CHAPITRE ONZIEME. Jésus à Jérusalem. Dernières semaines avant la Passion. Jésus va de Béthanie à Jérusalem.-Grande instruction dans le Temple. -veille du dimanche des Rameaux.-Entrée solennelle de Jésus à Jérusalem. -Madeleine verse sur lui des parfums. -Jésus chasse les vendeurs du Temple.-Madeleine verse de nouveau sur lui un onguent parfumé.-Débuts de la trahison de Judas-Prédication véhémente contre les Pharisiens.-Instruction chez Lazare.-Le denier de la veuve.-Jésus parle de la destruction du Temple.-Dernière instruction de Jésus dans le Temple.-Dernier hommage que lui rend Madeleine.-Appendice. Remarque de l'éditeur. Le dimanche de la Septuagésime (en 1821, il tombait le 3 février), commençait chaque année pour Anne Catherine, un état de souffrance tout particulier qui se prolongeait jusqu'au dimanche de Pâques. Elle était en proie à un délaissement intérieur et à une sécheresse qui allaient toujours en augmentant jusqu'à la privation la plus absolue de toute consolation : elle se trouvait ainsi livrée sans aucun secours à toutes les tribulations intérieures et extérieures, à toutes les maladies et les douleurs dont elle s'était chargée, à toutes les souffrances et les pénitences expiatoires qui lui étaient imposées, en même temps qu'elle était privée de toute assistance sensible et fortifiante de la grâce. Ces souffrances lui étaient ordinairement montrées d'avance par Dieu dans une vision symbolique afin que, les acceptant librement et volontairement, elle pût lui offrir un sacrifice d'autant plus agréable. Cette année (1821) voici ce qu'elle raconta au Pèlerin : " Le vendredi d'après la septuagésime, mon fiancé m'a revêtue d'un nouveau vêtement noir tout couvert de croix. Il m'a présenté en outre une croix comme il le fait ordinairement et m'a demandé de la manière la plus affectueuse si je ne voulais pas accepter encore celle-là, disant qu'il se rencontrait si peu de personnes qui voulussent souffrir quand il y avait tant de péchés à expier et tant de gens a assister. Alors j'acceptai tout avec résignation et il me fut dit que je porterais ce fardeau pendant dix semaines, et qu'ensuite je serais secourue : que je pouvais être réduite à la dernière extrémité par le manque d'intelligence des personnes qui m'entourent, mais qu'il fallait souffrir tout cela patiemment. Depuis que je porte cet habit, tout me blesse, tout me transperce ; je ils dans tous les coeurs, je vois toutes les impressions, j'entends et je vois tout ce que l'on dit de moi, et c'est un martyre d'enfer ". Qu'on ajoute à tout cela l'irrésolution et les hésitations d'un confesseur inquiet et scrupuleux, qui seul aurait pu lui servir d'appui dans une telle complication de souffrances, et l'on comprendra facilement que, pendant ces deux semaines, le Pèlerin n'ait pu obtenir d'elle des communications plus étendues que celles qui sont consignées dans les fragments suivants ; on reconnaîtra aussi au prix de quelles peines et de quelles fatigues l'écrivain et la narratrice pouvaient sauver ces faibles débris d'un tel océan d'amertume. 15 février.-- Ce soir, le Seigneur alla de Béthanie au temple ; sa mère l'accompagna à quelque distance : il la prépara à sa Passion, et lui dit que le moment approchait où allait s'accomplir pour elle la prédiction de Siméon sur le glaive qui devait traverser son âme ;il lui annonça qu'on le trahirait sans miséricorde. qu'on se saisirait de lui, qu'on le maltraiterait, qu'on le livrerait au supplice comme un malfaiteur, et qu'elle serait forcée de voir tout cela. Jésus parla très longtemps a sa mère sur ce sujet, quant à elle, elle ne pouvait pas se figurer que cela fût possible. Jésus a passé la nuit dans la maison de Marie, mère de Jean Marc, située à un quart de lieue environ du temple, et qui est pour ainsi dire devant la ville. 16 février.-- Aujourd'hui, quand les Juifs furent sortis du temple, Jésus y enseigna publiquement et parla avec beaucoup de force. Tous les apôtres étaient à Jérusalem, et ils se rendirent au temple chacun de leur côté. Jésus enseigna dans une salle circulaire pleine de sièges et entourée de gradins où s'asseyaient IPS auditeurs : c'était l'endroit même où il avait parlé à l'âge de douze ans. Beaucoup de personnes s'y étaient rassemblées. On peut dire que sa Passion a déjà commencé, car son âme est en proie à une tristesse mortelle à cause de la perversité des hommes. Il passa la nuit dans l'hôtellerie qui est en avant de la porte de Bethléem, celle où Marie s'arrêta lorsqu'elle vint le présenter au temple. 17 février.-- Aujourd'hui Jésus enseigna de nouveau dans le temple, et j'entendis son instruction. Ensuite il alla encore loger dans la maison qui est devant la porte de Bethléhem. Il y avait là plusieurs chambres les unes à côté des autres, avec un homme qui en prenait soin. Le Seigneur, lorsqu'il alla au temple, n'était accompagné que de Pierre, de Jean et d'un autre apôtre qui avait les cheveux noirs : c'était Jacques, si je ne me trompe ; les autres vinrent séparément. Il n'enseigna que lorsque les Pharisiens eurent fini La chaire était posée sur des degrés et entourée d'un grillage ; des sièges, disposés en amphithéâtre, s'élevaient tout autour. Les Pharisiens vinrent une fois l'écouter. Il y avait beaucoup de disciples dans la ville. Les apôtres et les disciples logeaient, pour la plupart chez Lazare, qui était revenu dans sa maison, où demeurait aussi Marie. 19 février . Aujourd'hui, je vis le Seigneur enseigner dans le temple dès le matin ; il n'en sortit pas quand midi fut venu : mais, vers trois heures, il alla à Béthanie. Les femmes vinrent au devant de lui. 20 février.-- Ce matin j'ai vu le Seigneur, allant à Jérusalem, passer par Bethphagé. Les apôtres et les disciples logeaient, les uns à Béthanie, les autres à Jérusalem. Nicodème, Joseph d'Arimathie, les trois fils de Siméon et d'autres disciples secrets de Jérusalem n'assistaient pas ouvertement à ses instructions : ils l'écoutaient, cachés dans des coins, quand les Pharisiens n'étaient pas présents. Il n'y avait jamais que trois apôtres qui l'accompagnassent au temple ; les autres venaient de leur côté. 21 février.-- C'est la première fois depuis vendredi (le 15) que je l'ai entendu prêcher ; ses paroles seules ont relevé mon courage abattu par de grandes angoisses intérieures, des tracas extérieurs et des chagrins de tout genre. Je crois que je m'en rappelle encore quelque chose. (Ici elle se recueillit et dit : " il parla tout le temps d'un champ devenu inculte, où l'on doit travailler avec précaution, de peur d'en arracher, avec les mauvaises herbes, une tige de froment qui doit multiplier. J'ai aussi vu, dans la vision, le champ et la tige de froment, et cela m'a fait penser à ma jeunesse et au temps où des paraboles de ce genre m'étaient montrées à l'occasion de tous les phénomènes de la nature. Dans ce discours, Jésus présenta la vérité aux Pharisiens d'une manière si frappante, que, malgré toute leur rage, ils ne purent s'empêcher d'y trouver un plaisir secret ". 23 février.-- Aujourd'hui, Jésus resta jusqu'au soir chez ses amis de Béthanie. Je le vis, dans l'hôtellerie de la communauté, parler à sa mère de sa Passion prochaine. Ils se tenaient dans la cour de la maison, sous un berceau de feuillage. Maintenant il va à Jérusalem pour le sabbat. Je le vois cheminer. (Plus tard elle dit : " Je le vis enseigner dans le temple lorsque les Pharisiens en furent sortis ; ils étaient très irrités, et fermèrent les portes du temple, pour que personne ne pût plus y entrer. Jésus enseigna jusque très avant dans la nuit ; il faisait Peu de gestes et parlait très simplement, mais il se tournait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Je l'ai aussi entendu dire qu'il était venu pour trois sortes de personnes : il montra du doigt trois côtés du temple, trois points de l'horizon, et dit que tout y était compris. Il avait déjà dit à ses disciples, devant le temple, que, quand il se serait séparé d'eux, ils devaient le chercher à midi. Mais Pierre, qui parlait toujours si hardiment, lui demanda ce qu'il entendait par là J'entendis alors Jésus lui répondre qu'à midi le soleil était au-dessus de nos têtes, et qu'il n'y avait point d'ombre ; que, le matin et le soir, il y avait un mélange d'ombre et de lumière, et qu'à minuit les ténèbres régnaient. Ils devaient le chercher à midi, et ils le trouveraient aussi en eux-mêmes, s'il n'y avait point d'ombre ; mais j'ai eu l'impression que cela s'appliquait aussi à diverses régions du globe. J'ai entendu d'autres paroles du même genre, mais Je les ai oubliées. Jésus resta aujourd'hui dans l'hôtellerie qui est devant la ville ". 24 février . Ce matin, Jésus enseigna dans le temple, et, vers trois heures, de l'après-midi, il prit un repas dans la maison de Marie, mère de Marc, avec une vingtaine d'apôtres et de disciples, parmi lesquels était un des fils de Siméon. Véronique aussi était dans la maison, mais secrètement ; j'appris, à cette occasion, que le prêtre Siméon était allié à sainte Anne. Jésus passa la nuit dans l'hôtellerie qui est devant Jérusalem. 25 février .--Aujourd'hui, j'ai vu Jésus enseigner de nouveau dans le temple, et j'ai saisi quelque chose de son instruction. Les Juifs deviennent plus agressifs : aujourd'hui ils avaient fermé la grille qui est autour de la chaire et la chaire elle-même ; mais, lorsque Jésus fut entré dans la salle avec ses disciples, il mit la main à la grille, et elle s'ouvrit ; la chaire s'ouvrit aussi sans qu'on n'y touchât. Je me souviens que beaucoup de disciples de Jean et de partisans secrets de Jésus étaient là, et qu'il se mit à parler de Jean et à leur demander ce qu'ils pensaient du précurseur et de lui-même. Je crus qu'il voulait qu'ils se déclarassent publiquement mais ils craignirent de se prononcer. Je l'ai aussi entendu raconter une parabole touchant un homme qui ordonna à ses deux fils d'aller défricher et ensemencer son champ : l'un des fils dit qu'il le ferait et n'en fit rien ; l'autre refusa, mais ensuite il se repentit et fit ce que voulait son père. Jésus enseigna longtemps sur ce sujet. Plus tard, après son entrée solennelle à Jérusalem, il a raconté encore une parabole semblable. Aujourd'hui il alla à Béthanie coucher chez Lazare. Il visita les saintes femmes. Elles n'étaient pas dans la maison de Lazare, mais dans cette où étaient Marthe et Madeleine lorsque leur frère ressuscita. 27 février.-- Je vis aujourd'hui Jésus enseigner dans le temple. Les disciples y étaient allés d'avance et en avaient ouvert les portes. Il enseigna encore en paraboles comme la veille : il soupa chez Jean Marc et alla coucher à Béthanie. 28 février.-- Je vis aujourd'hui le Seigneur aller de Béthanie au temple de Jérusalem. Sur le chemin un aveugle lui fit de vives instances pour être guéri, mais il passa outre. Cela mécontenta les disciples et Jésus expliqua dans le temple pourquoi il en avait agi de la sorte Il dit que cet homme était plus aveugle encore des yeux de l'âme que des yeux du corps. Il parla aujourd'hui en termes très sévères ; il dit qu'il se trouvait là beaucoup de gens qui ne croyaient pas en lui, qui ne s'empressaient à sa suite que pour voir des prodiges, et qui l'abandonneraient au moment décisif. Ils ressemblaient à ceux qui l'avaient suivi lorsqu'il leur eut donné la nourriture corporelle et qui pourtant s'étaient dispersés ensuite. Du reste ceux dont il parlait n'avaient maintenant rien de mieux à faire qu'à se retirer. Je vis que, pendant qu'il tenait ce discours, un très grand nombre de personnes s'en allèrent et qu'il n'en resta guère plus d'une centaine autour de lui. Je vis aussi qu'il pleura sur ces détections en revenant à Béthanie. 1er mars.-- Le jeudi je ne vis Notre Seigneur aller au temple que vers le soir. Six apôtres et disciples marchaient derrière lui. Il rangea lui-même et mit en ordre tous les sièges qui se trouvaient dans les salles sur son passage. Les disciples s'étonnèrent de le voir mettre la main à un semblable travail. Il enseigna à ce sujet et dit aussi qu'il les quitterait bientôt. 2 mars .--Vendredi, dans l'après-midi, le Seigneur vint de Béthanie au temple pour le sabbat et il mangea dans la maison de Jean Marc. Les saintes femmes de Béthanie et Lazare se trouvaient là. Mais Lazare ne célébra pas le sabbat au temple : il se montre rarement en public. Tous les gens qui étaient restés à l'instruction faite la veille dans le temple y étaient revenus aujourd'hui. Jésus et les siens couchèrent à Béthanie. 3 mars .--Le trois mars, à quatre heures de l'après-midi, Anne-Catherine raconta ce qui suit : Depuis ce matin jusqu'à présent j'ai entendu Jésus enseigner dans le temple : cela m'a singulièrement soulagée dans le misérable état où m'ont mise une nuit de souffrances et une matinée remplie de peines et de soucis : à midi seulement Jésus s'interrompit quelque temps pour se reposer un peu. Ensuite il reprit son discours. J'en ai encore une grande partie devant les yeux, mais il ne m'est pas possible de le rapporter dans le même ordre qu'il a été prononcé : car il y eut bien des choses qu'il n'adressa qu'aux apôtres et aux disciples dans une pièce séparée et d'autres qu'il dit de manière à être entendu soit des Pharisiens qui l'espionnaient, soit des autres Juifs qui se trouvaient là. Il annonça aux apôtres et aux disciples une grande partie de ce qui devait arriver, mais en termes généraux et sans désigner personne nominativement : comme d'ordinaire, toutes les choses auxquelles il faisait allusion me furent montrées dans des visions. Je ne pourrai pas toujours dans le cours de mon récit bien préciser ce que j'entendis dire à Jésus et ce que je vis à cette occasion, mais ceux qui m'entendent pourront faire eux-mêmes la distinction. Jésus parla beaucoup des fausses vertus : d'une charité à laquelle se mêlaient l'amour de soi et la convoitise, d'une humilité où il entre de la vanité. Il expliqua comment le mal se glisse subtilement en toutes choses. Il dit que plusieurs se figuraient qu'un royaume terrestre ou une haute dignité lui étaient réservés, qu'ils espéraient arriver à être quelque chose prés de lui et cela sans avoir à souffrir, que même la pieuse mère des enfants de Zébédée lui avait demandé un rang particulier pour ses fils. Il dit aussi qu'on ne devait pas amasser des trésors périssables : il parla de l'avarice à ce sujet et j'eus le sentiment qu'en cela il faisait allusion à Judas. Il parla encore de la mortification, du jeûne et de la prière ainsi que de l'hypocrisie qui pouvait s'y mêler : il mentionna à cette occasion l'indignation des Pharisiens lorsque ses disciples, l'année d'auparavant, avaient cueilli des épis. Il répéta plusieurs enseignements déjà donnés et donna des explications sur beaucoup de ses actions. Il loua la manière dont les disciples s'étaient comportés pendant l'absence qu'il avait faite ; il fit aussi mention de ceux qui l'avaient accompagné et loua leur discrétion et leur docilité. Il dit combien son voyage s'était accompli dans la paix et il s'exprima à ce sujet d'une manière fort touchante. Il parla ensuite de sa fin prochaine et annonça qu'auparavant il ferait une entrée solennelle à Jérusalem. Il parla de Marie sa mère selon la chair et de ce qu'elle aurait à souffrir de sa propre mission qui allait trouver son accomplissement dans sa passion et de la cruauté impitoyable avec laquelle on le traiterait : mais il fallait qu'il souffrît, et souffrit infiniment pour satisfaire à la justice de Dieu. Il dit à ce sujet quelque chose de la profonde corruption des hommes et de leur culpabilité, et il ajouta que personne ne pouvait être justifié sans sa passion. Lorsqu'il parla de ses souffrances comme devant satisfaire pour les péchés des hommes, les Juifs éclatèrent en rires ironiques et en sarcasmes injurieux, je les vis chuchoter ensemble en lui lançant des regards furieux : quelques-uns sortirent et parlèrent à des gens de la populace qui semblaient apostés pour espionner. Il semblait qu'il y eût un complot formé d'avance pour tomber sur Jésus. Mais le Seigneur dit aux siens de ne pas se troubler, que son heure n'était pas encore venue, que d'ailleurs tout cela faisait aussi partie de sa Passion. Il fit encore allusion dans son discours, quoique sans le nommer, au cénacle qui devait être leur lieu de réunion et où ils reçurent plus tard le Saint Esprit : il parla d'une assemblée où ils prendraient une nourriture qui les fortifierait et les ranimerait et dit qu'il demeurerait éternellement avec eux dans cette assemblée. Il parla aussi de ses disciples cachés, des fils de Siméon et des autres : il les excusa devant les disciples déclarés, de ce qu'ils ne se montraient pas : il expliqua que cela avait son utilité parce qu'ils avaient une vocation autre que la leur. Comme plusieurs personnes de Nazareth étaient venues l'écouter au temple, Jésus dit à leur adresse qu'il n'y avait rien de sérieux dans leur démarche. Il parla en particulier aux apôtres de