QUINZIÈME CHAPITRE.

Jésus à Abelmehola et à Bezech-Ainon.

(Du 2 au 9 septembre 1822.)


 




    Jésus à Abelmehola. - Détails relatifs à l'Ancien Testament. - Jésus à Bézech - à Ainon. - Mara la Suphanite.


    (2 septembre) Le matin Jésus alla avec les disciples à environ cinq lieues plus loin dans la direction du midi et arriva vers les deux heures à la petite ville d'Abelmehola, lieu de naissance du prophète Élisée. Elle était située sur une pente du mont Hermon, en sorte que les tours étaient au niveau de l'arête de la montagne. Elle n'était qu'à deux lieues de Scythopolis en s'en éloignant du côté du couchant, on arrivait dans la vallée de Jezraël. Elle était à peu près sur la même ligne que la ville de Jezraël elle-même. Pas très loin d'Abelmehola et plus près du Jourdain était un endroit appelé Bezech que j'ai vu dans le lointain en accompagnant le Seigneur. Samarie était à plusieurs lieues au sud-ouest. Je crois qu'Abelmehola est située dans les limites ou sur les confins de la Samarie, mais elle est habitée par des Juifs.

Jésus et ses disciples s'arrêtèrent devant la ville à un endroit où se reposaient les voyageurs, comme c'était l'usage dans la Palestine, et où venaient ordinairement les prendre des personnes hospitalières de la ville qui les recevaient dans leurs maisons. C'est aussi ce qui arriva ici. Des gens qui passaient sur le chemin reconnurent Jésus qui était venu ici précédemment, à l'époque de la fête des tabernacles on à un autre moment, et ils le dirent en rentrant chez eux. Alors un paysan aisé de l'endroit vint avec ses serviteurs ; il apporta à boire et à manger pour Jésus et les disciples, les invita à venir chez lui et ils le suivirent. Il leur lava les pieds et leur donna d'autres habits, pendant qu'il battait et nettoyait les leurs. Il fit aussi préparer un repas, et inviter aussitôt plusieurs pharisiens avec lesquels il était en bons termes et qui ne tardèrent pas à paraître. Cet homme faisait de grandes démonstrations d’amitié ; mais au fond il ne valait pas grand chose : il voulait se faire gloire devant le monde de ce que le prophète était venu chez lui : il voulait de plus le faire examiner par les pharisiens. Ils pensaient, les uns et les autres, que cela se ferait mieux à table en particulier qu'à la synagogue, en présence du peuple assemblé.

Mais à peine la table était-elle préparée, que tous les malades transportables de l'endroit se rassemblèrent devant la maison et dans la cour, ce qui déplut fort au maître et aux pharisiens. Il sortit et voulut les faire retirer. Mais Jésus dit : " J'ai à prendre une autre nourriture dont je suis affamé. "Et au lieu de se mettre à table, il sortit pour aller trouver les malades et commença à les guérir : tous ses disciples le suivirent. Je leur aurais su mauvais gré de ne pas le faire. Il y avait là plusieurs possédés qui poussaient des cris vers lui. Il les guérit d'un regard et d'un simple commandement. Plusieurs malades étaient perclus d'une main ou des deux mains : il leur passa la main sur les bras et leur imprima un mouvement de haut en bas. D'autres étaient hydropiques, il leur mit la main sur la tête et sur la poitrine. D'autres étaient atteints de consomption, d’autres avaient de petits ulcères, qui du reste n'étaient pas d'une nature maligne. Je l'entendis dire à quelques-uns de se baigner, à d'autres qu'ils se porteraient tout à fait bien sous peu de jours et il leur prescrivit certaines œuvres. Bien en arrière d'eux, se tenaient appuyées contre un mur plusieurs femmes hydropiques couvertes de leurs voiles et jetant timidement vers Jésus un regard oblique ou soulevant par instants leur voile pour lui montrer un visage défait. Jésus alla à elles en dernier lieu : il les toucha et les guérit ; et elles se jetèrent à ses pieds.

Tous ces gens étaient transportés de joie et chantaient des cantiques de louange, mais les pharisiens qui étaient dans la maison en avaient fermé toutes les ouvertures : ils s'indignaient près de leur hôte et regardaient souvent à travers le grillage. Ces guérisons durèrent longtemps, et, comme ils voulurent retourner chez eux, il leur fallut traverser la cour, au milieu des malades, des guéris et de leur jubilation, ce qui fut pour eux un vrai crève-cœur. la foule était si grande à la fin que Jésus fut obligé de se cacher dans la maison jusqu'à ce qu'ils se fussent retirés.

Le jour tombait déjà lorsque cinq lévites vinrent inviter Jésus et ses disciples à prendre leur logement dans la maison d'école à laquelle ces lévites étaient préposés. Ils quittèrent le paysan pharisien en le remerciant : Jésus lui fit encore une courte admonition et se servit d’une expression comme celle de renards qu'il avait appliquée aux hérodiens. Cet homme ne cessa pas de faire des démonstrations amicales. Dans la maison d'école Jésus et ses disciples mangèrent quelque chose, puis ils dormirent dans un long corridor, étendus sur un tapis : les couches étaient séparées par des cloisons. Dans cette maison on faisait l'école aux garçons. Il y avait aussi une pièce où l'on instruisait des femmes adultes qui désiraient prendre une connaissance approfondie de la loi de Moise pour se faire juives.

Cette école existait déjà ici dès le temps de Jacob : elle avait été transmise de main en main aux Juifs actuels. Je vis ce qui suit sur son origine, et à cette occasion je vis de nouveau en esprit plusieurs scènes de l'Ancien Testament. Voici ce que j'en ai retenu:

Isaac demeurait à peu de distance d'Hébron, dans le pays des Héthéens, où Abraham avait acheté un champ : il possédait de grands troupeaux et de nombreux esclaves, et il était devenu aveugle de bonne heure. Esau et Jacob étaient déjà des hommes faits lorsque Jacob reçut avant Esau la bénédiction de son père, c'est-à-dire la transmission réelle et sacramentelle d'une bénédiction mystérieuse en vertu de laquelle il était assuré que le Messie sortirait de sa race. Esau était déjà marié, il avait des femmes païennes et plusieurs enfants. Il persécuta Jacob de toutes les manières, et Rébecca envoya secrètement celui-ci à Abelmehola où il avait des troupeaux et des serviteurs, et où il habitait sous la tente. Rébecca avait établi là une école pour des Chananéennes et d'autres filles paiennes. Comme Esau, ses enfants et ses serviteurs, ainsi que d'autres hommes au service d'Isaac, contractaient des alliances avec cette sorte de femmes, Rébécca qui voyait cela avec répugnance faisait instruire là dans la religion d'Abraham les jeunes filles qui le désiraient, car ce territoire lui appartenait.

Jacob se tint longtemps caché dans cet endroit, et quand on s'enquérait de lui, elle disait qu'il était en pays étranger paissant les troupeaux d'autrui. Quelquefois il allait la voir la nuit et elle le tenait caché de crainte d'Esau. Il creusa près d'Abelmehola un puits, le même près duquel Jésus s'était assis devant la ville Les habitants tenaient ce puits fort en honneur, et il était toujours recouvert. Il creusa aussi près de là une citerne en forme de carré long, dans laquelle on pouvait descendre par des marches. Plus tard son séjour fut connu et comme on remarqua qu'à l'exemple d'Esau, il recherchait aussi une femme chananéenne, Isaac et Rébecca l'envoyèrent dans la patrie de celle-ci, prés de Laban son oncle, au service duquel il se mit et dont il épousa les filles

Rébecca n'avait placé son école si loin du pays de Heth, où était sa demeure, que parce qu'Isaac avait des luttes continuelles à soutenir contre les Philistins lesquels souvent ravageaient tout chez lui. Elle avait établi là un homme venu comme elle de la Mésopotamie, et sa propre nourrice, qui était, je crois, la femme de cet homme Les écolières habitaient sous des tentes, et on leur apprenait tout ce qu'une femme devait savoir pour tenir un ménage de bergers nomades. On leur enseignait aussi les devoirs d'une femme appartenant à la race et à la religion d'Abraham. Elles avaient des jardins et cultivaient toute espèce de plantes grimpantes, comme des courges, des melons, des concombres, et aussi une espèce de blé. Elles possédaient, en outre, des brebis de grande taille dont elles buvaient le lait.

J'ai vu aussi qu'elles apprenaient à lire et à écrire, et avec quelle difficulté. On écrivait alors d'une façon très étrange sur quelque chose de brun et d'épais. Ce n'étaient pas des rouleaux de parchemin, comme plus tard, c'étaient des morceaux d’écorce : j'en vis quelquefois prendre sur les arbres. On y imprimait les lettres au moyen du feu. Elles avaient des boîtes à compartiments, et je vis reluire la surface de ces compartiments : car il y avait toute sorte de types en métal qu'on faisait chauffer dans la flamme et qu'on imprimait successivement sur l'écorce. Voici comment j'ai vu préparer le feu avec lequel elles les faisaient chauffer, et qui leur servait eu outre pour la cuisine, pour rôtir, pour faire cuire le pain, et même pour l'éclairage ; et je pensais, à cette occasion, que tout le monde ici mettait la lumière sous le boisseau. Dans un vase dont la forme me rappelait l'espèce de coiffure que plusieurs idoles paiennes ont sur la tête, brûlait une masse noire au milieu de laquelle était creusé un trou, peut-être pour donner de l'air. Les petits cylindres qui entouraient le vase étaient creux, et on y versait souvent un liquide qu'on y faisait chauffer. Au-dessus de ce réchaud, elles renversaient une espèce de boisseau, dont la partie supérieure était mince et comme percée de petits trous : il était également entouré de petits cylindres où l'on pouvait faire chauffer quelque chose. Autour de ce boisseau étaient des ouvertures avec des châssis, et quand on voulait avoir de la lumière, on ouvrait une petite fenêtre, par laquelle arrivait la lumière de la flamme. On ouvrait toujours par les côtés où il ne venait pas de courant d'air comme il y en avait fréquemment sous les tentes. Sous le bassin où était le feu il y avait un petit cendrier dans lequel on faisait cuire des petits pains fort minces ; plus haut, sur le boisseau, on faisait chauffer dans des vases peu élevés, l'eau dont on j faisait usage pour les bains, pour la lessive et pour la cuisine. Elles y faisaient aussi griller et rôtir les aliments. Ces ustensiles étaient légers et minces ; on les avait avec soi en voyage, et on pouvait les transporter facilement d'un endroit à l'autre. On faisait chauffer sur un réchaud de ce genre les lettres dont on marquait les morceaux d'écorce.

