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VIE DÕANNE CATHERINE EMMERICH
CHAPITRE XVI
DERNIERS JOURS ET MORT D'ANNE CATHERINE.
Le vendredi saint de l'anne 1823, Anne Catherine avait dit : Ç Je ne verrai pas une seconde fte de Pques. J'ai faim du Saint-Sacrement. Il m'a toujours t dit que si rien ne change, je mourrai bientt. È Et, peu avant la Fte Dieu de la mme anne, le Plerin avait crit : Ç Ses travaux pour l'Eglise sont maintenant si douloureux et demandent tant d'efforts qu'elle se croit au moment de mourir. Elle a le sentiment continuel que sa fin approche. Si elle dpassait la fte, elle esprerait encore une prolongation. È Le jour mme de la fte, elle fut dans un tat misrable; cependant elle eut une grande vision touchant le Saint-Sacrement. Comme elle craignait, cause de ses vomissements, de ne pouvoir pas communier, elle pria Dieu, tout tremblante d'angoisse, de ne pas permettre que cette consolation lui ft refuse. Elle fut exauce; un mieux subit se produisit et elle put recevoir la sainte communion. Ç Aprs cela, dit-elle, je vis Jsus avec Walburge, sa belle pouse, et je me vis moi-mme aussi misrable qu'un pauvre vermisseau. Je demandai pourtant devenir mon tour une pouse comme celle-l. Jsus me demanda : Ç Que veux-tu donc? È Et je lui rpondis toute suppliante : Ç De grce, accordez-moi de ne pas pcher. È Ils me quittrent sans rien rpondre. È
Elle resta en vie, mais avec des souffrances qui allaient croissant de mois en mois et que le Plerin dcrit en ces termes. Ç Elle entre dans une srie de terribles supplices qu'elle souffre pour l'glise. Elle est torture, crucifie. Son cou et sa langue se gonflent : elle est toujours comme brise par ses maux. Elle souffre pour des gens impnitents, Sainte Barbe et sainte Catherine lui mettent sous les yeux la position o elle se trouve. Elle ne doit pas faiblir ni reculer : elle s'est impos elle-mme ces souffrances, il faut qu'elle les endure jusqu' la fin... Terrible mal d'yeux pour un cardinal jusqu' en perdre la vue. Elle est prs de succomber, elle se lamente : Ç Ce sont comme des marteau, dit-elle, qui me frappent sur les yeux. È Sur ma demande, elle reoit quelque soulagement : mais les douleurs revienne. Au mal d'yeux se joignent des vomissements. Elle souffre jusqu' perdre l'usage de ses sens : elle ne peut ni parler, ni voir. È
Dans l'octave de la Conception de la sainte Vierge, la suprieure des dames du Sacr-Coeur d'Amiens, madame G. Duhayet, s'adressa par lettre la malade et lui demanda de prier pour sa communaut. Le confesseur ne voulait pas lire la malade cette longue missive o se trouvaient exposes en grand dtail toutes les peines spirituelles de la personne qui l'crivait : mais le Plerin lui persuada de le faire. A peine eut-elle pris connaissance du contenu de la lettre qu'elle dit : Ç J'ai vu cette religieuse : elle manque d'appuis spirituels : on ne la comprend pas. Mais c'est un esprit mle et vigoureux. Je l'aime beaucoup et j'tablirai une union de prires avec elle. Quelques jours aprs, elle pria et fit pour elle en vision un travail symbolique dont ses cruelles souffrances ne lui permirent de raconter que le fragment suivant : Ç J'tais avec cette religieuse dans un jardin. C'tait une jardinire trs-habile en ce qui touche les semailles. Elle avait une corbeille divise en compartiments et dans ceux-ci un grand nombre de petits sacs trs-propres, dont chacun contenait des graines diffrentes appartenant des plantes et des fleurs de toute espce. Elle avait une grande quantit de graines, et quand elle dcouvrait une nouvelle plante, elle on recueillait aussitt la graine dans un nouveau sac. Quelques-uns des petits sacs contenaient beaucoup de graines, d'autres ne contenaient qu'un petit nombre; dans quelques-uns les diverses graines taient mles. Je ne m'entretins pas avec elle, mais je travaillai et plantai avec une grande fatigue. Le jardin tait divis en petites planches; elle avait se par endroits: mais la plus grande partie tait encore inculte et le sol y tait dur. Elle n'tait pas secourue et souvent elle ne savait que faire. È
Ce fut la dernire communication d'Anne Catherine car, Nol, le Plerin eut rapporter ce qui suit : ÇLa malade, qui ordinairement recevait quelque allgement pour cette fte, continue tre peu prs mourante par suite de souffrances dont elle s'est charge pour des goutteux et d'autres malades. Elle ne peut pas parler; elle ne fait que gmir et tousser : elle est dans un tat de faiblesse qu'on ne peut dcrire. Une jeune personne, qui avait achet par vanit un trs-joli collier, lui a t montre. Pour la prserver du danger o elle est de se pervertir, il faut qu'Anne Catherine souffre au cou et la poitrine autant de douleurs que l'orfvre a donn de coups de poinon et d'autres instruments pour achever son ouvrage. Elle a dit qu'elle avait en outre souffrir pour des personnes qui, aux ftes de Nol, s'approchent des sacrements par pure habitude et avec des pchs de vanit.