beaucoup de choses qui devaient arriver après qu'il serait retourné à son Père. Il dit à Pierre qu'il aurait beaucoup à souffrir, que toutefois il ne devait pas s'effrayer, persévérer fidèlement et rester à la tête de la communauté qui était destinée à prendre des accroissements merveilleux : il devait rester trois ans à Jérusalem avec Jean et Jacques le Mineur, pour y gouverner l'Eglise. Il leur parla aussi par avance d'un jeune homme qui verserait le premier son sang pour lui, mais sans prononcer le nom d'Etienne. Il parla aussi de la conversion du persécuteur sans nommer Paul, et dit que celui-là ferait plus à lui seul que beaucoup d'autres. Ils ne purent pas bien comprendre tout cela. Il fit encore allusion aux persécutions qu'auraient souffrir Lazare et les saintes femmes et dit aux apôtres où ils devaient aller six mois après sa mort. Ainsi Pierre, Jean et Jacques le Mineur devaient rester à Jérusalem, André et Zachée devaient se rendre dans le pays de Galaad, Philippe et Barthélémy à Gessur sur la frontière de Syrie. J'eus alors des visions touchant ce qui devait arriver ; je vis ces quatre apôtres passer le Jourdain près de Jéricho, puis se diriger vers le nord, Philippe aussitôt après son arrivée à Gessur y guérir une femme malade, y rencontrer beaucoup de sympathie et plus tard y être persécuté. C'était à peu de distance de Gessur qu'était le pays natal de Barthélémy, et je crois voir confusément qu'il descend d'un roi de cette ville qui avait des liens de parenté avec David. (Tome IV, page 191). Il avait du reste quelque chose de très distingué en comparaison des autres apôtres. Ces quatre apôtres ne restèrent pas dans cet endroit, mais ils travaillaient dans tout le pays d'alentour. Galaad, où allèrent André et Zachée, n'était pas loin de Pella où Judas avait été élevé Jacques le Majeur et un autre disciple devaient aller au nord de Capharnaum sur les confins des pays paiens. Thomas et Matthieu devaient d'abord se rendre à Ephèse, afin de préparer ce pays où devaient habiter plus tard la Mère de Jésus et beaucoup de personnes qui croyaient en lui. Ils furent fort étonnés de ce que telle était la demeure assignée à Marie. Thaddée et Simon devaient commencer par aller à Samarie. C'était une ville où personne n'allait volontiers : ils aimaient mieux aller dans les endroits tout à fait paiens. Il leur annonça aussi qu'ils se réuniraient tous à Jérusalem deux fois encore, avant d'aller prêcher l'Evangile dans les contrées lointaines habitées par les Gentils. Il fit mention d'un homme demeurant entre Samarie et Jéricho, qui devait faire à son imitation beaucoup de prodiges, mais par la puissance du démon. Cet homme devait témoigner le désir de se convertir, et il ne fallait pas le repousser, car le démon aussi devait contribuer à la glorification de Jésus. (Anne Catherine pensa plus tard qu'il s'agissait de Simon le magicien.) Toutes ces choses qui avaient rapport à l'avenir de l'Eglise furent dites en particulier par Jésus à ses disciples les plus intimes et non en présence de tout l'auditoire. Ils l'interrogèrent comme on interroge un maître qui est en même temps un ami, sur ce qu'ils ne comprenaient pas, et il leur donna les explications nécessaires. Tout cela se fit fort simplement fort naturellement. J'ai oublie un très grand nombre de détails. ~ Ici la narratrice fut interrompue dans son récit par des dérangements extérieurs, mais plus tard elle ajouta plusieurs choses qui vont être rapportées, toutefois l'écrivain ne sait pas bien si elle les connaissait par l'instruction que le .Seigneur avait faite aujourd'hui, ou si elles n'étaient Pas à certains égards le souvenir de visions antérieures. Trois ans après la mort du Christ les apôtres se trouvèrent tous ensemble à Jérusalem : ensuite Pierre et Jean quittèrent la ville et Marie se rendit à Éphèse avec le dernier. Alors éclata à Jérusalem une persécution contre Lazare, Marthe et Madeleine : celle-ci jusque-là avait vécu eu pénitente dans cette grotte du désert où Elisabeth s'était réfugiée avec Jean lors du massacre des innocents. Dès les premiers temps les apôtres ont réglé tout ce qui as ait rapport au corps de l'Eglise. Vers le milieu du temps qui s'écoula entre l'Ascension et la mort de la sainte Vierge, six ans environ après l'Ascension, ils se réunirent encore à Jérusalem, composèrent le symbole, réglèrent toutes choses, distribuèrent et aliénèrent tout ce qu'ils possédaient et divisèrent l'Eglise en diocèses : après quoi ils allèrent chacun de leur côté évangéliser au loin les nations païennes. Ils se réunirent pour la dernière fois à la mort de Marie, puis ils se dispersèrent dans des contrées plus éloignées où ils trouvèrent le terme de leurs travaux. La narratrice parla encore de l'élection des diacres et des réclamations faites par les veuves et les orphelins, comme aussi de la douceur que montra saint Pierre vis-à-vis de saint Paul dans des contestations relatives à la circoncision. Lorsque Jésus quitta le temple après son instruction d'aujourd'hui, les pharisiens qui en avaient été fort scandalisés, le guettèrent à sa sortie et sur son chemin et voulurent le lapider. Je ne me souviens plus comment il Leur échappa : mais ensuite il se tint caché pendant trois jours. Trois jeunes hommes du pays des Chaldéens sont arrivés aujourd'hui à Béthanie : ils venaient de la ville de Sikdor où Jésus s'était trouvé le 17 décembre et où ils avaient dans leur grand temple une représentation du jardin fermé. Ils ne connaissaient pas Jésus, mais ils avaient entendu parler de son enseignement et voulaient en juger par eux-mêmes. Ils vinrent chez Lazare et on les établit alors à toutes sortes de pratiques diaboliques. Les trois Chaldéens reviendront de Capharnaum à Béthanie et de là à Sikdor. Ils prendront là avec eux beaucoup de leurs compatriotes, puis, emportant leurs trésors, ils se rendront en Arabie auprès du roi Mensor. J'ai revu Sikdor ; il y a une école de prêtres pour ce pays. Les femmes habitent tout à fait à part, dans les murailles. Il y a aussi là une école pour les jeunes filles : elle est tout contre la porte de la ville, dans une grande maison. Au milieu de la ville s'élève le temple qui est un édifice très élevé : il est précédé d'une cour avec un puits et un très grand nombre 4 mars.-- Jésus est aujourd'hui à Béthanie chez Lazare. Les apôtres viennent lui faire diverses questions sur son instruction du jour du sabbat : il leur donne des explications et leur ordonne de mettre par écrit ce qu'il a dit de l'avenir. Je vis que cela fut fait par Nathanael, le fiancé de Cana, qui écrivait fort bien et qui ne portait pas encore l'autre nom qu'il reçut seulement après son baptême. Je fus surprise de voir que cette tache n'était pas confiée à Jean, mais à un simple disciple. 5 mars.--P endant les trois jours qui suivirent sa grande instruction, Jésus n'a pas enseigné dans le temple. Il veut que les apôtres et les disciples méditent bien tout ce qu'ils lui ont entendu dire. Les trois hommes venus ici du pays des Chaldéens n'ont échangé avec Jésus que quelques paroles. Il 1cIll dit en passant près d'eux d'aller à Capharnaum voir le centurion né paien comme eux et qui les instruirait. Je vis ces hommes partir : ils étaient grands, élancés, très agiles et avaient dans toute leur personne quelque chose de beaucoup plus noble que les Juifs. Leurs mains et leurs pieds étaient d'une petitesse et d'une élégance remarquables. Je les ai vus près du centurion qui s'entretenait avec eux. Il leur raconta la guérison de son serviteur et leur dit pourquoi il avait prié Jésus de ne pas entrer dans sa maison. C'était d'abord parce qu'il avait honte de voir le Fils de Dieu entrer dans une maison où il y avait tant d'idoles : en outre ils faisaient alors leur carnaval païen. Je vis aussi quelles belles idoles il avait à cette époque et comment il les avait données plus tard pour être converties en vases sacres en usage du temple et en aumônes. Les paiens eurent leur carnaval cinq semaines avant le crucifiement du Christ : ils se livrèrent alors à toutes sortes de pratiques diaboliques. Les trois Chaldéens reviendront de Capharnaum à Béthanie et de là à Sikdor. Ils prendront là avec eux beaucoup de leurs compatriotes, puis, emportant leurs trésors, ils se rendront en Arabie auprès du roi Mensor. J'ai revu Sikdor ; il y a là une école de prêtres pour ce pays. Les femmes habitent tout à fait à part, dans les murailles. Il y a aussi là une école pour les jeunes filles : elle est tout contre la porte de la ville, dans une grande maison. Au milieu de la ville s'élève le temple qui est un édifice très élevé : il est précédé d'une cour avec un puits et un très grand nombre d'idoles. d'idoles. 7 et 8 mars.-- Ce matin, de bonne heure, Jésus alla de Béthanie à Jérusalem et il se rendit au temple avec une trentaine de disciples. Il entra aussitôt avec eux dans la salle ronde destinée à la prédication et les pharisiens furent obligés de se retirer. Je ne l'ai vu du reste arriver qu'avec un petit nombre de disciples : les autres vinrent successivement. Les pharisiens se retirèrent dans des salles voisines et ils espionnèrent à travers les arcades. J'ai entendu une grande partie de son instruction, mais de grandes souffrances et des visions concernant les péchés commis pendant les jours gras me l'ont fait oublier. Il s'éleva avec force contre les pharisiens, annonça d'avance sa Passion aux disciples et revint à Béthanie. Les Juifs célébraient une fête. Jésus alla au temple et enseigna lorsque les juifs eurent fini. Il resta à Jérusalem. 9 mars .--Jésus qui avait passé la nuit à Jérusalem, alla le matin au temple avec tous ses disciples Devant l'entrée, sept à huit marchands occupaient des boutiques pratiquées dans les murs : ils vendaient des comestibles de toute espèce, notamment un liquide rouge contenu dans de petites cruches. C'étaient comme des vivandiers : je ne sais pas si c'étaient des gens bien pieux, mais je vis les pharisiens leur parler comme à la dérobée. Lorsque Jésus arriva avec ses disciples, il entra dans les chambres et ordonna aux vendeurs de se retirer à l'instant avec leurs marchandises : il mit lui-même la main a l'ouvrage Comme ils hésitaient, il ramassa les objets qu'ils avaient s à prendre et il se trouvait là des gens qui les aidèrent à tout emporter. Lorsque Jésus entra dans le temple, la chaire était occupée : mais ils se retirèrent devant lui, presque comme s'il les eût chassés. L'instruction qu'il fit ici ressemblait beaucoup au sermon sur la montagne. Dans l'après-midi Jésus se rendit chez Jean Marc, puis il alla célébrer le sabbat. Lorsque les Juifs eurent fini, Jésus revint au temple et il enseigna jusqu'assez avant dans la nuit. Entre autres choses il fit aujourd'hui des allusions à son voyage chez les païens ; on pouvait comprendre qu'il parlait du bon accueil que sa doctrine avait trouvé parmi eux. Il dit aussi quelque chose des trois Chaldéens que j'ai vus arriver récemment, et dit qu'ils devaient rendre témoignage de quelque chose que j'ai oublié. Il passa la nuit à Jérusalem. 10 et 11 mars.-- Aujourd'hui Jésus se renferma avec les apôtres et les disciples dans la salle du temple destinée à l'enseignement : il fit pour cela clore trois arcades. Il se borna à répéter des enseignements qu'il avait déjà donnés précédemment. Il parla longtemps du jeûne, de ce qu'il devait être, et aussi de son jeûne dans le désert et du jeûne des pharisiens. Les pharisiens avaient en ce moment un jeûne à observer (celui qu'on faisait en mémoire d'Esther) ; ou peut-être avait-il eu lieu un peu auparavant. Il répéta aussi beaucoup de choses touchant ce qu'il avait fait jusqu'alors et dit comment et pourquoi il avait appelé les apôtres. Je vis alors plusieurs scènes qui se rapportaient à leur vocation. Il prit les apôtres deux par deux. Il parla peu à Judas : celui-ci était irrité, il avait la trahison dans le coeur et il s'était déjà abouché avec les pharisiens. En dernier lieu Jésus parla aussi de la vocation des disciples. 11 mars.-- Jésus a enseigné aujourd'hui dans le temple : sa Passion doit être proche : les disciples sont très tristes. 12 mars.-- Aujourd'hui Jésus a enseigné dans le temple pendant quatre heures environ, en présence de ses disciples et de tous les Juifs qui ont voulu l'entendre. Le temple était entièrement plein : il y avait même des femmes dans, une espèce de tribune grillée. Il répéta beaucoup de choses de ses enseignements précédents et donna des éclaircissements sur plusieurs de ses actes. Il parla notamment de la guérison de l'homme qu'il avait trouvé près de la piscine de Bethesda et expliqua pourquoi il l'avait guéri alors. Il parla de la résurrection du jeune homme de Naïm, de celle de la fille de Jaïre et dit pourquoi le premier l'avait Suivi aussitôt : il était maintenant adjoint aux disciples. La fille de Jaïre ne s'était pas tout de suite attachée à lui. Je vis les deux miracles se suivre de prés et la résurrection de l'adolescent précéder celle de la jeune fille. Jésus prit un repas chez la mère du jeune homme. J'ai eu des visions sur tout cela et sur les mystères qui s'y rattachent. Jésus dit encore dans l'instruction d'aujourd'hui quel serait bientôt son sort et comment les disciples l'abandonneraient. Il dit qu'il ferait son entrée publique et triomphale dans le temple et qu'ensuite il resterait encore quinze jours avec eux. Il ne dit pas qu'il ferait son entrée sur un âne et ils crurent qu'il viendrait avec beaucoup de pompe et de magnificence, peut-être avec un cortège de chevaux et de chameaux. Il y eut beaucoup de chuchotements pendant ce discours. Ils n'avaient pas compris quand il avait parlé de " quinze jours " ; ils croyaient à un temps plus long mais Jésus répéta " trois fois cinq jours ". Il dit encore que, lors de son entrée, la bouche des enfants à la mamelle qui n'avaient jamais parlé, le proclamerait ; que plusieurs arracheraient des branches d'arbre pour les jeter devant lui, que d'autres étendraient leurs vêtements sur son chemin ; il leur expliqua à ce propos que ceux qui jetteraient des branches devant lui ne sacrifieraient pas pour lui ce qu'ils possédaient et ne lui resteraient pas fidèles, mais que ceux qui se dépouilleraient de leurs vêtements pour les étendre sur son passage, renonceraient à ce qu'ils possédaient, revêtiraient le nouvel homme et lui seraient constamment dévoués Ce discours dura quatre heures. Il s'y trouvait beaucoup d'éclaircissements sur ce qu'il avait dit et fait précédemment dans le cours de sa vie publique et je vis tout cela en visions. 13 mars .--A la suite de la dernière instruction faite au temple, il y eut beaucoup d'agitation parmi les scribes et les pharisiens. Ils tinrent un conciliabule dans la maison de Caiphe et il fut défendu de recevoir nulle part Jésus et ses disciples. Ils le firent guetter à la porte de la ville : mais il se tint caché chez Lazare à Béthanie. 14 mars .