TROISIEME CHAPITRE. LA FÊTE DE LA PENTECOTE . Dernier temps du séjour de Jésus dans l'île de Chypre. Du 20 au 31 mai . 21 mai .--Ce matin les disciples de Jésus étaient réunis près de lui à son hôtellerie, ainsi que les paiens baptisés et plusieurs vieux Juifs. Il leur donna, à propos de la Pentecôte, de la loi donnée sur le Sinaï et du baptême, des enseignements d'un sens très profond, et il expliqua plusieurs passages des prophètes qui avaient rapport aux sujets qu'il traitait. Il dit aussi beaucoup de choses sur les pains que l'on bénissait pour la Pentecôte, sur le sacrifice de Melchisédech et sur le sacrifice prophétisé par Malachie ; il ajouta qu'il ne tarderait pas à être institué, qu'après cela, lorsque reviendrait cette fête de la Pentecôte, une nouvelle grâce viendrait s'ajouter au baptême, et que tous les baptisés qui alors croiraient au Consolateur d'Israël participeraient à cette grâce. Comme il s'éleva à ce sujet des contestations et des disputes, et que quelques-uns ne voulaient pas le comprendre, Jésus en désigna une cinquantaine qui étaient mûrs pour son enseignement ; il renvoya les autres et remit à une autre fois leur préparation. Il alla alors, avec ceux qu'il avait choisis, se promener, tout en enseignant, au jardin des bains qui est devant la ville. Je les vis bientôt s'arrêter et faire, avec force gestes, des questions et des objections ; je vis souvent Jésus lever l'index en donnant des éclaircissements. Dans leurs conversations, ces gens gesticulaient beaucoup avec les mains et les doigts. Comme il leur parlait de la grande grâce attachée au baptême, l'unique moyen de salut qui devait être après l'accomplissement du grand sacrifice, quelques-uns demandèrent si cette grâce était également attachée à leur baptême actuel : il leur répondit que oui, s'ils persévéraient dans la foi et s'ils savaient reconnaître ce sacrifice ; car même les patriarches qui, n'ayant pas reçu ce baptême, y avaient seulement aspiré et l'avaient pressenti en esprit, devaient être sauvés par ce sacrifice et par ce baptême. Note : Dans l'intérêt des lecteurs qui n'auraient pas lu l'introduction où se trouve une dissertation spéciale sur ce baptême des morts et sur tout ce qui s'y rapporte, on fait remarquer de nouveau que d'après cette réponse du Sauveur la grâce complète de la rédemption (en tant qu'on pourrait y participer avant que la rédemption elle-même fût opérée) profitait uniquement aux âmes des morts qui avaient quitté cette vie dans l'état de grâce sanctifiante. Ceux-là avaient droit à la plénitude de l'état de grâce qui pouvait leur être communiqué par les fidèles survivants, de la même manière qu'aujourd'hui une indulgence plénière est appliquée aux âmes du purgatoire. Il est évident que cette possibilité de l'application aux morts de la grâce du baptême n'avait lieu qu'au profit des âmes qui avaient quitté la vie avec ce droit avant la promulgation de la nouvelle alliance, mais qu'elle devait cesser à dater de cette promulgation : car maintenant on meurt ou dans l'état de grâce qui communique dans sa plénitude le bienfait de la rédemption, ou hors de cet état de grâce et par conséquent sans possibilité ultérieure d'arriver à la justification après la mort. L'introduction a fait voir ce qu'on doit entendre par le complément de l'état de grâce, et en quoi diffère la grâce sanctifiante sous l'ancienne et sous la nouvelle loi. (Note de l'éditeur.) L'un d'eux demanda encore si le baptême pouvait profiter eu quelque chose aux morts, et par conséquent aux âmes détenues dans le lieu de purification, bien qu'elles n'en eussent aucune connaissance. Jésus Leur dit alors que les morts pouvaient recevoir la grâce du baptême au moyen des prières et des bonnes oeuvres des vivants, et que ceux-ci pouvaient la procurer aux âmes des morts, s'ils le désiraient ardemment dans un esprit de foi vive et de charité parfaite. Dans ce cas, ils pourraient participer à la grâce complète du baptême après l'accomplissement du grand sacrifice. Les païens parlèrent beaucoup à ce sujet : ils semblent, d'après quelques-uns de leurs usages, mieux comprendre la chose que les Juifs. L'un d'eux prit une branche, la trempa dans un petit ruisseau près duquel ils se trouvaient, et demanda à Jésus s'il était permis, après avoir fait une fervente prière, de tremper une branche dans l'eau et de faire une aspersion, avec l'intention de baptiser toutes les âmes qui aspiraient au baptême. Le Seigneur dit que ce serait une chose bonne et profitable si elle se faisait avec un ardent désir de secourir ces âmes et dans un esprit de foi, d'espérance et de charité. Il dit aussi combien il était bon, dans ces jours de fête, de prier avec persévérance et avec ferveur, comme avaient toujours fait les pieux Israélites qui avaient supplié Dieu d'envoyer le Consolateur promis à Israël. Jésus dit encore beaucoup de choses d'un sens très profond que je ne puis plus répéter exactement. Je me souviens dl' reste, que j'ai toujours vu Jésus, lorsqu'après sa résurrection, il parcourut la Palestine, accompagné des âmes des patriarches, les conduire au lieu où il avait été baptisé dans le Jourdain et les baptiser lui-même. Peut-être que ce fut, d'une manière purement spirituelle, quelque chose comme la cérémonie symbolique à propos de laquelle Jésus fut interrogé par le paien qui avait trempé une blanche dans l'eau ; tout ce que je sais, c'est que j'ai réellement Vu ces âmes. Je n'avais pas voulu raconter cela jusqu'à présent. Je vis qu'on envoya du festin de noces des aliments pour Jésus et les siens à l'hôtellerie où il revint avec les disciples pour le commencement du sabbat. Les nouveaux mariés furent aujourd'hui installés dans leur ménage. On les réunit dans la maison où la fête avait été célébrée. Cependant celui des époux qui apportait une maison en dot se tenait debout devant cette maison : alors les parents et amis allaient prendre l'autre et lui faisaient faire trois fois le tour de sa nouvelle habitation, au son des instruments de musique ; puis le premier époux lui adressait un discours mêlé de sentences et d'exhortations. On apportait aussi en pompe tous les présents de noces et on faisait beaucoup de largesses aux pauvres. Je vis tout le monde dans la ville occupé à nettoyer, à frotter et à laver La synagogue et beaucoup de maisons furent décorées d'arbres verts et de guirlandes de fleurs, le sol fut jonché de fleurs, on fit aussi des fumigations à la synagogue ; les rouleaux contenant les écritures furent eux-mêmes entourés de guirlandes. Dans l'après-midi, on fit cuire les pains de la Pentecôte dans des chambres destinées à cet usage, attenant au parvis de la synagogue ; les rabbins bénirent la farine. Deux pains faits avec le froment de cette année, d'autres pains et de grands gâteaux minces furent entaillés pour être divisés plus tard en petits morceaux. La farine dont on se servait avait été apportée de la Judée ; elle provenait du champ sur lequel Abraham avait reçu l'oblation de Melchisédech. Cette farine arrivait ici dans des boîtes de forme oblongue : on l'appelait la semence d'Abraham. Ces pains, qui étaient sans levain, devaient être préparés avant quatre heures, il y avait encore là d'autre farine et des herbes que l'on bénit aussi. Avant le sabbat, les rabbins furent conduits solennellement à la synagogue par les enfants des écoles ; les nouvelles mariées y furent conduites par les femmes, et leurs époux par les jeunes gens Jésus aussi se rendit à la synagogue avec les siens. Il n'y eut pas d'instruction ; le service divin se borna à des chants entremêlés de lectures et de prières : je ne me souviens plus bien comment tout cela se fit. Les pains bénits furent distribués par petits morceaux dans la synagogue. On les regardait comme un préservatif contre les maladies et les sortilèges. Je ne vis pas de festin pendant cette soirée. Plusieurs Juifs, entre autres les sept hommes nouvellement mariés, passèrent la nuit en prières à la synagogue. Plusieurs habitants de la ville, par groupes de dix ou douze le plus souvent, allèrent en plein air sur des collines ou dans des jardins. Ils portaient un falot au bout d'une perche et prièrent toute la nuit. Les disciples de Jésus et les paiens baptisés firent de même. Jésus alla prier seul. Les femmes aussi s'étaient réunies dans les maisons et priaient. 22 mai .