CHAPITRE QUATORZIEME



Visions touchant la vie des apôtres et d'autres saints contemporains du Seigneur

Les récits qui suivent ont été empruntes par l'éditeur aux visions qu'Anne Catherine avait tous les ans les jours où l'Église célébrait la fête de certains saints, ou bien à d'autres visions provoquées par des reliques qu'on mettait près d'elle. Il est à remarquer que dans ces occasions elle voyait ordinairement toute la vie du saint, non sous forme de scènes détachées, se succédant chronologiquement et suivant un ordre déterminé, mais dans de grands tableaux où l'ensemble de cette vie se présentait dans un seul cadre et où, par conséquent, il n'y avait aucune distinction de temps. Chaque fois qu'elle avait de ces visions, elle en racontait tout ce qu'elle pouvait, suivant l'état où elle se trouvait dans le moment. Mais elle le faisait à la manière d'un enfant qui, se trouvant devant un grand tableau, en a reçu une impression assez profonde pour sentir et comprendre ce qui y est représenté, mais ne peut que très difficilement l'analyser et le décrire à une autre personne qui ne voit point ce tableau. Elle retenait certains détails et les racontait sans s'attacher à l'ordre dans lequel les événements s'étaient succédés chronologiquement et sans pouvoir en rendre compte. La chose ne lui était possible que lorsque des chiffres indiquant la suite des temps lui étaient montrés dans la vision, mais cela n'arrivait Pas toujours.

Comme ces visions revenaient tous les ans aux Jours marqués sur le calendrier de l'Église, le Pèlerin, chaque fois, prenait note de ce qu'elle avait dit, de manière à ce que les versions diverses pussent se compléter les unes par les autres. L'éditeur a extrait et mis ensemble tout ce qui se rapportait à un même sujet dans la longue série des notes du Pèlerin s'est borné à supprimer des répétitions et des inexactitudes provenant de ce qu'il y avait de trop incomplet dans les communications. Plus d'un lecteur sera surpris de trouver dans les visions diverses touchant la vie des saints apôtres des faits vus et racontés par Anne Catherine avec une netteté et une clarté qui permettent d'apprécier jusqu'à quel degré ils ont été altérés ou falsifiés par des écrits tels que les Actes apocryphes d'Abdias.

SAINTE ANNE, MARIE d'HELI, MARIE DE CLEOPIIAS ET LEUR FAMILLE.

Anne Catherine avait souvent désigné une relique anonyme provenant d'une vieille croix de son ancien monastère comme étant un ossement de Marie de Cléophas. Un jour le Pèlerin retira, sans qu'elle le sût, cette relique de la croix où elle était renfermée, l'enveloppa dans un morceau de linge ou de papier et la présenta ainsi à Anne-Catherine. Elle était occupée d'autre chose quand elle lui fut remise. Cependant elle ne tarda pas à dire : " Ce doit être un ossement très ancien, provenant d'une personne née avant Jésus et ayant fait partie de son entourage ". Elle garda la relique près d'elle pendant la nuit suivante et le lendemain elle dit au Pèlerin : "C'est un ossement de Marie de Cléophas ". Elle m'est apparue plus distinctement qu'elle ne l'avait jamais fait et m'a dit : " C'est un fragment de l'os de ma jambe ". Je vis de nouveau qu'Anne et Joachim au commencement de leur mariage, environ vingt ans avant la naissance de la sainte Vierge, eurent une fille, appelée Marie d'Héli, qui n'était pas l'enfant de la promesse et qui, à cause de cela, fut un peu tenue à l'écart par eux. Ils laissèrent cet enfant chez ses grands parents à Séphoris et commencèrent à Nazareth une vie nouvelle consacrée à la pénitence et à la retraite.

Anne elle-même était un enfant venu au monde après une longue stérilité, que ses parents avaient longtemps demande à Dieu et dont la naissance avait été annoncée d'avance à sa mère par des prophètes esséniens. Elle fut conduite au temple dans sa quatrième année. Je la vis après la mort de sa mère revenir chez son père et tenir la maison de celui-ci. Elle trouva chez lui un jeune neveu nomme Eliud, qu'elle éleva et qui plus tard devint le mari de la veuve de Naïm. Six prétendants recherchaient la main d'Anne : elle les refusa tous d'après les conseils inspirés des vieux prophètes esséniens, pour épouser Joachim qui devait être le père de Marie. Anne avait environ vingt ans quand elle se maria : sa soeur, la mère d'Eliud, pouvait être plus âgée de dix-huit ans. La première fille qu'Anne mit au monde lui causa une grande tristesse : car elle ne portait pas les signes annoncés et par conséquent n'était pas l'enfant de la promesse. Anne était accouchée avant terme, ce qui l'avait fort affligée, car elle croyait voir là une punition de Dieu. Une de ses servantes s'était mal conduite et Anne avait été fort tourmentée de ce qu'un pareil scandale avait eu lieu parmi ses gens. Elle reprocha si sévèrement sa faute à cette servante que celle-ci accoucha avant terme d'un enfant mort. Anne fut inconsolable et la même chose lui arriva ; toutefois son enfant vécut. Anne resta si longtemps stérile après sa naissance qu'on répandit le bruit calomnieux que cette fille n'était pas sa fille : elle subit ainsi la honte qui s'attachait à la stérilité. Elle eut un jour à essuyer à ce sujet les injures d'une servante qui lui reprocha aussi le malheur dont elle avait été la cause. Alors, Anne dans sa profonde affliction, se mit en prières et obtint de Dieu la très sainte Vierge.

Lorsque Marie mit au monde le Sauveur, Anne était remariée à un homme du nom d'Eliud, lequel était employé au service du temple, où il était chargé de l'inspection des victimes destinées aux sacrifices, et elle en avait une fille qui s'appelait aussi Marie et qui pouvait alors avoir huit ans. Elle eut de son troisième mari un fils qui fut souvent appelé le frère de Jésus-Christ.
Il y avait un mystère lié au triple mariage d'Anne. Elle n'agit en cela que par ordre de Dieu. La grâce qui l'avait rendue féconde en lui faisant enfanter Marie n'était pas entièrement épuisée. C'était comme une bénédiction qui ne devait pas être perdue.
Lorsque Marie d'Héli eut environ seize ans, elle fut mariée à Cléophas, un des bergers en chef de Joachim. Celui-ci amena dans la maison conjugale une fille illégitime appelée Anne de Cléophas qui plus tard, étant veuve, se réunit à Marthe ; elle avait trois fils, l'un desquels appelé Nathanaël, fut un disciple du Seigneur connu sous le nom du petit Cléophas.

Marie d'Héli eut de son mari Cléophas trois fils, nommés Jacob, Sadoch et Eliacim qui devinrent disciples de Jean (note), et une fille nommée Marie de Cléophas. Quatre ans après la naissance de cette petite fille, Anne mit au monde la très sainte Vierge que j'ai vue encore cette nuit, jouer, tout enfant, avec Marie de Cléophas, sa nièce plus âgée qu'elle.

Pendant que la Mère de Dieu résidait au temple de Jérusalem, Marie de Cléophas épousa un berger de Joachim nommé Alphée, lequel n'était plus jeune ; il avait au moins trente et quelques années. C'était un veuf ; il avait, de son premier mariage, un fils qui fut plus tard l'apôtre Matthieu, et une fille du nom de Marie, qui épousa un employé inférieur de la douane à Chorozaim. Celui-ci quitta son emploi aussitôt après avoir reçu le baptême de Jean, et se rendit à la pêcherie près de Pierre l'une des barques lorsque Jésus y vint.

Note : C'est sans aucun doute par suite d'une disposition divine que toutes les filles de sainte Anne portent le nom de Marie, afin d'indiquer que c'est à cause de la Vierge des vierges que la bénédiction de cet(e fécondité fut accordée aux entrailles bénies de sa mère. (Note de l'éditeur.)

2 Tome III, pages 5, 89 et 100, et tome I, page 227, où Cléophas le père est désigné comme le fils d'un frère de saint Joseph.

Tome III, page 164. Dans le tome II, page 344, on nomme comme fils de Marie d'Héli un certain Matthias qui était peut-être un fils de son second mari Obedon Obed.

J'ai vu cette nuit les noces d'Alphée et de Marie de Cléophas. C'était dans un petit endroit peu éloigné de Nazareth où demeuraient le père et la mère de la fiancée. Il y avait bien autant de monde qu'aux noces de Cana. Je vis entre autres personnes le père d'Alphée, un petit vieillard courbé, à longue barbe, qui était des environs de Bethléhem. Il s'appelait Solano ou Solama, ou Sulama, car je ne me rappelle pas son nom bien exactement. Je vis quelque chose touchant ce Solano, en regardant du côté de Bethléem : je le vis dans les environs de Bethléhem, sur un petit bien qui originairement dépendait de la maison qu'avaient habitée les parents de saint Joseph. Je vis la généalogie de Solano en remontant jusqu'à l'époque d'Abraham ; je Vis la race à laquelle il appartenait se développer à côté de celle dont devait sortir Jésus selon sa nature humaine, sans pourtant jamais y entrer ; elle y tenait par des branches collatérales, mais restait toujours vis-à-vis d'elle dans un certain rapport de subordination et de dépendance. Je vis Abraham agenouillé sur une colline voisine de son habitation, et de l'autre côté de cette colline, je vis la cabane de l'ancêtre de cette race qui était le serviteur fidèle et l'homme de confiance d'Abraham. Il était aussi à genoux et priait ; Abraham priait pour Sodome et pour Loth et je vis dans le lointain le danger qui menaçait Sodome. Cet homme était le père d'Eliézer, ce serviteur d'Abraham à qui il fit mettre la main sur sa hanche et jurer qu'il irait dans le pays natal du patriarche chercher une femme pour Isaac. Cette race s'allia fréquemment à celle de Jésus par des branches collatérales du second et du troisième degré, et elle fut toujours dans une certaine dépendance de celle-ci quant à ses champs et à ses possessions Le premier auteur de cette famille était resté avec Abraham lorsque Loth se sépara de lui, et sa fidélité fut récompensée dans la personne d'Alphée qui fut toujours vis-à-vis de Joachim dans les mêmes rapports que son ancêtre vis-à-vis d'Abraham. Ce fut ainsi que les fils d'Alphée arrivèrent à être pour Jésus, dans le sens spirituel, comme des messagers, des bergers, des préposés à la garde de son troupeau.

Rien n'est plus merveilleux que la manière dont Anne Catherine voit se développer à travers des milliers d'années ces lignes généalogiques et ces ramifications de familles : elle les voit sous l'image d'un arbre, et c'est au tronc ou à la tige du milieu qu'elle s'attache principalement. Dans le cas présent, elle savait quel rameau établissait la parenté avec Abraham : mais, dans ces occasions, elle trace une ligne avec le doigt sur la couverture de son lit ; puis, après avoir donné cette indication, elle porte aussitôt le doigt ailleurs, croyant qu'on doit avoir vu la chose parce qu'elle la voyait. Si alors on ne comprend pas son explication, qui, par le fait, est absolument impossible à comprendre, elle s'en attriste et croit que cela vient de ce qu'on n'est pas revêtu du caractère sacerdotal, etc.

Alphée était un homme très laborieux et très serviable. Le premier fils, né de son mariage avec Marie de Cléophas fut Jude Thaddée qui était un peu plus âgé que Jésus-Christ ; Simon le Chananéen vint ensuite. Celui-ci était d'une taille élancée et avait dans son extérieur quelque chose de Jean. Ensuite vint une fille qui portait aussi le nom de Marie. Elle fut mariée à un serviteur du temple, l'un des vingt-quatre qui étaient chargés de nettoyer les vases où coulait le sang des victimes ; il s'appelait David et demeurait à Jérusalem. Il habitait une maison attenante au temple, et il ne lui était permis qu'à certaines époques de passer huit jours près de sa femme ; pendant ce temps un autre le remplaçait au temple. Avant de reprendre son service, il était obligé de se soumettre à certaines purifications. C'était un Juif très pieux, mais observateur fort strict de la loi, et il se scandalisait de ce qui lui paraissait irrégulier dans la manière d'agir de Jésus et des disciples. Il avait des relations avec Nicodème par l'intermédiaire duquel il fut amené à la foi et agrégé à la communauté chrétienne. Marie sa femme s'y était déjà adjointe avant lui. Je la vis souvent, ainsi que sa demi soeur, dans la compagnie des saintes femmes ; je la vis aussi se mettre au service de la sainte Vierge à une époque où celle-ci se trouvait dans une position très pénible.

Le quatrième enfant que Marie de Cléophas eut d'Alphée fut Jacques le Mineur. Il était très beau et ressemblait beaucoup à Jésus : c'était pour cela qu'on lui donnait plus ordinairement qu'à ses frères le nom de frère du Seigneur. Il était plus jeune que Jésus : à l'époque du crucifiement, il avait environ vingt-cinq ans. Alphée mourut quatorze ans avant la mort du Seigneur.

Après lui, Marie de Cléophas eut pour mari Sabas dont elle eut José Barsabas. Celui-ci fut sacré évêque d'Eleuthéropolis : il assista à la mort de Marie à la place de Jacques le Majeur qui avait été martyrisé. En sa qualité d'évêque il ordonna prêtres les fils des alliés de Jésus au bas Séphoris (tome II, page 237). Il a incroyablement souffert au milieu de son troupeau, où il était exposé sans défense à la haine des Juifs. Il mourut crucifié à un arbre. Son père avait des rapports de parenté avec ces gens du bas Séphoris qui recommandèrent leurs fils à Jésus c'est pourquoi ils parlèrent de lui dans cette circonstance Après la mort de Marie, il fut souvent le compagnon de Paul : il alla notamment à Ephèse avec lui : il lui raconta toutes les circonstances de la mort de Marie et le conduisit à sa maison et à son tombeau. Avant de devenir évêque, il résida encore un certain temps à Jérusalem près de son demi frère Jacques le Mineur qui l'instruisit de beaucoup de choses.

Le troisième époux de Marie de Cléophas s'appelait Jonas. Il était frère de la femme de Pierre et il fut le père de Siméon, évêque de Jérusalem. Voici ce que dit Anne-Catherine de ce Siméon, le 18 février 1821. Il fut le second évêque de Jérusalem et il fut mis en croix dans un âge très avancé : c'était un parent de Jésus. Il portait encore un autre nom, celui de Juste, et dans sa jeunesse on le nommait Siméon. Ce Siméon est un fils de Marie de Cléophas, qui est fille de la soeur aînée de la Mère de Dieu, et de son mari Cléophas, Il avait environ dix ans lors du crucifiement du Christ. Sa mère mourut dans la détresse cinq ans après le crucifiement. Je la vis errer dans la contrée où était la grotte qu'habita Madeleine pendant tout le temps qu'elle resta encore dans la Terre promise.

Siméon dans sa jeunesse était tantôt avec un disciple, tantôt avec un autre : il n'avait pas de résidence fixe. Il m'a été dit de lui qu'il avait grandi dans la croix et qu'il était mort sur la croix. A l'époque de la mort de sa mère, il était avec le disciple Selam. Il ne devint pas évêque aussitôt après le martyre de Jacques le Mineur : pendant la vacance du siège qui fut très longue, l'Eglise de Jérusalem eut à sa tète un vicaire administrateur. Lorsqu'on lapida Jacques, il y eut des troubles dans la ville, car ses partisans résistèrent, et il périt trois disciples parmi lesquels se trouvait un fils du vieux Siméon qui avait prophétisé lors de la présentation de Jésus au temple.

SUR LE TRIPLE MARIAGE DE SAINTE ANNE.

L'importante communication qui précède donne sur une question souvent agitée par les commentateurs, celle qui concerne " les frères et les soeurs du Seigneur ", des éclaircissements d'autant plus précieux qu'Anne Catherine n'eut pas les visions qui s'y rapportent une ou deux fois seulement, mais à plusieurs reprises, qu'elle vit toujours les choses avec la même clarté et la même précision, et, qu'elle a été parfaitement en état de communiquer ce qu'elle avait vu. L'éditeur croit devoir ajouter une dissertation que bien des lecteurs ne trouveront peut-être pas hors de propos sur le triple mariage de sainte Anne.

Note : Quand on lit dans la Vie de la sainte Vierge que Marie de Cléophas | et même Marie d'Héli étaient présentes à la mort de la Mère de Dieu à Ephèse, cette assertion provient d'une confusion entre la présence en esprit et la présence corporelle. D'après les affirmations expresses d'Anne-Catherine, ces deux saintes femmes étaient mortes longtemps avant Marie et ne pouvaient par conséquent assister à sa mort qu'en qualité d'esprits bienheureux.

2 Spécialement dans le tome IV, page 126, et dans le tome I, page 190

C'est là un fait très important en soi et qu'Anne-Catherine a mentionné si souvent et d'une manière si précise, qu'il ne doit pas être passé sous silence et cela d'autant moins que cette donnée paraîtra étrange à beaucoup de personnes, lesquelles regardent ce triple mariage comme inconciliable avec la glorieuse prérogative en vertu de laquelle sainte Anne a eu pour fille l'auguste Vierge mère de Dieu et même avec la sublime dignité de Marie elle-même. Ils se trouvent encore autorisés à en douter par l'opinion universellement répandue sous l'ancienne loi comme à l'époque des apôtres. par suite de laquelle de saintes femmes telles que Judith et la prophétesse Anne, fille de Phanuel, sont louées expressément par les écrivains sacrés pour avoir vécu après la mort de leurs maris dans la continence la plus absolue et dans la pratique assidue de la piété. Or, disent-ils, à qui une vie pareille, succédant à un premier mariage, pouvait-elle mieux convenir qu'à sainte Anne dont la vie conjugale avec Joachim est représentée par les visions elles-mêmes comme ayant été un modèle achevé de pureté et de continence ? Il parait donc impossible d'admettre qu'Anne, la plus sainte et la plus chaste personne de son sexe après Marie, se soit remariée plus d'une fois dans un âge avancé.

Ces objections se présentent, pour ainsi dire, d'elles-mêmes ; aussi ne sont-elles pas nouvelles et ont-elles été reproduites en substance par tous ceux qui ont combattu la tradition admise presque sans exception jusqu'à la fin du seizième siècle touchant le triple mariage de sainte Anne. Toutefois, il y a quelque chose de beaucoup plus profond dans la manière dont les visions présentent la chose : car il en résulte clairement que les trois mariages de sainte Anne ont été pour elles un titre de gloire et un moyen d'arriver à la plus haute perfection, et qu'ils sont en même temps un accroissement important et même un complément ajouté aux honneurs et aux distinctions dont la suprême sagesse de Dieu voulut enrichir Marie et l'Eglise tout entière.

Sainte Anne, d'après les visions, occupe dans le plan divin touchant le salut des hommes une place à part et singulièrement élevée : elle est la plus grande et la plus favorisée, après Marie, parmi toutes les femmes, toutes les mères et toutes les vierges, et elle possède des privilèges qui n'ont été accordés à aucune autre. Ses entrailles conçurent dans la personne de Marie le type de la sainte Eglise, c'est-à-dire la racine et la somme de toutes les grâces et de tous les dons que Dieu peut accorder à ses créatures par le Christ : mais lorsque l'enfant conçu sans la tache du péché originel sortit du sein d'Anne, la bénédiction de la sainte fécondité ne se trouva pas épuisée en elle : il fallait qu'Anne fût dans l'Eglise le modèle de la sainteté dans le mariage, qu'elle lui apportât la grâce qui donne à l'usage et au but du mariage le plus haut degré possible de pureté et de perfection. Marie, comme étant la fiancée du Saint Esprit et la Vierge des vierges, ne pouvait pas être elle-même ce modèle : Anne devait donc, poussée par l'inspiration divine, contracter ces mariages avec des hommes pieux et éclairés des lumières de la grâce : et cela à un are auquel est ordinairement refusée la bénédiction de la maternité. Mais ce ne fut pas le cas pour Anne : pour elle, la plus pure de toutes les mères, il ne s'agissait pas d'engendrer selon la volonté de la chair, mais selon la volonté de Dieu, afin que l'Eglise reçût d'elle la tige d'une sainte lignée dont les rejetons par leur chasteté et leur éminente sainteté devaient être pour tous les âges un précieux ornement et une source de bénédictions. On ne peut donc qu'admirer le plan de la sagesse divine (quae fortiter et suaviter omnia disponit), suivant lequel sainte Anne devait être non seulement la mère de la Vierge des vierges, mais encore l'aïeule de chastes et saintes générations, appelée par là à enrichir des plants les plus précieux la vigne de sa très sainte fille. Ces fruits inestimables dont l'Eglise est redevable à Anne et à ses filles. ce sont de saints apôtres. ce sont les premiers, les plus glorieux d'entre les martyrs, ce sont des confesseurs, des vierges et de saintes mères de famille. Des mariages comblés de tant de bénédictions ne devaient-ils pas être la conséquence d'un décret particulier de Dieu ? et la fécondité accordée aux entrailles de sainte Anne n'était-elle pas comme un talent qu'elle ne devait pas enfouir, puisqu'il lui était confié pour le salut de tous ? Enfin, ses mariages successifs provenaient-ils uniquement de son bon plaisir, ou n'étaient-ils pas plutôt l'accomplissement d'une tâche imposée par Dieu, qu'il lui fallait remplir pour achever l'oeuvre de sa sanctification tout comme il lui fallait observer les commandements de Dieu également obligatoires pour tous les hommes ? Il nous semble d'après ce qui a été dit qu'il n'est pas difficile de répondre à ces questions.

Mais il y a encore quelque chose qui confirme la vérité interne de la donnée présentée par les visions dans cette circonstance qu'Anne n'eut qu'un seul fils et que les fruits de la bénédiction qui lui avait été accordée furent surtout des mères de famille. En effet, c'est surtout par la coopération des mères que le fruit de leurs entrailles est : saintement conçu et saintement porté et que se produit par conséquent, cette postérité dans laquelle s'accomplit la parole de l'Écriture : O quam pulchra est casta generatio cum claritate ! Tous les saints qui, à partir du sein maternel, furent favorisés du don de la pureté incorruptible dans leur corps et dans leur âme au point de ne jamais sentir dans tout le cours de leur vie l'aiguillon de la sensualité, en furent redevables, après Dieu, à leurs mères lesquelles par la prière, la mortification et la pénitence gardèrent pour Dieu le fruit de leurs entrailles et le préparèrent par là à recevoir cette ineffable prérogative qui devait en faire l'ornement de l'Eglise. Or, ces mères trouvent leur modèle et comme leur racine dans sainte Anne qui, plus qu'aucune autre femme, ayant vécu dans la plénitude des temps, est devenue par sa proche parenté avec Jésus et Marie une médiatrice de salut et une source de bénédictions pour toutes les générations et toutes les époques. Ne serait-ce pas par suite d'un rapport mystérieux avec ce rôle assigné à sainte Anne qu'elle-même a daigne révéler son triple mariage à deux de ces âmes virginales comme celles dont nous partions, savoir à la bienheureuse Colette et à notre Anne Catherine ?

Sainte Colette favorisée, comme le fut aussi plus tard sainte Madeleine de Pazzi, de ce merveilleux don de pureté, au milieu des tribulations et des difficultés contré lesquelles elle avait à lutter pour remplir la tâche que Dieu lui axait imposée de régénérer les filles de sainte Claire, avait coutume de recourir principalement aux saints qu'elle savait avoir eu un plus grand amour pour la virginité, pendant qu'ils étaient sur la terre. Elle s'adressait rarement à sainte Anne parce que son triple mariage était pour elle quelque chose de choquant. Mais un jour Colette eut une vision dans laquelle elle vit sainte Anne revêtue d'une gloire incomparable et entourée de sa sainte postérité, et elle entendit ces paroles : " il est vrai que j'ai eu trois maris : mais ma postérité a enrichi des plus précieux ornements l'Eglise triomphante et l'Eglise militante ". .

À dater de ce moment le coeur de Colette se prit d'une telle confiance et d'un tel amour pour sainte Anne qu'elle s'appliqua à répandre son culte partout où elle le put et qu'elle fit même élever des églises en son honneur. La vision de Colette ne lui avait pas fait connaître les noms de ces saints rejetons qui entouraient Anne, mais quand elle raconta ce qu'elle avait vu à son confesseur, auquel nous dévoile la connaissance de cet incident, il ajouta ces noms à sa relation, en se conformant à l'opinion généralement admise à cette époque. Il pouvait le faire avec d'autant moins de scrupule que le but de la vision n'avait pas été d'établir ou de préciser la généalogie de cette postérité sainte, mais seulement d'affirmer le fait des trois mariages de sainte Anne et le bien qui en était résulte pour l'Eglise.

Il est parlé de cette Vision dans le grand ouvrage du pape Benoit XIV (De servorum Dei beatificatione, etc., lib III, cap. Ult n 16). Après avoir posé la question de savoir si parmi les visions et révélations approuvées il a pu s'y glisser d'apocryphes, il répond affirmativement et cite entre autres sainte Colette.

Note : Waddingus, in Annalibus Minorum, ad annum 1406 n 23 ; Et acta sanctorum, mensis Martius, tom. I, die 64.

" Ainsi, dit-il, quelques auteurs tiennent pour apocryphe la révélation attribuée à la bienheureuse Colette où il est dit que sainte Anne a eu trois maris ; c'est ce que soutiennent notamment Canisius et Lorinus ". Or le principal argument de Lorinus n'a aucune valeur, comme le prouvent les paroles suivantes du rédacteur de la vie de sainte Anne dans le sixième volume de juillet des Acta sanctorum : " Notre Lorinus. dans son commentaire sur le premier chapitre des Actes des apôtres "(c'est précisément l'endroit cité par Benoît XIV) ' dit que selon saint Ambroise, dans son traité des veuves sainte Anne n'a été mariée qu'une seule fois ; mais le polygraphe (vir polygraphus) s'est trompé cette fois. J'ai lu tout le traité de saint Ambroise et je n'ai pu y trouver qu'un passage relatif à la prophétesse Anne, fille de Phanuel, et non à sainte Anne, Mère de la sainte Vierge ".

Quant à l'autorité du vénérable Canisius, on peut lui opposer une série de docteurs du moyen âge encore plus autorisés que lui qui se prononcent en faveur du triple mariage de sainte Anne. Ainsi le chartreux Pierre Sutor, dans son livre De Triplici dirú Annú connubio, cite comme soutenant l'affirmative, le bienheureux Albert le Grand, le pape Innocent IV et Vincent de Beauvais qui défend cette tradition dans son fameux ouvrage intitulé Speculum histor~ale, ce que fait aussi saint Antonin (in 1 parte histor.). Pierre Sutor allègue en sa faveur tant d'autres autorités qu'il peut à juste titre présenter comme le résultat de toutes ses recherches la conclusion suivante : " Triplex divae Annú connubium est communis sententia probatorum doctorum a qua non licet sine temeritate dissentire "1.

"  La théologie du moyen âge, comme on le voit dans le bienheureux Albert le Grand, et plus tard dans Gerson, se fondait pour accepter la tradition touchant un triple mariage de sainte Anne, sur une note de la Glossa ordinare (in Galat., I, 19), et elle s'y attachait comme un fait qui intéresse la gloire de sainte Anne bien plus que comme à un moyen de résoudre les questions relatives aux frères et aux soeurs du Seigneur et à leur généalogie. Ainsi saint Thomas qui, dans son commentaire sur l'Epître aux Galates (cap. I , lectio 5), conteste les généalogies qu'on établissait comme conséquence du triple mariage de sainte Anne, ne met pas en doute le fait même de ce triple mariage ".

Note : Le triple mariage de sainte Anne a pour lui le sentiment commun des docteurs approuvés dont on ne peut pas s'écarter sans témérité.

Pour reconnaître a quel point cette opinion fut dominante pendant tout le cours du moyen âge et jusqu'à la fin du XVI siècle, il suffit de lire les écrits d'un de ses plus savants et de ses plus zélés défenseurs, le chancelier Jean Eck, d'Ingolstadt, qui a si bien mérité de l'Église catholique d'Allemagne. Dans le troisième livre de ses homélies, il affirme "  que c'est le sentiment universel et en même temps la tradition particulière de l'Eglise de Jérusalem, que sainte Anne s'est mariée trois fois ". Il traite l'opinion opposée d'irrévérence audacieuse envers l'Église universelle. Il loue ces trois mariages comme étant faits par l'inspiration du Saint

Note : La Glose s'exprime ainsi : "  Après la mort de Joachim, Cléophas, frère de Joseph, prit Anne pour épouse et engendra d'elle une fille qu'il appela Marie : celle-ci épousa Alphée qui eut d'elle des fils, à savoir : Jacques, Joseph, Simon et Juste. Après la mort de Cléophas, Anne se remaria à un certain Salomé et mit au monde une fille nommée Marie qui épousa Zébédée dont elle eut des fils, à savoir : Jacques appelé le Majeur et Jean l'Evangéliste.

Le bienheureux Albert le Grand, dans son Commentaire sur saint Matthieu (X, 31), prend pour base ce qui est dit dans la Glose puisqu'il cite les vers composés d'après elle :
Anna tribus, Joachim, Cleophae, Salomeque Marias etc.

Gerson aussi, dans un sermon sur la Nativité de Marte, mentionne les trois maris de sainte Anne, et cite les vers en question avec des changements insignifiants.
2 Hollilliarii Eckiani adversùs sectas, ab ipso auctore, etc. Sanctis. Ingoletadii, 1536.

Esprit et vante leur fécondité en ces termes : " O glorieuse racine, ô sainte génération, ô bon arbre qui produit tant et de si bons fruits " ! Il ne connaît que trois hommes (c'est Eck qui parle) qui aient insolemment (protervé) élevé la voix contre " ce consentement unanime de la chrétienté universelle " et encore l'un d'eux a obtenu la grâce de se rétracter en rentrant dans le sein de l'Église catholique. Il conclut en recommandant de ne pas ajouter foi aux opinions nouvelles, insoutenables et contraires a l'Eglise catholique, suivant lesquelles sainte Anne ne se serait mariée qu'une fois Les autres écrivains de cette époque qui soutiennent la réalité des trois mariages ne s'expriment pas avec moins de force que le docteur Eck, et ils notent l'opinion opposée comme a erronée et contraire à la tradition commune de l'Église ".

