CHAPITRE SEPTIEME Décollation de saint Jean- Baptiste - Veille de la fête du jour de naissance d'Hérode. - Jésus à Thanath-Silo. -Les architectes d'Hérode sont écrasés par la chute d'un édifice. - Saint Jean-Baptiste est décapité. - Jésus à Antipatris, -Béthoron, à Bethanie, dans le voisinage de Jérusalem, à Juta et à Hébron. (Du 8 janvier au 18 janvier 1823.) (8 janvier.) Depuis une quinzaine de jours déjà, j'ai vu arriver à Machérunte beaucoup de gens invités par Hérode, dont la plupart sont des personnes du beau monde : j'en vis notamment beaucoup appartenant à la société élégante et corrompue de Tibériade, passer le Jourdain à Ainon pour se rendre à Machérunte. Je vis aussi une grande quantité de femmes venir visiter Hérodiade et se succéder toute une série de fêtes et d'orgies. Il y avait près du château un édifice circulaire et découvert, entouré de sièges d'où l'on regardait des combats livrés par des athlètes à des animaux féroces. Je vis aussi des danseurs et des danseuses qui exécutaient des danses voluptueuses de toute espèce, et je vis Salomé. la fille d'Hérodiade, s'exercer avec eux. en présence de sa mère devant des miroirs de métal. Zorobabel et Cornélius de Capharnaum ne vinrent pas : ils s'étaient fait excuser. Dans les derniers temps on avait permis à Jean de circuler dans l'intérieur du château, et ses disciples avaient la permission d'entrer et de sortir. Il avait quelquefois enseigné publiquement dans le château et Hérode avait assisté à ses prédications. On lui avait aussi promis la liberté s'il voulait approuver le mariage d'Hérode ou du moins garder sur ce point le silence le plus absolu : mais il s'était toujours élevé avec véhémence contre cette union. Toutefois, Hérode avait l'intention de lui rendre la liberté à l'occasion du jour de sa naissance : mais sa femme nourrissait en secret d'autres pensées. Hérode désirait que Jean se fît voir en public pendant la fête : il voulait se rendre ses hôtes favorables en leur faisant voir qu'il traitait doucement son captif ; mais aussitôt que les réunion et les jeux commencèrent, faisant de Machéronte le théâtre de tous les désordres, Jean ne voulut plus quitter sa prison et il ordonna aussi à ses disciples de se retirer. La plupart se rendirent dans les environs d'Hébron, d'où étaient plusieurs d'entre eux. Pendant cette fête et en d'autres occasions encore, je vis aux côtés de l'infâme Hérodiade un homme qui, même pendant la nuit, venait familièrement près de son lit ; je crus reconnaître que c'était le démon sous la figure d'un amant ou sous celle d'Hérode lui-même. J'ai toujours vu cette femme plongée dans tous les vices, s'abandonnant à toutes les débauches et ourdissant toute espèce de perfidies. Sa fille avait été formée par elle : elle la secondait en toutes choses depuis son enfance et c'était déjà une fille perdue. Elle était jeune et dans tout l'éclat de sa beauté qui avait quelque chose de sensuel et de lascif : elle était très immodeste dans ses allures et dans ses vêtements. Depuis longtemps déjà Hérode jetait sur elle des regards de convoitise et sa mère avait dressé ses plans en conséquence. Hérodiade avait un extérieur qui frappait tout d'abord : tout y respirait l'effronterie et il n'y avait point de moyens, point d'artifices auxquelles elle n'eût recours pour rendre plus piquante son impudique beauté. Elle n'était plus très jeune et avait dans la physionomie quelque chose de singulièrement provoquant ou plutôt de diabolique qui charmait les libertins, mais qui excitait en moi la répugnance et le dégoût comme eût fait l'effrayante beauté d'un serpent. Je ne puis rien trouver à lui comparer qu'en disant qu'elle ressemblait à une déesse, qu'elle était tout à fait comme les déesses. (On ne trouvera rien de ridicule dans cette expression quand on saura qu'Anne-Catherine voyait sous forme de déesses Dercéto, mère de Sémiramis, d'autres femmes du même genre également divinisées, ainsi que plusieurs des filles des hommes dont parle la Genèse, et que tous les dieux et toutes les déesses du paganisme lui apparaissaient comme des personnages engendrés sous des influences diaboliques dans les mystères d'un culte infernal ; du reste, doués de facultés merveilleuses, possédant un pouvoir magique et gouvernés par le démon.) Ce soir, je vis commencer la fête du jour de naissance d'Hérode. Hérodiade habitait un palais bâti sur l'un des côtés d'une cour spacieuse : il dominait la grande salle placée en face dans laquelle la fête avait lieu, et l'on voyait tout ce qui s'y passait du haut des galeries ouvertes du palais d'Hérodiade. On avait élevé dans la cour un magnifique arcs-de-triomphe où l'on montait par des degrés et sous lequel on passait pour entrer dans la salle. Celle-ci offrait à l'úil une perspective qui semblait sans limites et dont la splendeur était incroyable : on ne voyait partout que miroirs, dorures, bouquets de fleurs et arbrisseaux verdoyants. On était complètement ébloui, car aussi loin que la vue pouvait s'étendre, tout était inondé de lumière, grâce à une profusion inouïe de flambeaux, de lampes, de transparents portant des inscriptions ou ayant la forme de vases et de statues. Hérodiade avec son entourage de femmes, toutes parées de leurs plus beaux atours, regardait la fête du haut de la galerie supérieure de son palais. Bientôt Hérode, escorté d'une troupe de courtisans somptueusement vêtus et salué par des voix qui chantaient en choeur, traversa la cour sur des tapis pour se rendre à l'arc de triomphe au-dessus duquel un grand nombre de jeunes garçons et de jeunes filles à peu près nus et couronnés de fleurs se tenaient, agitant des guirlandes et jouant de divers instruments de musique. Comme il montait les degrés qui menaient à l'arc-de-triomphe, Salomé, entourée d'autres adolescents des deux sexes, vint au devant de lui en dansant et lui présenta une couronne placée au milieu de joyaux étincelants de toute espèce, et que des enfants de son cortège portaient sous un voile diaphane. Ces enfants étaient à peine couverts d'une légère draperie : ils portaient un vêtement collant qui les faisait paraître nus et ils avaient des espèces d'ailes attachées aux épaules Salomé portait également un vêtement court et par-dessus une longue robe tout à fait transparente attachée par endroits autour des jambes avec des agrafes brillantes. Ses bras étaient entourés d'anneaux d'or de cordons de perles et de petites guirlandes de plumes : elle n'avait sur le cou que des perles en grand nombre et des colliers étincelants : sa poitrine n'était couverte que d'une gaze transparente. Elle dansa assez longtemps devant Hérode qui, charmé et ébloui, lui témoigna la plus vive admiration, ainsi que tous ses hôtes, et la pria de lui donner encore ce plaisir le lendemain. Alors ils entrèrent dans la salle où commença le festin. Les femmes mangèrent de leur côté dans le palais de la reine. Pendant ce temps, je vis Jean dans sa prison : il était agenouillé, les bras étendus, regardait le ciel et priait. Il était entouré de lumière, mais c'était une toute autre lumière que celle de la salle d'Hérode. Celle-ci en comparaison, paraissait trouble et rougeâtre comme une flamme d'enfer, quoique Machérunte, illuminée par tant de flambeaux, répandît au loin sur les montagnes une lueur semblable à celle d'un incendie. ( 8 janvier. ) Ce matin, Jésus avait enseigné dans la synagogue de Thenath-Silo et il avait expliqué entre autres choses la parabole du roi qui donne un festin. Des gens venus de Jérusalem lui confirmèrent ici ce qui avait été déjà rapporté comme un bruit par les quatre disciples qui étaient venus le trouver près de Samarie, à savoir, qu'il était arrivé un grand malheur à Jérusalem à l'occasion d'une construction que faisait faire Pilate. et que, sans compter beaucoup d'autres personnes, dix-huit architectes d'Hérode avaient été victimes de la chute de l'édifice. Jésus plaignit ceux qui avaient péri sans qu'il y eut de leur faute, avec ce sentiment que nous éprouvons quand il s'agit de la mort d'enfants innocents, et il dit que ces dix-huit architectes qui étaient des Hérodiens, n'étaient pas de plus grands pécheurs que les Pharisiens, les Sadducéens et tous ceux qui travaillaient à l'encontre du royaume de Dieu : ceux-ci devaient aussi périr sous les ruines de leur édifice traîtreusement construit. Il raconta ensuite la parabole du figuier. Hérode avait offert à Pilate, pour ses bâtisses, des pierres excellentes d'une espèce particulière, du ciment de bonne qualité et aussi des architectes de son pays, ce que Pilate avait accepté. Mais toutes ces offres cachaient une perfidie destinée à rendre Pilate odieux ; ainsi Hérode avait envoyé à Jérusalem dix-huit architectes qui étaient Hérodiens ou membres d'une société secrète comme celle des francs-maçons. Ils appuyèrent au penchant septentrional de la montagne du temple, du côté de la porte des Brebis, une construction qui devait servir d'égout pour les immondices du temple. Mais les travaux avaient été mal faits à dessein, en sorte qu'ils ne pouvaient manquer de s'écrouler, et Hérode pensait que leur chute ferait périr les trois cents hommes qui travaillaient là en qualité d'esclaves. C'étaient des gens qu'Hérode haïssait parce que la plupart étaient partisans de Jean-Baptiste, et il y en avait aussi plusieurs qui avaient été guéris par Jésus. La base de la construction était large, mais creuse ; elle devenait plus étroite, plus compacte et plus lourde à mesure qu'elle s'élevait, et la hauteur totale était considérable. Il y avait près de là toute une rue habitée par de pauvres ouvriers qui demeuraient sur la pente de la montagne du temple. Je vis aussi sur une terrasse les dix-huit Hérodiens qui dirigeaient ce travail où se cachait une trahison .Tout s'écroula à la fois sur les ouvriers, mais, ce qu'on n'avait pas prévu, les dix-huit Hérodiens périrent aussi, car la terrasse ou ils se tenaient s'éboula entraînant d'autres constructions et ils furent ensevelis sous les ruines. Plusieurs des petites habitations adossées à la montagne du temple, s'écroulèrent aussi et bien des Innocents périrent. Il y eut bien une centaine d'hommes écrasés sous les décombres. Cet événement eut lieu au moment où commençaient les fêtes de Machérunte. Pilate fut très irrité contre Hérode à cette occasion, et ce fut une des causes principales de leur inimitié. Note : C'est l'événement que Jésus mentionne brièvement dans Saint Luc (XIII, 4), lorsqu'on lui raconte le massacre des Galiléens dans le temple. Jésus guérit encore ici plusieurs malades, entre autres des aveugles : ensuite il quitta Thenath-Silo, accompagné de Pierre et de Jean. Les quatre disciples allèrent directement à Béthoron où Marie, Marthe, Madeleine et les autres femmes de Jérusalem doivent se rendre en quittant Dothan et où je crois que Jésus les rejoindra. Jésus prit le chemin d'Antipatris : en quittant Thenath, il se dirigea vers Sichem qu'il laissa à sa droite