en intervenant, en répandant la terreur, en déconcertant un homme qui a un mauvais dessein. Souvent j'ai réveillé des mères dont les enfants avaient besoin de secours ou couraient risque d’être étouffés, soit par elles, soit par des servantes endormies, etc. »


         Voici quelques détails qu'elle put donner malgré son état d'épuisement :

         « Je traversai la vigne de saint Ludger (Munster) où je trouvai toutes choses en souffrance comme auparavant et je passai par la vigne de saint Liboire (Paderborn) où j'ai travaillé en dernier lieu et que je trouvai en voie d'amélioration. Je passai par le lieu (Prague) où reposent saint Jean Népomucène, saint Wenceslas, sainte Ludmile et d'autres saints. Il y avait là beaucoup de saints, mais parmi les vivants peu de prêtres pieux et il me sembla que les personnes bonnes et pieuses se tenaient cachées ordinairement. J'allai toujours au midi et je passai devant une grande ville (Vienne) que domine une haute tour et autour de laquelle il y a beaucoup d'avenues et de faubourgs. Je laissai cette ville à gauche et traversai une région de hautes montagnes où il y avait encore, çà et là, beaucoup de gens pieux, spécialement parmi ceux qui vivaient dispersés : puis, allant toujours au midi, j'arrivai dans la ville maritime (Venise) où j'ai vu récemment saint Ignace et ses compagnons. Je vis là aussi une grande corruption : je vis saint Marc et d'autres saints. J'allai dans la vigne de saint Ambroise (Milan). Je me rappelle à ce sujet beaucoup de visions et de grâces obtenues par l’intercession de saint Ambroise, notamment l'action exercée par lui sur saint Augustin. J'ai appris beaucoup de choses sur lui et, entre autres, qu'il avait connu une personne ayant, à un certain degré, le don de reconnaître les reliques. J'eus des visions à ce sujet et je crois qu'il a parlé de cela dans un de ses écrits. J'ai appris aussi que personne n'a jamais eu ce don dans la mesure où Dieu me l’a départi, et que cette grâce m'a été accordée parce que le culte des reliques est tombé dans une décadence honteuse et qu'il faut le ressusciter. Je vis en continuant mon chemin vers le midi, une incroyable quantité d'églises et de saints favorisés de grâces de toute espèce. Je vis spécialement beaucoup d'oeuvres et aussi beaucoup de visions et d'apparitions de saint Benoît et de tous ses compagnons : je vis en outre sainte Claire de Montefalco, les deux saintes Catherines de Sienne et de Bologne, ainsi que beaucoup de visions et d'apparitions qu'elles ont eues. Lors de la grande vision que j'ai eue dans le diocèse de saint Ambroise, il m'a semblé une fois qu'Ambroise parlait du haut du ciel : après quoi je vis comment des femmes et des vierges peuvent exercer une action et une fonction dans l'Église par le don de clairvoyance et de prophétie et par celui de communiquer avec les esprits célestes. Il dit aussi quelque chose sur le discernement des vraies et des fausses visions. Je ne puis reproduire ses paroles. Je dois dire encore que dans les divers pays, la plupart du temps, je voyais en premier lieu les saints évêques, puis les prêtres, puis les religieux et religieuses, les ermites et les laïques : je voyais spécialement les apparitions d'autres saints que Dieu leur avait envoyés, dans certains cas très-pressants, pour leur apporter conseil et lumière, et enfin comment certains d'entre eux étaient apparus à d’autres, quoique vivant encore. Je vis aussi dans cette contrée sainte Madeleine de Pazzi et la B. Rita de Cassia. Quant à sainte Catherine de Sienne, je vis beaucoup de ses visions et des missions qui lui furent données, etc..


         « J'arrivai chez saint Pierre et saint Paul et je vis un monde ténébreux plein de détresse, de confusion et de corruption, traversé comme de traits de lumière par d'innombrables grâces émanant de tant de milliers de saints qui reposent là. Si je pouvais reproduire dans une certaine mesure ce que j'ai vu dans cette ville qui est le centre de l'Église, il y aurait de quoi suffire aux méditations de toute une vie d'homme. Je vis plus distinctement les papes dont je possède des reliques. Je dois aussi avoir, entre autres, des ossements de saint Calliste 1er, le dix-septième pape, que je n'ai pas encore trouvés. J'ai vu qu'il a eu souvent des apparitions. Je vis aussi la mort de saint Jean l’Evangéliste et comment il apparut à Calliste, une fois en compagnie de Marie, une autre fois en compagnie du Sauveur, pour le fortifier dans la tribulation. Je vis plusieurs apparitions qu'a eues saint Sixte dont j'ai une relique. Je vis en général les apôtres et les disciples apparaître les uns aux autres et à leurs successeurs pour donner des avertissements dans les moments de détresse : je vis aussi comment, dans ces apparitions, en vertu d'un ordre établi d'en haut, la condition et la dignité de celui qui apparaissait avaient un rapport intime avec le besoin de celui qui voyait l’apparition. Je vis aussi les messagers de l’Église triomphante apparaître suivant un certain ordre hiérarchique pour lequel il ne faut chercher une mesure que dans l’importance et la grandeur essentielle de la circonstance à l’occasion de laquelle ils apparaissent et non dans le jugement aveugle du monde. Quant à ce qui m'a été appris sur le don de reconnaître les reliques, je dois encore ajouter que je vis sainte Praxède comme l’ayant eu à un certain degré.


« Je vis le saint Père dans une grande tribulation et une grande angoisse touchant l'Église. Je le vis très-entouré de trahisons. Je vis que, dans certains cas d'extrême détresse, il a des visions et des apparitions. Je vis beaucoup de bons et pieux évêques, mais ils étaient mous et faibles, et le mauvais parti prenait souvent le dessus. Je vis de nouveau les manèges de l'homme noir. J'eus encore le tableau des démolisseurs s'attaquant à l'église de saint Pierre ; je vis encore, comment, à la fin, Marie étendit son manteau au-dessus de l'église et comment les ennemis de Dieu furent chassés. Je vis saint Pierre et saint Paul travaillant activement pour l'Église. Je vis l'église des apostats prendre de grands accroissements. Je vis les ténèbres qui en partaient se répandre à l'entour et je vis beaucoup de gens délaisser l'Église légitime et se diriger vers l'autre, disant : « Là tout est plus beau, plus naturel et mieux ordonné. » Je ne vis pas encore d'ecclésiastiques parmi eux. Je vis le Pape continuant à tenir ferme, mais très-tourmenté. Je vis que le traité dont on attend du bien pour nous ne nous sera d'aucun secours, et que tout ira de mal en pis. Je vis que le Pape montre maintenant plus de vigueur et qu'il lui est recommandé d'être énergique jusqu'à la mort. Je vis qu'il a gagné cela par la constance dont il a fait preuve en dernier lieu ; mais ses derniers ordres n'auront pas d'effet parce qu'il y a trop faiblement insisté. J'ai vu sur cette ville de terribles menaces venant du nord..


         « Partant de là, je traversai l'eau, touchant à des îles où il y a un mélange de bien et de mal et je trouvai que les plus isolées étaient les plus heureuses et les plus lumineuses : puis j'allai dans la patrie de François Xavier, car je voyageais dans la direction du couchant. J'y vis beaucoup de saints et je vis le pays occupé par des soldats rouges. Son maître était vers le midi au-delà de la mer. Je vis ce pays passablement tranquille en comparaison de la patrie de saint Ignace où j'entrai ensuite et que je vis dans un état effrayant. Je vis des ténèbres répandues par toute cette contrée sur laquelle reposait un trésor de mérites et de grâces venant du saint. Je me trouvais au point central du pays. Je reconnus l'endroit où, longtemps auparavant, j'avais vu dans une vision des innocents jetés dans une fournaise ardente (note) et je vis enfin les ennemis du dedans s'avançant de tous les côtés et ceux qui attisaient le feu jetés eux-mêmes dans la fournaise. Je vis d'énormes abominations se répandre sur le pays. Mon guide me dit : « Aujourd'hui Babel est ici. » Et je vis par tout le pays une longue chaîne de sociétés secrètes, avec un travail comme à Babel, et je vis l'enchaînement de ces choses, jusqu'à la construction de la tour, dans un tissu, fin comme une toile d'araignée, s'étendant à travers tous les lieux et toute l'histoire : toutefois le produit suprême de cette floraison était Sémiramis, la femme diabolique. Je vis tout aller de mal en pis dans ce pays. Je vis détruire tout ce qui était sacré et l'impiété et l'hérésie faire irruption. On était aussi menacé d'une guerre civile prochaine et d'une crise intérieure qui allait tout détruire. Je vis là les anciens travaux de saints innombrables et ces saints eux-mêmes. Je citerai seulement saint Isidore, saint Jean de la Croix, sainte Jeanne de Jésus et spécialement sainte Thérèse dont je vis beaucoup de visions ainsi que l'action exercée par elle. On m'a montré les effets de l’intercession de saint Jacques dont le tombeau est sur une montagne et je vis quelle quantité de pèlerins y avaient trouvé leur guérison.

 

         (note) Le mois de mars d'auparavant, elle avait vu, sous la figure d'une fournaise ardente où l'on jetait des innocente, la condamnation de gens irréprochables et la destruction de la foi et des bonnes moeurs dans la patrie de S. Ignare : sur quoi elle fut informée que ceux qui chauffaient la fournaise, les satellites et les juges iniques auraient un sort pareil à celui qu'ils préparaient maintenant aux innocents.

 

Mon conducteur me montra aussi la montagne de Montserrat et les vieux ermites qui habitaient là dans les premiers temps : j'eus une vision très-touchante où je vis qu'ils ne savaient jamais quel jour de la semaine on était, qu'ils partageaient un pain en sept portions, en mangeaient une chaque jour et faisaient d'après cela le compte des jours mais souvent, étant ravis en extase, ils se trompaient dans leur calcul d'un jour entier : je vis aussi que la Mère de Dieu leur apparaissait et leur disait ce qu'ils devaient annoncer aux hommes. C'était une vision très touchante. Je vis dans ce pays de telles misères, j'y vis tant de grâces foulées aux pieds, et en même temps tant de saints et de choses qui les concernaient que je me disais : « Pourquoi faut-il que je voie tout cela, moi, misérable pécheresse qui ne puis le raconter et n'en comprends presque rien ? » Alors mon guide me dit : « Tu diras ce que tu pourras. Tu ne peux pas calculer le nombre de gens qui liront cela un jour, et dont les âmes seront par là consolées, ranimées et portées au bien. Il existe beaucoup d'histoires où sont racontées des grâces semblables, mais souvent elles ne sont pas composées comme il faudrait, puis les choses anciennes sont peu familières aux lecteurs et elles ont été dénaturées par des allégations mensongères. Ce que tu pourras raconter sera mis en oeuvre d'une façon suffisante et pourra faire beaucoup de bien dont tu n'as pas l'idée. » Cela me consola, car dans les derniers jours j'étais de nouveau fatiguée et il m'était venu des scrupules. - De ce malheureux pays je fus conduite par-dessus la mer, à peu près vers le nord, dans une île où a été saint Patrice. Il n'y avait guère que des catholiques, mais ils étaient très-opprimés : ils avaient pourtant des rapports avec le Pape, mais en secret. Il y avait encore beaucoup de bon dans ce pays parce que les gens étaient unis entre eux. J'eus aussi une instruction sur la manière dont tout se tient dans l’Eglise.

Je vis saint Patrice et beaucoup d'opérations de la grâce par son ministère. J'appris beaucoup sur lui et je vis aussi quelques tableaux de sa grande vision du purgatoire dans une grotte ; comment il reconnut dans le purgatoire beaucoup de personnes qu'il délivra et comment la sainte Vierge lui apparut et lui indiqua ce qu'il devait faire. »

         « De l’île de saint Patrice j'arrivai par-dessus un bras de mer à une autre grande île. Elle était toute sombre, brumeuse et froide. Je vis çà et là quelques groupes de pieux sectaires, du reste tout y était dans une grande fermentation. Presque tout le peuple était divisé en deux partis, et ils étaient occupés d'intrigues ténébreuses et dégoûtantes. Le parti le plus nombreux était le plus mauvais : le moins nombreux avait les soldats à ses ordres ; il ne valait pas non plus grand'chose, mais pourtant il valait mieux. Je vis une grande confusion et une lutte qui approchait et je vis le parti le moins nombreux avoir le dessus. Il y avait dans tout cela d'abominables manœuvres : on se trahissait mutuellement, tous se surveillaient les uns les autres et chacun semblait être l'espion de son voisin. Au-dessus de ce pays je vis une grande quantité d'amis de Dieu appartenant aux temps passés : combien de saints rois, d'évêques, de propagateurs du christianisme qui étaient venus de là en Allemagne travailler à notre profit ! Je vis sainte Walburge, le roi Edouard, Edgar et aussi sainte Ursule : j'appris que l'histoire des onze mille vierges, telle qu'on la raconte en disant que c'était une armée de vierges guerrières, n'est pas véritable, mais qu'il y avait entre elles une espèce d'union, comme une confraternité, semblable à celle qui existe aujourd'hui dans les associations charitables de femmes et de filles. Elles n'allèrent pas non plus toutes en même temps à Cologne. Leurs habitations étaient dispersées à d'assez grandes distances : plusieurs cependant demeuraient ensemble. J'ai vu beaucoup de misère dans le pays froid et brumeux : j'y ai vu de l'opulence, des vices et de nombreux vaisseaux. »


         « De là, j'allai au levant, par delà la mer, dans une contrée froide où je vis sainte Brigitte, saint Canut et saint Eric. Ce pays était plus tranquille et plus pauvre que le précédent, mais il était aussi froid, brumeux et sombre. Il y avait beaucoup de fer et peu de fertilité. Je ne sais plus ce que j'y ai fait ou vu. Tout le monde y était protestant. De là j'allai dans une immense contrée tout à fait ténébreuse et pleine de méchanceté, il y montait de grands orages. Les habitants étaient d'un orgueil inouï ; ils bâtissaient de grandes églises et croyaient avoir la raison pour eux. Je vis qu'on armait et qu'on travaillait de tous les côtés : tout était sombre et menaçant. Je vis là saint Basile et d'autres encore. Je vis sur le château aux toits étincelants le malin qui se tenait aux aguets, alors je me dirigeai vers le midi et le levant. »


         Elle va ensuite en Chine, comme on peut en juger par sa description, et y voit les premiers propagateurs du christianisme et les religieux martyrisés ; elle voit pourtant quelque bien se faire de nouveau dans ce pays et cela par des Dominicains. Elle voit la terre de saint Thomas et de saint François Xavier, traverse toutes les îles où le christianisme est prêché, voit spécialement une grande île où le bien est en grand progrès : les habitants y sont très-bons et accueillent l'enseignement avec joie. Il y a là des protestants et des catholiques. Les protestants sont vraiment bons et semblent incliner du côté du catholicisme : le peuple vient en foule à l'église. Il n'y a plus de place dans la ville, on élève des cabanes à l'entour : ce sont d'excellentes gens. Ils sont bruns et plusieurs d'entre eux tout à fait noirs : ils allaient presque nus, mais ils ont accepté de bon coeur tout ce qu'on a voulu et se sont vêtus comme on le leur avait prescrit. Elle a vu aussi leurs idoles et les a décrites. Cette île semble être celle pour laquelle, pendant son grand voyage, elle a spécialement prié dans la nuit de Noël. Elle parcourt encore l'Inde et rencontre les gens qu'elle avait vus dans une autre occasion puiser de l'eau sacrée du Gange et s'agenouiller ensuite isolément devant la croix : elle les trouve dans de meilleures conditions. Ils avaient quelqu'un qui les instruisait et ils pensaient à se réunir et à former une communauté. Elle voit l'endroit où a séjourné saint Thomas et tout ce qu'a fait cet apôtre : elle voit aussi ce qu'ont fait saint François Xavier et ses compagnons. Elle alla aussi dans le voisinage de la montagne des prophètes, et traversa le pays de Sémiramis où elle vit saint Simon, saint Jude et d'autres encore : du reste tout y était dans les ténèbres. Elle vit les grandes colonnes de la ville ruinée, le pays habité par Jean-Baptiste et celui où Jean l'Évangéliste écrivit son évangile. Elle traversa la terre promise et y vit la dévastation partout : presqu'aucun des saints lieux n'était plus reconnaissable, la grâce y opérait pourtant encore çà et là. Ici elle eut des visions générales, vit avec quelle profusion les moyens de salut avaient été prodigués et comment tout se perdait par la malice des hommes. Elle alla sur le Carmel où elle eut une vision touchant saint Berthold et la découverte de la sainte lance à Antioche : elle vit encore sur la montagne quelques pieux religieux des deux sexes.


         « Je vis que la relique du chevalier croisé que je possède est de Berthold. L'ermite Pierre de Provence l’entraîna avec lui à la croisade. Il fut assiégé dans Antioche avec ce même Pierre et l'armée chrétienne. Lorsque tout espoir parut perdu, il se dit : « Si nous avions la lance qui a blessé Notre-Seigneur, nous vaincrions certainement. » Et lui, Pierre et encore un autre se mirent en prière, chacun de leur côté et sans qu'ils se fussent rien communiqué les uns aux autres, pour demander à Dieu son secours. Et la sainte Vierge apparut à tous les trois ; elle leur dit que la lance de Longin était dans l'église, cachée dans un mur derrière l'autel, et elle leur ordonna de se le dire les uns aux autres. Ils lui obéirent, se recherchèrent, quoiqu'ils ne se connussent pas auparavant, puis ils racontèrent leur vision et trouvèrent la sainte lance, le fer qui n'était pas très-grand et la hampe qui était brisée en plusieurs morceaux, le tout renfermé dans un coffre placé derrière l'autel et recouvert de maçonnerie : après quoi les chrétiens remportèrent la victoire en portant devant eux la sainte lance. Berthold dans sa prière avait fait voeu, si la ville était sauvée, d'aller servir la sainte Vierge sur le mont Carmel. Il se fit donc anachorète, et fut plus tard général et fondateur de l'ordre des Carmes. »


         Elle vit là encore plusieurs saints moines et ermites, elle en vit dans le reste de la Terre sainte et tout ce qu'ils avaient fait. Elle vit aussi beaucoup de personnes qui y avaient été ravies corporellement étant en extase. Elle continua alors son voyage à travers le pays où avaient séjourné les enfants d'Israël. Tout y était sombre et dévasté ; il y avait quelques moines ignorants appartenant à une secte, mais qui avaient de la piété. Elle vit plusieurs pyramides à moitié ruinées, d'autres pyramides et des murs énormes remontant à la plus haute antiquité. Elle y vit saint Sabbas et plusieurs autres anachorètes. Elle alla ensuite au pays de saint Augustin, de sainte Perpétue et d'autres saints des premiers siècles, poussa fort loin au midi à travers d'affreuses ténèbres, visita Judith et la trouva pensive dans sa chambre. Elle a le projet de s'enfuir et de se faire instruire dans la religion chrétienne. Elle est intérieurement tout à fait chrétienne : il faut prier Dieu de lui venir en aide. Elle alla ensuite au Brésil, vit des saints là aussi, visita les îles de la mer du sud et vit plusieurs jeunes plantations chrétiennes. Elle parcourt l'Amérique, y trouve aussi un réveil du christianisme, voit sainte Rose de Lima et d'autres saints. Elle revient en traversant la mer, arrive en Sardaigne, trouve la stigmatisée Rose Marie Serra encore vivante à Ozieri, très vieille et gardant le lit ; et tout le monde étonné qu'elle puisse vivre encore. Elle voit la stigmatisée qu'elle avait vue, peu de temps auparavant, dans une ville maritime du midi, en Sicile. Elle trouve les gens de ce pays dans un état encore assez tolérable. Elle revient à Rome, y voit aussi beaucoup de choses et va en Suisse. Elle voit Einsiedeln et les anciennes. habitations des ermites, Nicolas de Flue et un autre anachorète beaucoup plus ancien dans un pays très-abandonné. Elle vit aussi, en passant, saint François de Sales et le couvent de sainte Chantal et les ténèbres qui règnent aujourd'hui. Elle alla de là en Allemagne, vit sainte Walburge, saint Kilian, l'empereur saint Henri et saint Boniface, reconnut Francfort, vit l'enfant martyr (note) et le vieux marchand dans son tombeau, passa le Rhin, vit saint Boniface, saint Goar, sainte Hildegarde et eut des visions touchant celle-ci. Il lui fut dit qu'elle avait reçu du Saint-Esprit le don de tout mettre par écrit quoiqu'elle ne pût ni lire ni écrire. C'était à elle qu'il avait été donné d'appeler le châtiment et de prophétiser contre l'empire de la méchante femme de Babylone. Personne n'a reçu autant de grâces qu'elle, beaucoup de ses révélations ont trouvé aujourd'hui leur accomplissement. Elle vit Elisabeth de Schoenau, alla en France, vit sainte Geneviève, saint Denys, saint Martin et beaucoup d'autres saints : mais elle vit une affreuse corruption, de grandes misères et des abominations horribles dans la capitale. Il lui sembla qu'elle était près de s'engloutir ; elle eut l'impression qu'il n'y resterait pas pierre sur pierre.

