CHAPITRE QUATORZIÈME.



Grande instruction sur la montagne près de Gabara Jésus va sur les confins de Tyr et de Sidon.

- Les disciples convoquent le peuple à entendre l'instruction prés de Gabara.
- Jésus à Tarichée,-prés de Gabara.
- Premier, second et troisième jour de la prédication.
- On retrouve la tête de saint Jean Baptiste.
- Jésus à Garizima.
- Il prépare les apôtres à leur mission, - il va dans la contrée d'Ornithopolis.
- Il y trouve une ancienne tribu juive séparée du reste de la nation.


(Du 20 au 30 avril 1823.)

(20 avril.) Jésus fit avec ses disciples une promenade dans la vallée de Génésareth et il enseigna tout en marchant Il envoya un grand nombre de disciples convoquer le peuple à une instruction de plusieurs jours qu'il devait faire sur la montagne au delà de Gabara, et qu'il voulait commencer le mercredi. J'entendis désigner ce jour d'une autre manière dont je ne me souviens plus : mais j'ai reconnu dans la vision et je sais positivement qu'il s'agissait de mercredi prochain.

Jésus envoya les plus anciens disciples à de grandes distances : plusieurs traversèrent le lac pour se rendre dans le pays des Gergéséniens, à Dalmanutha et dans la Décapole. Ils devaient inviter tout le monde et dire que Jésus n'avait plus longtemps à rester avec eux. Ils devaient faire venir le plus de monde qu'ils pourraient. Il partit environ quarante disciples. Il garda près de lui les plus jeunes qui étaient revenus les derniers et continua à leur donner des instructions : les apôtres aussi restèrent avec lui.

Le district de Génésareth est une contrée merveilleusement belle qui commence au bord du lac, entre Tibériade et Tarichée, à quatre lieues environ de Capharnaum. Elle s'étend, à partir du lac, à trois lieues environ dans l'intérieur des terres, et contourne Tarichée au midi, jusqu'à la sortie du Jourdain. La charmante vallée des bains de Béthulie en fait partie, et elle est arrosée par le ruisseau qui forme le lac des bains et par d'autres cours d'eau qui se jettent dans la mer de Galilée. Les eaux de ce ruisseau ménagées avec art forment une quantité de petits étangs et de cascades dans le pays de Génésareth ; cette contrée n'est qu'une suite continuelle de jardins d'agrément, de maisons de plaisance, de châteaux, de pares, d'avenues, de vignobles et de vergers, et elle est pendant toute l'année couverte de fruits et de fleurs de toute espèce. Beaucoup de gens riches du pays et même de Jérusalem y ont des maisons de campagne et des jardins : Hérode aussi y a un château et un parc. Tout est cultivé et disposé pour le plaisir des yeux : on y voit partout de jolies habitations, des plantations d'agrément, des labyrinthes verdoyants et des monticules en forme de pyramides autour desquels serpentent des sentiers. Il n'y a pas de bourgs considérables : les habitants du pays sont attachés comme jardiniers et comme bergers au service de ces riches propriétaires dont les troupeaux se composent de montons d'une race très belle et très rare, et de jolies chèvres d'espèces exotiques. On y nourrit du reste, toute sorte de beaux animaux et de jolis oiseaux. Aucun grand chemin ne traverse ce district, mais il est bordé par deux routes dont l'une part du lac et l'autre du Jourdain.

Jésus y a passé la nuit chez des bergers, où il a enseigné les disciples et mangé du pain, du miel, des fruits et du poisson.

(21 avril.) Aujourd'hui Jésus alla avec les siens à Tarichée située à l'extrémité méridionale du lac. On ne pourrait pas aller jusqu'à cette ville en suivant le bord du lac. Deux lieues à peu près avant Tarichée commencent des rochers escarpés qui s'étendent tout le long du rivage ; Jésus alla à l'ouest en contournant Tarichée et je le vis au midi de la ville passer un pont par lequel on arrivait à une espèce de faubourg. Il y a là un bras marécageux du lac par-dessus lequel le pont va rejoindre la chaussée en pierres noirâtres qui borde le lac à partir de Tarichée jusqu'à la sortie du Jourdain. Le faubourg est bâti sur cette chaussée. Il a un nom particulier que j'ai oublié. Il y a près du pont deux rangées de maisons.

Avant d'arriver là, Jésus avait à passer devant cette maison de lépreux où il en avait guéri plusieurs l'année précédente Ces gens ayant su qu'il était proche, vinrent lui rendre grâces : d'autres lépreux, qui depuis étaient venus habiter la maison en question, crièrent vers lui pour l'implorer et il les guérit.

Plus tard, lorsque Jésus ayant passé le pont, arriva dans le faubourg qui est sur la chaussée, on lui amena encore plusieurs malades qu'il guérit ; même de Dalmanutha où les disciples étaient allés la veille, on avait amené des malades auxquels on avait fait passer le lac sur des barques, et il leur rendit aussi la santé. Il passa la nuit ici dans une hôtellerie.

La chaussée dont il vient d'être parlé fut détruite ainsi que la plus grande partie du faubourg par le tremblement de terre qui eut lieu à la mort de Jésus On l'abandonna plus tard et il ne fut jamais rebâti parce que les rivages du lac subirent des changements considérables. Tibériade n'est encore bâtie qu'à moitié : il y a une partie de la ville où les chantiers de construction sont encore en activité.

(22 avril.) Ce matin, Jésus alla plus au midi de Tarichée, dans la direction du Jourdain : il y a là des maisons séparées habitées par des malades dont il guérit un certain nombre.