--Aujourd'hui je vis dans la maison de Lazare, Jésus, Pierre, Jean, Jacques, Lazare lui-même, la sainte Vierge et six autres femmes cachées dans des chambres souterraines où s'était déjà tenu Lazare lors de la persécution suscitée contre lui. Ces chambres situées sous la partie postérieure de la maison étaient garnies de tapis et de sièges. Je vis d'abord Jésus avec trois apôtres et Lazare dans une grande salle soutenue par un seul piller et éclairée par des lampes. Les saintes femmes étaient dans une pièce triangulaire entourée d'un grillage. Ils se tenaient tous dans ces caveaux pour échapper aux poursuites des Juifs. Les autres apôtres et les disciples étaient, soit dans l'hôtellerie qui était en avant de Béthanie, soit dans d'autres endroits. Jésus dit ici aux trois apôtres que le lendemain serait le jour de son entrée à Jérusalem : il envoya ensuite chercher les autres apôtres ; quand tous furent réunis, il s'entretint longtemps avec eux et je le vis devenir très triste. Il traita encore amicalement le traître Judas et le chargea, je crois, de convoquer les disciples. Judas aimait fort à être chargé de semblables commissions, car il recherchait tout ce qui pouvait le faire valoir et lui donner de l'importance. Jésus alla ensuite trouver les femmes dans la pièce triangulaire où se trouvait aussi Lazare. Il leur fit une très belle instruction où il raconta et commenta une parabole dont malheureusement je ne me rappelle plus que quelques traits. Il parla d'abord d'Adam et d'Eve, de la chute originelle, de la promesse d'un rédempteur, puis des progrès du mal, du petit nombre de ceux qui avaient cultivé le jardin du Seigneur, etc. Il raconta ensuite une parabole touchant un roi qui avait un jardin magnifique : une femme pompeusement vêtue était venue le trouver et lui avait montré un jardin de plantes aromatiques qui appartenait à un pauvre homme et qui était tout contre le sien, en lui disant que cet homme allait quitter le pays et qu'il ferait bien d'acheter le jardin pour y cultiver ses plantes. Mais le roi voulait mettre de l'ail et d'autres plantes de mauvaise odeur dans le jardin du pauvre homme, que celui-ci regardait comme un terrain sacré et où il ne cultivait que des plantes choisies. Le roi fit appeler cet homme, mais il ne voulut ni s'en aller ni céder son jardin. Je le vis aussi dans son jardin qu'il cultivait avec grand soin et dont il tirait grand parti ; on le persécuta et on voulut le lapider dans son jardin, ce qui le rendit gravement malade. Mais je vis enfin que le roi fut renversé avec toute sa puissance ; le jardin du pauvre homme au contraire et tout ce qui lui appartenait prirent de grands accroissements et lui même prospéra singulièrement. Je le vis comme un arbre de bénédiction qui se propageait au loin et se répandait dans le monde entier. Je vis toute cette parabole, pendant que Jésus la racontait, passer en tableaux devant mes yeux. Quand les tableaux de ce genre ne sont pas une histoire réelle, mais un symbole ou une allégorie, je ne les vois jamais se dérouler sur la terre, mais planer un peu au-dessus du sol. Je vis la prospérité du jardin de cet homme pieux non seulement sous la forme d'un accroissement, d'une multiplication, d'une propagation de produits végétaux, mais encore sous celle d'une irrigation par des courants d'eau devenant de plus en plus considérables, de foyers de lumière qui répandaient au loin leurs rayons, et de nuages qui s'étendaient de plus en plus et versaient en abondance la pluie et la rosée. La bénédiction se divisait et s'y propageait de tous les côtés jusqu'aux régions les plus éloignées. Jésus commenta cette parabole. Elle contenait des enseignement, sur le Paradis, le péché originel et la rédemption, sur le royaume du monde et la vigne du seigneur, sur la terre qui est en butte aux attaques du prince de ce monde, et dans laquelle ce prince du monde maltraite le Fils de Dieu chargé par le Père de cultiver sa vigne. La parabole indiquait encore que, comme le péché et la mort ont pris commencement dans un jardin, de même aussi la Passion de celui qui s'était chargé des péchés du monde commencerait dans un jardin, et qu'enfin l'expiation et la victoire sur la mort par la résurrection auraient également un jardin pour théâtre. Le soir, après que le Seigneur eut expliqué cette parabole aux saintes femmes, il y eut encore un repas dans la grande salle souterraine dont un coin séparé du reste par une grille formait la pièce triangulaire où Jésus avait enseigné les femmes. La table fut enlevée très promptement et le Seigneur fit encore une autre instruction devant les disciples qui, après s'être dispersés quelque temps auparavant, s'étaient réunis de nouveau à la nuit tombante, et avaient attendu dans les bâtiments dépendants du château de Lazare. 15 mars.-- Ce matin de bonne heure Jésus fit venir Erémenzear et Silas et leur ordonna d'aller à Jérusalem non pas par la route ordinaire, mais en faisant un détour par Bethphagé et en traversant des jardins et des champs entourés de haies. Ils devaient frayer le chemin et ouvrir les barrières qui empêchaient le passage : près d'une hôtellerie en avant de Bethphagé où passait le chemin, ils devaient rencontrer une ânesse et son ânon allant à la prairie. Ils avaient ordre d'attacher l'ânesse à la haie, et si on les interrogeait, de répondre que le Seigneur voulait qu'il en fût ainsi. Ils devaient frayer ainsi le, chemin depuis là jusqu'au temple et ensuite s'en revenir Je vis alors ces deux jeunes gens partir : ils firent des trouées dans les haies et ôtèrent du chemin tout ce qui faisait obstacle. La maison près de laquelle les ânes allaient à la prairie était une grande hôtellerie : il y avait une cour et un puits. Les ânes appartenaient à des gens qui étaient allés au temple à Jérusalem et qui avaient laissé là ces animaux. Les disciples attachèrent l'ânesse : l'ânon resta libre. Je les vis ensuite prendre le chemin du temple et enlever tout ce qui pouvait empêcher de passer. Les marchands de comestibles que Jésus avait renvoyés récemment avaient occupé de nouveau leur coin de mur à l'entrée du temple. Les deux disciples allèrent à eux et leur enjoignirent de se retirer parce que le Seigneur allait faire son entrée. Lorsqu'ils eurent pris toutes ces dispositions, ils revinrent à Béthanie par la route directe, en passant de l'autre côté de la montagne des Oliviers. Jésus avait divisé les disciples en deux troupes : les plus anciens qui étaient avec les apôtres furent envoyés d'avance à Jérusalem par le chemin direct. Ils allèrent par petits groupes isolés et se rendirent chez Marie, mère de Marc, chez Véronique, Nicodème, les fils de Siméon et d'autres amis de Jésus pour lui annoncer l'entrée du Seigneur. Lui-même partit avec les apôtres et les plus jeunes des disciples : les sept femmes, en tète desquelles marchait Marie, suivirent à quelque distance. Il y avait sur le chemin, près d'une maison, une espèce de jardin d'agrément avec de beaux arbres : Jésus s'y arrêta et envoya deux de ses disciples à la maison de Bethphagé pour détacher l'ânesse et dire que le Seigneur en avait besoin. Le Seigneur s'arrêta ici assez longtemps. Il y avait autour de lui une grande affluence de personnes qui écoutaient son instruction. La salle où il parlait, debout sur un gradin, était décorée tout entière avec des branches vertes, des arbustes et des guirlandes : tous les murs en étaient couverts et on avait suspendu en l'air une espèce de dais en feuillage, très élégant et très bien disposé. C'était une salle ouverte, soutenue par des colonnes d'un beau poli, entre lesquelles je vis les saintes femmes l'écouter. La cour qui précédait la maison était pleine de disciples qui écoutaient et d'autres personnes. Jésus enseigna les disciples sur la prévoyance, et sur l'usage qu'on doit faire de son intelligence ; car ils lui avaient demandé pourquoi il avait pris ce chemin détourné. Il répondit que c'était pour éviter un danger inutile, ajoutant qu'il fallait être vigilant, prendre toutes ses précautions et ne pas tout laisser au hasard : c'était aussi pour cela qu'il avait fait par avance attacher l'ânesse dans cet endroit. Cependant les deux disciples envoyés par lui avaient détaché l'ânesse et ils attendirent longtemps, entourés d'un cercle de personnes, l'approche du Seigneur et de sa suite. Le moment venu, Jésus régla l'ordonnance du cortège. Il dit aux apôtres qu'à partir de ce moment et après sa mort ils devaient partout présider la communauté : cette fois il les fit marcher devant lui deux par deux. Pierre était le premier et il était suivi par ceux qui plus tard allèrent le plus loin prêcher l'Evangile. Les derniers, ceux qui précédaient immédiatement Jésus, étaient Jean et Jacques le Mineur. Quand les deux disciples qui attendaient à Bethphagé virent le cortège de Jésus approcher, ils allèrent au devant de lui sur le chemin avec les deux animaux. Les disciples mirent sur le des de l'ânesse les manteaux et les couvertures qu'ils avaient apportées de chez Lazare. Tout cela pendait jusqu'à terre et on ne voyait plus de la bête que sa tète et sa queue. Alors Jésus se revêtit d'une robe de fête qu'un disciple portait avec lui : elle était de fine laine blanche et avait par derrière une espèce de queue. Jésus mit aussi une large ceinture sur laquelle il y avait des lettres : il jeta autour de son cou une large étole descendant jusqu'aux genoux et aux deux bouts de laquelle était brodé en couleur brune quelque chose qui ressemblait à deux écussons. Les deux disciples placés des deux côtés de l'ânesse aidèrent Jésus à monter. L'animal n'avait pas de bride, sa tête était découverte, il avait autour du cou une étroite bande d'étoffe qui pendait en avant. Je ne me souviens plus si Jésus monta l'ânesse ou le poulain, car tous deux étaient de la même taille : celui des deux animaux qui ne portait personne courut à côté de l'autre. Les apôtres et les disciples tenaient à la main des branches de palmier cueillies dans le jardin où l'on s'était arrêté précédemment. Eliud marchait de l'un des côtés du Seigneur, Silas de l'autre côté et derrière lui Erémenzear : puis venaient tous les disciples les plus nouveaux dont les uns avaient été ramenés par lui de son voyage, dont les autres avaient été admis tout récemment. Quand le cortège se mit en marche, les femmes s'y joignirent deux par deux : cette fois la sainte Vierge, qui ordinairement se tenait toujours en arrière et se regardait comme la dernière de toutes, marchait à leur tête. Ils s'avancèrent, chantant des cantiques, et les gens de Bethphagé, qui s'étaient rassemblés autour des disciples envoyés pour attendre Jésus avec l'âne, les suivirent en foule. Jésus avait dit encore une fois aux disciples de faire attention à ceux qui étendraient leurs vêtements devant lui, qui y jetteraient des branches d'arbres ou qui feraient l'une et l'autre chose : les derniers étaient ceux qui l'honoreraient en se sacrifiant eux-mêmes et aussi en consacrant à son service les richesses de ce monde. Quand on allait de Béthanie à Jérusalem, Bethphagé se trouvait à droite, plus du côté de Bethléhem. La montagne des Oliviers séparait les deux chemins Le bourg était situé dans un fond bas sur un terrain humide et comme dans un marécage : il se composait de deux rangées de maisons placées des deux côtés du chemin. La maison près de laquelle s'était trouvée l'ânesse était à quelque distance du chemin, à l'entrée d'une belle prairie partant de Bethphagé. De ce côté le chemin allait en montant, puis il redescendait vers la vallée qui est entre le mont des Oliviers et les collines de Jérusalem. Jésus s'était arrêté entre Béthanie et Bethphagé : les deux disciples l'avaient attendu derrière Bethphagé, à l'endroit où ils avaient conduit l'ânesse sur le chemin. Cependant à Jérusalem ces marchands et ces gens que Silas et Erémenzear avaient engagés ce matin à évacuer le temple parce que le Seigneur allait faire son entrée, s'étaient mis aussitôt tout joyeux à décorer le chemin : ils enlevèrent le pavé et plantèrent des arbres dont les sommets attachés ensemble formaient des arcades et auxquels pendaient des fruits jaunes semblables à de grosses pommes. Les disciples qui étaient allés le matin à Jérusalem prévenir les amis de Jésus, une foule d'étrangers venus à Jérusalem pour la fête qui approchait (tous les chemins étaient couverts de voyageurs), et enfin un très grand nombre de Juifs qui avaient entendu le dernier dis cours (le Jésus, se portèrent en masse vers la partie de la ville par laquelle Jésus devait entrer. Il y avait là aussi beaucoup de personnes auxquelles était parvenue, dans les contrées qu'ils habitaient, la nouvelle de la résurrec-tion de Lazare, et qui désiraient vivement voir Jésus. Lorsque l'on sut qu'il arrivait, tous se portèrent à sa ren-contre. Le chemin de Bethphagé à Jérusalem passait par une gorge de la montagne des Oliviers moins élevée que le plateau du temple : lorsqu'en venant de Bethphagé on arrivait sur la montagne des Oliviers, on voyait entre les hauteurs qui bordaient le chemin, le temple s'élever en face de soi. Bethphagé était un pauvre petit endroit: au-trefois lorsque je passais par Gesch, ce village me rappe-lait toujours Bethphagé. Le chemin qui conduisait (le là à Jérusalem était très agréable; il y avait beaucoup de jardins et de plantations. Les apôtres et les disciples qui entouraient Jésus chan-taient et témoignaient leur allégresse, taudis que le peu-ple venant de la ville se pressait en foule au devant de lui. Cependant plusieurs vieux prêtres en habits sacerdo-taux vinrent se placer sur le chemin et interpellèrent les apôtres qui furent un peu intimidés et se turent. Ils pri-rent Jésus à partie sur la manière dont il d1rigeait son monde et lui demandèrent pourquoi il ne leur défendait pas de faire tout ce bruit. Jésus leur répondit que si ceux-ci se taisaient, les pierres du chemin elles mêmes crie-raient : sur quoi ils se retirèrent. Pendant ce temps les princes des prêtres tinrent con-seil; ils mandèrent devant eux les maris et les parents dont les femmes et les enfants étaient sortis de Jérusalem pour aller au devant de Jésus, les firent renfermer dans la grande cour du tribunal et envoyèrent des émissaires pour espionner. La foule coupait des branches d'arbres et en jonchait le chemin; on se dépouillait de ses habits de dessus qu'on étendait par terre, on chantait et on poussait des cris de joie. Je vis plusieurs personnes se dépouiller entièrement jusqu'à la ceinture. Les enfants avaient quitté toutes les écoles malgré leurs maîtres et mêlaient leurs acclama-tions à celles de la multitude. Je vis Véronique avec d'au-tres femmes. Véronique avait deux enfants près d'elle, elle jeta son voile sur le chemin et ôta aussi à l'un des en-fants une partie de son vêtement qu'elle étendit par terre. Elle se joignit ainsi que celles qui l'accompagnaient aux saintes femmes qui formaient le cortège. Elles pouvaient être au nombre de dix sept. Le chemin était tellement couvert de branches d'arbres, de vêtements et de couver-tures, que le cortège ne cessa de marcher comme sur un tapis en passant sous les nombreuses avenues de verdure qu'on avait élevées partout entre les murs. Jésus pleura et les apôtres pleurèrent aussi lorsqu'il dit que beaucoup de ceux qui maintenant l'acclamaient si joyeusement, l'accableraient bientôt d'outrages et que l'un d'eux le trahirait : il regarda la ville et pleura sur sa destruction prochaine. Mais lorsqu'il franchit le seuil de la porte, il y eut de nouveaux transports d'allégresse et on lui amena un grand nombre de malades. Il y avait dans la foule beaucoup de ses amis qui poussaient des cris de joie et se livraient à des démonstrations bruyantes. En approchant du temple la décoration du chemin était encore plus belle : on avait placé des deux côtés des barrières derrière lesquelles étaient placés des arbustes : de petits animaux à longs cous, des chevreaux et des agneaux ayant des guirlandes autour du cou, bondissaient dans ces enceintes comme dans de petits jardins. Il y avait toujours ici, surtout à l'époque des fêtes de Pâques, des victimes de choix qu'on amenait pour les vendre. Le cortège mit près de trois heures à se rendre de la porte de la ville au temple, par un chemin d'une demi lieue en-viron. Les Juifs avaient fait fermer toutes les maisons et même la porte de la ville : lorsque Jésus eut mis pied à terre devant le temple et que les disciples voulurent ramener l'ânesse, ils furent obligés d'attendre jusqu'au soir que la porte fût rouverte. Il y avait une foule très nombreuse dans le temple : les saintes femmes s'y trouvaient. Tout ce monde fut obligé de rester à jeun la journée entière, car toute cette partie de la ville était barricadée. Madeleine était toute triste de ce que Jésus ne trouvait rien à prendre pour se soutenir. Ici la narratrice fut interrompue : plus tard elle dit qu'il s'était encore passé dans le temple quelque chose qu'elle avait oublié. Le soir la porte de Jérusalem fut rouverte. Les saintes femmes allèrent les premières à Béthanie : Jésus et les apôtres les y suivirent plus tard. Madeleine était tourmentée de ce que le seigneur et les siens n'avaient pris aucune nourriture à Jérusalem et elle leur prépara elle-même à manger. Quand le Seigneur, à la nuit tombante, entra dans la cour de la maison de Lazare, elle apporta de l'eau dans un bassin, lui lava les pieds et les essuya avec un linge qui retombait sur son épaule. On n'avait pas apprêté ici un repas complet . Ce ne fut qu'une collation pendant laquelle Madeleine s'approcha du Seigneur et lui versa un parfum sur la tète Je vis que Judas murmura en passant devant elle : mais elle répondit qu'elle ne pourrait jamais assez reconnaître ce que le Seigneur avait fait pour elle et pour son frère. Après cette réfection Jésus se rendit dans la maison de Simon le lépreux où se trouvaient plusieurs disciples e il enseigna pendant quelque temps : ensuite il alla à l'hôtellerie des disciples où il enseigna encore, puis il revint chez Simon le lépreux et dormit quelques heures ainsi que les apôtres. 16 mars.