6 janvier 1824. Ç Elle a commenc trs-misrablement la nouvelle anne. Elle a de la fivre, des douleurs de goutte, des convulsions, mais elle est toujours activement occupe en esprit pour l'glise et pour des mourants, car elle a dit une fois: Ç Le Pape a mis sur mes paules son terrible fardeau. Il tait trs-malade : il souffre tant de l'immixtion des protestants dans les affaires de l'glise ! Je l'ai entendu dire cent fois qu'il aimerait mieux se laisser mettre mort devant Saint-Pierre que de tolrer plus longtemps ces empitements; le sige de Pierre doit tre libre. È
9 janvier. Ç Le confesseur croit qu'elle aura bientt fini sa tche : car elle a dit en vision d'un ton trs-brave : Ç Je ne puis pas accepter de nouveaux travaux. Je suis au terme. È
10 janvier. Ç Elle est en proie de tels tourments qu'elle ne cesse de soupirer et de se lamenter : elle se tord comma un ver et gmit comme si elle tait mise la torture. Elle a dit son confesseur : Ç Jusqu' prsent j'ai souffert pour autrui : maintenant je souffre pour moi. È Elle invoque seulement d'une voix mourante le nom de Jsus. È
11 janvier. Ç Elle a dit aujourdÕhui : Ç L'enfant Jsus m'a apport beaucoup de souffrances Nol ; il est revenu moi dans la nuit d'hier et m'en a apport encore davantage.
12 janvier : Ç Qui pourrait dcrire le terrible tat de souffrance o elle se trouve ? On ne peut en juger que par ses gmissements continuels, ses plaintes touffes vers Dieu et les prires qu'elle balbutie pour obtenir quelque soulagement, elle qui ordinairement reste silencieuse dans les plus cruelles douleurs. Le mdecin a dit qu'on pouvait s'attendre toute heure la voir mourir. Elle-mme, demande souvent se confesser et explique son confesseur comment il doit disposer du peu qu'elle laisse. Il s'est dclar une inflammation au bas-ventre avec toux et vomissements continuels. Jour et nuit, elle est oblige de rester sur son sant, ne pouvant se soutenir et gmissant de douleur. L'expression de son visage est celle de la patience et de la douceur portes au suprme degr avec l'abandon le plus entier la terrible rigueur de son martyre. Elle a avec cela des dfaillances frquentes et des sueurs semblables celles de l'agonie.
13 janvier. Ç Elle a dit avec une gravit trs-mouvante : Ç L'enfant Jsus m'a apport de bien grandes douleurs : c'tait aprs la Circoncision, lorsqu'il avait la fivre cause par sa blessure. Il m'a dit toutes ses souffrances et celles de sa mre, la faim et la soif qu'ils ont eu endurer. Il m'a montr tout et comment ils n'avaient plus qu'une crote de pain dessch. Il m'a dit aussi : Ç Tu es moi, tu es mon pouse : souffre ce que j'ai souffert ! Ne demande pas pourquoi ! c'est la vie et la mort. È Je ne puis pas non plus savoir combien de temps je souffrirai, comment, en quel lieu. Je suis livre en aveugle un terrible martyre, sans savoir si je dois vivre encore ou mourir. C'est comme dans la prire o l'on dit: ÇJe m'abandonne Dieu, que sa volont cache s'accomplisse en moi. È Mais je suis parfaitement calme et rsigne au fond de l'me et j'ai de grandes consolations au milieu des souffrances. Ce matin encore j'tais trs-heureuse. È Alors elle demanda : Ç 0 en sommes-nous du temps? Ah ! maintenant j'aurais pu finir bientt le rcit de la vie de Jsus et dans quel pitoyable tat je suis ! È
16 janvier. Ç Le Plerin fut quelques minutes prs de sa couche. Elle ne parle pas et ne fait aucun mouvements sauf les tressaillements que lui cause la douleur. Ses mains tremblent sans cesse ; ses gmissements douloureux durent jour et nuit. On ne peut s'empcher de pleurer et de prier. Elle a les yeux ferms ; son visage est empreint d'une gravit solennelle et trahit de terribles souffrances. Le confesseur pense qu'elle a la gangrne froide; le mdecin ne donne aucune esprance. Celui-ci a dit au Plerin qu' en juger humainement; elle peut mourir chaque instant. Lorsque le Plerin lui demande s'il n'a aucune esprance, il secoue gravement la tte. L'tat de la malade fait une impression qui brise le coeur. È
18 janvier. Ç Elle est toujours aussi mal. Sur la demande qui lui est faite : ÇAvez-vous de la patience? È un doux sourire interrompt le terrible srieux de ses douleurs et de ses dfaillances. Il y a des changements frquents ou plutt continuels dans son tat, bien qu'on ne puisse pas s'en apercevoir. Ce matin, quoique les cloches ne sonnassent pas, elle dit au vicaire Hilgenberg qui priait auprs d'elle : Ç quelle aimable sonnerie ! c'est pour la grande fte d'aujourd'hui È (le saint nom de Jsus).