On voit déjà de tous les côtés des troupes nombreuses se diriger vers la montagne de Gabara : beaucoup de barques chargées de passagers arrivent de l'autre rive du lac. Ils ont avec eux des tentes et des provisions de toute espèce : ils amènent aussi des malades portés sur des ânes dans de grands paniers. Dès hier soir, plusieurs disciples se sont rendus à Gabara avec tout ce monde : quelques-uns sont venus rejoindre Jésus. Aujourd'hui la plupart sont arrivés à Gabara : ils désignent aux arrivants les places où ils doivent camper et leur rendent des services de tout genre. Jésus aussi se dirigea aujourd'hui en compagnie des apôtres et du reste des disciples vers la montagne de Gabara. Une hôtellerie avait été préparée pour eux entre cette montagne et Magdalum : c'était celle où Madeleine avait visité les saintes femmes avant sa conversion. Elle était très spacieuse et soutenue par des piliers. Jésus y passa la nuit.

Sur le chemin, des Pharisiens accostèrent Jésus et lui demandèrent ce que signifiait cet immense concours de peuple se dirigeant vers la montagne. Il semblait, disaient-ils, que tout le pays fût soulevé, Jésus leur répondit qu'ils n'avaient qu'à venir l'entendre le lendemain. Il avait convoqué le peuple parce qu'il n'avait plus que peu de temps à rester avec eux.

Les saintes femmes étaient ce soir à Damna. Demain elles se rendront à l'hôtellerie afin de pourvoir à ce que les disciples trouvent de quoi manger.

(Mercredi 23 avril.) Jésus arriva ce matin vers dix heures sur la montagne où il devait prêcher. Les disciples avaient rangé le peuple en bon ordre et réglé comment les différents groupes viendraient à tour de rôle écouter la prédication, car il y avait beaucoup trop de monde pour que tous pussent entendre à la fois ce qui se disait du haut de la chaire. Le peuple était campé sous des tentes ; les gens de chaque pays se tenaient ensemble. Chaque district avait décoré son campement avec les fruits que produisait ce canton, arrangés de manière à former une espèce d'arc-de-triomphe sous lequel on passait pour arriver à eux et au haut duquel étaient suspendus en guirlande et en faisceau les produits les plus estimés de leur contrée natale. Pour les uns c'étaient des branches de vigne et des épis de blé, pour les autres, du coton, des cannes à sucre, des herbes aromatiques, et des fruits de toute espèce. Tout cela, entremêle de fleurs et disposé avec beaucoup d'élégance, produisait un effet très agréable. Une quantité de pigeons, de cailles et d'autres oiseaux s'étaient installés dans le camp pour recueillir les restes des repas, et ils étaient si familiers qu'ils venaient les manger dans la main des gens.

Il était venu beaucoup de Pharisiens, de Sadducéens, d'Hérodiens, de scribes et de magistrats locaux qui occupaient les places les plus rapprochées de la chaire. Ils s'étaient fait préparer des sièges commodes et plusieurs étaient assis sur des espèces de chaises qu'ils avaient fait apporter. Un grand nombre d'entre eux étaient venus avec des troupes de pèlerins qui, revenant en ce moment de Jérusalem, s'étaient arrêtes là pour assister à l'instruction de Jésus C'était peut-être quelques-uns d'entre eux qui, la veille, avaient interpellé Jésus pour lui demander ce que signifiait ce concours de peuple se dirigeant vers la montagne

Jésus rassembla ses disciples tout autour de lui et les Pharisiens se scandalisèrent de les voir prendre place en avant d'eux.

Jésus commença par prier, puis il adressa au peuple une petite allocution pour recommander le bon ordre et l'attention Il voulait leur donner des enseignements qu'ils n'avaient reçus d'aucun autre et qui pourtant étaient nécessaires à leur salut. Ce qu'ils ne saisiraient pas bien maintenant, disait-il, devait leur être répété et expliqué plus tard par ses disciples qu'il leur enverrait, car il n'avait plus que peu de temps à rester parmi eux.

Il se mit ensuite à enseigner à haute voix les disciples réunis autour de lui, auxquels il recommanda de se tenir en garde contre les Pharisiens et les prophètes de même espèce. Puis il enseigna le peuple touchant la prière et l'amour du prochain. Les disciples amenaient à tour de rôle des troupes d'auditeurs qui se retiraient au bout d'un certain temps. Les Pharisiens et d'autres savants interrompirent souvent Jésus pour le contredire et lui faire des objections : mais il n'en tint aucun compte, parla d'eux en termes sévères et mit le peuple en garde contre eux, ce qui les irrita vivement.

Aujourd'hui Jésus ne guérit pas, mais il ordonna que les malades couchés sur leurs lits sous des tentes ouvertes fussent transportés successivement à proximité de sa chaire pour entendre ses instructions. Du reste, il fit dire à tous les malades qu'ils eussent à prendre patience jusqu'à la fin de sa prédication. Il parla sans s'arrêter jusqu'au soir. Les assistants allaient successivement prendre de la nourriture. Je n'ai pas vu Jésus manger. Il enseigna si longtemps son nombreux auditoire, que le soir sa voix était très fatiguée et très faible.

Il redescendit dans la plaine et regagna l'hôtellerie dont il a été parlé. Elle avait fait partie des propriétés qu'avait Madeleine à Magdalum, et lors de la vente on l'avait réservée pour la communauté.

Lazare et Marthe, Dina et la Suphanite, Maroni de Naïm et la mère de Jésus, ainsi que les autres femmes de la Galilée étaient arrivées ici, apportant de nombreuses provisions de bouche, des étoffes pour faire des habillements et aussi des vêtements tout faits. Elles avaient apprêté un repas frugal pour Jésus et les disciples : ce qui en resta fut donné aux nécessiteux.