Les Chananéens avaient les cheveux noirs ; ils étaient plus basanés qu'Abraham et ses compatriotes : ceux-ci avaient le teint plus jaune avec une nuance vermeille. Les femmes chananéennes étaient autrement vêtues que les filles d'Israël. Elles portaient un ample vêtement d'étoffe de laine jaunâtre descendant jusqu'aux genoux. Il se composait de quatre morceaux qui se réunissaient et s'attachaient au-dessous des genoux, et formaient un large caleçon, lequel était aussi assujetti autour du corps. Des pièces d’étoffe semblables recouvraient le des, la poitrine et le ventre. Ces pièces étaient attachées ensemble sur les épaulés, et cette espèce d'ample scapulaire, ouvert sur les deux côtés, était serré autour du corps par un lacet au-dessus duquel il bouffait. Le tout faisait l'effet d'un large sac, lié par le milieu et s'arrêtant brusquement au-dessous des genoux. Elles étaient chaussées de sandales, et depuis les pieds jusqu'aux genoux s'étendaient des courroies qui se croisaient, et entre lesquelles on voyait la jambe nue. Les bras étaient couverts d'un morceau d'étoffe fine et transparente, qui formait une manche assujettie par plusieurs anneaux de métal brillant. Elles portaient sur la tête un bonnet de petites plumes qui finissait eu pointe, et derrière lequel s’arrondissait comme le cimier d'un casque avec un panache touffu. Elles étaient belles et bien faites, mais du reste beaucoup plus ignorantes que les femmes de la race d'Abraham. Quelques-unes avaient aussi de longs manteaux, plus étroits du haut que de bas. Les femmes israélites portaient sur la chair une pièce d'étoffe qui couvrait les reins et enveloppait le corps : elles mettaient par là-dessus une longue tunique, puis une longue robe boutonnée sur le devant : elles avaient la tête couverte d'un voile.

Je vis et j'entendis aussi ce qu'apprenaient ces Chananéennes : il s'agissait de la religion d’Abraham. Voici ce que j'en ai retenu. On les instruisait sur la création du monde, sur celle d'Adam et d'Eve, et leur introduction dans le paradis ; sur la tentation d'Eve par Satan, et sur la chute du premier couple humain, amenée par la violation de l'abstinence que Dieu leur avait prescrite. J'ai toujours vu que ce fut de la manducation du fruit défendu que naquirent dans l'homme toutes les convoitises coupables. On leur enseignait que Satan avait promis à nos premiers parents une lumière et une science toutes divines, mais que les hommes, après le péché, étaient devenus aveugles qu'il leur était tombé comme une taie sur les yeux qu'une faculté d'intuition qu'ils avaient antérieurement leur avait été retirée, et que depuis lors ils travaillaient à la soeur de leur front, enfantaient dans la douleur, et ne pouvaient acquérir aucune science que péniblement et humblement. Elles apprenaient encore qu’il avait été promis à la femme un fils qui écraserait la tête du serpent : on leur parlait d'Abel, de Caïn et des descendants de Caïn ; on leur disait comment ils avaient dégénéré et étaient devenus mauvais ; comment les enfants de Dieu, attirés par la beauté des filles des hommes, s'étaient unis à elles et avaient donné naissance à une race de géants, d'hommes forts et impies, pratiquant la magie et versés dans toute espèce de mauvaises sciences ; race qui avait inventé et enseigné toutes les voluptés et toute, les maximes de la fausse sagesse, en un mot, tout ce qui attire au péché et détourne de Dieu ; elle avait tellement perverti et corrompu les hommes, que Dieu avait résolu de les détruire tous, à l'exception de Noé et de sa famille. Ce peuple avait eu sa résidence principale sur une haute chaîne de montagnes, et il avait cherché à s'élever toujours plus haut ; mais dans le déluge ces montagnes s'étaient affaissées et avaient fait place à une mer. On leur parlait ensuite du déluge ; de Noé, sauvé dans l'arche avec ses fils Sem, Cham et,Japhet j du péché de Cham, et de la perversité qui s'était de nouveau montrée chez les hommes lors de la construction de la tour de Babel. L'histoire de cette tentative. suivie de la destruction de l'édifice, de la confusion des langues et de la séparation des hommes, devenus ennemis les uns des autres, était rapprochée de celle de ces hommes méchants, robustes, adonnés à la magie, qui habitaient les hautes montagnes ; on montrait tout cela comme le résultat de mariages illicites, détendus par la loi de Dieu, et contractés uniquement pour satisfaire les convoitises de la chair. Sur la tour de Babel aussi, on pratiquait la magie et l'idolâtrie, on se livrait à l'impudicité. Par ces enseignements, les jeunes filles, converties, étaient mises en garde contre toute union avec des idolâtres, contre tout penchant à la superstition et à la magie, contre l'attrait des jouissances sensuelles. contre le goût des raffinements dangereux pour l’esprit et le corps, et enfin contre tout ce qui ne conduit pas à Dieu ; toutes ces choses leur étaient montrées comme faisant partie des péchés à cause desquels Dieu avait exterminé le genre humain. On leur inculquait, au contraire. la crainte de Dieu, l’obéissance, la soumission et la pratique simple et fidèle des devoirs de la vie pastorale. On leur apprenait les préceptes donnés par Dieu à Noé, par exemple, celui de ne pas manger de chair crue ; j'ai oublié les autres. On leur enseignait encore comment Dieu avait choisi la race d'Abraham pour en faire sortir son peuple d'élection, au sein duquel devait naître le Rédempteur, et comment il avait fait sortir Abraham de la terre d’Ur et l'avait séparé du reste des hommes : comment il lui avait envoyé des hommes blancs, c'est-à-dire des hommes qui apparaissaient éclatants de blancheur et de lumière, et comment ceux-ci avaient donné à Abraham le mystère de la bénédiction de Dieu, afin que sa postérité fût élevée au-dessus de tous les peuples de la terre. On ne faisait mention de ce mystère qu'en termes généraux et avec une sorte de crainte religieuse, on leur disait avec quel respect cette bénédiction de Dieu devait être conservée dans la sainteté du mariage chez les enfants d'Abraham, parce que d'elle devait sortir le peuple de Dieu et la rédemption ; on leur présentait Melchisédech comme un de ces hommes blancs dont il a été parlé, et on leur racontait comment il avait offert du pain et du vin et béni Abraham

Je crois que c'est Melchisédech qui a introduit dans le pays la culture du blé et de la vigne, qui n'y existaient pas encore mais je ne le sais plus bien exactement. On leur faisait aussi connaître le jugement de Dieu sur Sodome et Gomorrhe.

Celles de ces Chananéennes qui se mariaient avec des hommes appartenant à Abraham étaient instruites sur l'alliance sainte et le signe de l'alliance de Dieu avec Abraham et sa postérité. J'appris à cette occasion que dans ces premiers temps les filles de pure race d'Abraham étaient marquées, elles aussi, d'un signe sur le corps : ce qui se faisait le 25. jour après leur naissance ; c'était pour leur rappeler, à elles et à d'autres encore, qu'elles étaient les vases sacrés du peuple de Dieu. Cet usage ne dura pas très longtemps ; il était déjà tombé en désuétude longtemps avant la sortie d'Egypte. Je vis que quand une de ces Chananéennes épousait un homme de la race d'Abraham, on lui imprimait auparavant un signe ineffaçable sur le creux de l'estomac. Ces signes étaient divers ; c'étaient tantôt des lignes entières, tantôt des lettres isolées. Il semblait qu'on les marquât du sceau de leur nouvelle famille ou des armoiries d'Abraham. Je ne sais plus les détails. Le signe de l'alliance entre Dieu et la race d'Abraham n'avait pas été donné par Dieu comme un signe entièrement nouveau, mais comme le sceau sacré et perpétuel de l'alliance de Dieu avec la postérité d'Abraham, dont il avait fait son peuple. C'était un signe élevé à la dignité de sacrement, que toutefois d'autres races humaines portaient aussi, comme étant simplement la marque d'une extraction plus pure, sans qu'il y eût chez celles-ci, comme chez les Israélites, un précepte sacré donné par Dieu, obligatoire sous peine de retranchement. Il en était de même du baptême, qui était comme une purification symbolique chez d'autres peuples, et chez les Juifs eux-mêmes, avant d'être élevé par le Rédempteur à la dignité de sacrement régénérateur de la nouvelle alliance. Je reconnus aussi que le signe de l'alliance donné à Abraham existait déjà chez divers autres peuples, et notamment chez des races sacerdotales, par exemple en Egypte et même en Chaldée ; les femmes paiennes qui épousaient des patriarches comme Céthura, la femme noire d'Abraham, appartenaient à une de ces racés marquées du signe en question. Je ne me souviens pas à présent d'où les autres peuples avaient appris à distinguer aussi leurs races par un signe particulier. Du reste, leur condition en cela différait de celle des descendants d'Abraham, chez lesquels c'était le sceau divin de leur union conjugale qui devait produire le plus pur et le plus saint des fruits, puisque le Verbe lui-même devait s'y incarner par l'opération du Saint-Esprit. La tâche la plus sacrée de la religion était alors de coopérer avec les desseins miséricordieux du Seigneur à l'égard des hommes, en procurant le développement d'une race d'hommes très pure par la séparation ou la réunion des couples humains destinés à former une souche sanctifiée, de laquelle sortirent tous les prophètes, tous les ancêtres de la sainte famille, et enfin la sainte famille elle-même. Ce rejet des mauvais éléments et cette réunion des bons éléments dispersés pour en former de saintes générations se continuent encore à présent dans l'union nuptiale de Jésus-Christ avec l'Eglise, sa fiancée, et celui qui comprend bien cela doit aussi comprendre quelle chose grave et contraire aux desseins de Dieu sont les mariages mixtes. Ces sortes de choses paraissent bien étranges, et cependant elles nous touchent de bien près, comme la parabole du froment recueilli et vanné sur l'aire et des pailles jetées au feu. Oh ! combien il est touchant de voir le saint roi Venceslas recueillir lui-même les grains de blé les plus purs, les grappes de raisin les plus exquises, et les offrir pour servir de matière au très saint Sacrement de l'autel !