-- Aujourd'hui comme Jésus allait à Jérusalem avec les apôtres, il eut faim : mais il me parut qu'il avait faim de la conversion des Juifs et de l'achèvement de son oeuvre. Il désirait que sa Passion fût consommée car il connaissait toute l'étendue des maux qu'il aurai à souffrir et il était dans l'angoisse en y pensant. Il s'approcha d'un figuier qui était sur le chemin et leva les yeux : mais voyant qu'il n'y avait que des feuilles et pas de fruits, il le maudit en lui ordonnant de se dessécher et de ne jamais porter de fruits. Il en devait être ainsi de ceux qui ne voudraient pas le reconnaître. Il me sembla aussi que le figuier représentait l'ancienne loi et la vigne la loi nouvelle. Jésus alla ensuite au temple et je vis jetées en tas sur le chemin des branches et des guirlandes de feuillage, souvenirs de la fête d'hier. Cependant beaucoup de marchands étaient revenus s'installer devant le temple et dans les premières salles. Quelques-uns avaient sur le dos des caisses qui pouvaient se démonter : ils les posaient sur des bâtons qu'ils portaient avec eux et dont ils pouvaient faire en les déployant des espèces de tréteaux. Je vis aussi sur des tables des tas de petites pièces de métal attachées de diverses manières au moyen de chaînes, de crochets ou de cordons. Elles portaient des empreintes de toute espèce, il y en avait de jaunes, de blanches, de brunes : quelques-unes étaient de plusieurs couleurs. Je ne sais pas si c'étaient uniquement des pièces de monnaie : je crois qu'il y avait aussi des médailles qu'on portait sur soi. Je vis aussi une quantité de corbeilles superposées contenant des oiseaux, et dans une des salles je vis des y eaux et d'autres animaux. Je vis Jésus renvoyer tous les vendeurs et comme ils hésitaient à se retirer, il tordit une ceinture pour en faire une espèce de fouet et les chassa. Je vis aussi dans une hôtellerie des étrangers de bonne mine, venus de la Grèce, envoyer leurs serviteurs à Philippe pour lui dire qu'ils désiraient beaucoup voir Jésus, sans être obligés pourtant de se mettre dans la foule. Philippe en parla à André et André au Seigneur (Joan, XII, 20), lequel leur donna rendez-vous sur le chemin qui est entre la porte de la ville et la maison de Jean Marc, où il devait aller en sortant du temple. Cette maison est située devant la porte, près de plusieurs autres maisons et d'une hôtellerie. Cependant Jésus continua à enseigner Je le vis saisi d'une grande tristesse et quand il leva les yeux au ciel en joignant les mains, je vis venir sur lu un rayon qui semblait partir d'une nuée lumineuse. et, j'entendis un grand bruit : je vis les assistants saisis de frayeur et vivement émus regarder en l'air et se parler à l'oreille pendant que Jésus continuait à parler ; cela dura ainsi quelque temps. Je le vis enfin quitter la chaire, revenir à ces disciples, puis se perdre dans la foule et quitter le temple. Quand Jésus parlait, les disciples lui mettaient sur les épaules un manteau blanc qu'ils portaient avec eux et qu'ils lui ôtaient lorsqu'il descendait de la chaire : il se trouvait alors vêtu comme tout le monde et il lui était plus facile d'échapper aux regards du peuple. Il y avait autour de la chaire trois balustrades dont chacune était plus élevée que l'autre, car les auditeurs étaient placés en amphithéâtre. Ces balustrades étaient en métal fondu, si je ne me trompe, et ornées de ciselures : c'étaient des têtes ou des boutons de couleur brunâtre. Je n'ai pas vu dans le temple d'images sculptées, si ce n'est des ornements, des ceps de vignes avec des raisins, des animaux de l'espèce de ceux qu'on offrait en sacr'1ices, et des figures semblables à des enfants emmaillotés comme j'en ai vu une en broderie chez la sainte Vierge. Il faisait encore grand jour lorsque Jésus rejoignit les siens dans le voisinage de la maison de Jean Marc. Les Grecs qui voulaient lui parler vinrent le trouver là et il s'entretint quelques minutes avec eux. C'étaient des gens de bonne mine : il y avait avec eux des femmes qui se tenaient un peu en arrière. (La Soeur décrivit alors le costume de ces gens, mais les dérangements continuels, la volubilité de sa parole, son épuisement et la quantité de termes Patois dont elle se servait rendirent cette description presque inintelligible. Elle mentionna dans le costume des hommes, des bandes d'étoffe pendantes : dans celui des femmes des justaucorps échancrés par devant.) Ces gens étaient bons et ils se convertirent : ils furent de ceux qui, à la Pentecôte, se réunirent les premiers aux disciples et reçurent le baptême. Jésus accablé de tristesse alla à Béthanie pour le sabbat avec les apôtres. Quand il enseignait dans le temple les Juifs étaient toujours obligés de fermer leurs maisons et il était détendu d'offrir aucun rafraîchissement à lui ou à ses disciples. A Béthanie ils allèrent dans la maison de Simon le lépreux. Il était maintenant animé de bons sentiments et avait tout disposé pour leur donner un repas : Madeleine qui compatissait vivement aux peines et aux fatigues du Seigneur alla à sa rencontre à l'entrée de la maison. Elle avait un habit de pénitente, une ceinture autour du corps et un voile noir jeté sur ses cheveux épars : elle se prosterna à ses pieds dont elle essuya la poussière avec ses cheveux comme lorsqu'on nettoie des chaussures. Elle fit cela publiquement devant tout le monde et plusieurs 'en scandalisèrent . Arrivés dans la maison, ils se préparèrent à célébrer le sabbat. se revêtirent de leur habits de cérémonie et prièrent sous la lampe ; après quoi ils se mirent à table. Vers la fin du repas, Madeleine poussée par l'amour. la reconnaissance, le repentir et l'inquiétude, vint de nouveau se placer derrière le Seigneur, brisa au-dessus de sa tète un flacon d'essence parfumée, en versa aussi sur ses pieds qu'elle essuya avec ses cheveux et quitta la salle. Plusieurs des assistants s'en scandalisèrent un peu, surtout Judas qui excita au murmure Matthieu, Thomas et Jean Marc. Mais Jésus excusa l'acte de charité de Madeleine. Elle lui a souvent rendu ce même hommage. Il en est de cela comme de plusieurs autres choses qui, s'étant répétées plusieurs fois, ne sont pourtant mentionnées qu'une seule fois dans l'Evangile. Après le repas, qui fut suivi de quelques prières, apôtres et les disciples se retirèrent chacun de son côté ; mais Judas, transporté de rage, se rendit dès cette nuit à Jérusalem en toute hâte. Je le vis aiguillonné par l'envie et la cupidité, courir dans les ténèbres sur la montagne des Oliviers : il me sembla voir près de lui une lueur sinistre comme si le démon l'eût éclairé. Il courut chez Caiphe et dit seulement quelques mots dans le bas de la maison. Il ne s'arrêtait jamais longtemps nulle part. Je le vis ensuite gagner précipitamment la maison de Jean Marc, comme s'il venait y passer la nuit ainsi que le faisaient souvent d'autres disciples. Ce fut son premier acte formel de trahison. 17 mars.-- Ce matin, comme Jésus allait avec quelques disciples de Béthanie à Jérusalem, ceux-ci, voyant que le figuier maudit par Jésus s'était desséché, furent saisis d'étonnement. Je vis Jean et Pierre s'arrêter sur le chemin près de cet arbre, et comme ce dernier témoignait sa surprise, Jésus lui dit que s'ils croyaient, ils opéreraient des prodiges encore plus grands que celui-là, et que les montagnes mêmes se précipiteraient dans la mer à leur commandement. Il tint encore d'autres discours à ce sujet et parla de la signification du figuier en général. Beaucoup d'étrangers se trouvaient alors à Jérusalem le matin et le soir on leur donnait au temple une instruction accompagnée de certaines cérémonies. Jésus enseigna dans l'intervalle. Ceux qui avaient quelque objection à lui faire se levaient et lui-même s'asseyait. Quand il parlait, il se tenait debout. Comme il enseignait aujourd'hui dans le temple, des prêtres et des docteurs de la loi vinrent à lui et lui demandèrent en vertu de quelle autorité il faisait cela. Jésus leur répondit : " Moi aussi je veux vous faire une question, et si vous y répondez, je vous dirai à mon tour en vertu de quelle autorité j'en agis ainsi ". Note : L'écrivain ignorait ce qui est dit expressément dans saint Marc (XI, 20), que Jésus fît cette réponse ci Pierre le lendemain, comme ils revenaient à Jérusalem : c'est pourquoi il nia qu'il eût été question du figuier à deux reprises différentes. Mais Anne-Catherine persista à dire que les choses s'étaient passées ainsi : car elle avait vu sans discontinuer les allées et les venues successives ainsi que tout ce qui avait eu lieu dans les intervalles : elle avait vu tout cela très involontairement, et même sans y prendre une part bien vive, à cause de mille dérangements. Plus tard l'écrivain, à sa grande satisfaction, trouva dans saint Marc un récit conforme à celui de la soeur et vit que les mêmes apôtres étaient nommés il en fut d'autant plus surpris qu'une infinité de fois il a pu constater qu'Anne Catherine n'a pas la moindre connaissance de la sainte Ecriture en sorte qu'elle s'étonne toujours qu'on n'y retrouve pas tout ce qu'on voit. (Note du Pèlerin) Alors Anne-Catherine rapporta en substance les paroles du Seigneur telles qu'elles se trouvent dans saint Matthieu (XXI, 24, 32). Cela se passa dans la matinée. Dans l'après-midi elle entendit le Seigneur raconter la parabole du maître de la vigne et parler de la pierre angulaire rejetée par les architectes (Matth., XXI, 33, 43). Le fils du maître de la vigne mis à mort le désignait lui-même ; les meurtriers désignaient les pharisiens. Ceux-ci auraient bien voulu se saisir de Jésus, mais ils n'osaient pas parce que tout le peuple était pour lui : je vis qu'ils se réunirent ci formèrent le projet de surveiller de plus près son enseignement et de lui envoyer des affidés ayant des parents parmi les disciples, lesquels devaient essayer de le prendre par ses paroles à l'aide de questions captieuses. Ils devaient notamment l'interroger touchant la résurrection. Les hommes choisis pour cela étaient au nombre de cinq. La signification de ce chiffre m'a été expliquée, mais je l'ai oubliée. Vers le soir, comme Jésus revenait à Béthanie, quelques personnes compatissantes vinrent sur le chemin et lui offrirent à boire. Il passa la nuit dans l'hôtellerie des disciples, près de Béthanie. 18 mars.-- Jésus enseigna a Béthanie pendant une partie de la matinée et il n'alla qu'assez tard au temple où il enseigna seulement pendant trois heures. Il raconta la parabole du roi qui donne un repas de noces (Matth. XXI, 1, 14). Il y avait là des espions envoyés par les pharisiens : Jésus revint de bonne heure à Bethanie et il enseigna encore dans une salle voisine de la maison où se trouvaient Madeleine et Marthe avant la résurrection de Lazare. Là aussi il y avait des espions. Ensuite, Jésus enseigna dans l'hôtellerie des disciples : les saintes femmes étaient présentes. Il passa la nuit dans cette hôtellerie. 19 mars . Ce matin encore Jésus a enseigné à Béthanie. Je ne l'ai pas vu de bonne heure au temple. Je vis cinq hommes qui avaient des rapports de parenté avec certains disciples, mais qui étaient du parti des pharisiens et parmi lesquels il y avait aussi des affidés d'Hérode. Poussés par les pharisiens, ils s'avancèrent vers la chaire en passant au milieu des sièges ranges en cercle autour d'elle, s'adressèrent à Jésus en termes élogieux et lui demandèrent s'ils devaient payer le tribut à l'empereur. Jésus leur dit de lui montrer le denier avec lequel on acquittait l'impôt, et l'un d'eux tir, de sa poche une pièce de monnaie de couleur jaune. Elle était à peu près de la dimension d'un thaler prussien et ressemblait aux monnaies que je vis chez les marchands attachées à des cordons. Anne-Catherine raconta ce qui s'ensuivit comme saint Matthieu le rapporte (XXII, 20-28). Après cela j'entendis encore une très belle instruction. Je l'ai entendue a merveille, j'en suis toute pleine et elle m'a ravie ; mais je ne puis pas la reproduire. Il dit entre autres choses que le royaume de Dieu ressemblait à un homme apportant une plante qui se propage à l'infini : que le royaume de Dieu ne serait plus le partage des Juifs, mais que ceux qui se convertiraient y arriveraient. Il dit encore qu'il passerait aux païens, et qu'un temps viendrait où l'orient serait plongé dans les ténèbres tandis que l'occident serait dans la lumière. Il enseigna ensuite qu'on devait faire le bien en secret : il l'avait fait ainsi lui-même et maintenant il allait recevoir sa récompense en plein midi. Il fit aussi une allusion au meurtrier qu'on devait lui préférer, ajoutant qu'il ne pouvait pas tout leur dire en ce moment et qu'il avait encore beaucoup de choses à leur dire. Je crois que dans huit jours il complétera cet enseignement sur le royaume de Dieu. Je ne puis pas reproduire son discours, mais il était très beau. Pendant l'instruction de l'après-midi, sept sadducéens vinrent à Jésus et l'interrogèrent sur la résurrection, lui citant une femme qui avait eu successivement sept maris. Jésus répondit qu'après la résurrection il n'y aurait plus de distinction entre les sexes, ni de mariage, et que Dieu était le Dieu des vivants et non pas le Dieu des morts. Je vis que tous les assistants furent émerveillés de son enseignement. Les Pharisiens aussi quittèrent leurs sièges et parlèrent tous à la fois : l'un d'eux, nommé Manassé, qui avait un emploi au temple, vint à Jésus et lui demanda très respectueusement quel était le principal commandement. Jésus le lui dit, et Manassé loua Jésus sincèrement ; mais Jésus, reprenant la parole, dit à cet homme qu'il n'était pas éloigné du royaume de Dieu : il dit ensuite quelque chose du Christ et de David et termina ainsi l'instruction. Tous ses adversaires étaient maintenant réduits au silence et ne trouvaient rien à répliquer. Lorsque Jésus sortit, un disciple l'interrogea et lui dit : " Que signifie ce que vous avez dit à Manassé qu'il n'était pas éloigné du royaume de Dieu " ? Le Seigneur lui répondit que Manassé croirait et le suivrait ; mais qu'il fallait garder le silence à ce sujet. J'appris qu'à partir de ce moment Manassé ne prit plus aucune part à ce qui se faisait contre Jésus et qu'il se tint tranquille jusqu'à l'Ascension du Sauveur, après laquelle il se déclara pour Jésus et se joignit aux disciples. Il était âgé de quarante et quelques années. Le soir Jésus revint à Béthanie : il mangea chez Lazare avec les apôtres, alla ensuite à l'hôtellerie où les saintes femmes étaient réunies et les enseigna encore jusque assez avant dans la nuit. Il coucha à l'hôtellerie des disciples. Pendant que Jésus est à Jérusalem, je vois souvent les saintes femmes prier, au nombre de cinq, sous le berceau de verdure où Madeleine était assise lorsque Marthe l'envoya vers Jésus avant la résurrection de Lazare. Elles observent un certain ordre dans leurs prières : tantôt elles se tiennent debout toutes ensemble, tantôt elles s'agenouillent ou s'assoient, chacune de son côté. 20 mars.-- Ce matin, Jésus enseigna encore dans l'hôtellerie, aux disciples à Béthanie, puis il alla au temple de Jérusalem où il resta bien six heures. Les pharisiens n'y étaient pas dans la matinée. Les disciples sous l'impression de son instruction de la veille, lui demandèrent ce qu'il fallait entendre par ces mots : " Que votre règne arrive ", Jésus leur dit beaucoup de choses à ce sujet, entre autres, que son Père et lui ne faisaient qu'un et qu'il allait à son Père. Là-dessus ils demandèrent quel besoin il avait j] d'aller à son Père, puisqu'ils ne faisaient qu'un. Alors Jésus parla de sa mission : il dit qu'il se séparait de l'humanité, 1 de la chair et que quiconque se séparait de sa propre nature humaine déchue pour aller à lui par lui, se dirigeait aussi vers le Père. Il parla à ce sujet d'une manière si touchante que les apôtres transportés de joie et d'enthousiasme se levèrent soudainement et s'écrièrent : " Seigneur, nous voulons propager votre royaume jusqu'aux extrémités de la terre " ! Mais Jésus leur répondit que ceux qui parlaient ainsi n'étaient capables de rien faire. Cela les contrista et il leur répéta qu'ils ne devaient jamais dire : " J'ai chassé les démons en votre nom, j'ai fait ceci et cela " ! et qu'en tout ils ne devaient pas publier leurs oeuvres. Il rappela aussi combien il avait fait de choses en secret lorsqu'il s'était séparé d'eux dernièrement, et comment alors ils avaient insisté pour qu'il allât dans sa patrie, quoique les Juifs eussent voulu le faire périr à cause de la résurrection de Lazare. Mais alors comment tout aurait-il pu arriver à son accomplissement ? Ils demandèrent encore comment son royaume se manifesterait, s'il leur fallait garder le secret sur toutes choses ? Je ne me souviens plus de la réponse de Jésus. Il s'entretint encore longtemps avec eux et ils furent de nouveau saisis de tristesse. Vers midi les disciples sortirent et il resta avec les apôtres. Les disciples lui apportèrent à boire. Après midi, les scribes et les pharisiens arrivèrent en si grand nombre qu'ils entouraient Jésus de tous les côtés et que les disciples se trouvaient séparés de lui. Il fit alors un discours d'une sévérité effrayante contre les pharisiens. Anne Catherine rapporta à cette occasion la plus grande partie du discours qui se trouve dans saint Matthieu (XIII, 2-39), et elle ajouta que Jésus leur avait dit encore : " Vous ne mettez pas à présent la main sur moi, parce que mon heure n'est pas venue ". Après cela tous les pharisiens quittèrent le temple. Jésus revint à Béthanie à la nuit tombante : il enseigna encore et coucha à l'hôtellerie. 21 mars.