(24 avril.) Jésus continua aujourd'hui son instruction sur la montagne ; il parla encore de la prière, de l'amour du prochain, de la vigilance, de la confiance . dans la bonté de Dieu, et il exhorta le peuple à ne pas se laisser induire en erreur par les oppresseurs et les calomniateurs.

Les Pharisiens furent encore plus turbulents qu'hier. Je vis qu'ils s'étaient réunis en plus grand nombre que la veille et qu'ils eurent de vives contestations avec Jésus. Ils le traitèrent d'agitateur et d'instigateur de troubles et lui reprochèrent de détourner le peuple de son travail et de l'entraîner à sa suite à travers le pays. Ils avaient, disaient-ils, leur sabbat, leurs jours de fête et leur doctrine ; ils n'avaient que faire de ses innovations. Ils ressassèrent contre lui et ses disciples toutes les vieilles accusations mille fois réfutées et finirent par le menacer d'Hérode, près duquel ils voulaient porter plainte de ses menaces et de ses enseignements qui avait déjà l'úil sur lui et qui mettrait un terme à ses déportements. Jésus répondit vertement et dit qu'il enseignerait et guérirait sans se mettre en peine d'Hérode, tant que sa mission ne serait pas accomplie. Les Pharisiens furent si grossiers et si violents que le peuple se porta en avant et qu'il y eut dans la foule un mouvement tumultueux, en sorte qu'ils finirent par se retirer fort mécontents.

Jésus continua à enseigner dans un langage très touchant et très entraînant, et comme beaucoup de ceux qui s'en revenaient de Jérusalem et d'autres encore avaient consommé leurs provisions de bouche, il leur fit distribuer des aliments par les plus anciens de ses disciples. C'était du pain, du miel et des poissons qu'on avait apportés de l'hôtellerie dans des corbeilles. Les saintes femmes avaient pris soin de l'approvisionnement. On distribua aussi à ceux qui en avaient besoin des habits, des pièces de drap, des couvertures, des chaussures et de petites robes d'enfants. Les femmes avaient pourvu à ce que toutes choses fussent en abondance ; elles firent les distributions aux personnes de leur sexe : les disciples les firent aux hommes.

Pendant que les anciens disciples déjà formés s'occupaient de tout cela, Jésus continua à instruire les disciples nouvellement arrivés.

Les femmes retournèrent ensuite à l'hôtellerie afin d'apprêter le repas pour tous. Jésus enseigna le peuple et promit à ses auditeurs de leur envoyer ses disciples qui leur porteraient des consolations, car lui-même devait rester éloigné d'eux pour un temps. Ensuite il donna sa bénédiction à l'assistance qu'il congédia, et annonça que le lendemain il s'occuperait des malades. Il resta encore longtemps seul avec les disciples auxquels il parla de la manière d'être des Pharisiens et de la façon dont ils devaient se comporter à l'avenir. Il revint tard à l'hôtellerie où il y eut un repas auquel tous prirent part.

Lazare parla ici du massacre des Galiléens dont on s'était beaucoup préoccupé aujourd'hui parmi le peuple et parmi les disciples. Il raconta aussi que les femmes d'Hébron, parentes de Jean-Baptiste, et quelques personnes de Jérusalem s'étaient rendues à Machéronte pour se mettre en possession de la tête du précurseur, parce qu'on faisait à cette forteresse des travaux qui nécessitaient beaucoup de déblaiements. Lazare lui-même avait fait plusieurs démarches à ce sujet ; je ne me souviens plus bien s'ils reçurent ici la nouvelle que l'entreprise avait réussi, mais voici ce que je vis parmi bien d'autres choses que j'ai oubliées.

A Machérunte, on était fort occupé à déblayer et à bâtir. Je crois qu'on se préparait à une guerre ; on démolissait beaucoup de constructions qui avaient servi quand Hérode tenait là sa cour : on enlevait des échafaudages et des décorations, et on disposait tout pour loger des soldats et mettre la place en état de défense. On curait et on relevait les fossés, on réparait les murs et on disposait tout autour de nouveaux moyens de défense. Je vis à cette occasion quelque chose de singulier dont je ne me rends plus bien compte : on creusait partout autour de la ville des fossés qu'on remplissait de matières combustibles, après quoi on les recouvrait et on plaçait des arbres par dessus de façon à les dissimuler. On pouvait y mettre le feu secrètement, en sorte que tout fit explosion et volât en éclats ; on fit des travaux de ce genre dans un large rayon, tout autour des murs

Il y avait là beaucoup de pauvres gens qui enlevaient les décombres résultant des démolitions. Plusieurs aussi cherchaient dans les fossés du bois, de gros ossements et d'autres objets de tout genre, et transportaient la vase sur leurs champs.

Parmi ces pauvres gens, se trouvaient sous des déguisements qui les rendaient méconnaissables, des femmes de la famille du précurseur. C'étaient les filles d'Héli, beau-frère d'Elisabeth d'Hébron ; d'autres encore, parmi lesquelles était la servante de Jeanne Chusa. Il y avait en tout six femmes, dont quelques-unes de Jérusalem, et elles avaient avec elles deux serviteurs Depuis plusieurs jours déjà, elles allaient de côté et d'autre confondues parmi les gens qui cherchaient et qu1 travaillaient, jusqu'à ce qu'enfin l'on curât le fossé étroit et profond où elles savaient qu'avait été jetée la tête de Jean : elles l'avaient appris, je crois, par révélation. Elles prièrent toute la nuit et elles jeûnèrent, demandant à Dieu de la leur faire retrouver. Le fond de ce fossé allait en s'élevant du côté de la montagne. Toute l'extrémité inférieure était déjà curée et vidée. Il fallait de là arriver au moyen de pierres qui faisaient saillie en avant à un endroit plus élevé, à celui où l'on jetait les os de la cuisine et où se trouvait la tête de Jean. Il y avait là un tas énorme d'os et d'immondices de toute espèce ; il fallait entrer très avant dans le fossé pour arriver à cet endroit.