--Pendant toute la matinée on s'occupa dans la synagogue à prier, à chanter et à faire des lectures de la loi ; il y eut aussi une espèce de procession. Les rabbins, Jésus à leur tête, firent le tour de la synagogue : ils s'arrêtèrent à différents endroits, tournés vers les quatre points cardinaux, et donnèrent leur bénédiction à la terre, à la mer et à tout le pays. Après une interruption d'environ deux heures, on revint à la synagogue dans l'après-midi et on continua à faire des lectures. Il y eut quelques pauses, pendant lesquelles Jésus demandait si l'on avait compris et donnait des explications sur certains points. On lut le récit du passage de la mer Rouge jusqu'à la promulgation de la loi sur le Sinai. Pendant qu'on faisait cette lecture, je vis beaucoup de choses dont je me rappelle ce qui suit. Les Israélites occupaient une lieue de terrain dans un enfoncement le long de la mer Rouge. La mer était très large en cet endroit et il s'y trouvait plusieurs îlots longs d'une demi lieue sur un quart ou un demi quart de lieue de large. Pharaon et son armée cherchèrent d'abord les Israélites plus haut, puis il sut où ils étaient par ses explorateurs. Il croyait qu'ils ne pouvaient pas lui échapper, à cause de la mer qui leur fermait le passage. Les Egyptiens étaient très irrités contre eux, parce qu'ils avaient emporté leurs vases sacrés, beaucoup d'idoles et les secrets de leur religion. Lorsque les Israélites virent qu'ils approchaient, ils furent dans l'angoisse et dans la terreur. Mais Moïse pria et leur dit d'avoir confiance en Dieu et de le suivre. Alors la colonne de nuées passa derrière les Israélites, où elle forma un brouillard si épais, que les Egyptiens ne pouvaient plus les voir. Cependant Moïse s'avança sur le rivage, avec sa baguette qui avait deux petites branches et un bouton à son extrémité : il pria et frappa sur l'eau. Alors parurent devant l'aile gauche et l'aile droite de l'armée deux grandes colonnes de lumière qui semblaient avoir leurs racines dans la mer et surmontées d'une gerbe de flamme qui se terminait en pointe ; un vent violent sépara la mer tout le long de l'armée, sur une lieue de largeur. Moïse descendit par une pente douce dans le lit de la mer, et toute l'armée le suivit, formée en colonne ayant tout au plus cinquante hommes de front. Au commencement, le terrain était un peu glissant, mais bientôt ils se trouvèrent sur un fond d'herbe, moelleux comme un tapis. Les colonnes de feu brillaient devant eux et tout était éclairé comme en plein jour. Mais ce qu'il y avait de plus beau, c'étaient les îles sur lesquelles la lumière se répandait et qui, semblables à des jardins flottants, étaient pleines de fruits magnifiques et d'animaux de toute espèce, qu'ils recueillirent ou emmenèrent avec eux, et sans lesquels ils n'auraient pas eu de quoi se nourrir de l'autre côté. L'eau de la mer ne formait pas des deux côtés une muraille perpendiculaire, mais elle s'agglomérait plutôt comme de la gélatine. Ils marchaient en avant d'un pas rapide, comme s'ils eussent eu des ailes : on eût dit des gens qui descendaient une montagne en courant. Il était environ minuit lorsqu'ils entrèrent. L'arche qui contenait les ossements de Joseph était au milieu de l'armée. Les colonnes de feu s'élevaient du fond de l'eau ; elles semblaient tournoyer et elles ne passaient pas au-dessus des îles, mais les contournaient. A une certaine hauteur, elles se perdaient dans une lueur vague. L'eau ne se retira pas tout à la fois, mais elle s'écartait devant les pas de Moise, laissant un espace vide, en forme de coin, jusqu'à ce que tout le monde eût passé ; c'est pourquoi l'on voyait dans le voisinage des îles les arbres chargés de fruits s'y réfléchir à la lueur des colonnes de feu. Le passage s'opéra miraculeusement en trois heures, tandis que naturellement il en eût fallu neuf. En remontant le rivage, à six ou à neuf lieues de là, il y avait une ville qui fut plus tard engloutie sous les flots. Vers trois heures, Pharaon descendit aussi sur la plage, et il fut de nouveau arrêté par le brouillard, puis il finit par trouver le passage, et il y entra avec un grand nombre de chariots magnifiques ; toute son armée s'y précipita à sa suite. Moïse, qui était déjà arrivé de l'autre côté, commanda aux flots de revenir à leur place : le brouillard et le feu mirent la confusion dans l'armée, et tous périrent misérablement dans l'eau. Les Israélites, sur l'autre rive, chantèrent les louanges de Dieu, et le matin ils virent qu'ils étaient sauvés. Au delà de la mer, les deux colonnes de feu se réunirent de nouveau en une seule. Je ne puis rendre la magnificence de ce spectacle. Après le sabbat, Jésus sortit encore de la ville avec ses disciples. Les paiens de Salamine s'en retournèrent ce soir, et Jésus les accompagna sur le chemin avec ses disciples. Il les exhorta à ne plus se laisser entraîner à leur culte idolâtrique non plus qu'à leurs folles rêveries, et à quitter, aussitôt que possible, un pays où tout faisait obstacle à la nouvelle voie qu'ils voulaient suivre ; il leur indiqua des contrées éloignées où ils pourraient s'établir. Je me rappelle, entre autres, Jérusalem, la partie de la Judée qui est entre Hébron et Gaza et les environs de Jéricho. Il leur recommanda d'aller trouver Lazare, Jean Marc, les neveux de Zacharie et les parents de Manahem, le disciple aveugle guéri par lui. Aujourd'hui, un Juif apporta à Jésus une lettre de Mercuria, la prêtresse convertie de Salamine. Elle était scellée et pliée d'une façon qui la faisait ressembler à un long cornet. Mercuria consultait Jésus sur quelque chose dont je ne me souviens plus bien : c'était à l'occasion d'une fête qui devait avoir lieu. Jésus était dans l'hôtellerie ; il lut la lettre, traça quelques caractères au-dessous, et la rendit roulée et scellée au messager qui retournait à Salamine avec les philosophes. J'ai vu Mercuria écrire cette lettre en secret pendant un bain qu'elle prenait seule sous un berceau de verdure. Etant allée ensuite se promener, elle la porta, à la dérobée, à l'homme qui était a la tête de l'hôtellerie où Jésus avait logé à Salamine et se procura par lui le messager juif qui la remit. Sa santé est tout à fait altérée par les remords, l'inquiétude et le désir de changer de vie. Elle est très bien soignée par ses proches. Je crois qu'elle consultait à l'occasion d'une grande fête paienne pour savoir si elle pouvait y assister. Elle ne pouvait pas s'en dispenser sans faire un éclat. On commença par faire toute sorte de travaux dans le temple. On alluma ça et là de grands feux, comme sont chez nous les feux de la Saint Jean, puis des prêtres, accompagnés de personnes de distinction, hommes et femmes, se rendirent près d'un mur formant terrasse, ou étaient pratiqués plusieurs caveaux et qui tenait au grand temple, situé hors de l'enceinte de la ville. Il y avait par dessus des arbres et des allées : c'étaient, je pense, des sépultures. Ils portèrent là-dedans des vases pleins de beaux fruits et des coussins très riches : je crois que c'était à l'intention des âmes, qu'ils s'imaginaient devoir reposer dessus pendant cette nuit. Les coussins furent repris plus tard. Je vis aussi Mercuria aller là. Elle avait ses enfants avec elle. Les feux qu'on allumait étaient alimentés avec des roseaux et de la paille de la dernière récolte, entassés dans des fosses revêtues de maçonnerie à cet effet : chacun apportait son fagot. On brûlait de la volaille à ces feux et on poussait à l'entour des lamentations funèbres. Cette fête dura trois jours. A Jérusalem, il y a eu encore une émeute dans le temple. Hier matin, Pilate a fait attacher aux colonnes qui se trouvent devant toutes les entrées du temple des tables de bronze au haut desquelles est gravé le buste de l'empereur, avec une inscription au-dessous. Il y eut d'abord de grands murmures à ce sujet, et le soir, lorsque le - peuple alla célébrer le sabbat, il y eut un soulèvement : les tables furent arrachées et brisées. Aujourd'hui, pendant que tout le monde était en prière, des Romains déguisés vinrent de la forteresse Antonia, dispersèrent la foule, tuèrent quelques Gaulonites et pillèrent le tronc des offrandes. Il y eut un tumulte effroyable. Pilate avait quitté la ville auparavant. Hérode se tint caché à Jérusalem. Après qu'il eut fait tomber les soldats d'Arétas dans le piège qu'il leur avait tendu près de Machéronte, ils l'ont de nouveau battu dans un combat, et il s'est enfui secrètement à Jérusalem. Pendant qu'il attirait son ennemi dans le voisinage de Machérunte et le rendait victime d'une trahison si noire, ses soldats étaient entrés sur les terres d'Arétas, en Arabie, mais ils y ont été complètement battus, si bien qu'Hérode effrayé s'est enfui à Jérusalem. Marie, les saintes femmes et plusieurs apôtres, parmi lesquels se trouve Jean, sont à Nazareth, dans la maison de Marie, et célèbrent la fête de la Pentecôte. 23 mai .