et passant près du puits de Jacob, il arriva dans une vallée à droite du mont Garizim et entra dans l'hôtellerie où il avait été le jour d'avant l'entretien avec la Samaritaine. Sur la route, Pierre et Jean demandèrent à plusieurs reprises à Jésus s'il ne voulait pas entrer à Aruma ou dans d'autres endroits : mais il assura qu'on ne l'y recevrait pas et il continua son chemin vers Antipatris. (8 janvier.) J'ai vu aujourd'hui à midi un grand festin dans la salle d'Hérode : cette salle était ouverte du côté qui faisait face à la salle des femmes, située plus haut, en sorte que le tableau qu'offrait cette réunion de femmes en grande toilette, mangeant, buvant et jouant, venait par cette ouverture se réfléchir comme dans une glace sur une surface polie. C'était peut-être de l'eau : car il y avait de tous côtés des jets d'eau de senteur, qui jaillissaient au milieu de pyramides de fleurs et d'arbres couverts de verdure. Après le repas où l'on avait beaucoup bu, les convives prièrent Hérode de faire danser de nouveau Salomé : on laissa libre à cet effet le milieu de la salle et on se rangea tout autour, le long des murs. Hérode siégeait sur son trône : quelques-uns de ses familiers et seulement ceux qui étaient Hérodiens s'assirent près de lui sur une extrade : je crois que le tétrarque Philippe était parmi eux. Salomé reparut avec quelques danseuses, l'air effronté et très légèrement vêtue : ses cheveux étaient ou entrelacés de perles et de pierres précieuses, ou flottant en boucles sur ses épaules. Elle avait une couronne sur la tête. Elle dansait au milieu, les autres autour d'elle. Cette danse n'est pas aussi fougueuse et aussi vive que les danses rustiques de nos paysans ; elle consiste à ployer, courber et tordre continuellement le corps comme s'il était désossé : on passe sans cesse d'une attitude à une autre. Ces femmes balancent, plient et replient leurs membres avec une souplesse qui rappelle celle du serpent : elles tiennent en outre à la main des guirlandes et des drapeaux qu'elles agitent et déploient autour d'elles. J'ai vu d'autres fois des danses juives et particulièrement des danses païennes qui me plaisaient beaucoup par ce qu'elles avaient de doux et de gracieux : mais cette danse-ci était par-dessus tout impudique et exprimait les passions les plus honteuses. Salomé l'emportait sur toutes les autres, et je vis à ses côtés le démon qui semblait assouplir et agiter tous ses membres pour mieux parvenir à ses fins. Hérode était charmé et bouleversé par ces infâmes attitudes : en finissant, elle vint au pied du trône, et comme les autres danseuses continuaient à captiver l'attention des spectateurs, quelques-uns des plus voisins seulement entendirent Hérode lui dire : " Demande-moi ce que tu voudras, je te le donnerai ; j'en fais le serment : quand ce serait la moitié de mon royaume, je te le donnerai ". Salomé répondit. " Je vais consulter ma mère sur ce que je dois demander ". Après quoi elle sortit de la salle, se rendit à celle des femmes et parla à sa mère. Celle ci lui ordonna de demander la tête de Jean-Baptiste sur un plat. Salomé revint près d'Hérode et lui dit : " Je veux que vous me donniez tout de suite la tête de Jean sur un plat " ! Quelques-uns des plus proches voisins du roi l'entendirent lorsqu'elle dit cela. Hérode était terrifié et comme frappé d'apoplexie : mais elle lui rappela son serment. Alors il fit appeler son bourreau par un Hérodien et lui ordonna de décapiter Jean et de donner sa tête à Salomé sur un plat. L'exécuteur sortit et Salomé le suivit au bout de quelques instants. Cependant Hérode, comme s'il eût été malade, quitta la salle avec quelques courtisans qui avaient tout entendu : comme il était accablé de tristesse, je les entendis lui dire qu'il aurait bien pu ne pas se croire obligé de lui accorder sa demande : ils lui promirent du reste le secret le plus absolu, afin de ne pas troubler la fête. Quant à lui, il était accablé de tristesse et il errait comme un insensé dans les appartements les plus reculés du palais. Pendant ce temps la fête allait son train. Jean était en prière. Le bourreau et son valet firent entrer avec eux les deux soldats qui montaient la garde à la porte de la prison. Les soldats avaient des torches : mais je vis tant de lumières autour de Jean que la lueur des torches me parut pâlir comme à la clarté du jour. Salomé attendait avec une servante dans un vestibule qui précédait la prison : celle-ci avait remis au bourreau un plat enveloppé d'un drap rouge. L'exécuteur dit à Jean : " Le roi Hérode m'a chargé de porter ta tête sur ce plat à sa fille Salomé ". Mais Jean ne le laissa pas achever : il resta à genoux, tourna la tête vers lui comme il entrait, et lui dit : " Je sais pourquoi tu viens : vous êtes des visiteurs que j'attends depuis longtemps. Si tu savais ce que tu fais, tu ne voudrais pas le faire. Je suis prêt ". Alors il reprit sa première position et se remit à prier devant la pierre près de laquelle il avait coutume de s'agenouiller. Le bourreau lui coupa la tête au moyen d'une machine que je ne puis comparer qu'à un piège à renards : car on lui passa un anneau de fer autour des épaules ; puis le bourreau, en donnant une secousse ou en pressant un ressort, fit jouer des lames tranchantes qui lui entrèrent dans le cou et la tête fut en un instant séparée du corps. Jean resta agenouillé, la tête tomba à terre et il en jaillit un triple jet de sang sur la tête et le corps du saint qui fut ainsi baptisé dans son sang. Le valet du bourreau prit la tête par les cheveux en lui jetant une insulte et la posa sur le plat que le bourreau prit et porta à Salomé qui l'attendait. Elle la reçut avec une joie mêlée d'une horreur secrète et de cette répugnance physique que les personnes adonnées aux voluptés ressentent à la vue du sang et des blessures. Accompagnée de sa suivante qui l'éclairait, elle emporta le saint chef à travers les corridors souterrains, tenant le plat aussi loin d'elle que possible et détournant sa tête chargée d'ornements avec une grimace de dégoût. Les passages déserts qu'elle suivait la conduisirent, en montant toujours, à une espèce de cuisine souterraine, située sous le palais d'Hérodiade. Celle-ci vint aussitôt à sa rencontre, arracha la couverture qui cachait la sainte tête et l'accabla d'injures et d'outrages ; ayant pris une lardoire pointue, suspendue au mur avec d'autres ustensiles du même genre, elle perça à coups redoublés la langue de Jean, ses joues et ses yeux ; après quoi, plus semblable à un démon qu'à une créature humaine, elle la lança violemment par terre et la poussa du pied jusqu'à une ouverture circulaire par où elle tomba dans une fosse qui servait de réceptacle à toutes les immondices de la cuisine. Après quoi l'abominable créature revint avec sa fille, comme s'il ne fût rien arrivé, se mêler au tumulte et aux scandales de la fête. Je vis le saint corps recouvert de la peau de mouton qu'il portait ordinairement, placé sur sa couche de pierre par les deux soldats. Ces hommes étaient très émus, mais on les retira de là et on les enferma pour les empêcher de parler. Un silence rigoureux fut imposé à tous ceux qui savaient quelque chose de ce qui s'était passé. Les hôtes d'Hérode ne pensaient pas à Jean. Anne Catherine raconta ceci les jours suivants : (9 janvier.) Je vis le saint corps toujours étendu sur sa couche : on continue à monter la garde devant la prison et on y porte des aliments comme à l'ordinaire. La mort de Jean reste cachée ; Hérode attend sans doute des circonstances plus favorables pour la faire connaître. Les fêtes continuent, mais Hérode n'y prend aucune part. Je l'ai vu errer dans un jardin écarté avec ses familiers : il était tout triste et tout bouleversé. Il y a tout le jour des jeux de toute espèce et des tours de jongleurs : on s'enivre de manière à perdre toute retenue toutefois on ne boit pas jusqu'à perdre la raison comme on le fait chez nous : je n'ai vu personne complètement ivre. Les femmes boivent aussi mais dans un endroit à part, selon la coutume ; et cette séparation produit plus : de mal que ne le ferait leur réunion en public avec les hommes, car elles obéissent à la convoitise de leurs yeux, donnent des rendez-vous à qui leur plaît sous des déguisements de toute sorte et commettent toute espèce d'abominations. Tout ce monde se livre à d'affreux désordres. (10 janvier.) Le saint corps est toujours gisant dans la prison silencieuse. Le théâtre circulaire qui est dans le palais était aujourd'hui plein de spectateurs assis sur les degrés : les femmes s'y trouvaient : Hérode était absent. Je vis des bateleurs se livrer à divers exercices : des hommes basanés, jaunes et noirs, n'ayant d'autre vêtement qu'un linge autour des reins, se frottaient d'huile, sautaient, couraient les uns après les autres, se frappaient à coups de bâton et se renversaient par terre. Je vis aussi des bêtes féroces combattre entre elles ou avec des hommes qui luttaient contre elles et les tuaient. On jouait des farces de toute espèce ; quelquefois un des acteurs voulait s'élancer dans une maisonnette placée sur une colonne, alors la maisonnette et la colonne se mettaient en mouvement ; il y avait dedans un homme qui bâtonnait le premier. Je vis aussi des ballons légers semblables à des vessies, posés sur de hauts piliers : on lançait sur eux des traits rougis au feu qui les perçaient : alors ils faisaient explosion, s'enlevaient en l'air tout enflammés et allaient tomber çà et là sur les toits. (11 janvier.) J'ai encore Vu le saint corps étendu sur sa couche : toutes choses vont en apparence comme a l'ordinaire. Dans le palais, ce sont toujours les mêmes orgies. Aujourd'hui, on a élevé une haute ~ pleine de poix et de soufre. De pauvres esclaves y montaient, y mettaient le feu et il en sortait une colonne de flamme qui s'élevait très haut. Toutes les montagnes en étaient éclairées et on devait la voir de Jérusalem. Malheureusement deux esclaves furent brûlés. Les jeux, les costumes, les usages, la manière dont tout est disposé rappellent tout à fait ce qui se passa au mariage de Datula dans l'île de Crète 1 : seulement ici tout était plein d'abominations et de péchés, tandis qu'en Crète tout était pur et innocent. De plus, à Machérunte, les bâtiments, les lieux ou l'on joue, les cours et les salles se trouvent resserrés et entassés dans un espace étroit : en Crète, au contraire, tout était spacieux, avec un agréable mélange de chemins, de jardins, de galeries, d'escaliers et de colonnades. Je crois qu'il va y avoir une guerre entre Hérode et le père de sa première femme, car elle avait appris qu'Hérode allait la répudier pour prendre Hérodiade, avant même que celle-ci ne fût prés de lui, et dès qu'il fut revenu de voyage où il l'avait vue. Elle demanda alors à Hérode la permission d'aller à Machérunte, mais au lieu de cela elle se rendit chez son père Aretas et y resta. Il est très irrité ; c'est lui qui était