Lorsque les ouvriers furent allés prendre leur repas quelques hommes, gagnés à prix d'argent pour cela, introduisirent les femmes dans le fossé, à l'entrée duquel ils restèrent Le fossé était nettoyé jusqu'à l'endroit en question où d'ailleurs les débris qu'on y avait jetés étaient parfaitement desséchés. Elles gravirent avec peine une pente assez raide, priant toujours Dieu de leur faire trouver la sainte tête. Bientôt quelques unes d'entre elles l'aperçurent posée toute droite sur une pierre qui s'avançait : elle semblait les regarder et elles y virent briller comme deux flammes : sans cela elles auraient pu s'y tromper, car d'autres têtes humaines avaient été jetées dans ce cloaque. La tête du précurseur faisait peine à voir : la peau brune du visage était couverte de taches de sang ; la langue qu'Hérodiade avait transpercée sortait de la bouche entrouverte, les cheveux d'un blond clair, par lesquels les bourreaux et Hérodiade l'avaient saisie, étaient tout hérissés. Les femmes l'enveloppèrent dans un linge qu'elles jetèrent par-dessus et la placèrent dans une outre, puis elles se retirèrent à pas précipités avec leur trésor.

il était grand temps qu'elles s'en allassent, car elles s'étaient à peine éloignées qu'un millier de soldats d'Hérode arriva au château pour remplacer les deux cents qui s'y trouvaient. Elles se cachèrent dans une caverne pour les laisser passer, mais lorsqu'elles se furent remises en route, s'avançant à travers les montagnes, elles trouvèrent un soldat qui s'était fait, en tombant, une blessure grave au genou, et qui était resté sans connaissance sur le chemin. Près de là se trouvaient déjà le lévite Zacharie, parent du père de Jean, et deux Esséniens qui étaient venus au devant d'elles. Je les vis entourer le blessé, lui prodiguer des soins compatissants, et comme elles ne pouvaient pas lui faire reprendre ses sens, elles placèrent près de lui l'outre où était la sainte tête. Aussitôt il revint a lui, put se relever, et dit qu'il avait vu Jean Baptiste qui l'avait secouru. Elles furent profondément touchées,

lavèrent ses blessures avec de l'huile et du vin, et le conduisirent à une hôtellerie voisine, sans lui rien dire toutefois de la tête de Jean.

Je les vis ensuite se remettre en route et éviter les chemins fréquentés, comme on l'avait fait en rapportant le corps de Jean. Je les vis le jour suivant porter la sainte tête chez les Esséniens qui demeuraient près d'Hébron : on la fit toucher là à quelques malades qui furent guéris. Je vis les Esséniens la nettoyer, l'embaumer avec des aromates précieux et la porter au tombeau avec les mêmes cérémonies funéraires qu'ils avaient célébrées en transportant le corps.

J'ai toujours vu les Esséniens rendre des honneurs particuliers aux saintes reliques. Ils possédaient des ossements des patriarches et des prophètes précieusement enchâssés et enveloppés dans du coton, qu'ils conservaient dans des niches, et auxquels des expériences fréquentes leur avaient fait reconnaître une vertu miraculeuse De même, les disciples de Jésus et d'autres Juifs pieux et éclairés ne partageaient pas les idées des Pharisiens de cette époque touchant la souillure communiquée par le contact des corps morts. Voilà tout ce qui me revient à la mémoire quant à cet incident.

Lazare et les saintes femmes prirent aujourd'hui congé de Jésus. Lazare n'avait pas assisté aux prédications publiques de Jésus, car il se tenait un peu à l'écart à cause de ses relations à Jérusalem.

(25 avril.) Ce matin, Lazare et les saintes femmes arrivèrent chez eux de très bonne heure. Quant à Jésus, il sortit de l'hôtellerie avec les apôtres et les disciples, pour visiter les malades qui hier soir déjà avaient été établis dans des cabanes et sous des tentes, à peu de distance de l'hôtellerie, ou qui étaient restés parmi la foule campée au pied de la montagne Les disciples et les femmes leur distribuèrent ce qui restait de provisions de bouche, de vêtements et de pièces d'étoffe.

Ceux qui étaient guéris et leurs amis faisaient retentir l'air de cantiques d'actions de grâces, et tous se mirent en route pour regagner leurs demeures avant le sabbat.

Jésus alla à Garisima, située sur la hauteur, à l'extrémité de la vallée, à une lieue environ au nord de Séphoris. Il envoya d'avance les disciples pour préparer les logements. Il fit un détour à cause des malades, et je le vis avec sa suite s'arrêter quelque temps dans un petit endroit voisin de Jotapat, appelé Capharoth. C'était à droite de son hôtellerie et à gauche du chemin qu'il suivait, mais peu de temps après y être entré. La route de Capharnaum à Jérusalem passait par là, et j'y ai souvent vu Jésus et les siens. Saul avait erré dans ce pays un peu avant sa visite à la pythonisse d'Endor et le combat désastreux qui la suivit.

Je n'ai plus bien présent à l'esprit ce qui se passa ici : je me souviens seulement que Jésus y rencontra quelques Pharisiens de Garisima qui revenaient de Jérusalem. Ils étaient favorablement disposés pour lui, et ils l'avertirent, entre autres choses, de se défier d'Hérode, parce qu'à Jérusalem et sur la route ils avaient entendu dire que ce prince voulait faire arrêter Jésus et lui faire subir le même sort qu'à Jean. Jésus leur dit, à eux aussi, qu'il n'avait rien à craindre de ce renard, et qu'il continuerait à faire comme auparavant ce pour quoi son Père l'avait envoyé. Je ne sais pas si c'est là qu'il faut rapporter le passage de l'Evangile ou il donne à Hérode le nom de renard. (Luc, XIII, 31, 32.)