Dans ces temps anciens, beaucoup d'hommes avaient sur eux certains signes semblables à des signes de naissance, et souvent parmi les enfants il y en avait qui apportaient au monde des signes de ce genre, comme rejetons élus de leurs races, désignés et marqués par Dieu même pour être prophètes, ou rois, ou remplir d'autres fonctions élevées. On en tenait grand compte, et c'était à peu près comme il arrive encore aujourd'hui chez les gens de la campagne, qui se livrent à toute sorte de prévisions et d'espérances quand un enfant naît ce qu'on appelle coiffé. Il y avait de ces enfants des deux sexes, naissant déjà avec des marques naturelles aux endroits du corps où, sans cela, on avait coutume de leur imprimer des marques artificielles. On voyait des enfants mâles naître ainsi avec un signe sur la hanche. C'étaient des hommes marqués pour une certaine destination. Il y avait des gens qui comprenaient et recherchaient le sens de ces signes ; ils devaient être pour les parents les titres naturels que leurs enfants apportaient au monde, comme il y a des gens qui expliquent aujourd’hui aux paysans les titres concernant leurs propriétés : car ces signes naturels, eux aussi, étaient souvent falsifiés pour introduire un intrus dans une race plus noble ou le faire arriver à quelque dignité, ce qui pouvait avoir lés suites les plus funestes. On doit voir dans tout cela quelque chose de semblable aux procédés dont on se sert pour améliorer des espèces d'arbres ou des races d'animaux. On se garde bien de marier des rejetons sauvages à des souches de qualité supérieure ou de la laine grossière avec des toisons plus fines : et de même qu'un jardinier soigneux ou un propriétaire de troupeaux entendu envoient souvent bien loin des hommes de confiance pour leur rapporter des sujets d'une espèce plus relevée, de même nous voyons Abraham lui-même envoyer en Mésopotamie son serviteur affidé, Eliézer, pour y chercher une femme de noble race, et Éliézer poser sa main sous la hanche d'Abraham et lui jurer par le seigneur du ciel et de la terre qu'il ne prendra pas parmi les filles des Chananéens la femme destinée à son fils Isaac.

Quoique les patriarches eux-mêmes ne prissent point chez ce peuple de femmes légitimes, il leur arrivait pourtant souvent de marier à des Chananéennes des gens qui leur appartenaient, et c'est pour cela que Rébecca, sous ses tentes d'Abelmehola, faisait élever des jeunes filles de cette nation dans la religion et les coutumes de sa race.

Le 3, dans la matinée, Jésus alla avec les disciples dans l'école des garçons, près de laquelle il avait logé. Cette école était actuellement une fondation pour les enfants juifs des deux sexes, enfants trouvés, orphelins ou rachetés de l'esclavage. Il s'en trouvait qui avaient été enlevés et élevés dans l'ignorance de la doctrine israélite. Il y avait des différences d'âge chez les garçons et plus encore chez les filles, en sorte que les grandes instruisaient les plus petites. Parmi les maîtres de celle école il se trouvait des pharisiens et des sadducéens, lesquels ne vinrent qu'après Jésus.

Note : " cette occasion Anne Catherine raconta aussi touchant Abraham que ses parents étaient païens et adoraient de petites idoles, qu'Abraham lui-même, dans le commencement, avait eu de ces idoles. Elle dit que le texte de l'Ecriture où Dieu le fit sortir du feu des Chaldéens (2, Esdras, IX, 7), équivalait à dire qu'il l’avait conservé pur au milieu d'un peuple horriblement dépravé, l’avait préservé de l'adoration du feu, et conduit hors de la ville d’Ur, dont le nom veut dire feu. De plus elle se rappelait confusément une histoire d'après laquelle on avait voulu la faire périr dans le feu comme Moise dans l'eau, lorsqu'il était enfant ; mais sa nourrice l'avait caché parce qu'une prophétie particulière reposait sur lui ; puis cette nourrice était morte et on lui en avait donné une autre.

Les garçons avaient à faire, entre autres choses, un calcul d'après le livre de Job, et ils ne pouvaient pas en venir à bout. Jésus le leur fit comprendre à l'aide de quelques lettres qu'il traça : il leur expliqua aussi quelque chose touchant une certaine mesure : j'en ai oublié le nom ; je crois que c'était celle qui désigne une route de deux lieues ou une durée de deux heures : je ne m'en souviens plus bien.

Jésus expliqua aux garçons plusieurs choses touchant le livre de Job ; il fit ainsi, parce que quelques rabbins avaient nié la réalité de cette histoire, embarrassés de ce que les Iduméens, de la race desquels venait Hérode, raillaient et persiflaient les Juifs à ce sujet, les trouvant absurdes de croire à la réalité de cette histoire d'un homme du pays d'Edom, dont pourtant aucun habitant de ce pays n'avait connaissance, et prétendant que c'était une pure fable destinée à récréer les Israélites dans le désert. Jésus expliqua aux enfants l'histoire de Job comme elle avait eu lieu réellement. Il la raconta à la fois à la façon d'un prophète et d'un maître d’école : il semblait qu'il eût les choses devant les yeux, que ce fût sa propre histoire, qu'il eût tout vu et tout entendu, ou que Job lui eût tout raconté : on ne savait pas s'il avait vécu dans ce temps-là, s'il était un ange de Dieu ou Dieu lui-même. Cela ne parut pas très étrange aux enfants, car ils eurent bientôt le sentiment que Jésus était un prophète : ils se souvenaient aussi de ce qu'on leur avait dit touchant Melchisédech que nul ne savait ce qu'il était. Malheureusement l'angoisse et la souffrance m'ont fait oublier la plus grande partie de tout cela ; j’ai pourtant retenu quelque chose de ce qui fut dit sur Job.

Note : Elle ne savait plus bien clairement ce que les enfants avaient à calculer ; elle croyait tantôt qu'il s’agissait de l'époque de Job, tantôt de sa généalogie, tantôt des divers lieux où il avait réside, tantôt dés intervalles entre ses épreuves.

Job était ancêtre d'Abraham du côté maternel : il y avait quatre générations entre eux (il était trisaïeul de la mère d'Abraham). Son histoire et ses entretiens avec Dieu furent écrits tout au long par deux de ses plus fidèles serviteurs, qui étaient comme ses intendants : ils les avaient recueillis de sa propre bouche. Ces deux serviteurs s'appelaient Haï et Uis ou Oïs. Ils écrivaient sur des écorces d'arbres. Cette histoire fut conservée comme une chose sacrée chez ses descendants, et elle fut transmise de génération en génération jusqu'à Abraham : on la racontait aux Chananéennes dans l'école de Rébecca, pour leur enseigner la soumission aux épreuves envoyées par Dieu.

Cette histoire arriva, par Jacob et Joseph, aux enfants d'Israël en Egypte, et Moïse en fit un abrégé approprié à l'usage des Israélites pendant leur oppression chez les Egyptiens, et leurs tribulations dans le désert : sous sa première forme, elle était beaucoup plus étendue, et il s'y trouvait beaucoup de choses qu'ils n'auraient pas comprises et qui ne leur auraient été d'aucune utilité. Salomon la remania plus tard entièrement, laissa beaucoup de choses de côté et ajouta beaucoup du sien. C'est ainsi que cette histoire véritable devint un livre d'édification rempli de la sagesse de Job, de Moïse et de Salomon : l’on ne pouvait plus y retrouver que difficilement l'histoire proprement dite : car elle avait été placée plus près de la terre de Chanaan par le changement de plusieurs noms de lieux et de peuples : c'était là ce qui faisait croire que Job était un Iduméen.

Note : Le père de la race arménienne porte le nom d'Hai.

Job a habité différents lieux et subi ses épreuves en trois endroits divers. La première fois il eut neuf ans de repos, puis sept et ensuite douze, et toujours l'épreuve l'atteignit dans une résidence différente. Son père était un grand chef de races, il habitait dans le voisinage d'une montagne où il fait chaud sur l'un des versants, tandis qu'il fait froid et qu'il gèle de l'autre côté. Job était le plus jeune de treize frères ; dans les derniers temps quelques-uns d'entre eux étaient près de lui. C'était peu de temps avant son époque qu'avait eu lieu la dispersion de la tour de Babel. Il ne pouvait pas rester près de ses parents, car il avait d'autres sentiments et adorait Dieu seul dans la nature, spécialement dans les étoiles et les vicissitudes du jour et de la nuit. Il s'entretenait avec Dieu des merveilles de la création et il avait un culte plus épuré. Il alla avec les siens au nord du Caucase. Il y avait là une contrée très misérable et beaucoup de marécages : je crois qu'elle est habitée à présent par des gens qui ont le nez épaté, des pommettes saillantes et de petits yeux. C'est là que Job débuta et tout lui réussit d'abord : il rassembla de pauvres hommes abandonnés qui habitaient les cavernes et les bois, et qui n'avaient pour nourriture que des oiseaux et d'autres bêtes dont ils mangeaient la chair crue. Il cultiva la terre avec eux et il leur apprit à la remuer. Job et ses gens allaient alors presque nus : ils n'avaient qu'une espèce de petit tablier autour des reins. Les femmes étaient singulièrement vêtues : elles avaient sur les seins comme des étuis, puis le corps était nu jusqu'au nombril : elles avaient le bas du corps et les reins couverts d'un vêtement semblable à des chausses qui étaient larges et froncées autour des genoux : leurs jambes étaient nues. Je vis tout cela pendant que Jésus parlait de ce peuple. Tout réussissait à Job : il demeurait sous des tentes, ses troupeaux se multipliaient et il lui naquit à la fois, d'abord trois fils, puis trois filles. Il n'avait alors qu'une femme : plus tard il en eut trois. Il n'y avait pas encore là de ville, mais il parcourait les plaines, s'arrêtant tantôt dans un endroit, tantôt dans l'autre. Ils ne faisaient pas de pain avec le blé, ils le mangeaient en bouillie et grillé. Ils mangeaient encore la viande crue, mais plus tard il leur apprit à la faire cuire.

Il était incroyablement doux, bon, juste et bienfaisant, et il secourait tous les pauvres gens. Il était aussi très chaste et regardait les convoitises de la chair comme une punition du péché.