 

(note) Il en sera parlé ailleurs plus en détail

 

Elle alla à Liège, vit sainte Julienne, Odélienne, vit en Brabant sainte Lidwine et plusieurs tableaux de la vie de celle-ci, comment elle ne s'était aperçue ni de la putréfaction qui gagnait son corps, ni des incommodités de sa misérable couche, ni de ses larmes qui gelaient à mesure qu'elles coulaient ; comme quoi Marie se tenait près de son lit et étendait son manteau sur elle. Elle vit sainte Marie d'Oignies, dans le pays de laquelle il y avait encore une grande quantité de gens pieux. Elle revint enfin par la contrée de Bockholt et trouva sur la frontière hollandaise beaucoup de bons chrétiens. Elle avait vu aussi sainte Gertrude et sainte Mechtilde en passant par la Saxe, au commencement de son voyage, et spécialement, combien de dons et de grâces elles avaient reçus et ce qu'elles avaient fait pour l'église. Dans la contrée de l'enfant martyr, elle fit peur à deux hommes qui voulaient assassiner un pauvre et honnête courrier pour s'emparer des papiers dont il était porteur.

         Elle est toute bouleversée de ce voyage et comme près de mourir. Une foule de tableaux affligeants dans l'ensemble et dans le détail se remue dans son âme comme les flots d'une mer agitée. Elle dit que, sans l'assistance de la grâce divine, il serait impossible de supporter la vue de la centième partie des misères qui ont passé sous ses yeux. Elle a vu en même temps quelque chose comme un millier de saints et, pour une centaine d'entre eux, plusieurs de leurs visions et divers traits de leur vie. Elle a vu les douze apôtres futurs, chacun encore en leur lieu et place. Elle n'a pas vu de somnambules aujourd'hui : elle n'en a jamais vu aucune sous des couleurs favorables, mais toutes lui ont paru fort suspectes et elle en a aperçu dans le cortège de l'abominable fiancée de la maison des noces. Elle a vu plus distinctement que les autres tous les saints dont elle a des ossements et présume qu'il y a dans ce nombre des reliques d'apôtres et de disciples qu'elle découvrira plus tard.

 

         3. Dans ces pérégrinations lointaines s’entremêlaient aussi des souffrances expiatoires pour toutes les espèces d'outrages faits à son divin époux dans le saint Sacrement de l'autel : car ce n'était pas seulement dans les églises. de son pays natal, mais dans celles de toute la catholicité qu'elle était conduite par son guide afin de satisfaire par ses souffrances et ses prières pour des affronts innombrables, faits à Jésus présent sur ses autels par la tiédeur, l'indifférence et l'incrédulité dans l'oblation du saint sacrifice comme dans la réception de la sainte communion. La première communication que le Pèlerin put recevoir d'Anne Catherine à ce sujet se rapporte à la célébration de la Fête-Dieu à laquelle elle avait pris part en 1819. Voici ce qu'elle raconta :

         « Pendant toute la nuit j'ai fait la ronde près de beaucoup de personnes malheureuses et affligées, les unes connues, les autres inconnues, et j'ai prié Dieu de me faire porter le fardeau de tous ceux qui ne pouvaient pas, s'approcher du saint Sacrement, le coeur léger et joyeux. Je vis alors leurs souffrances, je les reçus et les portai sur mon épaule droite. C'était un si pesant fardeau que mon côté droit en fut accablé et plia jusqu'à terre. Je pris à chacun une partie ou la totalité de ce qu'il souffrait, selon que je pouvais l'obtenir. Les personnes me furent présentées en vision. »

         « Je reconnus dans la poitrine de chacun ce qui causait sa souffrance et je pus l'en retirer sous la forme d'un rouleau mince et mobile. Chaque rouleau me semblait aussi léger qu'une baguette mince et flexible : mais il y en avait une telle quantité que le tout fit un énorme paquet. Je pris alors mon propre supplice sous la forme d'une longue ceinture de cuir de la largeur de la main, blanche et rayée de rouge : je liai ensemble tous ces rouleaux que je pliai en deux et j'attachai ce gros et lourd paquet au-dessus de ma croix avec les deux bouts de ma ceinture. Les rouleaux étaient de couleurs différentes suivant le genre de souffrance de chacun : en cherchant bien dans ma mémoire, je pourrais encore désigner les couleurs de plusieurs personnes de ma connaissance. Je pris alors le paquet sur mon épaule et je fis une visite au Saint-Sacrement afin de l’offrir devant lui pour les souffrances des pauvres hommes qui dans leur aveuglement ne reconnaissent pas avec une foi vive ce trésor infini de consolation. J'allai d'abord dans une chapelle inachevée et sans ornements : mais pourtant Dieu y était déjà présent sur l’autel ; j'offris mon paquet et j'adorai le Saint-Sacrement. Il me sembla que cette chapelle était apparue pour me donner des forces : car je succombais presque sous mon fardeau. Je le portais plus volontiers sur l'épaule droite, en souvenir de la croix de Notre-Seigneur et de la blessure qu'elle avait faite à son épaule. J'ai souvent vu cette blessure, elle était la plus douloureuse de toutes celles qui furent faites à son corps sacré. J'arrivai enfin à un endroit où on faisait une procession et je vis en même temps en divers endroits d'autres processions semblables. Dans celle à laquelle je me joignis figuraient la plupart de ceux dont je portais les souffrances dans mon paquet : et je vis avec étonnement sortir de leur bouche, lorsqu'ils chantaient, les mêmes couleurs que portaient les rouleaux sortis de leur poitrine et qui formaient mon fardeau. Je vis le Saint-Sacrement entouré d'anges et d'esprits bienheureux revêtus d'une grande splendeur et d'une grande magnificence : lui même avait la figure d'un petit enfant lumineux et transparent au milieu d'un soleil resplendissant. Ce que je vis était inexprimable et, si ceux qui accompagnaient et portaient le Saint-Sacrement avaient pu le voir comme moi, ils seraient tombés à terre et n'auraient pu le porter plus loin, tant leur épouvante et leur stupeur eussent été grandes. J'adorai et j'offris mon fardeau. Alors ce fut comme si la procession entrait dans une église qui sembla sortir de l'air, entourée d'un jardin ou d'un cimetière. Il y avait toute sorte de fleurs rares sur les tombes, des lis, des roses rouges et blanches et des asters blancs. Du côté oriental de cette église s'avança avec une splendeur infinie une figure sacerdotale : c'était comme si c'eût été le Seigneur. Bientôt se montrèrent autour de lui douze hommes lumineux et autour de ceux-ci beaucoup d'autres encore. Moi-même j'étais bien placée, je pouvais bien voir. Mais alors sortit de la bouche du Seigneur un petit corps lumineux qui, étant sorti, devint plus grand et d'une forme plus arrêtée, puis, se rapetissant de nouveau, entra comme une figure d'enfant resplendissant dans la bouche des douze qui entouraient le Seigneur, puis dans celle des autres. Ce n'était pas le tableau historique du Seigneur faisant la cène avec ses disciples, tel que je le vois le jeudi saint, pourtant ce que je vis là me le rappela. Ici tous étaient lumineux et rayonnants, c'était un office divin, c'était comme une solennité ecclésiastique. L'église était remplie de troupes innombrables d'assistants qui étaient assis, ou debout, ou planant en l'air, ou portés sur des sièges et des gradins s'élevant les uns au-dessus des autres que je ne puis pourtant décrire comme réels et matériels, car chacun pouvait tout voir. Je vis alors entre les mains du Seigneur comme une forme indistincte dans laquelle entra le petit corps lumineux sortant de sa bouche. Et je vis cette forme devenir resplendissante, prendre des contours, arrêtés et comme environnée d'une maison ornée à la façon d'une église. C'était le Sacrement de l’autel dans l’ostensoir comme objet d'adoration : le Seigneur continuait toujours à y parler sa parole vivante, et le corps lumineux, toujours le même et toujours un, allait une infinité de fois dans la bouche de tous les assistants. »


         « J'avais déposé mon fardeau pour un moment et j'avais aussi reçu la nourriture céleste : lorsque je le repris de nouveau, je vis une troupe de personnes dont les paquets étaient tellement sales que je ne voulus rien accepter d'elles. On me dit que ces gens devaient encore être rudement châtiés, puis jugés selon la pénitence qu'ils auraient faite. Je ne ressentais aucune compassion. Je vis la fête ecclésiastique prendre fin et ce fut pour moi comme si j'avais vu là de ces hommes qui devaient réveiller et animer d'une ferveur nouvelle le sentiment très-assoupi de l’admirable mystère de la présence de Dieu se multipliant sur la terre. Cette chapelle, où je m'étais d'abord reposée avec mon fardeau, était dans une montagne, de même que j'y avais vu, étant enfant, les premiers autels et les tabernacles des chrétiens. C'était la représentation du Saint-Sacrement au temps des persécutions. Le cimetière signifiait que les autels du sacrifice non sanglant étaient placés au-dessus des tombeaux et des reliques des martyrs et qu'alors les églises elles-mêmes étaient bâties sur ces tombeaux. Je vis l’Eglise sous la forme d'Eglise céleste célébrant une fête. Le chandelier à quatre branches, était aussi placé en face de l’autel. Je vis la fête du Saint-Sacrement immédiatement par Jésus, puis par le Sacrement même, comme le trésor de l’Église. Je la vis célébrée par les premiers chrétiens, par ceux d'aujourd'hui et par ceux de l’avenir qui étaient en grand nombre et j'eus la certitude qu'elle refleurirait dans l’Église avec une nouvelle vie.


         « Le jour de la fête du saint laboureur Isidore, beaucoup de choses me furent montrées touchant l'importance de la célébration de la messe et de l'assistance à la messe ; il me fut dit, à cette occasion, combien c'était un grand bonheur que tant de messes fussent dites, même par des prêtres ignorants et indignes, parce que des dangers, des châtiments et des calamités de toute espèce étaient détournés par là. Il est bon que beaucoup de prêtres ne sachent pas bien ce qu'ils font, car s'ils le savaient, ils seraient terrifiés au point de ne pouvoir plus célébrer le saint sacrifice. Je vis la merveilleuse bénédiction qu'attire l’assistance à la messe, comme quoi elle donne au travail son effet, produit toute espèce de bien fait que rien ne se perd, et comme quoi souvent un membre d'une famille qui revient de la messe rapporte pour ce jour-là une bénédiction pour toute la maison. Je vis combien la bénédiction était plus abondante pour ceux qui assistent à la messe que pour ceux qui la font dire et y font assister à leur place. Je vis comment il était suppléé par une assistance surnaturelle à ce qu'il pouvait y avoir de défectueux dans la célébration de la messe. »

 

         4. La semaine d'avant la Pentecôte de 1820, Anne Catherine se trouva en proie à de très-grandes souffrances que son état de délaissement intérieur lui rendait presque impossibles à supporter.


         « Aujourd'hui (17 mai 1820), dit le Pèlerin ; je la trouvai toute en larmes. Clara Soentgen voulait lui amener quelques femmes étrangères qu'elle ne voulait pas recevoir. « Je suis dans un tel état, dit-elle en gémissant, qu'à chaque instant je crois que je vais mourir, et pourtant on ne me laisse pas en repos. Sa maladie (rétention d'urine et toux suffocante) est arrivée à un degré qui la rend intolérable. Elle ressent des douleurs cruelles et des élancements violents dans la plaie du côté ; en outre le désir qu'elle a du Saint-Sacrement la consume, elle est accablée d'une tristesse indicible et verse des torrents de larmes.

Elle souffre également dans le corps et dans l’âme, et elle fait pitié à voir. Elle a prié l'enfant (sa nièce) de dire trois Pater noster afin que Dieu lui donne la force suffisante pour vivre, s'il est vrai qu'elle ne doive pas mourir. L'enfant pria et elle s'unit à sa prière : après quoi elle se trouva calmée.


         18 mai. « La faim du Saint-Sacrement devient de plus en plus violente. Elle est toute languissante. Elle se lamente sur la privation de son aliment quotidien, et tombant en extase, elle crie vers son fiancé céleste : « Pourquoi mi laisses-tu ainsi languir ? sans toi je ne puis plus vivre. Toi, seul peux me secourir. Si je dois vivre, donne-moi la vie ! Quand elle sortit de l'extase, elle dit : « Mon Seigneur m'a dit que maintenant je puis voir ce que je suis sans lui. A présent les choses sont changées : il faut que je devienne sa nourriture : toute ma chair doit se consumer dans l'ardeur du désir. » Elle a en outre une quantité de tristes visions qu'elle ne veut pas raconter. Elle voit tant de détresse, tant de misères, tant d’oeuvres de ténèbres par lesquelles Dieu est tellement offensé dans ce saint temps ! »


         Dimanche de la Pentecôte, 21 mai. Le Pèlerin, qui l'avait vue hier soir semblable à une personne qui meurt de faim et versant des larmes arrachées par un ardent désir, la trouva fortifiée et rassérénée ; elle était rajeunie en quelque sorte et radieuse comme une épouse du Christ. Tout en elle respirait la joie et la sainteté. « Je me suis trouvée avec les apôtres, dit-elle, dans la salle du Cénacle. J'ai été réconfortée d'une manière que je ne puis exprimer. Une nourriture semblable à un fleuve de lumière coula dans ma bouche. Je la savourai : mais je ne savais pas d'où elle venait, je ne vis pas de main qui me la présentât : elle avait un goût d'une douceur infinie et je craignais de n'être plus à jeun pour recevoir la sainte Eucharistie le lendemain matin. Je n'étais pas ici et pourtant j'entendis très-distinctement la cloche sonner minuit : je comptai chaque coup. Je vis la descente du Saint-Esprit sur les disciples et comment l'Esprit-Saint, en ce jour anniversaire, se répand encore partout sur la terre comme une rosée, là où il trouve un vase pur et désireux de le recevoir. Je ne puis décrire cela qu'en disant que je vois çà et là une paroisse, une église, une ville, une ou plusieurs personnes éclairées tout à coup dans l'obscurité, et cela, comme si le monde entier était sous mes yeux et comme si je voyais par le jet de lumière d'une lanterne, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, un carré de fleurs, un arbre, un buisson, une ou plusieurs fleurs, ou bien encore une fontaine, une petite île dans un étang, illuminés ou plutôt pénétrés par une lumière descendant du ciel, au milieu des ténèbres environnantes. Or cette nuit, grâce à la bonté de Dieu, je n'ai rien vu que de bon : les oeuvres et l'état de ténèbres ne m'ont pas été montrés. Je vis sur toute la terre une grande quantité d'effusions de l'esprit quelquefois c'était comme un éclair qui descendait sur une église ; je voyais les fidèles dans l'église, et parmi eux ceux qui avaient reçu la grâce : ou bien j'en voyais priant isolément dans leurs demeures ou dans les églises auxquels arrivaient la lumière et la force. Cela me causait une grande joie et me donnait la confiance, qu'au milieu de ses tribulations toujours croissantes, l’Eglise ne succombera pas, puisque j'ai vu dans tous les pays du monde l'Esprit-Saint lui susciter des instruments. Oui, j'ai senti que l'oppression extérieure que lui font subir les pouvoirs de ce monde la prépare toujours davantage à recevoir une force intérieure. Je vis dans l'église de Saint-Pierre, à Rome, une grande fête avec beaucoup de lumières et je vis que le saint Père, ainsi que beaucoup d'autres, a été fortifié par le Saint-Esprit. Je n'ai pas vu là cette nuit l’église ténébreuse (protestante) qui me fait toujours horreur. Je vis aussi, en divers lieux du monde, la lumière descendre sur les douze hommes que je vois si souvent comme douze nouveaux apôtres ou prophètes de l'Église. J'ai encore le sentiment que je connais l'un d'eux et qu'il est dans mon voisinage. Je vis aussi dans notre pays quelques personnes recevoir de la force. Je connais tous ces hommes pendant la vision, mais ensuite il est rare que je puisse les nommer. Je crois avoir vu le sévère supérieur. J'ai la vive persuasion que l'oppression de l'Eglise dans notre pays tournera aussi à bien, mais que la tribulation grandira encore. »

 

         5. Le lundi de la Pentecôte, il lui fut annoncé qu’elle aurait une pénible tâche à remplir pour le Saint-Sacrement : « J'étais seule dans une grande église, accompagnée seulement de mon conducteur, et je me tenais à genoux devant le Saint-Sacrement, lequel était entouré d'une gloire au-dessus de toute description. J'y vis la figure resplendissante de l'enfant Jésus, devant lequel depuis mon jeune âge, j'ai toujours pu décharger mon coeur et porter toutes mes plaintes. Sur chaque point, la réponse me venait du Saint-Sacrement par un rayon qui entrait en moi : je reçus d'abondantes consolations et aussi de doux reproches pour mes fautes. J'ai passé presque toute la nuit devant le Saint-Sacrement, ayant mon ange à mes côtés. » Son humilité ne lui permit pas de donner plus de détails sur ce qui s'était passé dans cette vision : mais elle eut immédiatement après l'apparition de saint Augustin et celle de deux saintes religieuses de son ordre ; Rita de Cassia et Claire de Montefalco, par lesquelles elle fut préparée à des travaux par la souffrance, semblables à ceux qu'elles-mêmes autrefois avaient eu à faire pour le Saint-Sacrement. A peine Anne Catherine avait-elle terminé son court récit de la vision du Saint-Sacrement qu'elle tomba en extase, puis pendant que le Pèlerin s'entretenait avec le confesseur dans l'antichambre, elle se leva tout-à-coup dans son lit, le visage rayonnant de joie. Elle se tenait ferme sur ses pieds, ce que personne ne lui avait vu faire depuis quatre ans. Elle leva les mains au ciel et, dans cette surprenante attitude, elle récita tranquillement et dévotement le Te Deum tout entier. Son visage était défait et un peu jaunâtre : cependant ses joues étaient colorées et ses traits animés par l'enthousiasme. Sa voix était douce et agréable, tout autre que sa voix ordinaire : il y avait quelque chose de caressant et de tendre comme dans la voix d'un enfant aimant qui récite à son père des vers, en son honneur. A certaines paroles, elle joignait ses mains et baissait la tête d'un air suppliant. Elle se tenait debout, ferme et assurée dans sa pose. Son-ample robe qui lui tombait jusqu'aux chevilles lui donnait un aspect très-imposant. Sa prière, dite à haute voix, était émouvante et excitait à la piété, à la reconnaissance, à la confiance ; ses gestes étaient solennels, son visage illuminé par l'enthousiasme. « Saint Augustin, raconta-t-elle le jour suivant, était près de moi avec tous ses ornements épiscopaux et il se montrait très-affectueux. Sa présence me causa tant d'émotion et de joie que je m'accusai de ne lui avoir jamais rendu un culte particulier, mais il me dit : « Je te connais pourtant et tu es mon enfant : » Et comme je lui demandais quelque soulagement dans ma maladie, il me présenta un petit bouquet où il y avait une fleur bleue. Aussitôt, je ressentis intérieurement une saveur particulière et un sentiment de force et de bien-être pénétra tout mon corps. Le saint me dit : « Tu ne seras jamais entièrement délivrée, car ta voie est la voie de la souffrance : mais quand tu demanderas des consolations et du secours, souviens-toi de moi, je te les donnerai toujours. Maintenant lève-toi et dis le Te Deum pour remercier de ta guérison la très-sainte Trinité.