--J'ai vu encore aujourd'hui les habitants de Mallep à la synagogue, dans la matinée et quelques moments seulement dans l'après-midi. Le matin, Jésus alla avec ses disciples dans deux quartiers de la ville qu'il n'avait pas encore visités. Plusieurs personnes l'en avaient fait prier. Il guérit plusieurs malades, hommes et femmes, qui étaient couchés dans des cellules séparées, adjacentes aux cours. Il exhorta et consola beaucoup de personnes qui avaient des peines de coeur de divers genres. Il y avait dans la ville un certain nombre de gens mélancoliques qu'un chagrin secret consumait. Tout ici était arrangé de manière à ce que toutes les souffrances qui intéressaient l'honneur pussent être tenues secrètes. Aujourd'hui encore, plusieurs femmes vinrent trouver Jésus dans des maisons amies et lui demandèrent ce qu'elles avaient à faire : leurs maris étaient infidèles et elles avaient de la répugnance à porter une accusation contre eux, à cause du scandale public qui en devait résulter et de la sévérité de la peine : elles désiraient leur amendement ou une séparation. Jésus les consola, les exhorta à la patience et leur dit ce qu'elles avaient à faire. Il les engagea à réfléchir pour savoir si elles voulaient que leurs maris fussent avertis par lui-même ou par ses disciples étrangers, en sorte qu'elles ne fussent pas soupçonnées de les avoir accusés et que la chose ne fût pas connue dans le pays. Il y avait ici plusieurs personnes qui, avec les apparences extérieures du calme et de la sérénité, gémissaient intérieurement sur bien des vices dont elles avaient connaissance. Dans plusieurs maisons, on présenta des enfants à Jésus pour qu'il les bénit. Il alla aussi visiter des personnes très tourmentées au sujet de leurs maris ou de leurs enfants qui étaient allés à Jérusalem pour la Pentecôte. Le bruit s'était répandu d'avance qu'au moment de la fête il y aurait encore des troubles dans la ville à cause de certaines choses que Pilate exigeait des Juifs, et rien ne pouvait rassurer ces personnes. Le gouverneur, disaient-elles, cherchait un prétexte, et des troubles ne pouvaient manquer d'avoir lieu. Ce bruit avait été propagé par les voyageurs qui s'étaient trouvés à la fontaine baptismale de Chytrus après le départ de Jésus. Jésus consola ces affligés et leur dit qu'il n'arriverait rien à leurs proches que Pilate n'avait affaire qu'aux Galiléens ; que d'ailleurs leurs proches, venant de loin, n'arriveraient que les derniers avec leurs offrandes ; qu'enfin ils pouvaient être tranquilles. Cette fois, à cause de l'émeute qui avait eu lieu à la fête de Pâques, peu de personnes de l'île de Chypre étaient allées à Jérusalem. Jésus prit à diverses reprises un peu de nourriture chez ces gens. Je n'ai pas vu de repas aujourd'hui. Dans l'après-midi, Jésus alla dans une grande maison derrière laquelle, dans un passage voisin de la cour, étaient couchés à part les uns des autres plusieurs hommes considérables affligés de diverses maladies. Les femmes étaient de l'autre coté de la cour. Il s'arrêta longtemps dans les cellules, les salua et les interrogea successivement. Il se trouvait parmi eux des hypocondriaques plongés dans le désespoir et qui ne cessaient de pleurer. Il en guérit une vingtaine, leur indiqua ce qu'ils devaient manger et boire, et leur ordonna un bain, qu'ils prirent dans la maison même. Ensuite il les fit venir tous, et enseigna d'abord les femmes, puis les hommes. Cela dura presque jusqu'à l'ouverture du sabbat : alors Jésus se rendit à la synagogue. On lut aujourd'hui des passages du Lévitique (XXVI) et de Jérémie (XVII) sur la malédiction dont Dieu frappe ceux qui n'observent pas ses commandements, sur la dîme, sur l'idolâtrie, sur la profanation du sabbat, etc. Jésus expliqua tout cela et fit un discours si sévère et si effrayant que beaucoup de gens, pénétrés de contrition, pleurèrent et sanglotèrent La synagogue était ouverte de tous les côtés, et sa voix avait quelque chose de singulièrement pénétrant et un accent particulier que n'avait aucune autre voix humaine. Il prêcha spécialement contre ceux qui s'attachent aux créatures et qui mettent dans les hommes leur espoir et leurs complaisances. Il parla des folles ardeurs entre les deux sexes, de l'excitation diabolique qui porte les adultères les uns vers les autres, de la malédiction des époux outragés qui va tomber sur les enfants nés de semblables relations, malédiction dont les conséquences sont imputables aux adultères. Il enseigna en outre sur d'autres péchés et sur leurs suites. Les auditeurs étaient tellement effrayés, que beaucoup s'écrièrent lorsqu'il eut fini : " il parle comme si le jour du jugement était proche ". Jésus parla encore contre l'attachement insensé aux biens et aux pompes de ce monde ; il s'éleva aussi spécialement contre l'orgueil de la science subtile et captieuse et contre la confiance qu'inspirent de grandes connaissances. Il dirigea à la fois ses traits au coeur de ces adultères dont les épouses avaient pleure aujourd'hui près de lui, et contre la conduite de beaucoup de jeunes gens qui venaient étudier ici, dans une grande école érigée à leur intention, différentes branches de la science hébraïque et qui ensuite allaient ailleurs pour acquérir de nouvelles connaissances. Il dit en terminant qu'il recevrait le lendemain matin ceux qui avaient besoin d'être consolés et éclairés. Il passa la nuit en prière. 24 mai .--Aujourd'hui, pendant toute la matinée, il vint au logis de Jésus un très grand nombre de personnes qui, profondément remuées par son instruction de la veille, demandaient à être consolées et réconciliées avec Dieu. Il se trouvait parmi eux beaucoup de savants et d'élèves de l'école qui est ici. Ils demandaient des avis sur la manière dont ils devaient diriger leurs études. Il vint aussi des hommes dont la conscience était troublée par suite des affaires qu'ils avaient à traiter avec des païens dont les biens confinaient aux leurs. Parmi ces visiteurs étaient aussi les maris de ces femmes qui, la veille, avaient porté leurs plaintes à Jésus, et d'autres également coupables contre lesquels aucune accusation n'avait été portée. Ils se présentèrent successivement devant Jésus comme des pécheurs, se jetèrent à ses pieds, confessèrent leurs fautes et en demandèrent le pardon. Ils étaient surtout troublés par la crainte que la malédiction de leurs femmes ne tombât sur les enfants, innocents d'ailleurs, nés de leurs relations adultères, et demandèrent si cette malédiction pouvait être conjurée et effacée. Jésus s'étendit beaucoup sur ce sujet, dit que cette malédiction avait des effets terribles en ce qui touchait la génération, qu'elle s'incarnait en quelque sorte et ne pouvait être effacée que par beaucoup de charité et de clémence de la part de celui qui l'avait lancée et par le repentir et la pénitence de la part de celui qui l'avait provoquée ; que la malédiction frappait la génération d'une façon toute particulière et aussi qu'elle devait être retirée devant le prêtre, lequel devait alors donner sa bénédiction. Il donna plusieurs autres enseignements sur ce sujet et dit que cette malédiction se perpétuait pendant plusieurs générations. Il ajouta qu'elle ne s'étendait pas jusqu'à l'âme, car le Père tout-puissant a dit : " Toutes les âmes sont à moi ", mais qu'elle frappait le corps et les biens temporels. Or, le corps étant la demeure et l'instrument de l'âme, il en résultait pour celle-ci de grandes misères et de grandes tribulations, ajoutées au fardeau déjà si lourd qu'elle avait à porter pour son propre compte. Je vis à cette occasion beaucoup de choses touchant l'état des enfants illégitimes, adultères et maudits, et touchant l'action prolongée de la malédiction non effacée sur les rejetons de ceux qu'elle avait frappés ; mais je ne puis plus bien raconter cela. La malédiction agit de diverses manières, suivant l'intention de celui qui l'a lancée et aussi suivant la nature des enfants eux-mêmes. Beaucoup d'épilepsies et de possessions tirent de là leur origine. Je vois ordinairement les bâtards doués d'avantages naturels donnant facilement prise au péché. Ils tiennent en quelque chose de cette race qui naquit de l'union des enfants de Dieu avec les filles des hommes. Ils sont souvent beaux, adroits, dissimulés, ambitieux de tout attirer à eux, mais sans vouloir l'avouer. Ils portent dans leur chair l'empreinte des passions secrètes qui leur ont donné la vie, du mystère et du mensonge qui ont abrité leur naissance, et cela les conduit souvent à perdre leur âme. Jésus ayant écouté et exhorté ces pécheurs les uns après les autres, leur enjoignit de lui envoyer leurs femmes : il les prit aussi