La question étant ainsi posée, on ne peut pas s'étonner de voir les premiers adversaires de l'opinion dominante s'exprimer d'abord avec une grande réserve. Voici par exemple comment parle Salmeron : " Quoique cette opinion soit générale et confirmée par les témoignages de beaucoup d'écrivains, assez récents pour la plupart, quelques catholiques cependant la jugent suspecte et peu honorable ou difficile à concilier avec la sainteté de sainte 1tune, avec la dignité de la vierge Marie sa fille, ou enfin avec celle du Christ lui-même ". Le Père Barradius de son côté l'appelle encore "  une croyance générale a son époque " vulgata Opinio et la traite avec tant d'égards qu'en émettant l'opinion opposée il se borne à soutenir qu'elle n'est pas " erronea, temeraria et Ecclesiú repugnans " ; un siècle plus tard le Père Cuper s'exprime tout autrement dans les Acta sanctorum 3. Il avoue encore, à la vérité, avec Salmeron, que l'opinion du triple mariage de sainte Anne a été l'opinion générale et qu'elle a eu en sa faveur le témoignage d'un grand nombre d'auteurs : il croit devoir néanmoins regarder l'opinion contraire comme plus raisonnable et plus vraie, et il ajoute, par allusion au docteur Eck " qu'il tient peu de compte de la censure téméraire d'un particulier ". Cuper pouvait parler ainsi dans un temps où son opinion, grâce à l'accession de tous les grands docteurs de sa compagnie, avait peu à peu pris le dessus sur celle qui avait été jusqu'alors l'opinion commune.

Note : Commentaria in Evang. Etc.

Le caractère général qu'avait pris la controverse théologique aux XVI et XVII èmes siècles conduisait nécessairement à l'abandon de la tradition relative au triple mariage de sainte Anne, car en présence d'hérésiarques qui attaquaient violemment la virginité et plaçaient le mariage infiniment au-dessus du célibat volontaire, il était naturel qu'on laissât tomber une opinion qui pouvait sembler fournir un argument à l'hérésie. D'ailleurs, comme on le voit par l'annotation de la Glose citée plus haut et par les vers auxquels elle avait donné naissance, on avait fait provenir des divers mariages de sainte Anne toute une postérité dont il était facile de contester la descendance, et cette circonstance contribua aussi à faire abandonner la thèse principale. Le siècle suivant et les temps plus rapprochés du nôtre encore étaient devenus trop étrangers à ces sortes de questions pour pouvoir éprouver autre chose qu'un sentiment de dédaigneuse surprise à l'idée qu'on pouvait s'occuper de discussions aussi oiseuses et aussi peu importantes. Le temps présent, lui aussi, n'eût pris que peu ou point d'intérêt à cette question sans les récits de la voyante de Dulmen ; mais les voies de Dieu sont tout autres que celles des hommes, et ici encore on peut voir l'accomplissement d'une mission imposée à la pieuse fille, celle de remettre au jour bien des choses scellées et tombées dans l'oubli.

Cum Salmero ne nostro llbenter favecr sententiam de triplici S Ann`~ conji~gio tval5Jarem fuisse et multorum auctorum su//ragiis con/irmari posse lalo scio Eugesippum quamdam, sreulo x~, in tractatu `~ de dista'~'is locurum ter/ a~ sancCx", tripler hoc matr monium asserere : nil~ilominus Sanct7 nostru~ mon~1gamiam magis rationi ac reritati consenfnnean~ e~istimo.

Saint PIERRE.

20 février 1821.

"  J'ai appris beaucoup de choses sur saint Pierre, sa belle-mère malade et sainte Pétronille. Ce fut une chose étrange : je vis venir à moi de ma petite armoire un esprit sous la forme d'un vieillard ; il me raconta beaucoup de choses qu'il paraissait savoir comme s'il eût été présent lorsqu'elles s'étaient passées. C'était saint Pierre lui-même dont il y avait une relique dans l'armoire en. ;' question, ainsi que le dit plus tard Anne Catherine. Il me fit une longue exhortation et me donna, en outre, des règles de conduite que je ne veux pas dire, de peur qu'elles ne m'attirent des reproches ".

Le père de Pierre avait laissé sa maison à celui-ci : après la mort de sa femme il était allé s'établir dans un autre endroit au bord du lac, et André l'avait suivi ; une nièce tenait son ménage. André était l'aine de Pierre et moins ardent que lui : il était plus facile à vivre. Plus, tard André se maria et alla s'établir dans une autre maison, à Bethsaïde. Une personne âgée était restée avec Pierre et tenait son ménage : elle était très diligente et très patiente, mais elle était malade et souffrait d'une perte de sang.

Quand on suivait la route qui allait de Jérusalem à la rive occidentale du lac, on passait par Capharnaum avant d'arriver à Bethsaïde. Capharnaum n'était pas au bord même du lac, mais à quelque distance sur la rive occidentale d'une rivière qui s'y jetait ; en suivant la rivière de ce côté, on n'avait pas loin à aller pour arriver à Bethsaïde, qui n'était pas non plus tout au bord du lac. Il y avait plusieurs pêcheries sur le lac qui en cet endroit paraissait sujet à des débordements : on rencontrait aussi dans les intervalles des jardins, des champs et plusieurs ruisseaux qui se jetaient dans le lac. Avant d'arriver de Capharnaum à Bethsaïde, on trouvait le long du cours d'eau peu important une rangée de petites maisons qui formaient comme un village en avant de Bethsaïde. C'était là qu'était allé le père de Pierre avec sa nièce qui avait déjà demeuré avec lui à Capharnaum : André aussi y résida un certain temps, mais après son mariage, il habita Bethsaïde.

Pierre vécut trois ans dans le célibat ; ensuite il épousa la veuve d'un pêcheur du village voisin de Bethsaïde. Celle-ci ne pouvant plus diriger ses affaires à elle seule, vint habiter la maison paternelle de Pierre, tandis que Jouas, père de Pierre, alla occuper avec André et sa nièce la maison que quittait cette veuve. Je vis chez Pierre deux petits garçons et un' jeune fille qui étaient des enfants amenés par sa femme. Quant à lui, il n'avait pas d'enfants. Pierre me raconta beaucoup de choses touchant la maladie de sa belle-mère ; il me dit qu'elle s'était entièrement remise entre les mains de Dieu auquel elle ne demandait rien. J'eus aussi une vision, ou je vis Jésus se rendre dans la maison de Pierre avec quelques disciples et la guérir.
Il ne la guérit pas sur-le-champ, et elle ne lui adressa aucune prière. Elle avait déjà beaucoup entendu parler des guérisons qu'opérait Jésus, mais sans rien désirer pour elle-même. Seulement, elle s'était réjouie de ce que Pierre s'était mis en rapport avec lui. La maison de Pierre était en assez bon état, mais elle était vieille et adossée à une espèce de terrassement. Elle était entourée d'une cour fermée ; il y avait devant, près de l'entrée, une pompe qui ne s'élevait pas à hauteur d'homme. En posant le pied sur quelque chose, on faisait jaillir l'eau par en haut de tous les côtés. Tout auprès de la maison se trouvait un réservoir assez grand où l'on descendait par des marches de gazon. J'y ai vu beaucoup de poissons : c'étaient d'autres poissons que ceux de notre pays ; ils avaient de très grosses têtes. De l'autre côté de la maison était un jardin avec des herbes de toute espèce : il y avait aussi des fleurs.

Ce fut dans la première année de la prédication de Jésus-Christ que je le vis guérir la belle-mère de Pierre. Pierre n'avait pas encore quitté sa maison, mais André lui avait déjà fait connaître Jésus. On a coutume de dire que Pierre a tout quitté sur-le-champ pour suivre le Seigneur. Il m'a dit lui-même qu'il était auparavant allé chez son père et lui avait annoncé sa résolution. Jésus avait déjà fait plusieurs miracles dans le pays : il n'avait pourtant pas encore guéri la belle-mère de Pierre. Elle avait entendu parler de ses miracles, s'était réjouie de cela, et avait appris avec plaisir les rapports de Pierre avec lui, mais elle avait continué il souffrir patiemment sans rien demander.

Je vis Jésus entrer dans la maison avec quelques disciples. Pierre entra avec lui. Je vis la femme de Pierre ; elle était plus âgée que lui : elle avait tout l'extérieur d'une Juive de l'ancien temps. Je ne vis pas Jésus aller près de la malade ; il marcha avec Pierre autour de la maison. Je vis les trois enfants courir près d'eux ; je vis aussi que les autres apôtres badinaient avec ces enfants et appelaient la petite fille Pétronille. J'eus une autre vision où il me fut montré comment cette Pétronille souffrit le martyre, après avoir très activement travaillé a propager le royaume de Jésus-Christ. Thècle, Agathe et elle ont été les plus héroïques d'entre les martyres. J'ai su cela dans une vision particulière.

Lorsque je vis que Jésus ne guérissait pas la belle-mère de Pierre à laquelle je m'intéressais beaucoup à cause de ce que Pierre m'en avait dit et de sa grande patience, je fus toute contristée. Je vis faire les apprêts d'un repas : la table était une pièce de bois assez basse : on mit dessus des petits pains, des herbes vertes qu'on Servit comme lorsqu'on apporte du cresson dans un pot ; du miel en grandes tablettes découpées en forme d'étoiles, et, enfin, du poisson. Il y avait avec cela des flacons et de petites coupes dans lesquelles les convives burent debout. Ensuite ils se mirent à table et tout se passa fort tranquillement. Pendant le repas, ou plutôt lorsqu'ils eurent bu, Jésus alla dans la chambre de la malade. Sa couche était une espèce de pierre peu élevée adossée à la muraille ; il y avait devant quatre morceaux de bois fichés en terre soutenant un clayonnage flexible qui empêchait que rien ne tombât, et qui avait légèrement cédé à l'endroit où le coude s'appuyait. La malade avait sous elle des coussins, et sur elle des couvertures de laine blanche très minces. Ce fut André qui accompagna Jésus près d'elle. Elle était couchée je visage contre le mur et ne se retourna pas quand ils entrèrent. Jésus l'appela par son nom ; alors elle tourna un peu la tête vers lui. Il lui tendit la main et elle avança un peu la sienne comme une personne très affaiblie par la maladie. Jésus se baissa vers elle comme pour lui parler ou souffler sur son visage, et alors elle se mit sur son séant. A sa droite était un vêtement d'étoffe rayée que Jésus lui jeta sur les épaules. Elle attacha un bandeau autour de sa tête et se leva en rabattant sur elle le vêtement qui était sur ses épaules, puis, descendant de sa couche, elle suivit Jésus. Je ne l'ai vue ni s'agenouiller, ni remercier avec vivacité, ni témoigner sa reconnaissance par de vives démonstrations. Elle marcha tranquillement à la suite de Jésus, entra après lui dans la salle à manger où Pierre l'embrassa et se mit à servir les convives ; les autres femmes qui étaient dans une autre chambre ne demandèrent que plus tard à la voir.

PIERRE DÉLIVRÉ DE SA PRISON PAR UN ANGE.

1er août 1820 .

Je vis saint Pierre dans une prison assez spacieuse : il était couché et dormait entre deux soldats qui dormaient eux-mêmes couches à quelque distance de lui. Il était étendu sur le côté le long du mur, ses pieds étaient retenus dans un bloc de bois et ses poignets passés dans des chaînes attachées aux bras des deux gardes qui dormaient à droite et à gauche. Je vis une lumière éclatante, et dans cette lumière un ange qui descendait d'en haut : c'était une apparition semblable à celle de mon guide. L'ange secoua Pierre qui se réveilla : les chaînes s'étaient détachées de ses mains à droite et à gauche, elles étaient tombées sans bruit et sans mouvement apparent et elles avaient conservé la même position que lorsqu'il les avait aux mains. L'ange lui dit quelque chose : alors Pierre retira ses pieds du bloc de bois sans l'ouvrir, chaussa ses sandales qui et ;lient attachées autour de ses jambes, se leva, serra sa ceinture sur sa large robe, mit sur ses épaules son manteau qui lui avait servi de couverture et suivit l'ange, qui passai devant lui par la porte qui resta fermée : c'était comme s'ils eussent passé au travers. Ils traversèrent plusieurs pièces où se tenaient des soldats qui veillaient, mais qui ne les virent pas. Enfin ils arrivèrent à une grande porte de fer qui s'ouvrit devant eux. Pendant tout ce temps je ne vis autour d'eux que ce qu'il fallait de lumière pour éclairer l'endroit où ils marchaient. Ils descendirent une rue, alors l'ange disparut et je vis Pierre saisi d'étonnement. Il avait cru jusque-là que tout cela se passait en rêve ; mais alors il se rendit compte de tout et vit qu'il se trouvait réellement en liberté. Il passa par une porte, franchit un petit cours d'eau et sembla sortir de la ville, ce dont je ne suis pas bien sûre ; car à Jérusalem il y avait plusieurs séparations entre les collines sur lesquelles s'élève la ville. Quoi qu'il en soit, je vis que la maison de la mère de Jean-Marc n'était pas dans la ville proprement dite, mais à part et devant une porte. Je vis dans cette maison beaucoup de fidèles et de disciples rassemblés qui priaient dans une salle sous une lampe allumée. Ils avaient grand soin de ne faire aucun bruit qui pût les trahir et gardaient un silence presque absolu : d'épais rideaux étaient tendus devant les fenêtres de la maison pour empêcher de voir la lumière. Je vis Pierre frapper à la porte du vestibule : une servante vint voir qui c'était et Pierre lui dit d'ouvrir ; mais elle rentra en courant et dit aux autres, toute joyeuse, que l'apôtre était là. Ceux-ci ne voulaient pas la croire : je vis alors Pierre frapper de nouveau. Plusieurs d'entre eux vinrent lui ouvrir : il entra et ils l'embrassèrent pleins de joie. Mais il ne s'arrêta pas longtemps avec eux, il leur fit signe de rester calmes et raconta en peu de mots ce qui lui était arrivé ; puis il sortit de la maison et alla plus loin.

Je vis aussi qu'il existe encore à Rome une église où des chaînes sont suspendues dans une châsse : les anneaux sont ronds ; je n'ai rien vu là du bloc de bois ou les pieds étaient retenus, ni des serrures qui le fermaient et qui étaient autrement faites que celles des menottes. Je crois avoir vu une fête ou l'on baisait ces chaînes, mais je ne m'en souviens plus très bien.

SAINT PIERRE à ROME.

Juillet 1821.

Ce fut en hiver, le 18 janvier de l'an 44, que Pierre arriva à Rome avec trois compagnons, deux disciples, Martial et Apollinaire, et un serviteur nommé Marcion. Il était allé d'abord d'Antioche à Jérusalem Ou il vivait une persécution ; il s'était rendu de là à Naples et dans plusieurs autres endroits, puis enfin à Rome. Je vis que Lentulus, qui avait été informe de l'arrivée de Pierre, vint à sa rencontre sur le chemin : il l'emmena, lui et ses compagnons, dans sa maison où il leur offrit l'hospitalité d'une façon toute patriarcale, leur lava les pieds, leur donna de nouveaux vêtements et les hébergea. Cependant ils allèrent loger dans une autre maison ; plus tard ils demeurèrent chez un homme nommé Pudens dont la maison devint la première église de Rome : Lentulus contribua largement aux dépenses faites à cette occasion.

Ce Lentulus était un des personnages les plus considérables de Rome : il était marié et avait une douzaine d'enfants. Il avait ressenti un attrait extraordinaire pour Jésus-Christ. Plusieurs Romains étant allés au baptême de Jean avaient entendu parler du Messie, de l'Esprit Saint qui était descendu sur lui et des prodiges qu'il avait opérés. Lentulus recherchait avec grand soin ceux qui étaient dans ce cas et se faisait raconter par eux ce qu'ils savaient. Ses affaires l'empêchaient d'entreprendre le voyage de Judée ; mais quand il arrivait des navires venant de ce pays, il interrogeait les passagers pour avoir des informations Sur Jésus. Il se prit ainsi de loin d'une telle affection pour Jésus qu'il chargea quelqu'un de se glisser dans la foule auprès du Seigneur et de lui faire toucher un suaire de très belle étoffe. On lui envoya ce suaire qu'il reçut avec un grand respect et qu'il conserva précieusement. Les gens riches de cette époque avaient pour s'essuyer je visage des pièces d'une étoffe de laine très fine qui ne se salissaient jamais. Je vis qu'on fit toucher le suaire de Lentulus au vêtement de Jésus la première fois qu'il vint près du Jourdain après l'emprisonnement de Jean. Il ne sembla pas sen apercevoir. Je vis Lentulus profondément ému lorsqu'il reçut ce linge. L'amour que ce païen ressentait de Si loin pour Jésus me toucha tellement que je ne pus m'empêcher de pleurer.

J'ai vu encore que Lentulus désirait ardemment de faire le portrait de Jésus et qu'il se fit donner à cet effet beaucoup de détails par Pierre. Il essaya plusieurs fois ; mais Pierre, en voyant ses ébauches, disait toujours que ce n'était pas encore ressemblant. Enfin Lentulus s'étant endormi en priant, je vis une apparition du Sauveur porter le suaire à son visage et y laisser l'empreinte de sa face que Lentulus trouva à son réveil. J'ai l'idée que ce portrait existe encore et qu'il a opéré autrefois beaucoup de miracles. Lentulus fit encore des représentations d'autres objets qu'il s'était fait décrire, par exemple de la grotte d'Elie sur le mont Carmel. Il fut l'un des premiers qui se firent chrétiens à Rome.

J'ai vu souvent trois images miraculeuses de Jésus : j'ai vu tout cela beaucoup plus clairement, quand j'avais neuf a dix ans. Le suaire de Véronique est passé à Thaddée qui s'en est servi pour opérer des miracles à Edesse et ailleurs. Il est maintenant dans une ville où se trouve un des linceuls de Jésus-Christ : c'est à Turin, si je ne me trompe.

Le portrait de Lentulus se trouve dans un endroit (note : à Pérouse) où il y a encore deux des linges qui ont servi à ensevelir Jésus et où l'on conserve dans une belle église l'anneau nuptial de Marie, derrière une grille fermée par plusieurs serrures. Les gens pieux qui se marient font toucher leurs anneaux à ces serrures. Cet anneau est très large, il y a en haut et en bas un rebord : il n'est ni d'or ni d'argent : il est de couleur sombre avec des reflets chatoyants. Des lettres et des signes sont gravés autour. Le suaire qui est a Rome est un linge qui a servi à envelopper ceux sur lesquels Jésus fut déposé pour être embaumé et sur lequel son visage s'est imprimé miraculeusement. En le comparant avec l'autre, on l'a trouvé parfaitement semblable. J'ai su aussi toute l'histoire de ce linge, mais je l'ai oubliée.

Un linceul de Jésus vint en la possession d'un disciple de Jérusalem qui était au temple : il tomba plus tard dans les mains des Juifs. Ils essayèrent de le brûler, mais je vis le linceul s'envoler en l'air : je vis toute une histoire à ce sujet : il y eut un évêque de Syrie qui eut à son sujet beaucoup de contestations avec les Juifs et qui finit, si je ne me trompe par en rester possesseur. Je crois avoir une relique de cet évêque.

Pierre est arrivé à l'âge de quatre-vingt-dix-neuf ans : Il mourut l'an 69, occupa sept ans le siège d'Antioche et vingt-cinq ans celui de Rome. Il fut à Jérusalem en l'an 43 : il alla de là à Rome et y fonda l'Église Romaine. Il se rendit ensuite à Ephèse pour assister à la mort de Marie, puis il retourna à Rome en passant par Jérusalem.

Pierre alla trois fois à Joppé. La première fois il s'y rendit en venant de Samarie, où il s'était mis en rapport avec Simon le magicien. Il revint de là à Jérusalem à l'occasion des réclamations qui s'étaient élevées touchant la distribution des aumônes, et il institua les diacres : il fut reconnu comme chef suprême de l'Eglise et revint à Sarona et à Joppé. Lorsque les femmes se plaignirent d'Étienne à l'occasion du pain moisi, il vint encore à Jérusalem. d'où il retourna à Joppé : il y ressuscita Tabithe et vit la vision où un grand linge contenant des aliments de toute espèce lui fut montré. A cette époque, Jacques le Majeur se mit en rapport à Samarie avec deux magiciens qu'il convertit et qui guérirent ensuite au nom de Jésus comme ils avaient cherché à le faire auparavant au nom du démon. L'un d'eux s'appelle Hermogène.

SAINT ANDRE

J'ai vu la vie de l'apôtre saint André et reconnu une relique provenant de lui. J'ai vu aussi une fête de l'Église en son honneur, à laquelle assistaient tous les apôtres, ainsi que la Mère de Dieu et Madeleine : Marthe n'y était pas. Je le vis après la mort de Jésus parcourir la Grèce et l'Asie et aller continuellement d'un lieu à l'autre en opérant partout des miracles. Il était plus âgé et moins grand que Pierre : sa taille était ramassée : ses manières simples, franches et ouvertes : ses qualités dominantes étaient la sincérité et la libéralité. Il avait la tête chauve, sauf quelques mèches de cheveux blancs comme la neige sur les côtés : son menton aussi était garni de deux mèches blanches assez courtes. Il avait une femme et quatre enfants, deux garçons et deux filles. mais à dater du moment où Jésus l'appela à sa suite il vécut dans la continence la plus absolue. Il fut le premier des apôtres qui renonça à tout ce qu'il possédait et aucun d'eux n'a si promptement et si scrupuleusement donné et distribué tout son bien au profit de la communauté : cela eut lieu lorsque Jésus congédia ses apôtres pour quelque temps, lors du voyage qu'il fit avant sa mort en Arabie et en Egypte.

Lorsqu'André partit pour ses voyages apostoliques, sa femme habita d'abord à Béthanie : ensuite elle alla dans les environs d'Ephèse. mais cependant à une certaine distance de l'habitation de la sainte Vierge. Plus tard j'ai vu presque toujours les enfants des apôtres parmi les disciples et en général assistant les apôtres. André n'était pas proprement un pécheur comme son frère, il était plutôt l'administrateur d'une pêcherie qu'il tenait à ferme et sa maison était au centre de Bethsaïde, tandis que celle de Pierre était à l'extrémité de la ville tout au bord de l'eau.

Je vis André et un autre encore (Saturnin), avec Jean-Baptiste : je vis Jean parler de Jésus qui passait à une certaine distance, sur quoi André et l'autre disciple s'étant entretenus quelques moments avec Jean, le quittèrent pour aller à Jésus qui venait vers eux de l'autre côté du chemin. Il leur demanda qui ils cherchaient et leur permit de le suivre.

Quant aux divers événements de la vie de saint André et des miracles opérés par lui, Anne-Catherine ne raconta que le peu qui suit : Je vis André en Achaie, en même temps que Matthieu était prisonnier dans une ville éloignée avec des disciples et une soixantaine d'autres personnes. On avait mis du poison dans les yeux de Matthieu, ce qui le faisait beaucoup souffrir : ses yeux étaient très rouges et très enflés et il n'y voyait plus : cependant on ne les avait pas crevés. Cette ville était au sud-est de Jérusalem, de l'autre côté de la mer Rouge, en Éthiopie : elle était située au bord d'une rivière qui était fort grande pour un pays de montagnes. Les habitants de cette contrée sont tout noirs : mais il y a pourtant une partie du pays ou ils sont blancs : cette partie est comme une enclave. André reçut dans une vision l'ordre de se rendre auprès de Matthieu. Il monta sans être connu sur un navire où se trouvaient beaucoup de passagers et dont la marche fut très rapide : ensuite il voyagea par terre et je les vis suivre alternativement les deux bords de la rivière près de laquelle la ville était située. Quand il y fut arrivé, il guérit Matthieu, fit tomber ses chaînes et celles de ses compagnons de captivité et prêcha l'Evangile. Au commencement tout alla bien, mais ensuite les habitants excités par une méchante femme se saisirent d'André et le traînèrent à travers la ville, après lui avoir lié les pieds André pria pour ses bourreaux : ils furent touchés, lui demandèrent pardon et se convertirent : il revînt ensuite en Achaïe. Je le vis guérir un possédé aveugle et ressusciter un enfant égyptien. Un jeune homme que sa mère dénaturée excitait à commettre un inceste avec elle et qu'elle avait accusé devant le proconsul à cause de son refus de consentir a ce crime, se réfugia auprès de lui André et le jeune homme prièrent : l'apôtre fit faire à celui-ci le voeu le jeûner un certain temps et ils allèrent ensemble au tribunal. La mère fut frappée de la foudre et le jeune homme, mis en liberté, jeûna pendant plusieurs jours.

André alla aussi à Nicée où il chassa des sépultures de la ville sept esprits impurs qui aboyaient comme des chiens. Il établit là un évêque qui était des environs de Cédar. Il ressuscita un enfant mort à Nicomédie : il apaisa une tempête sur l'Hellespont : les sauvages habitants de la Thrace voulurent le faire périr, mais effrayes par une éclatante lumière céleste qui l'environna, ils se prosternèrent la face contre terre. Je vis encore l'histoire d'une pécheresse convertie appelée Trophima, contre laquelle aucune force humaine ne pouvait rien lorsqu'elle portait sur sa poitrine le livre des Evangiles. Je vis aussi une fois André exposé aux bêtes, puis rendu à la liberté.

Quant au martyre qui termina sa vie, je me souviens seulement que son juge s'appelait Egéas. La croix à laquelle il fut attaché avait cette forme >I<. cependant ses pieds n'étaient pas écartés l'un de l'autre, mais attachés au poteau du milieu : l'usage de cette espèce de croix s'était répandu parce qu'elle était plus commode et plus prompte à dresser à l'aide de trois pièces de bois. André resta ainsi suspendu pendant deux jours et deux nuits et il prêcha du haut de sa croix : " la fin, le peuple qui l'avait pris en grande affection se souleva et demanda sa délivrance. Un envoyé d'Egéas étant venu, la foule se pressa si nombreuse autour de la colline que plusieurs personnes furent étouffées. Mais André pria pour obtenir la grâce de mourir : ils ne purent pas le détacher de la croix parce que leurs mains furent frappées de paralysie. Ce fut ainsi qu'il mourut.


SAINT JACQUES LE MAJEUR.

Jacques était grand, il avait les épaules larges sans être trapu, ses cheveux étaient noirs et sa barbe brune. Il avait le teint blanc, la physionomie grave et pourtant pleine de sérénité. Il était marié et vivait à Capharnaum, mais il n'avait pas d'enfants. Sa femme était une soeur de la veuve de Naïm et se réunit plus tard aux saintes femmes.

La mère de Jacques s'appelait Marie Salomé, elle était fille d'une soeur de sainte Anne, dont le mari s'appelait Salomo : elle avait demeuré d'abord près de Bethléhem, puis sur les biens de sainte Anne. Marie Salomé épousa Zébédée dont elle eut Jacques le Majeur et Jean. Elle était du même âge que la fille aînée d'Anne, Marie d'Héli, née dix-huit à vingt ans avant la sainte Vierge, et qui épousa Cléophas, dont elle eut Marie de Cléophas : celle-ci épousa Alphée qui avait eu d'un premier mariage le publicain Matthieu et qui eut d'elle Simon, Jacques le Mineur et Thaddée. D'un second mariage avec Sabas, Marie de Cléophas eut José Barsabas et d'un troisième mariage Siméon évêque de Jérusalem, Marie Salomé était donc nièce de sainte Anne et cousine germaine de Marie, la mère de Dieu.

Lorsqu'Etienne fut lapidé, un an environ après le crucifiement de Jésus-Christ, sa mort ne fut pas suivie d'une persécution en règle contre les apôtres ; seulement, la plupart des chrétiens qui s'étaient établis dans des cabanes autour de Jérusalem, et qui étaient en partie sous la direction d'Etienne, furent chassés de leurs demeures il n'y eut pas d'autre persécution dirigée contre les apôtres et les disciples proprement dits, si ce n'est quelques meurtres isolés. Les Juifs éprouvaient un certain effroi : de temps en temps il y avait un tumulte populaire, puis le calme renaissait. Jacques fut l'un des premiers apôtres qui quittèrent Jérusalem lorsqu'ils se furent partagé les contrées à évangéliser, et il se rendit en Espagne. Il resta un peu plus de quatre ans dans ce pays, fit pendant ce temps plusieurs voyages, rencontra infiniment d'obstacles, et éprouva des tribulations de toute espèce : il eut souvent à soutenir de rudes luttes, et disputa beaucoup avec les savants. Je vis plus d'une fois Marie lui venir miraculeusement en aide lorsqu'il l'invoqua dans ses tribulations. En allant de Jérusalem en Espagne, il passa par les îles grecques et par la Sicile, puis il longea longtemps par mer la côte d'Espagne jusqu'à un étroit passage assez semblable à celui qui est entre la France et l'Angleterre, et enfin, il débarqua à Gadès. Il y a là une presqu'île avec un promontoire de rochers. Sa prédication fut mal accueillie dans cette contrée, et si quelques chrétiens réfugiés là n'avaient pas rendu témoignage de la vérité de ses paroles, on l'aurait mis en prison. Il alla alors dans une autre ville où il ne trouva pas un meilleur accueil, il fut arrêté et on voulait le mettre à mort, mais il fut délivré miraculeusement. Je le vis en prison, rêvant qu'un ange venait à lui et le délivrait en le faisant passer par-dessus une haute muraille. Je vis la chose arriver réellement pendant que Jacques croyait rêver : je le vis au haut du mur se réveiller et regarder derrière lui : il y avait devant le mur une grande étendue d'eau. Je vis un ange descendre du ciel et le transporter de l'autre côté de l'eau. Il se rendit ensuite à Rome, accompagné de deux disciples. Il en laissait derrière lui six ou sept qu'il avait chargés de continuer son oeuvre, leur promettant de revenir en Espagne. Dans son voyage, il passa à Marseille mais il ne vit pas Lazare ni les autres qui étaient plus avant dans l'intérieur du pays. Il continua son voyage par terre, suivant toujours les côtes dans la direction du midi, prêcha en divers endroits et fut mis en prison où il y resta six jours. Il fut ensuite emmené à Rome par des soldats, traduit devant un tribunal, puis remis en liberté. Ce voyage avait bien duré six mois.