Il était très familier avec Dieu qui lui apparaissait souvent par l'intermédiaire d’un ange ou d'un homme blanc, comme on disait alors. Il n'était pas idolâtre comme ses voisins, qui fabriquaient différentes figures d'animaux et les adoraient. Il avait imaginé pour son usage une représentation du Dieu tout-puissant. C'était une figure d'enfant dont la tête était entourée de rayons : les mains étaient placées l'une au-dessous de l'autre : dans l'une d'elles il tenait un globe sur lequel étaient représentés des flots et un petit navire : je crois que ce devait être une représentation du déluge Cette figure était brillante comme si elle eût été faite de métal et il la portait avec lui partout. Il priait devant elle et lui présentait une oblation de grains de blé qu'il brûlait. La fumée s'élevait en l'air comme à travers un entonnoir.

Je n'ai pas vu que la circoncision fût en usage chez lui : mais quand les enfants étaient nés, on les tenait un certain temps dans une fosse pleine d'eau ; s'ils ne pouvaient pas supporter cette épreuve et qu'elle les rendît malades, on n'en tenait aucun compte et on les regardait comme ayant peu de valeur. (Peut-être était-ce un usage emprunté au souvenir du déluge.) C'est ici que Job eut son premier malheur. Entre chacune de ses épreuves, il eut encore des combats et des luttes à soutenir, car il était entouré de beaucoup de races perverses. Plus tard il alla plus avant dans les montagnes (le Caucase), où il recommença à nouveau et où tout lui réussit encore. Dans ce nouveau séjour ses gens et lui commençaient à être mieux vêtus et ils étaient beaucoup plus civilisés dans leur manière de vivre. Il y avait là un roi qui le prit en grande estime et il accompagna une fiancée royale en Egypte avec un cortège de chameaux et de serviteurs : il demeura environ cinq ans en Egypte où il fut très honoré. Je crois qu'alors les Egyptiens plaçaient les enfants dans des idoles rougies au feu et, si je ne me trompe, il fit abolir cet usage : ce fut plus tard qu'ils fabriquèrent leurs étranges figures de bœufs.

Lorsqu'il revint chez lui, il eut à subir sa seconde épreuve et lorsque la troisième survint, après un intervalle de douze ans, il habitait une contrée plus méridionale, située à la hauteur de Jéricho, mais plus à l'orient. Je crois que ce pays lui avait été donné après sa seconde épreuve parce qu'il était partout très aimé et très honoré à cause de son extrême droiture, de sa grande crainte de Dieu et de ses lumières.

Ici encore il avait commencé à nouveau. Sur une hauteur où le sol était fertile, couraient toute espèce de nobles animaux, notamment des chameaux à l'état sauvage : on les prenait là comme chez nous les chevaux indomptés dans les bruyères.

Il s'établit sur celle hauteur, devint très riche, bâtit une ville et prospéra de plus en plus. La ville était sur des fondements en pierre, au-dessus desquels étaient tendues des tentes : ce fut lorsqu'il était de nouveau en pleine prospérité que la troisième épreuve vint l'assaillir et qu'il fut affligé d'une si horrible maladie. L'ayant supportée comme les autres avec beaucoup de patience et de sagesse, il revint entièrement à la santé et il eut encore beaucoup de fils et de filles. Je crois qu'il moulut à une époque très postérieure, lorsqu'un peuple étranger fit irruption dans ce pays.

Quoique l’histoire de Job ait été entièrement remaniée, il s'y trouve pourtant beaucoup de choses dites réellement par Job, et je crois que je pourrais toutes les reconnaître. Dans le récit où l'on voit les serviteurs arriver si promptement les uns après les autres, les mots "  comme il parlait encore " équivalent à ceux-ci : "comme la dernière épreuve était encore dans la mémoire des hommes, n'en était pas encore effacée. "

Quand il est dit que Satan vint avec les enfants de Dieu et accusa Job, ce n'est qu'une façon abrégée de parler. Il avait alors un commerce fréquent entre les mauvais esprits et les hommes impies auxquels les démons apparaissaient sous la forme d'hommes blancs (la Sœur veut désigner par ces mots la figure que prenaient les anges). C'est ainsi que de méchants voisins furent excités contre Job ; ils le calomnièrent, ils prétendirent qu'il ne servait pas Dieu comme il fallait, qu'ayant tout en abondance, il lui était facile d'être bon. Alors Dieu voulut montrer que les souffrances ne sont souvent que des épreuves, etc. (Tout ceci a été mal retenu et n'a été expliqué que d'une manière assez confuse.)

Les discours des amis qui entourent Job, montrent les idées que ses malheurs faisaient naître chez les gens qui étaient en relations d'amitié avec lui. Job attendait le Rédempteur avec un ardent désir et il fut l'un des ancêtres de David. Par la mère d'Abraham, qui descendait de lui, il se trouve avec ce patriarche dans la même relation que les ancêtres de sainte Anne avec la sainte Vierge, etc.

Jésus alla aussi dans l'école des jeunes filles : celle-ci avaient à faire des calculs d'époques en ce qui touchait la venue du Messie, et tous leurs calculs aboutissaient au temps présent. Comme elles en étaient là, Jésus entra dans l'école avec ses disciples, et son entrée fit une très vive impression. Il enseigna sur le passage dont elles s'occupaient et expliqua tout beaucoup plus clairement. Il dit aussi que le Messie était déjà venu, mais qu'on ne le reconnaissait pas. Il parla du Messie inconnu et de l'accomplissement de tous les signes de son avènement. Il s'exprima en termes voilés sur le texte : " une Vierge, enfantera un Fils", disant que c'était encore trop difficile à comprendre pour elles. Il les exhorta à se regarder comme heureuses d'être venues au monde à une époque après laquelle les patriarches et les prophètes avaient si longtemps soupiré. Il parla encore des persécutions et des souffrances du Messie, et leur expliqua des passages qui s'y rapportaient. Il leur indiqua aussi d'avance un temps qui était, je crois, celui de la prochaine fête des Tabernacles, et leur dit de faire attention à ce qui arriverait alors à Jéricho. Je pense qu'il leur annonça d'avance plusieurs miracles, entre autres, celui d'une guérison d'aveugles.

Les jeunes filles étaient assises dans l'école, les jambes croisées ; elles avaient quelquefois un genou relevé. Chacune avait près d'elle un petit banc qui se terminait en angle. Elles s'appuyaient par côté sur l'un des bouts : elles posaient sur le plus large les rouleaux sur lesquels elles écrivaient ; souvent aussi elles se levaient pour écouter.

Jésus leur fit encore un calcul sur les temps du Messie. Ce qui rendait si difficile le calcul des garçons touchant Job, était que, selon les Juifs, il devait être Iduméen, tandis qu'à son époque les Iduméens n'existaient pas encore.

Il parla en outre aux enfants de Jean et du baptême et il leur demanda s'ils ne désiraient pas être baptisés. Il raconta aussi des paraboles à ces orphelins, il parla aux garçons de la signification du sel et leur raconta quelque chose de l'enfant prodigue. Il parla aux filles de la drachme perdue. Pendant que Jésus prêchait dans l'école sur le Messie, les maîtres pharisiens y vinrent et ils se scandalisèrent beaucoup parce qu'ils remarquèrent qu'il appliquait tout à lui même.

Il mangea ce jour-là chez les lévites : le soir, il alla avec eux et les enfants se promener devant la ville. Les petites filles le suivirent, conduites par les plus grandes ; plusieurs fois il s'arrêta jusqu'à ce qu'elles l'eussent rejoint, laissant les garçons prendre les devants : il les enseigna en leur présentant de beaux exemples pris dans la nature, qu'il tira de tous les objets, des arbres, des fruits, des fleurs, des abeilles, des oiseaux, du soleil, de la terre, de l'eau, des troupeaux et des Travaux de la campagne. Ses enseignements aux garçons furent d'une beauté inexprimable. J'en ai oublié les détails par suite de plusieurs dérangements. Il parla aux garçons de Jacob, du puits creusé ici par lui, leur dit comment l'eau vive s'épanchait maintenant vers eux, leur expliqua ce que c'était que boucher et combler les puits, comme l'avaient fait les ennemis d'Abraham et de Jacob, et ce que cela signifiait. Ainsi faisaient, disait-il, ceux qui voulaient étouffer l'enseignement et les miracles des prophètes. Il indiqua clairement par là les pharisiens.

Il alla avec les enfants à l’ouest près de la hauteur d'Abelmehola, à environ une lieue d'ici ; plus avant dans la vallée se trouvait un endroit appelé Thabat.

(4 septembre.) Jésus alla ce matin à la synagogue. Tous les pharisiens et les sadducéens de l'endroit y vinrent avec une grande foule de peuple. Il ouvrit les Ecritures et expliqua des passages des prophètes : ils disputèrent contre lui avec beaucoup d'obstination, mais il les confondit tous. Cependant un homme, qui avait les bras et les mains paralysés, s'était tramé jusqu'à la porte de la synagogue : il avait longtemps désiré voir Jésus et il était enfin parvenu à arriver à l’endroit où il devait passer lorsqu'il sortirait. Quelques pharisiens se mirent en colère contre lui et lui ordonnèrent de s'en aller : mais comme il s'y refusait ils essayèrent de le tirer de là. Il s'appuyait comme il pouvait à la porte et regardait tristement du côté de Jésus qui, placé sur une sorte d’estrade, était séparé de lui par la foule et se trouvait d'ailleurs assez éloigné. Jésus se tourna vers lui et lui dit : "Que me demandez-vous ?" Cet homme répondit : "Seigneur, je vous supplie de me guérir, car vous le pouvez, si vous le voulez. "Jésus lui dit : " Votre foi vous a guéri : Etendez vos mains au-dessus du peuple, "et aussitôt l’homme fut guéri à distance : il leva les mains en l’air et rendit grâces à Dieu. Jésus lui dit alors : "Retournez chez vous, et ne faites pas d'éclat. "Mais il répondit : " Seigneur, comment puis-je taire un si grand bienfait ?’ Puis il partit et raconta à tout le monde ce qui lui était arrivé. Il vint alors beaucoup de malades devant la synagogue et Jésus les guérit lorsqu'il sortit. Il assista ensuite à un repas avec les pharisiens qui, malgré leur irritation intérieure, le traitèrent toujours avec beaucoup de politesse, afin de pouvoir mieux l'espionner. Le soir, il opéra encore des guérisons.