allé secrètement entendre Jean. Je crois que la guerre éclatera pendant un voyage de Jésus à Tyr ou ailleurs. Note : Ceci fait allusion à l'histoire de la fille d'un roi de l'île de Crète, convertie au christianisme dans les premiers siècles et dont Anne Catherine a vu et raconté la vie, ainsi que cela sera rapporté en son lieu. (8 janvier. ) Jésus quitta aujourd'hui son hôtellerie : il alla à l'ouest, suivant le plus souvent une vallée arrosée par un petit cours d'eau. Ils passèrent près de plusieurs petits endroits sans s'y arrêter et Jésus fit à Pierre et à Jean une instruction sur la prière. Je l'entendis entre autres choses raconter la parabole de l'homme qui vient frapper pendant la nuit à la porte de son ami et le prie de lui donner trois pains. Vers le soir, ils arrivèrent dans une contrée très boisée en avant d'Antipatris et ils s'arrêtèrent dans une hôtellerie qui se trouve là. Antipatris est une très jolie ville, bâtie récemment par Hérode, en l'honneur d'Antipater, à la place d'un endroit plus petit appelé Caphar-Saba. J'ai vu beaucoup de choses touchant cet endroit je me souviens seulement qu'à l'époque de la guerre des Machabées, un général, du nom de Lysias, campa à Caphar-Saba, qu'il y avait alors des murailles avec des tours, et que ce Lysias qui avait toujours été battu par Judas Machabée y fit un traité avec lui, dissuada d'autres peuples d'attaquer la Judée et même envoya des présents considérables pour la restauration du temple. C'était à cette même époque que se trouvait à Samarie un très méchant homme, nommé, je crois, Schamai : j'ai su bien des choses qui le concernaient, mais je les ai oubliées comme tant d'autres. Je vis plus tard devant cet endroit qui est à six lieues de la mer, un des Machabées bâtir un mur long de plusieurs lieues et flanqué de plusieurs tours en bois. Je vis aussi Paul passer par cette ville lorsqu'il fut conduit prisonnier à Césarée. (9 janvier. ) Ce matin, Jésus, accompagné de Pierre, de Jean et de plusieurs autres personnes, alla à la ville sans que les habitants lui fissent une réception particulière. Antipatris est située près d'un petit cours d'eau et entourée de beaucoup d'arbres d'une grosseur extraordinaire : il y a aussi dans la ville des jardins et de belles avenues : tout y est recouvert de verdure. Antipatris est grande et bâtie à la mode paienne ; presque toutes les rues sont bordées de galeries avec des colonnes. Jésus alla chez un magistrat supérieur de la ville, appelé Ozias : il était venu surtout à cause de cet homme dont les chagrins lui étaient bien connus. Ozias lui avait, dès hier soir, envoyé un messager à l'hôtellerie qui est devant la ville et il l'avait invité à venir chez lui, car sa fille était très malade et Jésus lui avait fait dire qu'il viendrait aujourd'hui. Ozias le reçut avec beaucoup de déférence, ainsi que les deux apôtres ; il leur lava les pieds et voulut leur faire prendre un peu de nourriture. Mais Jésus alla tout de suite voir la malade, et les deux apôtres parcoururent la ville pour annoncer qu'il enseignerait dans la synagogue. Ozias était un homme d'une quarantaine d'années : sa fille s'appelait Michol, comme l'une des filles de Saul : elle pouvait avoir quatorze ans. Elle était étendue de tout son long sur sa couche ; sa pâleur et sa maigreur étaient extrêmes et elle était tellement paralysée qu'elle ne pouvait mouvoir aucun de ses membres, pas même lever la tête ou la remuer : elle n'était pas en état de changer ses mains de place sans le secours d'autrui. Sa mère était prés d'elle : elle était voilée et s'inclina profondément devant Jésus quand il s'approcha de la couche de la malade. Elle se tenait habituellement couchée de l'autre côté du lit, sur un matelas, pour aider sa fille. Mais quand Jésus s'agenouilla près du lit, qui était fort bas, elle se tint debout de l'autre côté dans une attitude respectueuse : le Père était an pied de la couche. Jésus parla à la malade, pria et lui souffla sur je visage : puis il fit signe à la mère de s'agenouiller en face de lui, ce qu'elle fit. Alors Jésus se versa dans le creux de la main un peu d'huile qu'il portait avec lui, et avec les deux premiers doigts de la main droite il oignit d'abord les tempes et le front de la jeune malade, puis les articulations de ses mains, et enfin il laissa reposer quelque temps sa propre main sur ces articulations. Il commanda ensuite à la mère d'ouvrir la longue robe de sa fille à la hauteur du creux de l'estomac qu'il oignit également d'huile. Après cela la mère releva le bord de la couverture qui cachait les pieds de la malade et Jésus les oignit aussi. Jésus dit alors : " Michol, donnez-moi la main droite et la main gauche à votre mère ! " Aussitôt elle leva, pour la première fois, les deux mains qu'elle présenta ; Jésus dit : " Michol, levez- vous " ! Et il se leva ainsi que la mère : alors cette enfant maigre et pâle se redressa d'abord sur son séant, puis elle se mit sur ses pieds qui chancelaient faute d'habitude. Jésus et la mère la conduisirent à son père qui lui ouvrait les bras : la mère l'embrassa aussi, et ils pleurèrent de joie et se jetèrent tous les trois aux pieds de Jésus. Les serviteurs et les servantes de la maison vinrent à leur tour : ils se réjouirent grandement et louèrent le Seigneur. Cependant Jésus ordonna qu'on lui apportât du pain et des raisins dont il fit exprimer le jus. Il bénit le tout et dit à la jeune fille d'en manger et d'en boire un peu et d'y revenir à plusieurs reprises. On revêtit la jeune fille sur sa couche d'une longue tunique de fine laine sans teinture : le corsage fut attaché sur les épaules, de manière à ce qu'on pût l'ouvrir : ses bras étaient enveloppés de larges bandes de la même étoffe, qui étaient serrées par derrière. Sous cette tunique elle portait sur la poitrine et sur le des une couverture attachée par des noeuds d'épaule comme un scapulaire et ouverte sur les côtés. Lorsque la jeune fille se fut levée, la mère l'enveloppa encore d'un grand voile d'étoffe légère. Au commencement, ses pas étaient encore très vacillants et très mal affermis comme ceux d'une personne qui a tout à fait perdu l'habitude de marcher et de se tenir debout. Elle se recoucha ensuite et mangea. Mais ses amies et ses compagnes étant venues, pleines d'une curiosité timide, pour s'assurer par leurs yeux de sa guérison dont le bruit s'était répandu, elle se leva, alla au devant d'elles d'un pas chancelant : il était touchant de voir sa mère la conduire comme un petit enfant. Les jeunes filles étaient transportées de joie, elles l'embrassaient et la conduisaient. Ozias demanda à Jésus si la maladie de son enfant avait pour cause quelque faute de ses parents et je crois que Jésus répondit : " Par une permission de Dieu ". Toutes les compagnes de la malade guérie rendirent aussi grâces au Seigneur : Jésus fit une exhortation devant une réunion nombreuse, puis il alla dans le vestibule de la maison où beaucoup de personnes avaient amené des malades sur la nouvelle de son arrivée. Pierre et Jean se trouvaient aussi là. Jésus guérit encore plusieurs malades de toute espèce : puis, accompagné de beaucoup de personnes il se rendit à la synagogue où l'attendaient déjà les Pharisiens et une grande foule de peuple. Il raconta entre autres choses une parabole où il était question d'un berger : il dit qu'il cherchait ses brebis perdues, qu'il avait envoyé ses serviteurs à leur recherche et qu'il voulait mourir pour ses brebis. Il dit encore qu'il avait un troupeau qui était en sûreté sur sa montagne et que si le loup dévorait quelque brebis, ce serait elle-même qui en serait cause. Il raconta aussi une parabole où il parla de sa mission et dit : " Mon père a une vigne ". Là-dessus les Pharisiens se regardèrent d'un air moqueur, et quand il raconta toute la parabole, disant comment les serviteurs de son père avaient été maltraités par les méchants vignerons et comment il envoyait maintenant son fils qu'ils devaient repousser et mettre à mort, ils se mirent à rire et à railler, se demandant entre eux : " Qui est- il ? Que veut-il ? Où son père a-t-il jamais eu une vigne ? Il a perdu l'esprit! C'est un fou, on le voit bien " ! Puis ils se moquèrent de lui et l'injurièrent. Mais Jésus quitta la synagogue avec Pierre et Jean, et ils le poursuivirent de leurs sarcasmes ; quant à ses prodiges, ils les attribuaient à la magie et au démon. Jésus retourna avec Ozias dans la maison de celui-ci, guérit encore quelques malades dans le vestibule et prit un peu de nourriture ; on lui donna en outre du pain et du baume à emporter pour son voyage. J'ai encore été avisée intérieurement que chacun des divers procédés que Jésus employait dans ses guérisons avait une signification mystérieuse qui lui était propre : toutefois je ne puis pas rendre cela comme je l'ai vu. Il y avait toujours quelque chose qui se rapportait à la cause secrète de la maladie, à son caractère et aux besoins de l'âme du malade. Ainsi, par exemple, ceux que Jésus oignait avec de l'huile recevaient un certain accroissement de force et d'énergie spirituelle concordant avec la signification de l'huile : il n'y avait aucun de ces actes qui n'eût sa signification particulière. En outre, Jésus donnait par là leur forme à diverses observances que plus tard les saints et les prêtres doués du pouvoir de guérir, continuèrent à pratiquer en son nom et qui furent, ou conservées par la tradition, ou renouvelées au nom de Jésus par l'inspiration du Saint-Esprit. De même que le Fils de Dieu choisit pour s'incarner le sein de la plus pure des créatures et ne parut pas sur la terre comme un homme étranger aux conditions naturelles de l'humanité, de même il employait souvent aussi, comme instruments de guérison, de simples créatures purifiées et bénies par son esprit, ce qu'il faisait pour l'huile par exemple, après quoi il donnait à ceux qu'il avait guéris du pain et du jus de raisin. D'autres fois il guérissait par un commandement, même donné de loin, car il était venu pour guérir les maux les plus divers par des voies également diverses, et il devait satisfaire pour tous ceux qui croyaient en lui par l'unique sacrifice de la croix qui contenait en lui seul tout supplice et toute douleur, toute pénitence et satisfaction. Il employait d'abord diverses clefs de charité pour faire tomber les chaînes et les entraves de la souffrance et du châtiment temporel, multipliait et variait les enseignements et les guérisons, puis il ouvrait la porte de l'expiation, celle du ciel et du purgatoire ; avec la maîtresse clef, la clef de la croix. Michol, la fille d'Ozias, était paralytique depuis son jeune âge : c'était par une grâce de Dieu qu'elle était depuis si longtemps réduite à cet état d'impuissance. Pendant le temps où elle aurait été exposée à pécher, elle s'était trouvée enchaînée par son infirmité et elle avait donné à ses parents l'occasion continuelle de pratiquer la charité et la patience. Si elle fût