Il ne s'arrêta pas longtemps ici, et alla cinq lieues plus loin jusqu'à Garisima. C'est un endroit dont la situation est élevée et qui est entremêlé de vignobles.

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Il reçoit les rayons du soleil depuis son lever jusqu'un peu après midi : plus tard ils ne lui arrivent plus.

Les disciples que Jésus avait envoyés d'avance, vinrent à sa rencontre sur le chemin. Son hôtellerie était en avant de la ville. Ils se lavèrent les pieds et prirent un peu de nourriture : après quoi Jésus fit à la synagogue l'instruction du sabbat sur des textes tirés du Lévitique et d'Ezéchiel. Il ne trouva pas ici de contradicteurs, et tous furent surpris de sa profonde connaissance de la loi et des admirables explications qu'il en donnait. Après l'instruction, il prit un repas à l'hôtellerie seul avec les siens. Quelques-uns de ses parents des environs de Séphoris se trouvaient ici et mangèrent avec lui. Ici aussi il a parlé de sa fin prochaine.

Je crois qu'après le sabbat il enverra les apôtres et les disciples en mission.

(26 avril.) J'ai vu Jésus célébrer tranquillement le sabbat, et en outre donner publiquement aux disciples des instructions touchant leur mission Il fit cela sur une colline située au milieu des maisons et des vignes. Jésus raconta ici et ailleurs, pendant les jours qui suivirent, les paraboles de la brebis égaré, de la pièce de monnaie perdue, et aussi celle des dix vierges.

Il y a bien avec les apôtres une centaine de disciples près de Jésus. Ils se sont réunis ici pour le sabbat ils recevront leur mission demain ou après-demain Les deux fils de Cyrinus, qui a été baptisé à Dabrath sont venus trouver Jésus sur le chemin de Gabara venant de Dabrath, où ils étaient avec leur père Quelques autres Juifs de l'île de Chypre sont en outre venus je visiter. Il y en a ici une troupe nombreuse : ils reviennent chez eux de Jérusalem où ils sont allés pour les fêtes de Pâques, et ils ont écouté avec admiration la prédication faite par Jésus le jour du sabbat.

Jésus est très désiré à Chypre où il y a beaucoup de Juifs dont personne ne s'occupe.

(27 avril.) Ayant eu plusieurs évanouissements successifs, Anne Catherine ne put raconter que ce qui suit :

Ce matin Jésus a encore donné des enseignements aux disciples sur la colline de Garisima. Plusieurs de ceux qui se trouvaient ici n'avaient encore fait que le service de messagers entre les disciples dispersés et les amis de Jésus : d'autres n'étaient guère sortis de chez eux ; il y en avait donc un grand nombre qui n'étaient pas encore instruits et qui avaient beaucoup à apprendre touchant la doctrine, la manière de la répandre, l'application et l'interprétation des paraboles. C'est pourquoi Jésus leur donna des instructions suivies, il expliqua tout aux disciples de la manière la plus simple, reprenant et résumant tous les enseignements qu'il avait donnés jusqu'alors et particulièrement les derniers.

Dans l'après-midi, il alla avec eux tous dans la montagne, à cinq ou six lieues au nord-ouest de Garisima ; ayant passé entre deux villes, ils gagnèrent une contrée très solitaire où ils restèrent toute la nuit. Il y avait là des troupeaux d'ânes, de chameau, ; et même de montons, mais dans des vallées écartées. On se trouvait là sur le versant occidental de la grande chaîne de montagnes qui s'étend à travers le pays. Les vallées y sont très sinueuses et ressemblent aux zigzags que trace sur la terre la plante appelée griffe de loup. Il y avait dans cette solitude beaucoup de palmiers et d'autres arbres dont les branches pendantes et entrelacées formaient des espèces de huttes sous lesquelles on pouvait se blottir. Les bergers des environs s'y abritaient : c'est ce que firent aussi cette nuit Jésus et ses disciples. Toutefois ils passèrent la plus grande partie de leur temps à prier et à écouter les instructions de Jésus. Il leur fit plusieurs injonctions déjà faites lors des missions précédentes. Je remarquai particulièrement ce qu'il leur dit, qu'ils ne devaient pas avoir de besaces, mais les remettre à leur supérieur : il y en avait toujours un pour dix disciples. Il leur dit à quoi ils reconnaîtraient les endroits où ils avaient du bien à faire, comment ils devaient secouer la poussière de leurs souliers en quittant les lieux où ils seraient mal accueillis et comment ils devaient se justifier lorsqu'on voudrait les arrêter. Ils n'avaient pas à s'inquiéter des réponses qu'ils auraient à faire elles leur seraient inspirées au moment nécessaire. Ils ne devaient rien craindre : car leur vie ne serait point menacée. Ils mangèrent ensemble du pain, du miel et du poisson qu'ils avaient apportés avec eux.

Vers le soir, je vis dans divers endroits de cette contrée des hommes isolés, se tenant debout, ayant à la main de longs bâtons terminés par des crochets en fer. C'étaient des gens chargés de défendre les troupeaux contre les attaques des bêtes sauvages qui venaient du bord de la mer.