(5 septembre.) Jésus alla encore le matin dans l'école d'Abelmehola. à la fin il fut entouré par les petites filles qui se pressaient près de lui, lui prenaient la main et s'attachaient à ses habits. Il fut extraordinairement affectueux et exhorta ces' enfants à l'obéissance et à la crainte de Dieu. Les plus grands se tenaient plus en arrière. Les disciples présents étaient un peu embarrassés et soucieux, il leur tardait qu'il se retirât. Ils pensaient, suivant les idées juives, que cette familiarité avec les enfants ne convenait pas à un prophète et pouvait nuire à sa réputation.

Jésus ne s'inquiéta pas d'eux, et lorsqu'il eut donné ses instructions à tous les enfants, exhorté les adultes et fortifié les maîtres dans le bien, il dit à un des disciples de faire un cadeau à chacune des plus petites filles : on leur donna des petites pièces de monnaie qui étaient attachées ensemble ; je crois que chacune fut deux drachmes. Il bénit ensuite les enfants en commun et ils quittèrent cet endroit, se dirigeant au levant vers le Jourdain.

Pendant la route, Jésus enseigna encore dans la plaine, devant des cabanes isolées, où se rassemblèrent des groupes de laboureurs et de bergers. Ce ne fut que dans l'après-midi, vers quatre heures, qu'ils arrivèrent devant Bezech, ville située près du Jourdain, à peu près à deux lieues à l'est d'Abelmehola. Elle est comme divisée en deux parties placées des deux côtés d'un ruisseau qui tombe dans le Jourdain.

Le pays est ici montueux et accidenté, et les maisons sont un peu disséminées : Bezech devrait plutôt être appelé un double village qu'une ville. Les habitants vivent isolés et ont peu de relations au dehors : la plupart sont laboureurs et ils aplanissent avec beaucoup de fatigue leur sol accidenté et déchiré. En outre ils fabriquent des instruments d'agriculture pour les vendre et confectionnent des tapis grossiers et des toiles pour les tentes.

A environ une lieue et demie d'ici, le Jourdain fait un détour vers l'ouest comme s'il voulait couler directement vers le mont des Oliviers, mais il se détourne bientôt et revient en arrière : il forme ainsi une sorte de presqu'île sur sa rive orientale : il y a là une ville et une série de maisons.-Avant que Jésus arrivât de Galilée à Abelmehola, il avait eu une petite rivière à traverser.-Ainon pouvait être à environ quatre lieues de Bezech, de l'autre côté du fleuve. Jésus entra dans une hôtellerie devant cet endroit : c'était le premier logement préparé pour lui et ses disciples par les soins des femmes de Béthanie qu'il eût rencontré dans ce voyage. On y avait placé un homme pieux et animé de bons sentiments. Il vint au devant des arrivants, leur lava les pieds et les hébergea. Jésus alla à Bezech, où les préposés de l'école le reçurent dans la rue. Il entra dans différentes maisons où il guérit des malades.

(6 et 7 septembre.) Il y a ici une trentaine de disciples de Jérusalem et des environs, qui sont venus avec Lazare, ainsi que plusieurs disciples de Jean. Quelques uns sont venus directement de Machérunte avec un message de Jean pour Jésus. Il le faisait prier instamment de se manifester hautement et de déclarer qu'il était le Messie. J'ai oublié le reste : ce n'est pas là le message qui est mentionné dans l'Evangile. Parmi les envoyés de Jean se trouvait le fils d'un certain Cléophas qui était veuf. Je crois que c'est le disciple d'Emmaus qui est allié à l'autre Cléophas, mari de la soeur aînée de la sainte Vierge. un autre disciple était Jude Barsabas, allié à Zacharie d'Hébron. Ses parents avaient antérieurement demeuré à Nazareth et habitaient maintenant à Cana. Je me souviens de quelques autres de ces disciples de Jean. Trois fils de Marie d'Héli, sœur aînée de la sainte Vierge, étaient disciples de Jean : l’un d'eux s'appelait Matthias ou Matthieu. Ils étaient nés si longtemps après leur soeur Marie de Cléophas, qu'ils étaient à peine plus âgés que ses fils. Ils suivirent le Précurseur jusqu'à sa décollation, et se réunirent ensuite aux disciples de Jésus. Aucun d'eux ne devint apôtre. Leur mère, sœur très aînée de Marie, était déjà fort âgée à cette époque, aussi vieille que la prophétesse Anne : elle sortait peu et vivait très retirée. Je me rappelle maintenant comment s'appelait le fils de Cléophas d'Emmaus ; il s'appelait Azo (vraisemblablement Azor ou Hazor). Ce Cléophas d'Emmaus était un neveu de l'autre Cléophas. Les Juifs donnaient souvent aux enfants, lors de leur circoncision, les noms de parents proches et particulièrement aimés.

Les deux époux qui étaient préposés à l'hôtellerie de Bezech étaient des gens pieux qui vivaient dans la continence, s'y étant astreints par un vœu, quoiqu'ils ne fussent pas Esséniens. Ils avaient avec la sainte famille une alliance qu'on tenait secrète, parce qu'elle avait été contractée des deux côtés hors des liens du mariage. L'homme était parent de Suzanne de Jérusalem, qui était fille naturelle d'un frère de saint Joseph, et je crois presque qu'il était frère de cette Suzanne. La femme était une fille illégitime de la famille de sainte Anne : je ne sais pas si sa naissance n'était pas la conséquence de cette faute à l'occasion de laquelle je vis sainte Anne toute consternée, parce qu'une personne de ses parentes qui était à son service avait été séduite par un cousin de Joachim, accoucher avant terme de sa fille aînée. Cette alliance des gens de l'hôtellerie avec Jésus n'était connue que d'un petit nombre de personnes de la famille. Les Juifs cherchaient à couvrir d'un voile charitable les fautes de cette nature, mais les fruits de ces unions illégitimes restaient toujours dans une position subalterne. Jésus pendant son séjour ici s'entretint plusieurs fois en particulier avec ces gens.

Il y avait ici dix disciples de Jean parmi lesquels Matthias ou Matthieu fils de Cléophas et ses deux frères, puis Azor fils de Cléophas d'Emmaus et Jude Barsabas. Dix autres étaient venus avec Lazare de Jérusalem et de Béthanie. Ce ne fut qu'à la fin que Cléophas d'Emmaus devint tout à fait disciple et compagnon du Sauveur, mais dès cette époque il lui était déjà dévoué, s'entretenait souvent de lui avec Joseph d'Arimathie et contribuait aussi à faire les frais de ses logements. Tous les amis et les disciples présents mangèrent et passèrent la nuit avec Jésus dans l'hôtellerie nouvellement installée. Elle était pourvue à leur intention d'ustensiles de cuisine, de tapis, de couches, de cloisons, et aussi de sandales et de différentes pièces d'habillement, tout cela par les soins de Lazare et des saintes femmes. Marthe avait dans le voisinage du désert de Jéricho une maison habitée par des femmes qui préparaient là toute sorte d'objets de ce genre. Elle y logeait et y faisait travailler de pauvres veuves, de pauvres personnes ruinées qui cherchaient une meilleure condition, et tout cela se faisait en silence et sans que le public en fût instruit. Or ce n'était pas une petite affaire que d'entretenir les logements nécessaires pour un si grand nombre de personnes, d'y exercer une surveillance incessante, d'envoyer partout des messagers ou d'inspecter soi-même.

Le matin, Jésus fit une grande instruction sur un monticule situé au milieu du bourg, où les habitants lui avaient préparé une chaire. Il y avait là beaucoup d'auditeurs, entre autres une dizaine de pharisiens qui étaient venus des endroits voisins pour l'espionner. Il enseigna avec beaucoup de douceur et de charité | pour cette population qui était d'un bon naturel et déjà très améliorée par l'assistance aux prédications de Jean et par le baptême que plusieurs avaient reçu. Il les exhorta à rester satisfaits de leur condition peu relevée, à être laborieux et miséricordieux. Il parla du temps de la grâce, du royaume de Dieu, du Messie, et plus clairement qu'à l'ordinaire, de lui-même. Il parla de Jean et du témoignage qu'il avait rendu, de son emprisonnement et de la persécution qu'il subissait, et aussi des personnes royales auxquelles il avait reproché leur union adultère, ce qui l'avait fait mettre en prison. Il rappela qu'à Jérusalem on avait livré au supplice des adultères qui n'avaient pas commis le mal avec cette publicité. Il s'exprima d'une façon très précise et très frappante. Il fit des exhortations pour toutes les conditions, pour tous les sexes, pour tous les âges. un pharisien lui demanda s'il devait prendre la place de Jean ou s'il était celui dont Jean avait parlé. Il répondit d'une manière évasive, et lui reprocha ses questions insidieuses.

Il fit encore plus tard une exhortation très touchante aux jeunes garçons et aux jeunes filles. Il engagea les garçons à user de patience les uns envers les autres, et si un autre les frappait ou les jetait par terre, à ne pas en tirer vengeance, mais à le souffrir patiemment, à se retirer et à pardonner. Ils ne devaient rendre aux autres que la charité : il fallait la rendre au double et témoigner de l'affection même à ses ennemis. Ils ne devaient pas désirer le bien d'autrui ; mais si un de leurs compagnons avait envie de leurs plumes, de leur écritoire, de leurs jouets, de leurs fruits, ils devaient lui donner plus qu'il ne demandait, et satisfaire entièrement sa cupidité aux dépens de ce qui leur appartenait ; car, disait-il, les patients, les charitables et les généreux auraient seuls un siège dans son royaume, et il leur décrivait ce siège d'une façon toute appropriée à leur âge, comme un trône magnifique.

Il parla des biens de la terre auxquels il fallait renoncer pour acquérir les biens célestes. Il exhorta entre autres choses les jeunes filles à s'abstenir de porter envie a leurs compagnes, à raison de leurs avantages extérieurs ou de leurs beaux habits, et il recommanda à tous l'obéissance, l'amour filial. la douceur et la crainte de Dieu.