restée dès son jeune âge en bonne santé, qui sait ce qui serait advenu d'elle et de ses parents ? Ils n'auraient pas soupiré après Jésus, il ne serait pas venu combler leurs désirs : ils n'auraient pas cru en lui, elle n'eut pas reçu de lui la guérison et l'onction qui devaient lui communiquer tant de force et de vigueur pour le corps et pour l'âme. Sa maladie était une épreuve, la conséquence d'un héritage de péché ou un exercice salutaire et un moyen de sanctification pour son âme et celle de ses parents. Les uns et les autres coopérèrent à la grâce par leur patience et leur persévérance et méritèrent, dans le combat qui leur était imposé, la couronne de victoire, c'est-à-dire la guérison corporelle et spirituelle par Jésus. Quelle grâce que d'être enchaîné à l'égard du mal en conservant la liberté d'opérer le bien spirituellement, jusqu'à ce que le Seigneur vienne délivrer à la fois le corps et l'âme! Jésus s'entretint encore avec Ozias. Celui-ci parla, entre autres choses, de la chute de la tour de Siloé et des malheureux qui en avaient été victimes ; il exprima son horreur pour Hérode que quelques-uns soupçonnaient secrètement. Jésus dit encore à cette occasion qu'il y avait d'autres traîtres et d'autres architectes trompeurs auxquels de plus grands châtiments étaient réservés, et que si Jérusalem n'accueillait pas le salut, le temple aurait le sort de la tour de Siloë. Ozias parla aussi du baptême de Jean et manifesta l'espoir qu'Hérode lui rendrait la liberté à l'occasion de son jour de naissance. Jésus dit que Jean serait délivré quand l'heure serait venue. Les Pharisiens lui avaient dit aussi à la synagogue qu'il devait prendre garde, s'il continuait, qu'Hérode ne l'emprisonnât comme Jean. Il n'avait rien répondu à cela. Vers cinq heures de l'après-midi, Jésus partit d'Antipatris avec Pierre et Jean, se dirigeant au sud-ouest vers Ozensara, qui est éloignée de quatre ou cinq lieues. Antipatris a une garnison de soldats romains : on voit souvent passer ici d'énormes pièces de bois qu'on transporte au bord de la mer pour servir à la construction des navires. Ils rencontrèrent sur le chemin d'Ozensara plusieurs de ces grosses poutres traînées par des boeufs, sous la garde de soldats romains. Dans les environs aussi on abattait des arbres et on les équarrissait. Jésus enseigna un certain nombre d'ouvriers occupés à des travaux de ce genre. Ils arrivèrent tard à Ozensara. C'est une bourgade séparée en deux par un petit cours d'eau. Jésus logea ici chez des personnes qu'il connaissait, enseigna et exhorta un assez grand nombre de gens qui s'étaient rassembles autour de la maison. Il est déjà venu ici une fois lorsqu'il allait recevoir le baptême. Il guérit quelques personnes et bénit dés enfants malades. (10-12 janvier.) il y a environ six lieues d'Ozensara à Béthoron. Je vis plusieurs villes sur le chemin ou à quelque distance, notamment Aiailon et Béaloth, mais je ne souviens plus du nom de toutes. Jésus et les apôtres ont contourné tous ces endroits. Un peu avant Béthoron, Jean et Pierre prirent les devants. Jésus alla seul jusqu'à la ville, où les trois disciples égyptiens vinrent à sa rencontre avec le fils de Jeanne Chusa. Il entra avec eux dans une maison connue adossée aux murs de la ville' ils lui apprirent que les saintes femmes célébraient le sabbat à trois lieues d'ici, à Machmas ville située près d'un défilé, à quatre lieues au nord de Béthanie : elles avaient là des amis. Machmas est l'endroit où Jésus, à l'âge de douze ans quitta la suite de ses parents pour revenir au temple. Marie, ne l'y voyant pas, crut qu'il était allé en avant jusqu'à Gophna et ne l'y ayant pas trouvé non plus, elle revint à Jérusalem, pleine de tristesse et d'inquiétude. Il y a là un maître d'école de la connaissance des saintes femmes. A Béthoron, dans le quartier pat lequel on sort quand on va à Béthanie, il y a aussi une école de Lévites où la sainte Famille est connue et où sainte Anne et son mari passèrent la nuit quand ils conduisirent Marie au temple : Marie elle-même y logea aussi lorsqu'elle revint à Nazareth après ses fiançailles avec saint Joseph. Il y est arrivé aujourd'hui plusieurs disciples de Jérusalem, entre autres les neveux de Joseph d'Arimathie : s'étant joints à Pierre et à Jean qui étaient venus en avant pour faire les logements, ils sont allés trouver Jésus dans la maison située dans la partie occidentale de la ville : on lui a lavé les pieds et donné une réfection ; après quoi il a guéri quelques personnes et a dit qu'il voulait aller ~a synagogue. Il s'y rendit en effet et y commenta la lecture du sabbat devant les Pharisiens qui lui adressèrent plusieurs objections. Après l'instruction, il enseigna de nouveau dans la maison où les malades l'attendaient : il en guérit plusieurs, parmi lesquels quelques femmes affligées de pertes de sang, et bénit des enfants malades. Les Pharisiens l'avaient invité à un repas, et comme il tardait à s'y rendre, ils vinrent le chercher et lui dirent que chaque chose avait son temps, même les guérisons, que le sabbat appartenait à Dieu et qu'il en avait assez fait. Jésus leur répondit : " Je n'ai pas d'autre temps et d'autre mesure que la volonté du Père céleste ". Quand il eut achevé ses guérisons, il se rendit à leur repas avec ses disciples. Les Pharisiens articulèrent encore différents griefs pendant le repas ; ils parlèrent entre autres choses du bruit public suivant lequel des femmes de mauvaise vie couraient le pays avec Jésus. Ils avaient entendu parler des conversions de Madeleine, de Marie la Suphanite et de la Samaritaine. Jésus répondit que s'ils savaient qui il était, ils parleraient autrement : qu'il était venu pour avoir pitié des pécheurs, etc. Il dit aussi qu'il y avait des plaies visibles à tous les yeux, dont la guérison Purifiait celui qui en était affligé, et d'autres plaies intérieures et secrètes par l'effet desquelles des gens purs en apparence étaient au dedans pleins d'immondices. Les Pharisiens objectèrent encore que ses disciples ne se lavaient pas avant le repas, et Jésus fit une description frappante de l'hypocrisie et de la sainteté apparente des Pharisiens, qu'il condamna en termes sévères. Lorsqu'ils parlèrent des femmes de mauvaise vie, il raconta une parabole où il était demandé quel était le meilleur débiteur, celui qui ayant une dette considérable, demande humblement qu'elle lui soit remise et qui pourtant veut sincèrement travailler à la payer, ou bien celui qui, étant également insolvable, continue à vivre en prodigue et songe si peu à s'acquitter qu'il injurie le débiteur qui reconnaît sa dette. Il raconta encore. comme à Antipatris, les paraboles du bon Pasteur et de la vigne, mais ils prirent tout cela froidement et superficiellement. Jésus et les disciples reçurent l'hospitalité dans l'école des Lévites, qui est dans l'autre quartier de Béthoron. La partie haute de Béthoron est dans une position si élevée, qu'on peut la voir de Jérusalem : la partie basse est située au pied de la montagne. (11 janvier.) Jésus enseigna et guérit encore aujourd'hui à Béthoron et il eut encore des démêlés avec les Pharisiens. La narratrice est dans un état de faiblesse qui ne lui permet pas d'en dire davantage. (12 janvier.) il y a environ six lieues de Béthoron à Jérusalem. Jésus fit le tour de tous les endroits situés dans l'intervalle ; il n'entra qu'à Analtoth qui n'est Pas loin de Béthanie. Il s'y arrêta, y guérit et y enseigna. Les saintes femmes n'avaient que quatre lieues à faire pour aller de Machmas à Béthanie : hier après le sabbat, elles ont pu revenir chez elles. L'endroit où elles ont célébré le sabbat, est bien Machmas : j'ai vu le nom gravé sur une pierre en avant du bourg. Lorsqu'Anne-Catherine dit ceci, elle lut de nouveau les unes après les autres, les lettres tracées sur la pierre, et les reproduisit comme si l'inscription eût porté " Machemas " cependant en prononçant le mot tout entier, elle dit : " Machmas ". Note : à cette occasion le Pèlerin donne une preuve remarquable de la fidélité scrupuleuse de sa relation des visions : car ne connaissant pas l'hébreu, il ne savait comment s'expliquer la présence de la voyelle dans le mot Machmas épelé par la Soeur : mais dix ans plus tard nota dans son journal ce qu'il avait lu dans Reland, que Machmas était appelé par les Grecs Machêmas. d'où il suit qu'Anne Catherine avait bien lu sur la pierre le mot écrit en caractères grecs. Lazare est déjà de retour à Béthanie. Il a tout réglé à Magdalum, où il a laissé comme intendant du château et du domaine, un homme qu'il avait amené avec lui. J'espère que l'homme qui a vécu là dans le péché avec Madeleine se convertira aussi car il n'a pas été chassé, mais Lazare, après lui avoir adressé de sérieuses remontrances, lui a proposé un logement où il sera pourvu à son entretien sur la propriété située près de Ginnim, ce que l'autre a accepté sans difficulté. Madeleine, à son arrivée à Béthanie, occupa l'habitation de sa soeur défunte, Marie la Silencieuse qui avait tant d'affection pour elle. Elle passa toute la nuit à pleurer, et lorsque Marthe vint la chercher le matin, elle la trouva prosternée, sur la tombe de leur soeur, les cheveux épars et toute en larmes : il y avait déjà longtemps qu'elle était là. Les femmes de Jérusalem y étaient revenues. Elles avaient fait tout le voyage à pied, et quelque affaiblie que fût Madeleine par sa maladie et par la secousse violente qu'elle avait reçue, quelque peu habituée qu'elle fût à la marche, elle n'avait pourtant pas voulu faire autrement que les autres, et elle s'était mis les pieds tout en sang. Les autres femmes qui, depuis sa conversion, lui témoignaient l'affection la plus tendre, lui servaient souvent de guides. Elle était pâle, défaite et absorbée dans sa douleur : mais elle ne pouvait surmonter son ardent désir de témoigner sa gratitude à Jésus. Elle sortit secrètement avec sa suivante, alla au devant de lui à plus d'une lieue et se jeta à ses pieds qu'elle baigna de larmes de reconnaissance et de repentir. Jésus lui tendit la main, la releva et s'entretint amicalement avec elle : il lui parla de sa défunte soeur Marie, et lui dit qu'elle devait marcher sur ses traces et faire pénitence comme l'avait fait sa soeur, quoique celle-ci n'eût point péché. Madeleine s'en retourna par un autre chemin avec sa servante. Jésus, arrivé devant Béthanie, envoya une partie de ses disciples à Jérusalem : lui-même avec Pierre et Jean entra dans les jardins de Lazare qui vint au devant de lui, et, comme d'ordinaire, leur lava les pieds et leur offrit une réfection dans la salle d'entrée. Joseph d'Arimathie y était, mais non Nicodème qui prenait de plus grandes précautions. Jésus ne sortit pas de l'intérieur de la maison et il ne parla à personne qu'aux gens qui l'habitaient et aux femmes. Je l'ai entendu parler avec Marie de la mort de Jean : elle en avait été informée par une révélation intérieure de même que