-- Jésus passa toute la journée d'aujourd'hui chez Lazare avec les saintes femmes et les douze apôtres. Il avait enseigné le matin dans l'hôtellerie des disciples et devant les saintes femmes. Vers trois heures, il y eut un grand repas chez Lazare, dans la salle souterraine : les femmes servirent à table, puis elles se retirèrent dans la pièce triangulaire grillée d'où elles entendirent l'instruction. J'ai entendu distinctement et bien retenu d'abord beaucoup de choses de cette instruction, mais j'ai eu de grandes peines qui m'en ont fait oublier la plus grande partie. Jésus dit entre autres choses, qu'ils ne seraient plus longtemps réunis, qu'ils ne mangeraient plus chez Lazare, qu'ils feraient encore un repas chez Simon, mais qu'après cela on ne leur laisserait plus la même tranquillité. Il les engagea aussi à lui parler en toute confiance et à l'interroger comme s'il était l'un d'entre eux. Ils lui adressèrent alors plusieurs questions, surtout Thomas qui a, ait beaucoup de doutes : Jean aussi l'interrogea souvent, mais doucement et à voix basse. Lorsque le repas fut fini et qu'ils eurent prié, ils reprirent de nouveau leurs sièges. Jésus dit que le temps approchait ou le Fils de l'Homme serait livré par trahison ; alors Pierre se levant vivement, vint à lui et lui demanda pourquoi il parlait toujours comme s'il devait être trahi par eux : pour lui, lors même qu'il admettrait que ce pût être quelqu'un des autres, il se portait garant pour les douze, assuré qu'ils ne le trahiraient pas Pierre dit cela avec beaucoup d'arrogance et comme blessé dans son honneur. Mais Jésus lui répondit avec une vivacité que je fit lui ai jamais vue, pas même lorsqu'il lui dit : " Arrière, Satan " ! Il dit qu'ils tomberaient tous si sa grâce et ses prières ne les soutenaient pas ; que, quand l'heure serait venue, tous l'abandonneraient qu'il y en avait un parmi eux qui ne serait pas ébranlé, mais que celui-là aussi s'enfuirait, puis reviendrait. Il voulait parler de Jean qui, lors de l'arrestation de Jésus, s'enfuit en abandonnant son manteau. Cela les attrista et les troubla beaucoup. Pendant tout ce discours Judas resta serein : il souriait et faisait l'officieux. Ils interrogèrent encore Jésus sur son royaume qui devait leur arriver : il en parla avec un charme indicible et leur dit qu'un autre Esprit descendrait sur eux, qu'alors seulement ils comprendraient tout. Il leur dit qu'il devait aller à son Père et leur envoyer un autre Esprit qui procédait du Père et de lui. Je me souviens parfaitement qu'il s'est exprimé ainsi. Il dit encore quelque chose que je ne puis pas reproduire comme il faudrait, car je n'entends pas tout cela comme j'entends des paroles humaines : les termes dont il se servait équivalaient à dire qu'il était venu dans la chair pour racheter l'homme : qu'il y avait quelque chose de matériel dans son action sur eux, que le corps exerçait une action matérielle et qu'à cause de cela ils ne pouvaient pas le comprendre : mais il devait envoyer l'Esprit qui leur ouvrirait l'esprit. Ce sont des choses pour lesquelles je ne trouve pas d'expressions. Jésus parla encore d'un temps d'affliction qui allait venir, où tous seraient dans l'angoisse et comme une femme dans les douleurs de l'enfantement. Il parla aussi de la beauté de l'âme humaine faite à l'image de Dieu et dit quelle grande chose c'était de sauver les âmes et de les ramener. Il leur répéta qu'ils l'avaient bien souvent mal compris, mais qu'il avait été condescendant avec eux et que lorsqu'il les aurait quittés, ils devaient l'être aussi avec les pécheurs. Là-dessus, Pierre lui ayant représenté que lui-même venait de montrer un zèle bien ardent, il les enseigna sur la différence entre le vrai zèle et le faux zèle. Jésus enseigna ainsi jusque fort avant dans la nuit : Nicodème et un fils de Siméon vinrent le trouver en secret. Il était plus de minuit lorsque Jésus et les siens se retirèrent pour aller dormir et le Seigneur leur dit de dormir tranquilles encore cette fois ; il ajouta qu'il viendrait bientôt un temps où ils seraient dans le trouble et dans l'angoisse et où ils perdraient le sommeil, puis un autre temps où, au milieu des persécutions, ils dormiraient la tête sur une pierre, aussi paisiblement que Jacob sous l'échelle céleste. Quand il eut terminé son instruction, tous s'écrièrent : " Seigneur, combien cette instruction et cette soirée nous ont semblé courtes " ! C'est que Jésus avait parlé d'une manière admirable : Je ne l'avais pas aussi parfaitement entendu depuis bien longtemps, mais au milieu de tout cela j'était tiraillée par les misérables tracas de ce monde, en sorte que j'oubliais tout. 22 mars.-- Jésus se rendit au temple de très bonne heure. Il n'alla pas à l'endroit où l'on enseignait ordinairement, mais dans la salle où Marie avait présenté son offrande. Il y avait là dans la partie antérieure un tronc assez rapproché de l'entrée du milieu : à gauche était un siège moins grand que celui d'où l'on enseignait : ordinairement un prêtre était assis là pendant les offrandes pour surveiller et maintenir le bon ordre. Les sièges des femmes étaient près de l'entrée, ceux des hommes du côté opposé. A l'extrémité de la salle était une grille derrière laquelle on avait dressé l'autel lorsque Marie présenta l'enfant Jésus. Le tronc des offrandes était un gros piller carré, haut d'environ trois pieds, recouvert d'une draperie rouge et d'une autre draperie blanche à jour : il y avait de trois côtés des ouvertures en entonnoir dans lesquelles on jetait l'argent ; une petite porte était pratiquée au bas du tronc. Près de là était une table sur laquelle on déposait des oiseaux et d'autres objets offerts au temple. C'était aujourd'hui que tous ceux qui voulaient se purifier pour la fête de Pâques devaient apporter leur offrande. Il vint des pharisiens qui auraient désiré prendre la place que Jésus occupait déjà et qui se scandalisèrent fort de le trouver là. Jésus voulut la leur céder mais ils ne l'acceptèrent pas. Les apôtres se tenaient autour de lui deux par deux. Les hommes vinrent les premiers et les femmes ensuite : ils sortaient par une autre porte placée à gauche. Les gens qui apportaient des offrandes se tenaient au dehors attendant qu'on les introduisît, et on les faisait toujours entrer cinq par cinq. Jésus resta assis là pendant trois heures. C'était ordinairement vers midi qu'on cessait de recevoir les offrandes, mais il resta là plus longtemps, et cela irrita encore les pharisiens. Cette salle était celle ou Jésus avait autrefois renvoyé la femme adultère (Anne-Catherine a oublié de raconter cet épisode). Le temple ressemblait à trois églises l'une au bout de l'autre. Il y avait trois grandes arcades sous lesquelles on se tenait. La première donnait entrée dans la salle ronde ou l'on enseignait : le lieu des offrandes où se tenait actuellement Jésus était a droite de cette salle, et plus rapproche du sanctuaire ; on arrivait au tronc des offrandes par de longs corridors. (Elle donne encore plusieurs détails sur des pièces adjacentes, mais ses descriptions sont confuses.) La dernière personne qui présenta son offrande aujourd'hui fut une pauvre veuve fort timide. On ne pouvait pas voir ce qu'elle mettait dans le tronc, mais Jésus qui le savait, dit à ses disciples qu'elle avait donné plus que tous les autres, car elle avait donné tout ce qui lui restait pour pourvoir à sa subsistance ce jour-là. Jésus lui fit dire de l'attendre entre la maison où eut lieu plus tard la dernière cène et la maison de Jean Marc. Dans l'après-midi, Jésus enseigna de nouveau à l'endroit ordinaire dans le parvis du temple. La salle circulaire où il enseignait était en face de la porte : à droite et à gauche se trouvaient des degrés par lesquels on montait au sanctuaire, et de celui-ci d'autres marches conduisaient au saint des saints. Cependant les pharisiens vinrent encore à son instruction : il répéta ce qu'il avait dit contre eux récemment et leur demanda de nouveau pourquoi ils ne s'étaient pas saisis de lui, quoiqu'il leur en était bien laissé le temps la veille. Il dit encore que son heure n'était pas venue et que cela ne dépendait pas d'eux : il ajouta que le temps viendrait où ils ne célébreraient pas la Pâque aussi tranquillement qu'autrefois et qu'ils ne sauraient où se cacher parce que tout le sang des prophètes qu'ils avaient mis à mort retomberait sur leur tête. Il dit encore que ceux-ci se lèveraient de leurs tombeaux et que la terre tremblerait. J'ai vu, à l'occasion de ce discours, qu'à la mort de Jésus, beaucoup d'édifices s'écroulèrent à Jérusalem, que des tombeaux s'ouvrirent et qu'il en sortit des morts qui ensuite disparurent. Jésus parla aussi du tronc des offrandes et de la pauvre veuve : le soir quand il quitta le temple, il s'entretint avec elle et lui dit qu'un fils qu'elle avait se donnerait à lui, ce qui lui causa beaucoup de joie. Ce fils en effet se réunit aux disciples avant la mort de Jésus. Cette veuve était très pieuse et très attachée aux observances judaïques, mais simple et droite. Sur le chemin un disciple montrant le temple à Jésus vanta la beauté de cet édifice et Jésus lui dit qu'il n'y resterait pas pierre sur pierre. Il alla avec ses disciples à la montagne des Oliviers. Il y avait à une certaine hauteur, un siège de pierre entouré de bancs de gazon près d'une espèce de jardin où les prêtres venaient souvent, le soir, s'asseoir et se reposer des travaux de la journée. Jésus s'assit sur ce siège et quelques apôtres lui demandèrent quand aurait lieu cette destruction du temple dont il parlait. Ce fut alors qu'il annonça les malheurs à venir (Matth., XXIX, 4-14). Ses derniers mots furent : " Heureux celui qui persévérera jusqu'à la fin ". Jésus ne resta guère là qu'un quart d'heure. On avait de cet endroit une vue merveilleusement belle sur le temple illuminé par les rayons du soleil couchant, et dont l'éclat éblouissait les yeux. C'était un magnifique aspect que celui de ces murs construits en beaux blocs de pierre d'un rouge foncé et d'un jaune brillant, dont l'appareillage régulier les faisait ressembler à un immense échiquier. Le temple de Salomon avait plus de dorures : la splendeur de celui-ci était dans les pierres elles-mêmes. Les pharisiens étaient pleins de rage contre Jésus : ils tinrent encore conseil pendant la nuit et envoyèrent des émissaires pour l'espionner. Ils désiraient fort que Judas revint s'aboucher avec eux autrement, disaient-ils, ils ne pourraient pas mener les choses à bien. Judas n'était pas revenu depuis le soir ou il était allé leur parler. 23 mars .--Aujourd'hui de très bon matin, je vis encore Jésus sur le siège de pierre de la montagne des Oliviers : il avait avec lui les apôtres et quelques disciples. J'ai été cette nuit si malade et si troublée que j'ai pu à peine retenir quelque chose de l'objet de son discours. Il a encore parlé de la ruine de Jérusalem et il a employé une comparaison tirée d'un figuier qui se trouvait là. Il a dit aussi et alors qu'il était déjà trahi, que le traître, sans prononcer son nom, avait offert de le livrer. Les pharisiens avaient un grand désir de revoir le traître : quant à lui, il désirait qu'il s'amendât, qu'il se repentît et ne tombât pas dans le désespoir. Il dit tout cela, quoique en termes voilés et généraux, et pendant ce temps, Judas l'écoutait en souriant. Il exhorta aussi les apôtres à ne point se laisser aller à des sollicitudes tout humaines parce qu'il leur avait dit qu'ils seraient dispersés : ils ne devaient pas pour cela oublier ce qu'il leur avait dit ensuite ni envelopper en quelque sorte une impression dans une autre. Il fit à ce sujet une composition tirée d'un manteau, mais je l'ai oubliée : il leur fit aussi en termes généraux des reproches de ce que quelques-uns avaient murmuré sur la louable action de Madeleine. Jésus faisait allusion au mécontentement que quelques-uns avaient manifesté le vendredi précédent au sujet de ce qu'avait fait Madeleine, mais il ne parla qu'en général s'il parla de cet incident, ce fut sans doute parce qu'il avait été suivi du premier acte de trahison formelle de Judas, et aussi pour donner d'avance un avertissement indirect à celui-ci, qui consomma en effet sa trahison peu de temps après, à la suite du dernier hommage rendu au Sauveur par Madeleine. Si quelques autres s'étaient scandalisés de cette prodigalité inspirée à Madeleine par son amour, ç'avait été de leur part rigorisme étroit et esprit d'économie mal entendu. Ils connaissaient cet emploi des onguents parfumés comme un luxe souvent répréhensible usité dans les fêtes mondaines et ne savaient pas que cette fois c'était une cérémonie souverainement digne du saint des saints. Ce ne sont pas tout à fait les paroles d'Anne Catherine, mais c'est bien le sens des explications données par elle sur ce que dit alors le Seigneur. A cette occasion je vis encore une fois cette scène. Madeleine pleine d'une tendresse compatissante, alla au-devant de Notre Seigneur à l'entrée de la maison. Elle avait un habit de pénitente avec une ceinture, un voile noir sur la tête et les cheveux épars par dessous. Elle se jeta aux pieds de Jésus et en essuya la poussière avec ses cheveux comme on le fait quand on nettoie la chaussure de quelqu'un. Elle fit cela publiquement, devant tout le monde, et quelques-uns s'en scandalisèrent. Ensuite, pendant le repas, elle versa son onguent sur Jésus. Elle a fait cela très souvent : il y a de même beaucoup d'autres choses qui se sont répétées plus souvent que ne le rapporte l'Evangile. Plus tard Madeleine a encore éprouvé des désagréments à ce sujet de la part des disciples. Jésus dit en outre aux disciples qu'il enseignerait encore deux fois en public : je crois du moins l'avoir entendu ainsi ; et lorsqu'il leur parla de la fin du monde et de la destruction de Jérusalem, il rapprocha des signes qu'il leur énuméra d'autres signes auxquels ils devaient reconnaître que l'heure où il se séparerait d'eux était proche. Il leur dit qu'ils auraient encore une contestation pour savoir quel était le plus grand parmi eux, et que ce serait un signe pour eux, car il se séparerait d'eux peu après. Il insinua aussi que l'un d'entre eux le renierait et il leur fit sentir qu'il leur disait tout cela pour les rendre humbles et vigilants. Il leur annonça beaucoup de choses d'avance et ne cessa de montrer une charité et une patience sans bornes. Vers midi Jésus enseigna dans le temple. Il raconta la parabole des dix vierges et celle des talents : il s'éleva encore avec force contre les pharisiens, répéta ses paroles antérieures sur les prophètes mis à mort et leur dit en face ce qu'ils projetaient contre lui ; à propos de ces répétitions des mêmes paroles, il dit plus tard aux apôtres et aux disciples que, lors même qu'on n'espérait plus corriger, il fallait réitérer les avertissements. Lorsque Jésus sortit du temple, une centaine d'étrangers et de paiens s'adressèrent à lui : il les renvoya à ceux de ses disciples qui habitaient Jérusalem ou dans les environs. Ces gens n'avaient pas assisté à l'instruction, car il ne leur était pas permis de venir dans le temple : l'entrée de Jésus à Jérusalem, ses miracles et tout ce qu'ils avaient entendu dire de lui, les avaient déjà convertis. Parmi eux se trouvaient ces Grecs avec lesquels Jésus s'était entretenu récemment. Il se sépara ici de ses disciples et s'éloigna avec quelques-uns d'entre eux seulement. Je ne l'ai pas vu aller à Béthanie, ni sur la montagne des Oliviers.. Il doit être resté dans la vallée qui s'étend au bas. 24 mars-- il y avait au pied de la montagne des Oliviers un grand espace libre et quelques hôtelleries situées entre des murs, où logeaient souvent des étrangers. En ce moment elles étaient vides Jésus y avait passé la nuit : on venait tous les jours de Jérusalem nettoyer ces maisons. Le matin il enseigna les disciples et les apôtres sur la place il leur annonça plusieurs choses à l'avance ; il leur dit qu'il mangerait encore deux fois avec eux, qu'il avait un grand désir de faire avec eux un dernier repas de charité, et qu'il leur donnerait alors ce qu'il pouvait encore leur donner comme homme. Jésus alla encore au temple. Les pharisiens vinrent se poster deux par deux pour l'observer. Il parla de son retour vers son Père et dit qu'il était venu pour mettre fin au règne du péché parmi les hommes. Le péché avait pris naissance dans un jardin, il devait aussi prendre fin dans un jardin. C'était dans un jardin qu'ils devaient mettre la main sur lui. Il leur reprocha d'avoir déjà voulu le mettre à mort après la résurrection de Lazare : mais il s'était éloigné afin que toutes choses pussent s'accomplir. Il divisa en trois parties le temps qu'avait duré son absence : je ne me souviens plus s'il parla de trois fois quatre semaines, de trois fois cinq ou de trois fois six. Il dit aussi comment ils voulaient le traiter : ils voulaient le livrer au supplice comme un malfaiteur : mais ils ne réussiraient pas à lui infliger après sa mort un outrage infamant. Il parla de nouveau des prophètes mis à mort qui devaient ressusciter : il indiqua même du doigt les endroits ou ils se montreraient. Quant aux pharisiens auxquels il parlait, il dit que l'inquiétude et la terreur les empêcheraient de mettre à exécution tous leurs projets contre lui. Il parla aussi d'Ève, dit que le péché était venu par elle sur la terre, que les femmes en portaient la peine et ne pouvaient pas, à cause de cela, entrer dans le sanctuaire. Mais c'était aussi par les femmes que le remède du péché était venu dans le monde, et c'est pourquoi il venait les affranchir, non de la soumission, mais de l'esclavage. Jésus parla encore de son retour à son Père et dit quelque chose que je n'ai pas compris sur ce que lui-même était la volonté du Père. Il a déclaré nettement qu'il était le salut des hommes et qu'il les soustrairait à l'empire du péché. Il expliqua aussi pourquoi les hommes seuls étaient rachetés et non pas les anges déchus : mais j'ai oublié ce qu'il dit. Il resta dans l'hôtellerie qui est au bas de la montagne des oliviers : ils avaient là une lampe et ils firent les prières du sabbat. 