A la fin de l'instruction donnée au public, il se tourna vers ses disciples, les exhorta et les consola avec une bonté inexprimable, et les engagea à tout supporter avec lui et à ne se laisser dominer par aucun soucis touchant les choses de ce monde. Il leur dit que son Père les récompenserait magnifiquement dans le ciel, et qu'ils posséderaient son royaume avec lui. Il parla de la persécution qu'eux et lui auraient à souffrir en commun. Il leur dit nettement que si les pharisiens, les sadducéens, les hérodiens les affectionnaient et les vantaient, ils devraient reconnaître à ce signe qu'ils s'étaient écartés de sa doctrine et n'étaient plus ses vrais disciples. Il donna à ces diverses sectes des surnoms caractéristiques. Il donna des éloges aux habitants de l’endroit, principalement à raison de leur bienfaisance, car ils prenaient souvent chez eux, comme serviteurs ou comme ouvriers, de pauvres orphelins de l'école d'Abelmehola. Il les loua aussi à propos d'une nouvelle synagogue qu'ils avaient bâtie en s’imposant une contribution et aussi avec l'assistance de quelques personnes pieuses de Capharnaum. Ensuite il guérit plusieurs malades, mangea avec ses disciples dans l'hôtellerie, et le soir, comme le jour du sabbat commençait, il alla à la synagogue.

Il y enseigna sur le texte d'Isaie : " Je suis votre consolateur· (LI, 12). Il parla contre le respect humain, les exhorta à ne pas redouter les pharisiens et les autres oppresseurs, et à ne pas oublier que Dieu les avait créés et les avait conservés jusqu'à présent. Il expliqua ces mots : " Je mets ma parole dans ta bouche ;" en ce sens que Dieu avait envoyé le Messie, que celui-ci était la parole de Dieu dans la bouche de son peuple, que les paroles de ce Messie étaient les paroles de Dieu et qu'eux, ils étaient son peuple. Il s'appliqua tout cela à lui-même si clairement que les pharisiens chuchotèrent entre eux, disant qu'il se donnait pour le Messie.-Il dit ensuite que Jérusalem devait se réveiller de son ivresse, que le temps de la colère était passé, que celui de la grâce était venu : La synagogue stérile n'avait engendré et mis au monde personne qui pût guider et relever le pauvre peuple, mais maintenant les corrupteurs, les hypocrites et les oppresseurs allaient être châtiés et réprimés. Il fallait que Jérusalem se relevât, que Sion sortît de son sommeil. Il appliqua tout cela dans le sens spirituel aux gens pieux et saints, à ceux qui faisaient pénitence, à ceux qui, passant par l'eau du baptême, traverseraient en quelque sorte le Jourdain et entreraient dans la terre promise, dans le royaume de son père. Aucun incirconcis, aucun impur, aucun de ceux qui ne domptent pas leur chair, aucun pécheur ne devait plus corrompre le peuple. Il continua ainsi à parler de la Rédemption, et du nom de Dieu, qui devait maintenant être annoncé parmi eux, etc. Il enseigna aussi, en prenant pour texte le Deutéronome (XVI, XVIII), sur les juges et les magistrats, sur ceux qui faussent les lois, ceux qui achètent ou vendent la justice, et il attaqua vivement les pharisiens : il parla encore des prêtres, de l’idolâtrie, etc. II guérit ensuite plusieurs malades devant la synagogue.

(7 septembre) Une grande foule de peuple était venue à Bezech, des deux rives du Jourdain. Tous les auditeurs de Jean voulaient maintenant entendre aussi Jésus. Il y avait là beaucoup d'aspirants au baptême, et une grande caravane de païens qui avaient voulu aller à Ainon, était venue du bord oriental de la mer de Galilée pour entendre Jésus, et campait en dehors de Bezech. Il y avait aussi une grande quantité de malades et plusieurs possédés. Bezech n'était pas sur le bord même du Jourdain, mais à environ trois quarts de lieue du fleuve, près d'un petit torrent qui divisait la ville en deux parties, dont la première était plus élevée que l'autre : celle-ci était plus rapprochée du Jourdain. Jésus enseigna encore dans la synagogue sur des textes d'Isaïe (LI-LII), et du Deutéronome (XVI à XXI). Il parla de Jean et du Messie. Il indiqua les signes auxquels on reconnaîtrait le Messie, et enseigna ici autrement qu'à l'ordinaire, car il dit expressément qu'il était le Messie, parce qu'un fort grand nombre des assistants était déjà très bien préparé par les prédications de Jean. Cet enseignement s'appuyait sur Isaïe (LII, 13, 15.) Il dit que le Messie les rassemblerait, qu'il serait rempli de sagesse, qu'il serait exalté et glorifié : et que de même que plusieurs avaient vu avec horreur Jérusalem dévastée et foulée aux pieds par les païens pervers, de même aussi son libérateur serait sans éclat parmi les hommes, et qu'on le verrait persécuté et méprisé. Il devait baptiser et purifier beaucoup de païens ; les rois écouteraient ses enseignements en silence, et ceux auxquels il n'avait pas été annoncé le verraient et recevraient sa doctrine. Il revint aussi sur toutes ses actions et ses miracles depuis son baptême, sur la persécution qu'il avait eu à souffrir à Jérusalem et à Nazareth, sur les mépris, l’espionnage et les rires moqueurs des pharisiens. Il fit mention du miracle de Cana, de la guérison des aveugles, des muets, des sourds, des boiteux, de la résurrection de la fille de Jaïre à Phasaël. Il montra du doigt différents points à l'horizon, et il dit : " Ce n'est pas loin d'ici : allez et demandez s'il n'en est pas ainsi ! "il ajouta : "Vous avez vu et reconnu Jean : il vous a dit qu'il était son précurseur, celui qui lui préparait la voie : Jean était-il un homme mou, délicat, élégant ! Ou bien ressemblait-il à un homme qui tient du désert, Habitait-il les palais, mangeait-il des mets exquis, portait-il des vêtements précieux, parlait-il en termes choisis ? Or il a dit qu'il était le précurseur : le serviteur ne porte-t-il pas les habits de son maître ? un rai, un seigneur brillant, puissant et riche comme le Messie que vous attendez aurait-il un tel précurseur Vous possédez le Rédempteur et vous ne voulez pas le reconnaître ; il ne satisfait pas votre orgueil, et parce qu'il n'est pas comme vous, vous ne voulez pas le reconnaître ! D

Il dit encore beaucoup de choses sur le texte du Deutéronome (XVIII,18,19) : " Je vous susciterai un prophète parmi vos frères, et celui qui n'écoutera pas les paroles qu'il dira en mon nom, je lui en demanderai compte. "Ce fut un enseignement plein d'autorité et personne n'osa le contredire. Il leur dit encore : (` Jean vivait solitaire dans le désert et n'allait visiter personne, cela ne vous convenait pas. Je vais de lieu en lieu, j'enseigne, je guéris, et cela aussi ne vous convient pas. Quel Messie voulez-vous ? Vous voulez tous quelque chose de différent, vous êtes comme les enfants qui courent dans les rues : chacun d'eux se fait un instrument à sa façon pour y souffler : l’un un cornet en écorce. l’autre une longue flûte de roseau. Il leur énuméra alors toute espèce de jouets d'enfants et comment chacun voulait que tout le monde chantât sur le même ton que lui et qu'on ne prît plaisir qu'à son jeu .

Vers le soir, quand Jésus sortit de la synagogue, une grande foule de malades était rassemblée devant cet édifice.

Note : Quoique l’ensemble de ce discours et la circonstance des deux disciples envoyés par Jean rappellent tout à fait ce qui est dit dans saint Luc (VII, 17, 36), la Sœur assurait pourtant qu'il ne s’agissait pas ici du message raconté par l’Evangéliste, mais seulement d'une prédication analogue : car Jésus reproduisait très souvent, outre ses paraboles, la substance de ses enseignements et même certains détails, comme les exemples et les comparaisons.

Plusieurs étaient couchés sur des litières, et on avait étendu des toiles au-dessus d'eux. Jésus, accompagné de ses disciples, alla de l'un à l'autre et les guérit. Il se trouvait parmi eux quelques possédés qui eurent des convulsions et poussèrent des cris en le voyant. Il les délivra en passant devant eux, et en leur ordonnant de se taire. Il y avait là des boiteux, des phtisiques, des hydropiques avec des abcès au cou, semblables à des glandes, des sourds et muets. Il les guérit tous les uns après les autres, par l'imposition des mains, cependant il ne procédait pas de même pour tous. Quelques-uns étaient entièrement guéris à l'instant même, seulement il leur restait encore un peu de faiblesse ; d'autres éprouvaient un grand soulagement, et la guérison complète suivait promptement : tout cela, selon la nature du mal et la disposition du malade. Ceux qui étaient guéris se retiraient en chantant un psaume de David. Il y avait un si grand nombre de malades que Jésus ne pouvait pas arriver jusqu'à tous : les disciples l'aidèrent en soulevant ces pauvres gens, en les faisant mettre sur leur séant, en les dégageant de leurs entraves ; et Jésus mit la main sur la tête d'André, de Jean et de Jude Barsabas, prit leurs mains dans les siennes, et leur ordonna de faire en son nom à une partie des malades ce qu'il faisait lui-même aux autres. Ils suivirent ses instructions et en guérirent aussi beaucoup.

Après cela Jésus se rendit avec ses disciples à l'hôtellerie, où ils prirent un repas auquel nulle autre personne n'assistait. Il bénit les mets qui étaient restés et les fit porter aux pauvres païens campés devant Bezech et à d'autres pauvres. Cette caravane de paiens avait été catéchisée par les disciples.

(8 septembre.) Jésus enseigna et guérit encore devant l'hôtellerie. Les gens qui allaient au baptême, la caravane des païens et beaucoup d'autres personnes se dirigèrent vers le Jourdain pour passer de l'autre côté. Le passage était à une lieue et demie au midi de Bezech, près d'une ville appelée Zarthan, qui est située au bord du Jourdain à une lieue au-dessous de Bezech. De l'autre côté se trouve, entre Bezech et Zarthan, un endroit appelé Adam. C'est près de Zarthan que le Jourdain s'arrêta lorsque les enfants d'Israël passèrent : c'est aussi là que Salomon fit couler des vases de métal : on y exerce encore cette industrie. Au delà du détour que le Jourdain fait à l'ouest, il y a dans une montagne, une mine qui s'étend jusqu'à Samarie : on trouvait la quelque chose qui chez nous s'appelle du bronze. Jésus enseigna constamment sur la route, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Comme on lui demandait s'il ne voulait pas enseigner à Zarthan, il répondit que d'autres en avaient un plus grand besoin : il ajouta que Jean y avait été souvent, il leur dit de demander s'il y avait fait bonne chère et s'il y avait mangé des mets délicats. Il y avait là un passage du Jourdain très fréquenté : c'est plus bas que le Jourdain tourne à l'ouest. Ils firent de l'autre côté environ deux lieues vers le levant sur la rive septentrionale d'une petite rivière qui se jetait dans le Jourdain un peu au-dessous du passage. Ils traversèrent ensuite un petit cours d'eau, après quoi ils eurent Sukkoth à leur gauche. Ils se reposèrent sous des tentes entre Sukkoth et Ainon. Ces deux endroits pouvaient être à quatre lieues l'un de l'autre. Jésus avait enseigné et guéri dans l'endroit où ils avaient passé la nuit. Après avoir traversé le Jourdain et l'avoir remonté quelque temps, ils pouvaient, en regardant derrière eux, entre l'ouest et le midi, voir de l'autre côté du fleuve Salem qui leur avait été caché auparavant par l'élévation des rives : cette ville était en face d'Ainon, un peu au-dessous du point central du détour que le Jourdain faisait à l'ouest.