Après cela Jacques revint en Espagne ; il retourna à Gadès où le nombre des chrétiens s'était notablement accru par suite des émigrations là, il remonta dans l'intérieur du pays ; il navigua d'abord sur un radeau avec quelques disciples, puis il fit plusieurs journées de voyage à travers des montagnes désertes, évitant les villes avec soin. Il passa devant Tolède et ne s'arrêta nulle part jusqu'à ce qu'il fût arrivé à Cæsar-Augusta (Saragosse). Il y eut dans cette ville un très grand nombre de conversions, des rues entières reconnurent le Seigneur, et on en chassa ceux qui restaient attachés au paganisme. Là aussi je vis Jacques courir de grands dangers ; on lâcha sur moi des serpents qu'il prit dans sa main sans s'émouvoir ; ils ne lui firent aucun mal et se précipitèrent sur les paiens qui se pressaient autour de lui, et que ce prodige frappa de terreur. Je vis aussi des magiciens faire assaillir Jacques par des démons sous toutes les formes. Je vis encore qu'ayant commencé à prêcher à Grenade, il y fut mis en prison avec tous ceux qui étaient devenus ses disciples. Il implora mentalement l'assistance de Marie qui alors était encore à Jérusalem, et un ange envoyé par elle vint le délivrer miraculeusement ainsi que tous ses disciples. Ce fut alors que Marie lui transmit par les anges l'ordre d'aller en Galice, d'y annoncer l'Evangile et de revenir ensuite à Jérusalem.

LE MIRACLE DE SARAGOSSE.

Note : Ceci est un second récit de ce miracle plus détaillé que celui qui a été donné dans l'introduction au premier volume.

Je vis Jacques, après son retour à Saragosse, en proie a de vives inquiétudes à cause d'une persécution qui commençait et qui menaçait l'existence de la communauté chrétienne. C'était pendant la nuit : il priait avec quelques disciples au bord du fleuve, devant les murailles de la ville. Les disciples étaient dispersés et couchés par terre et je me disais : " C'est ainsi qu'était Jésus-Christ sur la montagne des Oliviers ".

Jacques était couché sur le dos les bras étendus en croix : il priait Dieu de lui faire connaître s'il devait fuir ou rester. Il pensa à la sainte Vierge et la supplia de prier avec lui pour demander conseil et assistance à son fils qui ne refuserait pas d'exaucer sa mère. Je vis alors une lumière éclatante briller tout a coup dans le ciel au-dessus de lui, et apparaître des anges qui faisaient entendre des chants admirables : ils portaient entre eux une colonne de lumière du pied de laquelle partait un rayon délié qui venait toucher la terre à deux pas en avant des pieds de l'apôtre comme pour marquer une place. La colonne était de couleur rougeâtre, avec un mélange d'autres couleurs qui y formaient comme des veines : elle était très hauts et très mince et se terminait comme un lis par des pétales lumineux qui s'épanouissaient pour former une corolle : l'un d'eux s'allongeait et s'agitait du côté de l'ouest, dans la direction de Compostelle. Dans cette fleur resplendissante, je vis la figure de la sainte Vierge : elle était d'une blancheur diaphane, avec des reflets plus doux et plus beaux que ceux de la soie brute, et se tenait dans l'attitude qui lui était ordinaire lorsqu'elle priait debout. Elle avait les mains jointes : son long voile relevé sur sa tête tombait par derrière sur ses épaules et l'enveloppait jusqu'aux pieds : elle s'élevait ainsi gracieuse et svelte, au milieu des cinq pétales qui formaient la fleur lumineuse. C'était quelque chose de merveilleusement beau Je vis que Jacques se releva sur ses genoux en priant et qu'il reçut de Marie l'avertissement intérieur qu'il devait sans tarder ériger une église dans cet endroit, car l'intercession de Marie devait y prendre racine et s'y implanter comme une colonne. En même temps Marie lui annonça qu'après avoir bâti la maison de Dieu il devrait se rendre à Jérusalem. Jacques se leva et appela les disciples qui déjà accouraient près de lui, car ils avaient entendu les chants et vu la lumière ; il leur fit part des merveilles qu'il avait vues et tous suivirent des yeux la lumière qui s'évanouissait.

Dans la cinquième année qui suivit la mort du Christ, un nouvel orage s'était élevé contre la communauté chrétienne. Marie reçut un avertissement et Jean la conduisit avec d'autres personnes dans les environs d'Éphèse où déjà quelques chrétiens s'étaient établis. Lorsque Jacques eut fait à Saragosse ce qui lui avait été prescrit par Marie, il forma comme un collège de douze disciples parmi lesquels il y en avait de fort instruits et les chargea de continuer l'oeuvre fondée par lui au milieu de tant de difficultés.

LE MARTYR DE SAINT JACQUES.

Lui-même quitta l'Espagne pour se rendre à Jérusalem comme Marie le lui avait ordonné. Dans ce voyage il visita Marie à Éphèse. Elle lui annonça qu'il ne tarderait pas à être mis à mort à Jérusalem, elle l'encouragea et le consola. Jacques prit congé de la sainte Vierge et de Jean son frère et se rendit à Jérusalem. Ce fut à cette époque qu'il se mit en relation avec le magicien Hermogène et un autre qui devint son disciple, et qu'il les convertit l'un et l'autre par un miracle. Il fut plusieurs fois arrêté et traduit devant la synagogue. Je vis qu'on se saisit de lui à Jérusalem peu de temps avant la fête de Pâques, comme il prêchait en plein air sur une colline : c'était bien au temps de Pâques, car je vis les étrangers campés autour de la ville comme à l'ordinaire. Jacques ne resta pas longtemps en prison. Il fut condamné dans le lieu même où Jésus avait été jugé, mais la maison était tout autrement disposée. Tout avait été changé aux endroits où Jésus avait porté ses pas : j'ai toujours pensé que nul autre ne devait y paraître après lui. Je vis qu'on le conduisit du côté du Calvaire : sur le chemin il ne cessa de prêcher et convertit plusieurs personnes.

Note : Ici comme ailleurs Anne-Catherine a dit si formellement que Jacques le Majeur était mort avant la sainte Vierge, et qu'il n'était pas présent lorsqu'elle mourut beaucoup plus tard à Éphèse, qu'il est nécessaire de rectifier ce qu'on lit dans " la Vie de la sainte Vierge ". Si elle fait mention de Jacques en racontant la mort de Marie, elle entend parler de José Barsabas qui y parut comme son représentant, ou peut-être de sa présence en esprit. (Note de l'éditeur.)

Lorsqu'on lui lia les mains, il dit : " Vous pouvez enchaîner ces mains, mais non la bénédiction de Dieu ni ma langue " ! Un boiteux qui était assis sur le chemin, s'adressa à lui, le priant de lui donner la main et de le guérir. Jacques répondit : " Viens à moi et donne-moi la main ". Sur quoi le boiteux se leva, prit les mains lices de l'apôtre et fut guéri. Je vis aussi son dénonciateur, nomme Josias, courir vers lui tout ému de repentir et lui demander pardon. Jacques lui demanda s'il ; désirait le baptême, et l'autre lui ayant répondu qu'il le désirait, l'apôtre l'embrassa en disant : "  Tu seras baptisé dans ton sang ". Je vis encore une femme tenant à la main un enfant aveugle courir vers Jacques à l'endroit même où il devait être supplicié et obtenir la guérison de, cet enfant.

Jacques fut d'abord placé avec Josias sur une petite éminence : on proclama les crimes qui lui étaient imputés, et le jugement rendu contre lui. Ensuite il s'assit sur une pierre à laquelle ses mains étaient enchaînées des deux côtés ; on lui banda les yeux, et enfin on lui trancha la tête. Pendant ce temps, on avait renfermé Jacques le Mineur dans sa propre maison. Matthieu, Nathanaël Khased et Nathanaël le fiancé étaient alors à Jérusalem. Matthieu résidait à Béthanie. La maison de Lazare, ainsi que toutes ses autres propriétés en Judée, était depuis longtemps affectée à l'usage de la communauté chrétienne, mais les Juifs s'étaient emparés du château qui était dans la ville. Lors de l'exécution de Jacques, il y eut un soulèvement populaire, et beaucoup de gens se convertirent. Les disciples de Jacques voulaient avoir son corps, mais les Juifs se hâtèrent de le faire emporter par les soldats. Hérode mourut bientôt après à Césarée. Son ventre creva pendant une fête, comme il était sur un théâtre, en présence de tout le peuple ; on l'emporta dans une grande salle où était son trône, et qui pouvait contenir facilement cinq cents personnes. La rage et la douleur l'avaient jeté dans un accès de frénésie ; on ne peut dire à quel point il était dégoûtant à voir. On cacha sa mort pendant un certain temps. Je crois que Pierre ne revint à Jérusalem que plusieurs semaines après, et qu'il fut mis en prison. Plus tard, lorsque les disciples de Jacques réclamèrent son corps, les Juifs ne voulurent pas dire où il était, mais on le sut par un miracle, parce que deux malfaiteurs qu'ils avaient chargés de le porter dans un autre endroit a9n que ses disciples ne pussent pas découvrir où il se trouvait, se trouvèrent dans l'impossibilité de s'éloigner de là. Les disciples lui donnèrent la sépulture dans le voisinage de Jérusalem, mais pendant une persécution postérieure, ils l'enlevèrent secrètement et le transportèrent sur un navire qui les conduisit en Espagne. Parmi eux se trouvaient Ctésiphon, Joseph d'Arimathie et Saturnin. Celui-ci était déjà allé en Espagne précédemment, et il y avait prêché l'Evangile ; il portait toujours des vêtements de lin. J'ai vu aussi dans quel endroit ces disciples se séparèrent, mais je l'ai oublié. J'ai eu touchant Saturnin une vision des plus claires. Il était né à Patras, en Grèce, de parents d'un rang distingué. Avant entendu parler de Jean Baptiste, il quitta ses parents, alla le trouver et devint son disciple zélé. Je le vis au baptême de Jésus-Christ, et lorsque Jean lui dit que le Christ était au-dessus de lui, il suivit le Seigneur dont il ne se sépara plus. Je vis qu'il travailla extraordinairement : il fit de longs voyages après la mort de Jésus, et baptisa un grand nombre de personnes. Je ne puis pas comprendre pourquoi il n'est pas question de lui dans les Evangiles. Je me souviens encore qu'il fut mis à mort dans une ville appelée Tolosa. Les idoles tombèrent là en sa présence, on le maltraita cruellement, et on l'attacha à des taureaux qui le traînèrent jusqu'à ce qu'il eût rendu l'âme. Je me souviens aussi d'un disciple du nom de Nicolas avec lequel il était en relation, et d'un autre nommé Andronic. J'ai vu tant de personnages et j'ai eu tant de visions qui les concernaient, que mon misérable état me rend absolument impossible de me reconnaître au milieu de tout cela. Saturnin fut évêque et il fit immensément de choses. Il prêcha d'abord en Orient et alla jusqu'aux frontières de la Perse. Dans le pays ou il fut martyrisé, il travailla considérablement et fonda plusieurs églises.

Lorsqu'avec Ctésiphon et Joseph d'Arimathie, il porta en Espagne le corps de saint Jacques, j'eus une vision touchant la méchante reine Lupa qui avait persécuté saint Jacques pendant qu'il évangélisait l'Espagne. Elle ne voulait pas permettre qu'on lui donnât la sépulture, mais les disciples l'avaient déposé sur une pierre qui se creusa sous le corps en forme de sépulcre. Il arriva en outre que la terre rejeta d'elle-même à plusieurs reprises d'autres corps qu'on avait enterrés près de lui. Lupa ayant porté des accusations contre les disciples, ils furent mis en prison, mais ils s'en échappèrent miraculeusement, et comme le roi les poursuivait, accompagné de quelques cavaliers, un pont sur lequel il passait s'écroula, en sorte que ses gens et lui périrent. Lupa fut saisie d'un tel effroi qu'elle dit aux disciples d'aller prendre dans un désert des taureaux sauvages et de les atteler ensemble : elle leur permettait de bâtir une église dans l'endroit où ils conduiraient le corps. Elle croyait que ces animaux farouches briseraient tout dans leur fureur. Les disciples, en entrant dans le désert, rencontrèrent un dragon qui tomba mort lorsqu'ils firent sur lui le signe de la croix Les taureaux se laissèrent atteler et conduisirent le corps de Jacques au château de Lupa. Ce fut là qu'on l'enterra, et le château devint une église, car Lupa se convertit et devint chrétienne ainsi que son peuple. J'eus ensuite une vision touchant une femme païenne de Rome : elle était vieille et toute contrefaite, et une impulsion intérieure l'excitait à se convertir. Elle s'adressa en esprit au tombeau de saint Jacques Et ; Espagne : alors Jacques lui apparut décapité et lui dit qu'il voulait lui montrer Jésus pour qu'elle le reçût en elle, et qu'elle irait ensuite visiter le tombeau de l'apôtre. Je vis qu'elle recouvra la santé et qu'elle alla en effet en Espagne au tombeau de saint Jacques. Il s'y opéra beaucoup de miracles, et le corps fut transféré dans un endroit dont le nom ressemble à celui de Constantinople (Compostelle).

Jacques le Mineur fut martyrisé plusieurs années après Jacques le Majeur. Je le vis sept jours de suite traîné devant le tribunal et chaque fois on l'accabla de mauvais traitements pendant une heure. Après avoir été précipité du haut du temple, il fut encore lapidé et achevé à coups de bâton. Il était évêque de Jérusalem. Je vis aussi un disciple du nom de Jacques à Babylone avec Abdias. Tout son désir était de mourir de la même mort que le Seigneur et il fut en effet crucifié plus tard dans un autre endroit.

SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE.

27 décembre 1820.

J'eus plusieurs visions sur Jean, mais je ne puis pas les rapporter d'une manière suivie et j'ai oublié beaucoup de choses Je n'ai pas vu aujourd'hui son martyre dans une chaudière d'huile bouillante à Rome, mais je l'ai vu plusieurs fois dans d'autres occasions. J'ai vu que Jean resta toujours près de Marie tant qu'elle vécut et ne la quitta jamais. C'était toujours lui qui lui donnait la sainte communion ; il faisait avec elle le chemin de la croix, la bénissait et recevait ensuite sa bénédiction : il était comme un fils pour Marie et par conséquent dans des rapports plus intimes avec elle qu'aucun des autres. Il conduisit Marie à Ephèse dans la cinquième année qui suivit la mort de Jésus-Christ. Jacques le Majeur a souffert le martyre huit ans environ après l'Ascension, mais Marie est morte beaucoup, plus tard. Elle est arrivée à un âge très avancé et Jacques le Majeur n'était pas présent à sa mort, je le vois maintenant bien clairement : il y avait à sa place un des anciens disciples.

Je vis une fois Jean aller la nuit avec deux disciples dans une cabane voisine d'Ephèse où l'attendaient des gens qui arrivaient des environs de Cédar : ils étaient de la famille de deux vieux époux que Jésus avait guéris lors du voyage qu'il fit après la résurrection de Lazare (tome V, page 320). Je vis baptiser là deux jeunes gens et un petit garçon d'environ deux ans qui était sur le sein de sa mère et nu jusqu'à la ceinture. Jean versa de l'eau sur lui et la mère l'en frotta comme si elle l'eût lavé. Je vis qu'ayant pris avec lui les deux jeunes gens et quelques disciples, il fit un voyage à Cédar ; toutefois il n'alla pas dans le quartier des païens qui est au delà de la rivière, mais il la remonta du côté où il se trouvait. Je crois qu'il alla alors dans le désert où je le vis écrire, couché sous un arbre : ses disciples avaient des rouleaux et des roseaux dont on se servait pour écrire.

J'eus une vision où je vis Jean surveillé par deux soldats comme un prisonnier, traverser un certain quartier d'Ephèse et visiter une maison où demeuraient des gens de bien et où il allait souvent. Je vis des jeunes gens rassemblés sur une place où il devait passer ; c'étaient je crois des philosophes, quelque chose comme des étudiants. Leur maître avait tenu des discours contre Jean et ils voulaient se railler de lui. Comme Jean avait prêché sur le mépris des richesses, ils avaient échangé ce qu'ils possédaient contre de l'or et des pierres précieuses qu'ils avaient brisés en petits morceaux et ils les semaient sur son passage par dérision, afin de montrer par là qu'ils n'avaient pas besoin d'être chrétiens pour mépriser ce qu'ils possédaient et qu'ils pouvaient le faire tout en restant païens. Je vis que lorsque Jean arriva, ils le poursuivirent de leurs railleries : alors il s'arrêta et leur dit que ce n'était pas là du renoncement mais une folle et ruineuse prodigalité : comme il leur donnait à ce sujet de sages enseignements, l'un d'eux lui dit que s'il pouvait rassembler ces fragments et les rétablir dans leur premier état, ils croiraient à son Dieu. Je vis qu'il leur demanda de les ramasser eux-mêmes et de lui apporter tout ce qu'ils pourraient en retrouver : quand ils l'eurent fait, il se mit en prières : les morceaux reprirent leur première forme et il les leur rendit. Alors ils se prosternèrent devant lui : il leur indiqua des pauvres auxquels ils pourraient donner tout cela et ils embrassèrent la foi chrétienne.

Je vis aussi une histoire dont je ne me rappelle que ce qui suit : deux hommes qui avaient donné leurs biens aux pauvres pour suivre Jean, ayant vu leurs esclaves revêtus de beaux habits. se repentirent de s'être mis a la suite de Jésus-Christ. Je vis Jean par la prière changer en or et en pierreries des branchages coupés dans la forêt et des cailloux ramassés sur le bord de la mer, puis il leur donna tout cela afin qu'ils pussent racheter les biens dont ils s'étaient dépouillés. Comme il leur adressait à ce sujet de graves avertissements, le convoi d'un jeune homme mort récemment vint à passer et les gens qui l'accompagnaient en pleurant supplièrent l'apôtre de le rappeler à la vie. Jean, s'étant mis en prière, le ressuscita et lui ordonna de dire à ces disciples ébranlés dans leur foi, ce qu'il savait de l'état de leur âme. Le ressuscité leur raconta sur l'autre monde des choses si effrayantes, qu'ils résolurent de faire pénitence. L'apôtre leur prescrivit des jeûnes et leur rendit leur place parmi ses disciples : l'or et les pierreries redevinrent des branchages et des pierres et on jeta le tout à la mer.

Je vis qu'un très grand nombre de personnes se convertirent et que Jean fut arrête. Un prêtre des idoles lui déclara que s'il buvait une coupe remplie de poison, il croirait en Jésus et lui rendrait la liberté. On lui lia les mains et deux soldats le conduisirent, attaché par des cordes, sur une place où siégeait le juge entouré d'une grande foule. Je vis aussi qu'on fit boire le poison à deux condamnés à mort, et qu'ils tombèrent morts après l'avoir bu. Je vis deux hommes habillés d'une façon bizarre préparer le poison dans une salle. Tous les autres étaient revêtus d'amples manteaux qui les enveloppaient : mais ces hommes avaient un vêtement court et serré, des lanières autour des jambes et des espèces de poches suspendues à la ceinture : ils portaient aussi des capuchons Je les vis écraser avec un pilon des fruits rouges, des plantes vertes et de petites tranches de roseau grosses comme le doigt dans un vase qui avait quelque ressemblance avec le calice dont Jésus s'était servi à la sainte cène : ils portèrent la coupe aux lèvres de Jean pour qu'il y bût, car ayant les mains liés, il ne pouvait pas la prendre lui-même. Je vis que Jean avant prié et prononcé quelques paroles sur la coupe, il en sortit une vapeur noire en même temps qu'une lumière descendit du ciel sur lui, Jean but le poison sans s'émouvoir et il ne lui fit aucun mal. Je vis le prêtre des idoles lui demander en outre de ressusciter les deux hommes qu'on avait fait mourir, Jean lui donner son manteau pour qu'il le jetât sur eux en prononçant certaines paroles qu'il lui indiqua, et enfin les deux morts ressusciter. Je vis qu'alors la ville se convertit presque tout entière et qu'on remit Jean en liberté.

Je vis aussi un temple s'écrouler à Ephèse, un jour qu'on voulait forcer Jean à sacrifier. Il vint comme un orage sur le temple, le toit s'effondra, il sortit de toutes les ouvertures des nuages de poussière et de vapeur et les idoles fondirent.

Je vis à Ephèse une païenne dont le mari avait été converti au christianisme par Jean peu de temps auparavant. Elle n'avait pas d'enfants et c'était une femme d'une grande beauté. Elle s'était montrée faible envers un jeune homme de distinction de la ville qui l'aimait passionnément, s'était souvent entretenue avec lui pendant l'absence de son mari, lui avait fait certaines promesses incompatibles avec ses devoirs : cependant elle n'en était pas encore venue à une infidélité formelle. La passion de ce jeune homme la mettait dans une grande perplexité : sur ces entrefaites elle se convertit, reçut le baptême, et confessa ses péchés à Jean, qui lui en donna l'absolution. Elle était pénétrée de repentir et désireuse d'expier ses fautes par la pénitence : son mari qui n'en savait pas la raison s'en chagrinait beaucoup. Le jeune homme, en païen qu'il était, ne voulut pas tenir compte du changement qui s'était fait en elle et il trouva moyen de s'introduire dans son appartement par des voies dont il avait fait usage antérieurement : il la trouva assise sur un lit de repos. Il lui fit de vifs reproches et la somma, avec toutes sortes de menaces et d'emportements de tenir la promesse qu'elle lui avait faite. Elle le conjura de s'éloigner et se comporta tout à fait en chrétienne. Tout à coup elle entendit venir son mari. Le jeune homme s'enfuit et elle fut saisie d'une telle terreur qu'elle en tomba malade et mourut bientôt après. Son mari fut très affligé, d'autant plus que sa femme était morte dans des sentiments de tristesse profonde. La sépulture ou on déposa son corps se composait de plusieurs galeries souterraines : on voyait là, couchés sur des bancs de pierre, plusieurs cadavres que l'on recouvrait ensuite. Il s'y trouvait aussi un petit autel de pierre sur lequel on disait la messe pour les défunts ainsi déposés, pendant les premiers jours qui suivaient leur mort, après quoi on recouvrait les couches funéraires. Le jeune homme poussé par sa folle passion gagna à prix d'argent l'intendant du mari pour se faire introduire dans le sépulcre. Ce méchant homme fit ce qu'il désirait et resta pour l'attendre dans une galerie latérale. Je vis le jeune homme se précipiter les bras ouverts sur le corps de la défunte, mais je vis près d'elle une figure brandir contre lui comme une épée flamboyante et disparaître. Alors le jeune homme tomba mort en poussant un cri. L'intendant accourut et fut tellement terrifié à cette vue qu'il tomba à son tour sans connaissance. Jean étant venu avec le mari et d'autres chrétiens pour célébrer l'office des morts et offrir le saint sacrifice, ils trouvèrent à leur grand étonnement ces deux corps inanimés. Je vis Jean se mettre en prière et ressusciter le jeune homme qui, touché d'un profond repentir, confessa sa faute à Jean et à tous les assistants et raconta ce qui lui était arrivé. Il se trouva entièrement guéri de sa passion, se convertit et devint un excellent chrétien : plus tard même il souffrit le martyre. Après le saint sacrifice de la messe, la femme aussi fut ressuscitée par les prières de Jean. Quant à l'intendant, il n'avait eu qu'un coup de sang : et il reprit connaissance, quoiqu'ayant encore les membres paralysés. Cet homme était un grand scélérat : il ne se convertit pas et mourut misérablement.

La femme vécut encore quelque jours : elle donna des avertissements à plusieurs autres personnes et raconta ce qu'elle avait vu après sa mort, ce qui amena la conversion d'un grand nombre de païens. Elle tint des discours très énergiques et dit des choses très effrayantes.

Je vis encore une autre histoire, celle d'un Juif converti qui n'était que catéchumène et qui était tombé dans la misère pendant l'absence de Jean. Comme il avait des créanciers qui le tourmentaient cruellement, un méchant Juif lui dit qu'il ferait bien de s'empoisonner, car sans cela il était menacé de rester jusqu'à sa mort dans la prison pour dettes. Je vis ce malheureux dans son désespoir boire trois fois du poison dans une coupe de bronze : mais Jean lui avait appris à faire le signe de la croix sur tout ce qu'il buvait et mangeait, et ce breuvage ne lui fit aucun mal, malgré l'intention qu'il avait de s'empoisonner. Cependant Jean étant revenu, il exposa sa détresse à l'apôtre qui lui fit connaître à quel point il avait été criminel et il fut saisi d'un repentir très vif. Alors Jean fit le signe de la croix sur ce vase de bronze où il avait bu le poison et le lui rendit changé en or pour payer ses dettes. Cet homme est devenu par la suite disciple de Jean et évêque de cette ville où Jean rencontra pour la première fois le jeune garçon qu'il alla plus tard chercher au milieu d'une bande de voleurs.

J'ai vu aussi comment Jean rencontra, à l'entrée d'une ville, un jeune garçon qui gardait un troupeau : s'étant entretenu avec lui, il reconnut sous ses dehors incultes et sauvages des qualités précieuses et il lui dit d'appeler ses parents. Je vis venir le père et la mère, qui étaient de pauvres bergers : tous deux avaient des houlettes à la main. Jean leur demanda l'enfant pour l'élever et il l'obtint facilement. Il avait dix ans. Il le conduisit à l'évêque de Berce qu'il chargea de son éducation et auquel il dit qu'il le lui redemanderait un jour. Au commencement tout alla bien : mais plus tard on laissa l'adolescent courir de côté et d'autre et il finit par se joindre à une bande de brigands. Lorsque Jean revint et le redemanda ; on lui dit qu'il était dans la montagne parmi les brigands. L'apôtre monta sur un mulet, car il était vieux et le chemin de la montagne était escarpé, et lorsqu'il eut trouvé le jeune homme qui avait alors environ vingt ans, il le supplia à genoux de se convertir. Il le ramena avec lui, institua un autre évêque et fit faire pénitence au jeune homme qui dans la suite devint lui-même évêque.

Le 28 décembre Anne Catherine raconta ce qui suit : Jean prit avec lui pour aller en Asie les deux frères de l'enfant qu'il avait baptisé sous le nom de Fidèle : il remonta la rivière qui passe à Cédar jusqu'à l'endroit où, trois ans avant sa mort, il écrivit son Évangile dans la solitude. Les disciples n'étaient pas auprès de lui pendant qu'il écrivait, ils s'en étaient retournés à quelque distance et ils venaient seulement de temps en temps lui apporter des aliments. Je le vis écrire, couché sous un arbre : la pluie tombait autour de lui : mais l'endroit où il se trouvait restait sec et le ciel était serein au-dessus de sa tête. Il est resté longtemps dans ce pays, il y a prêché et converti beaucoup de personnes dans les villes voisines. J'ai oublié les noms de ces villes. Je crois que cette contrée était plus au nord que celle où Jésus passa lors de son voyage chez les rois mages.

De là Jean revint il Ephèse. La plupart des compagnons des rois mages étaient allés en Crète après avoir été baptisés par Thomas : les autres s'étaient établis ailleurs.

Thomas avait institué en Arabie plusieurs évêques pris parmi les sujets des trois rois il y eut un moment où ces évoques ne purent plus suffire à leur tâche parce que beaucoup de gens retombaient dans leur ancienne idolâtrie. Ils écrivirent alors à Jean et il leur envoya les deux frères du jeune Fidèle qui avaient été baptisés sous les noms de Macaire et de Caius ; ils étaient arrives à l'âge d'homme et ils étaient devenus ses disciples. Mais ces évêques lui adressèrent des instances si pressantes qu'il se mit en route lui-même, malgré son grand âge, pour se rendre auprès d'eux. Ils demeuraient encore au delà de la contrée où avait été le camp de Mensor. Je vis Jean chez l'un d'eux, dans le pays de ces Chaldéens qui avaient dans leur temple le jardin fermé, symbole de Marie. Le temple n'existait plus : il y avait là une petite église sur le modèle de la maison de la sainte Vierge à Ephèse : elle avait un toit plat, comme toutes les églises que j'ai vues dans ces premiers temps. Les autres évêques se réunirent en cet endroit : ils prièrent Jean d'écrire chez eux la vie de Jésus et voulurent lui raconter tout ce qu'ils en savaient. Mais il leur répondit qu'il l'avait déjà écrite et qu'il y avait mis tout ce qu'il pouvait écrire sur la terre touchant sa divinité. Pendant qu'il l'écrivait, leur dit-il, il avait presque toujours été comme dans le ciel : il ne pouvait rien y changer. Il leur dit que Macaire et Caïus pouvaient compléter ce qu'avait écrit à ce sujet un disciple, appelé d'abord Eremenzear et plus tard Hermès, lequel avait été le compagnon de voyage de Jésus. Il m'a été dit qu'ils l'avaient fait et que le travail de Macaire s'était perdu, tandis que celui de Caïus existe encore. J'ai su encore beaucoup de choses que j'ai oubliées sur ces livres et sur saint Jean. Il se rendit de là à Jérusalem, puis à Rome et il revint enfin à Ephèse. J'ai oublié une grande partie de tout cela, notamment en ce qui touche les évêques arabes et les écrits de Macaire et de Caius.