(28 avril.) Je vis ce matin de très bonne heure. Jésus envoyer en mission les disciples et les apôtres. Il imposa les mains aux apôtres et à plusieurs des anciens disciples : il se contenta de bénir les autres Il les remplit par là d'une force et d'une ardeur nouvelles. Ce n'est pas encore là la consécration sacerdotale, mais ils recevaient par là une grâce qui les rendaient plus forts. Il leur fit encore plusieurs recommandations touchant l'obéissance à leurs supérieurs. Pierre et Jean n'accompagnèrent pas Jésus, mais ils allèrent au midi. Pierre se dirigea vers la contrée de Joppée, Jean du même côté ; mais plus à l'est dans la Judée. Quelques-uns allèrent dans la haute Galilée, d'autres dans la Décapole. Thomas fut envoyé dans le pays des Gergéséniens. Je le vis s'y rendre en faisant un détour. Je le vis le soir avec un groupe de disciples s'écarter du chemin dans la direction du sud-ouest et arriver à une ville dont le nom ressemble à celui d'un des disciples : c'est quelque chose comme Asach : cette ville est située sur une hauteur entre deux vallées qui courent dans des directions séparées comme les feuilles de la plante appelée griffe de loup. Je vis briller un cours d'eau qui coule autour de cette ville et tombe en cascades de l'un des côtés. Il vient d'un petit lac ou d'un marais situé au nord, coule autour de la ville dans la direction du sud et forme une cascade dont j'ai entendu le bruit. Il va se jeter dans la mer. Cet endroit était à peu près à neuf lieues de Séphoris : il se trouvait à une lieue tout au plus sur la gauche du chemin que suivait Jésus et plus bas que ce chemin : car on le voyait de là au-dessous de soi. Il y a beaucoup de Juifs dans cette ville qui, à ce que je crois, appartient aux Lévites.

J'ai aussi entendu le nom d'Hakuk ou d'Hokuk, mais il y a une autre ville dont le nom est à peu près le même.

Note : Dans le Theatrum terræ sanctæ d'Adrichomius, il est fait mention d'Hakok, nommée ailleurs Hukok, Akok et Asach. C'est une ville de Lévites sur le territoire de la tribu d'Aser. Suivant le même écrivain, il y a dans les limites de Nephtali une autre ville du nom d'Hukoka, qui parait être celle où, suivant les visions d'Anne-Catherine, Jésus alla l'année précédente. (Note du Pèlerin).

Jésus alla dans la direction du nord-ouest. Il prit avec lui cinq apôtres dont chacun avait sous lui dix disciples. Je me souviens d'avoir vu Judas, Jacques le Mineur, Thaddée, Saturnin, Nathanaël, Barnabé, Asor, Mnason et les jeunes gens de l'île de Chypre. Ils firent bien six à huit lieues aujourd'hui. Il y avait plusieurs villes à droite et à gauche du chemin et quelques groupes se séparèrent du cortège pour y aller. Jésus laissa à gauche, au-dessous de lui, Tyr et le rivage de la mer. Autant qu'il m'en souvient, il a indiqué aux apôtres et aux disciples un endroit où il viendra les rejoindre dans une trentaine de jours. Il passa la nuit avec ceux qui étaient restés près de lui sous des arbres formant des berceaux de feuillages, comme il avait fait la nuit précédente.

Je vis Jésus accompagné d'un groupe de disciples et d'autres personnes encore, au nombre d'une cinquantaine en tout, cheminer dans une gorge de montagne très profonde. Je crois que c'était de bon matin car le ciel était très clair. C'était une étrange montagne : pendant l'espace d'une lieue il y avait, tout le long des parois qui s'élevaient des deux côtés, des habitations précédées de petites constructions en solives légères : quelques-unes étaient ouvertes et l'on en voyait l'intérieur où les gens demeuraient comme dans des grottes. Souvent elles étaient recouvertes de toits de roseaux, de mousse ou de gazon. Il y avait par endroits comme des terrassements pour empêcher les éboulements de la montagne d'obstruer le passage ; ces cabanes étaient habitées par de pauvres païens chargés d'entretenir la route et de délivrer le pays d'affreuses bêtes qui l'infestaient.

Ces gens vinrent à Jésus et lui demandèrent son assistance contre ces bêtes. C'étaient de longs animaux tachetés, à larges pattes, qui ressemblaient à de grands lézards. J'en vis courir quelques-uns. Jésus bénit la contrée : il ordonna a ces animaux de se retirer dans un marais voisin dont l'eau noirâtre semblait saturée de charbon, et je les vis s'y rendre de tout le pays.

Sur le chemin que suivait Jésus, il y avait par intervalles des groupes d'orangers sauvages et d'autres arbres du même genre : c'était à peu prés à quatre lieues de Tyr.

Jésus se sépara ici d'une partie de ses compagnons : il n'en garda que quelques-uns avec lesquels il continua à descendre le long de ce défilé : il s'arrêta a plusieurs reprises devant les grottes pour donner des enseignements et des avis à ceux qui les habitaient. Il était à neuf lieues d'Asach, cette ville où Thomas était allé la veille lorsque les apôtres s'étaient séparés. Le chemin descendait vers une rivière assez forte, dont le cours était rapide et l'eau très claire (le Léontès). Elle coule dans un lit profond et se jette dans la mer à deux lieues au nord de Tyr.

Jésus traversa cette rivière sur un pont en pierre fort élevé ; la maçonnerie en était épaisse et solide comme celle d'un rempart : on voyait l'eau bouillonner au-dessous. De l'autre côté, le chemin était encore bordé d'une longue suite d'habitations isolées. A peu de distance du fleuve était une grande hôtellerie où les disciples vinrent rejoindre Jésus.