20 Janvier. Ç Le Plerin s'entretenait avec le vicaire Hilgenberg du caractre de ses souffrances, une distance o il ne pouvait pas tre entendu d'elle. Elle dit alors d'une voix teinte : Ç Ah ! ne me louez pas, car cela rend mes souffrances de plus en plus grandes. È Le confesseur dit que depuis hier elle a rpt cela plusieurs fois (note),
(note) Le 20 janvier le pre Limberg crivait la soeur Soentgen : Ç Comme je sais combien vous vous intressez votre consoeur malade, Anne Catherine Emmerich; je prends la libert de vous faire savoir par ces lignes comment elle se trouve prsent. Vous aurez dj entendu dire que la malade souffre beaucoup depuis plusieurs mois par suite d'une inflammation des yeux qui s'est allge vers Nol; mais depuis lors elle souffre horriblement d'une toux des plus violentes qui l'a tellement affaiblie et mine qu'elle semble n'avoir plus que la peau et les os et qu' en juger humainement, elle ne peut plus rsister longtemps si Dieu ne la conserve pas. Hier, il y a eu huit jours dj que le docteur Wesener a dclar qu' en juger par l'tat du pouls, chaque minute peut tre la dernire. La violence de la toux, jointe l'extrme irritabilit de la malade, a dtermin une inflammation dans le bas-ventre dont on ne sait pas encore quelles seront les suites. Cependant, il y a lieu de remercier le Trs-Haut de ce qu'il lui a toujours accord jusqu' prsent de supporter patiemment de si cruelles souffrances. Priez pourtant pour votre consoeur si accable de douleurs, afin que la volont du Seigneur se fasse en elle, qu'il soit glorifi par suite de l'preuve laquelle il la soumet et qu'elle persvre jusqu' la fin dans sa patience... È
Ç Ayez la bont de donner connaissance de ceci son cousin Bernard Emmerich, afin qu'il prie pour elle avec un redoublement de ferveur. È
21 janvier. Ç Son tat devient chaque jour plus triste, en tant que cela est possible. Elle gmit et rle jour et nuit. Son visage est empreint d'une gravit qui a quelque chose d'effrayant, mais il exprime aussi la paix. Trs-rarement, et seulement quand elle a absolument besoin qu'on lui vienne en aide, elle balbutie d'une voix trs-altre quelques paroles peu prs inintelligibles. Son dos, sur lequel elle est toujours couche, est tout couvert de plaies. Elle ne peut pas prendre d'elle-mme une autre position, et si on la retourne sur le ct, elle semble au moment de suffoquer. Le Plerin lui donne soir et matin de l'huile de sainte Walburge. Elle balbutie assez souvent ces mots. Ç Oh ! comme c'est agrable ! È mais d'une voix tout altre et qu'on dirait celle d'une autre. Elle ne dort jamais et reste toujours sur son sant dans une position oblique, gmissant et rlant : elle a jour et nuit les yeux ferms. È
22-26 janvier. Ç Ses souffrances sont toujours les mmes. Elle est sans aucun espoir. Ces jours-ci, elle fait venir successivement du village ses frres et leurs enfants ainsi que son neveu, l'tudiant de Munster. Elle ne peut leur adresser que bien peu de paroles, mais elle veut qu'ils restent un certain temps prs d'elle. Elle n'a jamais fait cela dans des maladies antrieures qui semblaient mortelles. Lorsque le second fils de son frre, un brave jeune paysan, a pris cong d'elle ce matin, elle lui a parl, selon le rapport du confesseur, avec une voix plus distincte qu' l'ordinaire, pour l'engager bien vivre et avoir Dieu devant les yeux, et elle lui a dit que ses parents ne devaient plus venir la voir. È
27 janvier. Ç Le Plerin la trouve plus morte que vive. Elle peut peine avaler l'huile de sainte Walburge. Ses joues sont colores par une fivre ardente. Ses mains sont blanches et les places des stigmates brillent comme de l'argent travers la peau tendre. È
Ç Elle veut mourir en religieuse. Dans l'aprs-midi elle chargea son confesseur d'engager madame Hackebram venir prs d'elle, pour tre prsente comme suprieure de la malade et reprsentant son ancienne communaut quand on lui administrera l'extrme-onction. Elle a reu le sacrement avec force d'me et en pleine connaissance, aprs quoi elle a envoy au doyen Rensing la suprieure et le chapelain Niesing pour lui demander pardon en son nom des offenses qu'elle aurait pu lui faire sans le savoir et sans le vouloir. Ils firent la commission. Mais, malgr cela, le doyen continue se tenir l'cart. È
31 janvier. Ç Elle ne parle plus qu' son confesseur, sauf un mot qu'elle adresse parfois sa nice. È
1er fvrier. Ç Le Plerin la visita dans la soire. Elle respirait trs-difficilement. Tout coup elle sembla se recueillir : on sonnait les cloches pour la fte du lendemain (la Purification de la Sainte-Vierge). È
2 fvrier. Ç Aujourd'hui elle a murmur voix basse : Ç Il y a longtemps que cela n'a t si bien pour moi. La Mre de Dieu a tant fait pour moi ! Il y a bien huit jours que je suis malade, n'est-il pas vrai? Je ne sais rien de ce qui se passe dans le monde. Oh ! combien la Mre de Dieu a fait pour moi ! Elle m'a prise avec elle : je voulais rester auprs d'elle : È Alors elle se ravisa et dit en levant le doigt: Ç Doucement! je ne dois parler de cela pour rien au monde. È Maintenant elle se tient toujours en garde contre toute louange qui pourrait lui tre donne, parce que cela la ferait souffrir encore plus cruellement. È
6 fvrier: Ç Elle prend ses mesures aujourd'hui afin que demain, jour anniversaire de la mort de l'abb Lambert, une messe soit dite pour lui. È
7 fvrier. Ç Elle appelle constamment Dieu son secours. Au milieu de ses souffrances, elle parle plus distinctement qu'elle ne l'avait fait jusqu'ici. Elle fait souvent cette prire : Ç Ah! Seigneur Jsus, soyez mille fois remerci pour toute la dure de ma vie! Seigneur, non comme je veux, mais comme vous voulez ! È Elle a prononc une fois ces touchantes paroles : Ç Ah! la belle corbeille de fleurs qui est l ! ayez-en bien soin ! et ce jeune laurier aussi, ayez-en bien soin ! J'en ai longtemps pris soin : je ne le puis plus. È Elle entendait probablement par l sa nice et son neveu l'tudiant. È