(9 septembre.) Jésus n'est arrivé à Ainon que vers midi. Il a encore enseigné dans la matinée. Il répéta la plupart du temps des choses qu'il avait dites ailleurs sur Jean et sur le Messie. une foule innombrable s'était rassemblée à Ainon ; les gens qui étaient de l'autre côté y étaient venus ainsi que la caravane. Les païens campèrent entre la colline sur laquelle se trouvent Ainon et le Jourdain. Il y avait aussi ici une dizaine de pharisiens, les uns d'Ainon, les autres d'ailleurs : parmi ceux-ci se trouvait le fils de Simon de Béthanie. Quelques-uns étaient des gens sages et modérés.

Cette fois, j'ai mieux vu Ainon que précédemment, lorsque je vins par le côté méridional où il n'y a pas- beaucoup de maisons. Quand on vient du côté du nord, en descendant la pente de la colline, cela fait l'effet d'une petite ville composée de maisons de plaisance qui se touchent. Plusieurs de ces maisons sont belles.

De ce côté en avant de la ville s'écoulaient les eaux de la source qui formait la fontaine baptismale. Elle était située à l'est de la colline, et j'ai déjà dit ailleurs qu'elle était conduite à travers cette colline par des tuyaux de fer On retenait les eaux quelquefois : on ne les laissait s'écouler que selon les besoins. Il y avait là à cet effet un château d'eau.

Ce fut là que les pharisiens parmi lesquels était Simon fils du lépreux, vinrent à la rencontre de Jésus et des disciples : ils les accueillirent très courtoisement et avec beaucoup de déférence, ils les conduisirent sous une tente, leur lavèrent les pieds, battirent leurs habits et leur présentèrent comme réfection du miel et du pain dans un verre. Jésus n'ignorait pas qu'il y avait parmi eux des gens bien disposés et il le leur dit, mais en leur témoignant son regret qu'ils appartinssent à cette secte. Il les suivit dans la ville, et ne tarda pas à entrer dans une cour où l'attendaient en très grand nombre des malades de toute espèce, étrangers et indigènes. Ils étaient couchés, les uns sous des tentes, les autres dans des salles ouvertes en face de la cour. Plusieurs pouvaient encore marcher, et Jésus les guérit les uns après les autres, leur imposant les mains et leur faisant des exhortations. Les disciples l'assistaient : ils apportaient les malades, les relevaient, les débarrassant de leurs entraves : les pharisiens étaient présents ainsi que beaucoup d'autres personnes. Plusieurs .femmes affligées de pertes de sang se tenaient à distance, pâles et enveloppées de leurs manteaux : lorsque Jésus en eut fini avec les autres, il alla aussi à elles, leur imposa les mains et les guérit. Il y avait là des paralytiques, des hydropiques, des gens atteints de consomption, ayant au cou et sur le corps des ulcères qui ne les rendaient pas impurs ; des muets, des sourds, en un mot des infirmes de toute espèce.

Cette cour se terminait par une vaste salle à colonnes, avec une entrée sur la rue et j'y vis des spectateurs en grand nombre, des pharisiens et aussi plusieurs femmes. Comme il y avait des gens de bien parmi les pharisiens d'ici, et comme ils l'avaient accueilli avec une déférence assez sincère, Jésus leur témoigna des égards assez marqués, en comparaison de ce qu'il avait fait dans d'autres endroits ; car il voulait prévenir le reproche qu'on lui adressait de ne jamais frayer qu'avec des publicains, des pécheurs et des mendiants : il voulait leur montrer qu'il leur rendait tout ce à quoi ils pouvaient prétendre, lorsqu'ils se comportaient convenablement et se montraient bien disposés. C'est pourquoi ils offrirent leur concours pour maintenir le bon ordre parmi le peuple, et il les laissa faire.

Je vis alors, pendant que Jésus guérissait, près de la porte de derrière de la grande salle, s'avancer une belle femme de moyen âge vêtue à l'étrangère. Sa tête et ses cheveux étaient entourés d'un voile léger semé de perles. Elle avait le haut du corps couvert depuis le cou jusqu'aux hanches par un justaucorps qui se terminait en forme de cœur et qui était ouvert sur les côtés. Ces justaucorps étaient passés comme un scapulaire, rassemblés autour de la taille, et attachés autour des hanches par des cordons qui venaient en avant. Ce corsage était orné de lacets de perles autour du cou et de la poitrine. De là partait une robe plissée qui tombait jusqu'à mi-jambe, recouvrant une autre robe semblable qui allait aux chevilles : ces deux robes étaient de fine laine blanche, sur laquelle étaient appliquées de grandes fleurs de couleurs variées. Les manches étaient larges et retenues par des bracelets ; sur les épaules était agrafé un mantelet qui tombait par dessous les deux bras jusqu'aux hanches. Par dessus ce vêtement, elle portait un long manteau de laine blanche qui l'enveloppait tout entière.

Elle s'avança, triste et agitée, pleine de confusion et d'angoisse : son pâle visage était arrosé de larmes et bouleversé par la douleur. Elle voulait aller à Jésus, mais la foule qui se pressait l'empêchait d'arriver jusqu'à lui : les pharisiens, d'un air affairé, allèrent à sa rencontre "Conduisez-moi au Prophète, leur dit-elle ; qu'il me pardonne mes péchés et me guérisse ! " Sur quoi ils lui répondirent : " Femme, retournez chez vous ! Que cherchez-vous ici ? Il ne vous parlera pas : comment pourrait-il vous remettre vos péchés ? il ne s'occupera pas de vous ; vous êtes une adultère. "Les entendant parler ainsi, elle changea de couleur, son visage devint effrayant, elle se jeta par terre, déchira son manteau du haut en bas, arracha sa coiffure et s'écria : "Ah ! je suis donc perdue ! Voilà qu'ils me saisissent ! ils me déchirent ! ils sont là ! ', Alors elle montra quelque chose du doigt, se jeta à droite et à gauche comme pour fuir, et nomma cinq démons qui entraient en elle : le démon de son mari et quatre autres, qui étaient ceux de quatre amants avec lesquels elle avait péché. C'était un spectacle horrible. Quelques femmes qui se trouvaient là s'emparèrent d'elle et la ramenèrent à sa demeure, livrée à d'affreuses souffrances et ne cessant de sangloter. Rien de tout cela n'échappait à Jésus ; mais il ne voulait pas humilier les pharisiens de cet endroit. Il laissa donc faire et continua ses guérisons, car l'heure de cette femme n'était pas encore venue.

Ensuite il traversa la ville avec les disciples et les pharisiens, et le peuple le suivit en foule. Il gravit la hauteur où Jean avait coutume de prêcher. C'était une colline environnée de vieux remparts qui disparaissaient sous la végétation et de maisons isolées : ils passèrent, en s'y rendant, près du château à moitié ruiné, dont une tour avait servi de logement à Hérode pendant la prédication de Jean. Tout le rebord de la colline était déjà couvert de personnes qui attendaient, et Jésus monta sur l’éminence où Jean avait coutume de prêcher, et au-dessus de laquelle on avait tendu une tente ouverte de tous les côtés. Il fit une grande instruction dans laquelle, parcourant toute l'Ecriture, il traita de la miséricorde de Dieu envers les hommes, et particulièrement envers son peuple, de la manière dont il l'avait conduit, des promesses qu'il lui avait faites ; après quoi il montra que tout était accompli présentement. Il ne dit pourtant pas aussi clairement qu'à Bezech qu'il était lui-même le Messie. Il parla aussi de Jean, de sa prison, de ses travaux, et des troupes d'auditeurs se succédèrent pour l'écouter. Il leur demanda pourquoi ils voulaient recevoir le baptême, pourquoi ils avaient attendu jusqu'à présent, et ce qu'ils entendaient par le baptême. Il les partagea aussi en catégories qui devaient être baptisées, les unes plus tôt, les autres plus lard, après avoir été catéchisées plusieurs fois. Je me rappelle la réponse d'un groupe d'aspirants au baptême, lorsqu'il leur demanda pourquoi ils avaient attendu jusqu'à présent. " C'était, répondit l'un d'eux, parce que Jean avait toujours enseigné qu'un plus grand que lui venait après lui : ils avaient attendu celui-là pour recevoir des grâces encore plus grandes. " Là-dessus, tous ceux qui étaient du même sentiment levèrent les mains en l'air et formèrent une association à laquelle Jésus donna ensuite certains enseignements, certaines indications sur la préparation au baptême et sur le temps où il faudrait le recevoir.

Cette instruction finit vers trois heures de l’après-midi, et Jésus, en compagnie des disciples et des pharisiens, redescendit de la colline à la ville, où on lui avait préparé un grand repas dans une salle de réception publique. Lorsqu'ils arrivèrent près de cet endroit, Jésus dit : "J'ai faim d'antre chose ; "et il demanda, quoiqu'il le sût bien, où demeurait la femme qu'on avait éloignée de lui le matin. On lui montra la maison à peu de distance : alors il quitta ceux qui l'accompagnaient et entra par la cour antérieure.