à part, leur parla du repentir de leurs maris, les exhorta à tout oublier et à retirer leur malédiction, ajoutant que si elles ne le faisaient pas du fond du coeur, elles seraient responsables de la rechute des coupables. Ces femmes pleurèrent, rendirent grâces et promirent tout ce qu'il voulut. Il s'entretint ainsi en particulier avec chacune d'elles. Jésus réconcilia aujourd'hui plusieurs de ces couples, qu'il fit venir devant lui et auxquels il adressa plusieurs questions comme s'il se fût agi pour eux d'un nouveau mariage : il joignit leurs mains qu'il recouvrit d'une bande d'étoffe et les bénit. Un des hommes avait eu commerce avec une paienne du pays, et il en avait eu des enfants qui étaient élevés ici dans la maison des orphelins juifs. Sa femme légitime retira solennellement sa malédiction de dessus eux ; elle se présenta devant Jésus, tendit la main à son mari pardessus la tête de ces enfants, rétracta ses imprécations et Jésus imposa comme pénitence aux époux adultères des aumônes, des jeûnes, des prières et des privations. Celui qui avait péché avec la païenne était tout changé. Il invita humblement Jésus à prendre un repas chez lui, et le Seigneur y alla avec ses disciples. On avait invité en outre deux rabbins qui furent fort surpris de cette invitation aussi bien que toute la ville ; car cet homme était connu comme un mondain de moeurs légères, qui ne tenait pas grand compte des prêtres et des prophètes. Il était riche et possédait des terres que ses serviteurs cultivaient ; il demeurait près de l'hospice où Jésus avait guéri récemment des hypocondriaques. Deux petites filles de la maison vinrent pendant le repas et versèrent un onguent précieux sur la tête de Jésus. Après le repas. Jésus alla avec tout le peuple à la synagogue pour la clôture du sabbat. Il continua son instruction de la veille, mais avec moins de sévérité, et il leur dit que Dieu ne les abandonnerait pas s'ils invoquaient son assistance. A la fin, il leur parla encore de leur attachement à leurs maisons et à leurs biens, et les exhorta, puisqu'ils croyaient à son enseignement, à quitter les occasions de pécher dans lesquelles ils vivaient parmi les païens et à suivre la vérité en s'établissant dans la terre promise, parmi leurs frères. La Judée, disait-il, était assez grande pour les recevoir et les nourrir pour peu qu'ils consentissent à vivre d'abord sous la tente. Il valait mieux tout quitter que de perdre son âme ; mais ils commettaient le péché d'idolâtrie envers leurs belles maisons, leurs biens et leurs aises. Pour que le royaume de Dieu vînt à eux, il fallait qu'ils allassent au-devant de lui. Ils avaient tort de mettre leur confiance en ces belles et solides demeures qu'ils possédaient dans un pays riant ; car la main de Dieu saurait bien les y atteindre ; ils en seraient tous chassés et leurs habitations détruites. Il savait bien que leur vertu n'était qu'une vaine apparence et qu'il n'y avait au fond que tiédeur et recherche d'eux-mêmes. Ils convoitaient les biens des paiens et cherchaient à les acquérir par l'usure, le commerce, l'exploitation des milles et les mariages : mais ils perdraient un jour tout cela à la fois. Il les mit aussi en garde contre ces mariages qu'ils contractaient avec les païens et où les deux parties devenaient indifférentes à leur foi, ne s'unissant que pour l'or et l'argent, pour avoir plus de liberté et satisfaire leurs convoitises sensuelles. Tous furent très frappés et très ébranlés et plusieurs le prièrent de leur accorder le lendemain quelques moments d'entretien. 25 mai .--Aujourd'hui Jésus jusqu'assez tard dans la nuit a visité plusieurs maisons, dont il a consolé, exhorté et réconcilié les habitants. Il reçut aussi la visite de deux femmes qui avaient des enfants illégitimes qu'elles élevaient chez elles. Elles s'accusèrent elles-mêmes : sur quoi Jésus fit venir leurs maris, réconcilia les époux et les unit de nouveau. Les enfants furent adoptés et bénis par les maris sans qu'on leur fit connaître pourquoi se faisait cette cérémonie. Beaucoup d'autres personnes vinrent chercher des consolations auprès de Jésus, par suite de l'exhortation qu'il leur avait faite la veille pour les engager à quitter le pays des paiens. Sa doctrine leur plaisait beaucoup ; comme Juifs émigrés et relégués si loin de leur peuple, ils se trouvaient très honorés de sa visite ; mais ils ne pouvaient se faire à l'idée de tout quitter pour le suivre. Les Juifs vivaient ici dans la richesse et le bien-être ; ils avaient une ville qu'ils avaient bâtie eux-mêmes, un commerce florissant et une grande part dans le produit des mines. Ils faisaient d'excellentes affaires avec les païens, n'étaient ni vexés par les pharisiens, ni opprimés par Pilate ; leur situation matérielle était très avantageuse, mais ils étaient très exposés à contracter des alliances avec les païens. Il se trouvait dans le voisinage beaucoup de biens et de métairies appartenant à ceux-ci : et les filles païennes épousaient volontiers des Juifs parce qu'ils ne traitaient pas les femmes en esclaves comme les gentils : aussi cherchaient-elles a attirer les jeunes gens par des présents, des coquetteries et des séductions de tout genre. Si elles embrassaient le judaïsme, c'était sans motifs sérieux, par des vues purement humaines, et par elles le relâchement et la tiédeur se glissaient dans les familles. Parmi les nouvelles mariées dont il a été question, il se trouvait plusieurs paiennes. Les Juifs ici ne sont point aussi simples et aussi hospitaliers qu'en Palestine : ils sont plus raffinés et ont bien moins du cachet antique. Comme ils faisaient beaucoup de difficultés quant à leur émigration, Jésus leur rappela que leurs pères aussi avaient possédé des maisons et des champs en Egypte, et qu'ils les avaient abandonnés volontairement et de bon coeur. Il leur confirma encore ce qu'il leur avait dit des malheurs à venir qui les menaçaient dans ce pays. Les disciples, et surtout Barnabé, firent plusieurs tournées dans le voisinage : ils enseignaient les gens du pays et leur donnaient des règles de conduite. Ceux-ci étaient moins timides avec Barnabé et lui adressaient toutes sortes de questions. Il a tout un cercle autour de lui. Mnason n'est pas né en Chypre : ses parents qui sont pauvres sont venus d'un pays éloigné : mais à présent ils habitent l'île de Chypre. Il y a fait ses études qu'il est allé compléter en Palestine où il s'est réuni à Jésus. Les femmes ont, en général, beaucoup de répugnance à adopter les enfants illégitimes de Leurs maris, mais celles d'ici le firent du fond du coeur, et les maris en conçurent une plus grande affection pour elles. Plusieurs hommes aussi donnèrent ce même exemple et bénirent des enfants de leurs femmes dont ils n'étaient pas les pères. Il y eut ainsi des réconciliations solides, et tout scandale fut évité. Ce soir, à une heure avancée, un disciple de Jésus, parent de la veuve de Naim, est arrivé ici, venant de la Palestine. Jésus s'est entretenu avec lui : il apporte des messages des amis de Jésus et des nouvelles de ce qui se passe. Il n'a pas débarqué à Salamine, mais au midi du petit fleuve Poedion, dans le port d'Ammochostus qui. comme je l'ai vu précédemment, est situé près d'une une lieue et demie au midi de Salamine. 26 mai.-- Ce matin, de très bonne heure, Jésus sortit de Mallep avec ses disciples, le disciple de Naïm arrivé hier et les fils de Cyrinus de Salamine qui étaient venus ces jours derniers. Ils étaient à peu près une douzaine de personnes. Jésus se dirigea vers un village de mineurs qui est près de Chytrus, mais en faisant un grand détour. Il remonta quelque temps la vallée de Lanifa, puis il se dirigea au sud, contourna la montagne d'où sort la source voisine de Chytrus et cette ville elle-même, et marchant à l'est, il arriva à ce village que j'ai mentionné récemment en parlant du grand détour qu'il fit autour de Chytrus, lorsqu'il partit du village des abeilles en compagnie de beaucoup de personnes. Il fit ainsi sept lieues de chemin, se reposant ça et là : il s'arrêta aussi sur la route, près de quelques ouvriers et parla de la nécessité de frayer la voie vers le bien. Jésus avait été invité à visiter ce village de mineurs par la famille de Barnabé et par plusieurs habitants de Chytrus, parce que les mineurs juifs y célèbrent demain une fête et reçoivent de leurs maîtres des présents et leur part de la moisson. Jésus fit un détour pour pouvoir parler à ses disciples sans être dérangé et pour ne pas arriver de trop bonne heure dans cet endroit. Il se fit rapporter par le disciple de Naïm tout ce que celui-ci était chargé de lui dire : car, bien