Ç Le 8, dans l'aprs-midi, le vicaire Hilgenberg priait prs d'elle. Dans sa reconnaissance, elle voulut lui baiser les mains. Il les retira humblement. Elle le pria d'assister sa mort, garda quelque temps le silence, puis elle dit: Ç Jsus, je vis pour vous, je meurs pour vous ! È Elle dit encore : Ç Dieu soit lou ! je n'entends plus ! je ne vois plus ! È Comme elle paraissait prive de sentiment par l'excs de ses souffrances, le Plerin s'agenouilla prs de son lit et pria. Il lui mit dans la main un petit reliquaire qu'elle avait port autrefois et qu'elle lui avait donn, quatre ans auparavant. Elle le tint fortement pendant deux ou trois minutes. Le Plerin le reprit: mais le jour suivant il trouva le petit cercle d'argent bris. C'tait le jour de la mort d'Anne Catherine. È
9 fvrier. Le confesseur raconta ce qui suit : Ç Je lui ai encore aujourd'hui donn la sainte communion avant le point du jour. Elle l'a reue avec sa dvotion ordinaire. La nuit d'avant, elle m'avait encore dit qu'elle connaissait la signification de sa maladie et qu'elle me la dirait comme son confesseur, si elle en avait la force: Vers deux heures aprs-midi, les approches de la mort se manifestent. Comme elle gmissait de la souffrance cause par son dos couvert de plaies, on voulut changer l'arrangement des oreillers. Elle s'y refusa en disant : Ç Ce sera bientt fini, je suis sur la croix. È Cela me toucha vivement: Je lui donnai l'absolution gnrale et rcitai les prires des agonisants. A la fin elle saisit ma main la pressa; me remercia et me fit ses adieux. Quelque temps aprs, sa soeur tant entre et lui demandant pardon, elle se tourna vers elle, la regarda fixement et me demanda ce qu'elle disait. Je lui rpondis qu'elle la priait de lui pardonner : sur quoi elle reprit avec beaucoup de gravit : Ç Il n'y a pas une personne sur la terre qui je n'aie pardonn. È Elle dsirait ardemment la mort et disait souvent en soupirant : Ç Venez donc, Seigneur Jsus ! È Je la consolai et l'engageai tre calme et souffrir avec son Rdempteur qui avait aussi pardonn sur la croix au larron. Alors elle pronona ces remarquables paroles : Ç Tous les gens qui taient l et le meurtrier crucifi avaient un moindre compte rendre : car ils n'avaient pas reu tant de grces que nous. Je suis pire que le meurtrier crucifi. È Et plus tard : Ç Je crois que je ne puis pas mourir, parce que beaucoup de bonnes personnes pensent du bien de moi par erreur. Dites donc tous que je suis une misrable pcheresse. È Comme je voulais encore la consoler, elle reprit avec nergie et comme en protestant : Ç Ah ! si je pouvais crier assez haut pour que tous les hommes l'entendissent que je ne suis rien qu'une misrable pcheresse, bien pire que l'assassin sur la croix. È Aprs cela elle devint plus calme. Pendant ce temps, le vicaire Hilgenberg tait arriv et il pria aussi prs d'elle. Ce bon vieillard pria une bonne heure agenouill devant son lit.
Ç Le Plerin arriva chez elle vers cinq heures et demie. Le confesseur, en ce moment mme, ferma les volets et dit: ÇVoici la fin. È Le Plerin trouva dans la chambre la soeur, le frre et la nice de la mourante, le vicaire Hilgenberg, la soeur du confesseur et Mme Clment Limberg, son ancienne htesse. Ils taient genoux et priaient. La porte de la petite pice o la malade couchait tait ouverte, pour lui rendre la respiration plus facile. Le cierge des mourants tait allum. Elle tait moiti assise dans le panier qui lui servait de lit; sa respiration tait courte. Son visage avait quelque chose de trs-imposant. Ses yeux taient levs vers le crucifix. Au bout de quelque temps, elle tira sa main droite de dessous la couverture et la posa dessus. Son confesseur la consolait et lui donnait souvent le crucifix baiser. Sa bouche y cherchait toujours humblement les pieds, ne touchant jamais la tte, ni la poitrine, et elle les pressait entre ses lvres. Bientt elle sembla vouloir communiquer encore quelque chose son confesseur. Obissante jusqu' la fin, elle lui rpondit l'instant quand il l'interrogea. Il fit sortir tout le monde de la chambre. Ce fut la dernire fois que le Plerin la vit vivante. Lorsqu'il alla rejoindre les autres dans la premire pice o ils priaient assis ou genoux, huit heures sonnaient. Suivant le rapport du confesseur, elle parla encore d'une bagatelle dj confesse et dit ensuite : Ç A prsent je suis aussi tranquille et j'ai autant de confiance que si je n'avais jamais commis un pch. È Elle baisa encore la croix. Le confesseur rcita les prires des agonisants. Elle dit plusieurs fois en soupirant : Ç Seigneur, aidez-moi, aidez-moi, Seigneur Jsus ! È Le confesseur lui mit dans la main droite le cierge des mourants et fit sonner une petite sonnette de Notre-Dame-de-Lorette dont on se servait autrefois au couvent d'Agnetenberg lors de la mort des religieuses, puis il dit : Ç elle meurt. È Il tait huit heures et demie (note). Le Plerin s'approcha de son lit et la vit affaisse sur elle-mme du ct gauche, la tte penche vers la poitrine; sa main droite reposait sur la couverture, cette main miraculeuse laquelle le dispensateur des dons clestes avait attach la grce inoue de reconnatre au toucher ce qui tait saint et bnit par l'Eglise, grce qui peut-tre jusque-l n'avait jamais t donne ce degr sur la terre. Le Plerin prit cette main ; il tait froid et sans vie, cet organe des sens spiritualis qui suivait et retrouvait travers toute la nature, mme dans un grain de poussire, la substance sanctifie. Elle tait sans vie, cette main humble et bienfaisante qui avait nourri tant d'affams et recouvert la nudit de tant d'indigents. Elle tait froide et morte.