Alors je me mis debout et je priai. J'étais pleine de force et ma joie était très-grande. Puis je vis saint Augustin dans sa gloire céleste : Je vis d'abord la très-sainte Trinité et la sainte Vierge : j'aurais peine à dire comment. Il me semblait voir comme une figure de vieillard sur un trône. De son front, de sa poitrine et de la région de l'estomac partaient des rayons, formant devant lui une croix de laquelle partaient dans toutes les directions de nouveaux rayons qui se répandaient sur des choeurs et des hiérarchies d'anges et de saints. A quelque distance parmi plusieurs choeurs d'esprits bienheureux, je vis la gloire céleste de saint Augustin. Je le vis assis sur un trône, recevant de la sainte Trinité certains courants de lumière qu'il répandait ensuite sur plusieurs choeurs et plusieurs figures dont il était entouré. Je vis autour de lui des figures de prêtres revêtus des costumes les plus divers et je vis d'un coté, comme sur la pente d'une montagne, une grande quantité d'églises planer dans le ciel, semblables à ces petits nuages qu'on voit dans l'air les uns derrière les autres ; et toutes étaient sorties de lui. Cette gloire était un tableau de sa grandeur céleste.

La lumière qu'il recevait de la Trinité était l'illumination qui lui était personnelle et les choeurs qui l'entouraient étaient les divers vaisseaux, les diverses âmes qui recevaient la lumière par son intermédiaire, la versaient d'eux-mêmes sur d'autres comme des vases et pourtant recevaient aussi une lumière qui leur venait immédiatement de Dieu. Quand on voit ces choses, c'est indiciblement beau et consolant, et cela paraît naturel ; oui, plus naturel et plus intelligible que ne l'est sur la terre la vue d'un arbre ou d'une fleur. Je vis dans les choeurs qui étaient autour de lui tous les prêtres et les docteurs, tous les ordres religieux et les communautés qui étaient sortis de lui et qui sont devenus bienheureux, qui sont devenus des vases vivants de la grâce divine des réservoirs distribuant la source d'eau vive qui a jailli en lui. Je le vis ensuite dans un jardin céleste. Ce tableau était plus bas. Le premier était une vision de sa gloire, de la sphère occupée par lui dans le ciel étoilé de la sainte Trinité : celui-ci était plutôt une image de son action se continuant sur la terre, de l'assistance donnée par lui à l'Eglise militante, aux hommes vivants. Toutes les visions des jardins célestes sont placées plus bas que celles des saints vus en Dieu et dans la gloire. Je le vis ici dans un beau jardin plein d'arbres, d'arbrisseaux et de fleurs d'une beauté merveilleuse : je vis avec lui plusieurs autres saints parmi lesquels je me rappelle particulièrement saint François Xavier et saint François de Sales. Je ne les vis pas là assis et rangés en ordre comme pour une fête, mais agissant, opérant, distribuant et répandant des fruits et des fleurs du jardin, qui étaient toutes les grâces et toutes les oeuvres de leur vie. Je vis aussi dans ce jardin un très grand nombre de personnes vivantes, dont plusieurs à moi connues, et qui recevaient divers dons de différentes manières. Cette apparition des vivants dans ce jardin est quelque chose de tout particulier et comme la contrepartie de l'apparition des saints sur la terre : car je vois les vivants apparaître dans le jardin des saints comme des esprits et sous une certaine forme indéterminée, et je les vois recevoir là des fleurs et des fruits de toute espèce. J'en vois quelques-uns qui semblent élevés par la prière dans cette sphère où se distribuent les grâces : d'autres semblent les recevoir sans en avoir conscience, comme des vases choisis faits pour cela. Il y a la même différence qu'entre celui qui dans un jardin se donne de la peine pour recueillir des fruits et un autre qui les voit tomber à ses pieds, quand il passe, ou auquel ils sont donnés, suivant la volonté de Dieu, par l'intermédiaire de tel ou tel saint. »


« Après cela mon conducteur m’accompagna sur mon propre chemin, se dirigeant vers la Jérusalem céleste. Je vis que j'avais déjà beaucoup dépassé l’endroit où j'avais une fois vu de nombreux écriteaux avec des avertissements. J'eus une montagne à gravir, puis j'arrivai dans un jardin où Claire de Montefalco était jardinière. Je vis à ses mains des stigmates lumineux et autour de sa tête une couronne d'épines également lumineuse. Quoi qu'elle n'eût pas eu les marques extérieures des plaies, elle en avait ressenti la douleur. Elle me dit que c'était son jardin et que, puisque j'avais du goût pour le jardinage, elle me montrerait comment celui-ci devait être cultivé. Ce jardin avait comme un mur d'enceinte, qui toutefois n'était qu'une image symbolique, car on pouvait passer et voir au travers. Il était fait uniquement de pierres rondes, placées les unes au-dessus des autres et de couleurs variées et brillantes. Le jardin était régulièrement divisé de tous côtés en huit jolis compartiments se dirigeant vers le centre : il s'y trouvait quelques grands et beaux arbres en pleine floraison. Il y avait une fontaine et l'on pouvait faire en sorte qu'elle lançât des jets d'eau pour arroser tout le jardin. Tout contre le mur d'enceinte, s'élevaient à l’entour des ceps de vigne. Je marchai presque toute la nuit dans le jardin avec sainte Claire : elle m’enseigna la signification et la vertu de chaque plante ainsi que la manière dont je devais m'en servir. Elle passait, en disant cela, d'une planche à une autre et je ne sais plus bien d'où elle recevait les racines. Il semblait qu'elle les reçût par une voie surnaturelle, venant d'en haut ou apportées par une apparition. J'eus beaucoup de choses à faire avec elle auprès d'un figuier : je ne sais plus ce que c'était. Je me rappelle seulement qu'il y avait dans les planches du jardin beaucoup de cresson d'eau et de cerfeuil. Elle me dit que, si je sentais un goût trop doux dans la bouche, il fallait la remplir de cresson d'eau et la remplir au contraire de cerfeuil, si je sentais un goût trop amer. Ce sont des herbes que j'aimais beaucoup et que je mâchais volontiers dans mon enfance : j'aurais même voulu m'en nourrir uniquement. Ce qui me parut surtout difficile à saisir, ce fut son explication de la manière dont il fallait traiter la vigne, l’attacher, répartir les branches et les tailler : je ne pouvais pas y réussir. Ce fut aussi la dernière chose qu'elle m'enseigna dans le jardin. Pendant ce travail, beaucoup d'oiseaux voltigeaient autour de nous, se perchaient sur mes épaules et se montraient très-familiers avec moi, comme autrefois dans le jardin du couvent. Elle me montra aussi qu'elle avait les instruments de la Passion gravés dans le coeur et qu'après sa mort on avait trouvé trois pierres dans son fiel. Elle me parla des grâces qu'elle avait reçues le jour de la fête de la sainte Trinité, et me dit qu'il fallait me préparer à un nouveau travail pour cette fête. Sainte Claire m'apparut très-maigre, très-pâle et toute défaite par suite de ses mortifications. J'ai vu aussi Rita de Cassia. Priant un jour devant une croix, elle demanda par humilité une seule épine de la couronne du Sauveur crucifié. Un rayon de lumière partit de là couronne et la blessa au front. Elle y souffrit toute sa vie des douleurs indicibles. Il en sortait constamment du pus en sorte qu'on s'enfuyait loin d'elle. Je vis aussi quelle avait été sa dévotion envers le saint Sacrement. Elle m'a raconté beaucoup de choses.

 

         6. L'avant-veille de la fête de la sainte Trinité, le travail annoncé par sainte Claire de Montefalco prit commencement. Voici ce que raconta Anne Catherine : « Lorsque je vis tant de gens aller se confesser si mal préparés, je renouvelai ma prière à Dieu afin qu'il voulût bien me faire souffrir quelque chose pour leur amendement. Alors la souffrance me vint du dehors. Il me sembla que des rayons de douleur très-déliés tombaient sur moi comme des flèches et cela ne cessait pas. Enfin dans la nuit, je fus prise de souffrances si cruelles que je n'en avais jamais éprouvées de plus fortes. Elles commencèrent autour de mon coeur que je sentis comme un foyer de douleur enserré dans une flamme qui l'environnait. De ce feu dont l'impression était celle d'instruments tranchants et perçants partaient des traits qui, à travers toutes les parties de mon corps et à travers la moelle des os, arrivaient jusqu'au bout des doigts et à la pointe des ongles et des cheveux. Je sentais dans ces douleurs comme un écoulement suivi d'une réaction. Je les sentais partant d'abord du coeur, passant dans les mains, dans les pieds et autour de la tête, et de là réagissant dans le coeur, en sorte que les endroits des stigmates en étaient les points principaux. Et ce supplice alla croissant jusqu'à minuit avec une violence toujours plus grande. Avec cela j'étais éveillée, trempée de sueur, et je ne pouvais pas faire un mouvement. J'avais une seule consolation, c'était qu'il m'arrivait un sentiment obscur de la forme de la croix déterminée par les points où étaient les sièges principaux de cette douleur qui me broyait en quelque sorte. A minuit, il ne fut plus en mon pouvoir d'en supporter davantage, car dans l’état d'étourdissement où j'étais, je ne savais plus la cause de ces souffrances : alors je me tournai à la manière d'un enfant vers mon père saint Augustin et je l'implorai en toute simplicité : « Ah ! cher père, saint Augustin, tu m'as promis du soulagement, je l’invoque à mon aide : vois quelle est ma détresse ! » Le saint ne se laissa pas implorer en vain : il se présenta à moi de l'air le plus affectueux et il me dit pourquoi je souffrais - il ajouta qu'il ne pouvait me retirer ces souffrances parce qu'elles devaient être endurées dans la Passion de Jésus-Christ, mais que je

devais me consoler et que je souffrirais encore jusqu'à

trois heures. Mon supplice continua alors sans interruption, mais en même temps j'eus une grande consolation parce que je sentais que je souffrais par amour dans la Passion de Jésus et qu'en lui je satisfaisais pour d'autres à la justice divine. Je sentis que je portais secours : animée de ce sentiment, je mis dans ces souffrances tout ce qui me tenait au coeur, et je profitai de la grâce de la souffrance expiatoire avec une confiance cordiale dans la miséricorde du père céleste. Saint Augustin me dit encore que je devais me souvenir qu'il y a trois ans, le matin de la Toussaint, j'avais été à la dernière extrémité, qu'alors mon époux céleste m'était apparu et qu'il m'avait laissé le choix, ou de mourir et de souffrir encore dans le purgatoire, ou de continuer à vivre dans les souffrances : sur quoi je lui avais dit : « Seigneur, dans le purgatoire je ne puis servir à rien avec mes souffrances ; si donc cela n'est pas contraire à votre volonté, laissez-moi vivre et souffrir tous les martyres possibles, pourvu que je puisse secourir par là, ne fût-ce qu'une seule âme. » Alors, comme j'avais d'abord prié pour ma dissolution, mon Sauveur m'avait accordé ma seconde demande d'une vie prolongée dans les souffrances. Je me souvins distinctement de ce voeu que me rappelait le saint patriarche de mon ordre et, depuis ce moment jusqu'à trois heures, j'endurai avec calme et action de grâces les tortures les plus atroces. L'excès de la douleur excita chez moi des sueurs comme celles de l’agonie et m'arracha les larmes les plus amères.

 

         7. « J'eus après cela une vision de la très-sainte Trinité. Je vis une figure de vieillard resplendissant sur un trône. De son front émanait une lumière d'une pureté indescriptible et sans aucune coloration, de sa bouche sortait : un fleuve de lumière qui déjà était un peu plus coloré, plus jaune et plus couleur de feu ; du milieu de sa poitrine, de la région du coeur, rayonnait une lumière colorée. Tous ces rayons de lumière, se croisant, produisaient une croix de lumière qui semblait se former dans l'air devant la poitrine du vieillard, et qui brillait comme un arc-en-ciel. Et c'était comme si le vieillard posait ses deux mains sur les bras de la croix. Je vis partir de cette croix d'innombrables rayons qui tombaient sur les choeurs célestes et sur la terre : : tout en était-rempli et vivifié. Un peu plus bas à droite, je vis le trône de la très-sainte Vierge Marie et je vis un rayon allant du vieillard à elle et un rayon allant d'elle à la croix. Tout cela est absolument impossible à exprimer ; mais dans la vision, quoiqu'on soit tout ébloui et comme noyé dans la lumière, cela devient par là même parfaitement intelligible : cela est un et triple, vivifie tout, éclaire tout et suffit à tout d'une manière infinie. Je vis les anges sous le trône dans un monde de lumière tout à fait incolore. Plus haut je vis les vingt-quatre vieillards avec une chevelure argentée, entourant la très-sainte Trinité. Je vis tout le reste de l'espace infini rempli de différents saints dont chacun formait comme un centre entouré de ses choeurs. Je vis saint Augustin à la droite de la Trinité, beaucoup plus bas que Marie et entouré de tous ses choeurs de saints. Parmi tout cela se voient de tous les côtés des jardins, des demeures lumineuses et des images d'églises. C'est, comme si l'on passait au milieu des astres du ciel, s'en rapprochant et s'en éloignant tour à tour : ces vases de la gloire divine présentent la plus grande diversité, dans leur forme et dans leur aspect, mais tous sont remplis de tout par Jésus-Christ : c'est partout la même loi, la même substance et pourtant une forme différente, mais à travers chacune passe la voie droite allant vers la lumière du Père par la croix du Fils. Je vis aussi, procédant de la Mère de Dieu, une longue série de figures royales féminines. C'étaient des vierges qui portaient des couronnes et des sceptres, mais elles ne semblaient pas être des reines de la terre ; elles paraissaient des esprits ou des âmes qui s'étaient efforcées de suivre Marie où qui l'avaient précédée. Elles semblaient ses servantes de même que les vingt-quatre vieillards étaient les serviteurs dé la Trinité. Tout ce monde célébra la fête par un mouvement merveilleusement solennel des parties entre elles et du tout ensemble ; je ne peux comparer cela qu'à de la belle musique. Je vis dans ce mouvement solennel tous les saints et les bienheureux avancer comme en procession ou former plusieurs processions au-dessous du trône de la très-sainte Trinité. C'était comme les étoiles tournant dans le ciel autour du soleil : et je vis alors en bas sur la terre d'innombrables célébrations de la fête de ce jour et des processions correspondant à la fête céleste. Mais comme tout cela apparaissait misérable, sombre, décousu, plein de lacunes ! Quand on le regardait d'en haut, c'était comme si l'on eût regardé dans un profond bourbier. Cependant il s'y trouvait encore beaucoup de bon par endroits. Je vis aussi de là, entre autres choses, la procession qui avait lieu ici, à Dulmen ; j'y remarquai un pauvre enfant misérablement vêtu et sa demeure. Il faudra que je l'habille (note).

 

(note) « Il est singulièrement touchant ; dit à ce propos le Pèlerin, de voir sa bonté compatissante, après toutes ces impressions d'une merveilleuse grandeur, fixer les yeux de l'âme sur ce pauvre enfant mal vêtu et le chercher jusque dans sa demeure. Elle le vit passer devant chez elle. « Ah ! disait-elle, combien j'aurais aimé à enlever tout de suite cette pauvre créature en haillons et à l'habiller en haut prés de moi ; il marchait d’un air si triste au milieu des autres enfants en habits de fête ! » Si une personne placée dans de pareilles circonstances voit et sent ainsi, combien grande doit être la compassion des anges, des saints nos frères qui sont dans le ciel ; de Marie, de Jésus et de Dieu qui aiment davantage et voient plus clair ! Comment celui qui prie avec foi désespérerait-il ? »

 

8. Le soir du dimanche de la sainte Trinité, on dansa au son des instruments dans la partie antérieure de la maison. Le jour d'après, elle raconta ce qui suit : « J'ai eu cette nuit le grand chagrin de voir continuellement dans la maison des danses indécentes et un affreux vacarme. Je vois alors en premier lieu le rassemblement tumultueux dans son ensemble et toujours le diable y figurant sous forme corporelle : je vois ensuite les individus, comment l’ennemi les pousse et leur inspire des désirs de toute espèce, comment leur ange gardien les appelle de loin, et comment ils se tournent du côté de l’esprit malin. Je ne vois rien de bon venir de là, et personne ne s'en va sans avoir éprouvé quelque dommage. Je vois des animaux de toute espèce les accompagner et je vois leur intérieur plein de taches noires. Il m'a fallu aussi cette nuit aller souvent là et faire peur aux gens pour empêcher du mal. Pour ma consolation, j'ai eu des visions touchant la vie de saint François de Sales et de sainte Françoise de Chantal, et spécialement touchant leur union spirituelle. Je vis là combien souvent François de Sales fut consolé et conseillé par elle. A l’occasion d'une odieuse calomnie qui lui fut très-pénible, je le vis consolé par Françoise qui s'affligeait de voir qu'il en était trop vivement affecté. Ils me montrèrent la fondation, la propagation et la décadence de l’ordre de la Visitation et me parlèrent de la rénovation des familles de l’ordre. J'entendais leurs paroles comme si elles m'arrivaient de loin. Ils disaient que l'époque actuelle était bien triste, mais qu'après beaucoup de tribulations, il viendrait un temps de paix où la religion reprendrait son empire et où il y aurait parmi les hommes beaucoup de cordialité et de charité, et qu'alors beaucoup de couvents refleuriraient dans le vrai sens du mot. Je vis aussi une image de ce temps éloigné que je ne puis décrire, mais je vis sur toute la terre la nuit se retirer et la lumière et l’amour répandre une nouvelle vie. J'eus à cette occasion des visions de toute espèce sur la renaissance des ordres religieux (note). Le temps de l’Antéchrist n'est pas si proche que quelques-uns le croient. Il aura encore des précurseurs. J'ai vu dans deux villes des docteurs, de l’école desquels pourraient sortir de ces précurseurs.

 

         9. Le 30 mai, veille de la Fête-Dieu, ses souffrances recommencèrent comme pour la fête de la sainte Trinité. « Je sentis encore une fois les douleurs, fondre sur moi comme des rayons très-déliés. Ils me transperçaient intérieurement dans toutes les directions comme des fils d'argent très-fins. J'ai en outre tant de personnes à porter et à traîner, que j'en suis toute brisée, et qu'il n'y a pas un os dans mon corps qui ne soit comme broyé. Quand je me réveille, les doigts du milieu de mes deux mains sont toujours raides, paralysés et recourbés : j'ai en outre, toute la nuit, à l'endroit des plaies, des douleurs extrêmement vives.

 

(note) Il n'est pas sans intérêt de rechercher comment sainte Hildegarde aussi, caractérisant le temps actuel par des traits extrêmement frappants, prédit le renouvellement de la vie de l'Église qui doit le suivre. Après avoir décrit le déchirement de l'empire germanique et l'hostilité croissante contre le chef de l'Église de la part des pouvoirs séculiers, elle parle ainsi :

« En ce temps-là le Pape ne maintiendra sous la souveraineté de la tiare que Rome seule et quelques faibles parties des territoires adjacents. Cette spoliation s'accomplira en partie par des invasions à main armée, en partie par des conventions et des mesures concertées entre les peuples… Après cela l'impiété aura le dessous pendant un certain temps. Elle essayera, il est vrai, de relever la tête, mais la justice se maintiendra si ferme et si forte que les hommes de ce temps reviendront en toute honnêteté aux anciennes moeurs et à la sage discipline des temps anciens, et qu'ils les pratiqueront fidèlement comme ç'avait été la coutume de leurs ancêtres. Bien plus, les princes et les puissants, comme les évêques et les supérieurs ecclésiastiques prendront exemple sur ceux d'entre eux qui observeront la justice et mèneront une vie louable. Il en sera de même parmi les peuples qui travailleront à s'améliorer les uns les autres parce que chacun considérera comment celui-ci on celui-là s'élève à la pratique de la justice et de la piété. Liber divirorum operum, pars III, Visio X, c. 25, 26.