25 mars.-- Ce matin, Jésus accompagné des siens traversa le torrent de Cédron, puis il se dirigea au nord à travers un groupe de maisons séparées par de petites pelouses où des brebis paissaient : c'était là qu'était entre autres la maison de Jean Marc. Le Seigneur se dirigea ensuite vers Gethsémani, qui est un village grand à peu près comme Bethphagé, situé sur les deux rives du torrent de Cédron. La maison de Jean Marc en était éloignée d'environ un quart de lieue ; elle était devant la porte par laquelle on conduisait les animaux au marché au bétail : ce marché était situé au nord du temple, sur une grande colline qui plus tard se couvrit de maisons. Il y avait bien une demi-lieue de là à Gethsémani, et une petite lieue de Gethsémani à Bethanie, en franchissant la montagne des Oliviers. Béthanie était située au levant du temple en droite ligne, et à une lieue seulement de Jérusalem quand on prenait le chemin le plus direct. Il y avait à Béthanie des points d'où l'on pouvait voir le temple et les forteresses qui s'élevaient derrière cet édifice. Il n'en était pas de même à Bethphagé dont la position était beaucoup moins élevée et où la vue était interceptée par la montagne des Oliviers ; le temple ne devenait visible de ce côté que lorsqu'on arrivait à une gorge par laquelle le chemin passait. Lorsque Jésus traversa le torrent de Cédron pour aller à Gethsémani, il dit aux apôtres en leur montrant une dépression de la montagne des Oliviers, que c'était là qu'ils l'abandonneraient, car c'était là qu'on devait se saisir de lui. Il paraissait très triste. Il se rendit ensuite avec eux à Béthanie. Il alla dans la maison de Lazare, puis dans l'hôtellerie où il enseigna plus spécialement les disciples : il se promena ensuite avec eux dans divers jardins d'agrément situés au levant de Béthanie. Il alla aussi à deux lieues au nord, dans cette bourgade formée de maisons disséminées, où, le 29 janvier, il avait guéri, parmi beaucoup d'autres, ce jeune possédé duquel je vis sortir les trois sphères ténébreuses représentant le règne du monde. Il consola les habitants et s'entretint avec eux comme quelqu'un qui fait ses adieux. Le soir, à Béthanie, Jésus assista à un grand repas chez Lazare. Les saintes femmes étaient encore présentes derrière leur grille et Jésus leur donna des enseignements. A la fin du repas il dit à ses amis qu'ils pouvaient encore cette fois dormir en paix. 26 mars.-- Ce matin Jésus alla de bonne heure à Jérusalem avec les disciples. Après avoir passé le torrent de Cédron, en face du temple, il longea les murs de la ville en se dirigeant vers le midi ; puis il entra par une petite porte et traversa au pied de la montagne de Sion un pont en maçonnerie jeté sur un profond ravin : au-dessous du temple, je vis aussi des excavations. Jésus, partant du côte du midi, suivit un long passage voûté, à peine éclairé par quelques ouvertures pratiquées dans le haut, et il arriva ainsi au parvis des femmes Il tourna ensuite à l'est, passa par la porte où se plaçaient les femmes suspectes d'adultère, et, traversant le lieu des offrandes, il gagna la chaire qui était dans la première salle du temple. Cette porte d'ignominie restait toujours ouverte lors même que, pendant ses instructions, les Pharisiens faisaient fermer toutes les entrées du temple : " La porte du péché, disaient-ils, doit toujours rester ouverte pour le pécheur " ! Jésus fit une admirable instruction pleine de profondeur : il parla entre autres choses de l'union et de la séparation. Il se servit d'une comparaison tirée de l'eau et du feu qui sont contraires l'un à l'autre et ne peuvent subsister ensemble. Quand l'eau n'éteint pas le feu, elle ne fait que rendre la flamme plus vive et plus ardente. Il parla de la persécution et du martyre. Il désignait par le feu les disciples qui lui resteraient fidèles, par l'eau ceux qui se sépareraient de lui et tendraient vers l'abîme. Il indiqua l'eau comme étant pour le feu un instrument de supplice. Il parla aussi du mélange du lait et de l'eau dont il résultait une union si complète que rien ne pouvait plus les séparer. Tout ce dont je me souviens à ce sujet, c'est qu'il entendait par là son union avec eux, et il parla aussi de la douceur du lait et de ses qualités nutritives. Il traita en outre de l'union des époux dans le mariage. Je crois que les disciples lui demandèrent si les époux, et en général ceux qui se seraient aimés dans ce monde, se trouveraient réunis après leur mort. Jésus répondit qu'il y avait deux espèces de mariage : que l'union selon la chair et le sang était brisée par la mort et qu'il n'y avait plus de mariages de cette sorte dans l'autre vie, mais que les époux selon l'esprit s'y trouveraient réunis. Ils ne devaient pas s'inquiéter de savoir s'ils s'y trouveraient seuls ou ensemble : ceux qui vivraient dans le mariage selon l'esprit étaient destinés à faire partie d'un seul et même corps. Il parla alors du fiance, et de l'Eglise qui est le corps de la fiancée Il dit qu'il ne fallait pas craindre le martyre corporel que le martyre de l'âme était bien plus redoutable. Comme les apôtres et les disciples ne comprenaient pas tout ce qu'il disait, Jésus leur ordonna de mettre sur-le-champ par écrit ce qu'ils n'entendraient pas. Je vis alors Jean, Jacques le Mineur et un autre placer des tablettes devant eux et y noter quelque chose de temps en temps. Ils écrivaient sur de petits rouleaux avec une teinture qu'ils portaient sur eux dans une espèce d'étui en corne. Ils les tirèrent de leur sein et écrivirent seulement au commencement de l'instruction. Jésus parla aussi d'une union qu'il contracterait avec eux dans un repas et que rien ne pourrait détruire. Il dit aussi quelque chose de l'eau qui donnerait la force, et des sacrements en général. Il déclara encore aux apôtres que dorénavant ils devaient se séparer de leurs femmes. Cela fut présenté sous forme d'interrogation. Il leur dit : " Pourriez-vous faire en même temps telle chose et telle autre " ? il s'agissait d'un sacrifice qui devait être offert, et la conclusion était qu'ils devaient vivre dans la continence. I :n disciple, toutefois, pouvait conserver sa femme. Note : Lorsque le Pèlerin consigna dans son journal ces paroles sorties de la bouche de la narratrice, il y ajouta un point d'interrogation comme s'il y eût trouvé une inexactitude ou une erreur. Mais ces paroles ont un sens très admissible : car l'effet que produisait dans tous les cas le baptême de Jean était ablution extérieure ou la purification des transgressions de l'ancienne loi, lors même que le manque de disposition de la part de celui qui le recevait empêchait l'action intérieure de la grâce sanctifiante. Lorsque cette dernière se produisait, elle n'était pas l'effet immédiat du baptême de Jean pris en lui-même, mais l'effet de la foi et de la résolution de faire pénitence qui accompagnaient la réception de ce baptême. (Note de l'éditeur) Il traita aussi du baptême de Jean et dit qu'il avait seulement lavé les péchés, mais qu'il leur enverrait le Saint Esprit qui, par son baptême, les ferait tous enfants de la rédemption. Ils devaient, après sa mort, baptiser à la piscine de Bethesda tous ceux qui viendraient demander le baptême. Quand ils viendraient en grand nombre, il faudrait les ranger deux par deux pour leur imposer les mains sur les épaules, après quoi on les baptiserait en les plaçant sous le jet de la pompe. Au lieu de l'ange qui venait autrefois, ce serait le Saint-Esprit qui descendrait sur les nouveaux baptisés, aussitôt que le sans rédempteur aurait été versé, et cela avant qu'eux-mêmes eussent reçu le Saint Esprit. Pierre, comme étant celui auquel Jésus avait assigné le premier rang parmi eux, demanda s'ils devaient toujours en agir ainsi, et s'il ne fallait pas d'abord examiner et instruire les aspirants. Jésus répondit que ces gens seraient fatigués d'avoir attendu pendant la fête, qu'ils seraient épuisés et mourants de soif et qu'il fallait se borner à faire comme il avait dit. Plus tard quand ils auraient reçu le Saint Esprit, ils sauraient toujours ce qu'ils auraient à faire. Il s'entretint aussi avec Pierre touchant la pénitence et l'absolution. Il parla à tous de la fin du monde et des signes qui devaient précéder : un homme éclaire d'en haut devait avoir une vision à ce sujet et le Seigneur mentionna quelques tableaux qui devaient passer sous ses yeux. Je vis qu'il faisait allusion à l'Apocalypse de saint Jean, car lorsque Jésus parla de cet homme éclairé d'en haut, la vision où Jean vit l'ange qui se tenait debout sur la mer me fut montrée. Jésus lui-même fit mention de divers tableaux du même genre. Il parla des hommes marqués au front et de la Source d'eau vive coulant du Calvaire, laquelle serait empoisonnée tout entière (note). Cependant toutes les eaux pures devaient être recueillies dans une fontaine de la vallée de Josaphat. Il parla aussi d'hommes montés sur des chevaux et de plusieurs tableaux semblables. Je lui entendis dire que toute eau devait redevenir eau baptismale, et beaucoup d'autres choses que je ne puis pas rapporter. Note : Ces paroles s'appliquent sans doute au :t trois ans et .demi pendant lesquels durera la domination de l'Antéchrist. alors que l'Eglise de Dieu se trouvera dans la dernière détresse et aura comme disparu de la face de la terre. ( note de l'éditeur). Lorsqu'il parla de la continence rigoureuse que les apôtres devaient s'imposer, il cita Abraham et les autres patriarches qui, avant de sacrifier, avaient coutume de se purifier ainsi par une continence prolongée. Lorsque Anne Catherine entendit Jésus dire que le mariage selon la chair et le sang était dissous par la mort, tandis que le mariage selon l'esprit persistait dans l'autre vie, elle eut une grande vision où se succédaient les tableaux les plus divers, touchant une parabole que le Seigneur avait racontée dans son instruction. Distraite par les scènes de la Passion qui venaient se présenter à elle et par les souffrances personnelles qu'elle unissait à celles de Jésus, en outre n'ayant pas reçu de son confesseur l'ordre positif qui l'aurait soutenue et fortifiée, elle ne se trouva pas en état de raconter cette parabole assez clairement pour se faire bien comprendre. Le Pèlerin, il est vrai, rédigea du mieux qu'il put le récit écourté qu'elle lui en fit, mais au lieu d'en reproduire ici les fragments incomplets et par conséquent presque inintelligibles, l'éditeur doit se borner à mettre sous les yeux du lecteur, les paroles où le Pèlerin cherche à se rendre compte du contenu de la parabole. " Je crois, dit-il dans son journal, que cette parabole avait pour objet la dégradation de l'homme sorti pur des mains de Dieu, mais déchu par le péché et livré à la vie des sens. Elle le montrait chassé du paradis et se multipliant dans le désert. Elle disait comment la sainteté et la lumière s'étaient obscurcies dans l'homme en se mêlant aux ténèbres, comment enfin était venu le temps où la promesse du salut devait s'accomplir et comment le pur grain de froment et la pure grappe de raisin s'étaient produits et développés : comment le festin des noces célestes a commencé et comment il a fait descendre sur la pauvre humanité déchue une grâce fortifiante. Cette parabole contenait donc toute l'histoire de la chute, de la propagation et de la dispersion des hommes et celle des moyens employés par Dieu pour les racheter, les réunir en un seul corps, celui de l'Eglise, fiancée de Jésus-Christ de laquelle ils devaient recevoir une nouvelle naissance qui les ferait enfants de Dieu. En d'autres termes, c'était l'histoire du mariage dans l'humanité déchue et de ce mariage qui est un grand sacrement en Jésus-Christ et son Eglise ". Il n'y avait pas de Pharisiens présents à cette instruction. Le soir Jésus alla à Bethanie chez Lazare. 27 mars.-- Jésus fut tout le jour au temple où il enseigna en termes très graves sans que personne vînt le troubler. Il parla de la vérité et de l'accomplissement de ce qu'on enseigne. Quant à lui, il voulait maintenant mettre son enseignement en pratique. Il ne suffit pas de croire, il faut pratiquer ce qu'on croit. Aucun d'eux, pas même les Pharisiens, ne pouvait rien trouver à reprendre dans les enseignements qu'il avait donnés, maintenant il voulait, en retournant à son Père, accomplir la vérité qu'il avait enseignée. Mais avant de partir il voulait encore leur laisser et leur donner tout ce qu'il possédait. Il ne possédait ni argent, ni biens d'aucune espèce, mais il voulait leur laisser après lui son autorité et son pouvoir il voulait contracter avec eux une union qui durerait jusqu'à la fin des siècles et qui serait encore plus intime que celle qui avait existé jusqu'alors. Il voulait aussi les unir entre eux de manière à ce qu'ils fussent les membres d'un même corps. Il parla d'un si grand nombre de choses qu'il voulait encore faire avec eux, que Pierre conçut un moment l'espoir de le conserver encore longtemps et lui dit que s'il avait tout cela à faire avec eux, il resterait près d'eux jusqu'à la fin du monde. Mais Jésus indiqua tout ce qui était compris dans la notion de l'Eucharistie, sans pourtant mentionner précisément l'Eucharistie. Il leur dit aussi qu'il voulait célébrer avec eux la dernière Pâque, et Pierre lui demanda où il voulait que cela se fit. Jésus répondit qu'il le dirait quand le temps serait venu, et qu'après cette dernière Pâque, il irait à son Père. Pierre demanda alors s'il ne prendrait pas avec lui sa mère pour laquelle ils avaient tous tant d'affection et de respect. Jésus répondit qu'elle resterait avec eux un certain nombre d'années, où se trouvait le chiffre cinq ; je crois que c'était quinze ans. Il dit aussi touchant sa mère beaucoup de choses que j'ai oubliées. Aujourd'hui ou le jour précédent, il parla encore de Noé que le vin avait enivré, et des enfants d'Israël pour lesquels le pain céleste était devenu un aliment insipide : il parla aussi de l'absinthe avec laquelle on devait l'abreuver d'amertume. Il voulait à son départ préparer le pain de vie qui n'était encore ni pétri, ni cuit. Il dit à ce sujet des choses admirables que je ne puis pas exprimer clairement. Jésus dit aussi qu'il leur avait longtemps enseigné et communiqué la vérité, mais qu'ils avaient toujours douté et doutaient encore il semblait qu'il ne pouvait plus leur être utile par sa présence corporelle ; c'est pourquoi il voulait leur donner tout ce qu'il possédait et conserver seulement de quoi couvrir la nudité de son corps ; ils ne le comprirent pas, mais moi, je le compris. Ils crurent tout au plus qu'il allait mourir ou disparaître. Hier déjà, lorsqu'il avait parlé de la persécution des Juifs contre lui, Pierre l'engagea à s'éloigner, et l'assura qu'ils le suivraient tous. N'avait-il pas déjà fait une absence après la résurrection de Lazare ? Lorsque Jésus quitta le temple vers le soir, il dit, en lui faisant ses adieux, qu'il n'y rentrerait plus avec ce corps dont il était revêtu. Ce discours fut si touchant que les apôtres et les disciples se prosternèrent contre terre, pleurant et sanglotant. Jésus aussi pleura : je le vis pleurer avec eux : combien il est touchant de voir pleurer des hommes d'un âge avancé ! Je ne vis pas pleurer Judas : mais il était dans l'angoisse. Il avait été si agité ces derniers jours ! Hier Jésus n'a pas dit un mot qui le concernât Lorsqu'ils arrivèrent devant le temple, au parvis dont l'accès était permis aux païens, il y en avait là un grand nombre qui voulaient s'adresser à Jésus. Ils virent les apôtres pleurer et Jésus leur dit qu'ils auraient à s'adresser plus tard aux apôtres et aux disciples auxquels il remettrait toute son autorité : mais le moment n'était pas encore venu Je vis Jésus parcourir avec eux tout le chemin qu'il avait suivi le dimanche des Rameaux et se tourner encore souvent vers le temple en prononçant des paroles tristes et sévères. Il alla encore avec eux dans l'hôtellerie qui est au pied de la montagne des Oliviers et où il avait récemment enseigné le soir, il s'entretint là encore avec plusieurs disciples et se rendit à Béthanie, comme il faisait déjà nuit. Là Jésus enseigna encore dans la maison de Lazare pendant un souper où les femmes servirent : elles étaient maintenant moins strictement séparées des hommes. Il commanda pour le soir du jour suivant un grand repas chez Simon. Ils dormirent jusqu'au matin autour de la salle, couchés sur des espèces de matelas qu'ils déroulèrent. Ce jour-là, il régnait une grande tranquillité à Jérusalem : les Pharisiens n'étaient pas dans le temple ; ils s'étaient rassemblés pour tenir conseil et ils étaient très préoccupés de ce que Judas n'était pas revenu leur parler. Je vis dans la ville beaucoup de gens de bien très tristes et très inquiets : ils devaient savoir par les disciples quelque chose de ce que le Seigneur avait dit. Je vis Nicodème, Joseph d'Arimathie, les fils de Siméon et d'autres encore saisis d'une grande tristesse, mais pourtant toujours mêlés avec les Juifs et ne se tenant pas à part. Je vis aussi Véronique (Séraphia) aller et venir dans sa maison, toute triste et joignant les mains, et son mari la presser de questions pour savoir la cause de sa tristesse. Sa maison était dans la ville, à moitié chemin entre le temple et la montagne du Calvaire. Soixante-six disciples dormaient là sous des hangars qui y étaient attenants. Je m'étais souvent demandé où ils logeaient ; c'était là. 28 mars.