(note) Le jour de sa mort fut le lundi d'avant la Septuagsime.
La grce tait retire la terre. La faute en est nous. Quelques annes auparavant, elle avait dit son confesseur (note) de lui couper la main droite lorsqu'elle serait morte. Le Plerin se souvient qu'en outre elle a assur que, mme aprs la mort, n'ayant plus de lien avec la vie, elle discernerait encore les objets saints sur l'ordre qui lui en serait donn. Une fois aussi elle avait racont une vision o elle se voyait devant l'glise, couche dans le cercueil sans ses mains lesquelles, planant en l'air, se dirigeaient vers les choses saintes qui taient dans l'glise. Le Confesseur dit que jusqu' la fin il avait trembl la pense qu'elle pourrait peut-tre rpter cette demande faite dans un autre temps. Ç Peut-tre, ajouta-t-il, ne l'a-t-elle pas fait parce qu'elle a vu la terreur dont j'tais saisi l'ide qu'elle pt tmoigner ce dsir. È
Le lendemain, le Plerin se rendit Haltern et Bocholt, d'o il revint Dulmen cers la fin du mois. Limberg et Wesener se conformrent scrupuleusement au dsir tmoign par la mourante que son corps ne ft l'objet d'aucun examen agrs sa mort. Limberg confia le soin de prparer le corps pour la mise au cercueil la femme de son frre Clment, laquelle le Plerin lui-mme ne peut s'empcher de fendre ce tmoignage: Ç qu'on n'aurait pu trouver pour cela de mains plus humbles, car elle regardait cet office comme une chose de grande importance, comme une grce et une distinction pour elle. Voici ce qu'elle certifia plus tard : Ç Le mercredi 11, dans l'aprs-midi, j'enveloppai le corps dans un grand linceul, suivant la volont qu'avait manifeste la dfunte, et je la portai de son lit de mort sur un matelas de mousse : ses pieds taient fortement croiss l'un sur l'autre. Je vis les marques des mains et des pieds plus rouges et plus distinctes qu' l'ordinaire. Lorsque je l'enlevai, il sortit de sa bouche du sang et de l'eau. Tous les membres taient souples et flexibles. On apporta le cercueil le jeudi midi. Il y avait quelque chose de trs aimable dans l'aspect de la dfunte. Elle avait voulu avoir un cercueil plat trs-pauvre : cependant on en avait fait un qui tait joli, Elle fut enterre le vendredi, huit heures et demie. Il y eut un cortge si nombreux que, de mmoire d'homme, on n'en a pas vu un pareil Dulmen. Tous les prtres, tous les bourgeois, tous les enfants des coles, tous les pauvres en faisaient partie. È
Le 11 fvrier, le P, Limberg porta des aumnes une pauvre journalire afin qu'elle ft avec ses enfants le Chemin de la croix pour la dfunte fendant neuf jours. Il donna au Plerin ce sujet l'explication suivante : ÔPlusieurs jours avant sa mort, la malade m'avait charg de faire dire la sainte messe pour elle par le vicaire Hilgenberg, pendant neuf jours de suite, dans la chapelle de Sainte-Anne, et d'y faire brler un cierge devant l'image de la sainte : elle voulait aussi que la journalire fit pour elle le Chemin de la croix avec ses enfants, pendant neuf jours. Je me suis abstenu de faire cette dernire commission cause du mauvais temps. La malade ne pouvait rien, savoir de mon omission, mais un peu avant sa mort, elle me dit : Ç Il y a une chose dont vous m'avez prive. Vous n'avez pas fait faire le Chemin de la croix par la femme. È
Ecoutons encore d'autres tmoins sur les dernires heures de sa vie. Wesener s'exprime ainsi dans ses notes : ÇPendant tout l'hiver, elle souffrit horriblement des yeux. Lorsque j'eus fait cesser l'inflammation extrieure par les mayens ordinaires, le mal attaqua violemment l'intrieur de la prunelle. Tous les remdes employs pour la soulager furent infructueux, sur quoi elle donna des explications tant en extase : cette souffrance, disait-elle, tait un travail dont elle tait charge et qui devait tre termin Nol. En effet, le lendemain de Nol, le mal d'yeux avait cess : mais une toux convulsive trs-douloureuse y succda. Elle vit sa mort trs-clairement plusieurs semaines l'avance. C'est pour cela que, quinze jours auparavant, elle fit les adieux les plus difiants ses plus proches parents qu'elle avait fait venir dans ce but: elle les consola par ; l'espoir qu'ils se reverraient bientt et enfin les congdia en les priant de ne plus venir la voir. Dans les derniers huit jours, elle ne parla presque plus qu' son confesseur : le peu de vie qui lui restait fut consacr la prire intrieure : mais jusqu'au dernier soupir, elle conserva au milieu de ses plus grandes douleurs sa patience indomptable et sa bonne grce affectueuse : quand elle ne pouvait plus parler, elle nous serrait la main. È
Ç A la visite du matin que je lui fis le 9 fvrier, je la trouvai dans l'tat le plus misrable. L'expectoration, jusque-l frquente, avait cess : elle se plaignait de douleurs dans le ct et j'acquis la conviction qu'une nouvelle pleursie avait commenc pendant la nuit. Elfe fut en proie des souffrances indescriptibles jusqu' quatre heures de l'aprs-midi : alors le combat parut fini et la paralysie pulmonaire sembla tablie. Son visage s'affaissa, le pouls disparut et les extrmits devinrent froides comme la glace. La malade alors reprit de la srnit, elle parla encore quelques minutes avant sa fin qui eut lieu enfin aprs huit heures du soir, sans qu'elle et perdu le moins du monde sa connaissance. È