qu'il n'ignorât rien : il avait coutume de ne pas le laisser voir pour ne pas gêner ceux avec lesquels il vivait. Le disciple était parti de Jérusalem pour Naïm le jour d'avant la Pentecôte, après que le peuple eut porte ses offrandes au temple et après l'émeute provoquée par Pilate : de Naïm, il s'était rendu par Nazareth à Ptolémaïs et de là en Chypre. Il raconta à Jésus que sa mère et les autres saintes femmes, Jean et quelques autres disciples, avaient fêté tranquillement la Pentecôte à Nazareth, que sa mère et ses amis se rangeaient à son souvenir et le priaient de vouloir bien prolonger un peu son séjour dans l'île de Chypre, afin de laisser aux esprits le temps de se calmer à son sujet. Les pharisiens disaient déjà qu'il s'était enfui. En outre, Hérode avait voulu le mander à Machéronte sons prétexte de lui parler des détenus délivrés à Thirza (voir tome IV, page 123), mais dans le fait son dessein était de le mettre en prison comme Jean. Là-dessus la guerre était survenue et Hérode s'était éloigné. Comme il était de retour maintenant, ils priaient Jésus de ne pas revenir encore. Jésus déclara qu'il n'en pouvait pas être ainsi et qu'il reviendrait quand le temps serait venu. Le disciple raconta ensuite l'émeute provoquée par Pilate la veille de la Pentecôte, lorsque le peuple eut porté ses offrandes au temple. Malheureusement deux amis de Jésus, employés au service du temple et parents de Zacharie, s'étaient trouvés par hasard dans la mêlée et y avaient péri. Jésus le savait déjà et cela l'avait rendu triste depuis deux jours. Mais la nouvelle l'attrista de nouveau beaucoup ainsi que les disciples. Pilate s'était dirigé vers la ville le soir d'auparavant, et il s'était arrêté avec quelques troupes dans un château situé à quelque distance de la route de Joppé : c'était près de là que l'un des larrons du Calvaire s'était livré à ses brigandages. Pilate voulait s'emparer de l'argent des offrandes de la fête pour pourvoir aux frais de la construction d'un aqueduc : il avait fait attacher aux colonnes placées devant les entrées du temple, des tables de bronze où était gravée, sous le buste de l'empereur, une inscription qui réclamait cette contribution. La vue de ces images avait fort irrité le peuple, et les Hérodiens soulevèrent, au moyen de leurs agents, une troupe de Galiléens du parti de Judas de Gaulon, lequel avait été tué dans la dernière émeute. Hérode qui était secrètement à Jérusalem était informé de tout. Le soir, cette populace, transportée de fureur, arracha les tables de bronze, mutila et outragea les images, et en jeta les débris devant le prétoire sur la place du marché, en criant : " Voilà votre argent des offrandes " ! Ensuite ils se dispersèrent, et ce qu'ils avaient fait ne fut pas trop blâmé. Mais lorsque le lendemain matin ils voulurent sortir du temple, ils trouvèrent toutes les issues occupées par des gardes qui voulaient avoir l'argent réclamé par Pilate : comme ils résistaient et cherchaient à s'ouvrir un passage, des soldats déguisés se précipitèrent au milieu d'eux et les poignardèrent. Il y eut alors un tumulte effroyable : et deux employés du temple étant accourus au bruit furent aussi mis à mort. Mais les Juifs se défendirent et repoussèrent les soldats jusque dans la forteresse Antonia. Il ne périt pas à beaucoup près autant de monde que la fois précédente. Hérode a éprouvé un échec signalé en Arabie ; sa méchante femme se tient cachée à Hésébon, au delà du Jourdain, et il se trouve dans ce pays un grand nombre de soldats revenus de l'expédition d'Arabie. Le dessein qu'avait formé Hérode de s'emparer de Jésus, a été divulgué aux amis du Sauveur venus d'Hébron, par ces gens de Machéronte qui leur avaient permis de chercher la tète de Jean-Baptiste. Sur la route, Jésus s'entretint longuement avec les disciples des habitants de Mallep de leur attachement aux biens de ce monde et à leurs maisons : il dit combien ils trouvaient dur le conseil de se rendre en Palestine. Il parla aussi des philosophes paiens qui devaient le suivre et dit aux disciples comment ils devaient se comporter à leur égard quand ils les auraient pour compagnons. Il fit cela parce qu'ils ne paraissaient pas bien s'entendre avec ces philosophes et qu'ils se scandalisaient un peu à leur sujet. Vers le soir, ils arrivèrent au village des mineurs, à une demi lieue de Chytrus. Il est situé dans le voisinage des mines, autour d'une masse de rochers élevés à laquelle beaucoup d'habitations sont adossées. Au dessus de ces rochers sont quelques jardins, et au milieu, dans une enceinte d'arbres touffus, un monticule artificiel du haut duquel se fait la prédication. On arrive par des degrés à cette haute plate-forme, d'où l'on domine le village qui est entouré de quelques autres jardins et d'emplacements découverts. Jésus descendit dans une espèce d'hôtellerie où demeure l'inspecteur qui a ces ouvriers sous ses ordres, qui leur paie leur salaire et pourvoit à leur entretien. Ces gens le reçurent avec beaucoup de joie. Toutes les entrées du village et la maison de l'inspecteur étaient déjà décorées pour la fête avec des arcs de triomphe en feuillage et des guirlandes de fleurs. Ils conduisirent Jésus et les siens dans la maison, lui lavèrent les pieds et lui offrirent à manger. Il alla ensuite avec eux au monticule qui était au haut des rochers. Il s'y assit et la foule s'étendit sur l'herbe autour de lui. Alors il leur parla du bonheur que procurait la pauvreté et du travail : il leur dit combien ils étaient plus heureux que les riches Juifs de Salamine, parce qu'il n'y avait de riche devant Dieu que l'homme vertueux, et combien ils étaient moins exposés à tomber dans le péché. Il dit aussi qu'il venait à eux pour montrer qu'il ne les méprisait pas et qu'il les aimait, etc. Il enseigna jusqu'à la nuit et raconta des paraboles ; il traita aussi de l'oraison dominicale. La fête que les paiens célébraient à Salamine dura trois jours : c'est une fête funéraire en mémoire de quelques paiens meilleurs que les autres, qui avaient fait supprimer les sacrifices sanguinaires d'enfants mal conformés ; elle a aussi pour but de soulager les âmes des victimes de ces sacrifices. On place des coussins pour que ces âmes puissent s'y reposer, et on dépose des fruits près des urnes où sont leurs cendres et leurs ossements. Les païens ont horreur des enfants difformes, et on les relègue dans des maisons à part. Mercuria a eu un enfant de cette espèce. En général, ils ont de la répugnance pour tout ce qui n'est pas beau, bien fait et agréable à voir, et ils cherchent à jeter un voile sur tous les défauts corporels et sur la mort elle-même. 27 mai.-- Dès hier soir, on avait fait venir, de Chytrus, au village des mineurs, des vêtements, des provisions de bouche et du blé : ce matin, le père et le frère de Barnabé y arrivèrent, ainsi que plusieurs habitants notables de Chytrus, des propriétaires de mines et aussi quelques rabbins. Ils visitèrent Jésus dans la matinée, puis ils allèrent en divers endroits du village où l'on avait porté les objets qui devaient être donnés et où le peuple s'était rassemblé. On distribua aux ouvriers des boisseaux de blé, de grands pains d'environ deux pieds carrés, du miel, des fruits, des cruches pleines, des pièces d'habillement en cuir dont les mineurs faisaient usage, des couvertures et des objets de toute espèce. Les femmes reçurent aussi leur part, où je remarquai des pièces d'une étoffe épaisse, d'une aune et demie en carré, qui semblent être des tapis. Je crois qu'elles s'en servent pour envelopper leurs pieds ou pour garnir leurs chaussures, mais je ne m'en souviens plus bien. Pendant la distribution, Jésus et les disciples étaient présents ; sur divers points ils enseignaient et donnaient des avis. Ensuite Jésus, étant monté sur le monticule qui est au-dessus des rochers et autour desquels tout le monde se rassembla, fit une instruction sur les ouvriers de la vigne, sur le bon Samaritain, sur la reconnaissance, sur les bénédictions attachées à la pauvreté, sur le pain quotidien, et sur l'oraison dominicale. Après quoi ces gens prirent un repas en plein air sous le feuillage, et Jésus, les disciples et d'autres personnes de distinction les suivirent. Je vis aussi Jésus guérir plusieurs mineurs qui avaient des meurtrissures ou des blessures aux mains, aux bras ou aux jambes. Ces gens avaient des enfants des deux sexes qui jouèrent de la flûte et chantèrent. Après le repas, ils se livrèrent à toute sorte de jeux enfantins, sans que les hommes et les femmes fussent séparés. On courait, on sautait, on cherchait quelque chose les yeux bandés : c'étaient des