Jésus. Il lui dit de retourner en Galilée d'ici à huit jours, avant que les hôtes galiléens d'Hérode ne revinssent de Machérunte, afin de trouver les chemins libres et de ne rencontrer personne qui la dérangeât. Il me revient à présent quelque chose que j'avais oublié de dire, c'est que les disciples de Jésus qui faisaient le voyage de Judée en même temps que lui, parcouraient le pays de leur côté, disséminés ça et là et souvent peu éloignés du lieu où il séjournait ; ils allaient d'un endroit à l'autre, visitant les cabanes isolées et les habitations de bergers et demandaient : " N'y a-t-il pas de malades ici pour que nous les guérissions au nom de Jésus notre Maître et que nous leur donnions gratuitement ce qu'il nous a donné gratuitement ". Alors ils oignaient les malades avec de l'huile et ceux-ci guérissaient. J'en ai vu beaucoup faire ainsi : car il avait donné aussi ce pouvoir aux disciples, ainsi que l'huile dont ils devaient se servir. La mort de Jean est encore tenue secrète : le bruit s'était même répandu, lors du voyage de Jésus à Béthanie, que Jean avait été remis en liberté et avait assisté à la fête de Machérunte. Je ne sais pas si ce bruit a été répandu à dessein. Les fêtes continueront encore assez longtemps : car à celle qu'Hérode a donnée a succédé immédiatement une autre fête donnée au prince par l'abominable femme. Cinq personnes informées de ce qui s'était passé ont été jetées en prison et mises au secret par l'ordre d'Hérodiade : ce sont les deux gardes, l'exécuteur, son valet et la suivante de Salomé, qui a laissé voir quelque compassion. Personne ne soupçonnait rien, excepté les familiers du roi, qui savaient tout. Les fêtes vont leur train, Hérode se tient encore à l'écart ; mais quand commenceront les fêtes que doit donner Hérodiade, cette infâme saura bien lui persuader de se montrer. Ici l'écrivain fit part à la pieuse Anne Catherine de ce que rapporte Marie d'Agreda dans sa Vie de la sainte Vierge à savoir : " qu'Hérode a fait trois fois flageller et torturer Jean par six hommes et que Jésus et Marie lui ont apparu et l'ont guéri ; qu'il fut lié et enchaîné et qu'il serait mort de faim si Jésus et Marie ne l'avaient pas nourri ; qu'ils ont apparu au moment de son exécution, entourés d'anges innombrables ; que Marie a pris dans ses mains la tête du martyr et qu'il y a eu assez de temps pour tout cela, parce que les bourreaux se sont disputés à qui porterait sa tête ". Là-dessus Anne Catherine répondit : " J'ai souvent entendu des choses de ce genre qui sont tout à fait mal comprises : car chez plusieurs les visions ne sont pas historiques et ne représentent pas les choses comme elles se sont passées réellement : mais ce sont des méditations Comme il s'y trouve aussi des tableaux, on croit y voir la reproduction d'événements réels, mais on se trompe en cela, bien que d'ailleurs elles soient vraies quant à leur sens spirituel. Quand les visions ne sont pas fréquentes et ne forment pas une série successive, toutes les choses y paraissent mêlées et liées les unes aux autres, sans quoi on n'embrasserait pas tout ce que contient l'ensemble ". Si, par exemple, on doit voir qu'un homme, au moment d'être exécuté, prie en ces termes : " Seigneur, je remets ma tête entre vos mains ", et en outre que Dieu exauce cette prière, il peut arriver facilement qu'on voie l'homme décapité mettre sa tête dans les mains du Seigneur qui se tient près de lui, ce qui, du reste, se trouve véritable dans le sens spirituel, bien qu'humainement parlant, la tête tombe par terre sous les yeux de tous les assistants. Ainsi, pour la vénérable Marie d'Agreda, la rage d'Hérodiade peut avoir été représentée par les chaînes et les entraves, les péchés et les abominations qui avaient lieu dans le Palais et que Jean ressentait douloureusement par les flagellations et les tortures ; la tête entre les mains de Marie peut avoir signifié qu'au moment de sa mort, avant de naître à la vie éternelle, Jean se souvint de celle dans le sein de laquelle, étant encore lui-même dans les entrailles de sa mère, il avait salué et annoncé Jésus avant sa naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes les pensées et les prières d'un homme représentées par des images où il ne faut pas toujours voir des choses arrivées réellement De là vient que les visions de différentes personnes sur le même sujet semblent souvent se contredire et sont comprises de travers. Ce sont des méditations et elles diffèrent suivant la manière d'être et les besoins des contemplatifs. J'ai vu que Jean fut fouetté avant d'être relâché pour la première fois, mais d'une manière insignifiante et plutôt pour la forme, parce qu'au lieu de céder à l'injonction qui lui était faite d'approuver l'union d'Hérode avec cette femme, il la leur avait reprochée en face devant toute l'assistance avec plus de véhémence que jamais. On lui rendit ensuite la liberté, cela ne devait être qu'un avertissement, et d'ailleurs c'était l'usage en pareille occasion. J'ai vu souvent aussi la prison de Jean remplie de lumière, surtout avant et pendant son supplice ; j'ai vu qu'il fut souvent ravi en extase dans un excès d'amour et adora Jésus en esprit, qu'il reçut de lui des intuitions intérieures, et qu'en pensant à la Mère de Dieu, il la vit corporellement devant lui, comme cela lui était déjà arrivé dans le désert pendant son enfance et plus tard. ( 13-14 janvier. ) Ce matin, je vis Jésus passer par le mont des Oliviers, puis se diriger vers le midi et s'arrêter au pied de la montagne dans une espèce de village ou de campement d'ouvriers, de maçons et d'esclaves : il les enseigna, les consola et en guérit un grand nombre. C'était là que séjournaient de pauvres journaliers et maçons employés aux constructions qu'on ne cessait de faire près de la montagne du temple et à d'autres travaux publics. Ils avaient là des cuisines à leur usage, où de pauvres femmes apprêtaient leurs aliments pour un prix modique. Il y avait parmi eux des gens très pauvres et plusieurs Galiléens ; quelques-uns avaient assisté aux prédications de Jésus en Galilée et avaient été témoins de ses miracles ou même avaient été guéris par lui. Il s'y trouvait des gens de Giscala, d'autres qui habitaient sur les propriétés de Zorobabel, le centurion de Capharnaum, et beaucoup surtout venus d'un petit endroit situé à peu de distance de Tibériade, sur le coteau qui domine, au nord, la vallée de Magdalum, à l'endroit où elle s'élargit vers la mer de Galilée, au midi des jardins de Zorobabel. Il y a là un port où abordent les navires venant de l'autre côté du lac, notamment ceux qui viennent de Chorozaïn, transportant du fer. Cet endroit est habité presque entièrement par des ouvriers. Jésus guérit plusieurs de leurs malades : ils lui parlèrent avec douleur du grand malheur qu'avait causé, environ quinze jours auparavant, la chute des constructions dont il a été parlé ailleurs, et ils le prièrent d'aller visiter plusieurs des leurs blessés gravement dans cette circonstance, mais qui étaient encore vivants. Quatre vingt treize personnes périrent alors outre les dix-huit architectes. Jésus alla voir ces blessés, il les consola et les guérit. Il en guérit plusieurs qui avaient la tête meurtrie, en leur pressant le crâne après l'avoir frotté d'huile ; d'autres qui avaient les mains écrasées, en rapprochant les os brisés, en les maniant et en les oignant : d'autres enfin avaient des bras fracturés et soutenus par des bandages : il les guérit si bien en leur appliquant la même onction et en tenant quelque temps leurs bras dans sa main, qu'ils purent les retirer des bandages et les remuer facilement : il ferma les plaies laissées par des amputations de membres, etc. Je l'entendis dire à ces gens rassemblés autour de lui qu'ils auraient encore plus à pleurer quand l'épée frapperait les Galiléens. Il les exhorta à payer sans murmures toutes les taxes imposées par l'empereur et dit à quelques-uns que s'il ne le pouvaient pas, il leur en fournirait les moyens : qu'ils n'avaient qu'à s'adresser de sa part à Lazare qui leur donnerait ce qu'il faudrait. Jésus parla ici de la manière la plus touchante : j'entendis ces gens se plaindre et dire qu'autrefois on pouvait trouver assistance à la piscine de Béthesda, mais qu'à présent on n'y faisait plus rien pour venir en aide aux pauvres ; du reste, ajoutaient ils, il y avait longtemps qu'on n'avait entendu parlé d'une guérison qui s'y fût opérée. Je vis Jésus pleurer quand il passa sur la montagne des Oliviers : il dit aussi aux Lévites : " Si cette ville ne veut pas du salut qui lui est offert, le temple sera détruit comme ces bâtiments qui se sont écroulés, et une multitude de gens seront ensevelis sous ses ruines. "La catastrophe qui avait eu lieu récemment devait, disait-il, leur servir d'avertissement ; ils devaient y voir une figure prophétique. J'ai vu aussi comment les constructions se sont écroulées : cela eut lieu sur le côté méridional de la montagne du temple. On voulait construire là un grand aqueduc par où le sang des victimes immolées au temple se serait écoulé dans la vallée où se décharge la piscine de Béthesda. Pilate s'est procuré de l'argent dans ce but par des exactions de toute espèce il y a dans le sanhédrin un misérable qui s'appelle . . . . . son nom ne me revient pas : il est secrètement affilié aux Hérodiens et fait l'office d'espion pour Hérode. Comme Pilate n'avait pas les pierres qu'il lui fallait et manquait d'architectes, cet homme lui a fait fournir tout cela par Hérode, puis à l'instigation de celui-ci et des Hérodiens, à la secte desquels les architectes étaient affiliés, il a traîtreusement fait disposer les choses de manière à ce que toutes les constructions s'écroulassent et à ce que leur chute amenât de grands désastres et augmentât notablement l'irritation qui existait contre Pilate. Les dix-huit architectes hérodiens se tenant au haut d'un édifice qui est en face de la montagne du temple, donnèrent l'ordre d'enlever tout l'échafaudage à l'aide duquel on avait construit les voûtes, assurant que tout était solide et n'avait plus besoin d'étais. Comme les pauvres ouvriers étaient occupés à débarrasser les grandes arcades de l'aqueduc, tout s'écroula à la fois : les murs énormes se fendirent et tombèrent avec fracas, puis on n'entendit plus que des cris de douleur et des gémissements, et tout le monde s'enfuit. Le bruit que fit la chute de ces constructions fut épouvantable et l'air fut obscurci au loin par des nuages de poussière : beaucoup de petites habitations furent entraînées dans la ruine de l'édifice : il périt une quantité d'ouvriers et d'autres personnes qui se trouvaient au pied de la montagne du temple L'ébranlement se communiqua au bâtiment où se trouvaient les perfides architectes : il s'écroula à son tour et ils furent écrasés et ensevelis sous les décombres. Cela arriva très peu de temps avant les fêtes données à Machérunte et c'est pourquoi il n'y vint