 

J'ai eu beaucoup de visions sur l’irrévérence et la froideur envers le saint Sacrement et sur le mauvais accueil qu'on lui fait souvent en le recevant par pure routine : j'ai vu aussi bien des gens aller à confesse très-mal préparés. A chaque vision particulière qui m'était montrée, j'adressais mes supplications au très-saint Sacrement, demandant au Seigneur de pardonner à ces personnes et de les éclairer. Je fus aussi conduite par mon guide dans toutes les églises principales de mon pays natal et je vis partout où en est le culte rendu au saint Sacrement. C'était dans l’église d'Ueberwasser, à Munster, que les choses allaient encore le mieux. J'aperçus souvent autour des églises comme des bourbiers et des marécages dans lesquels je voyais les gens enfoncés : il me fallait les en retirer, les laver, puis souvent les traîner après moi au confessionnal. Mon guide me présentait toujours de nouvelles misères, et me disait : « Allons ! souffre encore pour celui-ci, etc. » Au milieu de tout cela, j'étais tellement malheureuse que je pleurais souvent comme un enfant. Mais je n'étais pas non plus sans consolation. Je vis sous des formes variées la grâce opérer merveilleusement par le saint Sacrement ; je vis comment une lumière se répandait sur tous ses adorateurs ; bien plus, comment ceux mêmes qui n'y pensaient pas tiraient profit de son voisinage. En dernier lieu j'allai dans l'église d'ici et j'y vis le Pèlerin traverser le cimetière et se souvenir des morts. Cela me réjouit et je me dis : « Il vient donc à moi (note). » Saint François de Sales, sainte Chantal, saint Augustin et d'autres encore me consolèrent : je vis aussi que je soulageais des maux, que je guérissais des maladies et que mes souffrances étaient unies à la Passion de Jésus. »

 

(note) C'était vers six heures du matin, au moment où en effet le Pèlerin allait à la messe. Pourquoi tout le reste de ce qu'elle a vu serait-il moins vrai que ce fait très-réel ? (Note du Pèlerin.)

 

         « J'eus aussi une vision sur l’abbé Lambert qui accomplit aujourd'hui sa soixantième année. Je le vis se traîner dans sa chambre avec son pied malade et je vis que lui-même rapetissait toujours. Je le vis ensuite ne pouvant plus se lever et obligé de garder constamment le lit, et avec cela devenant toujours plus petit, si bien que plusieurs fois je le perdis de vue. Il me fut dit que, s'il ne devient pas tout à fait comme un innocent petit entant, il ne pourra pas, entrer dans le ciel, et cette maladie lui est avantageuse pour cela. Or, comme je le croyais déjà devenu très-petit, je vis tout à coup un bel enfant lumineux se placer à ses côtés comme s'il voulait se mesurer avec lui. Mais il était toujours plus grand que l'enfant. Et j'appris qu'il devait devenir précisément de la taille de cet enfant pour arriver à la béatitude.

 

         10. Au milieu de ces souffrances qui se succédaient sans interruption, elle eut, à la Fête-Dieu, des visions très-riches sur l’institution du saint Sacrement et sur toute l’histoire de son culte jusqu'au temps présent, mais elle était tellement épuisée qu'elle put seulement communiquer ce qui suit

         « J'eus une vision sur l’institution du saint Sacrement. Le Seigneur était assis au milieu d'une table, du côté le plus long : à sa droite était Jean, à sa gauche un apôtre d'une figure agréable et d'une taille élancée qui avait beaucoup de ressemblance avec Jean, près de celui-ci était assis Pierre qui se penchait souvent en avant sur lui. Au commencement je vis le Seigneur s'asseoir et enseigner pendant quelque temps. Ensuite il se leva et tous firent de même. Tous le regardaient en silence, désireux de savoir ce qu'il ferait. Mais je vis qu'il éleva le plat avec le pain, leva les yeux au ciel, et rompit le pain en morceaux, après y avoir fait des entailles avec le couteau en os. Je le vis ensuite remuer la main droite au-dessus, comme pour bénir. Comme il faisait cela, il sortit de lui une lumière éclatante ; le pain devint lumineux, lui-même devint resplendissant et comme perdu dans la lumière : cette lumière se répandit sur tous ceux qui étaient présents et entra pour ainsi dire en eux. Alors tous devinrent plus recueillis et plus fervents. Je vis Judas seul dans les ténèbres et repoussant cette lumière. Jésus éleva le calice, il leva aussi les yeux au ciel et bénit le calice. Pour rendre ce que je vis se passer en lui pendant cette sainte cérémonie, je ne puis trouver qu'une seule expression : je vis et je sentis qu'il se transformait. Après cela le pain et le calice furent de la lumière. Je vis qu'il tenait les morceaux posés sur une assiette plate, semblable à une patène, et qu'il mit ces morceaux avec la main droite dans la bouche de chacun des assistants : il commença, à ce que je crois, par sa mère qui s'avança vers la table entre les apôtres, lesquels se tenaient debout vis-à-vis Jésus. Je vis alors de la lumière sortir de la bouche du Seigneur ; je vis le pain resplendir et entrer dans la bouche des apôtres comme une figure humaine lumineuse. Je les vis tous comme pénétrés de lumière, je vis Judas seul sombre et ténébreux. Le Seigneur prit aussi le calice et les y fit boire. Ici encore je vis la lumière se répandre dans les apôtres. Après la cérémonie, je les vis tous se tenir debout quelque temps, pleins d'émotion, puis la vision disparut. Les morceaux que le Seigneur donna avaient pris deux compartiments dans la largeur du pain, en sorte qu'ils avaient comme un sillon au milieu. »

         Elle eut ensuite une longue série de visions sur les changements survenus dans la forme du sacrement, dans sa distribution et dans son culte. Malheureusement les fatigues et les souffrances de la nuit l'avaient réduite à un tel état de faiblesse qu'elle ne put raconter que ce qui suit :

         « Je vis le pain dont on faisait usage pour la cène devenir toujours plus blanc et plus mince. Je le vis déjà, à Jérusalem, devenir plus petit, dès le temps des apôtres, en sorte que Pierre ne donnait aux communiants qu'une portion moindre de moitié que celles qui avaient été données lors de l'institution. Dans la suite je vis ces parcelles de forme carrée et enfin plus tard de forme ronde. Lorsque les apôtres se furent dispersés dans des contrées éloignées, les chrétiens n'ayant pas encore d'églises, mais seulement des salles où ils se rassemblaient, je vis que les apôtres avaient le sacrement chez eux et que quand ils le portaient à l’église, les fidèles le suivaient pleins de vénération, ce qui fut l’origine des processions et du culte public. Au commencement je vis les églises comme des lieux de réunion d'une grande simplicité. Plus tard les chrétiens obtinrent, même des païens, des temples spacieux et ces édifices reçurent une consécration. Alors déjà le Saint-Sacrement y était conservé. Je vis aussi que les chrétiens recevaient les saintes espèces dans la main et les mangeaient ensuite. Je vis que les femmes devaient les recevoir dans un petit linge. Je vis aussi qu'à une certaine époque, les chrétiens pouvaient emporter le Sacrement chez eux : ils le suspendaient à leur cou dans une botte ou une petite cassette à coulisse où il reposait dans un petit linge. Je vis que, lorsque cette coutume cessa d'être générale, on permit encore longtemps de la suivre à diverses personnes pieuses. J'eus ainsi successivement plusieurs visions touchant le Saint-Sacrement, la manière de le recevoir, le culte qui lui était rendu : j'en eus aussi sur la communion sous les deux espèces. Je vis au commencement et à certaines époques les chrétiens animés d'une foi vive, ayant beaucoup de simplicité et beaucoup de lumières ; dans d'autres temps je les vis séduits, égarés, persécutés. Je vis l'Église, lors que la dévotion et la vénération envers le Saint-Sacrement s'affaiblirent, poussée par l’Esprit-Saint à introduire divers changements dans ses usages chez ceux qui se séparaient de l’Église, je vis la cessation du sacrement lui-même. J'appris aussi les causes de chaque changement. Je vis instituer la Fête-Dieu avec les honneurs rendus publiquement au Saint-Sacrement, à une époque de grande décadence, et je vis par là des grâces incalculables arriver aux fidèles et à toute l’Église. Parmi plusieurs autres tableaux, je vis une grande solennité dans une ville à moi connue, Liège, si je ne me trompe. Je vis ensuite dans un pays éloigné où il fait très-chaud et où viennent des fruits qui ressemblent à des dattes, les chrétiens rassemblés dans l'église d'une ville et, pendant que le prêtre était à l’autel, un effroyable tumulte devant cette église. Un tyran farouche s'avançait monté sur un cheval blanc et plusieurs hommes l’entouraient, conduisant un animal des plus sauvages qui était comme enragé et qui jetait partout l’épouvante. Il semblait que le tyran voulût, par manière d'insulte, faire entrer cet animal dans l’église. Et je crus l’entendre dire que maintenant les chrétiens allaient voir si leur Dieu de pain était vraiment un Dieu. Ceux qui étaient dans l’église étaient terrifiés : mais je vis le prêtre donner la bénédiction avec le Saint-Sacrement du côté par lequel venait le tyran avec la bête féroce. Au même instant, je vis l’animal furieux frappé d'immobilité et comme ayant pris racine dans le sol. Alors le prêtre s'approcha de la porte avec le Sacrement et à peine fut-il en face de l’animal que celui-ci s'avança humblement et tomba sur ses genoux, sur quoi je vis le tyran et ceux qui l'accompagnaient entièrement changés. Ils s'agenouillèrent aussi, entrèrent dans l’église tout bouleversés, avec une contenance très-humble, et se convertirent. - J'eus aussi à endurer cette nuit des tourments intérieurs d'une violence inexprimable, au point que souvent j'étais prête à pousser des cris. Cette douleur se fait sentir à travers tous les membres et je vois en même temps des visions de toute espèce qui m'apprennent pourquoi je suis ainsi torturée. C'est pour toutes les fautes commises par les fidèles des paroisses et en général par les membres de l'Eglise, dans la réception du Très-Saint Sacrement et dans le culte qui lui est rendu. J'ai eu aussi une vision que je ne puis rapporter clairement et où j'ai vu comment le Seigneur lui-même dans les endroits où il y a de mauvais prêtres, protège les paroisses par des voies merveilleuses et réveille la piété chez les particuliers.

 

11. Le 2 juin le Pèlerin la trouva le visage serein, mais toute brisée par les souffrances. Elle pouvait à peine faire un mouvement et ne savait plus rien de toutes les visions de la nuit, sinon qu'elle avait été tout le temps en proie à un supplice qui allait toujours croissant et se faisait sentir dans tous ses membres, jusqu'au bout des doigts, par des douleurs poignantes. Ces douleurs avaient toujours une signification déterminée et étaient destinées à expier ou à détourner telle ou telle chose. Elle savait aussi tout le temps pourquoi elle souffrait et, à l’entrée de la nuit, elle avait eu de nouveau la vision du jardin de sainte Claire de Montefalco, qui lui avait montré que les huit compartiments de ce jardin signifiant les huit jours de la fête du Saint-Sacrement et qu'elle en avait déjà mis trois en culture. Elle eut encore des explications mystiques sur la signification des plantes et le genre de souffrance qu'elles indiquent.


3 Juin. « Je la trouvai de nouveau toute brisée par la souffrance. Elle a enduré cette nuit des peines indicibles elle a aussi vu bien des misères particulières dans des visions où diverses personnes se recommandaient à ses prières. Elle ne peut presque pas parler et me prie de penser dans la prière à deux cas où il s'agit de maux très-grands. Elle a d'abord vu une famille habitant la campagne, plongée dans l’inquiétude et l'angoisse à cause d'un malheur qui la menaçait. L'autre fois, il s'agissait de chagrins et de misères qui vont assaillir une famille de la ville à cause de ses péchés. Ces affaires lui sont recommandées intérieurement d'une façon toute particulière. Le dimanche dans l'octave de la Fête-Dieu, le Pèlerin la trouva comme elle était depuis la veille de la fête, mais dans un état de prostration encore plus grande, si c'était possible, par suite des tortures endurées afin de satisfaire de diverses manières pour certains pécheurs et pour l’Église. « Je passe la nuit, dit-elle, dans un martyre inexprimable, parfaitement éveillée et avec la pleine conscience de moi-même : mes douleurs ne sont interrompues que par la vision de diverses personnes dans la détresse et ayant besoin de secours, lesquelles s'approchent de mon lit comme les gens qui me visitent pendant le jour et se recommandent à mes prières, racontant ou montrant leur détresse. » Elle est tellement fatiguée de son travail qu'elle croit d'abord n'avoir eu aucune vision ; cependant elle raconte plus tard ce qui suit : « Je me trouvai dans une grande église : je vis préparer la table de communion qui était d'une longueur incroyable. Il y avait au dehors beaucoup de maisons et de palais ; je vis des prêtres et des laïques entrer dans les maisons pour convoquer ceux qui les habitaient à la réception du Sacrement : mais je vis qu'on s'excusait de mille manières et partout les motifs étaient différents ainsi je vis dans une de ces maisons des jeunes gens badiner et s'amuser à des bagatelles, etc. Je vis les serviteurs sortir de nouveau et inviter sur les chemins toute espèce de pauvres, d'impotents, de boiteux et d'aveugles. Je vis alors entrer un très-grand nombre de ces infirmes ; les aveugles étaient conduits et les paralytiques portés par ceux qui priaient pour eux. J'eus tant de travail à faire que je succombais presque à la peine. Je reconnus beaucoup de ces impotents que cependant, lorsque je suis à l’état de veille, je sais être en parfaite santé. Je demandai à un bourgeois aveugle comment il avait perdu la vue, car je l'avais cru jusque-là sans infirmité. Mais il ne voulait pas admettre qu'il fut aveugle. Je trouvai aussi une femme que j'avais connue toute petite et que je n'avais pas vue depuis, et je lui demandai si ce n'était pas après son mariage qu'elle était devenue impotente : mais elle aussi ne croyait pas l'être. Il se passa encore beaucoup de temps avant que l'église fût pleine. »


         Dans l’après-midi, Anne Catherine fit appeler un bourgeois pour l'exhorter à la douceur envers sa femme qu'il avait maltraitée. Il pleura beaucoup : la femme doit aussi venir. Elle fit cela par suite d'un avertissement intérieur. - Les enfants qu'elle avait habillés pour la fête vinrent aussi près d'elle et la remercièrent les larmes aux yeux. Après cela elle retomba dans ses douleurs morales, elle tremblait de tout son corps ; ce n'est pas assez dire, ses membres s'agitaient convulsivement par l'excès de la douleur. En outre les doigts du milieu étaient de nouveau contractés et recourbés, les plaies devenaient rouges. Son visage avec cela était toujours serein et aimable, bien plus, animé par la joie de souffrir avec Jésus : mais ses souffrances devinrent bientôt de plus en plus violentes. Elle dit, étant en extase, qu'elle subissait maintenant une rude épreuve ; qu'elle était venue vers midi, près du figuier qui est dans le jardin et qu'elle avait mangé une figue, mais que ces fruits ne renfermaient que des tourments. Maintenant il lui reste quatre planches à mettre en culture (quatre jours de l'octave). Il y a encore près de la fontaine un rosier couvert de roses qui est tout entouré d'épines. Elle n'a pas d'ossement de sainte Claire de Montefalco : celle-ci est venue vers elle d'elle-même comme étant du même ordre et aussi parce qu'elle a souffert de la même manière : elle veut lui rendre plus facile le travail dans le jardin qui est sa tâche pendant cette octave. La souffrance redouble. « Oh ! que ces quatre jours ne sont-ils passés ! » dit en soupirant le Pèlerin.

 

         12. Ces souffrances continuèrent sans interruption jusqu'au soir du 7 juin. Ce n'étaient pas des douleurs locales, mais des souffrances terribles dans tous les os et tous les nerfs, accompagnées de sueurs abondantes qui, en se refroidissant, amenaient fréquemment des accès de toux avec crachements de sang. Souvent la langue, pendant des heures entières, se contractait convulsivement et rentrait dans le gosier. Sainte Claire de Montefalco continuait à l'accompagner lors de ses travaux dans le jardin spirituel. Aux approches du matin, elle vit pourtant finir avec regret cette nuit, malgré les tourments qu'elle avait eus à subir pendant sa durée et qui avaient traversé ses os comme des éclairs, de la grêle, des tourmentes de neige et des jets de flamme : car, pendant le jour, elle avait en outre à supporter toute sorte de dérangements extérieurs qui mettaient sa patience à la plus rude épreuve.


         Le 5 juin, elle eut une vision touchant saint Boniface. « J'étais, dit-elle, dans une église au milieu de laquelle étaient des gradins élevés où j'aperçus le saint évêque. Ces gradins étaient occupés par des personnes de tout âge et de tout sexe, portant des costumes antiques, quelques-unes même vêtues de peaux de bêtes. Ils écoutaient, la bouche ouverte, avec beaucoup de simplicité et d'innocence, et je vis descendre sur le saint évêque une lumière semblable à des rayons partant de l'Esprit saint qui se répandit autour de lui sur ses auditeurs dans une mesure différente. Boniface était un homme robuste, de grande taille et plein d'enthousiasme. Je l’entendis expliquer comment le Seigneur choisissait ceux qui étaient à lui et leur donnait de bonne heure sa grâce et son saint Esprit : « mais, ajouta-t-il, des hommes devaient coopérer, maintenir les grâces vivantes en eux et en faire usage : car elles sont données à chacun, disait-il, pour qu'il devienne un instrument dans la main de Dieu. La force et l’aptitude sont données à chaque membre afin qu'il agisse, non-seulement pour lui-même, mais pour le corps tout entier. Le Seigneur nous donne notre vocation dès l'enfance, celui qui ne coopère pas à entretenir la vie de la grâce, qui ne la fait pas fructifier en lui-même ou ne vient pas en aide à son action dans les autres, celui-là dérobe au corps un secours qu'il lui doit et devient par là coupable de vol envers la communauté. L'homme doit donc considérer que ce qu'il a à aimer et à assister dans autrui, c'est un membre du même corps, un instrument de l’Esprit saint que le Seigneur s'est choisi. C'est là ce que les parents doivent surtout voir dans leurs enfants : ils ne doivent pas les rendre incapables de devenir les instruments dont le Seigneur veut se servir dans l'intérêt de son corps qui est l'Église, mais maintenir et développer la vie en eux et les amener à donner leur coopération : ils ne peuvent pas se faire une idée du grand tort qu'ils font à la communauté en agissant en sens contraire. » Il me fut aussi montré intérieurement comment, malgré la méchanceté des hommes et la décadence de la religion, l'Église n'a jamais manqué à aucune époque de membres vivants, agissants, que l’Esprit saint suscite afin qu'ils prient pour les manquements de toute la communauté, et qu'ils souffrent en esprit de charité. Et dans les temps où ces membres vivants ne sont pas connus, ils ont une action cachée d'autant plus efficace ; et c'est aussi le cas au temps présent. Je vis alors dans toutes les parties du monde, au milieu de contrées plongées dans les ténèbres, des scènes où figuraient des gens pieux priant, enseignant, souffrant travaillant pour l'Église. Parmi toutes ces visions qui me donnaient de la joie et me fortifiaient au milieu de mes souffrances, celles qui suivent m'ont particulièrement fait du bien. »

         « Je vis dans une grande ville maritime, très-éloigné d'ici dans la direction du midi, une religieuse malade logée chez une pieuse veuve pleine d'activité. Elle me fut montrée comme une personne pieuse, choisie de Dieu afin de souffrir pour l'Église et pour des nécessités de toute espèce. Je vis qu'elle avait les stigmates, mais cela n'était pas connu. Elle était grande, d'une maigreur extrême : elle était venue là d'un couvent supprimé dans un autre endroit et elle avait été accueillie par la veuve qui partageait tout ce qu'elle avait avec elle et avec quelques prêtres. La religion des autres habitants de la ville, ne me plaisait pas. Ils avaient beaucoup de pratiques extérieures de dévotion et ne s'en livraient pas moins ardemment au péché et à toute espèce de débauches. »

         « Loin de ce lieu, plus au couchant, je vis dans un ancien couvent supprimé un vieux frère très-faible qui ne pouvait plus faire que quelques pas dans sa chambre. Il me fut aussi montré comme un instrument de prière et de souffrance pour le prochain et pour l'Église. Je vis beaucoup de gens affligés, et aussi des malades et des pauvres, trouver auprès de lui consolation et assistance. Il me fut dit que de tels instruments n'ont jamais manqué ne manqueront jamais à l'Église de Dieu et qu'ils sont toujours placés par la Providence là où ils sont le plus nécessaires, tout près de la plus grande corruption.