J'ai eu aussi une belle vision sur la mort de saint Jean. Il était arrivé à un très grand âge, mais son visage était toujours beau, doux et jeune. Je le vis à Ephèse, dans l'église, si je ne me trompe, rompre le pain et le distribuer pendant trois jours de suite. Je crois aussi que Jésus lui était apparu et lui avait annoncé sa mort prochaine : je ne me souviens de cela que confusément, mais j'ai souvent vu Jésus lui apparaître. Je le vis ensuite devant la ville, entouré de ses disciples, enseigner en plein air sous un arbre ; bientôt il alla seul avec deux d'entre eux dans un joli bosquet situé derrière une petite colline. Il y avait là de beau gazon et on pouvait voir la mer dont l'azur se confondait à l'horizon avec celui du ciel. Il leur montra la terre du doigt : il leur indiquait qu'ils devaient creuser son tombeau ou plutôt y mettre la dernière main ; car cela fut fait si promptement que presque tout le travail devait avoir été fait antérieurement : les outils nécessaires se trouvaient là d'avance. Je le vis retourner près des autres disciples : il leur donna quelques instructions d'un ton très affectueux, fit une prière et leur recommanda de s'aimer les uns les autres. Je vis aussi les deux premiers revenir et l'un d'eux lui dire : "  Ah ! mon père, nous croyons que vous allez nous quitter ". Ils se pressèrent tous autour de lui, se prosternèrent à terre et versèrent des larmes : il les exhorta, pria et les bénit. Je vis ensuite qu'il leur ordonna de rester là et qu'accompagné de cinq d'entre eux, il se rendit à l'endroit où était le tombeau. La fosse n'était pas très profonde et sa forme était celle-ci : ()
elle était revêtue de gazon : il y avait un couvercle en clayonnage, au-dessus duquel l'herbe poussa plus tard et qu'on recouvrit d'une pierre, si je ne me trompe.

Jean, debout sur le bord du tombeau, pria quelque temps les bras étendus ; ensuite il étendit son manteau dans la fosse, y descendit, s'y coucha et pria encore. Je vis une lumière éclatante descendre sur lui. Il dit encore quelque chose : les disciples s'étaient jetés par terre, priant et fondant en larmes. Je vis alors une chose merveilleuse : pendant que Jean couché dans le tombeau s'affaissait doucement et rendait le dernier soupir, je vis une figure lumineuse, tout à fait semblable à lui, se dégager de son corps, comme d'une grossière enveloppe, entrer dans la lumière qui était au-dessus du tombeau et disparaître avec elle. Je vis alors les autres disciples arriver, se prosterner près du corps de l'Apôtre et enfin le recouvrir. Au moment où cette scène venait de disparaître à mes veux, j'eus une vision de la montagne des Prophètes et je vis cette figure que j'y vois si souvent assise sous une tente.

SAINT JEAN

(suite.)

Saint Jean dans la chaudière d'huile touillante à Rome.--Saint Aquila.--Le Jeune martyr saint Fidèle.

Lorsque Jean fut jeté dans l'huile bouillante, il prêchait l'Evangile en Italie où l'on s'était saisi de lui. De Pathmos où il était très aimé et où il avait converti beaucoup de personnes, il fit plusieurs excursions, accompagné de ses gardiens, il vint même dans les environs d'Ephèse. Il n'a pas eu à la même époque toutes les visions dont se compose l'Apocalypse et il ne les a pas écrites en une seule fois : il y a eu des intervalles. Il n'écrivit son Evangile que trois ans avant sa mort, étant alors dans l'intérieur de l'Asie. J'ai eu plusieurs visions touchant son martyre à Rome. Je le vis dans une cour ronde entourée d'un simple mur, où il fut dépouillé de ses vêtements et flagellé : il était déjà vieux, mais il avait quelque chose de délicat et de jeune dans son extérieur. Je le vis aussi conduire, près d'une porte de la ville, dans une grande salle circulaire où une haute chaudière assez étroite était placée sur un foyer rond en pierre dans le bas duquel étaient pratiqués des trous. Jean portait un manteau blanc agrafé sur la poitrine, assez semblable au manteau de pourpre dont on revêtit le Seigneur par dérision. Il y avait là un nombre considérable de spectateurs ; on lui retira son manteau : son corps était couvert de plaies saignantes par suite de la flagellation. Deux hommes l'élevèrent au-dessus de la chaudière où il descendit lui-même. L'huile était bouillante : on entretenait le feu avec des rondins de couleur foncée qu'on avait apportés en fagots. Jean y étant resté quelque temps sans qu'il se manifestât chez lui ni souffrance ni lésion, on l'en retira. Son corps était sans brûlure et comme renouvelé : toutes les traces de la flagellation avaient disparu. Plusieurs des assistants se précipitèrent sans crainte vers la chaudière et y puisèrent de l'huile dans de petits vases : je fus étonnée qu'ils ne se brûlassent pas. Jean fut reconduit à l'endroit d'où on l'avait amené. J'ai vu dans des visions précédentes, et entre autres cette nuit, qu'on conserve encore de cette huile en différents lieux. je vis plus tard bâtir à l'endroit du martyre une grande église où l'on conservait de cette huile.

Note : Anne-Catherine vit ce martyre le 6 mai i820, jour de la fête de saint Jean devant la porte Latine.

Le 20 juillet 1821, Anne Catherine, parmi plusieurs reliques qui lui avaient été apportées, en reconnut une comme provenant de cet évêque voisin d'Ephèse auquel Jean avait confié l'enfant qui plus tard se fit brigand. Cet évêque était un homme de bien qui eut beaucoup à lutter contre les hérétiques, mais il fut négligent à l'endroit du jeune homme. Il ne fut évêque que six ans, il était en quelque sorte comme un vicaire par rapport à Jean. Son nom est Aquila (elle épela successivement les lettres). Il mourut de mort naturelle. Comme il pleura lorsque Jean lui reprocha sa négligence. Comme il s'agenouilla humblement devant lui ! C'était pendant les dernières années de la vie du saint apôtre : Aquila exerçait les fonctions épiscopales, non pas à Ephèse, mais dans une ville plus éloignée. Il était de Corinthe, et il était marié : il fabriquait des couvertures, des perches et des cloisons en clayonnage. Paul logea chez lui, le convertit, l'emmena avec lui à Ephèse ainsi que sa femme et l'y laissa en qualité de catéchiste. Sa femme instruisait les personnes de son sexe : elle alla jusqu'à Cédar et convertit beaucoup de personnes. Aquila se sépara de sa femme et fut longtemps près de l'évêque d'Ephèse qui succéda à Timothée et qui s'appelait Onésime.

Lorsqu'Aquila vint à Ephèse avec Paul, il était très zélé et sa femme l'était encore davantage. Celle-ci était grande et forte, elle avait le teint brun et quelque chose d'un peu masculin dans je visage. Elle portait sur la tête une coiffure très haute, enveloppée de fine étoffe de laine : cela ressemblait à un verre à boire dans lequel on aurait fait entrer les cheveux et autour duquel on aurait roule des bandes d'étoffe : Thècle aussi était coiffée de la sorte. Plus tard le zèle d'Aquila se ralentit un peu. Avant son voyage, Jean l'établit comme évêque dans un endroit qui était à plusieurs lieues d'Ephèse. Jean était le pasteur suprême pour tout ce pays qu'il visitait régulièrement. Comme il se rendait chez Aquila, il s'arrêta pour enseigner et rencontra ce bel enfant délaissé qu'il confia à Aquila. Au bout de neuf ou dix ans, il le redemanda, et comme il s'était enfui, il alla lui-même le chercher parmi les voleurs. Aquila pleura beaucoup et se corrigea de sa négligence. L'adolescent aussi devint un homme pieux.

J'ai vu, touchant Onésime, qu'il était à Smyrne près d'Ignace lorsqu'on conduisait celui-ci à Rome pour y être martyrisé. Il fut emmené, lui aussi, et souffrit le martyre.

Anne-Catherine eut la vision suivante, provoquée par une relique d'un enfant martyr qu'on avait posée près d'elle le 12 décembre 1820.

Le petit garçon que saint Jean baptisa dans les bras de sa mère était l'arrière-petit-fils de ces deux vieux époux que Jésus avait guéris entre Cédar et l'autre endroit où ils le suivirent ensuite pour assister à une noce (tome V, page 321). Le bisaïeul s'appelait Benjamin et descendait de Ruth en droite ligne : j'ai vu dans une longue série de tableaux l'histoire de celle-ci et de tous ses descendants. Les parents du petit garçon s'appelaient Arab et Mara, ses deux frères aînés Jehu et Machar. Ceux-ci habitaient près d'Ephèse, parmi des chrétiens qui étaient venus là, chassés de la Terre Sainte, et qui s'étaient établis dans un rayon d'a peu près une lieue autour de la maison de Marie. Cette maison leur servait d'église : tous les saints apôtres qui venaient dans le voisinage la visitaient, ainsi que le chemin de la croix et le tombeau de la sainte Vierge qui était encore en très bon état et où les fidèles aimaient il aller prier.

Arab, et Mara avaient été baptisés par Jude Thaddée. J'eus une charmante vision du baptême de leur plus jeune enfant par Jean : après avoir été jeté dans l'huile bouillante à Rome, il était revenu à Éphèse et s'était rendu avec Eremenzear et quelques compagnons dans le district dont il vient d'être parlé : il s'y tint caché quelques jours, ne visitant les habitations que la nuit et célébrant souvent le service divin dans l'habitation de Marie. Je vis Arab et Mara attendre Jean très impatiemment : il était nuit et une lampe brûlait dans la maison qui était faite de matériaux légers : il y avait là quelques autres chrétiens. Je vis Jean frapper à la porte : la joie des parents fut inexprimable. La mère prit l'enfant, qui paraissait être encore à la mamelle ; elle le plaça debout sur elle, le découvrit jusqu'à la ceinture et un homme et une femme lui mirent les mains sur les épaules. L'enfant était très vif et portait ses mains de côté et d'autre. Jean lui versa sur la tête, avec la main, de l'eau puisée dans un bassin : la mère prit un linge et étendit cette eau sur toute la partie supérieure de son corps comme si elle l'eût lavé : Jean prit ensuite dans une petite boîte quelque chose qu'il lui mit dans la bouche en récitant une prière. Il donna à l'enfant le nom de Fidèle. I1 fut ainsi baptisé en bas âge, parce que Jean devait s'éloigner, et que la persécution sévissait contre les chrétiens. Jean prédit que cet enfant serait très fidèle au Seigneur. Il s'en alla d'ici à Pathmos, où je crois qu'il eut beaucoup à souffrir. Il me semble que les frères de Fidèle l'accompagnèrent. Plus tard, lorsque Fidèle eut environ sept ans, je vis tous ces gens aller à Jérusalem pour fuir une persécution : je les y vis vivant pieusement et rendant un culte particulier aux lieux sanctifies par les traces des pas de Jésus. On avait fait beaucoup de dégâts et le Saint Sépulcre était enfoui sous des décombres de toute espèce, mais les chrétiens recherchaient toutes les places sanctifiées pour y prier. Dans une de ces occasions, Fidèle fut saisi avec d'autres enfants : on chercha par tous les moyens possibles à les faire apostasier : on les fouetta en présence de leurs parents pour arracher à ceux-ci des actes de faiblesse. Je vis Fidèle mourir joyeux dans un supplice de ce genre. Les chrétiens enterrèrent plus tard tous ces enfants près du Calvaire. Mais j'ai vu que dans la suite leurs corps furent exhumés et transportés à Rome. Le jour de leur martyre est celui de la fête des Saints Innocents.

Lorsque Jean baptisa cet enfant, il était déjà vieux et d'une extrême maigreur. Il portait une longue robe blanche et il avait une petite mèche blonde au menton.

SAINT BARTHÉLEMY.

Barthélémy qui était Essénien, était un bel homme, leste et adroit. Il avait le front élevé, le teint blanc, de grands yeux, des cheveux noirs frisés et une barbe courte et crépue, divisée en deux parties. Il était bien fait, et de tous les apôtres c'était celui qui avait le plus d'aisance et de distinction dans les manières. Il y avait dans toute sa personne quelque chose de digne, de noble et d'élégant, il marchait vite et se tenait très droit ; enfin il faisait parmi eux l'effet d'un jeune seigneur avant reçu une éducation distinguée. Les autres, spécialement Pierre et André, avaient au commencement je ne sais quoi de gauche et d'embarrassé dans Leurs manières. Son père s'appelait Tholmaï et descendait d'un autre Tholmaï, roi de Gessur, dont David avait épousé la fille. Il habitait sur le territoire de Gessur où il avait de grandes propriétés et de nombreux troupeaux. Ce pays étant malsain, Tholmaï dont la santé était altérée, alla à Cana t n Galilée où il avait un frère marié à la tante de Nathanael (le fiancé de Cana). Il y fit un long séjour et fit usage des bains qui sont dans les environs : plus tard, il vendit les biens qu'il avait près de Gessur et s'établit dans la vallée de Zabulon où habitait un frère aîné de saint Joseph, nommé Sadoch : c'était un homme pieux qui avait deux fils et deux filles. Je crois que ce furent des motifs religieux et son amitié pour Sadoch qui attirèrent là Tholmaï. Les enfants de Sadoch étaient en relation avec la sainte Famille et lorsqu'on perdit Jésus à Jérusalem, ils furent de ceux parmi lesquels Marie et Joseph le cherchèrent. Je vis souvent les fils avec Jésus pendant sa jeunesse. Barthélémy entendit parler de Jésus de bonne heure, comme d'un jeune homme remarquable par sa sainteté et ses rares qualités. Lorsque le Seigneur commença sa carrière de prédication, Barthélémy se sentit plus d'une fois intérieurement attiré vers Jésus, à tel point qu'un jour étant occupé avec son père à cultiver son verger, il interrompit tout à coup son travail et se tourna en soupirant vers l'endroit où Jésus se trouvait alors avec ses disciples. Son père l'interrogea à ce sujet et il répondit qu'il aspirait à aller trouver le maître qui enseignait dans cet endroit. Son père était un homme excellent et il ne fit point d'objection : il fut même si satisfait de ce que son fils lui rapporta de Jésus et du désir qu'il témoignait de le suivre qu'à la Pâque suivante, il conduisit dix agneaux au Temple. Barthélémy alla avec son père à Jérusalem, mais il n'y vit pas encore Jésus. Le père ne fut baptisé qu'après l'Ascension par l'apôtre saint Jean. Lorsque Jésus (près de la fontaine de Béthanie) passa devant Nathanaël et le regarda sous le figuier (tome I, page 147), Barthélémy était présent et Jésus jeta aussi sur lui un regard qui l'émut vivement. Je crois aussi que Barthélémy était avec Nathanael lorsque Philippe vint chercher celui-ci et le conduisit à Jésus sur le chemin (tome I, page 398). Barthélémy l'accompagna ; mais il resta à quelque distance ; et Jésus dit à cette occasion qu'il ne tarderait pas à se rapprocher de lui. Une autre fois je vis Luc s'arrêter à Dabbeseth chez Barthélémy ; il y enceignît et ils parlèrent ensemble de Jésus (tome I, page 331). Barthélémy avait là un emploi de scribe : une proche parente de son père ou de sa mère tenait son ménage. Ses fonctions l'avaient mis en rapports fréquents avec Nathanael Thomas et Simon le Chananéen. Lorsque Jésus, avant la première Pâque, ayant déjà sept ou huit apôtres avec lui, alla dans un endroit peu éloigné de Dabbeseth, pour y prêcher dans la synagogue, Philippe, Nathanaël et Simon se séparèrent de lui sur le chemin et se rendirent à Dabbeseth. Ils visitèrent Barthélémy qu'ils engagèrent à venir avec eux pour voir les miracles qu'opérait leur maître et l'entendre prêcher, et il les suivit. Jésus traversait alors un pays boisé et l'on avait placé sous des tentes à droite et à gauche du chemin de longues rangées de malades dont il guérit un très grand nombre en passant devant eux. Barthélémy vit ces miracles, il assista aussi à l'instruction que Jésus fit dans l'école : toutefois il ne lui parla pas encore et ne resta pas près de lui, mais retourna à Dabbeseth.

Lorsque Jésus, après la première fête de Pâques, partant de l'endroit où Jean baptisait près du Jourdain, traversa la Samarie avec ses disciples, Barthélémy vint trouver les disciples sur le chemin : André lui parla de Jésus, puis il alla au Seigneur lui-même et lui dit quelques mots de Barthélémy, car il lui proposait volontiers pour disciples des gens instruits. Comme Barthélemy passait devant Jésus, André le lui montra du doigt et Jésus dit : " Je le connais, il viendra " (tome II, page 90). Plus tard Barthélémy raconta cela à Thomas et ils parlèrent souvent ensemble de Jésus. Thomas avait un frère nommé Thaddée qui avait pris le commerce de bois de son père à Aphéké. Quant à Thomas lui-même, il étudiait et c'était un homme d'un caractère entier et opiniâtre. Ils avaient des relations fréquentes avec Dabbeseth par suite de leur commerce. Je vis une fois Thomas et Simon le Chananéen rendre visite à Barthélémy le jour du sabbat Ils allèrent près de la synagogue de Dabbeseth se promener dans un jardin de plaisance et leur entretien roula sur les miracles de Jésus et sur la captivité de Jean-Baptiste. Dabbeseth était un petit endroit commerçant : il y passait une route qui menait à la mer. On y fabriquait beaucoup de soieries et il y avait un grand nombre de couturières qui confectionnaient des franges, des galons, des habits sacerdotaux, des tapis et des ornements de toute espèce.

Un jour, Jésus étant venu dans la contrée de Dabbeseth, entra chez Barthélémy et l'admit au nombre de ses apôtres. Il lui donna sa bénédiction et lui imposa les mains.

Barthélemy quitta aussitôt son emploi qu'il transmit an frère de sa parente, et suivit Jésus. Il reçut le nom de Barthélemy parce que Jésus l'appelait toujours le fils de Tholmaï. Le nom qu'il portait auparavant était celui d'une des douze tribus d'Israel : il s'appelait Nephthali. Je crois qu'il fut le neuvième parmi les apôtres : car Matthieu, Thomas et Judas ne furent appelés qu'après lui.
Lorsque les apôtres et les disciples se. dispersèrent après l'arrestation de Jésus, Barthélemy se réfugia chez son père: il avait perdu sa mère. Après la séparation des apôtres, je l'ai vu d'abord à l'extrémité orientale de l'Inde, dans ce pays dont les habitants ont un si grand respect pour leurs parents. ils l'appelaient leur père et l'avaient accueilli avec la plus grande bienveillance. Il convertit un très- grand nombre de personnes et laissa derrière lui des dis-ciples. il passa ensuite par le Japon où Thomas est allé aussi : cependant celui ci s'avança plus au nord dans l'Inde. Barthélemy traversa ensuite l'Arabie et passa de l'autre côté de la mer Rouge en Abyssinie où il convertit le roi du pays. Il s'appelait Polymius : il était blanc ainsi que ses courtisans et plusieurs de ses sujets : mais le peuple pris en masse était noir. Le père de ce roi était originaire de l'empire de Babylone et il avait divisé ses états entre ses trois fils. J'eus une vision touchant ce roi qui parcourut tous ses états pour les partager entre ses fils. il était de la race de ce prince qui avait si cruelle-ment persécuté les derniers prophètes et qui ne régna que cinq ans. C'était un homme de bien et il voyagea, notamment, dans cette partie de l'Egypte où il y a de vieux édifices d'une énorme dimension et aussi dans Je pays où l'on a des maisons si hautes et ou l'on traite ses parents si respectueusement, ce qu'il vit avec beau-coup de plaisir. Ce roi adorait tous les malins le soleil levant. Je me souviens d'avoir entendu, dans toute cette vision et spécialement dans ce qui avait rapport an par-tage, prononcer les noms de Médie, d'Arabie, d'Égypte et d'autres semblables : j'entendis aussi nommer l'Abyssi-nie, si je ne me trompe. Il me semble que ce roi avait entendu parler du royaume du Christ, qu'il en avait dit quelque chose à ses fils et qu'un d'eux avait répondu qu'il désirait pour sa part ce royaume du Christ s'il pou-vait l'obtenir. Après la mort du père, je vis les pays partagés entre les fils. Je vis Barthélemy arriver dans une contrée où Matthieu alla plus tard par un autre côté. Je le vis, dans une ville de ce pays qui était, je crois, l'Abyssinie, ressusciter un mort qu'on emportait. Je le vis aussi délivrer deux époux possédés du démon de l'impureté et chasser plusieurs démons d'une troupe de frénétiques.
Je le vis ensuite dans une autre ville qui n'avait pas de maisons auxquelles on pût donner ce nom, à l'excep-tion du palais du roi et de quelques grands édifices : la plupart étaient des espèces de tentes et de légères construc-tions en branches tressées. Dans les temples d'une de leurs divinités il y avait beaucoup de malades qui autrefois étaient guéris par l'idole ; mais depuis que Barthélemy était arrivé, le faux dieu était devenu muet. Les prêtres en interrogèrent un autre qui leur dit qu'il y avait chez eux un serviteur du vrai Dieu qui forçait l'idole à se taire : en même temps il leur décrivit Barthélemy qu'ils cher-chèrent et qu'ils trouvèrent, grâce à un possédé qui poussa des cris cri le voyant et dit que cet homme lui fai-sait souffrir le supplice du feu. Comme il criait ainsi, Bar-thélemy chassa le démon de son corps. Le roi du pays ayant entendu raconter la chose se fit amener Barthélemy afin qu'il guérît sa fille qui était énergumène et enchaînée. Barthélemy la fit venir devant lui et ordonna qu'on lui ôtât ses chaînes. On s'y refusa d'abord, car personne n'osait la toucher parce qu'elle se précipitait sur les gens pour les mordre. Mais Barthélemy insista, disant que le démon était lié. Ils lui ôtèrent donc ses liens : le démon fut forcé de se retirer et elle tomba sans connaissance : ensuite on l'emmena, et sur l'ordre de Barthélemy on lui fit prendre un bain. Elle en sortit parfaitement guérie, re-nonça à l'idolâtrie et se fit baptiser.
Je vis une maison remplie de femmes possédées, blan-ches et noires ; elles étaient couchées tout le long d'une grande salle, attachées au mur les unes par le bras, les autres par le pied ; elles avaient souvent de terribles accès de frénésie, se jetaient par terre et s'y démenaient. La fille de Polymius était seule dans la partie antérieure de cette maison. Les malades avaient des intervalles de calme : alors elles étaient conduites au dehors par les surveillants et on les attachait de nouveau quand leurs accès revenaient. Barthélémy les guérit toutes et je vis qu'elles lui furent amenées sur une place où il les instruisit et leur fit abjurer l'idolâtrie. Après cela il les baptisa près d'une grande fontaine jaillissante qui était devant le palais du roi. Il y avait un bassin très spacieux avec un couronnement en métal d'une forme très élégante d'où l'eau jaillissait par plusieurs ouvertures. Celles qui avaient été baptisées les premières devaient toujours imposer les mains sur celles que l'on baptisait après elles. Je vis le peuple dans l'admiration à la vue de ces miracles ; mais les prêtres des idoles étaient furieux.

Lé roi voulut faire à Barthélémy des présents magnifiques en or et en vêtements ; mais il se cacha et plus tard tout cela fut distribue aux pauvres sur sa demande. Je vis Barthélémy s'entretenir souvent et longtemps avec le roi Polymius qui l'interrogeait avec beaucoup de soin et le quittait souvent pour feuilleter divers écrits très volumineux. Mais l'apôtre avait avec lui un rouleau où était l'Évangile de saint Matthieu et il y prenait la réponse aux questions qui lui étaient adressées. Il dit aussi au roi que le démon qui était dans l'idole rendait d'abord les gens malades et les guérissait ensuite afin de les mieux asservir aux abominations de son culte. Mais maintenant, ajouta-t-il, le démon était lié par le nom de Jésus-Christ et ne pouvait plus opérer dans l'idole. L'apôtre offrit au roi de lui faire voir tout cela s'il consentait à consacrer le temple au vrai Dieu et à se faire baptiser avec son peuple. Le roi convoqua tout le peuple au temple, et comme les prêtres sacrifiaient, Satan leur cria par la bouche de l'idole de cesser leurs sacrifices parce qu'il était enchaîné par le Fils de Dieu. Barthélémy lui ordonna de confesser tout ce qu'il y avait d'illusoire et de mensonger dans ses guérisons, et Satan avoua tout. Ensuite Barthélémy prêcha en plein air devant le temple et ordonna à Satan de se montrer dans sa vraie forme, afin qu'ils vissent quel dieu ils adoraient. Ils virent alors un affreux monstre noir à figure humaine qui s'engloutit dans la terre devant eux. Là-dessus le roi fit détruire toutes les idoles, Barthélémy consacra le temple pour en faire une église et baptisa le roi avec sa famille et toute son armée. Il enseigna, guérit les malades et le peuple le prit en grande affection. Je le vis leur administrer le baptême. Il bénit la fontaine et les néophytes ranges en cercle courbèrent la tête sous le jet d'eau. Deux baptisés Imposaient les mains à chacun des nouveaux néophytes et l'apôtre les bénissait en récitant une prière.

Ce fut peu après que Barthélémy fut convoque par un avertissement d'en Haut à se rendre près de la très sainte Vierge. Pendant ce temps, les prêtres des idoles s'adressèrent à Astyage, frère de Polymius, et accusèrent Barthélemy de sortilèges. Lorsque celui-ci, après la nouvelle séparation des apôtres, voulut revenir dans le pays d'où il était parti, il ne put pas y arriver ; car il fut saisi par des gens apostés et mené devant Astyage qui lui dit : " Tu as séduit mon frère jusqu'à lui faire adorer ton Dieu : je vais t'apprendre à sacrifier au mien ". Barthélémy répondit : " Le Dieu qui m'a donné le pouvoir de faire voir Satan à votre frère et de le renvoyer dans l'enfer en sa présence, me donne aussi le pouvoir de briser vos idoles et de vous forcer a croire ". En ce moment, un messager apporta la nouvelle que l'idole du roi était tombée brisée en morceaux. Le roi furieux déchira ses vêtements et ordonna de flageller Barthélémy. Il fut attache à un arbre et écorché : mais il ne cessa de prêcher à haute voix jusqu'au moment où on lui enfonça dans la gorge une épée très courte. Les bourreaux l'écorchèrent de la tète aux pieds et lui mirent sa propre peau dans la main. Quand il fut mort, ils jetèrent son corps aux bêtes, mais il fut enlevé la nuit par de pauvres gens qu'il avait convertis. Je vis que le roi Polymius vint le prendre avec une suite nombreuse et qu'il lui donna la sépulture. Une chapelle fut construite au-dessus de son tombeau. Quant au roi paien et aux prêtres qui avaient livré Barthélémy, ils tombèrent treize jours après dans un état de folle furieuse, et coururent au tombeau de l'apôtre, criant au secours. Le roi se convertit, mais les prêtres des idoles moururent d'une mort affreuse. On doit avoir écrit quelque part sur tout cela, mais ces relations sont devenues inintelligibles et n'ont trouvé aucune créance par suite de l'ignorance de leurs auteurs touchant les pays dont il s'agissait et à cause des additions faites postérieurement par des gens mal renseignés. Les savants ne veulent pas y croire parce qu'ils ignorent que les miracles opérés chez les païens étaient d'une tout autre espèce et bien plus frappants que ceux qui étaient opérés chez les Juifs, parce que chez les premiers il s'agissait de lutter contre toute la puissance de la magie et contre les innombrables prestiges du démon. J'ai vu comment le roi qui était devenu chrétien tomba plus tard dans la pauvreté et comment, dans son délaissement, il se souvint du royaume du Christ qu'il avait demandé à son père pour sa part. Je le vis prier dans une église en même temps qu'une femme riche qui avait fait voeu de donner la moitié de ses biens au premier qu'elle rencontrerait. Ce fut ainsi qu'il sortit de la misère ; plus tard il fut ordonné prêtre et évêque par Matthieu qui vint dans le pays qu'il habitait. Je crois qu'il termina sa vie par le martyre.

Il me fut montré en outre que saint Barthélémy a reçu de Dieu un pouvoir spécial pour guérir les malades désespérés et, en particulier, ceux qui sont atteints de paralysie.

SAINT THOMAS.

Les parents de Thomas demeuraient à Aphéké, ville située au bord d'une petite rivière entre Legio et Jezraël.

Les trois villes, par leur situation respective, figuraient comme une feuille de trèfle. Aphéké était traversée par une grande route sur laquelle passaient les marchands avec leurs chameaux. Le père de Thomas faisait le commerce et avait des intérêts dans la navigation des côtes de la mer Méditerranée ; il envoyait au loin par cette voie les marchandises qu'il achetait aux caravanes. Thomas avait un frère jumeau, et leur mère était morte en les mettant au monde. Leur père se remaria et ce second mariage donna à Thomas une soeur et deux frères. Après la mort du père, la veuve prit un autre époux. Ce nouveau ménage était encore fort jeune, et Thomas fut confié à un frère de son père qui faisait partie d'une secte et qui l'éleva durement. Par suite du commerce que faisaient ses parents et ses alliés, Thomas entra de bonne heure en rapport avec des étrangers, il se familiarisa avec Leurs usages et avec leurs langues, et c'est peut-être pour cela qu'il fut plus tard envoyé dans les contrées si lointaines de l'Inde. Son éducation lui avait donné beaucoup de confiance en lui-même et il voulait avoir des preuves sur toutes choses. Il changea souvent de profession ; il s'occupa de navigation, de commerce, et se livra aussi à la pêche sur la mer de Galilée, où il entra pour la première fois en rapport avec ceux qui devaient être dans la suite ses collègues dans l'apostolat. Plus tard, il commença a étudier à Saphet diverses branches des sciences enseignées en Judée, et il fréquenta les écoles des Pharisiens sans devenir Pharisien lui-même. Il mena ensuite une vie errante, résida tantôt chez lui, tantôt chez Barthélemy et chez Nathanaël, lesquels, à ce que je crois, lui procurèrent un emploi de scribe.

Thomas avait environ trois ans de plus que Jésus. Le Seigneur étant allé au temple vers sa vingtième année, Thomas y alla de son côté et vit Jésus sans pourtant lui parler. Ce voyage fut l'occasion d'un changement dans sa manière d'être, car Thomas entra alors en relations assez intimes avec Jacques le Mineur qui était Essénien et remarquable par sa piété : celui-ci lui raconta beaucoup de choses touchant Jésus, ce qui le porta à une vie plus sérieuse et plus pieuse. Lorsque Jésus atteignit sa trentième année, Thomas résidait à Arimathie où il exerçait un emploi de scribe : il entendit parler de Jésus et de Jean, toutefois il ne crut pas tout d'abord.