pas un seul officier ou fonctionnaire romain, car Pilate est très irrité contre Hérode et médite des projets de vengeance. On est encore occupé à présent à déblayer les décombres de dessous lesquels on retire des cadavres : c'était une construction dont les dimensions étaient très considérables, et le dommage est fort gland. La construction de cet aqueduc qui s'écroula par suite de la perfidie d'Hérode, rendit ennemis Hérode et Pilate, comme le dit Anne Catherine : ils se réconcilièrent à l'occasion de la mort de Jésus ou de la destruction du véritable temple. L'écroulement de l'aqueduc ensevelit sous ses ruines les traîtres qui l'avaient préparé : cette autre destruction eut pour suite le décret de condamnation qui frappa le peuple juif tout entier. Vers midi, je vis Jésus avec sa suite à un quart de lieue de la ville, en avant de la porte par où l'on va à Bethléem, dans la maison où Joseph et Marie s'arrêtèrent avec lui le quarantième jour après sa naissance, lorsqu'ils allèrent le présenter au temple. Sainte Anne, allant je visiter dans sa crèche, y avait de même passé la nuit : Jésus aussi y avait logé dans sa douzième année lorsqu'il laissa ses parents à Machmas et revint au temple. Cette petite hôtellerie est tenue par des gens très simples et très pieux : les Esséniens viennent y loger, ainsi que d'autres personnes pieuses. Elle avait maintenant pour habitants les enfants de ceux qui vivaient à l'époque dont il vient d'être parlé : il restait cependant un vieillard qui se souvenait de tout ce qui s'était passé alors. Ils ne connaissaient plus Jésus qui n'y était pas retourné depuis : en le voyant ils pensèrent que c'était peut-être Jean-Baptiste qui, disait-on, avait été remis en liberté. Je vis quelque chose de très touchant. Ils montrèrent à Jésus, dans un coin de la maison, un petit mannequin emmailloté comme il l'était lui-même lorsque Marie le porta au temple et couché dans une crèche imitée de celle de Bethléem : il y avait là devant des lampes et des flambeaux allumés, entourés de quelque chose qui ressemblait à des cornets de papier. Ils lui dirent que Jésus de Nazareth, le grand prophète, né à Bethléem trente-trois ans auparavant, s'était arrêté chez eux avec sa mère. On devait, disaient-ils, honorer ce qui venait de Dieu et c'est pourquoi ils fêtaient le jour de sa naissance pendant six semaines, de même qu'on fêtait le jour de la naissance d'Hérode qui n'était pas un prophète. Ces gens, par suite de leurs rapports avec sainte Anne, avec tous les amis de la sainte Famille et avec les bergers de Bethléem, qui venaient aussi loger ici lorsqu'ils allaient à Jérusalem, étaient restes pleins de foi en Jésus et de vénération pour lui et pour toute la sainte Famille Lorsque Jésus se fit connaître à eux, ils ressentirent une joie inexprimable. Ils lui montrèrent dans la maison et dans le jardin tous les lieux où avaient été Marie, Joseph et Anne. Jésus les enseigna et les consola, et il y eut entre eux un échange de présents. Il leur fit remettre des pièces de monnaie par ses disciples et ils lui donnèrent du pain, du miel et des fruits à emporter pour sa route. Ils lui firent aussi la conduite assez loin. Ces gens étaient de la race des bergers de Bethléem et ils s'étaient mariés ici dans l'hôtellerie. ( 13-14 janvier,) Jésus et ses compagnons passèrent, sans y entrer, près de Bethléhem et d'autres endroits : ils firent ainsi cinq lieues jusqu'à Juta, lieu de naissance de Jean-Baptiste, situé à une heure d'Hébron. ). Marie, Véronique, Suzanne, Jeanne Chusa, Marie mère de Marc, Lazare, Joseph d'Arimathie et plusieurs disciples de Jérusalem étaient aussi partis dès, . ce matin, par troupes séparées, pour s'y rendre sans s'arrêter : ayant pris un chemin plus court qui traversait Jérusalem, ils étaient arrivés plusieurs heures avant Jésus. La maison de Zacharie est à un quart de lieue avant Juta : c'est comme une métairie isolée sur une colline. La maison et les biens, consistant principalement en vignes, sont l'héritage de Jean-Baptiste. Le fils d'un frère de son père, ayant aussi pour nom Zacharie, y habite et prend soin de tout. Il est lévite et c'est lui qui, lié d'amitié avec Luc, a reçu, il y a peu de temps, sa visite à Jérusalem et lui a raconté tant de choses concernant la sainte Famille. Il est plus jeune que le précurseur et du même âge que Jean l'Évangéliste. Pendant que Jean-Baptiste était dans le désert, il avait passé sa jeunesse ici auprès d'Élisabeth. Il appartenait à une catégorie de Lévites qui avaient quelque analogie avec les Esséniens et qui, ayant reçu de leurs ancêtres la connaissance de certaines traditions mystérieuses, attendaient avec un pieux désir l'avènement du Messie. Il avait de grandes lumières et il ne s'était pas marié. Il lava les pieds à Jésus et aux siens et leur offrit une réfection, et le Sauveur, après avoir reçu les salutations de tous les assistants, se rendit à Juta et alla à la synagogue. Il y avait aujourd'hui un jour de jeûne et ce soir commençait à Juta et à Hébron la célébration d'une fête locale en mémoire de la victoire de David sur Absalon : c'était à Hébron, lieu de sa naissance, que celui-ci avait d'abord déployé l'étendard de la révolte. A l'occasion de cette fête, on alluma un grand nombre de lampes qui brûlèrent même pendant la journée dans la synagogue et dans les maisons. Les gens du pays remerciaient Dieu de les avoir éclairés pour leur faire prendre le bon parti en cette circonstance, et ils le priaient de les éclairer de manière qu'ils pussent le prendre toujours. Jésus enseigna dans la synagogue devant une assemblée nombreuse, et les Lévites lui témoignèrent beaucoup de respect et d'affection. Il prit un repas avec eux. Jésus enseigna sur David. (14 janvier.) Jésus parcourut aujourd'hui toute la contrée de Juta et d'Hébron : ses disciples galiléens en firent autant de leur côté. Il enseigna et guérit dans les environs et à Juta même. Marie, dans son voyage avec les saintes femmes pour venir ici, leur raconta beaucoup de choses touchant la visite qu'elle avait faite à Élisabeth en compagnie de Joseph : elle leur montra l'endroit où Joseph s'était séparé d'elle pour se remettre en route, et dit combien elle avait ressenti d'angoisses en pensant aux soupçons qu'aurait Joseph lorsqu'à son retour il s'apercevrait de son état. Hier et aujourd'hui, en visitant tous ces lieux avec les saintes femmes, elle leur raconta tous les mystères qui s'étaient accomplis lors de sa visitation et de la- naissance de Jean. Elle parla du tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, de la salutation d'Élisabeth et de la manière dont Dieu lui avait inspiré le Magnificat qu'elle répétait tous les soirs avec Élisabeth. Elle raconta comment Zacharie était devenu muet et comment Dieu lui avait rendu la parole lorsqu'il avait indiqué le nom de Jean que son fils devait porter. Elle leur révéla tous ces mystères jusqu'alors inconnus, et ce pieux souvenir lui fit verser des larmes ainsi qu'aux saintes femmes, mais pour celles-ci c'étaient des larmes de joie, tandis que Marie pleurait en même temps sur la mort de Jean, encore ignorée de ses compagnes. Elle leur fit voir aussi la source qui avait jailli, à sa prière, dans le voisinage de la maison, et elles y burent. Le soir, je vis un repas pris en commun pendant lequel Jésus enseigna. Les femmes étaient assises à part, cependant elles pouvaient entendre. Quand elles se furent retirées, la sainte Vierge avec Jésus, Pierre, Jean, et les trois disciples de Jean, Jacob, Eliacin et Sadoch, fils de sa soeur aînée Marie d'Héli, alla dans la chambre où Jean était né. Une grande couverture d'un aspect singulier était étendue par terre, ils s'agenouillèrent et s'assirent autour. Jésus resta debout et leur parla de la sainteté de Jean et de la carrière qu'il avait fournie. La sainte Vierge leur raconta dans quelles circonstances cette couverture avait été faite. Elisabeth et elle y avaient travaillé ensemble lors de sa visitation : elles l'avaient achevée avant la naissance de Jean et elle servait de couche à Elisabeth lorsqu'elle mit son fils au monde. Elle était en laine jaunâtre et garnie de fleurs : elle semblait piquée. Sur le bord supérieur, on lisait brodées en grandes lettres, des paroles de la salutation d'Elisabeth et du Magnificat. J'y lus aussi un passage qui ne se trouve pas dans la Bible, mais malheureusement je l'ai oublié. Au milieu de la couverture était ajustée une espèce de grande poche pour l'accouchée qui pouvait y entrer par les pieds comme dans un sac : la partie supérieure formait une sorte de manteau dont on pouvait s'envelopper et qui avait un capuchon. Cette poche était de laine jaunâtre avec des fleurs brunes. Cela ressemblait à peu près comme à une robe de chambre qu'on aurait attachée par la partie inférieure à une courtepointe. Je vis Marie élever devant elle le bord supérieur de cette couverture pour lire et expliquer aux assistants les textes et les prophéties qui y étaient brodés. Elle dit aussi qu'elle avait prédit à Elisabeth que Jean ne verrait Jésus que trois fois pendant sa vie et raconte comment cela s'était vérifié. Il ne l'avait vu en effet que trois fois ; la première fois, dans le désert lorsqu'étant encore enfant, il avait passé devant lui à quelque distance lors de la fuite en Egypte : la seconde fois, à son baptême : la troisième fois, lorsqu'il le vit passer sur le bord du Jourdain et qu'il rendit témoignage de lui. Après cette préparation, Jésus leur révéla que Jean avait été mis à mort par Hérode : tous ressentirent une grande tristesse et ils baignèrent la couverture de leurs larmes : je vis spécialement Jean l'Evangéliste prosterné par terre et pleurant. C'était un spectacle qui fendait le coeur de les voir gémissant et sanglotant, je visage baissé sur la couverture. Jésus et Marie se tenaient debout aux deux extrémités : le Seigneur les consola par des paroles graves, les préparant à une épreuve encore plus pénible : il leur ordonna de garder le secret parce que personne n'en savait rien encore, excepté eux et ceux qui avaient commis le crime. J'eus cette nuit une course terrible à faire pour pouvoir me joindre à eux. Je m'agenouillai aussi près de la couverture, je pleurai avec eux et j'apportai trois couronnes de fleurs que je donnai à la Mère de Dieu, deux petites et une grande qui n'était qu'à moitié terminée. J'en étais honteuse, mais Marie les reçut avec bonté et les plaça sur la couverture : elle mit au milieu la grande à moitié faite qui était destinée à Jésus : sur les côtés, les deux autres qui étaient pour elle et pour Jean. Je crois que plus tard elle les a enveloppées dans la couverture en la roulant. Note : Ces couronnes sont des symboles des souffrances et des maladies de la pieuse Anne Catherine, lesquelles ne sont pas encore arrivées leur terme. Pendant les nuits de douleur, elle offre ses peines Jésus à Marie et à Jean, et en tresse des couronnes symboliques, car