Ici Jésus envoya plusieurs de ses compagnons dans les villes du pays de Khaboul, et Judas Iscariote avec un certain nombre de disciples à Cana, près de Sidon. Les disciples devaient donner à garder tout l'argent qu'ils avaient sur eux à l'apôtre qui leur était préposé, et celui-ci n'en devait rien distraire. Judas fut le seul auquel Jésus donna une somme d'argent pour son usage. Il connaissait sa cupidité, et il ne voulait pas l'exposer à la tentation de toucher à l'argent des autres, car il avait bien remarqué combien il était intéressé, quoique Judas se vantât de son désintéressement et du scrupule avec lequel il observait le précepte de la pauvreté. Lorsqu'il reçut l'argent, il demanda à Jésus combien il devait dépenser chaque Jour. Jésus lui répondit que quand on se sentait si maître de soi, on n'avait pas besoin de prescriptions ni d'injonctions particulières, qu'on portait sa règle en soi-même.

Jésus trouva dans l'hôtellerie une centaine de personnes de cette tribu juive à laquelle il avait déjà adresse des paroles de consolation à Ornithopolis et à Sarepta. Ils étaient venus à sa rencontre, et quelques-uns d'entre eux habitaient ici et y avaient même une synagogue. Ils reçurent Jésus et les siens avec beaucoup de joie et de respect, leur lavèrent les pieds et leur offrirent une collation. Ces Juifs vinrent dans leurs habits de fêtes, qui étaient tout à fait à l'ancienne mode patriarcale : ils avaient de longues barbes, et portaient au bras des manipules avec des franges. Ils avaient, comme les Esséniens, plusieurs coutumes qui leur étaient propres et une manière d'être qui les distinguait des autres. Les païens aussi se montrèrent très respectueux pour Jésus : du reste, ils avaient de la déférence pour les Juifs ; ce qui se voyait plus fréquemment dans tout ce district que dans la Décapole.

Les Juifs d'ici descendent d'un fils de la main gauche du patriarche Juda. Soué, femme de celui-ci, avait pour compagne et pour amie une femme que Lia, sa belle-mère, avait amenée de la Mésopotamie.

Soué, ayant été assez longtemps stérile après là naissance d'Her et d'Onan, donna son amie à Juda comme épouse de second ordre, et le fils qui naquit de cette union fut l'ancêtre des Juifs en question. Il épousa sa propre soeur (Anne-Catherine ne dit pas si c'était une soeur germaine ou une demi-soeur) : elle s'appelait Ezette, comme qui dirait la petite Eza, mais avec un diminutif hébreu.

Ce fils de Juda s'appelait comme l'endroit où Jésus se trouve à présent : malheureusement j'ai oublié le nom. Après sa naissance, Soué redevint féconde et mit au monde Sela, le troisième des fils légitimes de Juda.

Les deux fils de Juda, Her et Onan, moururent bientôt (Genèse, XIII, 1-10), mais auparavant ils avaient fait subir des persécutions de toute espèce à ce frère de la main gauche. Celui-ci, chassé de la maison paternelle avec sa famille, s'était établi ici et complètement séparé des enfants d'Israël. Ses descendants s'allièrent aux païens du pays, et ne suivirent pas en Egypte la famille de Jacob : ils s'étaient tout à fait abâtardis.

Antérieurement déjà, les païens de ce pays, lorsque Jacob, après la chute de Dina, s'était établi sur l'héritage de Joseph, près de Samarie, avaient témoigné un grand désir de relever leur race par des mariages, sinon avec les fils de Jacob, au moins avec ses serviteurs et ses servantes. Ils étaient allés le trouver par delà les montagnes, et lui avaient demandé très humblement à contracter des unions avec les gens de sa suite ; ils avaient même offert de se faire circoncire, mais Jacob avait absolument repoussé leurs propositions. Quand plus tard ce fils de Juda, chassé par ses frères, vint chez eux avec sa famille, leur désir de s'allier à la race de Jacob fut cause qu'ils l'accueillirent avec beaucoup d'empressement, et ses enfants s'allièrent avec eux. Combien la Providence de Dieu s'est montrée admirable en permettant que ce désir instinctif des païens de s'allier à la race sainte sur laquelle reposait la promesse, fût satisfait à quelques égards, et en disposant les choses de manière à ce qu'un rejeton exilé de cette souche vînt relever leur race!

Malgré l'abâtardissement causé par les mariages mixtes, une famille pourtant s'était conservée pure parmi eux, et la loi de Dieu lui fut enseignée par Elle, qui résida plus d'une fois dans ce pays. Salomon s'était déjà donné beaucoup de peine pour les réunir de nouveau aux Juifs, mais il n'avait pas pu y réussir. Beaucoup périrent dans les guerres, surtout ceux qui s'étaient mêlés avec les païens. Maintenant il reste encore parmi eux une centaine d'hommes pieux de la pure lignée de Juda. Ce fut Elle qui le premier les fit rentrer dans le troupeau : ils appartenaient aux brebis perdues d'Israël '.

Ces gens étaient très humbles et ne se jugeaient pas dignes de fouler le sol de la Judée. Ils ont je ne sais quelles relations avec les habitants de Saphet. Le Cypriote Cyrinus avait le premier parlé d'eux à Jésus à Dabrath, et quoique le Sauveur sût bien tout ce qui les concernait, il avait pris occasion de là pour s'entretenir fréquemment et familièrement avec eux.

Note : Au milieu de ces récits, la narratrice laissa échapper cette plainte : " Ah ! pourquoi faut-il que je voie tout cela ? à quoi cela peut-il me servir ? Si l'on savait tout ce que j'ai à souffrir et à subir pour raconter toutes ces choses " ? Ces souffrances venaient sans doute du profond sentiment qu'elle avait de la sainteté de la lignée de Jésus, de l'abomination de ces mariages mixtes et de l'égarement de tant de générations séparées de la souche bénie. (Note du Pèlerin.)