divertissements qui ressemblaient beaucoup à ceux dont les enfants s'amusent chez nous. Il y eut aussi des danses où ils défilaient les uns devant les autres en s'inclinant : après quoi, ils formaient une ronde Le soir, Jésus alla se promener du côté des mines avec une dizaine de petits garçons âgés de sept à huit ans. Ces enfants n'avaiel1t qu'un linge autour des reins. Ils avaient des guirlandes de laine ou de plumes à la ceinture ou sur la poitrine. Ils paraissaient très aimables. Ils montrèrent à Jésus, d'une façon très naive, tous les endroits où la mine rendait beaucoup, et ils lui racontèrent tout ce qu'ils savaient. Jésus leur parla avec beaucoup de bonté, faisant des applications à tout ce qui les concernait. Souvent il leur donnait des énigmes à deviner et leur racontait des paraboles. Ce matin encore, je me souvenais de tout cela, mais je l'ai oublié depuis, parce qu'on m'a dérangée. C'était un charmant spectacle. Jésus fit ensuite une autre instruction en présence des disciples et des notables. Bien que ces mineurs fassent sous terre des travaux très salissants, ils sont en général d'une grande propreté dans leurs maisons et dans leurs habits de fête. Cette nuit, je vis les sept philosophes de Salamine s'embarquer pour Berythus : ils voulaient éviter Sidon ou Tyr, parce qu'ils y étaient trop connus. Ils iront de là à l'est, au delà du Liban, puis ils se dirigeront au midi vers Gessur où Jésus a récemment baptisé beaucoup de païens. Ils y séjourneront jusqu'à ce qu'il leur donne une autre destination, peut-être s'y feront-ils circoncire. Le disciple de Naim n'ira pas à Citium, mais plus à l'est, à peu de distance des mines de sel, près d'un bâtiment qui s'avance assez loin dans la mer sur une langue de terre. Nathanaël le fiancé et le fils du centurion de Capharnaun1 sont venus le rejoindre là : il doit les prendre avec lui et les mener à Jésus. 28 mai.-- Aujourd'hui de très bonne heure, Je vis Jésus avec ses disciples accompagner le disciple de Naim jusqu'au port où le Seigneur s'embarquera plus tard pour retourner en Palestine. Ils allèrent au midi, une lieue environ plus à l'ouest que le chemin sur lequel Jésus, venant de Salamine, s'est entretenu avec les Arabes voyageurs. Ils laissèrent à leur droite la glande ville de Tremithus qui est située sur une montagne, à une plus grande élévation que Chytrus : mais on ne peut pas la voir parce qu'elle est masquée par une autre montagne. Ils firent bien cinq lieues pour accompagner le disciple. Un groupe allait en axant, un autre suivait ; Jésus était le plus souvent entre les deux, tantôt avec le disciple, tantôt avec quelques autres. Il s'entretint longuement avec le disciple, et lui donna plusieurs commissions pour sa mère et pour les apôtres. Il va dans la contrée où sont les mines de sel, près de Citium. Le port, ici, n'est pas si éloigné de la ville qu'à Salamine : la mer s'avance à une grande distance dans les terres, et l'on croirait que la ville est entourée d'eau de tous côtés. A peu de distance, s'élève une très haute montagne. Il y a aussi une mine de sel gemme dans le voisinage. A l'endroit où abordent les navires, il n'y a que des petits bâtiments et des flûtes : on y voit aussi flotter beaucoup, de bois de construction. Je suis portée à croire que Jésus partira d'ici pour la Syrie sur un petit navire. Il débarquera à Sykamine, et se rendra de là à Misaël où se trouve maintenant Barthélémy avec Judas et quelques autres. Je crois qu'il ira ensuite à Capharnaum. Pendant la fête, Jean était à Nazareth auprès de Marie et des saintes femmes. Il est allé de là à Saphet avec André qui était venu de Capharnaum au-devant de lui. Ils visitèrent dans la montagne différents endroits où ils n'étaient pas encore allés. Nathanaël-khased aussi est maintenant avec eux. Thomas est avec les disciples qui l'accompagnent, dans les environs de Gaza ; Simon et Thaddée dans la Judée, près de Maspha : Pierre et Jacques le Majeur de l'autre côté de la mer de Galilée, près de Dalmanutha. Avec eux est le disciple qu'on appelle le petit Jacob. Il est allié à la famille de Jésus par un frère de sainte Anne ou de saint Joseph, si je ne me trompe. J'en ai du reste déjà fait mention une fois, et je crois que son père ou sa mère sont illégitimes. La veuve de Naïm l'a eu chez elle : il a été baptisé à Capharnaum, lors d'un voyage qu'y firent des parents de Jésus : je crois qu'ensuite il est allé sur un navire se joindre à Jacques ; il fait l'office de courrier ou de messager. Tous les apôtres dont je viens de parler, avaient avec eux plusieurs disciples. Aucun d'eux n'était chez lui occupé des travaux de sa profession : ils n'ont pas cessé d'enseigner, de baptiser et de guérir Tout s'est assez bien passé en ce qui les touchait. Le centurion de Capharnaum et d'autres amis leur ont souvent servi d'appui contre les Pharisiens. Je crois que Jésus se réunira à eux dans une douzaine de jours. Jésus et les disciples mangèrent en plein air quelques aliments qu'ils avaient avec eux : le Seigneur donna sa bénédiction au disciple auquel il faisait la conduite : les autres disciples l'embrassèrent et prirent congé de lui. Ils revinrent ensuite au village des mineurs où la famille de Barnabé et plusieurs autres personnes les attendaient. On prit encore là un repas en commun et Jésus enseigna le peuple qui s'était rassemblé autour de l'hôtellerie. Un enfant mal conformé, que Mercuria avait mis au monde à la suite des abominables orgies du temple, avait été immolé dans un sacrifice : ce spectacle était toujours présent à sa mémoire, et cela avait été une des causes de sa conversion. Ces sacrifices d'enfants de cette espèce avaient été continués en secret quoiqu'ils eussent été interdits par l'autorité publique. Mais le gouverneur actuel de Salamine avait fini par les abolir complètement, et cette fête des morts, en mémoire des victimes immolées et de ceux qui avaient les premiers travaillé à abolir les sacrifices humains, avait été renouvelée par lui, à l'instigation de Mercuria, qui avait eu antérieurement des relations coupables avec lui. On apporta des coussins pour les âmes des enfants, et l'on offrit pour eux à la déesse des holocaustes d'oiseaux. Mercuria, accompagnée de ses filles, pleura amèrement dans le caveau où était l'urne de son enfant : elle était dévorée par le chagrin, le remords, et le désir de changer de vie. Elle fit demander à Jésus si elle pouvait prendre part à la célébration de cette fête. Il lui dit que oui ; mais elle ne sacrifia pas. Le gouverneur s'est embarqué pour Rome aussitôt après le départ de Jésus de Salamine. Il s'est entretenu auparavant avec Mercuria et il a été fort touché en apprenant sa conversion. Il avait à rendre compte de plusieurs choses à Rome, et il avait pris conseil de Jésus à ce sujet : j'ai oublié de quoi il était question. 29 mai .--Ce matin, Jésus, accompagné des disciples, quitta le village des mineurs voisin de Chytrus, et il franchit les montagnes, se dirigeant au nord-ouest, vers le port de Cerynia. Ils laissèrent Mallep à droite, traversèrent une partie de la vallée de Lanifa, et passèrent devant le bourg de Leppé. Jésus se reposa une fois sur le chemin, et il enseigna près d'une éminence couverte de beaux arbres : ils arrivèrent ainsi vers quatre heures de l'après-midi à trois quarts de lieue de Cerynia : ils furent reçus là par la famille de Mnason et par plusieurs autres Juifs dans un jardin servant d'oratoire, qui n'était autre chose qu'un petit bosquet situé dans un enfoncement au pied d'un coteau. Cette famille habite à un quart de lieue, non loin du chemin et à une demi-lieue de Cerynia. Le père de Mnason est un vieux Juif, maigre et courbé, avec une longue barbe, mais très actif et très dispos. Il a encore deux filles et trois fils, un gendre et une bru : ils habitent ici tous ensemble depuis environ dix ans. Auparavant c'étaient des marchands ambulants. Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d'humilité, lavèrent les pieds aux voyageurs dans un bassin, et leur offrirent une réfection. Il y avait là un terrain relevé en terrasse avec des allées d'arbres : c'était pour ces gens comme un oratoire. Jésus enseigna jusqu'au soir sur le baptême, sur l'oraison dominicale et sur les béatitudes. Après cela, le père de Mnason qui s'appelait Moise et les frères de ce disciple menèrent Jésus à leur maison ou quatre enfants, conduits par Mnason, vinrent à la rencontre du Seigneur qui les bénit. La mère et les soeurs de Mnason s'avancèrent, couvertes de leurs voiles, mais restèrent à quelque distance, et Jésus leur adressa la parole. Il y eut ensuite un repas où toute la famille assista. Il eut lieu en plein air, sous des arbres : les maîtres de la maison donnèrent ce qu'ils avaient de meilleur, du pain, du miel, des oiseaux et des fruits pendant encore à de petites branches. Jésus enseigna après le repas. Ils mangèrent sous un long berceau de fouillage qui était revêtu d'écorce d'arbre à l'intérieur, tandis qu'au dehors on ne voyait que de la verdure. Il s'y trouvait une rangée de couches. La mère de Mnason était une femme forte et robuste. Ayant vu les parents de Mnason faire de fréquents voyages, j'avais cru d'abord qu'ils demeuraient dans un pays éloigné, et que lui-même n'était venu en Chypre que pour y faire ses études. Mais voici dans le fait ce qui en est. Moïse, le père de Mnason, est de la tribu de Juda : ses ancêtres avaient oublié leur patrie pendant la captivité de Babylone et n'étaient pas revenus en Palestine. Il avait mené une vie errante, comme conducteur de caravanes : il avait aussi résidé quelque temps en Arabie, du côté de la mer Rouge : mais il y a une dizaine d'années, étant tombé dans la pauvreté, il s'établit dans l'île de Chypre avec sa famille. Ce fut alors que Mnason fréquenta l'école de Mallep : plus tard il alla étudier en Judée où il se joignit à Jésus. Son père vit ici avec ses enfants dont Mnason est le plus jeune ; ils occupent plusieurs cabanes où ils font leur demeure. Ils n'ont pas de champs à cultiver, mais seulement quelques jardins qu'ils ont arrangés derrière leurs habitations avec des massifs de verdure et des arbres fruitiers. Le vieux père ayant été jadis conducteur de caravanes et trafiquant, s'est établi dans ce pays comme hôtelier au service des caravanes de marchands Elles s'arrêtent ici devant Cers nia : Moïse a aussi quelques ânes et quelques boeufs de charge à l'aide desquels il transporte à leur adresse de petits ballots qu'il reçoit de ces caravanes et qui sont destinés à des endroits éloignés de la route. C'est comme un marchand ambulant devenu hôtelier pour héberger des gens de son ancienne profession. Il est pauvre ; cependant lui et les siens pourvoient régulièrement à leur subsistance sans cesser d'observer strictement les usages propres aux Juifs. Il ne vient pas un grand nombre de caravanes de commerce à Cerynia : la route principale mène à Lapithus, qui est à deux lieues de là du côté de l'ouest. 30 mai.-- Ce matin Jésus enseigna encore à l'endroit où il avait enseigné la veille. Il se trouvait là plusieurs Juifs de Cerynia et des gens faisant partie d'une petite caravane qui était arrivée récemment. Ceux-ci furent singulièrement réjouis de trouver là Jésus, car ils l'avaient déjà entendu près de Capharnaum et ils avaient reçu le baptême. Il parla aujourd'hui avec beaucoup de force contre l'usure et la passion, par le trafic avec les païens de s'enrichir : il traita en outre du baptême, de l'oraison dominicale et des béatitudes. A midi, il y eut un repas en commun : Jésus se mit à peine à table : la plupart du temps il servit les convives ou fit le tour des tables en enseignant. La seule des soeurs de Mnason qui fût mariée ne se montra pas : sa petite fille était morte l'avant-veille. Elle resta assise près du corps, enveloppée dans ses vêtements tic deuil et pleurant. L'enfant n'avait pas pu être enterrée la veille, par suite de je ne sais quel empêchement. La mère attendait aujourd'hui vers quatre heures les rabbins de Mallep qui devaient enlever le corps, car c'était là qu'était leur cimetière. L'enfant, déjà assez grande, avait toujours été maladive : elle ne pouvait pas encore parler couramment ni marcher, mais elle comprenait tout et Mnason qui était déjà venu ici plusieurs fois avait parlé d'elle à Jésus. Jésus lui avait dit qu'elle mourrait bientôt, et lui avait montré comment il devait la préparer à la mort. Mnason s'était pieusement acquitté de ce devoir pendant l'absence de la mère. Il avait inculqué à l'enfant la foi au Messie avec le sincère repentir de ses péchés et l'espérance du salut. Il avait prié avec elle, et lui avait fait des onctions avec de l'huile bénie par Jésus, en sorte que l'enfant avait fait une très bonne mort. Je la vis auprès de sa mère, couchée dans une espèce de bière en forme d'auge, elle était emmaillotée comme une pourpre : le linceul était rabaissé sur son visage comme un capuchon. Elle avait sur la tête une petite couronne de fleurs et des paquets d'herbes étaient entassés près d'elle. Ses bras et ses mains étaient aussi enveloppés, on pouvait pourtant les distinguer : dans le bras était une baguette blanche à l'extrémité de laquelle était attaché un bouquet où figurait un gros épis de blé, quelques feuilles de vigne, une petite branche d'olivier, une rose et d'autres végétaux du pays. Plusieurs femmes vinrent visiter la mère et pleurer avec elle ; elles déposèrent dans la bière, à côté de l'enfant, des jouets de toute espèce, deux petites flûtes, un petit cor recourbé, un tout petit arc avec sa corde tendue et une petite baguette en guise de flèche passant dans une rainure. On avait en outre placé le long de chaque bras un bâtonnet qui semblait doré, terminé par un bouton. C'était presque comme des baguettes de tambour (peut-être un instrument pour tricoter, tisser ou filer). Lorsque les rabbins vinrent pour enlever le corps, on ne cloua pas le léger couvercle du cercueil ; on l'attacha seulement avec une bande d'étoffe. Quatre hommes le portèrent entre eux sur des bâtons. On portait aussi au bout d'une perche une lampe allumée dans une espèce de lanterne de corne ; une foule nombreuse où se trouvaient beaucoup d'enfants, se pressait autour du cercueil. Jésus, les disciples et d'autres personnes se tenaient devant la maison pendant que le cortège passait ; Jésus consola la mère et les membres de la famille et il enseigna sur la résurrection. Tous allèrent ensuite à Cerynia pour le sabbat. Cerynia a trois rues aboutissant à la mer : celle du milieu est fort large et ces trois rues sont coupées par deux autres. Du côté de la terre, la ville est entourée d'un épais rempart dans lequel sont pratiquées à l'extérieur les habitations de la population juive, peu nombreuse d'ailleurs, et qui par conséquent demeure hors de la ville ; toutefois, ces habitations elles-mêmes sont aussi entourées d'une muraille. Les Juifs habitent donc ici entre deux murs de la ville, séparés de la Cerynia païenne où il y a une dizaine de temples ou de lieux consacrés aux idoles. Les Juifs sont en petit nombre ; ils ne sont pas précisément riches, toutefois, tout est bien tenu chez eux. Ils ont un bâtiment qui renferme à la fois une école, une synagogue et des logements pour les maîtres et les rabbins. Cet édifice est élevé avec un étage supérieur. Ils ont aussi une belle fontaine d'eau vive empruntée à une autre source et qui alimente deux réservoirs, l'un où l'on puise l'eau que l'on boit, l'autre, situé dans un joli jardin et qui sert à prendre des bains. Je crois qu'on baptisera dans celui-ci. Les maîtres reçurent Jésus à l'entrée de la rue avec beaucoup de marques de respect : ils le conduisirent à l'école, puis après la bienvenue accoutumée, à la synagogue où sept malades s'étaient fait porter sur de petites litières pour entendre son instruction. Il y avait bien en tout une centaine de personnes. On lut des chapitres de l'Exode (I-IV, 21) racontant le dénombrement des Israélites et donnant diverses généalogies, ainsi que des passages du prophète Osée (Os.I,10 ; II, 21), contenant des invectives véhémentes et de terribles menaces contre l'impureté et l'idolâtrie. Il s'y trouvait un endroit où Dieu commande à Osée d'épouser une prostituée et de donner certains noms aux enfants nés de ce mariage. Ils interrogèrent Jésus à ce sujet, et il leur donna des explications. Il leur dit que le prophète devait représenter dans sa personne et dans ses actes ce qui était advenu de l'alliance de Dieu avec la maison d'Israël, et que les noms donnés aux enfants devaient exprimer les châtiments décrétés par Dieu. Il dit encore que souvent, par l'ordre de Dieu, des justes devaient contracter des unions avec des pécheurs pour arrêter la propagation d'une race pécheresse. Ce mariage d'Osée avec la femme de mauvaise vie et les noms divers donnés aux enfants nés de cette union sont des témoignages des tentatives répétées de la miséricorde de Dieu et de la persistance des crimes. J'ai oublié l'ensemble de ce qui fut dit à cet égard. Jésus prêcha avec beaucoup de véhémence, il exhorta au baptême et à la pénitence ; il parla de l'approche du royaume de Dieu, du châtiment réservé à ceux qui le repoussaient et de la ruine de Jérusalem. Il y eut dans la prédication de Jésus quelques interruptions pendant lesquelles les malades crièrent à plusieurs reprises : " Seigneur ! nous croyons à votre enseignement, mais, Seigneur, secourez-nous " ! Lorsqu'ils virent qu'il se disposait à quitter la synagogue, ils se firent porter d'avance dans le parvis ou on les rangea sur deux lignes, et ils invoquèrent Jésus en ces termes : " Seigneur, faites pour nous ce que vous pouvez ! Seigneur, exercez sur nous le pouvoir qui vous est donné ". Jésus ne les guérit pas sur-le-champ, mais comme les rabbins aussi intercédèrent pour les malades, il dit à ceux-ci : " Que puis-je faire pour vous " ? Ils répondirent : " Seigneur, délivrez-nous de notre maladie ! Seigneur, guérissez- nous " ! -- Croyez-vous que je puisse faire cela pour vous ? demanda Jésus, et tous les assistants s'écrièrent : " Oui, Seigneur, nous croyons que vous le pouvez ". Alors Jésus ordonna aux rabbins de prendre les livres de prière et de prier avec lui sur ces malades Ils prirent les livres et prièrent. D'autre part, Jésus commanda aux disciples d'imposer les mains aux malades, et ils leur imposèrent les mains, à celui-ci sur les veux, à celui-là sur la poitrine, et ainsi de suite. Jésus leur demanda encore : " Croyez-vous et voulez-vous être guéris " ?