les fleurs et les couronnes sont le symbole des souffrances. (15 janvier. ) Jésus enseigna ce matin, au midi d'Hébron, près du bois de Mambré, à l'entrée de la grotte de Machpelah où Abraham et les autres patriarches sont enterrés : il guérit aussi dans les environs quelques malades, la plupart gens de la campagne, qui habitaient des cabanes isolées. Le bois de Mambré est une vallée située au midi d'Hébron, parsemée de chênes, de hêtres et de noyers. Cette vallée communique avec une autre, et on trouve tout le long diverses grottes, notamment la caverne de Machpelah où sont enterrés Abraham, Sara, Isaac, Jacob et d'autres patriarches. Cette caverne est double et forme deux caveaux : les tombeaux sont des bancs de pierre, les uns en saillie, les autres taillés dans la paroi. Cette sépulture est toujours en grand honneur : elle est précédée d'un verger et d'un emplacement où l'on prêche : le rocher est tout tapissé de vignes : au-dessus, il y a un plateau où l'on cultive le blé. Jésus entra dans la caverne avec les disciples. On ouvrit plusieurs tombeaux : quelques squelettes étaient réduits en poussière mais celui d'Abraham était encore entier et couché à sa place. On déroula une épaisse couverture brune qui l'enveloppait, elle était comme tressée avec des cordes de poil de chameau de la grosseur du doigt. Jésus enseigna sur la grotte d'Abraham, sur la promesse et son accomplissement. Il guérit aussi plusieurs paysans malades. Les maladies régnantes sont ici la paralysie, la phtisie ou l'hydropisie. Je ne vis pas de possédés furieux, mais des idiots et des lunatiques. Cette contrée est très fertile : les blés y sont très beaux : ils sont déjà jaunissants. On fait ici un pain excellent, et presque tout le monde possède une vigne. Les montagnes se terminent par des plateaux sur lesquels il y a du blé : leurs pentes sont couvertes de vignobles et elles renferment des grottes curieuses. Lorsque Jésus et les disciples allèrent à la caverne de Machpelah, ils se déchaussèrent devant l'entrée et entrèrent pieds nus. Ils se tinrent debout devant le tombeau d'Abraham et témoignèrent beaucoup de respect : Jésus seul parla. Il alla encore aujourd'hui à une lieue environ au sud-est de Juta ou d'Hébron, dans une petite ville de Lévites appelée Béthaïn, à laquelle on arrive par une montée très raide. Au-dessus le sol est assez uni : c'est un bourg à peu près grand comme Dulmen. Il y guérit quelques personnes et il y fit une instruction sur l'arche d'alliance et sur David : car l'arche d'alliance a résidé quinze ans à Béthaïn. Il n'en est pas fait mention dans l'Écriture Sainte, mais j'ai vu que David, par ordre de Dieu, y fit transporter secrètement pendant la nuit l'arche d'alliance qui était dans la maison d'Obededom et qu'il marcha devant elle pieds nus. J'ai oublié pourquoi cela se fit : mais l'arche ne devait plus rester chez Obededom. Lorsque David, plus tard. la retira d'ici, les habitants entrèrent dans une telle colère. qu'il fut presque lapidé par eux. (La Soeur a oublié comment tout cela se passa.) Il y avait ici sur la hauteur un puits très profond on y puisait l'eau avec une grande outre de cuir. Je ne me souviens plus bien comment ils la fermaient, mais quand ils la détachaient de la corde, elle tombait lourdement comme un énorme pourceau bien gras. Les chemins de ce pays sont souvent creusés dans un fond de rocher de couleur blanche : les petites pierres aussi sont blanches. Nicodème, Joseph d'Arimathie, Lazare, les femmes de Jérusalem et Marie sont partis ce matin de bonne heure. Lazare retourne à Jérusalem : il est de service au temple pour une semaine. La sainte Vierge ne retourne pas à Béthanie, mais elle se rend directement en Galilée par Machmas : elle a avec elle Anne de Cléophas et une parente d'Elisabeth qui a fait le voyage avec elle, ce que j'avais oublié de dire. Celle-ci est de Sapha, un endroit situé au nord de Nazareth entre cette ville et Séphoris. C'est le lieu de naissance de Jacques et de Jean : c'est là que Jésus est allé samedi dernier en quittant Nazareth et qu'il a guéri quelques malades et opéré des réconciliations. Elles ont des serviteurs qui les accompagnent. Marie a pris avec elle la couverture d'Elisabeth, qu'un serviteur porte roulée dans une corbeille. Je crois qu'un des motifs de son voyage à Hébron était le désir de prendre cette couverture. Jésus en consolant ses amis rassemblés autour de la couverture, leur avait dit que Jean avait désiré ardemment de voir son Rédempteur ; que toutefois il s'était fait violence et n'avait cherché qu'à remplir sa mission qui était d'aller devant lui et de lui préparer les voies, non de le suivre et de prendre part à ses travaux. Il l'avait vu lorsqu'il était tout enfant. Quand les parents de Jésus l'emmenaient en Egypte par le désert et que Jean, petit enfant aussi, se trouvait dans le désert à deux lieues d'Hébron, ils avaient passé à un trait de flèche de celui-ci, qui s'était rois à courir près d'un ruisseau au milieu des buissons et qui, frappant joyeusement la terre avec un petit bâton surmonté d'une banderole d'écorce d'arbre, avait dansé et fait des signes jusqu'à qu'il les eût perdus de vue. Les parents de Jésus l'avaient alors élevé en l'air sur leurs bras et lui avaient dit : " voici Jean dans le désert " ! C'était ainsi que l'Esprit avait conduit l'enfant pour saluer son maître qu'il avait déjà salué dans le sein de sa mère. Pendant que Jésus racontait cela, les disciples pleuraient en pensant à la mort de Jean, et je revis cette scène touchante. Jean était nu : il n'avait qu'une peau de mouton jetée en travers sur l'épaule et attachée autour des reins. Il eut le sentiment que son Sauveur approchait et qu'il souffrait de la soif. Alors il pria et frappa la terre avec son petit bâton : une source abondante jaillit : Jean courut en avant de l'eau qui coulait : il s'arrêta, regardant passer la sainte Famille à l'endroit où l'eau descendait par une pente rapide, et dansa joyeusement en agitant son petit étendard. Je le vis ensuite revenir sur ses pas en courant jusqu'à un grand rocher qui surplombait et près duquel le sol s'abaissait et formait une grotte. Un filet d'eau venant de cette source qui avait jailli arrivait là dans une petite fosse que Jean arrangea pour s'en faire une fontaine. Plus tard il séjourna assez longtemps dans cette grotte. La sainte Famille, dans ce voyage, franchit une hauteur qui faisait partie de la montagne des Oliviers : à une demi lieue à l'est de Bethléhem, ils firent une halte ; puis ayant toujours la mer Morte à leur gauche, ils s'avancèrent à sept lieues au midi de Bethléhem, à deux lieues au delà d'Hébron, et ils entrèrent dans le désert où était le petit Jean-Baptiste. Je les ai vus passer ce petit ruisseau de récente origine, s'y arrêter dans un endroit commode et s'y rafraîchir. Lorsqu'ils revinrent d'Egypte, Jean vit encore Jésus en esprit et il courut, en sautant de joie, dans la direction du chemin que suivait son maître : mais il ne le vit pas des yeux du corps, car ce chemin passait à deux lieues de là. Jésus parla encore de la grande violence que se faisait Jean : même lors du baptême, il ne l'avait pas regardé plus que ne le comportait le ministère qu'il avait à remplir, bien que son coeur fût prêt à se briser de désir et d'amour : plus tard, il s'était tenu humblement à distance de Jésus au lieu de céder à l'entraînement de son amour et d'aller à sa recherche. ( 16 janvier. ) Je vis aujourd'hui Jésus à Hébron enseigner le matin et l'après-midi à la synagogue : on y célébrait une fête en mémoire de l'expulsion des Sadducéens du sanhédrin où ils avaient formé la majorité sous Alexandre Jannée. On avait élevé autour de la synagogue trois arcs de triomphe ornés de feuilles de vigne, d'épis et de guirlandes de fleurs. On alla aussi en procession dans les rues et on y jeta des fleurs, car la néoménie (fête de la nouvelle lune) tombait aussi ce jour-là, ainsi que la fête destinée à célébrer le moment où la sève monte dans les végétaux et où l'on émonde les arbres plantés depuis quatre ans. C'était pour cela qu'on avait érigé tous ces arcs de verdure et de fleurs : cela s'était fait dès aujourd'hui, parce que le lendemain le sabbat coïncidait avec la néoménie. La fête commémorative de l'expulsion des Sadducéens convenait bien an temps où la vie recommence dans les arbres, parce que ces sectaires niaient la résurrection. A la synagogue, Jésus s'éleva avec beaucoup de force contre les Sadducéens : il parla aussi de la résurrection des morts. Des Pharisiens de Jérusalem étaient venus assister à la fête : ils n'eurent pas de contestation avec Jésus et montrèrent beaucoup de courtoisie. En général, il n'a pas trouvé de contradicteurs ici : les habitants ont de la droiture et de bons sentiments. Jésus guérit beaucoup de malades dans les maisons et devant les synagogues : la plupart étaient des ouvriers : il y avait des paralytiques, des gens atteints de consomption, des goutteux, quelques idiots et quelques obsédés. J'ai vu cette fois que Juta et Hébron se tiennent ensemble, et quand j'ai cru que Jésus était dans la ville de Juta, il était à Hébron. Juta est une espèce de faubourg où les habitations sont plus disséminées, mais qui tient à Hébron par une série de maisons. Les deux villes doivent avoir été séparées autrefois, car il y a entre elles des restes de murs avec des tours en ruines et une légère dépression de terrain. La maison de Zacharie a dans ses dépendances la synagogue ou l'école de Juta : elle est située sur une colline à un quart de lieue de la ville et entourée de beaux jardins et de vignobles : il y a en outre une belle vigne un peu plus éloignée avec une maisonnette. L'école est attenante par un côté à la chambre dans laquelle Jean vint au monde : j'ai vu cela lorsqu'ils déployèrent la couverture d'Élisabeth. J'ai encore vu aujourd'hui que Pilate, furieux de l'écroulement de ses constructions, a envoyé à Machérunte quelques-uns de ses employés pour faire des reproches à Hérode : mais qu'Hérode n'a pas voulu les voir et leur a fait dire qu'il était absent. Le dommage est très considérable : l'aqueduc avait bien un quart de lieue de longueur : il devait porter de l'eau au temple et en même temps lui servir d'égout. Trois passages voûtés conduisaient assez loin sous la montagne du temple : de longues rangées d'arcades traversaient la vallée dans la direction du midi et allaient chercher là, pour la conduire au temple, l'eau qui sortait de la piscine de Béthesda. Jusqu'alors il n'y avait eu en cet endroit qu'un marécage profond et couvert d'herbes. Toutes les constructions s'étant écroulées à la fois, les décombres ont obstrué les passages par où l'eau s'écoulait et tout s'est trouvé bouleversé. L'étang de Béthesda est situé dans la partie supérieure de cette gorge et il est alimenté par là fontaine de Gihon. L'aqueduc établi sur une haute rangée d'arcades allait de Siloé à la montagne du temple en traversant