Jésus enseigna d'abord devant l'hôtellerie, en présence de deux cents personnes. Ses auditeurs se tenaient sous des cabanes de feuillages ou dans des hangars découverts. L'hôtellerie appartenait aux Juifs ou était affermée par eux. Jésus enseigna aussi dans leur synagogue, et beaucoup de paiens l'écoutèrent du dehors. Cette synagogue est un grand et bel édifice ; elle a un toit en terrasse où l'on peut se promener et d'où l'on a une vue très étendue.

Pendant le reste de la journée, Jésus avec ses compagnons parcourut la bourgade et les environs : il guérit plusieurs Juifs malades et aussi des paiens. Le soir il assista à un festin qu'ils lui donnèrent dans l'hôtellerie et pour lequel ils firent de grands frais, afin de lui témoigner leur reconnaissance de ce qu'il n'avait pas dédaigné de venir leur annoncer le salut, à eux, les brebis perdues d'Israël. Ils avaient leurs généalogies en bon ordre : ils les présentèrent à Jésus, et furent profondément touchés de voir qu'ils descendaient de la même race que lui.

Ce fut un joyeux repas : tous y étaient présents. Ils parlèrent beaucoup des prophètes, surtout, et avec une prédilection marquée, d'Elie et de ses prédictions touchant le Messie : la conversation roula aussi sur Malachie et sur ce que les temps devaient être accomplis maintenant. Jésus leur donna des explications sur tout cela, et leur promit de les ramener en Judée. J'ai vu par avance que plus tard il les fit s'établir entre Hébron et Gaza, sur la frontière méridionale de la Judée.

Jésus passa la nuit ici. Il porte une longue robe blanche comme habit de voyage. Ses compagnons et lui portent des ceintures et ont leurs vêtements relevés lorsqu'ils sont en route. Ils n'ont pas de bagage : ils portent ce qui leur est nécessaire dans les larges plis de leurs robes au-dessus de la ceinture. Quelques-uns ont des bâtons. Je n'ai jamais vu Jésus la tête couverte, si ce n'est parfois d'une bande d'étoffe qui est ordinairement roulée autour du cou.

Les gens d'ici font la chasse à d'affreuses bêtes tachetées qui ont des ailes membraneuses avec lesquelles elles volent très rapidement. Ce sont comme d'énormes chauves-souris qui sucent le sang des hommes et des bestiaux pendant qu'ils dorment. Elles viennent de fourrés marécageux impénétrables, situés au bord de la mer, et elles causent beaucoup de dommages. Il y a eu aussi en Egypte beaucoup de bêtes de cette espèce. Ce ne sont pas proprement des dragons, et elles sont moins horribles. Les dragons sont plus rares et vivent solitaires dans des contrées tout à fait désertes.

On récolte ici des fruits semblables à des noix : j'en ai vu d'autres qui ressemblent à des châtaignes : il y a aussi des arbres qui portent des baies jaunes pendantes en grappes : on trouve aussi par endroits comme des sapins et des cèdres. La terre est peu profonde dans cette contrée : on voit souvent les racines nues couvertes de mousse ramper sur le sol comme des serpents.

J'ai vu peu de femmes ici : celles que j'ai aperçues ça et là portent des fardeaux et semblent être des esclaves.

Le port où Jésus se rendra en partant d'ici est à trois lieues plus au nord qu'Ornithopolis, qui est bien à trois quarts de lieue de la mer. De Tyr à ce port il y a cinq lieues par mer et trois lieues par terre. Le long du port il y a un promontoire qui s'avance dans la mer comme une île, et sur lequel est située la ville païenne. Les Juifs, en petit nombre, qui l'habitent, sont des gens pieux, et tous semblent vivre de ce que les païens leur font gagner. J'ai vu dans la ville et à l'entour une trentaine de temples d'idoles : il me semble quelquefois que ce port dépend d'Ornithopolis. La Syro-phénicienne y possède encore tant d'édifices, d'ateliers de tissage ou de teinture et de navires, que je suis souvent portée à croire que cet endroit était sous la dépendance de son défunt mari ou des ancêtres de celui-ci Elle n'habite pas à Ornithopolis même, mais dans une espèce de faubourg. Derrière Ornithopolis s'élève une haute montagne qui masque la vue, et au delà de laquelle se trouve Sidon il y a encore un petit cours d'eau entre Ornithopolis et le port. Le rivage entre Tyr et Sidon est peu abordable, à l'exception de ce port, à cause des rochers, des marécages et des fourrés dont il est couvert. Le port en question est le plus grand qu'il y ait entre Sidon et Tyr Les nombreux navires qui s'y tiennent forment eux-mêmes comme une petite ville

L'habitation de la Syro-phénicienne, avec ses nombreuses dépendances, ses cours et ses jardins, ressemble à un grand assemblage de fabriques et de plantations où vivent beaucoup de familles d'ouvriers et d'esclaves. Mais les travaux sont en partie suspendus, et il n'y règne plus une grande activité.

Ornithopolis est à environ trois lieues de l'endroit où est le pont sur la petite rivière, et où Jésus a passé la nuit précédente. Le village des pauvres juifs est à une lieue et demie. Jésus, en se rendant directement au port par ce village, laisse Ornithopolis à sa gauche. Le village juif est dans la direction de Sarepta, qui reçoit les rayons du soleil levant : car de ce côté la montagne s'élève en pente douce. Le côté du nord, au contraire, est toujours dans l'ombre : la situation est très avantageuse.

La narratrice parla avec des détails très circonstanciés de la position de Sarepta, mais avec tant de volubilité, qu'on ne pouvait pas bien saisir ce qu'elle disait : alors elle s'écria : " Ah ! si vous pouviez voir cela aussi clairement que je le vois ! Entre Ornithopolis, le village juif et le port, il y a tant d'édifices et d'établissements isolés, qu'en regardant d'un point élevé, on peut croire que tout cela a fait autrefois partie d'un même ensemble ".

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.