         Le mercredi 7 juin, à 9 heures du soir, comme le mal était arrivé à son apogée, les douleurs tombèrent et se retirèrent sensiblement de ses os. Dans les derniers jours, après que tout avait été torturé en elle, c'était surtout la peau qui souffrait sur tous les points des douleurs intolérables. Avec la cessation des grandes souffrances commença une prostration semblable à la mort. Elle ne pouvait ni remuer un membre, ni faire un signe, ni émettre un son, ni donner une marque quelconque de son existence. Son confesseur en fut très inquiet et lui adressa plusieurs questions : elle le comprit bien, mais ce fut seulement au bout de quelques heures qu'elle put dire, en versant des larmes et en balbutiant, qu'il lui était impossible de répondre, qu'elle était comme morte, que toutefois les douleurs étaient passées. Le lendemain matin, jeudi, le Pèlerin la trouva pâle comme un cadavre, mais sans souffrance. Suivant ce qu'elle disait, elle s'était affaissée sur le chemin après avoir atteint le but ; on ne pouvait pas dire qu'elle fût morte à la peine, mais il n'était pas certain qu'elle se relevât des suites de cet état. Elle dit plus tard que le médecin avait parlé de quinquina, mais qu'elle lui avait fait entendre qu'elle n'avait nullement la fièvre pour le moment, et que dans les douleurs de cette espèce, elle éprouvait toujours un grand froid. Dieu seul, ajouta-t-elle, pouvait lui porter secours (note). Elle dit que Jésus, son époux céleste, l'avait seul secourue, qu'elle avait senti son approche, ce qu'il lui communiquait, le soulagement qu'il lui apportait ; qu'il s'était montré d'une douceur et d'une bonté ineffables.

 

(note) Aucun remède n'a jamais pu faire obstacle aux desseins de Dieu sur elle. Ainsi, nous autres hommes, nous sommes aveugles en tout et toute science parait être seulement un aveuglement spécifique.

(note du Pèlerin.)

 

Claire de Montefalco avait été aussi près d'elle et lui avait dit que maintenant le travail était achevé, que le jardin était ce martyre qu'elle avait enduré, que le cep de vigne était le sang de Jésus-Christ, que la fontaine jaillissante était le saint Sacrement, que le vin et l'eau devaient être mêlés ensemble : Quant au rosier près de la fontaine qui avait tant d'épines, on ne devait y arriver que tout à fait à la fin. La malade est trop faible pour donner plus de détails, cependant elle avoue qu'au point du jour elle a récité en action de grâces le Te Deum et les Psaumes de la pénitence avec leurs litanies : mais maintenant il faut qu'elle ait quatre jours de repos, qu'elle ne s'occupe de rien, qu'elle s'abandonne à Dieu seul, autrement il lui faudrait mourir par suite des tourments qu'elle a endurés. Lorsqu'elle pense à ses cruelles douleurs, elle ne peut s'empêcher de pleurer au souvenir de leur violence et de la miséricorde exercée envers elle. Son entourage ne peut se défendre d'une vive compassion à la vue de son effrayant état de maigreur.


         Ce repos si instamment demandé ne lui fut point accordé. Il ne vint dans l'esprit à personne de son entourage, pas même au Pèlerin, de prendre ses paroles à la lettre quoique ledit Pèlerin fût obligé de dire, à la date du 9 juin : « Je l'ai trouvée pâle comme une morte et très-faible. Elle ne peut trouver de repos, personne ne détourne d'elle ce qui peut la troubler. Elle a dit qu'après avoir accompli son martyre en union avec la Passion de Jésus, elle doit aussi maintenant avoir trois jours de repos pour son corps, de même que le corps de Jésus a reposé dans le tombeau. Elle ne sait pas si elle se tirera de là

le médecin voulait la frictionner avec un spiritueux : mais son confesseur, qui s'attendait à la voir mourir, a pris sur lui de faire des représentations et la chose en est restée, là. » Pourtant elle pouvait à peine se défendre contre les interrogations et les enquêtes du Pèlerin, parce «qu'il voulait conclure de son état intérieur et de la continuation de ses visions que ce n'était pas encore la fin, quoique le confesseur doutât fort qu'elle revînt de là. » Ce dernier se tenait près du lit de la malade et il se dit qu'il pourrait la réconforter en lui tendant les doigts consacrés par l'onction sacerdotale : à peine cette pensée lui était-elle venue à l'esprit qu'elle releva tout à coup la tête et la porta vers la main du prêtre.

 

         13. Dans cet état de délaissement le secours lui vint de sainte Claire de Montefalco, de la bienheureuse Julienne de Liège, de saint Antoine de Padoue et de saint Ignace de Loyola. La première lui apparut et lui dit : « Tu as bien cultivé le jardin du saint Sacrement et maintenant ton travail est fait. Mais tu es bien affaiblie ; je veux t'apporter de quoi te réconforter. » « Au même instant, raconta Anne Catherine, je vis la sainte toute resplendissante descendre vers moi : elle m'apporta un petit aliment de forme triangulaire sur les deux côtés duquel litait imprimée une image, puis elle disparut. Je mangeai ce morceau qui me fit grand bien : je suis sure que c'est quelque chose dont j'ai mangé plus d'une fois : le goût en était très-agréable et j'en fus très-réconfortée. La vie m’a été donnée de nouveau : je ne la conserve que par une grâce de Dieu. Je vis encore : je puis encore aimer mon Sauveur, souffrir encore avec lui, lui adresser encore des actions de grâce et des louanges ! J'ai vu aussi les huit carrés auxquels j'ai eu à travailler ces derniers jours dans le jardin de sainte Claire ; ce travail m'eut été absolument impossible sans la grâce de Dieu. Le figuier signifiait la recherche des consolations, la condescendance provenant de la faiblesse, la trop grande indulgence. Toutes les fois que j'avais à m'occuper du cep de vigne qui était dans le jardin, je m'y trouvais attachée, les bras étendus en croix. Je vis aussi le travail que j'avais fait pendant ces huit jours, pour quelles fautes j'avais donné satisfaction et quels châtiments j'avais détournés par la pénitence. Je vis cela à une procession du très-saint Sacrement. C'était une fête spirituelle de l'Église du ciel où les bienheureux louaient Dieu pour les trésors de grâces conférés à l'Église par l’adoration du saint Sacrement. Ces grâces étaient représenté sous la forme de vases sacrés très-précieux, de pierres fines, de perles, de fleurs, de grappes de raisin, de fruits. En tête de la procession marchaient des enfants vêtus de blanc, suivis de religieuses de tout ordre qui s'étaient distinguées par une dévotion particulière au saint Sacrement. Toutes avaient un insigne ; quelque chose comme la figure du saint Sacrement brodée sur leur habit. Julienne de Lige marchait à leur tête. Je vis aussi saint Norbert avec ses moines auxquels se joignaient d’innombrables membres du clergé régulier et séculier. Il y avait une joie, une douceur, une concorde inexprimables dans tout ce qui se faisait là. »


         « J'eus aussi une vision sur les défectuosités du culte divin sur la terre et sur la manière dont il y est suppléé par des voies surnaturelles. Il m'est difficile ou plutôt impossible de dire comment je vois tout cela, comment tous ces tableaux se pénètrent mutuellement et s'harmonisent, comment une chose passe à travers l'autre et comment une vision explique l'autre. Chose particulièrement remarquable les manquements et les omissions dans le culte rendu à Dieu sur la terre augmentent seulement la dette de ceux qui se rendent coupables de négligence, mais Dieu n'en reçoit pas moins l'honneur qui lui est dû au moyen de compensations d'un ordre supérieur. Ainsi, entre autres choses, je vois d'une manière très-positive les distractions qu'ont les prêtres pendant les saintes cérémonies, pendant la messe par exemple, car je vois la personne là où sont ses pensées ; or pendant ce temps, je vois un saint qui la remplace à l'autel. Ces visions qui montrent à quel point est coupable l'absence de dévotion dans la célébration des saints mystères me font vraiment frémir. Ainsi je vois, par exemple, un prêtre sortir de la sacristie en habits sacerdotaux : mais il ne va pas à l'autel, il sort de l'église, va dans un cabaret, dans un jardin, près d'un chasseur, près d'une jeune fille, va chercher un livre, se joint à une compagnie ; je le vois tantôt ici, tantôt là, selon le cours que prennent ses pensées, comme s'il y était en personne, et cela paraît bien pitoyable et bien honteux. Mais il est singulièrement touchant de voir que, pendant ce temps-là, un saint prêtre, à l'autel, accomplit les cérémonies à sa place. Je vois souvent aussi le prêtre, pendant la fonction, revenir un moment à l'autel, puis tout à coup courir de nouveau à quelque endroit où il ne devrait pas être. Bien des fois je vois ces divagations se prolonger pendant de longues périodes. Quand il y a un amendement, je le vois se manifester par une assistance pieuse et recueillie à l'autel, etc., etc. J'ai vu dans plusieurs paroisses balayer une quantité de poussière et d'ordures qui salissaient les vases sacrés et toutes choses nettoyées et remises à neuf. »

 

         14. Dans la nuit du 12 au 13 juin, elle eut des visions consolantes tirées de la vie de saint Antoine de Padoue

         Je vis ce bon saint, dit-elle, avec de beaux traits et un air très-noble. Il était très-leste et très-adroit : il me rappelait saint François Xavier. Il avait des cheveux noirs, un beau nez effilé, des yeux bruns très-doux et à son menton bien conformé une petite barbe fourchue. Son teint était blanc et pâle. Son vêtement était brun : il portait aussi un petit manteau, mais ce n'était pas tout à fait le costume des franciscains actuels. Il était vif, plein de feu et pourtant plein de douceur. »


         « Je vis saint Antoine entrer, tout rempli de zèle, dans un bois au bord de la mer : quand il y fut, il monta sur un arbre dont les branches inférieures s'étendaient au loin. Je le vis monter de branche en branche : mais à peine y était-il que la mer inonda le bosquet et tous les arbres se trouvèrent dans l'eau. Je vis alors qu'une incroyable quantité de grands et petits poissons de formes très-diverses et d'animaux marins de toute espèce étaient venus avec les flots, et levant la tête hors de l'eau, regardaient tranquillement le saint et l'écoutaient. Au bout de quelque temps il les bénit et la mer s'en retourna avec les poissons. Mais il en resta beaucoup sur le rivage que le saint, descendu de l'arbre, remit dans les vagues qui se retiraient. J'eus à cette occasion le sentiment que j'étais couchée dans ce bois sur un lit de mousse très-doux et qu'il resta près de moi sur ce lit un étrange animal marin, plat et large, avec une tête semblable à une hache arrondie, ayant la bouche placée en dessous ; il avait le dos vert avec une raie dorée, des yeux d'or, des taches d'or sur le ventre. Il se jetait d'un côté sur l'autre , je voulus le chasser avec mon mouchoir et je frappai dessus. Je vis aussi une énorme araignée qui courait après lui et je la mis en fuite. Tout ce qui se passait dans ce petit bois était comme plongé dans la nuit, tout était sombre à l'entour ; il ne faisait clair que là où allait Antoine et autour de lui.


         « Je vis de nouveau saint Antoine au sortir du petit bois aller au bord de la mer. Il s'agenouilla et se tourna du côté d'une église très éloignée ; son âme s'élançait vers le Saint-Sacrement. Je vis en même temps à une grande distance cette église où le Saint-Sacrement était sur l'autel dans un tabernacle et je vis sa prière arriver là. Je vis alors un petit vieillard contrefait, très-laid de visage, qui accourait derrière Antoine. Il avait une jolie corbeille ronde, faite de tresses blanches, mais ayant sur les bords, en haut et en bas, des tresses d'une autre couleur, peut-être des tresses d'osier brun. La corbeille était pleine de belles fleurs bien disposées. Il voulut les donner au saint ; il le secoua, mais celui-ci ne voyait et n'entendait rien : il était toujours agenouillé, immobile dans la prière et les yeux tournés vers le Saint-Sacrement. Je vis alors le vieil homme poser là sa corbeille de fleurs et se retirer. Je vis ensuite comme si l'église éloignée s'approchait d'Antoine et je vis que du Saint-Sacrement il sortit comme un petit ostensoir qui, attiré par la prière extatique du saint, se dirigea vers lui comme dans un courant de lumière et s'arrêta, planant dans l'air, à quelque distance devant lui. J'en vis alors sortir un petit enfant Jésus tout aimable et d'une incroyable splendeur qui se plaça sur l'épaule du saint et le caressa. Au bout de quelque temps cet enfant rentra dans l'ostensoir et celui-ci dans le Saint-Sacrement placé sur l'autel de cette église, naguère éloignée, et qui était maintenant tout près. Puis je vis le saint laisser là les fleurs et ce fut comme s'il se trouvait tout à coup dans la ville près de laquelle était cette église. »


         Je vis saint Antoine comme dans une lice devant une ville située au bord de la mer, disputer avec plusieurs personnes. Il y avait là particulièrement un homme ardent, emporté, qui combattait le saint avec des paroles acerbes. Je vis alors que tous les deux convinrent ensemble de quelque chose, qu'Antoine, animé d'un saint zèle, s'avança, ayant les deux bras sous son petit manteau, comme s'il affirmait quelque chose et que, s'ouvrant un passage à travers la foule, il sortit de la lice. C'était une grande prairie plantée d'arbres et entourée d'un mur : elle s'étendait en avant de la ville le long de la mer. Elle était remplie de personnes qui allaient de côté et d'autre ou qui écoutaient le saint. Après cela j'eus une autre vision. Je vis Antoine dire la messe dans une église et je vis un large chemin, allant de cette église à la porte de la ville, occupé par une foule de peuple. Or, je vis cet homme qui s'était disputé si vivement avec saint Antoine conduire à la ville un grand boeuf à longues cornes. Pendant ce temps, le saint avait fini sa messe et il se rendit solennellement à la porte de l'église, tenant une hostie consacrée. Au moment où il faisait cela, le boeuf qui était à la porte de la ville se débattit entre les mains de son conducteur, puis s'échappa tout à coup et courut très rapidement vers l'église à travers les rues. L'homme courut après ainsi que beaucoup de gens, si bien qu'on vit tomber les uns sur les autres des femmes et des enfants, mais ils ne purent le reprendre et lorsqu'ils arrivèrent, le boeuf était couché à terre, allongeant le cou et se courbant humblement devant le Saint-Sacrement qu'Antoine, debout à la porte de l'église, tenait en face de lui. L'homme qui l'avait poursuivi lui présenta du fourrage, mais le boeuf n'y toucha pas et ne quitta pas sa position. Alors l'homme et tout le peuple se prosternèrent humblement devant le Saint-Sacrement, et le confessèrent en l'adorant. Antoine rentra dans l'église avec le Saint-Sacrement et la foule l'y suivit : ce ne fut qu'alors que je vis le boeuf se relever et, ramené à la porte de la ville, manger la nourriture qui lui était présentée. »

         « Je vis un homme qui s'accusait à Antoine d'avoir donné un coup de pied à sa mère. Je vis ensuite dans une autre vision, cet homme, tellement contrit à la suite de l'exhortation du saint, qu'il voulait se couper la jambe avec laquelle il avait frappé sa mère. Je vis Antoine lui apparaître en ce moment et lui retenir le bras. »

         « Je me tournai en priant vers le Saint-Sacrement et je fus ravie en esprit dans l'église où la Fête-Dieu fut célébrée pour la première fois sur la terre. L'église était à l'ancienne mode et avec de vieilles images : elle ne paraissait pourtant pas dans un état de vétusté et de délabrement : il y régnait une agréable clarté. Je me mis à genoux devant le grand autel. Le sacrement n'était pas dans un ostensoir, mais dans le tabernacle, renfermé dans un ciboire rond d'une assez grande hauteur, qui était surmonté d'une croix. On pouvait tirer de ce ciboire un appareil à trois compartiments. Le compartiment supérieur contenait plusieurs petits vases renfermant les saintes huiles : le second plusieurs hosties consacrées ; l'inférieur un flacon brillant comme s'il eût été en nacre de perle et où il me sembla qu'il y avait du vin. Attenant à cette église était un cloître dans lequel habitaient plusieurs pieuses vierges. Sur l'un des côtés était bâtie une maisonnette adossée à l'église où demeurait une vierge très-pieuse qui s'appelait Eve. Sa chambre avait une petite fenêtre fermée par un châssis et par laquelle, quand elle l'ouvrait, soit le jour, soit la nuit, elle avait vue du côté où était le Saint-Sacrement sur le maître autel. Elle avait une grande dévotion au Saint-Sacrement, dévotion que je voyais se manifester dans toute sa personne. Elle était d'un extérieur agréable et n'était pas tout à fait habillée comme une religieuse, mais plutôt comme une pèlerine. Elle n'était pas de cette ville, mais elle appartenait à la classe riche et était venue d'ailleurs, uniquement pour mener près de l'église une vie consacrée à la prière. Je vis aussi dans le voisinage de cette ville un couvent situé sur une hauteur. Il n'était pas bâti comme un couvent ordinaire : il se composait de plusieurs petites maisons construites successivement et réunies ensemble. J'y vis en qualité de religieuse la bienheureuse Julienne qui a été la cause de l’institution de la Fête-Dieu. Je la vis, portant le vêtement gris de son ordre, se promener dans le jardin, pleine d'une innocente simplicité, et en contemplation devant les fleurs. Je la vis s'agenouiller près d'un lis et méditer attentivement sur la vertu de pureté. Je la vis aussi en prière à l’occasion de la mission qu'elle avait reçue d'introduire la fête du Saint-Sacrement. Elle était très-soucieuse et je vis qu'un prêtre lui fut montré auquel elle devait faire connaître la révélation qui lui avait été faite parce que le premier auquel elle s'était adressée n'avait pas bien accueilli ses communications. Puis, pendant qu'elle priait, je vis prier aussi dans le lointain, un pape, près duquel était le chiffre IV, et je vis que ce pape, poussé à cela par une vision et à la suite d'une grâce qu'une autre personne avait reçue par le Saint-Sacrement, prenait la résolution d'établir la fête dans l’Eglise. Entre ces deux visions, je me trouvai de nouveau dans l’église devant l'autel et le Saint-Sacrement et j'en vis sortir un doigt lumineux qui devint ensuite une main ; puis je vis debout, devant moi, la figure d'un homme resplendissant de lumière, qui était tout couvert de perles et qui me dit : « Vois toutes ces perles ! aucune ne se perd et tous peuvent les recueillir. » Les rayons qui partaient de ce jeune homme illuminaient le monde. Alors je continuai à me répandre en actions de grâces et je reconnus dans cette vision comment le Très-Saint-Sacrement avec toutes ses grâces est devenu successivement l’objet d'un culte particulier pour les fidèles. »

         Le même jour elle raconta encore ce qui suit : « Vers l'heure de midi, je vis à l’horizon, au-dessus d'une belle campagne très-fertile, cinq larges bandes de lumière, de la couleur du soleil, former une grande coupole. Ces bandes de lumière, partant de cinq grandes villes éloignées, montaient comme des portions d'arc-en-ciel à travers le ciel bleu, et se réunissaient au-dessus d'une belle campagne, formant une coupole sur laquelle le Très Saint-Sacrement apparut avec une splendeur indescriptible, placé sur un trône, dans un ostensoir merveilleusement orné. Je vis au-dessus et au-dessous des cinq arcs planer des anges innombrables qui semblaient aller de ces villes au sacrement et de celui-ci revenir aux villes. Je ne puis exprimer tout ce qu'il y avait de solennel, de consolant et d'édifiant dans cette vision. »


         17 Juin. «, Comme je tombais presqu'en défaillance, tant le désir du Très-Saint-Sacrement me pressait, une religieuse mourante (Julienne Falconieri) me fut montrée : elle ne pouvait pas recevoir le Saint Viatique parce qu'elle avait des vomissements continuels. Mais pour sa consolation, elle se faisait mettre sur la poitrine par le prêtre la sainte Eucharistie enveloppée dans un corporal et cela la soulageait toujours beaucoup. Maintenant, comme l’heure de sa mort était proche, je vis qu'on lui porta l’auguste Sacrement et elle pria le prêtre de le placer sur sa poitrine sans le tenir renfermé dans le corporal empesé, mais seulement recouvert d'un petit linge. Il fit ce qu'elle désirait : d'autres religieuses s'agenouillèrent autour de la malade. Je vis celle-ci sourire doucement, son visage se colorer d'un beau vermeil, puis briller ; elle était morte. Lorsque le prêtre voulut reprendre la sainte Eucharistie avec le petit linge, ce linge était vide : il chercha et reconnut que l’hostie était entrée dans le corps de la malade par la poitrine, y laissant un cercle dans lequel était tracée en rouge une croix où le Sauveur était suspendu. Je vis beaucoup de gens accourir pour voir le miracle. Je ressentis un ardent désir d'être ainsi assistée, mais ce ne sera pas mon partage.