Le vicaire Hilgenberg crivit le 10 fvrier la soeur Soentgen : Ç Elle a accompli sa course, conserv la foi et elle tient maintenant la couronne, notre chre amie. Sa fin a t difiante comme sa vie. Pendant tout l'hiver elle souffrit plus qu' l'ordinaire quoique d'ailleurs sa vie ft une souffrance continuelle. Il y a huit jours, elle me dit : ÇSoyez prs de moi quand je mourrai :È Elle me fit appeler hier soir vers six heures et, huit heures et demie, elle s'est teinte doucement aprs avoir bais plusieurs fois la croix. Son confesseur Limberg tait toujours l : il y avait aussi Brentano, madame Clment Limberg, sa garde-malade Wissing, Gertrude Emmerich, son frre et sa petite nice qui se tenaient dans la pice extrieure, tous priant en silence. Environ quelques minutes avant sa mort, elle demanda dire quelque chose au pre Limberg : quand ce fut fait, il nous appela tous prs du lit de mort et dit: Ç La voici qui meurt. È Sa mort fut douce. Sa perte nous est sensible tous, cependant je puis assurer qu'en la voyant mourir j'ai prouv une joie vritable. Elle a triomph, elle a vaincu le monde. Priez avec les amis qui sont prs de vous pour celle que la mort a transfigure, si toutefois elle peut en avoir besoin. J'espre qu'elle prie pour nous. È
Et le 16 fvrier: Ç Je rponds votre lettre que les obsques ont eu lieu le vendredi 13. Le corps n'a pas t ouvert; cela sans doute aurait fait de la peine au Dr Wesener. Le corps n'a t enlev du lit que le 12 dans l'aprs-midi. Les joues avaient encore de la rougeur des deux cts : mais comme dans son lit de mort, elle avait bu plus d'eau qu' l'ordinaire, cette eau coulait de sa bouche et de son nez; sa tte aussi tait humecte de sang. Elle fut aussitt renferme dans le cercueil, parce qu'aprs sa mort une foule de personnes dsiraient la voir ; cela ne fut permis qu' un petit nombre. Quoique, selon les intentions de la dfunte, l'enterrement se soit fait sans pompe, par consquent sans confrrie, sans les enfants de l'cole, sans messe chante, cependant le cortge fut si nombreux que personne ne se souvenait d'en avoir vu un pareil et que l'glise tait aussi pleine qu'un dimanche. Tous taient profondment mus et continuent pleurer sa mort. J'ai annonc votre visite au P. Limberg qui vous salue de tout son coeur : il assure qu'il sera bientt Munster. Le samedi, M. le doyen a reu la visite d'une personne qui a offert d'acheter le corps (4000 florins pour le compte des hollandais, se prtendant autorise cela par M. le prsidant suprieur de Vinke et aussi pur M. le provicaire; mais cette offre, comme de raison, a t rejete. Que Dieu la laisse reposer en paix; son repos n'a-t-il pas t suffisamment troubl pendant sa vie ?È
Le Plerin demanda au doyen Rensing des explications plus prcises sur l'achat qu'on avait voulu faire. Voici ce qu'il rapporte ce sujet: Ç Dimanche, 29 fvrier, le Plerin alla chez le doyen Rensing afin de le sonder propos d'une pierre tumulaire pour la dfunte. Il lui demanda ce qu'il y avait de vrai dans les offres faites pour acheter le corps et reut la rponse suivante : < Le soir qui suivit l'enterrement, le marchand H., de Munster, vint chez moi, charg par un Hollandais de payer pour le corps quatre mille florins de Hollande la famille de la soeur Emmerich ou la paroisse de Dulmen. Il dit aussi que le provicaire et le prsident de Vinke n'y faisaient aucune objection, ce qui me parut douteux. Mais quand je lui demandai ce qu'il voulait faire du corps qui commenait dj se dcomposer, il retira son offre. È Ainsi parla ce matre dans l'art de dissimuler : mais le Plerin ayant parl trs-nettement touchant les grces si extraordinaires accordes la dfunte, Rensing rpondit: Ç oui, c'est certainement une des personnes les plus remarquables de ce sicle. È Toutefois il n'a pas fait un pas vers cette personne qui tait une brebis de son troupeau. Et pourtant, avant de mourir, elle lui fit demander pardon quoiqu'elle ne l'et jamais offens. Mais lui, qui lui avait caus tant de peine par ses haussements d'paules et par sa docilit obsquieuse aux inspirations du gouvernement, lui, qui aprs avoir crit en sa faveur, a fait ensuite circuler Munster un manuscrit on il parlait d'elle en termes trs-quivoques, il n'a rien trouv rpondre sa dernire prire ! Rien n'a pu le tirer de son trange rserve. Lors de l'enterrement, d'Anne Catherine, o l'motion tait gnrale, on dit qu'il causait d'un air trs-dgag devant la porte de l'glise. Le Plerin fut frapp de ce que le doyen qui, au commencement de leur entretien, lui avait dclar qu'on ne pouvait mettre une pierre sur le tombeau sans l'autorisation des suprieurs ecclsiastiques et qu'on ne pouvait ouvrir la tombe sans cette mme autorisation, dit pourtant la fin : Ç Si l'on mettait une pierre tumulaire, il serait bon de regarder d'abord si le corps y est encore. È