--" Oui, Seigneur, répondirent-ils, nous croyons que vous nous guérirez ". Alors Jésus dit : "Levez-vous ! votre foi vous a guéris " ! Et tous les sept se levèrent et rendirent grâces à Jésus, qui leur ordonna de se baigner et de se purifier. Quelques-uns d'entre eux avaient eu le corps très enflé par hydropisie : leur maladie disparut, mais ils restaient encore faibles et se retirèrent appuyés sur leurs bâtons. Je ne sais plus bien pourquoi Jésus ici mit quelques différences dans sa manière de procéder et fit prier les rabbins avec lui. Ce fut peut-être parce que c'étaient des Juifs rigoureux observateurs du sabbat, ou bien parce qu'il voulut leur apprendre quelle était la vertu de la prière. J'ai vu plusieurs fois dans l'île de Chypre, à Chytrus, à Mallep et à Salamine, Jésus guérir les malades de cette manière, en ordonnant aux rabbins de prier avec lui et à ses disciples d'imposer les mains. Comme ces rabbins et ces docteurs étaient des hommes de bonne volonté, il les faisait participer aux guérisons comme des disciples et leur inspirait ainsi de la confiance. Jésus avait adopté ici ce nouveau mode de guérison, pour les préparer à l'action de ses disciples et aussi parce qu'il se trouvait un bon nombre de rabbins parmi les cinq cent soixante dix Juifs qu'il gagna à lui dans l'île de Chypre. Tel fut le nombre de ceux qui quittèrent ce pays pour suivre Jésus, il l'a dit plus tard à ses disciples. Jésus retourna avec les siens et les rabbins chez Moïse où ils prirent encore quelque nourriture, et Jésus enseigna, se provenant de long en large. 31 mai .--Ce matin, vers neuf 1ieures, une cinquantaine de Juifs, parmi lesquels les sept vieillards guéris la veille, vinrent de Cerynia au jardin voisin de la maison de Moïse et ils y reçurent le baptême. L'eau y venait d'une source voisine, car la maison de Moïse était placée sur un point assez élevé où il n'y avait pas de fontaine : il avait son réservoir dans cet autre endroit ; c'était un grand bassin de cuivre, si je ne me trompe ; il était enfoncé dans la terre et entouré d'un petit fossé taillé dans le roc qui avait son écoulement dans une auge de pierre ; l'eau de ce bassin était très limpide. Ils faisaient leur lessive dans le fossé où ils se lavaient aussi les pieds. L'auge de pierre leur servait pour faire boire le bétail et pour arroser. Les néophytes s'y placèrent les pieds nus, comme d'ordinaire, et on les baptisa avec de l'eau du bassin. Jésus enseigna d'abord sur le tertre destiné à la prédication, qui était très bien disposé et dans une situation agréable : il traita de la pénitence et de la purification par le baptême. Les hommes avaient de longs vêtements blancs, des manipules et des ceintures où étaient brodées des lettres. Outre les sept malades guéris, on baptisa huit autres néophytes, ce qui faisait quinze en tout. Les autres avaient déjà reçu le baptême à Mallep. Plusieurs s'entretinrent particulièrement avec Jésus et confessèrent leurs péchés. Jésus leur dit dans son instruction qu'ils devaient mettre à profit le moment de la grâce et accomplir la loi d'après les prophètes, mais non s'en faire les esclaves, car la loi avait été faite pour eux et non pas eux pour la loi. Elle leur avait été donnée comme moyen de mériter la grâce. Parmi ceux qui devaient être baptisés se trouvaient les frères et le beau-frère de Mnason. Quant à Moïse, son père, c'était un vieux Juif, pieux, mais un peu entêté, et il ne voulait pas s'y prêter. Mnason avait déjà fait des efforts inutiles pour lui faire entendre raison, et Jésus lui en parla encore aujourd'hui, mais le vieillard s'obstina, et rien ne put le faire changer d'idée. Il haussait les épaules, secouait la tête et trouvait toutes sortes de prétextes pour s'y refuser. Il mettait surtout en avant la circoncision à laquelle il voulait s'en tenir. Je ne me souviens plus bien de toutes les raisons qu'il alléguait. Mnason en était tellement affligé qu'il en pleurait ; mais Jésus le tranquillisa et lui dit, entre autres choses, que c'était par suite de son grand âge que son père était si attaché à ses idées, que, du reste, il avait toujours vécu pieusement et qu'il déplorerait son erreur dans un autre lieu où ses yeux s'ouvriraient. Jésus bénit encore l'eau baptismale et il y versa de l'eau du Jourdain. Ce qui en resta après le baptême fut soigneusement recueilli et enfoui dans la terre. Pendant le baptême, Jésus alla sur le coteau qui s'élevait derrière l'endroit où il avait prêché. Il y avait la un beau jardin avec des berceaux de feuillage et beaucoup d'arbres fruitiers où l'attendaient trente ou quarante Juives. Elles étaient voilées et s'inclinèrent profondément devant lui. Beaucoup d'entre elles a, aient des consolations à lui demander : il alla avec elles sous un berceau ou se promena à côté d'elles de long en large. Plusieurs des plus âgées parmi ces femmes étaient dans une grande anxiété à l'idée que leurs maris allaient les abandonner pour suivre Jésus et les laisseraient sans appui et sans ressources Elles le prièrent d'engager leurs maris à ne pas les quitter. Jésus les consola : il leur dit qu'elles ne seraient point délaissées, et que si leurs maris le suivaient, elles aussi les accompagneraient en Palestine et y trouveraient leur subsistance. Il leur cita l'exemple des saintes femmes et leur représenta qu'elles vivaient dans un temps ou il ne s'agissait pas de mener une vie commode et paisible, mais d'aller au-devant du royaume de Dieu qui s'approchait et de recevoir l'époux céleste. Il leur raconta en outre la parabole de la drachme perdue et celle des vierges sages et des vierges folles. Il y avait aussi des jeunes femmes qui venaient en pleurant porter des plaintes contre leurs maris. Elles voulaient qu'il les avertît de n'avoir pas de rapports avec les filles des païens, lui qui avait parlé si fortement à propos des exhortations du prophète Osée contre les relations coupables avec les gentils. Ne pouvait-il donc pas donner des avertissements à leurs maris ?--Ces femmes avaient quelques griefs réels, mais pour la plupart elles étaient en proie à la jalousie. Jésus les consola et Leur demanda comment elles-mêmes se comportaient vis-à-vis de leurs maris. Il leur recommanda la douceur, l'amour de l'ordre, l'humilité, la patience, l'obéissance, l'affabilité, la diligence et les exhorta à s'abstenir de plaintes, de commérages, de murmures et de taquineries. Il passa bien deux heures à tenir des discours de ce genre. Il y eut ensuite un repas en commun pour les néophytes et pour d'autres personnes : tous y apportèrent leur contribution. La partie féminine de la famille était dans la maison de la femme dont l'enfant était mort ; cette maison était fermée et des lampes étaient allumées à l'intérieur. Ces femmes n'étaient pas allées dans le jardin avec les autres. Jésus et les disciples servirent à table presque tout le temps au lieu de prendre place parmi les convives. Jésus bénit les mets et raconta des paraboles. Après le repas, tous allèrent à la synagogue de Cerynia, où Jésus fit la clôture de l'instruction du sabbat et parla avec beaucoup de force sur les textes d'Osée ; mais il s'attacha plus à ce qui concernait le peuple que Dieu s'était choisi qu'a ce qui touchait ceux que le Seigneur rejetait. Il prit congé de ses auditeurs qu'il bénit tous, puis il passa par la maison de Moïse où il fit ses adieux. et prit avec ses disciples le chemin direct de Mallep. |