« Je vis aussi une petite église placée sur un cep de vigne. Elle avait poussé ainsi. Les branches l'entouraient et entraient dedans. Au milieu se trouvait une tige qui y avait poussé et sur laquelle se tenaient Jésus, Marie et Joseph, entourés de tous les saints stigmatisés en adoration. Parmi eux se distinguait tout particulièrement une tertiaire de l'ordre de saint Dominique : son nom était Osanna. Elle n'était pas dans un couvent, elle vivait chez elle. »


         Je vis aussi une personne de petite taille que j'entendis appeler Marie d'Oignies. Elle habitait à peu de distance de Liège : je vis dans le voisinage cette ville qu'habitait Julienne. Je vis au commencement un homme près d'elle : je ne savais pas qu'elle eût été mariée. Je vis que la nuit elle reposait sur des planches fort dures : plus tard je la vis servir les malades dans un autre endroit où il y avait des petites maisons se tenant ensemble et entourées de murs. Puis je la revis la nuit dans un autre lieu s'agenouiller devant le Saint-Sacrement dans une église où elle était toute seule. Je la vis longtemps très-malade sur sa couche : il y avait autour d'elle beaucoup de gens qui ne comprenaient rien à son étrange maladie ni aux fréquentes variations qui s'y produisaient : ils parlaient notamment à tort et à travers de son abstention de toute nourriture et en faisaient un sujet de railleries. »


         « Il me fut aussi montré combien elle a souffert pour autrui et combien elle a secouru de pauvres âmes. Je vis ensuite un tableau de sa gloire dans le ciel. Cette vision me fut donnée comme une consolation pour l'état où je suis, pour me montrer que l'Église avait toujours eu des personnes dans des états semblables. »

 

18 Juin. Consolation et assistance données par saint Ignace.


         « J'avais, près de moi, pendant mes grandes souffrances, la relique que m'a envoyée Overberg. Je la vis briller et, comme je priais pour savoir de qui elle était, je vis un saint brillant de lumière et entouré d'une auréole blanche descendre vers moi d'en haut : je vis, comme toujours, la lumière de l'ossement se fondre avec la lumière de l'apparition et je sentis ou j'entendis intérieurement ces paroles : « Ceci est un ossement de moi. Je suis Ignace. » J'eus encore après cela une longue nuit pleine d'horribles tortures, mais sous la forme de douleurs expiatoires. Il semblait qu'on m'enfonçât lentement un couteau dans la poitrine, qu'on fît avec ce couteau des incisions en forme de croix et qu'on le retournât en tout sens. J'avais au même moment aux plaies des douleurs extrêmement violentes. Je ne pus m'empêcher de gémir et de me plaindre tout haut : je finis par crier miséricorde et priai le Seigneur de ne pas me faire souffrir au delà de ce que je pouvais supporter. Je craignais d'avoir souffert avec impatience. Mais mes prières me valurent une apparition du Seigneur sous la figure de jeune homme, avec laquelle il se montra à moi comme mon époux et je reçus une consolation inexprimable. Il me dit en peu de mots que je ne puis pas répéter textuellement : « Je t'ai placée sur mon lit nuptial qui est un lit de souffrances, je t'ai prodigué les grâces de la souffrance, les trésors de la réconciliation et les joyaux de l'action efficace. Tu dois souffrir. Je ne t'abandonne pas. Tu es attachée au cep de vigne, tu ne dois pas te perdre. » Ce fut à peu près en ces termes que le Sauveur, venant à moi, m'apporta une si grande consolation ; après cela, je souffris patiemment et tranquillement le reste de la nuit jusqu'au matin où j'eus encore une vision de saint Ignace. Je vis de nouveau sa relique briller, j'invoquai le bon saint que maintenant je connaissais et je tins sa relique avec amour et respect. Je m'adressai à lui par le doux coeur de Jésus : je le vis apparaître et descendre comme la première fois, je vis les deux lumières s'unir et j'entendis les paroles : « Ceci est un ossement de moi. » Je reçus aussi de lui des consolations ; il me dit comment il avait tout reçu de Jésus, et il me promit d'être mon ami, de m'aider dans mon travail et de me soulager dans mes maladies corporelles : puis il m'ordonna de faire des dévotions en son honneur le mois suivant. Après cette apparition consolante, le saint, s'élevant en l'air, disparut et je vis quelques scènes de sa vie. »


         « Je crus être couchée dans un petit lit, à l'entrée d'une église dont le choeur était séparé du reste par une grille. J'y vis plusieurs personnes, mais pas en très-grand nombre : je vis dans le choeur environ douze des compagnons d'Ignace parmi lesquels je connus par leurs noms François Xavier et Favre. Il semblait qu'ils fussent prêts à se mettre en voyage, qu'ils voulussent aller bientôt quelque part. Je ne vis pas que tous fussent prêtres ; ils portaient des habits qui ressemblaient à celui d'Ignace, il n'y avait pourtant pas une conformité parfaite. L'heure paraissait très-matinale : il faisait encore sombre, les cierges brillaient sur l'autel. Je vis Ignace non encore complètement habillé pour la messe, mais avec une étole sur l'épaule, et accompagné d'un autre qui portait l'eau bénite, passer le long de l'église à travers ses compagnons et donner la bénédiction avec l'aspersoir. Je me préparai aussi à la recevoir : il vint en effet jusqu'à mon petit lit et m'aspergea abondamment : je fus à l'instant comme inondée d'un sentiment de douceur et de bien-être qui pénétra à travers mon corps épuisé de douleurs. Etant revenu ensuite dans la sacristie, il en sortit revêtu d'habits sacerdotaux et s'avança vers l'autel pour dire la messe. Cette messe dura beaucoup plus longtemps que nos messes ordinaires et j'appris intérieurement qu'Ignace mettait toujours près d'une heure à dire la sainte messe. Une fois je vis tout à coup une flamme s'allumer au-dessus de sa tête comme un épais buisson et je vis un des douze courir vers lui, les bras étendus, comme s'il eût voulu le saisir ou venir à son secours. Mais lorsqu'il fut près de lui, il vit son visage brillant de lumière et il se retira respectueusement. Je vis ensuite qu'Ignace, tout inondé de larmes, fut ramené de l'autel par ses compagnons, parce qu'il semblait bouleversé au point de ne pouvoir marcher. »


         « Je vis, après cela, les hommes que j'avais vus dans la ville maritime introduits chez le pape. Le pape était dans une grande salle, assis sur un fauteuil magnifique, près d'une table couverte d'un tapis, sur laquelle étaient des papiers et tout ce qu'il fallait pour écrire. Il portait un petit manteau qui était rouge, à ce que je crois, et certainement un capuchon rouge. Près de la porte étaient divers ecclésiastiques. Les compagnons de saint Ignace entrèrent et se prosternèrent devant le pape. L'un d'eux parla au nom de tous : je ne sais plus bien si Ignace se trouvait là. Je vis ensuite que le pape les bénit et leur remit des papiers. Je vis encore d'autres scènes de la vie de saint Ignace. Je le vis faire à un mauvais prêtre une confession, de sa vie passée avec de telles marques de repentir que ce prêtre fondit en larmes et changea de vie. Je le vis dans un voyage quitter tout à coup ses compagnons et se détourner vers une maison où habitait un homme qui se laissait aller à de mauvaises passions. Je vis cet homme s'enfuir, Ignace le poursuivre et embrasser ses genoux en le suppliant de penser à son salut. Je vis que cet homme se convertit et le suivit. Je le vis seul en habit de mendiant traverser un pays de montagnes sombre et désert, et le diable aller à sa rencontre sous la forme d'un dragon au corps effilé, avec une grosse tête crépue. Ignace lui planta son bâton dans le cou et il en sortit du feu, ensuite il l'enferra fortement avec un pieu, reprit son bâton et continua tranquillement son chemin.


         Le soir du même jour, le Pèlerin trouva la malade récitant à demi voix, sans livre, l’office de saint Ignace en latin. Lorsqu'elle eut fini, elle lui raconta ce qui suit :

« Saint Ignace m'a soulagée avec tant de charité, et je l'ai vu pénétré d'un si ardent amour pour Jésus que je me suis tournée vers lui pour l’honorer du fond du coeur. Alors son image descendit d'en haut devant moi dans une voie lumineuse : le très-saint nom de Jésus brillait dans son coeur comme un soleil. Lorsque je voulus me mettre à le prier, des paroles et des antiennes de toute espèce affluèrent vers moi, partant de l’image, et cette prière reçue en don me lit éprouver une grande douceur. » Elle termina son exercice de dévotion par l’oraison connue sous le nom d'Oratio recitanda ante imaginem sancti Ignaii. Lorsque, la nuit suivante, son coeur fut envahi par de nouvelles et violentes souffrances, elle eut encore recours à saint Ignace qui lui donna la force de les supporter patiemment. Elle eut aussi une vision dont elle communiqua au Pèlerin ce qui suit, le jour suivant. « Je vis Ignace et Xavier dans leur intime et cordiale union en Jésus-Christ. Je les vis répandre partout la consolation et le soulagement, je les vis enseigner, secourir et servir les malades livrés au désespoir. Pendant que je contemplais cette action si puissante et si efficace qu'ils exerçaient parmi les peuples, mon coeur se tourna vers eux et je dis : « Si, pendant votre vie de créatures fragiles, vous avez tant aimé et tant assisté en vertu de la force que Dieu vous donnait, oh ! vous devez assister encore bien plus efficacement, maintenant que vous êtes entièrement dans la lumière et l'amour ! Voyez ! j'ai là de vos saints ossements qui sur la terre ont tant travaillé pour vos semblables ! Soyez encore secourables ! agissez, répandez la grâce, vous, vases parfaits qui êtes à la source de la grâce. » Alors toute vision terrestre disparut à mes yeux et je vis les deux saints dans le ciel se tenant l'un près de l’autre dans un monde de lumière. Ignace avait une auréole entièrement blanche, Xavier était entouré d'une lueur tirant sur le rouge ; il avait quelque chose de l’auréole du martyre. Mais pendant que je les voyais, pendant que la lumière et la vie se répandaient à flots sur moi par leur entremise, toute mon âme était plus vivante : c'était comme si je leur rendais dans la prière, avec une grande plénitude, la lumière et la consolation qu'ils versaient de Dieu sur moi. Car alors, de même que j'avais reçu hier la prière à saint Ignace, je reçus intérieurement une abondance de paroles d'amour et de joie et j'appelai toutes les créatures à louer et à invoquer : mon coeur s'agrandit et se répandit de tous les cotés, j'invoquai et louai à travers tous les choeurs des saints ; ils se mirent en mouvement de près et de loin et ma prière allait pourtant tout entière à Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et à Notre-Seigneur Jésus-Christ par la sainte Mère de Dieu, et à la sainte Mère de Dieu par tous les saints et à tous les saints par Ignace et Xavier. C'était comme si j'avais su quelles fleurs, quels parfums, quelles couleurs, quelles pierres fines, quelles perles, quels fruits étaient les plus agréables à mon Dieu et les plus purs à ses yeux et comme si, de l’abondance infinie de ces objets créés, je faisais, avec une grande ferveur, une guirlande, une pyramide, un trône que je lui présentais et comme si tout cela descendait vers moi d'en haut et m'arrivait dans la lumière que je recevais des deux saints. » (Dans l’après-midi, le Pèlerin lui ayant lu un vieux cantique sur les deux saints où toutes les créatures étaient invitées à les louer, elle dit : « C'est comme cela, c'est tout à fait comme cela que je leur ai adressé ma prière. »)


         Au milieu de cette jubilation de la prière, de la louange et de la supplication, la vision se développa de plus en plus dans mon âme. Mais ce n'était pas comme auparavant ; c'était comme si l'apparition des deux saints me faisait entrer dans la Jérusalem céleste. Je ne puis rendre la joie, les délices et la magnificence que j'y vis. Ce n'était pas comme lorsque j'aperçus la Jérusalem céleste avec ses murs et ses portes, ainsi qu'une ville placée au sommet du chemin de la vie : cette fois j'étais au milieu comme dans un monde immense de lumière et de splendeur. On ne voit pas là de ciel au-dessus de soi, mais les rues montent et descendent à l'infini dans toutes les directions et cependant tout est régulier, il y a partout un ordre, une harmonie, un amour infinis. Au milieu, tout en haut, je vois dans une lumière incompréhensible la très-sainte Trinité, autour d'elle les vingt-quatre vieillards, et au dessous dans un monde de lumière à part, les choeurs des anges. Je vois tous les saints suivant leurs rangs, leurs hiérarchies et les associations qu'ils forment entre eux, dans les palais, sur les trônes qui leur sont assignés, dans les relations qui les réunissent. Quant à ceux dont je suis occupée plus particulièrement, auxquels je rends un culte ou dont j'ai près de moi des ossements, je les vois plus distinctement ou plutôt je suis plus près d'eux et je vais par eux aux autres. J'ai vu aussi l'opération des saints d'une façon merveilleuse. Lorsque je les implorais, je voyais qu'ils se tournaient vers la très-sainte Trinité et que des rayons allaient d'elle à eux : je vis qu'ensuite les saints s'approchaient de quelques arbres et arbustes merveilleux qui s'élevaient en certains endroits entre les palais, qu'ils y prenaient des fruits, de la rosée et du miel et envoyaient tout cela sur la terre. Je vis la part que prenaient les anges à cette opération : ils étaient rapides comme des éclairs et se portaient en un instant d'un côté ou d'un autre : ils apportaient en bas la bénédiction et ils multipliaient ce que les saints avaient demandé. Je vis Ignace et Xavier faire tomber de bonnes influences sur la contrée que j'habite et sur toutes celles pour lesquelles je les invoquais. Je les vis aussi envoyer en très-grande quantité de la rosée et du miel dans des contrées très-éloignées. J'ai, en pareil cas, des visions particulières de gens dans la souffrance qui sont soulagés, qui deviennent fervents : je vois tout à coup des personnes touchées subitement rentrer en elles-mêmes : je vois, dans des pays lointains plongés dans l'obscurité, surgir tout à coup une lumière et cette lumière, gagner autour d'elle : je vois des gens qui prient se rasembler dans cette lumière. Je vois toujours les saints répandre des bienfaits, spécialement là où reposent leurs ossements qui brillent de la même lumière qu'eux avec les mêmes nuances et qui paraissent toujours comme une portion d'eux-mêmes : mais ils agissent avant tout là où ils sont invoqués. »


Je vis autour d'Ignace plusieurs saints personnages : François Borgia, Charles Borromée, Louis de Gonzague, Stanislas Kotska, François Regis : j'en vis un très-grand nombre. Je vis aussi là celui-ci. » (En disant ces mots, Anne Catherine montra du doigt quelque chose en face d'elle, comme si elle indiquait quelqu'un qui lui apparaissait à l'instant. Le Pèlerin ne la comprit pas au premier moment et crut qu'elle pensait à saint François d'Assise ; mais elle voyait devant elle saint François de Sales, provoquée par une relique du Saint qui se trouvait à sa proximité (note).) « Je ne le vois pas près d'Ignace, mais dans un autre choeur composé d'évêques.

 

(note) « Pendant qu'elle racontait ceci, les yeux ouverts, observe le Pèlerin, elle avait oublié que son auditeur était aveugle quant à ce côté de l'existence et, tout en faisant son récit, elle était elle-même, sans la savoir, dans l’état contemplatif. »

 

J'en vis une immense quantité que je connaissais et je m'approchai de plusieurs par la prière. Au commencement, quand je considérais particulièrement saint Ignace, je les voyais à quelque distance, tous pourtant affectueusement émus et bienveillants, mais à la fin j'allai de l'un à l'autre. »


         « Les chemins entre les palais étaient couverts de perles ayant toute espèce de formes et de figures, et souvent aussi d'étoiles, et je me disais dans ma simplicité, car là la chair imbécile jouait son rôle : « Regarde ! ce sont les étoiles qu'on voit en l'air au-dessus de la terre. » J'ai vu aussi saint Augustin et tous les ordres qui se rattachent à Lui et encore l'évêque Ludger qui portait une église dans sa main, ainsi qu'on le représente. J'en vis ainsi beaucoup et tous avec divers insignes, que je connaissais et que je ne connaissais pas. Je vis aussi saint Joachim et sainte Anne, sans doute parce que c'est aujourd'hui mardi, jour où j'honore toujours particulièrement la sainte mère de Marie. Ils avaient tous deux dans la main un rameau vert, et comme je ne savais pas ce que cela signifiait, je fus informée intérieurement que c'était le signe de leur ardent désir de l'avènement du Messie qui était le rejeton sorti de leur souche dans la chair. J'eus aussi une vision touchant le désir dont ils avaient été consumés sur la terre, je vis leurs invocations, leurs mortifications et leur purification. »


         « C'est ainsi que, toute la nuit, j'ai supporté mes douleurs, consolée par cette contemplation. Je ne puis dire quelles magnifiques choses j'ai vues, et quelle vérité et quelle clarté il y avait dans tout cela. Les figures et les apparitions n'étaient pas réunies fortuitement, tout était un et comme le résultat d'une végétation ; l'une expliquait l'autre, vivait et aimait dans l'autre. »


         « Pendant toute la vision, mon coeur était plein de joie et ma bouche ne cessait de chanter des cantiques de louanges. » En racontant cela, elle était pleine d'émotion et inondée de larmes de joie, pendant que son corps était accablé d'une faiblesse mortelle.


         Le 21 juin, le Pèlerin la trouva dans un tel état de faiblesse que le confesseur ne croyait pas à la possibilité d'une prolongation de sa douloureuse existence : cependant elle était pleine de joie à cause de saint Louis de Gonzague dont elle avait célébré la fête dans une église céleste. Elle raconta à ce sujet : « J'assistai à la fête dans l'église spirituelle. C'était une grande solennité avec plusieurs processions. Des jeunes filles vêtues de blanc avec des lis à la main portaient la Mère de Dieu sur un trône de jeunes garçons, vêtus de la même manière, portaient saint Louis de Gonzague, qui avait par-dessus sa robe noire de religieux un rochet blanc avec des franges d'or il avait aussi comme les autres jeunes gens un lis à la main. On portait en même temps plusieurs bannières blanches avec des franges d'or.»