D'aprs ce dernier propos, il semble que Rensing, aussi, aurait ajout foi au bruit qu'un Hollandais avait secrtement enlev le corps, bruit qui se rpandit rapidement et excita tant d'agitation Dulmen que l'autorit trouva expdiant d'ouvrir la tombe, pour se convaincre de la prsence du corps. Le 26 mars 1824, le vicaire Hilgenberg crivait ce sujet la soeur Soentgen : Ç Je vous dirai que, du 21 au 22 mars, le bourgmestre Moellmann, en prsence des officiers de police et du menuisier Witte, a fait ouvrir par deus fossoyeurs la fosse de la dfunte, comme elle-mme l'avait prdit de son vivant, et que le corps a t trouv tel qu'il y avait t dpos avant de l'enterrer : on l'avait envelopp dans un drap de lit de faon qu'on ne pouvait voir sa tte que par devant. L'eau qu'elle avait bue avant sa mort tait sortie de sa bouche teinte en rouge et deux taches rougetres s'taient montres sur ses deux joues : en outre son visage paraissait plus beau dans le cercueil que sur son lit de mort. Lorsqu'on a ouvert le cercueil, aprs l'avoir dterr, on a trouv le corps sans trace de corruption quoique la mort remontt six semaines, toutefois les taches rouges avaient disparu et fait place la pleur. On a aussi pu voir les stigmates des pieds. Ils n'ont pas vu les mains qui avaient t fortement enveloppes dans le linceul avec le corps. Autour du haut de la tte, on a remarqu une humidit rougetre, ainsi qu'aux deux cts du corps. Les gens en question craignaient qu'il n'en sortit de la mauvaise odeur: aussi avaient-ils allum leurs pipes et le bourgmestre tenait son mouchoir devant son nez : mais cela n'tait pas ncessaire :. il n'y eut aucune mauvaise odeur. Le bourgmestre qui avait t charg de l'opration par l'administration suprieure doit lui adresser un rapport: et maintenant le faux bruit cessera de courir. Mlle Louise Hensel a plant sur la tombe un rosier et quelques lieurs. Je crois que le Seigneur ornera pour toujours la dfunte d'une couronne qui ne se fltrira pas et qu'il accueillera ses prires pour nous. È
Peu de jours auparavant, ladite demoiselle avait dj fait ouvrir la tombe, mais en secret, parce qu'elle aussi s'tait inquite du bruit qui s'tait rpandu et parce qu'elle dsirait voir encore une fois les traits d'une personne qu'elle avait eue en si grande vnration. Ç Il y avait dj cinq semaines, a-t-elle crit l'auteur du prsent livre, qu'elle tait couche sous la terre, cependant on ne pouvait pas distinguer la moindre odeur cadavreuse. Le linceul tait humide, comme s'il et t lav rcemment, et troitement coll aux membres. Le foin sur, lequel elle tait couche tait dj moisi et pourri en grande partie. Les traits de son visage taient pleins de charme et ne prsentaient pas la moindre altration : la vue de son corps dont la forme se distinguait sous le linceul m'a laiss une impression touchante que je ne puis oublier. Je glissai sous sa tte une plaque de plomb o taient inscrits son nom et la date de sa mort.
Le tombeau fut ouvert une troisime fois le 6 octobre 1858, ainsi que le rapporte la lettre suivante crite l'auteur par M. Krabbe, doyen du chapitre de Munster : Ç Le 6 octobre 1858, la tombe de la dfunte soeur Emmerich fut ouverte en prsence de M. Bernard Schweling commissaire piscopal et notaire apostolique, de M. Cramer, doyen de Dulmen et de plusieurs autres prtres. La premire cause qui y donna lieu fut une visite que le pre Pellicia de l'ordre des Frres de la Misricorde fit, il y a quelques annes, sa vieille mre qui habitait Munster. Ce pre parla de la grande vnration dont la dfunte Anne Catherine Emmerich tait devenue l'objet Rome et s'tonna d'entendre si peu parler d'elle en Westphalie. Il fit exprs le voyage de Dulmen pour voir le tombeau de la dfunte, fut trs-surpris de ne pas mme trouver une croix sur sa tombe et manifesta l'intention, lorsqu'il serait de retour Rome, d'organiser une qute parmi ses admirateurs pour faire les frais d'un tombeau. Cette qute fut faite par des personnes de la haute noblesse romaine et lorsque l'argent eut t envoy ici, Mgr l'vque autorisa l'rection d'une croix gothique en pierre sur la tombe, et l'ouverture de la fosse pour en poser les fondements, en prsence de tmoins. Lorsqu'on l'eut ouverte, on ne trouva plus rien du cercueil l'exception d'un clou. Aprs avoir soigneusement enlev la terre qui recouvrait les ossements, on fit venir de l'hpital voisin deux soeurs de charit qui les retirrent un un et les prsentrent aux mdecins prsents, le Dr. Wiesmann et le Dr. Wesener dont le pre avait donn ses soins la dfunte Emmerich pendant les dix dernires annes de sa vie. Les ossements furent reconnus par les deux mdecins comme tant ceux d'une femme et placs ensuite par les soeurs de charit dans un cercueil neuf en bois de chne. On finit par trouver le squelette entier dans une situation naturelle : il n'y manquait que la trs-petite partie qui, s'tait dissoute et mle avec la terre. Le cercueil renfermant les ossements fut port l'hpital par les soeurs, accompagnes des diverses personnes qui avaient assist l'ouverture; il y fut ferm hermtiquement et scell. Lorsqu'en suite la tombe fut maonne avec des briques, le cercueil y fut port en procession de l'hpital. La tombe fut bnite de nouveau, puis le cercueil y fut dpos et recouvert d'une vote en briques. On replaa au dessus l'ancienne pierre spulcrale sur laquelle la croix fut rige. È
Quelques annes aprs, l'espace occup par le tombeau fut entour d'une belle grille en fer avec des banquettes o des gens pieux viennent trs-souvent s'agenouiller et prier.