Trois ans après le voyage de Jésus dans le pays des rois mages, je vis Thomas arriver dans ce même pays avec l'apôtre Thaddée, les disciples Kaïsar et Silvain, le fils du centurion Achias de Giscala et deux autres encore : tous baptisèrent sur ce chemin que je vois Jésus parcourir dans mes visions actuelles. Il ne prit pas la route par laquelle Jésus était venu : il partit d'un point plus méridional. Je le vis dans le camp de Mensor. On lui fit une réception solennelle, mais moins pompeuse que celle qu'on avait faite à Jésus, car ces gens étaient devenus plus simples dans leurs moeurs. Je vis que tout était changé dans leur temple : il n'y avait plus d'idoles, plus de représentation du ciel étoilé : mais je revis la petite crèche et il y avait encore un âne à côté. Je revis aussi l'image de l'agneau de Dieu et l'autel avec le calice. Je vis la cérémonie du baptême de Mensor, de l'autre vieux roi et des principaux membres de leur famille : ils étaient douze environ. On avait placé un grand bassin devant le château de tentes sur la petite île de la fontaine et on y avait fait couler l'eau de la fontaine jaillissante. L'apôtre bénit cette eau ; ceux qui devaient être baptisés courbèrent la tête au-dessus et deux des compagnons de Thomas posèrent la main droite sur l'épaule de chacun des néophytes. Thomas tenait un bouquet de feuillage qu'il trempa dans le bassin et avec lequel il jeta de l'eau sur la tête des néophytes. Plus tard, lorsque plusieurs d'entre eux furent baptisés, ce furent eux qui imposèrent les mains aux autres.

Je vis baptiser successivement tous ceux qui habitaient cet endroit, y compris Cuppès et les autres femmes. Je vis pendant ce baptême l'Esprit saint planer ou descendre sur les nouveaux chrétiens, sous la forme d'un corps lumineux ailé qui tenait de la colombe et de l'ange.

Note : Anne Catherine vit la vie de saint Thomas, le 21 décembre 1820, pendant le cours des visions mentionnées plus haut touchant la vie de Jésus.

Je vis les corps des défunts, spécialement celui de l'un des rois, couchés dans leurs tombeaux comme auparavant. Je vis la branche plantée devant la porte du tombeau de ce dernier et la colombe perchée sur cette branche, comme je l'avais déjà vue. Il y avait bien douze ans qu'il était mort : car lorsque Jésus vint ici, j'entendis dire que sa mort remontait à neuf ans. Je vis Thomas entrer dans ce tombeau et, ce que je n'avais pas vu précédemment, l'apôtre retirer une espèce de masque blanc de dessus son visage qu'il lava avec de l'eau bénite. Je ne vis pas dans cette circonstance d'imposition des mains. La tète était encore recouverte d'une peau brunâtre.

J'ai encore vu cette nuit qu'après le baptême, on célébra un service d'actions de grâces, non pas dans le temple, mais en plein air devant cet édifice. J'ai su tous les noms et je les ai oubliés : je me rappelle seulement que Mensor reçut au baptême le nom de Léandre et Théokéno, le vieux roi infirme, celui de Léon. Je vis aussi que plus tard ils laissèrent leur résidence à d'autres qui n'émigrèrent pas avec eux, qu'ils partirent divisés en trois troupes et que celle où se trouvaient les gens les plus considérables arriva dans une île où Denys l'aréopagite résida quelque temps ainsi que Carpus.

Je vis Thomas baptiser sur toute la route et même dans la ville païenne de Cédar : toutefois on ne baptisa personne dans cet endroit de la Chaldée où se trouvait le jardin fermé, non plus que dans la ville où je vois Jésus maintenant (voir page 91). Je crois que Thaddée y donna le baptême plus tard, lorsqu'il alla en Perse après la mort de Marie. Quand Thomas fut au terme de son voyage, il envoya Thaddée avec une lettre au roi Abgare afin qu'il le guérît : le Seigneur lui avait fait connaître par une révélation la maladie de ce prince. Partout, sur son chemin, Thomas fit de grands miracles : il établit des catéchistes pour instruire les habitants des pays qu'il avait parcourus : il y laissa même un disciple. Lui-même continua son voyage et alla jusqu'en Bactriane. Il pénétra très avant dans le nord, au delà du point où la Chine touche à la Russie, et il trouva là des hordes tout à fait sauvages. On lui fit un bon accueil en Bactriane et chez les peuples qui suivent les enseignements de l'étoile brillante (Zoroastre). Il alla aussi dans le Thibet. Ce fut des contrées lointaines situées par delà la Bactriane que Thomas amena avec lui, lorsqu'il vint à Ephèse pour la mort de Marie, ce serviteur qui avait dans ses manières quelque chose de si nouveau pour moi, de si étrange, de si servile, mais en même temps de si docile et de si pieux. Le pays d'où il venait alors n'était pourtant pas le plus reculé de ceux où le conduisirent les courses apostoliques dont je parle maintenant.

J'ai toujours vu par la suite ce serviteur auprès de lui. Il pouvait porter des fardeaux énormes et il traînait de grosses pierres quand Thomas bâtissait une chapelle.

Plus tard j'ai vu Thomas non seulement dans l'Inde mais encore dans une île habitée par des hommes noirs et même au Japon, et je l'ai entendu faire des prédictions sur l'avenir de la religion dans ces pays.

Thomas avait quelque répugnance à partir pour l'Inde. Avant d'y aller, il avait eu souvent des songes où il se voyait bâtissant dans l'Inde de grands et beaux palais. Il ne comprit pas cela d'abord et n'en tint pas compte, se disant qu'il n'était point architecte. Cependant quelque chose lui disait toujours intérieurement qu'il devait aller dans l'Inde, qu'il y ferait beaucoup de conversions et y gagnerait beaucoup d'âmes à Dieu : c'étaient là les beaux palais qu'il devait bâtir. Il en parla à Pierre qui l'encouragea à partir pour l'Inde. Il longea la côte de la mer Rouge ; il alla même dans l'île de Socotora et y prêcha, mais il ne s'y arrêta pas longtemps.

Dans la deuxième ville de l'Inde que Thomas visita, il trouva qu'on faisait les préparatifs d'une grande fête. Il enseigna, guérit des malades, et le roi vint l'entendre ainsi que beaucoup d'autres personnes. Il se fit tant de partisans, qu'un jeune prêtre des idoles en conçut une grande haine pour lui et le frappa au visage pendant qu'il prêchait. Thomas se montra plein de douceur, tendit l'autre joue et le remercia. Cela toucha beaucoup le roi et tout le peuple : ils regardèrent Thomas comme un très saint homme et le prêtre des idoles lui-même se convertit. Sa main s'était couverte de lèpre, mais Thomas le guérit et il devint son plus fidèle partisan. Thomas convertit aussi la fille du roi et le mari de celle-ci qui était possédé du démon, après quoi il quitta ce pays et alla plus à l'est. La fille du roi ayant mis un enfant au monde, son mari et elles firent voeu de chasteté et donnèrent tous leurs biens aux pauvres. Le roi en fut très irrité et voulut Leur persuader que Thomas était un magicien : ils restèrent pourtant fidèles à leur résolution ; ils propagèrent partout la pure doctrine de Jésus-Christ telle qu'ils l'avaient reçue et convertirent beaucoup de monde. Le père lui-même finit par se laisser toucher et fit prier Thomas de revenir. Il revint, car, en prenant congé d'eux, il leur avait dit qu'il les reverrait bientôt. Le roi se fit baptiser avec une grande partie de son peuple : plus tard même il devint diacre et se rendit près des rois mages. Je crois qu'il reçut aussi la prêtrise. Son fils fit bâtir une église.

Je vis Thomas dans une autre ville qui était aussi au bord de la mer et je vis qu'il se disposait à revenir sur ses pas : je crois qu'il n'était pas loin du pays où alla par la suite saint François-Xavier. Mais Jésus lui apparut et lui ordonna de s'enfoncer plus avant dans l'Inde. Thomas n'obéit pas, prenant pour prétexte que ce peuple était trop grossier : alors Jésus lui apparut pour la seconde fois et lui dit qu'il fuyait de devant sa face comme autrefois Jonas, mais qu'il lui fallait obéir : il lui promit qu'il serait avec lui, que de grands prodiges s'opéreraient par lui et qu'au jour du jugement il serait à côté de son maître comme témoin de ce qu'il avait fait pour les hommes. C'est tout ce que je me rappelle de cette apparition.

Dans la ville où il se trouvait, on devait bâtir un palais, tout le monde était obligé d'y travailler. Je vis beaucoup de pauvres gens auxquels on ne donnait aucun salaire : ils étaient horriblement opprimés et vexés. Thomas prêcha devant cette grande multitude d'ouvriers : le roi aussi vint l'entendre plus d'une fois. Comme l'apôtre faisait entrer dans son enseignement de très belles paraboles touchant l'art de bâtir, le roi le prit pour un architecte très habile : il lui confia la construction du palais, lui donna pour cela une grande somme d'argent et partit pour un voyage. Thomas continua à enseigner et à convertir, et il donna l'argent aux pauvres qui auparavant mouraient presque de faim. Le roi tomba malade et voulut savoir où en était la construction du palais : mais on lui dit que les travaux avançaient peu, que l'étranger donnait tout l'argent aux pauvres, qu'il prêchait et baptisait. Thomas fut mandé près du roi qui lui fit de grands reproches, mais il répondit qu'il avait en réalité bâti un beau palais et qu'il en avait vu un pareil (il voulait parler de celui qu'il avait vu dans ses songes, lorsqu'il avait r es u pour la première fois l'ordre d'aller prêcher l'Évangile aux Indes) : il ajouta que le roi ne pouvait pas le voir parce qu'il était aveugle : " Rends-moi donc la vue ", dit le roi, et il demanda à Thomas de lui ouvrir les yeux en les touchant avec ses doigts. L'apôtre répondit qu'il s'agissait des yeux de l'esprit et que s'il voulait faire ce qu'il désirait, il lui ferait voir l'édifice. Alors Thomas décrivit la sainte Église et toute la doctrine de Jésus comme un magnifique édifice ; puis il ordonna au roi, au nom de Jésus, de se lever guéri et de venir avec lui à l'édifice qu'on construisait. Lorsqu'ils y arrivèrent, ils virent près de là un gros tronc d'arbre que la mer y avait déposé et qu'on avait vainement essayé d'enlever à grand renfort de chameaux. Thomas demanda que ce tronc d'arbre lui fût donné pour servir à la construction d'une église, s'il parvenait à l'enlever tout seul. Le roi y ayant consenti, Thomas prit sa ceinture, l'attacha à l'arbre et le traîna ainsi jusqu'à l'emplacement où l'église devait être construite. Ce prodige convertit beaucoup de gens et le roi lui-même se fit baptiser avec une grande partie de son peuple. On vit alors briller sur sa tête une lumière qui se répandit de là sur tous les assistants. Il eut aussi une vision dans laquelle il vit sous la forme d'un édifice les bonnes oeuvres opérées par Thomas. L'église que Thomas bâtit en cet endroit me rappela l'église de saint Jacques à Coësfeld : je trouvais qu'il y avait de la ressemblance.

Je vis Thomas partir de là accompagné de beaucoup de personnes, guérir, chasser des démons et baptiser près d'une fontaine. Il dit aux gens du pays de lui apporter leurs plus beaux pains : puis il les bénit et les distribua. Il y avait là un homme qui, lorsqu'il voulut en prendre sa part, fut attaqué d'une maladie soudaine et Thomas lui demanda quelle faute il avait à se reprocher. Il répondit qu'ayant entendu Thomas enseigner que les adultères n'entreraient pas dans le royaume de Dieu, il avait surpris sa femme en adultère et l'avait tuée : et qu'il avait cru se délivrer de son péché en mangeant de ce pain. Or ce n'était pas sa femme qu'il avait tuée, mais une personne avec laquelle il avait commerce ainsi que plusieurs autres et il lui avait donné la mort par jalousie. Thomas convainquit cet homme de mensonge et lui fit comprendre combien il s'était rendu coupable : puis il le guérit et lui fit faire pénitence : il ressuscita aussi la femme, sur quoi beaucoup de gens se convertirent.

Il vint aussi un personnage de distinction, très homme de bien et très savant qui vivait toujours au milieu des livres. Il pria Thomas de lui venir en aide. Sa femme et sa fille étaient possédées du démon et frénétiques. Elles vivaient auparavant dans le désordre et le mari les ayant maudites dans sa colère, le démon avait pris possession d'elles. Thomas suivit cet homme jusque dans sa maison où il trouva les deux femmes dans un état effrayant : elles firent mine de se jeter sur lui pour le déchirer : mais il leur lia les mains à un poteau avec sa ceinture, prit un fouet et les en frappa vigoureusement. Elles se tinrent alors parfaitement tranquilles et Thomas donna à cet homme l'autorisation de les soumettre chaque jour au même traitement. Plus tard lorsque les jeûnes et les flagellations les eurent rendues tout à fait maniables, l'apôtre chassa l'esprit immonde qui les possédait et les convertit.

Cet homme devint un disciple zélé de Thomas. Il avait une nièce admirablement belle et très riche qui était mariée à un cousin du roi. Elle avait entendu parler des miracles de Thomas et désirait vivement l'entendre. Elle pénétra jusqu'à lui à travers la foule et se jeta à ses pieds en le priant de la convertir. Thomas l'instruisit et la bénit : elle fut très touchée, fondit en larmes et dès lors elle s'adonna à la prière et à des jeûnes continuels. Son mari qui l'aimait tendrement s'en chagrina fort et voulut la distraire, mais elle le pria de la laisser libre encore quelque temps. Elle allait tous les jours entendre prêcher Thomas et elle devint une chrétienne très zélée. Cela irrita son mari qui se présenta devant le roi revêtu d'habits de deuil et porta plainte contre Thomas. Le roi fit flageller et emprisonner l'apôtre que le mari de la femme convertie lui avait amené lié avec des cordes. Ce fut le premier supplice qu'il eut a subir dans le cours de ses longs voyages et il en rendit grâces à Dieu.

La femme coupa ses cheveux, pleura, pria, donna tout son bien aux pauvres et renonça à toute espèce de parure. Les femmes de ce pays portaient les cheveux bouclés, mais celles qui se faisaient chrétiennes coupaient quelques boucles pour s'humilier. Pendant une absence de son mari elle gagna les gardes à prix d'argent et alla la nuit avec d'autres personnes se faire instruire par Thomas dans la prison. Sa nourrice l'accompagnait et elles demandèrent le baptême. Thomas leur dit de tout préparer à cet effet dans sa maison : il sortit de la prison pour aller les trouver et il la baptisa, elle et beaucoup d'autres. Les geôliers s'étaient endormis par un effet de la bonté divine. Thomas revint avant qu'ils se fussent réveillés.

Il y eut dans la famille royale elle-même des personnes qui changèrent de vie et se firent instruire par l'apôtre : alors le roi le fit amener devant lui. Thomas, l'ayant vainement exhorté à se convertir, lui demanda à prouver par le jugement de Dieu la vérité de ses enseignements. Le roi fit placer devant lui des épieux rougis au feu : Thomas marcha dessus sans en éprouver aucun mal et une source jaillit à l'endroit où on les avait mis. Thomas lui dit que lui-même avait eu des doutes, ce que du reste il racontait partout, qu'il avait vu pendant trois ans les miracles de Jésus et que pourtant il avait souvent douté : c'est pourquoi il croyait maintenant et avait pour mission d'annoncer la vérité aux infidèles. Il publiait partout sa faute. Le roi le fit ensuite renfermer dans une salle de bains remplie d'une vapeur brûlante (Anne Catherine décrit cette salle avec assez de détails) : il aurait dû y mourir étouffe, mais il n'y ressentit aucune chaleur et y respira un air toujours frais. Il voulut après cela le contraindre à adorer son idole et Thomas lui dit : " Si Jésus ne brise pas votre idole, je lui sacrifierai ". On fit alors les préparatifs d'une grande fête et tous se rendirent au temple avec un cortège de chanteurs et de joueurs d'instruments. L'idole était en or et assise sur un char, mais Thomas s'étant mis en prière, il partit du ciel comme un trait de feu qui fondit l'idole principale et en brisa plusieurs autres. Il s'éleva alors un grand tumulte dans le peuple et parmi les prêtres, et Thomas fut de nouveau jeté en prison.

Il fut délivré de cette prison comme Pierre l'avait été de la sienne, et il alla dans une île où il resta longtemps. Enfin il s'embarqua sur un navire, mais bientôt une tempête éclata et ils virent de loin un bâtiment japonais échoué sur un banc de sable et exposé aux plus grands dangers : il était couché sur le côté, hors d'état de marcher et déjà à moitié rempli de sable et d'eau. Thomas dit aux marins qui le conduisaient : " Il faut que nous allions porter secours à ces gens ". Ils s'y refusèrent pour ne pas s'exposer aux mêmes périls. Mais Thomas Leur dit : " Si vous voulez de bon coeur aller les secourir, mon maître que j'ai vu souvent commander aux flots nous frayera la route vers ce navire ". Quand ils eurent donné leur assentiment, Thomas pria et commanda aux vagues au nom de Jésus : alors la mer se calma devant eux et ils arrivèrent près du navire sans difficulté. Thomas travailla avec les autres à l'alléger, à le retirer du sable et à le remettre à flot. Il n'était pas gravement endommagé et quand tout fut remis en ordre, le commandant de ce bâtiment qui avait appris le miracle opéré par Thomas et la charité qu'il avait montrée, le pria de venir avec lui au Japon. Mais les gens de l'autre navire ne voulurent pas le laisser aller que le Japonais n'eût promis de le ramener lui-même. Thomas laissa dans le pays qu'il quittait des disciples chargés de continuer son enseignement, et il partit avec cet homme pour le Japon où il resta environ six mois.

Ils entrèrent avec leur bâtiment jusque dans l'intérieur d'une ville : elle est bâtie en triangle sur chaque rive du fleuve ou du canal qui la traverse et on peut en faire le tour par eau.

Note : Elle donna le nom de cette ville japonaise, mais sans en être bien sûre : ce nom serait Kivivia.

Derrière la ville s'élèvent au bord de l'eau des tours et des murailles ou remparts bâtis en pierres d'un noir brillant. Avant de se rembarquer, Thomas grava une prophétie sur ces murs : il se servit pour cela d'un instrument dont on faisait usage sur le navire et avec lequel on pouvait fendre la pierre. Les lettres étaient très grandes et chacune d'elles faisait tout un mot. C'était un abrogé de la doctrine chrétienne : il ajoutait qu'elle avait été prêchée dans cet endroit. mais qu'elle disparaîtrait sans laisser presque aucune trace : qu'ensuite un autre viendrait et la ferait revivre, mais qu'elle disparaîtrait de nouveau. Il disait aussi pourquoi les choses se passeraient ainsi et annonçait que les habitants du pays le fermeraient entièrement aux étrangers. Il devait toutefois y venir des gens à moitié chrétiens au moyen desquels il se conserverait quelques vestiges du christianisme : puis enfin les Japonais devaient recevoir de nouveau la doctrine de vérité. J'ai vu tout cela très en détail : des noms d'empereurs et des noms de lieux m'ont été montrés, mais je les ai oubliés. Cette inscription a été engloutie dans un tremblement de terre avec la croix qui était gravée au-dessus. Anne Catherine dit encore quelque chose du caractère des Japonais, et raconta qu'à cette époque ils étaient déjà très méthodiques, très curieux et très passionnés. Elle indiqua aussi les causes de l'apostasie, mais en termes peu clairs. Elle croyait que les Jésuites avaient été précédés au Japon par d'autres missionnaires, et elle parla assez vaguement de gens auxquels elle attribuait la ruine du christianisme dans le pays.

En racontant ce qui précède touchant le vaisseau japonais et son commandant, elle dit : " Ce n'est pas un marchand, il est seulement chargé du transport régulier des marchandises : il fait ce voyage tous les ans. Je l'avais oublié : mais maintenant je vois tout cela en même temps que le navire, l'inscription et la ville : c'est pourquoi j'en puis parler. "

Cet homme ramena Thomas à l'endroit d'où il était venu. Plusieurs membres de la famille royale se convertirent encore par la suite. Les prêtres étaient singulièrement irrités contre lui. L'un d'eux avait un fils malade qu'il pria Thomas de guérir : mais ensuite il étrangla ce fils et accusa Thomas de sa mort. Thomas fit apporter le cadavre et lui ordonna au nom de Jésus de dire qui l'avait fait mourir. Le mort se redressa et répondit : " C'est mon père " ; ce qui donna lieu à beaucoup d'autres conversions.

J'ai vu que Thomas priait habituellement devant la ville à une assez grande distance de la mer ; il s'agenouillait sur une pierre et ses genoux y avaient laissé leur empreinte. Il prédit une fois que lorsque la mer qui était pourtant fort éloignée arriverait jusqu'à cette pierre, il viendrait d'un pays très lointain un homme qui prêcherait, lui aussi, la doctrine de Jésus. Je ne pouvais pas me figurer que la mer dût venir jusque-là mais dans la suite saint François-Xavier débarqua dans cet endroit et y érigea une croix de pierre.

Je vis Thomas à genoux sur cette pierre où il priait, ravi en extase, lorsque les prêtres des idoles vinrent l'assaillir et le percèrent par derrière avec une lance. Son corps fut transporté à Edesse : j'y vis célébrer une fête en son honneur. Il resta pourtant au lieu de son martyre une de ses côtes avec la lance qui l'avait percé. Il y avait auprès de la pierre un jeune olivier qui fut arrosé de son sang : je vis qu'il en suintait de l'huile tous les ans le jour de son martyre et que, quand cela n'arrivait pas, les gens du pays s'attendaient à une année malheureuse. Je vis que les idolâtres essayèrent inutilement d'arracher cet l arbuste qui repoussait toujours, qu'on bâtit là une église l et que, lorsqu'on célébrait la sainte messe le jour de la fête de l'apôtre, l'arbrisseau avait un suintement d'huile. La ville s'appelle Méliapour : elle est aujourd'hui dans un triste état, mais le christianisme y refleurira.

J'ai su que Thomas était arrivé à l'âge de quatre-vingt-treize ans. Il était très brun, très maigre et il avait des cheveux rougeâtres. Au moment de sa mort le Seigneur lui apparut et lui dit qu'il siégerait à ses côtés au jour du jugement.

Il a passé par un coin de l'Allemagne : si je ne me trompe pas en ce qui touche ses nombreux voyages, il alla en Egypte aussitôt après la séparation des apôtres, puis en Arabie : avant d'arriver au désert, il avait envoyé un disciple à l'apôtre Thaddée pour lui dire d'aller visiter le roi Abgare. Il baptisa ensuite les rois mages, puis il alla en Bactriane, en Chine, au Thibet et jusque dans un pays qui fait aujourd'hui partie de l'empire russe : ce fut de là qu'il revint pour la mort de Marie. Il partit ensuite de la Terre-Promise pour aller en Italie, passa par un coin de l'Allemagne, traversa une partie de la Suisse et de la France, passa en Afrique, arriva à travers l'Abyssinie près du pays où réside Judith et gagna Socotora par l'Ethiopie. De là il se rendit dans l'Inde et à Méliapour où il fut délivré de sa prison par un ange ; alla par terre jusqu'en Chine dont il traversa une partie et pénétra jusqu'à l'extrême nord, aujourd'hui soumis à la Russie. Il passa de là dans la principale des îles du Japon au centre de laquelle s'élèvent des montagnes d'une hauteur extraordinaire. (Anne Catherine décrivit alors la configuration de l'île de Jesso ou Matsmai et indiqua la situation des autres îles et des pays environnants : elle en traça les contours avec le doigt sur la couverture de son lit, et cela on lignes aussi arrêtées que celles du patron le mieux découpé.)

Thomas avait une demi soeur qui s'appelait Lysia. Son frère aîné (lui-même était le cadet de deux jumeaux) faisait le commerce à Joppé : Pierre, lors du séjour qu'il fit dans celle ville après l'Ascension, le décida à se joindre à la communauté chrétienne ; il y réussit surtout en lui racontant l'incrédulité de Thomas et ce qui en avait été la suite. Après la mort du Sauveur, Thomas avait passé quelque temps dans sa famille : il lit de même avant son départ pour l'Inde.

Le frère de Thomas était un homme de grande taille ; il alla avec Pierre à Damas. Lysia ne se convertit qu'à l'époque du martyre d'Etienne. C'était une riche veuve : elle donna son bien à la communauté et se réunit aux saintes femmes à Jérusalem. Plus tard ses deux fils furent du nombre des disciples.

SAINT SIMON ET SAINT JUDE THADDEE.

octobre 1820 .

Je vis de nouveau que Marie de Cléophas était fille de la soeur aînée de la très sainte Vierge. Lorsque Marie fut conduite au temple, cette nièce, qui était plus âgée ~I~ : elle, assistait avec d'autres enfants en grande parure aux adieux qui se firent dans la maison de sainte Anne. Le père de Marie de Cléophas s'appelait Cléophas : son mari Alphée. Ses fils, Simon, Jude Thaddée, Jacques le Mineur et José Barsabas n'avaient point été compagnons d'enfance de Jésus, parce qu'ils n'habitaient pas la même ville que lui. Ils le connaissaient bien et l'avaient vu plus d'une fois lors des visites que se rendaient les parents.` Les compagnons d'enfance de Jésus étaient presque tous de Nazareth et ne lui restèrent pas fidèles pour la plupart.
Simon le zélé avait un emploi au tribunal de Tibériade l'ardeur avec laquelle il exerçait ses fonctions lui avait fait donner le nom de zélé (Chananéen). Je l'ai vu dans ce tribunal lorsque le Seigneur enseigna à Tibériade : son frère Jacques le Mineur entra et l'appela pour qu'il vînt voir le Seigneur. Il ne revint pas reprendre son poste, mais il quitta tout sur-le-champ et suivit le Seigneur : Je vis un autre prendre sa place.

Je vis assez longtemps après la mort de Jésus, Jude Thaddée envoyé près d'Abgare, roi d'Edesse, par Thomas, à la suite d'une vision. Je vis que la lettre écrite par Thomas était absolument conforme à ce que Jésus avait promis d'écrire à ce prince. Je vis Abgare couché sur un lit de repos lorsque Thaddée apporta la lettre : je vis, près de Thaddée, Jésus apparaître lumineux, et tel qu'il était sur la terre. Le roi ne regarda pas l'apôtre, ni la lettre, mais il s'inclina profondément devant cette apparition. Thaddée avait guéri quelqu'un dans la ville avant de se faire annoncer au roi. Ce prince, qui était un homme plein de droiture, était atteint de la lèpre. Après qu'il se fût entretenu avec Thaddée, celui-ci lui imposa les mains et il fut guéri. Thaddée guérit et convertit encore beaucoup de personnes. Je vis avec beaucoup de joie que Thaddée a parcouru, enseignant et baptisant, toutes les contrées que Jésus traverse maintenant : il était accompagné de Silas. l'un des jeunes gens qui étaient avec Jésus 2 . Je vis que, dans le pays où se trouve Jésus à présent, dans les montagnes voisines de Cédar et dans tous les environs presque tout le monde se fit baptiser, et que des villages entiers, sauf quelques vieillards infirmes, émigrèrent et allèrent former ailleurs des tribus de bergers chrétiens habitant sous la tente.

Note : Comme Anne-Catherine voyait ordinairement la vie des saints dans de grandes visions ou l'ordre chronologique n'était pas indiqué, elle vit ici Simon suivre Jésus immédiatement après le premier appel qui lui fut fait.

2 C'est ce même voyage qu'elle décrivit eu racontant la vie de l'apôtre saint Thomas qui avait entrepris cette course apostolique en compagnie de Jude Thaddée.

Je vis aussi que dans la suite la plupart moururent martyrs à la suite d'une invasion de peuples païens. Je vis Thaddée et Silas parcourir tout le chemin qu'avait suivi Jésus à travers l'Arabie jusqu'à l'Egypte. Je vis aussi l'apôtre chez des noirs : c'était, je crois, en Afrique : car je vis le pays où réside aujourd'hui Judith, c'est-à-dire les montagnes de la Lune. Il y eut une ville où les habitants le prirent tellement en amitié qu'ils se soulevèrent pour le tirer de la prison où l'avaient jeté les magistrats. Je vis un disciple qui était avec lui mourir dans cette prison ; je ne crois pas que ce fût Silas, car j'ai vu plus tard celui-ci près de Paul.