-- Cette après-midi vers quatre heures, le Pèlerin trouva la malade dans un sommeil extatique. Son visage était couvert du sang, qui avait coulé de son front sur plusieurs points Le bandeau qui lui couvrait le front en était imprégné, son côté et sa poitrine avaient aussi saigné il l'éveilla pour essuyer le sang et la faire changer de bandeau afin que personne ne la vit en cet état, ce qui aurait pu donner lieu à des bavardages. Elle s'éveilla pleine d'une joie enfantine, sans avoir conscience du présent ni des objets extérieurs et elle dit, comme un enfant qui s'empresse de s'excuser : " Je ne sais pas ! ils ont tué un agneau dans la maison de Simon : j'y ai aidé. Le Seigneur enseigne les disciples chez Lazare. Judas a fait des achats pour le repas, il a cette fois largement puisé dans la bourse. Madeleine est allée à Jérusalem acheter un onguent parfumé. Je suis allée partout avec elle et partout je me suis rendue utile. Je ne pouvais pas m'en aller : je sais bien que quelqu'un est assis chez moi et m'attend, mais je ne pouvais pas venir ". Elle débitait tout cela dans un élan de joie naïve impossible à décrire et paraissait en outre comme enivrée d'émotions intérieures. Or, il y avait en effet un ami, Melchior Diepenbrock, qui attendait depuis assez longtemps dans la première pièce pour prendre congé d'elle. Elle s'entretint avec lui, étant toujours dans le même état, et ne se laissa persuader qu'avec peine de se laver je visage. Ensuite elle raconta ce qui suit : Aujourd'hui un très grand nombre de disciples étaient rassemblés à Béthanie dans la cour qui précédait la maison de Lazare. Jésus y enseigna dans la matinée. Vers trois heures de l'après-midi, on dressa des tables dans cette cour. Il y avait plus de soixante convives qui se tenaient debout derrière les tables. Les disciples étaient tous du même côté : Jésus et les apôtres allaient et venaient de l'autre côté et les servaient. Jésus allait d'une table à l'autre, offrait ceci ou cela et s'entretenait avec les convives. Judas n'était pas présent, il était allé faire des achats pour le repas qui devait avoir lieu chez Simon. Madeleine s'était rendue dans la matinée à Jérusalem pour acheter un onguent parfumé. Marie à laquelle Jésus avait annoncé ce matin Sa mort prochaine était plongée dans une tristesse indicible. Sa nièce, Marie de Cléophas, qui était plus âgée qu'elle, et dont je possède une relique, se tenait toujours près d'elle pour la consoler : dans leur douleur elles étaient allées ensemble à l'hôtellerie des disciples et aux jardins de plaisance situés dans le voisinage. note : Mort Cardinal, évêque de Breslau. Cependant Jésus parla aux disciples de sa mort prochaine et de ce qui la suivrait. Il dit qu'il serait vendu aux Pharisiens par un homme de son intimité qui lui devait tout. Cet homme ne le mettrait pas à prix ; il dirait seulement : " Que voulez-vous me donner " ? Quand les Pharisiens achetaient un esclave, on leur fixait un prix : mais cet homme le vendrait pour ce qu'il leur plairait d'offrir. Il le vendrait à meilleur marché qu'un esclave. Les disciples pleuraient amèrement et la tristesse leur ôtait la force de manger : mais Jésus les y obligea avec une bienveillance affectueuse J'ai vu souvent les disciples se montrer plus dociles et plus tendres envers Jésus que les apôtres : c'était, je crois, parce qu'ils étaient moins fréquemment avec lui : cela les rendait plus humbles. Le matin Jésus donna encore aux apôtres beaucoup d'enseignements qu'ils ne comprirent pas parfaitement et il leur ordonna de mettre par écrit ce qu'ils n'entendaient pas bien. Quand il leur aurait envoyé son Esprit, cela leur remettrait ses paroles en mémoire et alors ils comprendraient tout. Je vis alors Jean et plusieurs autres prendre beaucoup de notes. Jésus indiqua à plusieurs reprises qu'ils prendraient tous la fuite lorsqu'il serait livré à ses ennemis. Ils ne pouvaient pas se figurer que cela fût possible et pourtant ils le firent, ce dont, moi aussi, je fus surprise. Il leur dit beaucoup de choses sur ce qui devait se passer ensuite et il leur donna des règles de conduite. Jésus dit aux disciples où ils devaient se rendre : les uns devaient aller à Arimathie, d'autres à Sichar, d'autres encore à Cédar. Les trois disciples qui l'avaient accompagné dans son dernier voyage ne devaient pas retourner chez eux : car, disait-il, quand on avait beaucoup changé d'idées et de sentiments, il de fallait pas retourner dans sa patrie : autrement on était une occasion de scandale et on s'exposait à une chute par suite de l'opposition qu'on rencontrait. Eliud et Eremenzear allèrent, je crois à Sichar. Silas resta à Jérusalem. Jésus leur donna ces instructions de la manière la plus affectueuse et il y ajouta des conseils sur toute sorte de choses. Dés le soir Je vis plusieurs d'entre eux Partir dans diverses directions Pendant cette instruction, Madeleine revint de Jérusalem avec le parfum qu'elle avait acheté. Elle était allée le matin chez Véronique chez laquelle elle était restée jusqu'à ce que celle-ci lui eût procuré son onguent. Il était composé de trois ingrédients et c'était le plus précieux qu'on pût trouver. Elle y avait dépensé tout ce qui lui restait. Il y entrait une eau ou une huile dont le nom commence par nar (huile de nard) : il y en avait bien une demi pinte : j'ai oublié le nom des deux autres parfums. Elle acheta en même temps les vases. Ils étaient d'une matière blanchâtre et brillante, qui toutefois n'était pas tout à fait transparente : cela ressemblait à de la nacre de perle, ce n'en était pourtant pas. Les vases qui avaient la forme de petites urnes étaient vissés par en haut : le pied était renflé et orné de diverses ciselures. Madeleine emporta ces vases sous son manteau : ils étaient placés les uns à côté des autres. dans une espèce de besace allant de l'épaule au côte et reposant sur la hanche. La mère de Jean-Marc alla avec elle à Béthanie et Véronique les accompagna à quelque distance. Lorsqu'elles passèrent dans Béthanie, je vis Judas les rencontrer et parler à Madeleine : il était plein de dépit intérieur. Madeleine savait par Véronique que les Pharisiens avaient formé le projet de s'emparer de Jésus et de le mettre à mort, mais qu'ils n'osaient pas encore l'exécuter à cause des nombreux amis de Jésus et spécialement à cause du grand nombre de païens qui s'étaient déclarés en sa faveur. Elle raconta cela aux autres femmes. Aujourd'hui Jésus, entre autres choses, parla de sa mère aux disciples : il dit qu'elle ressentirait cruellement les affreuses tortures au milieu desquelles il devait mourir, qu'elle mourrait de sa mort douloureuse et que pourtant elle lui survivrait (quinze ans). Les femmes étaient dans la maison de Simon et aidaient à préparer le repas. Judas avait fait tous les achats ; il avait aujourd'hui largement puisé dans la bourse et il se disait en secret que le soir il la remplirait de nouveau. Il avait acheté chez un homme qui demeurait dans un quartier de Béthanie où il y avait des jardins, des herbes de toute espèce, deux agneaux, des fruits, du miel, du poisson, etc. La salle où l'on devait manger aujourd'hui chez Simon, n'était pas celle où avait eu lieu le repas précédent, le lendemain de l'entrée de Jésus au temple. Ils mangèrent cette fois dans une salle ouverte située derrière la maison et qui avait vue sur la cour. La salle était décorée et il y avait dans le toit une ouverture au-dessus de laquelle on avait tendu un voile transparent qui formait comme une coupole. Des deux côtés de cette ouverture étaient suspendues deux pyramides de verdures, formées d'une plante grasse, crépue, d'un vert brunâtre, qui avait des petites feuilles rondes : j'en ai oublié le nom. La base de ces pyramides était également garnie de verdure : il me sembla qu'on les maintenait toujours dans cet état de fraîcheur. C'était au-dessous de cette décoration qu'était placé le siège de Jésus. Le côté de la table où l'on apportait les plats en passant par la cour et par la colonnade ouverte, restait inoccupé : seulement Simon se tenait là pour présider au service. De ce côté on voyait sous la table trois grandes urnes plates pleines d'eau. Au repas les convives étaient étendus sur des bancs assez bas placés transversalement ; il y avait par derrière un montant et par devant un bras sur lequel on s'appuyait. Ces bancs étaient placés deux par deux, de manière à ce que deux convives fussent en face de deux autres. Cette fois les femmes mangeaient dans une salle ouverte située à gauche et elles Pouvaient, à travers la cour, voir par côté le repas des hommes. Lorsque tout fut prêt. Simon et son serviteur allèrent chercher Jésus, les apôtres et Lazare. Ils avaient des habits de fête : Simon portait une longue robe, une ceinture avec des dessins et il avait au bras un long manipule pendant, terminé par une frange. Le serviteur n'avait pas de manches à son vêtement supérieur Simon conduisit Jésus, le serviteur conduisit les apôtres. Ils ne traversèrent pas la rue pour gagner la maison de Simon, mais ils arrivèrent dans la salle en passant par le jardin qui était derrière : car il y avait beaucoup de monde à Béthanie, et un grand nombre d'étrangers qui étaient venus pour voir Lazare occasionnaient un certain tumulte. En outre, les habitants étaient étonnés que Simon, dont ordinairement la maison était ouverte au public, eût fait acheter tant de choses et tînt toutes les portes fermées. En un mot, il y avait dans la foule de la curiosité et de l'agitation. Pendant le repas quelques personnes montèrent sur les murs. Tous les convives entrèrent, habillés comme pour une fête, par la porte de derrière de la salle. Je ne me souviens pas qu'il y ait eu un lavement de pieds ; je crois seulement avoir vu faire des ablutions devant la porte. Les sièges qui garnissaient la table étaient assez larges pour que deux personnes fussent couchées l'une à côté de l'autre ; mais Jésus était seul au milieu. Il y avait sur la table plusieurs grandes coupes dont chacune était accompagnée de deux autres plus petites. Elles étaient remplies de trois espèces de liquide, l'un verdâtre, l'autre rouge et l'autre jaune : je crois que c'était une espèce de poiré. On servit d'abord un agneau, il était étendu sur un long plat de forme ovale, la tête était posée sur les pattes de devant et tournée vers Notre Seigneur. Il prit un couteau blanc qui semblait d'os ou de pierre, le plaça dans le cou de l'agneau qu'il découpa d'abord transversalement ; après quoi il fit une longue incision dans toute la longueur du des et de la tête. La forme de cette incision me fit penser involontairement à là croix. Il le présenta ainsi découpé à Jean et à Pierre, puis il se servit lui-même. Ensuite Simon découpa transversalement des deux côtés et présenta successivement les morceaux, à droite et à gauche, aux apôtres et à Lazare. On servit aussi un agneau aux femmes, mais il était plus petit et occupait sur le plat une surface moins large : il avait la tète tournée du côté de la mère de Dieu qui le découpa. Il ressemblait presque à un hérisson. (Anne Catherine ne put s'empêcher de rire de cette comparaison). Après l'agneau vinrent trois grands poissons entourés de plus petits. Les grands poissons étaient sur le ventre et semblaient nager dans une épaisse sauce blanche. On servit ensuite de la pâtisserie, des petits pains ayant la forme d'agneaux et d'oiseaux aux ailes étendues, puis des rayons de miel, une herbe verte formant une espèce de salade et une sauce où on trempait cette herbe : c'était de l'huile, à ce que je crois. On apporta ensuite des fruits qui me parurent être des noires : au milieu était une espèce de courge sur laquelle d'autres fruits, notamment des raisins, étaient attachés par la queue. Les plats étaient en partie blancs, en partie jaunes à l'intérieur et plus ou moins profonds, selon l'espèce de mets qu'on y servait. Après avoir mangé l'agneau, les convives burent : ils avaient fait une prière avant de commencer le repas. Les femmes, au nombre de huit ou neuf, étaient assises en rond autour de leur table : Madeleine était en face de la sainte Vierge. Elle avait beaucoup pleuré pendant le repas. Jésus avait enseigné tout le temps. On avait à peu près fini, Jésus parlait encore, les apôtres écoutaient avec une grande attention et Simon, qui était chargé du service, se tenait immobile en face de lui pour mieux l'entendre. Cependant Madeleine s'était levée sans rien dire. Elle portait un manteau léger d'un bleu clair, dont l'étoffe ressemblait assez à celle du manteau des rois mages : ses cheveux épars étaient recouvert d'un voile. Portant son onguent parfumé dans un des plis de son manteau, elle arriva dans la salle par le berceau de verdure, se plaça derrière Jésus, se jeta à ses pieds fondant en larmes, et appuya son visage sur l'un des pieds du Sauveur qui reposait sur le lit de repos. Le Seigneur lui-même lui tendit l'autre pied qui était plus près de terre : elle détacha ses sandales et lui oignit les pieds Par-dessus et par dessous. Puis elle prit à deux mains ses longs cheveux épars sous son voile qu'elle passa sur les pieds du Seigneur pour les essuyer et elle lui remit ses sandales. Il résulta de là une interruption dans le discours de Jésus. Il avait bien vu arriver Madeleine, mais pour les autres ce fut une surprise inattendue. Jésus leur dit : " Ne vous scandalisez pas de ce que fait cette femme " ; puis il lui parla à voix basse. Mais Madeleine, après avoir oint les pieds de Jésus, passa derrière lui, versa sur sa tête le précieux parfum qui se répandit sur ses vêtements : elle lui en frotta avec la main le sommet et le derrière de la tête, et toute la salle fut remplie de la bonne odeur qu'exhalait le parfum. Pendant ce temps les apôtres chuchotaient entre eux et murmuraient à voix basse : Pierre lui-même était mécontent. Mais Madeleine pleurant sous son voile fit le tour de la table par derrière et lorsqu'elle passa près de Judas, celui-ci qui avait déjà murmuré avec ses voisins étendit la main pour lui barrer le passage : elle s'arrêta, et il lui reprocha aigrement sa prodigalité, disant que l'argent qu'elle avait ainsi dépensé aurait pu être donné aux pauvres. Madeleine était debout, couverte de son voile, et elle pleurait amèrement. Mais Jésus leur ordonna de la laisser aller : il dit alors qu'elle l'avait oint par avance en prévision de sa mort, qu'elle ne pourrait plus le faire plus tard et que partout où cet évangile serait enseigné, il serait parlé de ce qu'elle avait fait et aussi de leurs murmures. Alors, Madeleine se retira toute contristée : la fin du repas fut troublée par les murmures des apôtres et par la réprimande de Jésus. Il ajouta encore quelque chose à ce qu'il avait dit, après quoi tous allèrent retrouver Lazare. Cependant Judas était plein de rage et possédé par l'avarice : il se disait à lui-même qu'il ne pouvait pas supporter plus longtemps ces manières d'agir. Il ne laissa rien voir de ses pensées, ôta ses habits de fête et feignit d'être obligé d'aller dans la salle à manger mettre de côté pour les pauvres les restes du repas ; mais il courut en toute hâte à Jérusalem. Je vis tout le temps le démon près de lui, sous la figure d'un homme rouge, au corps grêle et aux formes anguleuses : tantôt il le précédait, tantôt il le suivait et il semblait l'éclairer. Judas courait dans les ténèbres comme s'il y eût vu clair et sans broncher une seule fois. Je le vis à Jérusalem se diriger en toute hâte vers la maison où plus tard Jésus fut accablé