         « Louis fut placé sur un trône au-dessus de l'autel, et au-dessus de lui était le trône de la Mère de Dieu : il s'était fiancé avec elle. Je vis l'église se remplir dans le haut de choeurs de saints. Je vis, autour de Louis, Ignace, Xavier, François Borgia, Charles Borromée, Stanislas, Regis et beaucoup de saints jésuites : plus haut beaucoup d'autres saints religieux. Du reste l'église était pleine d’âmes de jeunes gens, de jeunes filles et d'enfants qui, enflammés par l'exemple de saint Louis de Gonzague, avaient trouvé grâce devant le Seigneur. Il n'y avait que des bienheureux dans l'église. »


         « Lorsque Louis eut été honoré avec des guirlandes, des couronnes et des hommages de toute espèce, il servit à son tour les autres, car il en est toujours ainsi dans ces sortes de fêtes. Celui auquel des honneurs ont été rendus devient toujours, après les avoir reçus, le serviteur des autres. Je ne puis rendre la beauté de cette fête, c'était la fête de la chasteté et de l’innocence, de l'humilité et de l’amour. Je vis aussi la vie du saint. Je le vis, encore tout petit enfant, seul dans une grande salle où des armes de toute espèce étaient suspendues au mur ; il y avait aussi un sac de soldat. Je vis que l’enfant alla à ce sac, y déboucla quelque chose et en fit sortir une longue et large boite. La timidité le prit : c'était comme si ç'eût été une espèce d'arme à feu. Je le vis s'en aller avec, puis bientôt revenir, pleurer beaucoup et remettre la boite dans le sac, comme s'il se repentait de son larcin. Il fondit en larmes et se mit contre le mur au-dessous du sac. Alors je vis entrer une grande femme qui parut le consoler. Elle l’emmena, mais il ne cessa de pleurer, même quand on le conduisit à son père et à sa mère qui étaient assis dans une belle chambre. Il raconta sa faute et continua à pleurer. Je vis qu'après cela on lui donna pour compagnon un homme qui était toujours avec lui. Je le vis, dans son enfance, longtemps malade dans son lit : il souffrait avec une patiente admirable et tous les serviteurs l'aimaient. Je vis qu'ils le portaient sur leurs bras pendant sa maladie et qu'avec sa pâleur et sa fièvre il souriait toujours d'un air aimable. - Je le vis dans un autre endroit, mais encore dans une maison de grande apparence. C'était un enfant doux et sérieux. Je vis qu'il était entouré d'ecclésiastiques : il était assis au milieu d'eux, il parlait et tous l’écoutaient, très-édifiés de ses paroles. Il semblait qu'on le préparât à recevoir la sainte communion et qu'éclairé par Dieu, il enseignât à son tour ceux qui l’enseignaient. Je le vis à cette époque plein d'une piété et d'une ferveur merveilleuses. Partout où il était et où il allait, je le voyais toujours se tourner vers le point où se trouvait le Saint-Sacrement dans l’église. Je vis qu'il dessinait souvent sur la muraille un calice surmonté d'une hostie ou un ostensoir, qu'il priait devant avec une dévotion inexprimable et qu'il effaçait tout bien vite, si quelqu'un venait. Cela me fit penser à sainte Barbe que j'avais vu faire de même dans sa prison. Je le vis ensuite recevoir la sainte communion à l'église : je vis la sainte hostie devenir lumineuse devant lui et avoir hâte, en quelque sorte ; d'entrer dans sa bouche. Je le vis quand il était au couvent : sa cellule était très-petite, il n'y avait guère place que pour son lit. Je le vis souvent brillant de lumière, pendant qu'il se donnait la discipline ou qu'il priait. Un jour que je le regardais prier dans sa cellule, il me fut dit que son plus grand péché avait été une distraction pendant le temps d'un Ave Maria, après une prière qui avait duré tout le jour. Il ne recevait chez lui aucun de ses compagnons. Je vis qu'ils l'aimaient beaucoup, qu'ils le suivaient jusqu'à la porte de sa cellule et qu'il, ne les y laissait pas entrer de peur qu'ils ne le vantassent pour la manière dont il pratiquait la pauvreté. »


         « Je vis que, dès sa jeunesse, il tenait toujours les yeux baissés : il ne regarda jamais le visage d'une femme. Ce n'était pas affectation ou hypocrisie de sa part, mais un acte de renoncement qui le maintenait dans la pureté. Grâce à Dieu, je n'ai jamais reconnu par expérience que cela fût nécessaire. Cela m'a souvent étonné, quand je l'ai lu autrefois dans des vies de saints personnages. » Elle pleure sur son imperfection quand le Pèlerin lui raconte comment le père de saint Louis de Gonzague voulut l'empêcher d'entrer en religion.


         27 Juin 1822. « J'ai eu un pénible travail à faire dans une église où l'on avait, par crainte d'une profanation, caché et muré le Saint-Sacrement dans un pilier et où l'on disait la messe en secret dans un caveau au-dessous de la sacristie. Je ne puis dire où cela se passait : l'église était très-vieille et j'avais une frayeur mortelle que le sacrement ne fût exposé à un danger. Alors mon conducteur m'exhorta de nouveau à prier et à demander à toutes mes connaissances des prières pour la conversion des pécheurs et surtout pour que les prêtres aient une foi ferme : « car des temps très-difficiles approchent : les non catholiques cherchent par tous les moyens possibles à disputer et à enlever à l'Église tout ce qui est de son domaine. La confusion deviendra de plus en plus grande. » Elle fut pendant plusieurs jours en proie à de violentes douleurs à la place des stigmates et l'on vit en elle tous les symptômes de l'hydropisie qu'elle avait prise à une femme demeurant en France ; pendant ce temps, elle se livrait au travail par la prière qui lui avait été imposé et voici ce qu'elle raconta à ce sujet : « Je fus conduite par mon guide comme sur un escalier d'une hauteur immense et je vis d'autres personnes en prières venant de différents points et conduites en haut comme par des fils. J'étais moi-même au sommet, séparée encore par environ cinq marches d'une grande ville ou d'un monde merveilleusement lumineux. Quelque chose comme un immense rideau bleu s'ouvrit des deux côtés devant moi et je vis l'intérieur de cette ville resplendissante. Des rangées de palais et de jardins fleuris couraient toutes vers le centre où tout était encore beaucoup plus brillant, en sorte que le regard ébloui n'y pouvait pénétrer. Partout où le désir dirigeait ma contemplation, une nouvelle hiérarchie de saints et d'anges se dévoilait à moi et j'implorais l'intercession de tous les choeurs de saints et de tous les choeurs d'anges. Je vis que les vierges et les martyrs, avant tous les autres, présentèrent leur intercession devant le trône de Dieu, qu'ensuite les choeurs semblèrent faire un mouvement en avant et que la très-sainte Trinité parut s'approcher comme un soleil sortant des nuages. Je vis alors ces choeurs comme une quantité de petites formes lumineuses, comme des anges de lumière très-petits et d'une beauté très-délicate qui s'élevaient très-haut dans la lumière. Je vis des anges ailés, chérubins et séraphins ; leurs ailes étaient faites de rayons qui étaient toujours en mouvement. Je vis aussi d'autres choeurs d'anges et d'anges gardiens. Près des saintes vierges, je vis aussi des personnes qui avaient vécu dans le mariage, par exemple sainte Anne et plusieurs autres des premiers temps, sainte Cunégonde et d'autres femmes mariées qui avaient gardé la chasteté : mais Madeleine n'y était pas. Je ne vis dans les jardins ni animaux, ni oiseaux. Je vis, quand je regardai en bas devant moi, les degrés où je me tenais : tout était gris à droite et à gauche, et bleu du côté du rideau derrière moi, je vis en bas comme des îles, des villes, des campagnes et des jardins. C'étaient des contrées terrestres qui se montraient à mesure que ma pensée se tournait vers elles. J'y vis toute espèce de gens qui priaient et je vis leurs prières monter comme des banderoles où étaient tracés des caractères, comme des écriteaux : elles entraient dans la poitrine des saints et des anges et ressortaient de leurs visages sous forme de rayons, avec un surcroît de lumière, se dirigeant vers le trône de Dieu. Je vis aussi les prières de quelques-uns retomber toutes noircies, et certaines prières que ceux qui les faisaient ne pouvaient pas mener à leur perfection, soutenues et portées en haut par d'autres. Je vis cela comme un échange réciproque entre des hommes et aussi entre des anges et des saints. Je vis particulièrement parmi les anges un grand mouvement en haut et en bas : les saints aussi étaient en mouvement. Je vis porter secours à bien des misères, par exemple à des navires en détresse. Cette nuit j'ai été emportée tout malade par mon conducteur. Chose singulière, j'étais toujours extrêmement désireuse de savoir ce qui pouvait se cacher dans la partie qui était derrière le rideau. Je crois que la montagne des prophètes était à ma gauche lorsque je montai. » Le 1er juillet, elle ajouta ce qui suit : « Je crois que ma tête a saigné pendant la grande vision touchant l'intercession des saints, car j'ai vu là tant de scènes de la douloureuse Passion ! Pendant que chaque saint offrait devant le trône de Dieu sa part de compassion pour les pécheurs, je voyais toutes ces souffrances et les sympathies dont elles étaient l'objet, et aussi toutes les épines de la couronne avec d'autres choses relatives à la Passion. »

 

         13. Dans la dernière moitié d'août 1820, elle eut encore souvent, pendant des journées entières, la vue de la tiédeur et de l'indifférence de bien des prêtres et des laïques envers le très-saint Sacrement, et cela avec accompagnement de douleurs indicibles. On lui mit alors sous les yeux, pour la confusion des mauvais chrétiens, des païens aspirant au salut.


         « Je vois, dit-elle, en tous lieux des prêtres entourés des grâces de l’Église, des trésors, des mérites de Jésus-Christ et des saints, mais dans un état de tiédeur et de mort, enseigner, prêcher et offrir le saint sacrifice. Et j'eus le spectacle d'un païen qui, debout sur une colonne, parlait avec tant d'onction du nouveau Dieu de tous les dieux qui était celui d'un autre peuple, que la foule était saisie du même désir que lui. Je suis assaillie jour et nuit par ces visions, en sorte que je ne sais comment m'en délivrer. La misère et la décadence actuelles me sont toujours montrées en comparaison avec un passé meilleur et il me faut prier sans relâche. C'est une chose énorme qu'une messe mal dite. Ah ! la manière dont la messe est célébrée est loin d'être indifférente !... J'ai eu une vision immense touchant les mystères de la sainte messe et j'ai vu comment tout ce qu'il y a eu de saint depuis le commencement du monde s'y rapporte. J'ai vu l'A et l'0 et comment tout est renfermé dans l’0 : j'ai vu la signification de la forme circulaire, qui est celle de la terre, des corps célestes, de l'auréole qui entoure les apparitions et enfin de l'hostie. J'ai vu le rapport qui unit ensemble les mystères de l’Incarnation, de la Rédemption et du saint sacrifice de la messe : j'ai vu comment Marie embrassait tout ce que le ciel lui-même ne pouvait pas embrasser. Ces tableaux passaient à travers tout l'Ancien Testament. Je vis le sacrifice depuis la première fois qu'il fut offert et la signification merveilleuse des ossements sacrés. Je vis la signification des reliques placées dans l'autel sur lequel on dit la messe. Je vis des ossements d'Adam reposer sous le mont Calvaire, en ligne perpendiculaire au-dessous de la place du crucifiement de Jésus-Christ. Je regardai de côté dans l’intérieur d'une caverne et je vis couché là le squelette d'Adam tout entier à l'exception du bras et du pied droits et d'une côte de la partie droite de la poitrine, en sorte que je voyais l'intérieur de la charpente osseuse de la partie gauche ; je vis dans la partie droite le crâne d'Ève, précisément à l'endroit d'où le Seigneur l'avait tirée. Il me fut dit aussi qu'il y avait eu beaucoup de contestations à ce sujet : mais que le tombeau d'Adam et d'Ève avait été là de temps immémorial et que leurs ossements y reposaient encore. Avant le déluge, il n'y avait pas de montagne en ce lieu : c'était par suite du déluge que la montagne s'était formée. Je vis que ce tombeau fut respecté par le déluge ; que Noé avait eu dans l'arche une partie des ossements et qu'il les avait placés sur l'autel, lors de son premier sacrifice ; que plus tard Abraham en fit autant et que les ossements mis sur l'autel par celui-ci étaient des ossements d'Adam qui lui étaient venus de Sem. Ainsi le sacrifice sanglant de Jésus mourant sur le Calvaire au-dessus des ossements d'Adam annonce à l'avance le saint sacrifice de la messe où les reliques sont sous la pierre de l'autel, et les sacrifices des patriarches en sont le symbole et la préparation. Eux aussi avaient des ossements sacrés par lesquels ils rappelaient à Dieu ses promesses dont la Rédemption a été l'accomplissement. Noé avait des ossements d'Adam dans l'arche où étaient pratiquées cinq ouvertures qui se rapportaient au Sauveur et à son Église.

Au temps du déluge, il y avait d'effroyables désordres sur la terre. Les hommes se livraient à tous les vices imaginables, chacun prenait et dérobait ce qui lui plaisait et dévastait les maisons et les jardins d'autrui. Ils enlevaient et déshonoraient les femmes et les jeunes filles. Le passage de l'Écriture : « Les enfants de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, » signifie que les races pures, celles qui étaient « nées de Dieu, non de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l'homme (Jean I,13), » se mélèrent avec les races impures, mirent au jour des gens puissants dans le sens humain et terrestre et souillèrent ainsi la ligne d'où devait sortir le Messie. Les proches de Noé eux-mêmes étaient corrompus, sauf sa femme, ses fils et les femmes de ceux-ci. Ils habitaient autour de lui. Il y avait alors par endroits de grands édifices en pierre et à l'entour étaient dispersées des cabanes en clayonnage léger ou des tentes. Plus les parents de Noé étaient éloignés de lui, plus ils étaient mauvais et plus leurs mœurs étaient corrompues : ils le volaient, lui aussi, et s'élevaient contre lui. Ce n'était pas que ces hommes fussent grossiers et sauvages ; mais ils étaient adonnés à tous les vices. Ils avaient toutes les commodités de la vie et tout était bien ordonné chez eux. Ils étaient livrés à d'abominables cultes idolâtriques et se faisaient des idoles selon leur bon plaisir. »


         « Je vis Noé, un vieillard plein de candeur, vêtu d'une longue robe blanche, parcourir un verger avec un couteau recourbé en os qui lui servait à tailler les arbres : je vis arriver devant lui comme une nuée dans laquelle était une figure humaine. Il s'agenouilla et je vis qu'il fut informé que Dieu voulait tout détruire et que lui-même devait construire une arche. Cela l'affligea beaucoup et je le vis prier pour que le monde fût épargné. Il ne commença pas son travail tout de suite : le Seigneur lui apparut encore deux fois et lui dit qu'il fallait se mettre à l'oeuvre, sinon qu'il périrait aussi. Là-dessus je le vis quitter avec sa famille la contrée qu'il habitait et gagner un lieu où il y avait beaucoup de bois et qui d'ailleurs était inhabité. Il prit avec lui beaucoup de gens : ils s'établirent là sous des tentes. Ils avaient un autel où ils sacrifiaient et priaient avant et après le travail. Il se passa beaucoup de temps avant que l'arche fût achevée. Noé en suspendit souvent la construction pendant plusieurs années. Trois fois encore il fut averti par Dieu : alors il prit de nouveaux aides, mais il laissa encore là son travail dans l'espoir que Dieu ferait grâce. »

         « J’appris aussi que pour l'arche, comme pour la croix, on avait employé quatre espèces de bois : le palmier, l'olivier, le cèdre et le cyprès. Je vis abattre les arbres qu'on façonnait aussitôt sur place : je vis que Noé portait lui-même toute espèce de bois sur ses épaules jusqu'à l'endroit où l'on construisait, de même que Jésus a porté sa croix. Cet endroit était une colline entourée d'une vallée. On établit d'abord le fond du navire qui était arrondi par derrière : il ressemblait à une jatte et il fut enduit de poix. L'arche avait deux étages ; il y avait deux rangées de membrures superposées : le tout était creux. C'étaient des troncs d'arbre non équarris avec une moelle blanche à l'intérieur. Il y avait à ces troncs des anneaux ou des noeuds : les grandes feuilles croissaient à l'entour comme des roseaux sans être supportées par des branches. Je vis qu'on faisait sortir la moelle à l'aide de coins. Des bois d'une autre espèce servaient à faire des planches légères. Lorsque Noé eut tout porté et tout rangé, on commença à construire. Le fond fut posé et enduit de poix, la première rangée de membrures fut dressée et les trous, quand il s'en rencontrait, remplis de poix. Vint ensuite le second plancher, avec une autre rangée de membrures : puis le troisième plancher et le toit. Dans les intervalles qui séparaient les membrures s'entrelaçaient, en forme de croix, des lattes de bois brun et jaunâtre : toutes les fentes et les trous étaient bouchés avec une espèce de laine que fournissaient des arbres et des plantes et avec une mousse blanche qui croissait très-abondamment autour de certains arbres, puis enduits de poix au dedans et au dehors. Le haut de l'arche était surmonté d'une voûte arrondie. La porte était placée au milieu de la partie latérale, un peu plus haut que la moitié de la hauteur ; il y avait une fenêtre à droite et une autre à gauche : au milieu du toit, on avait pratiqué une ouverture carrée. Lorsque l'arche fut enduite de poix tout entière, elle brilla comme un miroir au soleil. Après cela, Noé travailla encore longtemps seul aux compartiments destinés aux animaux. Chacun avait une place à part, séparée des autres, et il y avait deux passages par le milieu de l'arche. Sur l'arrière, dans la partie arrondie, était un autel de bois autour duquel étaient suspendus des tapis. Un peu en avant de l'autel, était un bassin avec des charbons. En partant de là, il y avait à droite et à gauche des cloisons pour les chambres à coucher. On porta en outre dans l'arche toutes sortes d'objets mobiliers et de caisses, ainsi que beaucoup de semences, et aussi des plantes et des arbrisseaux qu'on avait mis en terre contre les parois de l'arche et qui la tapissaient de verdure. J'y vis ainsi apporter des vignes chargées de grosses grappes jaunes de la longueur du bras. On ne peut dire combien Noé, pendant son travail, eut à souffrir de la malice et de la ruse des ouvriers qu'il payait en têtes de bétail. Ils le méprisaient et l'injuriaient de toute manière, disant qu'il était fou. Ils recevaient de bons salaires et cependant ils ne faisaient leur travail qu'avec des malédictions et des injures. Personne ne savait pourquoi Noé construisait l'arche et il eut beaucoup d'affronts à souffrir à ce sujet. Je le vis, quand il eut fini, rendre grâces à Dieu qui lui apparut et lui dit qu'il lui fallait appeler les animaux des quatre parties du mondé avec un "chalumeau"?. Plus le jour du châtiment approchait, plus le ciel devenait sombre. Il y avait une immense angoisse sur la terre : le soleil ne se montrait plus et les roulements du tonnerre étaient continuels. Je vis Noé s'avancer à quelque distance dans la direction des quatre points cardinaux et jouer de son chalumeau : je vis alors les animaux rangés en ordre et deux par deux, mâles et femelles, entrer dans l'arche par un pont qui aboutissait à la porte et qui ensuite fut retiré : les grands animaux, éléphants blancs et chameaux, passèrent les premiers. Les animaux étaient tous inquiets comme à l'approche d'un orage : ils mirent plusieurs jours à se réunir. Les oiseaux entraient continuellement par la lucarne ouverte : les oiseaux aquatiques allèrent se placer dans le fond du navire : les quadrupèdes dans l'étage intermédiaire : les oiseaux étaient sous le toit, chacun à sa place. Ils se tenaient sur des perches et dans des cages. Les animaux de boucherie venaient toujours au nombre de sept couples. Noé implora encore la miséricorde de Dieu et entra avec sa femme, ses trois fils et les femmes de ceux-ci : ils retirèrent le pont à eux et fermèrent la porte. Il laissa derrière lui tout le reste, même des proches parents et leurs petits enfants. Tous s'étaient éloignés de lui après l'achèvement de l'arche. Alors éclata un orage épouvantable : les éclairs se précipitaient sur la terre comme des colonnes de feu et il tombait du ciel de véritables torrents. La colline où était l'arche fut bientôt une île. C'était un si terrible désastre que j'espère bien que beaucoup de personnes se convertirent. Je vis un démon noir d'une forme hideuse courir de côté et d'autre à travers la tempête et pousser les hommes au désespoir. Des crapauds et des serpents cherchèrent un refuge dans des coins de l'arche. : je n'ai pas vu de mouches, ni de vermine : tout cela a pris naissance plus tard pour tourmenter les hommes. »