Après la séparation des apôtres, je vis les deux frères Simon et Thaddée aller ensemble avec leurs compagnons jusqu'à l'endroit où Jésus Christ avait maudit le figuier stérile dans son dernier voyage (Bétharan). Alors ils se séparèrent ; Simon alla du côté de la mer Noire et dans la Scythie, Thaddée se dirigea au levant. Après la mort de Marie à laquelle il était venu assister, celui-ci partit pour la Perse : il avait avec lui un disciple nommé Abdias et d'autres encore. Abdias devint évêque de Babylone et il a écrit des livres où se trouvent beaucoup de choses empruntées à des relations erronées et mensongères. Les deux frères ? après avoir parcouru des pays très éloignés les uns des autres, se rencontrèrent de nouveau, par une disposition de la Providence. dans un camp d'hommes de guerre.
J'ai vu leur mort dans une grande vision sur la vie de Thaddée dont je ne me rappelle que ce qui suit. Je vis qu'au commencement il avait une houlette de berger comme tous les autres apôtres : mais lorsqu'il s'enfonça plus avant dans ces contrées, il portait un gros bâton que je remarquai pour la Première fois dans une courte vision où je le vis courir à travers le désert. Je les vis Simon et lui, amenés par une troupe d'hommes dans un camp formé d'une multitude de tentes. On voyait dans ce camp une grande diversité de costumes : beaucoup de gens portaient des vêtements longs et amples ; d'autres des habits courts et étroits : plusieurs avaient sur le derrière de la tête une coiffure garnie d'une longue crinière : beaucoup portaient une hache passée dans la ceinture. Lorsque Thaddée et ceux qui l'accompagnaient arrivèrent dans ce camp, je vis sortir précipitamment des tentes de petits personnages tout nus, noirs et basanés, avec des têtes crépues affreusement grosses et aussi larges que leurs épaules : je vis qu'ils s'éloignèrent du camp pour aller se cacher dans des endroits ténébreux, des marais, des murs en ruines et pour ainsi dire dans le sein de la terre. Je vis l'un d'eux s'élancer tout furieux vers Thaddée, lui faire en ricanant d'affreuses grimaces, puis s'enfuir en courant. Je me souviens que ces personnages travaillaient de toutes leurs forces à exciter les esprits contre Thaddée ; qu'ainsi par exemple ils tinrent aux gens qui entouraient l'apôtre des discours qui les rendirent furieux. Thaddée et ses compagnons furent conduits en divers endroits et amenés enfin devant l'homme le plus considérable du camp. Apres cette visite, on les traita mieux et on les conduisit dans un logement plus solidement construit et qui n'était pas une tente. Il y avait là plusieurs autres personnes. Après cela je vis encore divers individus qui n'étaient pas des soldats exciter les esprits au point qu'il y eut presque un soulèvement.

Je vis alors les deux apôtres se rendre, suivis d'une nombreuse escorte, dans une grande ville située au bord d'un fleuve (Babylone). Il y avait dans le pays de nombreux canaux, et dans la ville des édifices d'une grandeur démesurée, très spacieux et très massifs. Ils y furent bien traites et je vis plusieurs incidents que je ne me rappelle plus bien. Je me souviens seulement qu'il y eut en présence du roi une assemblée où les prêtres des idoles s'élevèrent fortement contre les apôtres et que, parmi ces prêtres, les uns tenaient des deux mains un paquet de serpents longs comme le bras, les autres en avaient quelques-uns dans chaque main. Ces serpents étaient ronds comme des anguilles, mais un peu plus minces : ils avaient de petites têtes arrondies et de leurs gueules ouvertes ils dardaient au dehors des langues pointues comme des flèches. On les lança contre les apôtres, mais je les vis revenir comme des traits rapides sur ceux qui les avaient apportés, se rouler autour d'eux et les mordre malgré leurs cris jusqu'au moment où les apôtres leur ordonnèrent de lâcher prise. Je vis beaucoup de gens de la ville et le roi lui-même embrasser le christianisme. J'ai quelque idée que le disciple qui accompagnait les apôtres (Abdias) resta dans la ville. Quant à eux, ils allèrent dans une autre grande cité et ils logèrent chez un homme qui était chrétien. Il y eut un soulèvement à leur occasion et je vis qu'ils furent conduits avec cet homme à un temple où il y avait des idoles d'or et d'argent placées sur des roues ou plutôt sur une espèce de trône que ces roues supportaient. Un peuple innombrable s'était rassemblé dans le temple et au dehors. Je me souviens que les idoles se brisèrent, qu'une partie du temple s'écroula et que les deux saints, sans opposer de résistance, furent traînés ça et là dans la foule, que le peuple et les prêtres les frappèrent avec toutes les armes qu'ils avaient sous la main et qu'ils furent ainsi mis a mort. Je vis l'un d'eux (c'était, je crois, Thaddée) dont la tête fut fendue en deux par une de ces haches que les gens du pays portaient à la ceinture. Je vis au-dessus des apôtres des apparitions célestes. Lorsqu'ils eurent expiré, je vis de nouveau les affreuses figures noires dont j'ai parlé plus haut se mêler parmi la foule.

Dans la scène des serpents les choses se passèrent ainsi : ces serpents furent posés par terre, les disciples les ramassèrent et les mirent dans les plis de leur manteau : d'autres qui étaient là, dressés sur leurs queues, devaient être pris par les prêtres des idoles, ils les prirent en effet, mais les serpents les mordirent et se pendirent à leurs mains, ce qui leur fit pousser des cris horribles.

SAINT MARC.

25 avril 1821 .

Marc fut un des premiers disciples de Jésus. Il n'était pas du pays de saint Pierre : sa patrie était plus au nord. Il avait loué des pêcheries à Bethsaide et se livrait encore à d'autres occupations. Il était grand et agile : il avait le front chauve, mais il lui restait par derrière quelques cheveux qui venaient se terminer en pointe sur le sommet de la tête. Ses sourcils se rejoignaient au-dessus de son nez qui était long et droit. Ses yeux étaient vifs ; ses joues maigres, colorées et couvertes, ainsi que le menton, d'une barbe d'un blond cendré. Sa taille était droite et ses allures promptes : il était leste, adroit et d'un naturel moins obéissant que Pierre. Il paraissait presque plus âgé que celui-ci.

Marc n'était pas toujours avec Jésus ; il était assez souvent absent : il était de ceux qui se scandalisèrent lorsque le Seigneur dit : " Celui qui ne mange pas ma chair n'aura pas la vie éternelle ". Peu de temps avant la Passion, il prit aussi en mauvaise part ce qu'avait fait Madeleine. Après l'arrestation du Seigneur, il se sépara des disciples pour retourner dans sa patrie et ne revint se joindre à eux que sur la montagne de Thébez où le Sauveur ressuscité leur apparut et où Pierre fit une longue instruction (voir plus haut, page 171). La femme de Marc résida un certain temps à Thébez et elle vint à Bethsaïde pendant les jours qui précédèrent l'Ascension. Elle était grande et longue, avait je visage très rouge et marchait courbée en avant : il y avait quelque chose de risible dans son extérieur. Dans la suite Marc accompagna souvent Pierre avec lequel il alla à Rome : il n'a rien écrit dans son Évangile que sous la dictée de Pierre. Il avait vu lui-même bien des choses, mais il n'était pas présent à la Passion du Seigneur. Pendant une épidémie qui eut lieu a Rome et où l'on mourait en éternuant, je vis la communauté chrétienne, sur la demande de Marc, ériger un chemin de la croix dans le genre de celui que Marie avait établi près d'Éphèse. Il y avait douze pierres dont chacune portait une inscription rappelant un des incidents de la Passion. Les chrétiens allaient d'une pierre à l'autre en priant et en récitant des litanies, et tous ceux qui faisaient ainsi étaient préservés du fléau. Lorsque les paiens en eurent connaissance, beaucoup d'entre eux s'associèrent à cette dévotion et furent guéris eux aussi : ce miracle opéra un grand nombre de conversions. J'ai vu en outre que ces processions furent rétablies et reçurent de nouveaux développements sous le pontificat de Grégoire le Grand.

Je vis Marc aller en Égypte et propager le christianisme sur toute la route que Jésus-Christ avait parcourue. Je le vis d'abord dans la ville d'Alexandrie. Il y était venu avec quelque répugnance : il aurait mieux aimé prêcher tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre. Comme il était en route pour s'y rendre, il se fit une forte coupure à l'index de la main droite et il aurait perdu ce doigt s'il n'avait été guéri par une merveilleuse apparition dont il fut très effrayé, comme l'avait été saint Paul dans une occasion semblable. Il conserva jusqu'à la fin de sa vie une cicatrice rouge tout autour du doigt.

Lorsqu'il entra dans Alexandrie, sa chaussure se déchira et il la donna au cordonnier Anianus pour qu'il la raccommodât. Celui-ci se blessa à la main en y travaillant ; mais Marc guérit la blessure avec un enduit de terre et de salive. Là-dessus Anianus se convertit et Marc prit son logement chez lui : cet homme avait une grande maison, de nombreux ouvriers, une femme et dix enfants.

Note : Anne Catherine disait que saint Marc guérissait spécialement les coupures et les piqûres, et que la plante appelée Pinguicula vulgaris, lorsqu'on l'applique sur les blessures en invoquant le nom du saint, a une vertu très efficace pour les guérir, Elle-même avait souvent fait usage de cette plante.

Les premières réunions des nouveaux fidèles avaient lieu dans une pièce qui dépendait du logement assigné à Marc. Les apôtres ne célébraient la sainte messe dans une communauté nouvellement établie que lorsque ses membres étaient déjà affermis dans la foi et suffisamment instruits : ils avaient dès lors fixé le rite suivant lequel la sainte communion devait être donnée pendant le saint sacrifice.

Marc alla aussi à Héliopolis. L'oratoire qu'y avait la sainte Famille pendant son séjour en Egypte était devenu une église, et il y eut plus tard un petit couvent. En suivant Marc sur le chemin qui le conduisait là, je vis pendant un moment Marie résidant à Héliopolis. Je vis l'enfant assis dans une espèce de baquet qui était placé sur un tréteau élevé. Marie avait une corbeille près d'elle et tricotait avec de petits crochets : il y avait là trois autres femmes.--Les gens que Marc baptisa à Héliopolis étaient juifs pour la plupart. Il s'y trouvait un assez grand nombre d'Israélites pieux qui vivaient en anachorètes : on les appelait Thérapites. Il y en avait déjà quelques-uns en Egypte près des frontières de la Palestine, lorsque Jésus passa pas. là au retour de son voyage chez les paiens. Je ne sais pas si je l'ai dit dans mon récit. Jésus visita un endroit où plusieurs d'entre eux vivaient réunis. C'est d'eux que sont sortis plus tard les nombreux anachorètes de l'Egypte.
Le cordonnier Anianus avait parmi ses enfants trois fils, qui devinrent prêtres par la suite. Le père succéda à Marc sur le siège d'Alexandrie et c'est aussi sa fête aujourd'hui.

Je vis Marc jeté en prison à Alexandrie et étranglé avec une corde. Lorsqu'il fut incarcéré, je vis Jésus lui apparaître tenant une patène sur laquelle était un petit pain rond qu'il lui présenta. Je vis aussi comment son corps fut transporté à Venise à une époque postérieure.

SAINT LUC.

18 octobre 1820.

Les parents de Luc appartenaient à la classe moyenne et demeuraient devant Antioche : il les perdit de bonne heure. Il était très intelligent et d'un caractère vif et gai. Je le vis, comme il n'avait encore que douze ans, chercher des fleurs dans les champs et faire toute espèce d'observations. Il apprit à peindre en Grèce : je le vis dessiner sur les murs de grandes figures d'hommes debout. Quand il fut plus âgé, je le vis dans une ville égyptienne étudier la médecine et l'astronomie. Je vis qu'il portait pendu à son côté un tube semblable à une longue vue et qu'il se réunissait souvent à de nombreux compagnons. Ils entraient dans l'intérieur de constructions en maçonnerie très élevées et montaient jusqu'en haut à l'aide de perches : il y avait là de petits sièges comme des chaises d'enfants, et ils regardaient à travers un tube qui était bien aussi gros qu'un tuyau de poêle. Dans la ville où Luc étudia la médecine, se trouvait une maison remplie d'animaux et d'oiseaux malades qu'on soignait comme dans un hôpital. On faisait des expériences sur eux avec le suc qu'on extrayait d'herbes de toute espèce. Je vis que Luc se servait uniquement de remèdes végétaux et qu'il observait les astres quand il avait des malades à traiter. Plus tard je l'ai vu guérir beaucoup de personnes. Il traitait des gens qui semblaient être sans connaissance en leur soufflant sur la bouche et sur le creux de l'estomac et aussi en leur faisant des frictions. A cette époque il n'était pas encore chrétien.

Je n'ai jamais vu Luc avec le Seigneur lorsqu'il était sur la terre. Peu après le baptême de Jésus, il reçut le baptême de Jean et assista aux prédications de ce dernier, mais ordinairement il allait d'un endroit à l'autre pour exercer sa profession de médecin, et il n'avait que par intervalles des relations passagères avec les disciples. Je le voyais toujours beaucoup écrire, notamment sur les plantes : il portait sur lui des rouleaux, et prenait souvent des notes.
Je ne le vis pas non plus au commencement avec les apôtres ; il était vis-à-vis d'eux comme un étranger et s'enquérait d'eux de temps en temps, mais de loin et sans se réunir à eux. Lorsque le Seigneur alla de Jéricho à Samarie avant la résurrection de Lazare, je le vis dans les environs de Samarie : étant arrivé à l'endroit où le Seigneur avait séjourné quelque temps chez des bergers (voir plus haut) et où étaient restés les trois jeunes gens qui avaient accompagné Jésus en Egypte, je le vis se faire raconter plusieurs choses. Je ne le vis pas venir à Béthanie lors de la résurrection de Lazare, mais prendre des informations à Jérusalem auprès de Nicodème et auprès de Joseph d'Arimathie qui était en secret disciple de Jésus, et qui avait été voir Lazare. Il eut aussi des rapports avec la mère de Jean Marc, et après la mort de Jésus, avec Simon de Cyrène qui s'était converti : je le vis surtout en relations intimes avec Cléophas qui lui-même ne fut ouvertement disciple du Seigneur que peu de temps avant sa mort. Luc douta longtemps, et ce ne fut qu'à la rencontre d'Emmaus que sa foi devint ferme et vivante. L'arrestation et le crucifiement du Seigneur l'avaient jeté dans de grands doutes et il s'était tenu plus à l'écart qu'avant. Je le vis aller à Emmaus avec Cléophas : je vis que, sans cesser la conversation, il cueillait ça et là sur le chemin des plantes médicinales et je méditais en même temps sur ce qu'il allait bientôt recevoir, de la main de Jésus que je voyais marcher derrière lui sans qu'il le sût, le remède par excellence, le pain de vie. Je vis toute la scène comme je l'avais déjà vue d'autres fois. Je vis que Marie Salomé les rencontra à leur retour et qu'ils se communiquèrent réciproquement ce qui leur était arrivé. Cette sainte femme était fille d'une soeur de sainte Anne.
Je ne me souviens plus si je le vis assister à l'Ascension de Jésus-Christ. Je le vis près de Jean lorsque celui-ci était à Ephèse et je le vis aussi près de Marie dans sa maison : je le vis ensuite avec André qui était venu d'Egypte pour voir Jean, et enfin dans sa patrie où il fit connaissance avec Paul qu'il accompagna.

Il écrivit son évangile par le conseil de Paul et parce qu'il courait des livres pleins de faussetés sur la vie du Seigneur. Il l'écrivit vingt cinq ans après l'Ascension et presque toujours, d'après des renseignements recueillis partout auprès de témoins oculaires. Je l'avais déjà vu à l'époque de la résurrection de Lazare visiter les lieux où le Seigneur avait fait des miracles et s'enquérir de tout. Barsabas était du nombre des disciples qu'il connaissait. J'ai appris que Marc aussi n'a écrit son Évangile que sur des relations de témoins oculaires et qu'aucun des Evangélistes n'a connu le travail des autres et n'en a fait usage pour le sien. Il m'a été dit aussi que, s'ils avaient tout écrit, ils auraient trouvé encore moins de créance, et que, pour ne pas allonger leur récit, ils n'ont pas mentionné les miracles qui se sont répétés fréquemment. Je vis encore que Luc étant devenu évêque fut martyrisé à Thèbes, Si je ne me trompe : je vis qu'on l'attacha à un olivier par le milieu du corps et qu'on le tua là à coups de lance. Une lance lui ayant traversé la poitrine, la partie supérieure du corps tomba en avant : alors les bourreaux le redressèrent, l'attachèrent de nouveau et le percèrent encore de plusieurs coups. On lui donna la sépulture en secret pendant la nuit.

Le remède dont Luc se servait principalement dans les derniers temps où il exerça la médecine, était du réséda mêlé d'huile de palme et bénit. Il faisait alors sur le front et la bouche des malades une onction en forme de croix : il employait aussi du réséda desséché avec une infusion d'eau. Je vis une fois Luc préparer cet onguent dans un jardin où il y avait toute une plate-bande de réséda à tige très haute et où s'élevaient aussi des palmiers. J'ai appris à cette occasion beaucoup de choses touchant le palmier, qui est un symbole de la chasteté parce qui les sexes y sont séparés et que la fécondation ne se produit que par la volonté de Dieu. Il me fut dit que le palmier se comporte modestement, qu'il ne fait pas parade de ses fleurs, mais les tient cachées, et que c'est pour cela qu'il est si fécond, tandis que d'autres arbres qui étaient leurs fleurs au grand jour, en laissent tomber la moitié à terre. Luc s'attacha beaucoup de personnes par ses guérisons. Le réséda axait un rapport avec Marie qui l'avait cultivé et en avait fait usage. Par son martyre subi contre un olivier, Luc a obtenu pour cet arbre et pour ses fruits une vertu curative liée à l'invocation de son nom. Employant l'huile fréquemment, il avait demandé à Dieu que sa mort sous l'olivier conférât à cet arbre de nouvelles vertus.

DES TABLEAUX PEINTS PAR SAINT LUC.

18 octobre 1821 .

J'ai vu Luc peindre plusieurs portraits de la sainte Vierge et quelquefois avec des circonstances miraculeuses. Un jour il travaillait à un portrait en buste de Marie : comme il ne pouvait pas en venir à bout, il pria, fut ravi en extase et quand il revint à lui il le trouva terminé. Ce portrait se conserve à Rome, à l'église de Sainte-Marie Majeure, sur l'autel d'une chapelle qui est à droite du grand autel. Mais ce n'est pas l'original : ce n'est qu'une copie. L'original est dans un pan de muraille auquel on a donné la forme d'un pilier : il a été caché là dans un moment de danger, avec d'autres objets sacrés parmi lesquels il y a des ossements de saints et des manuscrits d'une grande antiquité. Quand le prêtre dit Dominus Vobiscum à l'autel où est le portrait de Marie, sa main droite s'étend dans la direction du piller central où sont conservées ces reliques. Luc fit encore un portrait de la sainte Vierge dans son costume de fiancée : je ne sais pas ce qu'il est devenu. Il en fit un autre également en pied ou elle est en habits de deuil : je crois l'avoir vu dans l'église où est l'anneau nuptial de Marie (à Pérouse). Luc peignit aussi Marie allant assister a la descente de croix et cela se fit d'une façon merveilleuse. Lorsque tous les apôtres et les disciples eurent pris la fuite, je vis Marie se rendant près de la croix à la lueur du crépuscule : elle était accompagnée, je crois, de Marie de Cléophas et de Salomé. Je vis que Luc se tenait sur le chemin et que, tout ému de sa douleur, il présenta un linge en face d'elle comme elle passait, avec le désir que son image s'y imprimât. Je ne sais pas comment tout cela se fit : Luc ne fit pas toucher le linge à la sainte Vierge et je crois que l'image s'y montra sans qu'il en eut connaissance. Il y trouva plus tard cette image semblable à une ombre qui passe, et il fit d'après elle son tableau où il y avait deux figures, lui-même avec le linge et Marie qui passait. Vers ce même moment, peu d'heures après le crucifiement, plusieurs amis et disciples de Jésus contemplaient le suaire de Véronique où la face du Seigneur, avec toutes ses blessures et sa barbe ensanglantée, était reproduite en traits de sang épais et pourtant bien distincts. L'image imprimée sur le suaire était plus grande que la face elle-même, parce que le linge avait suivi tous les contours du visage. Luc se retira à la dérobée, tout plein d'angoisse et comme cherchant quelque chose : le linge qu'il tenait était, ainsi que le suaire, deux fois plus long que large. J'ignore ce qui poussa Luc à présenter son linge, si ce fut uniquement le désir que l'image de Marie s'y imprimât, ou s'il voulut suivre la coutume d'après laquelle on présentait un linge aux affligés ou remplir à l'égard de Marie l'office de charité exercé par Véronique envers Jésus.

J'ai vu l'image peinte par Luc existant encore chez une singulière peuplade habitant entre la Syrie et l'Arménie. Ce ne sont pas, à proprement parler, des chrétiens : ils croient à Jean-Baptiste et ils ont un baptême de pénitence qu'ils reçoivent chaque fois qu'ils veulent se purifier de leurs péchés. Luc prêcha l'Évangile dans leur pays et opéra beaucoup de miracles avec cette image. Ils le persécutèrent et peu s'en fallut qu'ils ne le lapidassent : mais ils gardèrent l'image. Luc emmena avec lui douze d'entre eux qu'il avait convertis. Ces gens habitaient dans le voisinage d'une montagne qui est à peu près à douze lieues à l'est du Liban : il y a un cours d'eau qui descend de cette montagne et qui coule autour : cette eau est trouble et fangeuse. Ils logent dans de mauvaises cabanes, comme j'en ai vu en Egypte : ils ne sont pas les maîtres du pays : ils y sont comme des esclaves et paient des redevances. J'ai entendu dans cette contrée dire quek1ue chose touchant Laodicée. A l'époque de saint Luc ils n'étaient guère plus de deux cents. Leur église est comme une grotte attenante à la montagne ; il faut descendre pour y entrer : on voit des coupoles dans le haut de même qu'on voit à la voûte d'une église les ouvertures pratiquées pour les fenêtres.

J'ai encore vu là à une époque postérieure l'image de Marie peinte par saint Luc ; je ne sais pas si c'est l'époque actuelle, mais cela est bien possible, car du temps de saint Luc tout était plus simple. L'église me parut plus grande : il me sembla aussi qu'on y faisait d'autres cérémonies : le prêtre étai t assis sous une arcade devant un autel ; l'image était suspendue à la voûte et plusieurs lampes étaient allumées devant elle. Elle était toute noircie et on ne distinguait plus rien. Ils reçoivent des grâces par le moyen de cette image et ils la révèrent parce qu'ils ont vu des miracles opérés par elle. Ils pratiquent la circoncision et croient que les âmes des morts passent dans d'autres corps, notamment dans ceux des enfants. Ils ne connaissent plus bien leur origine ; ils descendent d'esclaves qui étaient venus au baptême de Jean avec des caravanes arabes et qui étaient repartis sans avoir eu connaissance d'autre chose que de ce baptême. Des restes de paganisme doivent s'être conservés chez eux, car ils ont des livres secrets contenant une espèce de révélation. Ils se livrent aussi à diverses pratiques magiques : ainsi ils brûlent des objets appartenant à des gens qu'ils veulent par ce moyen ensorceler ou même faire mourir. Ils se placent au-dessus de la fumée pour se transporter ainsi dans des lieux éloignés. Leur prêtres se font sur la peau du bras des incisions en forme de croix : c'est peut-être parce que Jean Baptiste portait ordinairement un bâton surmonte d'une croix. Ils ont le plus souvent la poitrine nue et portent une pièce d'étoffe de poil de chameau jetée en travers sur les épaules. Ils ne savent pas les paroles que Jean annonçait en administrant le baptême ; ils disaient seulement : Je te baptise du baptême dont Jean baptisait. Je ne sais plus bien distinguer dans ce que je viens de raconter ce qui appartient au temps de saint Luc ou aux époques postérieures.

LE FIANCE NATHANAEL.

Le fiancé Nathanaël avait pour mère la fille d'une soeur de sainte Anne. Il avait un frère qui devint aussi disciple de Jésus. Étant enfant il assista à la fête donnée chez Anne, lorsque Jésus dans sa douzième année revint de Jérusalem après les fêtes de Pâques. Jésus alors fit allusion à de grands mystères : il raconta les futures noces de Cana sous forme de parabole et promit à Nathanaël qu'il irait à son mariage. Je vis qu'à cette occasion encore le Seigneur fit choix de Silvain pour son futur disciple. Les parents de celui-ci étaient de la race d'Aaron. Je vis les noces de Cana et le changement mystérieux de l'eau en vin : je vis qu'après ce miracle la fiancée et le fiancé se retirèrent dans une chambre séparée et firent voeu de chasteté. Nathanaël devint aussitôt disciple du Sauveur et sa fiancée se joignit aux saintes femmes. Elle tirait son origine de Bethléhem et de la famille de saint Joseph. Nathanael reçut au baptême un nom qui ressemble à Amandor. Plus tard il devint évêque d'Edesse ou saint Thaddée a guéri le roi Abgare. Il alla aussi en Crète avec Carpus puis en Arménie où il fit beaucoup de conversions ;il y fut mis en prison et ensuite relégué sur les bords de la mer Noire où il eut beaucoup à souffrir. Ayant recouvré sa liberté, il voyagea dans le pays du roi Mensor. Il fit là un grand miracle dont une femme fut l'objet : mais je l'ai oublié. Il s'était fait beaucoup aimer et il convertit un grand nombre de personnes. Je vis son martyre dans une île de l'Euphrate : le nom de l'endroit est quelque chose comme Acaïacula.

SAINT PARMENAS

Parménas, qui fut l'un des sept diacres, était allié au Sauveur du côté d'Élisabeth. Il était de Nazareth où ses parents possédaient une maison et un jardin de plantes aromatiques. Sa mère était soeur du second époux de Marie de Cléophas. Elle avait douze enfants et s'était mariée trois fois. Son troisième mari était un grec et Parménas fut le premier fils né de ce mariage : de là venait le nom grec qu'il portait. Il avait environ cinq ans de moins que Jésus il naquit, je crois, vers le temps où la sainte Famille revint d'Égypte. Il était l'un des compagnons d'enfance de Jésus et il lui resta toujours fidèle. Ses parents qui étaient des amis sincères de la sainte Famille et qui, lorsque Jésus se perdit à Jérusalem, aidèrent très activement à le chercher, se firent baptiser par Jean dès le commencement. Parménas lui-même fut baptisé le même jour que Jésus et vit le Saint Esprit descendre sur lui. Il fut toujours comme un serviteur parmi les apôtres et les disciples et ne voulut jamais être fait prêtre par humilité.

Lorsqu'Étienne eut été lapidé, il s'enfuit et résida un certain temps dans les environs d'Éphèse. Plus tard il fut avec Paul et il fit un voyage en Chypre avec Barnabé : je le vis aussi avec plusieurs autres, notamment avec Pierre. Il a converti beaucoup de monde par sa prédication et il était très avancé en âge lorsqu'il fut massacré dans une émeute à Philippes.

SAINT SATURNIN

Saturnin était né à Patras. Sa mère était de descendance royale et son père avait un rang équivalant à celui de comte. Il y avait au service de son père un homme d'un teint très brun, qui avait été dans le cortège du plus basané des rois mages et qui avait vu comme lui l'Enfant-Jésus. Il en parlait souvent et longuement, sans être converti lui-même, il prépara d'avance la conversion de beaucoup d'autres. Ses récits sur l'étoile vue par les rois, sur leur voyage et sur ce qu'ils avaient trouvé firent une vive impression sur Saturnin. Bientôt son père mourut laissant après lui une jeune veuve du nom de Cyriaca qu'il avait épousée en secondes noces et qui avait elle-même plusieurs enfants d'un premier mariage. Alors Saturnin qui était encore jeune partit pour Jérusalem afin d'avoir des informations plus précises sur tout ce qui lui avait été raconté C'était précisément le temps où Jean-Baptiste commençait sa prédication. Il alla le trouver, fut baptisé par lui, se fit circoncire et devint un des plus fidèles disciples de Jean et l'ami de coeur d'André : il tint le manteau de Jésus lors de son baptême, le suivit aussitôt après avec André et ils furent, l'un et l'autre, ceux des disciples que Jésus chargea le plus souvent d'administrer le baptême. Sa belle-mère vint environ six mois après lui à Jérusalem : plus tard il baptisa à Capharnaum son oncle et ses beaux-frères : ceux-ci repartirent avec leur mère (tome III, page 208)

Lorsque Saturnin était encore enfant, je le vis un Jour couché au bord de la mer et appuyé sur le coude. Il eut une vision dans laquelle il vit un jeune garçon portant un bâton avec une banderole, qui venait à lui sur la mer. C'était Jean-Baptiste qui lui dit de venir le trouver dans le désert, lorsqu'il aurait atteint l'âge de seize ans. Il lui donna ensuite un bâton épiscopal et un livre qu'il devait remplir plus tard, puis il lui reprit ces deux objets et disparut. Anne Catherine raconta brièvement l'apostolat de Saturnin : son récit est parfaitement d'accord avec ce qu'on lit à ce sujet dans la Fleur des Saints. Il a fait beaucoup de miracles à Toulouse, il y a prêché et opéré des guérisons, après quoi il est parti pour l'Espagne : il a eu en France plusieurs disciples qui sont devenus des saints. Lorsqu'il fut revenu à Toulouse, on se saisit de lui et les prêtres des idoles l'attachèrent à un taureau furieux qui le traîna du haut en bas de la hauteur où était le temple

Sa cervelle jaillit de tous les côtés : il ne resta de sa tête que les mâchoires attachées au tronc, une pieuse femme lui donna la sépulture. On mit une fois dans son tombeau un voleur que la terre rejeta : je l'ai vu. Il est mort soixante-dix ans après Jésus-Christ : il était parvenu à l'âge de cent sept ans : lors de la mort du Christ il en avait trente-sept.

Plus tard la relique du saint ayant été de nouveau mise près d'Anne Catherine, elle répéta ce qu'elle avait dit précédemment et ajouta ce qui suit : Saturnin était toujours appelé "  le disciple fidèle " et tout le monde l'aimait à cause de sa docilité, de sa droiture et de sa simplicité. Les personnes de sa famille reçurent plus tard le baptême et s'établirent dans une grande ville près de Sarepta. Après la mort de Jésus-Christ, ayant été prêcher à Tarse, les habitants de cette ville le maltraitèrent cruellement et ils allaient le mettre à mort, mais un vent d'orage qui s'éleva leur jeta tant de sable dans les veux qu'il leur échappa. Anne Catherine l'a vu en plusieurs autres endroits, notamment à Rome près de Pierre qui l'envoya dans les Gaules. Il résida à Arles, à peu de distance de l'île de Pontitien sur le Rhône, à Nimes et dans beaucoup d'autres lieux : il a guéri des malades, prêché et baptisé ; il a eu beaucoup de disciples et formé des catéchistes. Il a longtemps résidé à Toulouse où il a converti beaucoup de personnes, entre autres une femme qu'il a guérie de la lèpre après avoir prêché devant sa maison. De là il est allé ailleurs et il a eu beaucoup à souffrir, mais il est revenu à Toulouse et c'est là qu'il a été martyrisé. Elle a vu encore deux autres Saturnin, un diacre et un évêque qu'elle distingue de celui-ci qui est plus ancien.