la vallée : sa direction était du midi au nord. Il, y avait là une haute tour au haut de laquelle des roues faisaient monter l'eau au moyen d'outres qui allaient la puiser dans le bas. Sur cette tour se tenaient des gens qui furent jetés bien loin lorsqu'elle s'écroula, mais étant tombés dans l'eau qui remplissait la vallée, ils ne se firent pas grand mal. On avait commencé ces travaux depuis longtemps et ils étaient déjà fort avancés lorsque les matériaux manquant à Pilate, il en livra la direction aux architectes d'Hérode. Toute la partie de la vallée où s'écoulait la piscine de Béthesda est maintenant obstruée par les décombres et l'eau retenue par cet obstacle forme comme un grand étang. Il est résulté de là une perturbation générale. A l'occasion des officiers envoyés par Pilate à Machéronte, je vis toujours le corps de Jean, comme auparavant, gisant dans sa prison. Personne encore n'a de soupçon sur sa mort. On relève comme à l'ordinaire les gardes qui veillent devant l'enceinte des prisons : comme ils ne se tiennent pas dans le voisinage immédiat du cachot de Jean et qu'ils voient toujours, à l'heure accoutumée, un homme de confiance d'Hérode y entrer avec des aliments, ils ne peuvent se douter de rien. On ne pense pas à enlever le corps parce que cela pourrait ébruiter la chose avant le temps. Pour moi, je vois le cachot tout rempli de lumière et près du corps comme un ange debout avec une épée. Je crois bien que s'ils regardaient par un trou dans l'intérieur, ils n'oseraient jamais entrer. ( 17 janvier. ) Je vis aujourd'hui Jésus enseigner et guérir à Hébron il guérit tout le long du jour un grand nombre de personnes, après quoi il enseigna a la synagogue. La synagogue était ouverte de tous les côtés, et il y avait à l'entrée une chaire posée sur des degrés, dans laquelle il prit place. Tous les habitants de la ville étaient là, ainsi que beaucoup de personnes des environs. Les malades étaient étendus sur de petits lits ou assis sur des nattes autour de la chaire et la place était couverte de peuple. Les arcs de triomphe de la fête étaient encore debout. Ce spectacle me toucha beaucoup, car tous étaient émus et édifiés et il n'y axait pas de contradicteurs. Près de l'arbre élevé pour la fête d'hier, les habitants distribuèrent aux pauvres une grande quantité de fruits. Jésus fit l'instruction du sabbat dans la synagogue et il y exposa une doctrine singulièrement profonde La lecture avait trait aux ténèbres d'Egypte, à l'institution de la Pâque et au rachat des premiers-nés : il y avait aussi quelque chose de Jérémie Jésus donna sur le rachat des premiers-nés des explications d'une profondeur merveilleuse. Je me souviens, entre autres choses, qu'il s'exprima à peu près en ces termes : " Quand le soleil et la lune s'obscurcissent, la mère porte l'enfant au temple pour le racheter ". Il parla aujourd'hui, à plusieurs reprises, de " cet obscurcissement du soleil et de la lune ". Il traita de la conception, de la naissance, de la circoncision et de la présentation au Temple, qu'il compara au règne des ténèbres et au triomphe de la lumière. Je compris très bien ce qu'il dit, mais je n'en puis rien reproduire d'une manière satisfaisante : tout ce que je peux dire, c'est qu'il montra dans la sortie d'Egypte, dont le récit faisait partie de la lecture du jour, des rapports mystérieux avec la naissance de l'homme. Il parla encore de la circoncision comme d'une marque distinctive qui devait un jour tomber en désuétude aussi bien que le rachat des premiers-nés. Personne ne le contredit, tous étaient silencieux et attentifs. Il parla aussi d'Hébron et d'Abraham, puis enfin il en vint à Zacharie et à Jean. Il s'expliqua d'une façon plus claire et avec plus de développements qu'il ne l'avait jamais fait sur l'importance du rôle de Jean, sa naissance, sa vie dans le désert, ses exhortations à la pénitence, son baptême, sa fidélité à préparer la voie et enfin sur sa captivité. Il parla ensuite de la destinée des prophètes et du grand-prêtre Zacharie qui avait été mis à mort entre le sanctuaire et l'autel. Il dit encore quelque chose des souffrances de Jérémie dans la fosse où on l'avait jeté à Jérusalem, et des persécutions subies par les autres prophètes. Lorsqu'il parla du premier Zacharie mis à mort entre le temple et l'autel, ceux des parents de Jean qui se trouvaient là pensèrent à la triste fin du père de Jean-Baptiste qu'Hérode avait invité à venir à Jérusalem et qu'il fit égorger dans une maison voisine de la ville. Toutefois Jésus n'en parla pas. Zacharie avait été enseveli près de sa maison de Juta, dans un caveau, à ce que je crois. Pendant que Jésus tenait des discours si touchants et si singulièrement frappants sur Jean et sur la mort des prophètes, le plus profond silence régnait dans la synagogue. Tout le monde était fortement remué : beaucoup de gens pleuraient et même les Pharisiens qui se trouvaient là étaient émus. Cependant plusieurs des parents et des amis de Jean connurent par une lumière intérieure que lui aussi avait été mis à mort, et la douleur les fit tomber en défaillance. Il s'ensuivit du trouble dans la synagogue. Mais Jésus dit qu'il fallait se contenter de soutenir ceux qui tombaient en faiblesse, qu'ils reviendraient bientôt à eux, et ils restèrent ainsi pendant quelques minutes évanouis dans les bras de leurs amis, pendant que Jésus continuait son instruction. Il y avait pour moi dans ces mots (" entre le temple et l'autel ") prononcés à propos du meurtre du premier Zacharie, quelque chose de significatif qui se rapportait à la mort de Jean ; comme si sa mort, considérée dans ses rapports avec la vie de Jésus, avait lieu entre le temple et l'autel, car il était mort entre la naissance du Sauveur et son crucifiement : mais les assistants ne pouvaient pas comprendre cela. Quand la prédication fut terminée, on ramena chez eux les gens qui avaient eu une défaillance. Il y avait outre Zacharie, le cousin de Jean, une nièce d'Élisabeth, mariée à Hébron, qui avait une douzaine d'enfants parmi lesquels des filles déjà grandes : c'étaient eux, et quelques autres personnes, qui avaient reçu cette violente commotion. Jésus, en compagnie du jeune Zacharie et des disciples, se rendit dans la maison de cette femme où il n'était pas encore allé, mais où les saintes femmes avaient fait plusieurs visites avant leur départ. Il devait ce soir prendre son repas chez elle, mais ce fut un repas bien triste. Je vis Jésus seul dans une chambre avec Pierre. Jean, Jacques, fils de Cléophas, Eliacim, Sadoch, Zacharie, la nièce d'Elisabeth et le mari de celle-ci. Les parents de Jean lui demandèrent en tremblant : " Seigneur, ne reverrons-nous pas Jean " ? La porte était fermée en sorte que personne ne pouvait venir les déranger. Jésus leur répondit en pleurant : " Non, vous ne le reverrez pas ". Et il parla de sa mort en termes très touchants et très consolants. Comme dans leur tristesse ils exprimèrent la crainte que son corps n'eût à subir des outrages, Jésus leur dit qu'il n'y avait rien à craindre, que son corps était intact, que sa tête avait été outragée et jetée au rebut, mais qu'elle aussi serait conservée et reparaîtrait au jour. Il leur dit aussi qu'Hérode quitterait Machérunte sous peu de jours et qu'alors le bruit de la mort de Jean se répandrait ; que ses disciples diraient où ils l'avaient vu pour la dernière fois et qu'on pourrait enlever son corps. Il pleura cordialement avec les assistants et ils prirent ensuite un petit repas. Ce repas, pris dans une chambre retirée, me rappela la sainte Cène, par le silence et la gravité qui y régnaient, ainsi que par l'émotion de Jésus et son attendrissement. J'ai eu aujourd'hui une vision où Marie me fut montrée allant présenter Jésus au temple. Cela n'eut lieu que le quarante-troisième jour après sa naissance : car, à cause d'une fête, ils avaient attendu trois jours chez les braves gens qui tenaient la petite hôtellerie située devant la porte qui mène à Bethléhem. Outre l'offrande ordinaire des colombes, Marie porta au temple comme présents cinq petites plaques d'or triangulaires venant des trois rois, et plusieurs pièces d'une belle étoffe pour faire des broderies. Joseph avait vendu à un de ses parents l'âne qu'il lui avait précédemment remis en gage. J'ai toujours cru que l'âne monté par Jésus le dimanche des Rameaux provenait de celui-là. (18 janvier.) Jésus enseigna encore aujourd'hui à Juta. Dans l'après-midi il sortit accompagné d'une dizaine de Lévites et guérit plusieurs malades des environs on ne rencontre pas dans ce pays de lépreux, de possédés furieux, de grands pécheurs ni de grandes pécheresses. Le soir il termina l'instruction du sabbat et il prit avec les Lévites un repas frugal, composé d'oiseaux, de pain, de miel et de fruits. C'est ce qu'il à fait ici plusieurs autres fois. Je me souviens que Joseph d'Arimathie et plusieurs disciples sont venus, je ne sais pas bien si c'est aujourd'hui ou le dimanche, pour inviter Jésus à se rendre à Jérusalem où beaucoup de malades soupirent après lui. Il pouvait, disaient-ils, y séjourner sans être inquiété, parce que Pilate et Hérode sont en querelle par suite de l'écroulement des constructions, et que les autorités juives ont tourné toute leur attention de ce côté. Jésus ne voulut pas y aller quant à présent : cependant il promit de s'y rendre avant de retourner en Galilée. J'ai vu encore que les femmes de la famille de Jean célébrèrent le sabbat dans leur maison : elles étaient en habits de deuil et assises par terre : il y avait au milieu de la chambre une grande quantité de flambeaux ou de lampes placées les unes au-dessus des autres. Des Esséniens demeuraient dans le voisinage, assez près du tombeau d'Abraham. Lorsque Jésus y alla, ils se rendirent auprès de lui, deux par deux, et s'entretinrent avec lui : ils habitaient des cellules creusées dans le roc autour d'une montagne et au-dessus desquelles ils avaient un jardin. Je ne les ai pas vus près de lui dans la ville. Il y a de très beaux jardins autour de la maison de Zacharie ; on y voit des rosiers d'une grosseur et d'une hauteur incroyables. La Soeur décrit tout cela dans son patois rustique avec une foule de détails qu'on ne peut reproduire ici, puis elle ajoute : " Quand on vient de Jérusalem ici' on voit la maison de Zacharie sur une colline : un quart de lieue plus loin, on voit son vignoble à droite sur une colline plus élevée : c'est au pied de celle-ci qu'est la fontaine découverte par Marie. L'Hébron où Jésus a séjourné n'est plus l'Hébron d'Abraham ; celui-ci est en ruines, au midi de l'autre dont il est séparé par une espèce de ravin. Du temps d'Abraham, c'était une ville qui avait de larges rues et où une partie des habitations était creusée dans le roc à peu de distance de la maison de Zacharie se trouvait un endroit appelé Iéther, où je vis plusieurs fois aller Marie et Elisabeth ".
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