Je vis déjà dans la maison, au moment où Jésus approchait, cette femme en proie à de cruels tourments et à une grande angoisse. Le démon qui la possédait la poussait d'un coin à l'autre ; elle était comme un animal effrayé qui veut se blottir quelque part. Lorsque Jésus entra dans la cour et s'approcha de l'endroit où elle était, elle s'enfuit par un passage dans un cellier, et monta là dans un vase grand comme un tonneau, plus étroit d'en haut que d'en bas : mais en cherchant à s'y cacher, elle le brisa avec grand fracas. Je crois que c'était un grand vase de terre. Jésus s'arrêta et cria : " Mara de Suphan, femme de (ici il dit le nom de son mari que j'ai oublié), je te le commandé au nom de Dieu, viens à moi. " Alors la femme arriva tout enveloppée de la tête aux pieds, comme si le démon la forçait de se cacher encore dans son manteau, et vint comme un chien qui s'attend à être battu, se traînant sur les mains jusqu'aux pieds de Jésus. Mais Jésus lui dit : " Levez-vous. n Alors elle se leva, mais tira son manteau sur son visage et autour de son cou avec tant de violence, qu'on eût dit qu'elle voulait s'étrangler. Le Seigneur lui dit : " Découvrez votre visage, "et elle retira son voile de dessus sa face. Ses traits étaient tout bouleversés et exprimaient la terreur : elle baissait et détournait les yeux : il semblait qu'une force intérieure la poussât à fuir Jésus. Mais il approcha sa tête de la sienne, il lui dit : " Regardez-moi, " et elle obéit. Je crois qu'il souffla sur elle ; alors elle se mit à trembler. Je vis comme une vapeur noire sortir d'elle de tous les côtés, et elle s'affaissa sur ses genoux devant Jésus. Cependant ses servantes s'étaient approchées au bruit de vase qui se brisait, et se tenaient à quelque distance ; Jésus leur dit de rapporter leur maîtresse dans la maison et de la placer sur un lit de repos. Jésus la suivit avec deux disciples qui étaient près de lui. Il la trouva qui fondait en larmes. Il s'approcha d'elle, lui mit la main sur la tête et dit : "Vos péchés vous sont remis. » Elle pleura abondamment et se releva Alors ses trois enfants vinrent dans la chambre ; c'étaient un garçon d'environ douze ans, et deux petites filles d'à peu près neuf et sept ans : celles-ci avaient des robes à manches courtes avec des broderies jaunes. Jésus alla à ces enfants, leur parla amicalement, les questionna et les enseigna. La mère leur dit : "Remerciez le Prophète, il m'a guérie, "et les enfants se prosternèrent aux pieds de Jésus. Il les bénit et les conduisit l'un après l'autre à leur mère, par rang d'âge : il plaça leurs mains dans celles de leur mère, et il me sembla que par là il enlevait une tache à ces enfants, qu'il les légitimait en quelque sorte : car elle les avait conçus dans l'adultère. Jésus consola encore cette femme ; je crois qu'elle pourrait encore se réconcilier avec son mari. Il l'exhorta à persévérer dans le repentir et la pénitence, puis il se rendit avec les disciples au repas que les pharisiens donnaient dans le voisinage. Cette femme était des environs de Supha l, dans le pays des Moabites, et elle descendait d'Orpha (Ruth, I, 1-14), veuve de Chélion, et belle-fille de Noémi qui, sur le conseil de celle-ci, n'alla pas avec elle à Bethléhem, tandis que Ruth, son autre belle-fille, veuve de son fils Mahalon, l'accompagna.

Note : Cette Supha doit être le lieu qui est indiqué comme voisin de l'Aron, dans le texte hébreu du Lévitique (XXI, 14, 15) ; la Vulgate ne la nomme pas. voyez le commentaire de dom Calmet sur ce passage. (Cette note a été écrite le 7 juillet 1838.)

Cette Orpha, veuve de Chélion, fils d'Elimélech de Bethléhem, se remaria dans le pays de Moab, et c'était de ce mariage que descendait Mara la Suphanite. Elle était femme d'un Juif, et riche : elle avait vécu dans l'adultère, et avait eu successivement quatre amants, dont étaient les enfants qu'elle avait avec elle. Son mari l'avait chassée, gardant près de lui les enfants légitimes. Elle demeurait à Ainon, dans une maison qui lui appartenait : depuis longtemps déjà elle était touchée d'un vif repentir et faisait pénitence ; elle se conduisait très bien, vivait très retirée, et plusieurs femmes de bien d'Ainon lui témoignaient beaucoup de bienveillance. La prédication de Jean Baptiste contre l'adultère, à l'occasion du mariage illicite d'Hérode, l’avait profondément remuée. Elle était souvent possédée par cinq démons. Ils s'emparèrent d'elle subitement, lorsque n'ayant plus d'espérance qu'en Jésus, elle vint dans la cour où il guérissait, et d'où les pharisiens la renvoyèrent. Abattue comme elle l'était, elle prit pour vrai ce qu'ils lui dirent, et le désespoir s'empara d'elle.

Je vis que cette femme, par sa descendance d'Orpha, belle-soeur de Ruth, avait un point de contact avec David, ancêtre de Jésus, et il me fut montré comment ce courant dévoyé, qui, dans sa personne, avait abouti à de si grands péchés, se purifiait avec elle par la grâce de Jésus, et entrait dans le sein de l'Eglise. Je ne puis exprimer de quelle manière je vois cela se perdre dans des millions de petites racines menues qui se croisent et s'entrelacent, pais reparaître de nouveau au jour. à cette occasion j'ai revu l'histoire de Noëmi et de Ruth, dont je dirai quelque chose plus tard.

Jésus vint retrouver les pharisiens et les disciples, et il se mit à table avec eux. Ils étaient quelque peu scandalisés de ce qu'il les avait laissés là pour aller chercher cette femme qu'ils avaient renvoyée si durement devant tant de monde : mais ils n'en dirent rien, parce qu'ils craignaient une réprimande. Pendant le repas, Jésus continua à les traiter avec déférence. Il enseigna en usant fréquemment de comparaisons et de paraboles. Vers le milieu du repas, les trois enfants de la Suphanite entrèrent vêtus de leurs plus beaux habits : l’une des petites filles portait un petit vase blanc, plein d'eau de senteur, et la seconde un tout semblable plein d'huile de nard : le petit garçon portait également un vase. Ils s'avancèrent dans la salle vers le côté libre de la table, se prosternèrent devant Jésus et placèrent leurs présents devant lui ; elle-même les suivait avec les servantes : mais elle n'osait pas avancer. Elle était voilée et portait un plat de verre brillant, avec des veines marbrées de diverses couleurs, dans lequel étaient des aromates d'un très grand prix, entourés de belles plantes vertes qui se tenaient debout : ses enfants avaient aussi placé devant Jésus des plats semblables, mais plus petits. Les pharisiens regardèrent d'un air mécontent cette femme et ses enfants. Mais Jésus lui dit : "Approchez-vous, Mara ! " Alors elle s'avança humblement derrière lui, et ses enfants auxquels elle remit son présent le déposèrent sur la table avec les autres. Jésus la remercia. Les pharisiens murmurèrent, comme plus tard lors du présent de Madeleine, ils se disaient que c'était là une grande prodigalité, contraire aux règles de la modération et aux devoirs de charité envers les pauvres. Il leur fallait trouver quelque reproche à faire à cette pauvre femme. Jésus lui parla avec beaucoup de bonté ainsi qu'aux enfants : il leur donna quelques fruits, après quoi ils se retirèrent. La Suphanite, toujours voilée, se tenait humblement derrière Jésus, et celui-ci dit aux pharisiens que tous les dons venaient de Dieu ; que la reconnaissance donnait ce qu'elle avait de plus précieux ; que ceci n'était pas une prodigalité, que les gens qui recueillaient et préparaient ces aromates devaient aussi trouver à gagner leur vie. Il ordonna ensuite à un des disciples d'en distribuer le prix aux pauvres. Il dit encore quelque chose sur la conversion et le repentir de cette femme, la releva dans l'estime publique devant tout le monde et engagea les habitants à lui témoigner de la bienveillance. Mara ne prononça pas une parole : elle ne cessait de pleurer en silence sous son voile, puis elle se jeta sans rien dire aux pieds de Jésus et quitta la salle du festin.

Jésus dit encore plusieurs choses profondes sur l'adultère : lequel d’entre eux se sentait pur de l'adultère spirituel, demanda-t-il. Il dit que Jean n'avait pas converti Hérode, tandis que cette femme s'était convertie. Il parla de la brebis perdue et retrouvée, etc. Il l'avait déjà consolée chez elle en lui disant que ses enfants auraient une postérité de gens de bien, et il lui avait fait espérer qu'elle pourrait se réunir aux femmes qui travaillaient, près de Marthe, pour lui et ses disciples. Après le repas, je vis de nouveau les disciples distribuer beaucoup de choses aux pauvres. Mais Jésus se rendit encore sur le côté occidental de la colline d'Ainon où l'on voyait à quelque distance le camp des païens : c'était aussi, je crois, de ce côté qu'il avait un logement sous une tente. Il enseigna de nouveau les païens. Ainon était dans le territoire d'Hérode, mais appartenait en propriété au tétrarque Philippe quoique étant au delà de ses frontières. Toutefois il s'y trouvait plusieurs soldats d'Hérode chargés de tout observer.

A l'occasion de l'histoire de Mara de Suphan, je vis toute sa généalogie à partir d'Orpha, veuve de Chelion, fils de Noémi (Quoique n'ayant jamais lu le livre de Ruth, elle raconta toute l'histoire à peu près dans les mêmes termes que la Bible. Elle a raconté de plus ce qui suit.) Ruth ne voulait pas se séparer de Noëmi lorsqu'elle quitta le pays de Moab. Sur le chemin, lorsqu'elle lui dit : " Mon peuple est votre peuple, etc., " et que Noëmi lui fit encore des représentations, Ruth lui dit avoir l'assurance qu'elle devait rester dans Israël, car elle était née avec un signe sur la poitrine, et elle avait appris de son mari que c'était un signe sacré aux yeux des Israélites. Alors elle ouvrit son vêtement et fit voir à Noëmi ce signe qui ressemblait, je crois, à une lettre de l'alphabet. Noëmi l'embrassa et la prit avec elle. Ruth était belle, svelte, agile, et avait une humilité charmante.

Les épis qu'on cueillait chez Booz étaient ceux d'un blé à grosse tige, et ils étaient plus longs que la main Booz dormait sous une tente près des tas de blé. Elle dit aussi l'époque de la moisson ; l’écrivain l'a oubliée. C'est là le peu qui reste d'une vision beaucoup plus circonstanciée.