Stimulée par une relique, Anne-Catherine vit aussi la vie et le martyre de saint Saturnin, évêque de Toulouse, et voici ce qu'elle en raconta. Le saint évêque Saturnin a souffert le martyre sous l'empereur Maximin, à l'âge de quatre-vingts ans. Je ne puis pas comprendre comment on l'a confondu avec le premier, celui qui avait été disciple de Jean-Baptiste. Le premier Saturnin fut attaché à un taureau sur une éminence où était le temple. Le taureau fut lancé avec des aiguillons vers la partie la plus escarpée de la hauteur, en sorte qu'il entra en fureur, se précipita, trépigna et que la tête du saint fut bientôt brisée en morceaux. L'évêque postérieur, nommé aussi Saturnin, fut conduit sur une tour contre le mur de laquelle on avait disposé des crochets de haut en bas. Il fut jeté sur ces crochets et resta suspendu à chacun d'eux jusqu'à ce que, sa chair étant déchirée, il tombât sur celui qui venait après. Pendant qu'il subissait ce supplice, je l'entendis crier au peuple qui se tenait au pied de la tour : " Mon corps est suspendu en l'air, mais mon âme est sur la terre auprès de vous ". Il ne cessa d'exhorter ainsi le peuple jusqu'au moment où il tomba à terre, et, lorsqu'on lui eut percé la gorge pour l'achever, il récita un psaume tout entier. Son corps fut enseveli près des tombeaux des autres martyrs : lorsque plus tard saint Hilaire, si je ne me trompe, fit élever une chapelle sur le tombeau du premier Saturnin, on y réunit les corps de plusieurs autres saints, en sorte qu'avec le temps on finit par ne plus distinguer les deux Saturnin. La corruption des moeurs était si grande à Toulouse qu'on entendit une fois le saint évêque dire que les pierres de cette ville porteraient témoignage au jugement dernier contre les vices infâmes de ses habitants.

SAINT ETIENNE.

2 août 1820 .

J'eus une vision touchant le martyre d'Etienne ; je vis qu'il resta comme insensible au supplice de la lapidation, ne pensant qu'à prier pour ses bourreaux et à regarder dans le ciel ouvert sur sa tête. Il fut lapidé devant une porte qui est au nord de Jérusalem, près d'un grand chemin. Il y avait la une espèce de place circulaire et au milieu une pierre sur laquelle le jeune homme s'agenouilla et pria, les mains levées au ciel. Il portait un long vêtement blanc serré par une ceinture et par-dessus lequel était passé sur le des et sur la poitrine une espèce de scapulaire avec une double attache transversale : je crois que ce scapulaire faisait partie de son vêtement sacerdotal. On procéda à la lapidation suivant un certain ordre : ceux qui y prenaient part étaient rangés en cercle et chacun avait auprès de lui un tas de pierres. Je vis aussi Saul qui était un homme d'une rigidité et d'un zèle extraordinaire. Il s'était occupé de tous les préparatifs du supplice, et ceux qui lapidèrent Etienne déposèrent leurs manteaux à ses pieds. Etienne priait les mains levées au ciel et restait immobile sous les coups de pierre : on eût dit qu'il ne les sentait pas, il ne faisait rien pour les parer, et ne tressaillait pas en les recevant. Il semblait ravi en extase ; il avait les yeux levés en l'air et le ciel était ouvert au-dessus de lui. Il voyait Jésus, et près de Jésus, Marie sa mère. Enfin une pierre le frappa à la tête et il tomba mort. C'était un grand et beau jeune homme, avec des cheveux bruns et lisses, Saul, malgré l'ardeur passionnée qu'il montrait dans cette circonstance, ne faisait pas horreur comme la plupart des autres qui étaient pleins d'envie et d'hypocrisie : quant à lui, il était poussé par un zèle aveugle, mais sincère pour le judaïsme : c'est pourquoi Dieu l'éclaira par la suite.

Je vis plus tard un homme d'un aspect vénérable, avec une robe blanche, une longue barbe et une petite baguette d'or à la main, apparaître la nuit à un prêtre qui reposait sur sa couche ; à droite de cette apparition étaient deux vases supportant deux pyramides de fleurs de hauteur inégale : deux vases semblables étaient à sa gauche : c'étaient des bouquets de forme pyramidale. Il dit que le bouquet rouge représentait Etienne, l'un des bouquets blancs Nicodème, l'autre, celui qui parlait (c'était Gamaliel) : le quatrième enfin fait de fleurs couleur de safran, son fils Abibon : les corps de tous les quatre étaient entrés dans cet endroit. Je vis qu'après cela on creusa à l'endroit indiqué et que les quatre corps furent trouvés dans les grottes d'un caveau sépulcral d'où on les retira. Le corps d'Etienne dont les ossements étaient rangés à leur place fut transporté à Jérusalem dans une église située sur la montagne où avait été le cénacle Je vis plus tard qu'on fit plusieurs parts des ossements, qu'ils furent portés en divers lieux et opérèrent beaucoup de miracles. Je me rappelle un aveugle qui fit toucher des fleurs à la châsse du saint et qui recouvra la vue au contact de ces fleurs. Je vis dans un autre endroit beaucoup de Juifs se convertir. Je vis, je ne sais plus ou, le démon, sous la forme d'un homme de haut rang, demander quelques parcelles des ossements de saint Etienne : mais l'évêque ayant prié Dieu de lui faire connaître si ce personnage était digne de les recevoir, le démon se manifesta sous une forme hideuse et s'enfuit en poussant des hurlements. Je vis beaucoup de miracles semblables : je vis aussi plusieurs ossements d'Etienne portés à Rome et placés auprès de ceux de Saint Laurent.

SAINT BARNABE
10 juin 1820

Les parents de Barnabé avaient du bien en Chypre, et lui-même y était né. Il étudia à Jérusalem et accompagna Jésus en Chypre. Plus tard, il accompagna souvent Paul : il fit aussi une partie du chemin avec Thaddée lorsque celui-ci alla en Perse. Barnabé fut le premier qui prêcha l'Evangile à Milan. Il fut lapidé en Chypre par les Juifs et jeté sur un bûcher, mais son corps ne fut pas consumé et ses disciples lui donnèrent la sépulture. Lorsqu'on le retrouva, il avait sur la poitrine une partie de l'Évangile de saint Matthieu. Barnabé a aussi écrit quelque chose.

SAINT THIMOTHEE

Le 24 janvier 1821, Anne Catherine qui, le jour précédent, était hors d'état de parler et semblait même au moment de succomber à une violente oppression de poitrine et à dés accès de toux convulsive, raconta ce qui suit au Pèlerin : "  un saint évêque m'a secourue : il a été près de moi dès hier et toute la journée d'aujourd'hui. J'ai à côté de moi une relique de lui. Il résidait dans un endroit où a aussi résidé saint Jean ". Le Pèlerin lui répondit quelque temps après : " C'est aujourd'hui la fête de saint Timothée auquel saint Paul a ordonné de boire du vin ", sur quoi elle reprit : " Moi, je ne lui ai rien offert et pourtant il m'a secourue " ! Il se trouva qu'à cette occasion elle avait eu une vision sur toute la vie de saint Timothée, mais des dérangements extérieurs ne lui permirent d'en raconter que ce qui suit.

A l'époque où Jean fut exilé dans l'île de Pathmos, Timothée était en prison dans l'île de Chio. Tous les habitants l'aimaient et il en avait converti un nombre suffisant pour former une communauté : les soldats même qui le gardaient s'étaient attachés à lui. Il y avait dans le pays une femme de distinction qui était chrétienne, mais qui s'était rendue coupable d'un péché grave et qui avait en un prêtre pour complice. Un jour Timothée se préparait à célébrer dans une toute petite église le saint sacrifice de la messe, et il était déjà au pied de l'autel lorsqu'il vit en esprit cette personne s'approcher de l'église : il quitta alors l'autel pour aller se mettre sur la porte, reprocha à cette femme son crime et l'excommunia. Il résulta de là une persécution contre Timothée qui fut relégué en Arménie, à peu de distance du pays de Théokéno. Il fut rendu à la liberté avant que Jean eût recouvré la sienne : après cela, Paul dont il était disciple et qui l'avait fait circoncire, l'envoya en qualité d'évêque à Ephèse où Jean je visita lorsqu'il fut redevenu libre. Ce fut vers ce temps que Jean baptisa Fidèle, et, qu'accompagné des frères de celui-ci, il se rendit par Cédar en Perse où il écrivit son Evangile.

Quant à Paul, j'ai vu qu'il n'était pas grand, mais ramassé, robuste et très brun. Tout en lui annonçait la droiture, la fermeté et l'énergie, toutefois sans raideur et sans obstination. Après sa conversion il devint très doux et très affectueux, mais avec quelque chose d'austère, d'ardent et d'énergique.

Timothée fut massacré par les païens à Ephèse, lors d'une fête où ils parcouraient la ville, masqués et portants des idoles, parce qu'il avait prêché avec véhémence contre ces abominations.

SAINT QUADRAT

10 mai 1821.

Quelques jours auparavant, Anne Catherine avait fait en esprit un voyage à Jérusalem avec un saint dont elle avait une relique à côté d'elle. Elle se souvenait seulement qu'il lui avait montré Jérusalem après la mort de saint Jacques le Mineur, d'où on pouvait conjecturer que ce devait être un contemporain des saints apôtres. Elle garda la relique près d'elle, et le 12 mai elle raconta ce qui suit.

Cette relique est de saint Quadrat, évêque d'Athènes. Dans sa jeunesse il s'appelait Ananie : ses parents étaient de la ville de Thèbes en Grèce. Lors de l'apparition du Seigneur sur la montagne voisine de Thébez, en Galilée, ils se réunirent à la communauté chrétienne. Quadrat était alors un enfant qu'on conduisait par la main, ses parents étaient encore jeunes. Lorsque Jésus, après la résurrection de Lazare, fit son voyage au pays des trois Mages, des gens qui lui étaient dévoués étant allés en Grèce pour leurs affaires ramenèrent avec eux les parents de Quadrat qui s'établirent en Galilée, dans les environs de la ville natale de Pierre. Ils y embrassèrent le judaïsme et l'enfant reçut à la circoncision le nom d'Ananie. Ils vécurent là fort retirés, et lors de l'apparition de Jésus sur la montagne de Thébez, ils se l'adjoignirent. A l'époque de la mort de Jésus, Quadrat était plus jeune que Siméon, le cinquième fils de Marie de Cléophas, qui avait alors dix Ans et avec lequel Je l'ai vu : il pouvait avoir neuf ans.

voyez ci-dessus. page 235.

Je l'ai vu dans la suite à Ephèse près de Jean : il fut envoyé par celui-ci à Rome auprès de Pierre. Il fut aussi quelque temps avec Paul et connut sainte Thècle. Pierre l'envoya dans un endroit assez voisin d'Athènes, et plus tard il fut élu évêque de cette dernière ville. Les chrétiens y étaient opprimés et se tenaient cachés. s'étant rassemblés secrètement pour procéder à l'élection de leur évêque, ils résolurent de choisir celui sur lequel tous les suffrages se porteraient. Dans ce moment Quadrat entrait dans l'ég1ise inopinément, et tous s'écrièrent qu'ils voulaient l'avoir pour évêque. Je l'ai vu opérer beaucoup de bien. Je vis aussi l'empereur romain venir à Athènes où il avait à régler plusieurs affaires concernant le culte des idoles : on célébrait là des mystères où on se livrait à toute sorte d'infamies inspirées par le démon. Je vis plusieurs fois Quadrat et un autre encore parler à l'empereur et lui présenter des écrits. Il rendit par là de grands services à l'Eglise et la persécution se relâcha.

Je le vis plus tard quitter Athènes où il était persécuté de nouveau. Il alla dans un autre endroit dont j'ai oublié le nom et où il fonda une église. Il partit de là pour aller vivre en anachorète dans les environs d'Éphèse. J'ai vu que le chemin de la croix établi par Marie subsistait encore et que Quadrat je visita. Je l'ai encore vu vivre solitaire dans d'autres endroits, notamment dans le désert qu'avait habité Jean-Baptiste ; quelques compagnons s'y réunirent à lui. En dernier lieu, il se rendit à Jérusalem où il souffrit le martyre : j'ai oublié dans quelles circonstances. J'ai vu encore que ses ossements n'y restèrent pas et furent transportés ailleurs. Il atteignit, à ce que je crois, l'âge de cent neuf ans.

Le 26 mai Anne Catherine eut encore une vision sur toute la vie de saint Quadrat, mais elle n'en put rapporter que peu de chose. Elle dit entre autres choses : "  il n'est pas arrivé à CIX ans, mais à IXC, ce qui veut dire cent ans, moins neuf ans. Il fut quinze ans évêque d'Athènes au milieu de nombreuses persécutions. Son prédécesseur se nommait Publius. Lorsque la persécution le força à quitter Athènes, une disposition de la Providence le conduisit dans l'île de Crète où Mensor, l'un des trois rois, s'était établi à une époque antérieure et avait bâti une église qui tomba en ruines après sa mort. Quadrat aussi y construisit une église dont il subsiste encore quelque chose. Il séjourna là sept ans. De l'île de Crète, il alla dans une solitude voisine d'Éphèse ou il resta quelques années avec plusieurs compagnons, parmi lesquels se trouvait le fils d'un pêcheur de Tibériade qui fut plus spécialement son disciple. Il mourut peu de temps avant saint Siméon, évêque de Jérusalem, qu'il alla visiter dans sa prison. Il m'a expliqué lui-même pourquoi saint Luc et saint Jean n'ont rien écrit touchant certains faits qui sont pourtant aussi véritables que toutes les autres choses qu'ils ont rapportées.

Siméon ne devint évêque de Jérusalem que cinq ans après la mort de Jacques le Mineur : jusque-là il n'avait que la qualité d'ancien disciple. Avant lui un cousin de Pierre qui s'appelait Joas ou Joïas, avait gouverné quelque temps l'Eglise de Jérusalem : celui-ci mourut peu après l'élection de Siméon. Siméon quitta Jérusalem avec les chrétiens avant la destruction de la ville. Il resta douze ans sans y rentrer : ensuite il fut martyrisé, quatre vingt-sept ans après la mort du Sauveur : Quadrat l'avait été trois ans avant lui.

SAINT CARPUS.

12-13 octobre 1820.

C'était un homme de grande taille qui portait de longs vêtements : il était païen et natif de Troade : j'ai oublié beaucoup de choses qui le concernent. Lorsqu'il n'était pas encore baptisé, je le vis dans une grande perplexité par suite de ce qu'il avait entendu dire de la doctrine de Jésus-Christ : elle lui semblait trop difficile à pratiquer et trop au-dessus des forces humaines, et il était en proie à de grands combats intérieurs. Il était d'un naturel très passionné. Je le vis dans son impatience aller pendant la nuit sur une montagne, se dépouiller de ses habits et, revêtu seulement de son vêtement de dessous, appeler à grands cris Celui qui était la vérité, quel qu'il pût être. Pendant cette lutte intérieure et cette prière ardente, je le vis avoir une vision. Il descendit du ciel devant lui une échelle de lumière qui n'avait pas d'échelons : mais en même temps il vit sortir d'une nuée brillante un livre où était écrit en caractères lumineux ce qu'il lui fallait faire pour mettre des échelons à cette échelle où il lui semblait d'abord impossible de monter. Il lut aussi dans ce livre qu'il avait en lui-même deux ennemis à vaincre.

J'ai vu plus tard que Paul vint à Troade, le convertit et le baptisa. Je vis aussi que Paul le recommanda à Jean qui n'était pas alors à Éphèse, mais en Syrie et qu'il suivit à Jérusalem et en Perse : Jean avait avec 1ui plusieurs autres disciples. Je vis qu'il se sépara de ceux-ci et qu'ayant gal de Carpus avec lui, il s'enfonça plus avant dans la solitude. Je vis Jean écrire son Évangile, couché sous un arbre au bord du Tigre : un orage survint et Carpus ne voulait pas se séparer de lui : mais il l'envoya à Smyrne avec des recommandations par suite desquelles on le fit évêque. L'apôtre avait parlé de ce qu'il allait avoir bientôt à souffrir pour Jésus-Christ et il avait ajouté que Carpus, lui aussi, recevrait la grâce du martyre. Je vis encore beaucoup de choses touchant l'Évangile de saint Jean, comment il l'écrivit tout d'un trait et sous la dictée du Saint Esprit et comment il le reçut du Ciel sous la voûte du ciel. Je vis que la plupart du temps il ne rapporta pas les faits qui s'étaient répétés et qu'il laissa beaucoup de lacunes dans sa narration quant à l'ordre chronologique.

Je vis Carpus à Smyrne où, pendant une persécution, on l'attacha à une croix et on lui disloqua les membres avec des cordes : mais il survécut à ce supplice et alla de là à Éphèse. Il partit ensuite pour Rome ; mais il mourut dans une île, assassiné, je crois, par des ennemis secrets.

Je me souviens qu'il perdit tout son sang. J'ai oublié une partie de cette scène. J'ai vu encore Carpus avec Luc et avec Denys l'Aréopagite : je ris un échange de lettres entre lui et Paul. Il eut un très grand nombre de visions, une, entre autres, dans un moment où il était vivement irrité contre deux chrétiens qui avaient apostasié. Il vit Jésus entouré de ses anges, au-dessous de lui une fosse profonde pleines de bêtes hideuses et sur le bord les deux apostats que ces bêtes tiraient à elles pour les y faire tomber. Comme il se réjouissait de leur châtiment, il vit Jésus descendre du ciel et ses anges retirer de là ces malheureux ; puis le Seigneur lui dit : " Tu veux laisser tomber ces hommes dans la fosse, et moi je mourrais volontiers pour eux encore une fois " ! Ce qui modéra le zèle trop ardent de Carpus.

Je vis à cette occasion beaucoup de choses concernant tous les apôtres. Je vis aussi Luc dans une grande salle, couché sur un banc garni d'un dossier, près d'une table qui avait la forme d'un autel. Il peignait une tête de la sainte Vierge sur une plaque de métal jaune. C'était la face seule sans le cou : elle était peinte avec des couleurs assez pâles et avait beaucoup de ressemblance avec le portrait qui appartient au Pèlerin : c'étaient bien les mêmes yeux et la même bouche, seulement le nez me parut un peu moins long. Il me sembla aussi, lorsque je vis Luc peindre ce portrait, que celui du pèlerin sortait de mon armoire et venait à moi. Luc voulut aussi faire le portrait de Jésus ; mais comme il ne pouvait pas en venir à bout, il fut ravi en extase et, en revenant à lui, il le trouva achevé miraculeusement. Sur sa table, qui ressemblait à un autel, il y avait comme une espèce de tabernacle avec un couronnement surmonté d'une figure qui tenait quelque chose à la main : il y avait encore là une image brodée. Le tabernacle était fait de manière à pouvoir tourner sur lui-même et Luc y renfermait ses couleurs et son pinceau : c'était comme un faisceau de baguettes formant éventail. Il avait aussi sur cette table tout ce qu'il fallait pour écrire.

SAINT CLEMENT DE ROME
22 novembre 1819

Je vis saint Clément, qui alors était pape, peu avant la persécution dont il fut victime. Il était extraordinairement pâle et défait : il y avait sur son visage une expression de souffrance qui me rappela Notre Seigneur portant sa croix : ses joues étaient creuses et sa bouche contractée par la tristesse que lui causaient l'aveuglement des hommes et leur duplicité. Je le vis enseigner dans une salle : il était assis sur un siège et ses auditeurs étaient affectés très différemment. Les uns étaient tristes et émus ; quelques-uns feignaient seulement de l'être et ressentaient une joie secrète à la pensée des maux qui le menaçaient ; d'autres étaient hésitants et incertains. Je vis alors entrer des soldats romains qui se saisirent de Clément. Ils le traînèrent hors de la maison et le placèrent sur un chariot qui avait une tout autre apparence que les nôtres. Il était long et bas, les roues étaient comme des rondelles coupées dans un tronc d'arbre et extraordinairement épaisses : elles ressemblaient aux roulettes d'un chariot d'enfant et étaient percées de quatre ouvertures. Il y avait sur le derrière un siège couvert et sur le devant plusieurs sièges découverts. Le saint était assis par derrière : cinq à six soldats montèrent avec lui ; d'autres en plus grand nombre marchaient à côté du char. Les chevaux étaient plus petits et plus ramassés que les nôtres et tout autrement harnachés : il n'y avait pas dans leurs harnais une aussi grande quantité de courroies. Je vis le saint voyager jour et nuit : il était triste, mais plein de résignation. Quand ils furent arrivés au bord de la mer, on le fit monter sur un navire et le chariot s'en retourna. Le pape saint Martin fut aussi emmené sur un navire, avec cette différence qu'il ne fut pas mis sur un chariot, mais qu'il fut porté en litière jusqu'au bord de la mer.

C'était une contrée pauvre, déserte, stérile : on y voyait beaucoup de fosses profondes semblables à nos tourbières : tout y était triste et même On rencontrait par intervalles de rares emplacements cultivés sur lesquels étaient aussi quelques habitations. Je vis beaucoup d'excavations dans la terre, comme s'il y eût eu là des mines qu'on exploitait. Clément fut conduit dans un bâtiment composé de deux corps de logis dont l'un partait du milieu de l'autre. Tous deux étaient entourés d'une galerie soutenue par des colonnes. Clément fut conduit par une de ces galeries, d'abord dans le corps de logis où demeuraient les surveillants, puis dans celui où étaient les détenus. Ce dernier avait dans la partie supérieure des ouvertures par où il recevait l'air et la lumière et qui donnaient sur un péristyle où étaient rangées des figures nues dans diverses attitudes. Je vis souvent des gens qui priaient dans ce péristyle. Ces Figures, malgré leur nudité, n'avaient rien de choquant ; cependant le démon y résidait. Quelques unes avaient le bras relevé sur la tète, d'autres étendaient les deux bras en avant : il y en avait une qui tenait à la main un globe ou une espèce de pomme, d'autres avaient une coiffure surmontée d'un cimier élevé. Leurs poses étaient très naturelles et n'avaient rien de raide. Sur les côtés du corps de logis où habitaient les détenus la galerie était murée : il me sembla qu'il y avait là un amas de débris et aussi des ossements. L'édifice était dans n fond et les alentours étaient tristes et déserts. La mer était à une certaine distance.

J'eus une autre vision sur le tombeau de saint Clément. C'était comme un rocher que les eaux avaient découvert en se retirant. Il était au bord de la mer. mais à quelque distance. Il y avait une entrée conduisant dans une chambre intérieure où se trouvait un cercueil de pierre. Je ne vis pas s'il y avait encore des ossements. Quand la mer arrivait jusqu'à la plage, on voyait à peine la partie supérieure du rocher. Je ne sais pas si cette dernière vision ne se rapportait pas à un temps postérieur : tout était du reste comme if, l'avais toujours vu. J'eus aussi le pressentiment qu'un autre saint reposait de l'autre côté de l'île (le pape saint Martin).

(1820) Hier et aujourd'hui lorsque je partis de l'Arabie où était Jésus pour visiter le pays ou saint Clément avait souffert le martyre, j'allai toujours en descendant dans la direction du nord. Je vis saint Clément prier dans un désert et demander à Dieu de lui faire trouver de l'eau. Il partit alors du ciel un rayon qui s'étendit en forme de porte-voix : il en sortit un petit agneau qui semblait présenter avec l'une de ses pattes un bâton terminé par une pointe aiguë comme une flèche. Plus bas un autre agneau était couché par terre. Clément prit le bâton et en frappa le sol d'où jaillit une source. Les deux agneaux disparurent aussitôt. Clément avait adressé sa prière au très saint Sacrement de l'autel. tous ceux qui buvaient de l'eau de cette source se sentaient vivement attirés vers la sainte eucharistie. Clément convertit et baptisa beaucoup de personnes.

Lors de son martyre je le vis jeté au bord de la mer dans une fosse pleine de serpents ou l'on fit entrer de l'eau : mais il en sortit au moyen d'une échelle. Je vis qu'on le mit sur un poteau d'où on le précipita dans la mer, après lui avoir attaché une ancre au cou. Son corps tomba sur un fond de rocher qui se creusa et forma un tombeau que la mer laissa à découvert en se retirant. Les chrétiens firent du rocher où était le tombeau une chapelle que les eaux couvraient souvent.

Je n'ai pas vu Clément en compagnie de Paul, mais je l'ai vu souvent avec Barnabé, avec Timothée, avec Luc et avec saint Pierre. Il était romain, mais ses ancêtres étaient des Juifs de la frontière d'Égypte. Il était marié, mais avant son mariage, il reçut d'en haut l'ordre de vivre dans la continence ainsi que sa femme, qui, à ce que je crois, fut aussi martyrisée plus tard. Il fut le troisième pape après saint Pierre.

SAINT IGNACE D'ANTIOCHE

4 août 1820 .

J'ai eu une vision de saint Ignace de Loyola qui me dit que je devais aussi honorer son patron, le saint martyr Ignace dont il y avait une relique près de moi : je vis alors cette relique et toute la vie de ce bon saint dont je me rappelle encore quelque chose.

Je vis, comme je l'avais déjà vu, Jésus dans une petite ville (Capharnaum) (voir tome IV, page 278). Il se tenait avec ses disciples sous une galerie, devant une maison, et il envoya l'un de ses compagnons dans une autre maison située vis-à-vis pour dire à une femme qui l'habitait de venir le trouver avec son enfant : cette femme vint en effet, portant dans ses bras le petit garçon qui pouvait avoir trois ou quatre ans. Lorsque l'enfant fut devant le Seigneur, le cercle formé par les apôtres, qui s'était ouvert pour le laisser passer, se resserra autour de Jésus. Jésus parla de lui, lui posa la main sur la tête, le bénit et le serra dans ses bras. La mère s'était retirée et on le lui ramena. Cet enfant était le futur martyr saint Ignace.

Je vis des scènes de sa jeunesse qui me touchèrent beaucoup. C'était un excellent enfant que la bénédiction de Jésus avait comme transformé. Je le vis souvent aller en secret à l'endroit où Jésus l'avait béni, baiser la terre et dire : " C'est ici qu'était le saint homme. "Je le vis dans ses jeux avec d'autres enfants choisir des apôtres et des disciples, aller de côté et d'autre, faire des instructions enfantines, enfin imiter le Seigneur à sa manière. Je le vis réunir les autres enfants à l'endroit où la bénédiction lui avait été donnée leur raconter ce qui s'était passé et leur faire aussi baiser la terre. Son père et sa mère vivaient encore ; je vis que la manière d'être de l'enfant fit impression sur eux et que plus tard ils devinrent chrétiens ; j'ai vu beaucoup de choses semblables de la jeunesse d'Ignace, et j'en fus singulièrement touchée. Je le vis lorsqu'il eut atteint l'âge d'homme, s'associer aux disciples du Seigneur ; il s'attacha surtout très étroitement à Jean qui l'ordonna prêtre. Lors des premières épreuves que Jean eut à subir, Ignace l'accompagna et ne voulut pas les quitter.

Il succéda sur le siège d'Antioche à Evodius qui lui-même avait succédé à Pierre, et il fut sacré évêque dans cette ville par Jean ou par Pierre lui-même, à ce que je crois. Je vis un empereur passer par Antioche : on amena saint Ignace sur son chemin et il lui demanda si ce n'était pas lui qui, comme un esprit malfaisant, excitait tant de troubles dans la ville ; Ignace lui demanda à son tour comment il pouvait traiter de démon celui qui portait Dieu en lui, qui portait Jésus dans son coeur. J'entendis encore l'empereur lui demander s'il savait à qui il parlait, et le saint lui répondre qu'il était le premier que l'esprit malin eut envoyé pour outrager le serviteur de Jésus. Alors l'empereur le condamna à être martyrisé à Rome et Ignace l'en remercia plein de joie. Je le vis conduire chargé de chaînes dans une autre ville, où on l'embarqua sur un navire. Il y avait près de lui des soldats qui le tourmentaient beaucoup. Je le vis aussi débarquer : dans les endroits par où il passait, beaucoup d'évêques et de chrétiens venaient au devant de lui, le saluaient et lui demandaient sa bénédiction. Je le vis à Smyrne chez l'évêque Polycarpe qui avait été son condisciple : ils eurent une grande joie de se retrouver ensemble et Ignace exhorta et consola tous les fidèles. Je vis que dans ses discours et ses lettres il leur demandait de prier afin que les bêtes féroces le broyassent et fussent pour lui comme un moulin, où il serait moulu ainsi que du froment pour être offert en sacrifice comme le pain très pur de Jésus-Christ. Je le vis ensuite conduire à Rome : les chrétiens, là aussi. vinrent à sa rencontre, s'agenouillèrent devant lui en pleurant et lui demandèrent sa bénédiction. Il répéta qu'il voulait être broyé et offert en sacrifice au Seigneur. Toute sa marche fut comme une marche triomphale. Aussitôt après son arrivée, on le conduisit au lieu du supplice où il demanda à Dieu que les lions le laissassent prier quelque temps. qu'ensuite ils le dévorassent tout entier, n'épargnant que son coeur et quelques ossements qui pourraient encore faire quelque chose sur la terre pour le service de Jésus-Christ. Il me fut parle à cette occasion de l'importance et de la valeur de ses reliques. Les choses se passèrent comme il l'avait demandé dans sa prière : à peine fut-il arrivé au lieu du supplice qu'il s'agenouilla et pria : bientôt les lions se précipitèrent sur lui pleins de fureur et sa mort fut très prompte. Ils le dévorèrent en quelques moments et léchèrent son sang : il ne resta de lui que quelques gros ossements et son coeur. On emmena les lions, et les spectateurs se retirèrent : mais les chrétiens accoururent et se disputèrent vivement ses ossements. En regardant son coeur ils y virent les lettres du nom de Jésus, comme sur l'écriteau de la croix, indiquées par des espèces de nerfs ou de veines de couleur bleuâtre.