d'outrages. Les Pharisiens et les princes des prêtres étaient encore assemblés. Il n'entra pas dans la salle du conseil : deux d'entre eux 'vinrent lui parler dans le bas de la maison ; lorsqu'il leur demanda ce qu'ils voulaient lui donner pour qu'il livrât Jésus, ils se réjouirent grandement et allèrent l'annoncer aux autres ; Alors un d'eux sortit de nouveau et offrit trente pièces d'argent. Judas voulait les avoir sur-le-champ, mais ils refusèrent de les lui donner : ils lui rappelèrent qu'étant venu une première fois, on ne l'avait plus vu reparaître pendant bien longtemps, et lui dirent qu'il fallait remplir sa promesse avant de recevoir le prix convenu. Je les vis ensuite sceller le contrat en se donnant la main et en déchirant, l'un et l'autre, un petit morceau de leur vêtement. Ils voulaient le retenir pour qu'il leur expliquât comment et quand il tiendrait sa promesse mais il insista pour se retirer afin de ne pas exciter de soupçons. Il dit qu'il avait encore besoin d'être mieux informé de tout, et qu'après cela la chose pourrait se faire le lendemain sans bruit. Je vis toujours le démon près d'eux : Judas retourna à Béthanie, toujours courant ; il reprit son vêtement et alla rejoindre les autres. Après le repas Jésus revint dans la maison de Lazare et les autres se rendirent chacun de leur côté à leurs logements. Pendant la nuit Nicodème vint encore de Jérusalem pour voir Jésus et s'entretint longtemps avec lui. Il s'en retourna avant le jour et Lazare l'accompagna jusqu'à une certaine distance. Voici ce que dit Anne-Catherine de sa participation personnelle aux scènes qui viennent d'être racontées : Dans l'après-midi j'assistai aux préparatifs du repas ; pendant les enseignements donnés par Jésus aux disciples, j'étais présente et d'une manière si sensible que je courais de côté et d'autre entre la maison de Simon et celle de Lazare et que j'étais tour à tour transportée de joie et de douleur. Puis je me dis tout à coup : " C'en est donc fait ! Il est venu à nous, il doit s'en retourner " ! Après quoi je pris part au service et je travaillai dans la cuisine ; je portais et je nettoyais de la vaisselle. En contemplant la profonde affliction de Marie et l'ineffable charité de Jésus, je passais par des alternatives de douleur et de joie et mon visage était inondé de sueur : alors le Pèlerin vint me réveiller et me dit que j'avais je visage tout couvert de sang. Il m'est difficile de raconter quelque chose de complet sur toutes ces choses, car je suis toujours là pour ainsi dire ; et l'action continue sans interruption sous mes yeux et cela de divers côtés. Explication de l'éditeur . La rédaction des visions du jour suivant a été insérée par le Pèlerin dans la Douloureuse Passion où elle figure sous ce titre : " Préparatifs de la Cène ". Il ouvrit par là la série de ces beaux tableaux de la Passion s'étendant du jeudi saint au lundi de Pâques, qu'il fit paraître dès 1833 dans un volume à part 1, comme le premier fruit de ses travaux près du lit de douleur de la pieuse Anne Catherine. Comme ce livre s'est répandu à un nombre infini d'exemplaires et qu'il se trouve sans doute entre les mains de presque tous les lecteurs du présent ouvrage, l'éditeur de celui-ci croit utile et convenable de faire connaître par une relation fidèle et complète les circonstances qui ont donné naissance à ce récit des scènes de la Passion. et la manière dont le Pèlerin a procédé. La plupart des lecteurs lui en sauront d'autant plus de gré que les lacunes nombreuses qui se rencontrent dans les fragments dont se compose l'ensemble des visions contenues dans les trois volumes de la Vie de Jésus. a dû depuis longtemps leur faire juger surprenant qu'en ce qui touche le temps si court de la Passion, Anne Catherine semble avoir fait au Pèlerin des communications incomparablement plus complètes que celles qu'elle a faites sur les événements d'une période infiniment plus longue. En outre, on ne peut méconnaître une différence marquée entre le style de la Douloureuse Passion et celui de la Vie de Jésus. Tandis que les visions rapportées dans ce dernier ouvrage ont communément pour caractère une simplicité que ne relève aucun ornement et touchant souvent à la sécheresse, tandis qu'elles laissent presque toujours au lecteur l'impression qu'il n'a sous les yeux que des fragments où les lacunes abondent, les visions relatives a la Passion se déroulent comme une suite de tableaux achevés, dont toutes les parties sont en harmonie et où l'úil étonné admire avec un plaisir toujours croissant la main habile de l'artiste éminent qui, avec d'innombrables fragments, a su composer un ensemble si plein de vie. Jusqu'à l'année 1823 il n'avait jamais été donné au Pèlerin d'obtenir d'Anne Catherine un récit complet de la Passion : chaque année, dès que la semaine sainte commençait, elle participait si complètement aux douleurs du Sauveur souffrant et mourant qu'il était facile de reconnaître, rien qu'en la voyant, que les souffrances sans nom qu'elle endurait avec lui n'étaient pas purement spirituelles, mais aussi corporelles. Le sang coulait de sa tête et de ses stigmates qui s'ouvraient : le vendredi saint son corps couvert de meurtrissures montrait comment elle avait à supporter la flagellation avec son Rédempteur. Le samedi saint elle était dans un état d'anéantissement qui la faisait ressembler à une morte : elle fêtait le repos du corps de Jésus dans le tombeau et descendait avec lui aux enfers accompagnant le Seigneur dans tous les lieux par ou passait sa très sainte âme. Pendant ces jours de douleur, elle ne pouvait communiquer tout au plus que des fragments et encore d'une manière très incomplète. Néanmoins le Pèlerin s'appliquait avec un grand soin à les recueillir tous, et ils lui inspiraient d'autant plus de respect que les souffrances au milieu desquelles la patiente lui en faisait part étaient plus grandes et plus saintes. Dans ces circonstances, le confesseur d'Anne Catherine déclarait souvent qu'il ne croyait pas qu'elle fût en état de raconter toute la Passion et le Pèlerin lui-même avait perdu presque tout espoir à cet égard, lorsque, tout d'un coup, pendant le Carême de 1823, la grâce de Dieu lui rendit la chose possible, quoique toujours au milieu de souffrances infinies et de tracas continuels. Le soir du 18 février 1823 (mardi d'après le premier dimanche de carême) le Pèlerin traduisait en allemand à Anne Catherine quelques lignes d'un livre de dévotion français sur l'agonie de Jésus au jardin des Oliviers. Il faisait cela pour procurer à la malade le soulagement et la consolation qu'elle trouvait ordinairement dans les entretiens ou les lectures spirituelles. Tout à coup elle eut une absence et interrompit le Pèlerin par ces paroles : " Cela me fait bien mal ! arrêtez " ! Quelques moments après elle sembla s'endormir : son visage prit une expression très grave ; ses mains, devenues légères comme de la plume, prenaient avec une flexibilité surprenante la direction que leur imprimait le plus léger contact. Peu de temps auparavant elle avait prié le Pèlerin de dire tous les jours pour elle trois Pater en l'honneur de sainte Walburge : il faisait cette prière en ce moment, tout en contemplant avec émotion les stigmates dont étaient marquées les mains de la pieuse fille et, en mémoire des cinq plaies du Seigneur, il les offrait à Dieu pour qu'il exauçât sa prière, en union avec les plaies et les souffrances de tous les stigmatisés, de tous les martyrs et de toutes les âmes pieuses. A peine l'idée de faire cette prière fut-elle entrée dans son esprit qu'Anne Catherine pleine de confusion retira ses mains avec rapidité. Sur ce mouvement soudain le Pèlerin lui demanda ce qu'elle avait. et elle répondit d'un ton très expressif et dans son patois bas-allemand : " J'ai bien de la peine ". Aussitôt après elle sembla, pendant un grand quart d'heure plongée dans un profond sommeil et le Pèlerin devinait si peu ce qui se passait dans son âme qu'il fut vivement impressionné par l'incident qui Suivit. Sortant inopinément de son profond sommeil, elle se redressa avec toute la vivacité d'une personne en gagée dans une lutte, étendit ses deux bras à gauche en fermant le poing, comme si elle repoussait un ennemi et cria d'une voix indignée : " Que prétends-tu avec cette obligation de Magdalum " ? Le Pèlerin, qui ne savait pas ce que cela pouvait signifier, lui demanda qui donc prétendait quelque chose à cette obligation de Magdalum ? Elle lui répondit avec une vivacité incroyable : " C'est le traître, le maudit. c'est Satan qui vient lui représenter l'obligation souscrite pour Magdalum : tous viennent avec des obligations et disent qu'il a dissipé tout cela ". " Qui donc a dissipé tout cela, vers qui viennent-ils " ? reprit le Pèlerin. " Vers Jésus mon fiancé, sur le mont des Oliviers " répondit-elle. Cette conversation si animée fut entendue de son confesseur qui disait son bréviaire dans l'antichambre ; il entra et dit en patois : " De quoi parlez-vous " ? Elle parut un moment troublée dans sa contemplation ; mais le Pèlerin se hâta de rapporter ses paroles au confesseur : alors elle continua, le bras tendu, à faire des gestes de menace à sa gauche et s'écria : " Que prétends-tu, père du mensonge, avec cette obligation de Magdalum ? N'a-t-il pas délivré à Thirza vingt-sept prisonniers avec les arrhes de la vente de Magdalum ? Tu dis qu'il a mis le trouble partout à Magdalum, qu'il a chassé la femme et les habitants et dissipé le prix de la vente ! Mais attends, impur tu seras enchaîné et exterminé ! misérable, scélérat, maudit " ! ... Pendant qu'elle continuait à faire des gestes de menace contre Satan, le confesseur, comme pour s'amuser, sembla vouloir retenir la main qu'elle avançait du côté où il était. Le Pèlerin, craignant une commotion violente, se mit à parler très haut d'autres choses : pendant ce temps, Anne Catherine revint à elle et le Père retourna à son bréviaire. Mais un peu après elle se recueillit et dit : " Je me suis trouvée près du Seigneur sur la montagne des Oliviers pendant la première moitié de son agonie. L'endroit où les huit apôtres s'arrêtèrent et dormirent dans une cabane de feuillage était bien à un quart de lieue de l'endroit où priait le Seigneur. Celui-ci n'était pas une grotte spacieuse, mais un petit recoin sous un rocher qui surplombait. Les trois apôtres dormaient à droite derrière un rocher ou dans un pli de terrain situé plus haut sur la montagne que le lieu où priait le Seigneur. Lorsqu'il alla les retrouver, il prit à gauche et monta vers eux ". C'est ici que pendant la prière du Seigneur toutes les souffrances et les tortures qui l'attendaient lui furent représentées au naturel dans une vision. Il vit aussi les péchés de tous les hommes et, comme le plus horrible de tous, leur ingratitude à son égard pour tout ce dont il se chargeait pour eux. L'ange vint de ce côté. (Ici elle montra du doigt un côté de sa chambre.) " Ce fut une vraie reddition de comptes, car Satan envoya plusieurs mauvais esprits apportant des accusations de toute sorte. Quand il fut question de l'obligation de Magdalum je fus tellement indignée que je me précipitai sur Satan. Je vis aussi le malheureux Judas errer de côté et d'autre et je me dis : il y a encore bien des Judas, celui-ci n'est pas le pire. Il alla chez le grand-prêtre Anne. Il s'y trouvait plusieurs personnes. Il déplut à Anne qui le traita d'une façon très méprisante. " Tu es donc fatigué de ton maître, lui dit-il, et tu veux en changer ! à qui vas-tu t'attacher à présent ? Nous allons en finir ! Toutes ces courses vagabondes, ces injures et ces tentatives d'agitation sont arrivées à leur terme ". Tous traitèrent Judas avec mépris : cela le déconcerta beaucoup et il éprouva des remords ; mais il était allé trop loin et le diable le tenait à l'attache. Ce fut la première heure et demie que je vis. Les disciples s'étaient endormis pendant leur prière, par l'effet de la tentation : car ils avaient manqué de confiance. Ils s'étaient dit : " Que signifie cela ? Comment est-il si faible et si abattu ? Où sont l'autorité et le pouvoir avec lesquels il nous consolait " ? Et là-dessus ils cédèrent au sommeil, car l'ennemi prenait avantage sur eux. Ayant raconté cela, Anne Catherine promit au Pèlerin de prier pour qu'il lui fût donné de se rappeler les événements du jour suivant et de les communiquer d'une manière plus complète. Le Pèlerin lui ayant demandé si elle ne connaissait aucun remède pour la pauvre nonne malade (elle-même), elle répondit : " Quand on est là, on ne s'inquiète guère de pareilles choses ". Le jour suivant, Anne Catherine fut en état de communiquer au Pèlerin avec plus de détails la vision qu'elle avait eue ; et en outre pendant tout le carême et jusqu'au dimanche de Pâques, qui tombait le 30 mars 1823, elle eut des visions sur la Passion. Elle lui fut montrée d'une façon si complète, que l'histoire de ce que Jésus eut à souffrir le seul jour du vendredi saint passa devant ses velu ; chaque jour par petites scènes détachées pendant trente jours consécutifs. Plusieurs épisodes de la Passion furent mis jusqu'à deux ou trois reprises sous ses yeux, et en même temps ses visions quotidiennes de la vie publique de Jésus se succédèrent sans interruption, comme on peut le voir par les récits contenus dans le quatrième volume depuis la page 177 jusqu'à la page 237. Le lecteur ne doit pas oublier que le carême de 1823 fut le dernier qu'Anne Catherine passa sur la terre et qu'à mesure que le terme de sa vie approchait, les souffrances qui étaient la tâche principale assignée à sa vie devenaient aussi plus multipliées et plus cruelles. En outre, la vue des scènes de la Passion était pour une personne que ses stigmates faisaient vivre de la vie même du Sauveur crucifié, une participation continuelle à ses souffrances, et le récit qu'elle en faisait renouvelait toutes les peines qu'elle avait ressenties dans la contemplation. Chaque scène qu'elle voyait était pour elle une participation corporelle a la passion du Sauveur, et quand il lui fallait rapporter ce qu'elle avait vu, il arrivait fréquemment que dans l'excès de ses douleurs elle racontait plutôt ce qu'elle-même avait souffert dans la vision que ce qu'elle y avait contemplé, et alors il ne restait plus pour le Pèlerin qu'un petit nombre de traits et de renseignements qu'il mettait Par écrit comme fragments des divers tableaux de la Passion. Malgré les lacunes quelquefois très considérables qui résultaient de là, le Pèlerin arriva pourtant à rédiger un récit où se trouvaient rapportées d'une manière suivie les scènes principales de la Passion. Il possédait en outre les fragments recueillis les années précédentes ainsi que quelques récits des visions sur la Passion qui revenaient uniformément tous les vendredis de l'année, et enfin d'autres visions occasionnées par des fêtes de l'année ecclésiastique qui se rapportaient au même sujet, Anne-Catherine avait spécialement eu pendant les octaves de la Fête-Dieu, des visions de cette espèce qu'elle avait communiquées quelquefois d'une manière très complète. Il put donc essayer de réunir tous ces récits partiels et d'en former un ensemble auquel on ne pût refuser le mérite de la fidélité la plus scrupuleuse puisqu'il ne se permettait pas d'y placer un seul mot qui ne fût pas sorti de la bouche de la pieuse fille Le soin consciencieux avec lequel le Pèlerin liait ensemble ces récits à l'aide du fil que lui fournissait Anne Catherine elle-même, devait nécessairement faire disparaître de son travail le caractère d'une narration tronquée et remplie de lacunes. mais si la main habile et exercée du Pèlerin se laisse voir dans l'ordonnance générale et dans l'art avec lequel les diverses parties sont lices ensemble, il faut d'autant moins reconnaître le sentiment délicat qui le fait s'appliquer avec le soin le plus scrupuleux à ne jamais se servir d'une parole qu'il n'ait recueillie sur les lèvres de la voyante C'est pourquoi aucun juge impartial n'a su mauvais gré au Pèlerin du travail excessivement pénible, auquel il s'est livré : au contraire, tous ceux pour lesquels les tableaux de la Passion sont devenus une source abondante d'édification, se sont sentis pénétrés pour lui d'une grande reconnaissance et ont trouvé dans les fruits de bénédiction que la Douloureuse Passion a produits dans tous les pays, la garantie la plus assurée que le Pèlerin a accompli avec l'assistance spéciale de la grâce divine une oeuvre très agréable à Dieu et singulièrement utile au salut des âmes. Note : Ainsi Anne Catherine vit et raconta les visions relatives à Jésus portant sa croix et à sa très sainte Mère les 13 et 14 août 1822, lorsqu'elle eut les visions sur la mort de Marie à Éphèse : quant aux tableaux de la sainte cène qu'elle vit souvent, elle les raconta de la manière la plus détaillée pendant l'Octave de la Fête Dieu de l'année 1820.
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