Lorsque le Plerin, au mois de mars 1824, quitta Dulmen pour toujours avec ses papiers, la douleur cause par la perte qu'il avait faite avait effac de son me tout sentiment d'amertume : ses adieux au P. Limberg, au Dr Wesener, aux vicaires Hilgenberg et Niesing, ainsi qu' la famille du chaudronnier Meiners, furent si pleins de cordialit et le souvenir des anciennes dissidences s'effaa si compltement que tous lui restrent sincrement attachs tant qu'ils vcurent, comme on le voit par beaucoup de lettres qu'il avait coutume de recevoir de Dulmen chaque anne. Ainsi Wesener crivait le 18 mars 1825 : Ç Vous avez su par nos amis d'ici que j'ai t aux portes du tombeau, Je ne vous parlerai, ce sujet, que d'une seule chose, la plus importante mes yeux comme aux vtres, je veux dire la paix de l'me que j'ai parfaitement conserve au milieu des plus grandes souffrances, en m'attachant fortement Notre-Segneur Jsus et en usant des remdes spirituels qu'il nous a donns. Le P. Limberg et le vicaire Niesing ont t pour moi les plus fidles soutiens; tous deux se montraient satisfaits de ma patience et se rjouissaient de voir que les consolations de la foi adoucissaient mes extrmes souffrances.
Ma gurison commena, lorsque font le monde me croyait perdu, commencer par moi-mme, partir du moment o ma femme (c'tait en janvier, quatre heures du matin) courut au cimetire et, dans sa grande dtresse, invoqua l'intercession de la chre Emmerich. O chre et bonne me, combien de fois, pendant ma maladie j'ai pens tes souffrances sans nom !
Au commencement de l'inne 1832, le Plerin crivit une personne qu'il honorait particulirement : Ç Je m'efforce de continuer le compte rendu des trois premiers mois de mon sjour auprs de la soeur Emmerich, ce qui m'est trs-pnible cause de beaucoup de choses qui touchent aux personnes. È
Il terminait une autre lettre la mme personne par ces paroles : Ç Je vous demande trs-srieusement et avec une grande confiance de prier pour moi aux intentions suivantes : 1¡ que Dieu ait piti de moi, qu'il daigne m'accorder la grce et me donner la force de ne pas l'offenser si souvent et si facilement par les pchs de la langue. Car je suis bien frquemment et bien aisment entran manquer la discrtion et la charit dans ce que je dis d'autrui sans ncessit et sans utilit; 2¡ que Dieu me conserve la vie assez longtemps pour pouvoir terminer mes travaux et disposer de ce que je possde en faveur des pauvres. È
Quelques mois aprs, il fit imprimer d'aprs son journal la Douloureuse Passion de Notre-Seigneur Jsus-Christ prcde d'une courte esquisse de la vie de la servante de Dieu. (note); Il ne put pas se rsoudre publier autre chose malgr la propagation rapide et l'effet bni du ciel de la Douloureuse Passion : il Chercha des auxiliaires plus jeunes et plus forts auxquels il put laisser en toute confiance ses manuscrits pour les publier.
(note) Sulzbach. 1883.
C'est ainsi qu'il crivit, cette mme anne, G. G. (Guido Goerres) : Ç Je voudrais que nous ne fussions pas si loigns l'un de l'autre : je te remettrais, toi et Frdric W. (Windischmann), mes notes manuscrites avec la somme ncessaire pour les frais de publication: mais cela ne peut se faire de loin. Il y faut beaucoup d'explications orales, ainsi qu'un grand ordre et beaucoup de rflexion : car ce qu'il y a de meilleur est dlicat comme la poussire qui colore les ailes du papillon. Je suis assis solitaire, comme au milieu d'un dsert plein de vagues de sable, courb sur un trsor de feuilles fugitives que je protge et je me sens dfaillir dans le tourbillon du monde. È Mais les travaux auxquels eux-mmes consacraient leur vie ne permirent pas ces amis de prendre sur eux la tche pnible de la publication. Deux autres tentatives du Plerin pour trouver un collaborateur n'ayant pas pu aboutir par des raisons du mme genre, il mourut le 28 juillet 1842, avec la ferme confiance que Dieu ne laisserait pas enfoui ce trsor, fruit de tant de souffrances. Sa belle me n'avait jamais pu se rsoudre effacer de son journal une seule ligne des plaintes et des accusations si frquemment portes contre la malade et son entourage, afin que le futur metteur en oeuvre pt prendre une connaissance aussi exacte de tout ce qui s'tait pass que s'il et t tmoin oculaire, et ft mis par l en tat de juger impartialement, selon la vrit et la justice. De mme le frre du Plerin qui, lui ayant survcu dix ans, avait eu longtemps les manuscrits entre les mains et les avait soumis l'examen le plus scrupuleux, ne retrancha rien de ce qui tait crit afin qu'il subsistt un tmoignage de toutes les circonstances, les situations et les relations diverses au milieu desquelles la servante de Dieu avait eu accomplir sa tche journalire.
J. M. J.
FIN DU TOME III ET DERNIER VOLUME