         « Je vis Noé dans l'arche offrir un sacrifice d'encens son autel était couvert de blanc et de rouge et, chaque fois qu'il priait et sacrifiait, il y plaçait des ossements d'Adam. Ces ossements vinrent plus tard en la possession d'Abraham que je vis les placer sur l'autel de Melchisedech dont il n'ignorait pas la mission et qu'il avait beaucoup désiré rencontrer. Je vis le sacrifice d'Isaac sur le mont Calvaire. Le derrière de l'autel était tourné au nord : les patriarches plaçaient toujours ainsi l'autel parce que le mal était venu du nord. »

         « Je vis aussi Moïse prier devant un autel sur lequel il avait placé des ossements de Jacob qu'il portait ordinairement sur lui dans une boîte suspendue à son cou. Il versa sur l'autel quelque chose d'où jaillit une flamme dans laquelle il jeta l'encens. Il conjura Dieu dans sa prière au nom de la promesse qu'il avait faite à ces ossements. Il pria si longtemps qu'il s'affaissa sur lui-même et le matin il se releva pour prier de nouveau. Ces ossements furent placés dans l'arche d'alliance. Moïse priait les bras étendus en croix. Dieu ne résiste pas à cette prière, car c'est ainsi que son propre fils a fidèlement persévéré dans la prière jusqu'à la mort. Je vis aussi Josué prier comme Moïse lorsque le soleil s'arrêta à son commandement.. »

         « Je vis aussi la piscine de Bethesda et comment ses cinq entrées se rapportaient aux cinq plaies du Sauveur. J'ai eu beaucoup de visions sur cette piscine que j'ai vue à diverses époques. Je vis une colline assez éloignée du premier temple et sur laquelle, dans un moment de danger, on creusa une fosse où furent cachés des vases sacrés, des chandeliers et plusieurs réchauds à deux anses ; on plaça au milieu le feu sacré retiré de l'autel, on jeta sur la fosse des poutres de divers bois et je vis que la poutre dont fut fait l'arbre de la croix en faisait partie. Par-dessus tout cela on entassa de la terre, en sorte qu'on ne pouvait rien remarquer de particulier. L'arbre de la croix se trouvait à une époque antérieure près du torrent de Cedron, au-dessus duquel il s'était courbé très-bas, si bien qu'ayant continué à pousser, on s'en servait pour passer d'un bord à l'autre. Après le déblaiement de la colline, on l'employa, de diverses façons. Je vis Néhémie revenir de la captivité et faire des fouilles dans l'endroit où le feu avait été caché. On trouva là comme un amas de boue noirâtre fait de terré marécageuse et on en retira les vases. Néhémie enduisit de cette boue le bois du sacrifice qui s'enflamma. »


         Les visions passèrent ensuite à l'époque chrétienne et il lui fut montré comment les hommes revêtus des plus hautes dignités spirituelles et séculières avaient rivalisé pour rendre au Saint-Sacrement l'honneur et l'adoration qui lui sont dus.

         « Je vis le saint Pape Zéphyrin qui eut beaucoup à souffrir des chrétiens et des hérétiques à cause de son zèle pour la dignité du sacerdoce. Je le vis montrer une grande sévérité quant à l'admission de ceux qui se présentaient pour les saints ordres ; il les examinait à fond et en rejetait beaucoup. Je vis qu'un jour, sur un grand nombre de sujets qui voulaient être prêtres, il n'en admit que cinq. Je le vis aussi disputer souvent avec les hérétiques qui ouvraient des rouleaux, parlaient avec emportement et même déchiraient les écrits qu'il tenait en main. Il exigeait l’obéissance de la part des prêtres et les envoyait tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre ; ceux qui n'obéissaient pas étaient privés de leurs emplois. Je le vis aussi envoyer (je crois que c'était en Afrique) un homme qui n'était pas encore prêtre : il y devint évêque et fut un grand saint. C'était un ami de Zéphyrin et c'est un homme très célèbre. Je vis que Zéphyrin demanda aux chrétiens d'apporter toute la vaisselle d'argent qu’ils avaient dans leurs maisons, qu'il retira des églises les calices de bois et les remplaça par des calices d'argent. Je vis aussi que les burettes étaient de verre et transparentes ; il ne faisait usage pour lui-même que de vases de bois, mais voyant que plusieurs s'en scandalisaient, il les fit dorer en partie. Je vis qu'il fit des dettes pour secourir une pauvre famille qui n'avait pas de liens de parenté avec lui. Je vis qu'une femme qui était sa proche parente vint le trouver et lui fit des reproches de ce qu'il faisait des dettes, ce dont il aurait dû au moins faire profiter ses parents pauvres : mais il lui répondit qu'il avait fait ces dettes pour Jésus-Christ et elle le quitta fort mécontente. Or, Dieu lui avait fait savoir que s'il faisait quelque chose pour cette femme, elle se pervertirait. Je vis qu'il faisait examiner et consacrer les prêtres en présence de la communauté et qu'il établit des règles sévères sur ce que les prêtres avaient à faire quand les évêques célébraient en leur présence ; il assigna aussi à chacun le rang qu'il devait occuper. Je vis qu'il établit que les chrétiens arrivés à un certain âge devaient recevoir le saint Sacrement à Pâques dans l'église : en outre il ne leur fut plus permis de l’emporter chez eux, suspendu à leur cou dans une boite, parce que souvent ils l’avaient porté dans des lieux peu convenables où l’on buvait et où l’on dansait. Je vis qu'il avait une très-grande et très-profonde vénération pour la Mère de Dieu, qu'il eut plusieurs visions touchant sa vie et sa mort, à la suite desquelles il avait disposé sa couche sur le modèle de celle où Marie était morte, et que, le soir, pour témoigner sa dévotion envers elle, il se plaçait pour dormir dans la position où il l’avait vue mourir dans ses visions. Il tenait cachée derrière un rideau cette couche où il prenait son repos. Il portait aussi en secret sous son vêtement un autre vêtement bleu de ciel en l'honneur de celui que portait Marie. Je vis qu'il admit de nouveau dans la communauté des fidèles, lorsqu'ils avaient fait la pénitence canonique, ceux qui avaient été chassés pour des péchés contre la pureté et des adultères et qu'il eut à ce sujet des contestations avec un savant prêtre (Tertullien) qui était trop rigoureux et qui devint hérétique. »


         « Il me fut aussi montré comment saint Louis de France, à l’âge de sept ans, se prépara par un jeûne rigoureux à sa première communion. Il en fit l’aveu à sa mère qui alla avec lui à l'église supplier la Mère de Dieu de lui faire connaître si son enfant pouvait recevoir la sainte communion. Je vis Marie lui apparaître et lui dire que Louis devait se préparer pendant sept jours et recevoir ensuite la communion, qu’elle-même devait communier aussi avec lui et lui offrir son fils dont elle serait toujours la patronne et la protectrice. Je vis que la chose se fit ainsi et je fus instruite à cette occasion que, dans ce temps-là, l'enseignement de la religion était donné et reçu autrement et d'une manière plus sérieuse qu'aujourd'hui. Je vis que plus tard, Louis, dans toutes ses expéditions, avait le saint Sacrement avec lui et qu'il faisait dire la sainte messe toutes les fois qu'il s’arrêtait quelque part. Je vis aussi sa croisade et comme quoi un jour, pendant une tempête, tous ceux qui étaient sur son navire et sur les autres vaisseaux crièrent vers lui pour qu'il leur vînt en aide et obtint de Dieu de les délivrer de la mort. Je vis que le pieux roi, comme le saint Sacrement n'était pas sur le vaisseau, prit un enfant nouveau-né et baptisé qui s'y trouvait, monta sur le pont, éleva l'enfant vers le ciel au milieu de l'orage et supplia Dieu d'avoir pitié d'eux en vue de cet enfant innocent. Il donna ensuite la bénédiction autour de lui avec cet enfant et l'orage s'apaisa à l'instant ; je le vis, après cela, exciter ses compagnons à la dévotion envers le saint Sacrement, en leur disant que si Dieu avait fait en leur faveur un tel prodige de miséricorde à cause d'un innocent enfant baptisé, ils devaient croire qu'il ferait bien plus pour nous en vue de son fils unique. »


         Aux scènes historiques de ce genre se mêlaient comme contre-parties des scènes appartenant au temps présent tombé dans la tiédeur et l'incrédulité et où les causes et les conséquences de l'irrévérence envers le saint Sacrement lui étaient montrées dans des tableaux où figuraient des personnes de toute espèce.

         « Je vis, dit-elle un jour, dans une ville, une réunion d'ecclésiastiques, de laïques et de femmes, lesquels étaient assis ensemble, faisant bonne chère et se livrant à des badinages frivoles, et au-dessus d'eux un brouillard obscur qui aboutissait à une plaine plongée dans les ténèbres. Au milieu de ce brouillard, je vis Satan siéger sous une forme hideuse et, autour de lui, autant de compagnons qu'il y avait de personnes dans la réunion qui était au-dessous. Tous ces mauvais esprits étaient continuellement en mouvement et occupés à pousser au mal cette réunion de personnes. Ils leur parlaient à l'oreille et agissaient sur eux de toutes les manières possibles. Ces gens étaient dans un état d'excitation sensuelle très-dangereux et engagés dans des conversations folâtres et provoquantes. Les ecclésiastiques étaient de ceux qui ont pour principe : « Il faut vivre et laisser vivre. Il ne faut pas à notre époque affecter de se tenir à part ni faire le misanthrope : il faut se réjouir avec ceux qui se réjouissent. » Et avec ces dispositions, ils disaient tous les jours la sainte messe. Dans cette société, je ne vis qu'une jeune femme qui ne fût pas encore gâtée ; elle avait une certaine dévotion à son saint patron. C'était un saint d'un nom très-connu quelle invoquait habituellement. Je vis que les autres la raillaient et cherchaient aussi à la séduire : au-dessus d'elle il y avait comme une rupture dans l'enveloppe ténébreuse et je vis que, d'en haut, ce saint repoussait les mauvais esprits d'auprès d'elle et faisait descendre de la lumière sur elle. Je vis alors Satan au milieu du cercle ténébreux parler au saint, lui demander de quoi il se mêlait et pourquoi il empiétait sur ses droits. Il se vantait, avec un sourire railleur, que tous ces prêtres lui appartenaient, puisqu'étant dans cet état, ils disaient tous les jours la messe et par là s'enfonçaient de plus en plus profondément dans ses filets. Le saint lui enjoignit de se retirer et lui dit qu'il n'avait plus aucun droit sur cette personne à cause des mérites de Jésus-Christ et qu'il ne devait pas s'en approcher. Mais Satan, plein de jactance, répondit qu'il saurait bien la faire tomber dans ses pièges ; qu'il ferait venir de loin un homme qui, dans une occasion, avait fait impression sur elle et qui la conduirait à sa chute. La figure de Satan était horrible. Il avait des bras courts armés de griffes, ses pieds étaient longs et ses genoux tournés à l'envers ; il ne pouvait pas s'agenouiller. Son visage était celui d'un homme, mais froid, méchant et horrible. Il avait quelque chose de membraneux qui ressemblait à des ailes : il était noir et ténébreux : il répandait la nuit autour de lui. Comme il parlait de son droit et que ce langage me surprenait beaucoup, je fus instruite que réellement il acquérait un droit positif quand une personne baptisée qui avait reçu par Jésus-Christ le pouvoir de le vaincre se livrait au contraire à lui par le péché librement et volontairement. Cette vision avait quelque chose de très-sévère et de très-émouvant. Je connaissais les personnes et la femme protégée par son saint patron. »


         « J'allai aussi près de plusieurs mourants. Il y eut un cas qui me toucha beaucoup. Une femme très-coquette et d'une conduite fort légère était sur son lit de mort et ne voulait pas se convertir. Elle n'avait pas de foi et dédaignait les sacrements. Je fis pour elle le chemin de la croix avec quelques âmes : nous nous prosternâmes devant la croix de Coesfeld, et nous implorâmes Dieu si longtemps que le Sauveur détacha ses mains de la croix et descendit. Je me trouvai alors près de la malade et je vis le Sauveur, debout devant elle et couvert d'un manteau, ouvrir ce manteau et lui montrer ses plaies. Elle fut saisie d'effroi, rentra en elle-même, se confessa avec des sentiments de repentir et mourut. »

         « J'allai avec mon ange gardien dans sept églises prier devant le Saint Sacrement et offrir la Passion de Jésus-Christ pour les injures et les affronts faits au Saint Sacrement par de mauvais prêtres. Le patron de l’église était toujours présent et priait avec moi, ainsi que l’ange gardien. Deux des églises que je visitai étaient dans des pays éloignés : il me fallut traverser une grande étendue d'eau. Il me sembla que les gens du pays étaient des Anglais. »


         Le dimanche 28 août, le Pèlerin la trouva encore, vers midi, ravie en extase et priant les bras étendus. Revenue à elle, elle ne put tout de suite se rendre compte de ce qui l’entourait, non plus que de l’heure qu'il était, mais plus tard elle raconta ceci : « J'ai eu, pendant cette matinée, à faire les prières qui m'avaient été enjointes la nuit précédente. J'ai entendu d'abord, dans l’église d'ici, une messe après laquelle j'ai vu le Pèlerin communier. Il y eut ensuite plusieurs autres messes. J'ai vu là toute espace de fautes et de manquements chez des prêtres et des séculiers : j'ai continuellement enduré à cette occasion des souffrances de toute espèce dont j'ai fait l'offrande à Dieu pour les délinquants, lui présentant, en réparation de ces fautes, son fils crucifié, chaque fois qu'il y avait élévation de l’hostie, et le lui offrant avec d'instantes supplications. Je n'ai pas fait cela seulement ici, mais, enlevée d'une façon merveilleuse et transportée rapidement d'une église à l’autre, je l'ai peut-être fait dans un millier d'églises, car j'allai dans toutes les églises catholiques que j'eusse jamais visitées, soit en Europe, soit dans d'autres parties du monde. Tout ce que j'ai vu ne pourrait pas se raconter en deux gros volumes. Je vis çà et là des gens véritablement pieux, même dans ce pays-ci, mais la plupart du temps je ne vis que de la tiédeur : je puis citer dans les Pays-Bas un district sur le bord de l'eau ; en Suisse, quelques bonnes paroisses, mais clairsemées au milieu d'autres qui étaient mauvaises : puis en remontant au nord de l’Allemagne, et près de la frontière de Pologne, un endroit où sont des prêtres que je vois souvent. En Italie j'en ai vu beaucoup de zélés, à la vieille et sainte manière, et d'autres tout à fait mauvais et pleins d'impudence. A la fin de ce travail par la prière si varié, j'ai eu vers midi une nouvelle vision de l’église de Saint-Pierre, laquelle semblait élevée en l'air au-dessus de la terre, pendant que beaucoup de gens accouraient en toute hâte pour se mettre au-dessous et la porter. Je vis faire ainsi grands et petits, prêtres et laïques, femmes et enfants, et même de vieux impotents. J'étais pleine d'angoisse, car je voyais l'église menaçant ruine partout. Les substructions et toute la partie inférieure semblaient au moment de s'écrouler. Alors ces gens se placèrent de manière à les soutenir sur leurs épaules et, pendant qu'ils faisaient cela, tousse trouvaient être de la même taille. Chacun était à sa place, les prêtres sous les autels, les laïques sous les piliers, les femmes sous l'entrée. Tous avaient un si lourd fardeau à porter que je croyais qu'ils seraient écrasés. Mais au-dessus de l'église, le ciel s'ouvrit et je vis les choeurs des saints par leurs prières maintenir l'église debout et aider ceux qui la portaient. Je me trouvai entre les deux, planant en l'air et suppliant. Je vis alors que ceux qui soutenaient l'église la portèrent un peu en avant et qu'en face d'elle toute une rangée de maisons et de palais s'enfonça en terre, comme un champ de blé qu'on foule aux pieds, et que l'église fut déposée là. Alors j'eus une nouvelle vision. Je vis la sainte Vierge au-dessus de l'église, et autour d'elle des apôtres et des évêques. Je vis au-dessous de grandes processions et des cérémonies solennelles. Je vis une quantité de mauvais évêques, qui avaient cru pouvoir faire quelque chose d'eux-mêmes et qui ne recevaient pas pour leurs travaux la force du Christ par l'intermédiaire de leurs saints prédécesseurs et de l'Église, chassés et remplacés par d'autres. Je vis de grandes bénédictions répandues d'en haut et beaucoup de changements. Je vis aussi le Pape ordonner et régler tout cela. Je vis surgir des hommes pauvres et simples dont plusieurs étaient encore jeunes. Je vis beaucoup d'anciens dignitaires ecclésiastiques qui, s'étant mis au service des mauvais évêques, avaient laissé en oubli les intérêts de l'Église, se traîner sur des béquilles, comme boiteux et paralytiques ; ils furent amenés par deux conducteurs et reçurent leur pardon. »


         A la fin de ce travail par la prière fait pour obtenir que le sacrifice non sanglant fût offert comme il devait l'être, Anne Catherine eut encore une vison très-étendue où ce sacrifice lui fut montré comme la ligne de démarcation où les voies des hommes se séparent pour le temps et pour l'éternité. Elle vit aussi la cessation du sacrifice à l'époque de l'Antéchrist. « J'eus, dit-elle, une grande vision touchant l'Église, mais je ne puis plus en coordonner les détails. Je vis l'église de Saint-Pierre et tout autour beaucoup de champs, de jardins, de forêts. Je vis beaucoup de personnages contemporains venus de toutes les parties du monde et un très-grand nombre que je connais, soit par les relations de la vie ordinaire, soit par les visions, dont les uns entraient dans l'église, tandis que les autres passaient devant avec indifférence et allaient en divers lieux. Il y eut une grande solennité dans l'église et je vis au-dessus d'elle une nuée lumineuse sur laquelle descendaient des apôtres et de saint évêques qui se réunissaient en choeurs au-dessus de l'autel. Je vis parmi eux saint Augustin, saint Ambroise et tous ceux qui ont beaucoup travaillé à l'exaltation de l'Église. C'était une grande solennité ; la messe fut célébrée, et je vis au milieu de l'église un grand livre ouvert où pendaient trois sceaux du côté le plus long et deux sceaux à chacun des autres côtés. Je vis aussi en haut l'apôtre saint Jean et j'appris que c'étaient des révélations qu'il avait eues à Pathmos. Le livre était placé sur un pupitre dans le choeur. Avant que ce livre fût ouvert, il était arrivé quelque chose que j'ai oublié. C'est dommage qu'il y ait cette lacune dans la vision. Le Pape n'était pas dans l'église. Il était caché. Je crois que ceux qui se trouvaient dans l'église ne savaient pas où il était. Je ne sais plus s'il priait ou s'il était mort. Mais je vis que tous les assistants, prêtres et laïque, devaient poser la main sur un certain passage du livre des Évangiles et que sur beaucoup d'entre eux descendait, comme un signe particulier, une lumière due leur transmettaient les saints apôtres et les saints évêques. Je vis aussi que plusieurs ne faisaient cela que pour la forme. Au dehors, autour de l'église, je vis arriver beaucoup de juifs qui voulaient entrer, mais qui ne le pouvaient pas encore. A la fin, ceux qui n'étaient pas entrés au commencement arrivèrent, formant une multitude innombrable : mais je vis alors le livre se fermer tout à coup, comme sous l'impulsion d'un pouvoir surnaturel. Cela me rappela comment un soir, au couvent, le diable souffla ma chandelle et ferma mon livre. Tout autour, dans le lointain, je vis un sanglant et terrible combat et je vis spécialement une immense bataille du côté du nord et du couchant. Ce fut une grande vision très-imposante. Je regrette beaucoup d'avoir oublié l'endroit du livre sur lequel on devait mettre le doigt. »

 

FIN DU TOME DEUXIÈME