LES SAINTE MARTHE ET MARIE MADELEINE.

22 juillet 1820.

J'ai Eu une grande vision touchant Marie-Madeleine. J'ai vu encore cette fois, comme je l'avais toujours vu, que Marie-Madeleine la pécheresse et la femme qui versa trois fois des parfums sur Jésus sont une seule et même personne, soeur de Marthe et de Lazare. Je l'ai vue d'abord à Béthanie dans la maison de Lazare qui était la plus grande et la plus belle de l'endroit : c'est la même que celle où j'ai vu le Seigneur prendre un repas avant d'aller pour la dernière fois à Jérusalem et où beaucoup de personnes mangèrent dans la cour et sous des galeries. Cette maison était un héritage que Lazare tenait de son père.

Je vis cette nuit le frère et les deux soeurs vivant encore ensemble. Lazare et Marthe menaient une vie très simple et faisaient beaucoup d'aumônes : Madeleine au contraire vivait dans l'oisiveté et étalait un luxe scandaleux, ce qui leur donnait beaucoup de chagrin. Elle habitait à l'étage supérieur : elle avait deux suivantes et deux serviteurs. Je la vis extraordinairement occupée de sa toilette : elle cherchait toujours à attirer les regards du public et rougissait de son frère et de sa soeur. Elle avait un siège couvert de tapis qui ressemblait à un petit trône : elle le faisait porter sur le toit en terrasse de la maison et s'asseyait là en grande parure pour recevoir des visiteurs parmi lesquels étaient plusieurs hommes et plusieurs femmes de Jérusalem. Elle était grande et forte, avait des cheveux blonds très longs et très épais, de très belles mains et un très beau teint.

Sa toilette était extraordinairement compliquée et surchargée d'ornements. Je la vis une fois assise sur cette plate-forme : elle avait sur la tète une coiffure garnie de perles et faite d'une étoffe d'un gris jaunâtre qui ressemblait à de la dentelle ; tout cela entremêlé de perles, d'objets brillants et de boucles de cheveux artistement frisés. Du haut de cette coiffure tombait par derrière jusqu'à terre un long voile transparent. Elle avait autour du cou une collerette très ouvragée dont les plis montaient jusqu'au menton. Sa poitrine était serrée dans une espèce de corset d'une étoffe luisante brochée de fleurs rouges et blanches : la jupe de même étoffe était plissée transversalement. Elle portait en outre une robe de dessus à fleurs d'or, qui ne fermait que sous la poitrine. Les manches froncées aux épaules, étaient attachées au-dessus et au-dessous du coude par de larges fermoirs de perles : enfin aux coudes et aux poignets pendaient de longs festons dont la couleur tirait sur le jaune et qui avaient l'air de dentelles. La robe avait une longue queue. Dans cet attirail qui lui permettait à peine de se mouvoir, Madeleine ; elle avait tout l'air d'une poupée.

Peu après l'ascension de Jésus-Christ, Madeleine s'était retirée dans le désert, un peu au delà de l'endroit où avait résidé Jean-Baptiste. Au commencement elle s'arrêtait dans des lieux où il y avait quelques cabanes dont les habitants lui procuraient des aliments. Elle avait des vêtements qui l'enveloppaient tout entière. Ensuite elle s'enfonça plus avant dans un, contrée sauvage hérissée de rochers et vécut loin des hommes dans une grotte : je vis alors que Satan cherchait à l'effrayer en lui apparaissant sous la forme d'un dragon et qu'il vomissait des flammes sur elle, mais elles se retournaient toujours contre lui et il était obligé de se retirer. Dans les premiers temps la Mère de Dieu résida à Béthanie près de Marthe et de Lazare. Lazare se tenait caché le plus souvent et ne se montrait que la nuit. Personne ne s'attaquait à la sainte Vierge Marie. Plus tard elle alla à Ephèse. Lazare s'était tout à fait adjoint aux disciples. Trois ou quatre ans après la mort du Sauveur, Marthe et lui furent mis en prison par les Juifs : Madeleine ayant voulu leur rendre visite pendant la nuit, on se saisit aussi d'elle sur le chemin. Avec Lazare qui avait été ordonné prêtre, on arrêta encore un jeune homme nommé Maximin et un autre dont j'ai oublié le nom, puis Marcelle, ancienne servante de Madeleine et la servante de Marthe. Ils étaient sept : trois hommes et quatre femmes. Je vis les Juifs les conduire au bord de la mer, avec toutes sortes de mauvais traitements, et les faire monter dans une petite embarcation dont les planelles étaient toutes disjointes et qui n'avait ni voiles, ni rames. On l'amarra à un plus grand navire qu'on conduisit en pleine mer et là on la détacha. Je vis cette barque, pendant que Lazare et ses compagnons priaient et chantaient des cantiques, aborder sur les côtes de France dans un endroit où les flots venaient mourir doucement sur la plage. Ils débarquèrent et repoussèrent loin du bord leur petite embarcation. Je les vis faire plus d'une lieue avant d'arriver à une grande ville où ils entrèrent. Leur traversée s'était faite avec une vitesse miraculeuse. Ils n'avaient avec eux que quelques unes de ces petites cruches qu'on porte ordinairement sur soi dans la Palestine et où ils trouvèrent de quoi se désaltérer. Je les vis arriver dans la grande ville de Massilia. Personne ne les molesta : on les regarda, mais on les laissa passer. Je vis qu'on célébrait la fête d'une fausse divinité et que les sept étrangers s'assirent sous le péristyle d'un temple situé sur une grande place. Ils restèrent là longtemps, et quand ils se furent un rafraîchis à l'aide de leurs petites cruches, Marthe, la première, adressa la Parole au peuple qui se rassemblait autour d'eux, raconta comment ils étaient venus et dit aussi quelque chose de Jésus. Son discours fut très animé et très vif. Je vis plus tard que le peuple leur jeta des pierres pour les chasser de là : mais les pierres ne leur firent aucun mal et ils restèrent tranquillement assis à la même place jusqu'au lendemain matin. Les autres aussi s'étaient mis à parler et déjà plusieurs personnes leur montraient de la sympathie. Le lendemain, je vis sortir d'un grand édifice qui me fit l'effet d'une maison de ville, des gens qui vinrent leur adresser diverses questions : ils restèrent encore toute la journée sous le péristyle et s'entretinrent avec les passants qui se rassemblaient autour d'eux. Le troisième jour on les conduisit à cette maison devant le magistrat : je vis alors qu'on les sépara. Les hommes restèrent près du magistrat ; les femmes se rendirent dans une maison de la ville : on leur fit un bon accueil et on leur donna à manger. Je vis qu'ils prêchaient l'Evangile là où ils allèrent et que le magistrat fit notifier par toute la ville qu'on ne les maltraiter en rien. Je vis que bientôt beaucoup de personnes se firent baptiser : Lazare baptisa dans un grand bassin qui se trouvait sur la place, devant le temple, et le temple ne tarda pas à être fort délaissé. Je crois que le premier magistrat de la ville fut de ceux qui reçurent le baptême. Je vis aussi qu'ils ne restèrent pas longtemps réunis dans cette ville où Lazare continua à prêcher l'Évangile en qualité d'évêque.

Madeleine se sépara de tous les autres et se retira dans une solitude assez éloignée : elle y avait une grotte pour demeure.

Marthe se retira avec Marcelle et l'autre servante dans une contrée sauvage, couverte de rochers et située plus à l'est. Il y avait là plusieurs femmes qui s'étaient bâties de petites cabanes adossées à des cavernes. Elle y reçut d'elles un très bon accueil et dans la suite il s'établit là un couvent.

J'ai vu aussi où étaient allés les hommes qui étaient avec Lazare, mais je l'ai oublié. J'ai vu plusieurs fois Madeleine aller à moitié chemin de sa retraite à la rencontre de l'un d'eux (c'était je crois, Maximin), qui lui donnait la sainte communion. Marcelle avait été au service de Madeleine pendant qu'elle menait encore une vie mondaine. Les femmes auxquelles Marthe se joignit étaient, comme elle, des personnes bannies de leur pays.

Le troisième des hommes qui étaient venus avec Madeleine s'appelait Chelitonius : c'était l'aveugle né guéri par Jésus ; Il était resté constamment avec les disciples, une vision touchant sa guérison m'a fait savoir qui il était. J'entendis prononcer son nom.

Je vis sainte Marthe lorsqu'elle eut quitté Massilia : accompagnée de Marcelle, de l'autre servante et de quelques femmes qui s'étaient attachées à elles, elle était arrivée dans une contrée sauvage, d'un accès difficile, où plusieurs femmes païennes habitaient des cabanes adossées aux autres des rochers. C'étaient des captives que les gens du pays avaient enlevées pendant une guerre et qu'ils avaient établies là : elles étaient soumises à une surveillance particulière. Marthe et ses compagnes s'établirent dans leur voisinage : elles se construisirent d'abord de petites cabanes près des leurs : plus tard elles bâtirent un couvent et une église. L'église, au commencement, n'avait que les quatre murs avec une toiture en branches tressées recouvertes de gazon : toutes y travaillèrent. Elles convertirent d'abord les captives dont quelques-unes s'adjoignirent à elles : d'autres au contraire leur donnèrent beaucoup de chagrins et par des dénonciations perfides attirèrent sur elles des persécutions de toute espèce de la part des habitants du pays.
Il y avait dans le voisinage une ville qui s'appelait Aquae à ce que je crois. Il semblait >- avoir là des sources d'eau chaude, car on voyait de ce côté s'élever continuellement des masses de vapeur.

Note : Aquae Sextia, aujourd'hui Aix.

J'ai vu Marthe près d'un fleuve très large, faire périr un monstre qui se tenait dans ce fleuve et qui faisait beaucoup de ravages. Il renversait les barques ; souvent aussi il venait à terre et dévorait des hommes et du bétail. C'était comme un porc d'une grandeur démesurée : il avait une tête énorme, des pattes très courtes, semblables à celles d'une tortue, la partie inférieure du corps comme celle d'un poisson, et des ailes membraneuses garnies de griffes. Marthe le rencontra dans un bois sur le bord du fleuve, comme il venait de dévorer un homme. Il y avait plusieurs personnes avec elle. Elle dompta le monstre en lui jetant sa ceinture autour du cou au nom de Jésus, puis elle l'étrangla. Le peuple l'acheva à coups de pierres et d'épieux. Je la vis souvent prêcher l'Évangile devant un nombreux auditoire, soit en plein champ, soit au bord du fleuve. Elle avait coutume alors, avec l'aide de ses compagnes, d'élever avec des pierres une espèce de tertre sur lequel elle montait. Elles disposaient ces pierres en forme de degrés : l'intérieur était creux comme un caveau : elles plaçaient en haut une large pierre sur laquelle Marthe se tenait. Elle faisait ce travail mieux qu'un maçon de profession, grâce à son activité et à son adresse extraordinaire.

Je la vis un jour prêcher au bord du fleuve du haut d'un de ces amas de pierres : un jeune homme qui était sur l'autre rive voulut traverser la rivière à la nage pour venir l'entendre : mais le courant l'emporta et il se noya. J'eus alors une vision où je vis les gens du pays lui adresser force injures à ce sujet et lui reprocher en outre d'avoir converti à sa foi les femmes esclaves. Je vis aussi le père du jeune homme noyé retrouver son corps le lendemain, l'apporter devant Marthe en présence d'une foule nombreuse et lui dire qu'il croirait à son Dieu si elle rendait la vie à son fils. Je vis alors Marthe lui ordonner au nom de Jésus de revenir à la vie : il ressuscita en effet et se fit chrétien ainsi que son père et plusieurs autres : toutefois il y eut des gens qui traitèrent Marthe de magicienne et la persécutèrent. Je vis aussi qu'un de ceux qui étaient venus de la Palestine avec elle (c'était je crois, le disciple Maximin), s'était établi dans le voisinage : il visitait Marthe en qualité de prêtre et lui donnait la sainte communion. Marthe travailla beaucoup à propager l'Evangile et opéra un très grand nombre de conversions.

Madeleine était plus à l'ouest dans une grotte presque inaccessible et elle faisait une rude pénitence. Lazare était encore à Marseille. J'ai vu que Madeleine mourut peu de temps avant Marthe. Sa grotte était dans une montagne sauvage dont les sommets faisaient de loin l'effet de deux tours penchées. Cette grotte s'appuyait sur des piliers formés par la nature et il y avait dans les parois des trous où l'on pouvait placer divers objets. Il s'y trouvait un autel de gazon surmonté d'une grande croix formée naturellement par des branches qui avaient poussé là. Il n'y avait pas d'image du Sauveur : une couronne était suspendue au milieu. La couche de Madeleine n'était pas dans la grotte, mais à coté dans une paroi de rocher ou elle l'avait taillée elle-même. C'était comme un tombeau pratiqué dans la montagne et on pouvait la fermer avec une porte en clayonnage. Elle n'était pas facile à trouver.

Je vis Madeleine étendue sur cette couche après sa mort. Elle était couverte d'un vêtement de feuilles et portait sur la tête une sorte de bonnet fait aussi avec des feuilles. Ses cheveux étaient roulés autour de sa tête une partie seulement retombait sur le derrière du cou. Elle était couchée s~ le des et tenait une croix entre ses bras qui étaient croisés sur sa poitrine. Elle n'était pas maigre, elle avait plutôt de l'embonpoint, seulement sa peau était brunie et durcie par les intempéries de l'air. Il y avait par terre auprès d'elle deux petits plats d'argile fort propres. La porte qui fermait la couche avait été retirée. Je vis arriver deux ermites portant des bâtons entre lesquels une grande couverture était assujettie avec des cordes. Ils enveloppèrent décemment le corps et le portèrent assez loin delà au couvent de sainte Marthe. Madeleine avait encore une couverture de couleur brune.

Anne Catherine raconta en outre qu'elle avait vu une église bâtie par Maximin conservait des reliques de Madeleine : sa tête à laquelle il manquait une mâchoire et où il restait encore un peu de chair d'un côté, un de ses bras, des cheveux et aussi un vase avec de la terre : mais elle ne savait pas ce que c'était que cette terre. Elle avait vu d'autres endroits où il y avait de ses reliques.
Madeleine aussi a dompté un dragon qui s'était placé devant sa grotte comme s'il eut voulu y entrer. J'ai vu souvent des dragons. Ils sont autrement conformés que les lézards ailés ou les crocodiles leur corps est plus arrondi : il a une croupe recourbée et quelque ressemblance avec celui du cheval. Ils ont le cou épais, sans être court, la tête large et longue ; leur gueule est effrayante, et s'agrandit beaucoup lorsqu'elle s'ouvre, car elle est garnie des deux côtés d'une large peau plissée et pendante. A la jonction des épaules et de la poitrine sont attachées des ailes membraneuses semblables à celles de la chauve-souris. Leurs jambes ne sont pas plus grosses qu'une jambe de vache : la partie supérieure en est courte : ils ont de longues griffes et une longue queue. Lorsqu'ils volent ils replient leurs pieds de devant sous le ventre et étendent les pieds de derrière. Ils volent ordinairement droit devant eux : je les ai vus pourtant s'enlever par-dessus de grandes forêts de cèdres.

Ces animaux ont quelque chose d'affreux, de diabolique. Je ne les ai jamais vus en grand nombre : je n'ai pas vu non plus de nids où ils eussent leurs petits. Je ne les ai vus que dans des contrées tout à fait sauvages et désertes, au milieu de rochers affreux et dans de grandes cavernes ; quelquefois aussi au pied de vieux arbres ou au bord de fleuves et de lacs solitaires. Les plus grands que j'aie vus avaient la grosseur d'un poulain : d'autres celle d'un porc. Ils n'attaquaient que les hommes isolés. Je vis souvent sortir de leur gosier comme un trait de feu qui tombant à terre se changeait en une noire vapeur.

Dans les temps anciens, surtout avant Jésus-Christ, le règne animal produisait parfois des êtres différents de ceux que nous connaissons. Dans les temps plus rapprochés de nous, je n'en ai vu aucun.

SAINTE VERONIQUE
4 février 1821

Le nom de Véronique était Séraphia. Elle était fille d'un frère de Zacharie d'Hébron. Elle avait en outre des rapports de parenté avec le vieux Siméon et connaissait les fils de celui-ci, lesquels tenaient de leur père une inclination pour le Messie qui restait toujours un secret entre eux. Véronique n'était plus une enfant lorsque Jésus, à l'âge de douze ans, resta dans le temple à Jérusalem : toutefois elle n'était pas encore mariée. Les parents de l'enfant Jésus le cherchèrent pendant deux jours parmi leurs proches et leurs amis : il était resté à Jérusalem avec quatre jeunes gens plus âgés que lui, et quand il n'était pas au temple, il se tenait dans cette maison située devant la porte de Bethléhem, où Marie, avant la purification, avait passé avec lui un jour et deux nuits chez de vieilles gens. Je vis Véronique lui faire porter là à manger. Cette petite hôtellerie était une espèce de fondation : elle se trouvait à l'est de la montagne des Oliviers. Jésus et les disciples y trouvaient souvent un asile. Je vis que Jésus, lorsqu'il enseigna dans le temple pendant les jours qui précédèrent sa Passion, y fut souvent nourri en secret par Véronique : cette maison était habitée par d'autres personnes.

Le mari de Véronique s'appelait Sirach et descendait de la chaste Suzanne. Au commencement il était opposé aux chrétiens et enfermait souvent Véronique lorsqu'il s'apercevait des soins qu'elle se donnait pour leur venir en aide. Ils avaient trois enfants dont deux furent du nombre des disciples. Sirach fut converti par Joseph d'Arimathie.

Quant au saint suaire, j'ai vu que c'était un de ces linges comme on en portait autour du cou et comme on en avait souvent un second sur les épaules. Véronique en avait un sur les épaules lorsque Jésus passa portant sa croix. On présentait un de ces linges à quelqu'un pour lui témoigner sa sympathie, la part qu'on prenait à son affliction. Lorsque Véronique vit le Seigneur si défiguré et sa face ensanglantée, elle courut à lui en toute hâte et lui essuya je visage qui s'imprima sur un côté du linge avec les marques sanglantes des plaies qui couvraient son front et tout son visage. Véronique n'est jamais allée à Rome. Le suaire resta en la possession des saintes femmes ; lorsque Marthe et Madeleine furent bannies de la Palestine, il passa e litre les mains de la mère de Dieu, puis il fut porté à Rome par les apôtres. Pendant cette persécution qu'eurent a subir Lazare et ses soeurs, Véronique qui était une grande femme de belle apparence, eut aussi beaucoup à souffrir. Ils prirent la fuite, mais on se saisit d'eux, et Véronique mourut de faim en prison.

SAINTE THECLE.

22-23 septembre 1820 et 23 septembre 1821 .

Lorsque je reçus hier la relique de Sainte Thècle, je vis la sainte descendre d'en haut vers moi : elle était comme revêtue de lumière et portait à la main une branche couverte de fleurs d'un blanc jaunâtre qui étaient fermées. Elle me dit en montrant la relique : " C'est une parcelle de mes ossements ". Je vis après cela jusqu'au soir diverses scènes de sa vie, et ce matin tout son martyre me fut montré dans une vision qui dura à peu près une heure.

Je vis d'abord Thècle dans la maison de ses parents à Iconium : elle était de taille moyenne, ses cheveux étaient bruns. Son visage était grave et beau : elle n'avait pas le teint fleuri, mais brun. Son front et son nez formaient presqu'une ligne droite. Elle avait dans toute sa personne quelque chose de pieux et de grave et portait une longue robe de laine blanche avec une large ceinture dont les extrémités étaient courtes par devant : cette robe était relevée par endroits et formait des plis nombreux. Ses manches étaient larges et attachées avec des rubans cannelés au milieu et garnis de perles sur les bords. Ses cheveux partagés en trois parties et entremêlés d'une étoffe transparente qui brillait comme de l'argent, étaient masses à droite, a gauche et sur le derrière de la tête.

Je la vis d'abord dans la maison de ses parents avec son père, sa mère et son fiance qui était un grand homme de très bonnes manières. Elle avait avec lui les façons les plus amicales. La maison était comme celles de l'ancien temps, bâtie autour d'une cour avec des galeries soutenues par des colonnes. Devant la maison il y avait encore une autre cour entourée d'un mur au haut duquel était une terrasse avec une balustrade à hauteur d'appui. Au-dessus de cette terrasse étaient tendues des tapisseries pour préserver du soleil.

Paul était à Iconium avec un disciple : ce n'était pas Barnabé, autant que je m'en souviens. Il y avait dans la ville une synagogue : mais Paul enseignait aussi publiquement dans des maisons où il avait des amis et même au dehors. Ce fut ainsi qu'il prêcha sur une extrade à l'entrée d'une maison qui faisait face à celle de Thècle. Il avait un nombreux auditoire parmi lequel se trouvaient des jeunes filles. Il enseigna sur le mariage et dit entre autres choses : " Celui qui se marie ne pèche pas, mais celui qui ne se marie pas, fait mieux ; etc ". Thècle était assise sur la terrasse et elle entendit ces paroles de l'autre côté de la rue. Les jeunes filles de la ville venaient souvent s'asseoir ainsi sur leurs terrasses, parées de toute espèce d'atours, innocemment ou à mauvaise intention. Thècle fut très émue des paroles de l'apôtre. Après ce discours, Paul fut mis en prison.

Je vis qu'on préparait les présents de noces de Thècle, qu'un envoyé de son fiance la visita et qu'elle renonça à lui. Je la vis une fois seule dans sa chambre : elle avait un rouleau d'écritures de l'épaisseur du doigt dans lequel elle lisait : c'était un écrit de Paul dans lequel il était question du mariage et de la virginité. Cette lecture l'émut beaucoup. Elle joignit les mains et pria, prit sur sa poitrine un bijou qu'elle avait reçu de son fiancé, puis en prit un autre sur son épaule droite ou à son oreille c'était comme une pierre blanche avec un petit orne ment dessus. Elle mit tout cela dans une cassette où étaient renfermés plusieurs autres joyaux. Vers le soir je la vis, ayant sur le bras un voile de couleur sombre, quitter la maison et aller dans la ville à la recherche de quelqu'un. Elle rencontra un homme qu'elle connaissait, auquel elle remit ses bijoux. Lorsqu'elle fut de retour chez elle, cet homme vint lui apporter de petites plaques de métal carrées. Je la vis, accompagnée d'un serviteur, se glisser dans l'obscurité jusqu'à la prison de Paul. Elle avait la tête enveloppée d'un voile brun ; elle longea des murs épais et passa sous des arcades. Il y avait là des gardes auxquels elle ne parla pas : mais elle rencontra un homme qui semblait être le geôlier en chef et auquel elle donna de l'argent. Je vis celui-ci prendre une lampe et conduire Thècle dans la prison : il resta sur le seuil de la porte pour l'éclairer. Saint Paul n'était pas enchaîné : il était enveloppé dans un grand manteau. La prison était spacieuse : Paul avait près de lui des rouleaux d'écritures. Thècle s'entretint avec lui, lui exposa sa situation et les pensées qui l'agitaient. L'apôtre lui donna plusieurs explications : puis elle s'agenouilla et il la baptisa avec l'eau d'un flacon qu'il portait dans les plis de sa robe. Alors une lumière descendit d'en haut et les environna tous les deux. Le geôlier vit cela, et plus tard lui aussi se fit chrétien. Je vis Thècle quitter la prison et rentrer chez elle : j'eus alors des visions où je la vis renoncer à toute espèce de parure, se voiler entièrement et déclarer à ses parents et à son fiancé qu'elle était chrétienne et voulait rester vierge. Je vis là-dessus sa mère hors d'elle-même : Thècle fut conduite dans la maison d'une femme qui devait, à ce qu'on espérait, la faire changer de sentiment, mais elle n'y réussit pas Cette femme s'appelait Tryphène Je vis ensuite Thècle traduite devant le tribunal comme chrétienne sur l'accusation de sa Propre mère, puis interrogée, condamnée, jetée en prison et enfin conduite au lieu du supplice. On l'avait dépouillée de tous ses vêtements. mais un nuage vint l'entourer et lui servir de voile : on la fit passer au milieu d'un cercle de valets de bourreaux qui la frappèrent à coups de verges jusqu'à ce qu'elle tombât par terre. Je la vis plus tard attachée à un poteau et déchirée avec des ongles de fer : ses longs cheveux pendaient autour de son corps ensanglanté. On alluma un bûcher : quand on l'eût détachée du poteau, elle y sauta d'elle-même et resta les bras étendus au milieu des flammes qui l'environnaient sans lui faire de mal et qui bientôt s'éloignèrent d'elle. Puis la pluie se mit à tomber si abondamment que tout le monde s'enfuit du lieu du supplice et que le feu s'éteignit. Thècle pouvait s'enfuir : elle n'en fit rien et se laissa ramener en prison. Beaucoup de gens se convertirent. Je la vis priant la nuit dans son cachot : je Vis aussi saint Paul lui apparaître, la consoler et guérir toutes ses blessures. Paul alors n'était plus prisonnier : on avait écrit à Rome, je crois, à son sujet et il avait été mis en liberté.

Je vis de nouveau conduire Thècle de la prison au tribunal et de là dans une enceinte circulaire où elle devait combattre contre les bêtes féroces. On la dépouilla encore de ses vêtements et sa pudeur fut encore protégée miraculeusement. On attacha à ses côtés avec des chaînes un ours et une lionne. Elle avait une chaîne de chaque côté du corps et une à chaque bras, et ces quatre chaînes retenaient près d'elle les deux bêtes féroces. Une secousse violente qu'elles lui donnèrent la fit tomber a la renverse. Alors la lionne brisa les chaînes sans faire aucun mal à la sainte : elle marcha dessus et passa sa tête au-dessous en sorte qu'elles se rompirent. L'ours était assis à quelque distance, plein de rage, mais intimidé : la lionne se jeta sur lui et l'étrangla, puis, comme un chien caressant, elle revint à Thècle qui s'était débarrassée de ses chaînes et se mit à lui lécher les pieds, pendant que la sainte la dressait et lui passait la main sur la tête et même dans la gueule. Tout le peuple cria au miracle, le juge déclara qu'il ne ferait plus rien contre elle et se convertit.

Mais d'autres conduisirent Thècle couverte d'une souquenille brune dans le voisinage d'un cours d'eau. Il y avait là une profonde citerne revêtue en maçonnerie au fond de laquelle il y avait de la vase toute remplie d'affreux serpents. Les valets du bourreau s'étant saisis de la sainte pour l'y précipiter la tête la première, elle s'échappa de leurs mains, fit le signe de la croix sur la citerne et sauta dedans : mais les serpents se retirèrent devant elle et se serrèrent contre les parois. Alors les bourreaux ouvrirent une écluse et la citerne se remplit de l'eau de la rivière voisine ; mais Thècle s'éleva avec l'eau sans quitter la position verticale et n'en ayant que jusqu'à mi-corps. Les serpents de leur côté grimpèrent contre les parois sans se rapprocher d'elle et l'on fut obligé d'arrêter l'eau, car autrement ils seraient sortis et se seraient jetés sur le peuple. La pieuse vierge qui n'avait eu aucun mal rendit grâce à Dieu : on la retira de là et il y eut beaucoup de conversions. Elle fut alors ramenée chez Tryphène qui se convertit, elle aussi.

Comme après tout cela beaucoup de personnes et surtout de jeunes filles venaient se joindre à Thècle, on la bannit de la ville et je la vis parmi des rochers dans une grotte couverte de gazon. Plusieurs femmes et jeunes filles l'avaient suivie. Elle était tout enveloppée dans un vêtement de couleur brune : elle avait sur la tête un capuchon qui lui couvrait le cou et la poitrine et qui faisait des plis quand elle tournait la tête. La grotte était dans un lieu très retiré. Je la vis errer dans les environs et mendier sa subsistance. Elle instruisait les gens du voisinage sans faire d'éclat, priait auprès des malades et les guérissait par l'imposition des mains. Elle faisait tout cela très simplement et sans s'attribuer aucune autorité, mais comme une personne pieuse favorisée de grands dons sur naturels. Plus tard je la vis à Séleucie chez cette même Tryphène dont il a déjà été parlé. Elle partit de la pour aller rejoindre saint Paul et elle fit des prédications ; mais il la renvoya, disant que cela n'était pas convenable. Une fois pourtant il lui fit une visite.

23-24 septembre.-- Je vis cette nuit sainte Thècle avec environ sept autres femmes et jeunes filles établie près de Séleucie dans un ermitage très bien arrangé. Plusieurs cellules très propres avaient été pratiquées dans des rochers formant une enceinte semi-circulaire. Au milieu de cette enceinte était une colonne hexagone ou octogone soutenant un toit qui abritait tout l'espace compris entre la colonne et les cellules : il était couvert de gazon et de verdure. La partie antérieure était fermée par des arbres et des rochers : il y avait des deux côtés une entrée étroite. Le toit s'appuyait sur ces arbres et s'engageait dans leurs branches. La lumière arrivait dans l'enceinte couverte et dans les cellules par des ouvertures pratiquées dans le haut du toit. Tout cet ensemble avait beaucoup de grâce, d'élégance et de distinction. Les cellules étaient taillées dans des roches veinées de diverses couleurs : il y avait dans chacune un banc recouvert de mousse sur lequel ces femmes dormaient : on y avait aussi pratiqué des niches où se trouvaient des croix de bois ayant cette forme \I/ : quelques-unes portaient une image du Christ qui semblait découpée dans du parchemin ; sur d'autres c'était une image faite à l'aiguille ressemblant un peu à une poupée. Ces niches se fermaient au moyen de trappes, qui en s'abaissant, présentaient une petite table devant l'image. Je vis en outre chez les habitantes de l'ermitage des verges et des cordes de crin dont elles se servaient pour se mortifier. Je vis des petits plats bruns qui semblaient façonnes avec de la terre, mais pas de foyers pour faire du feu : je crois qu'elles ne mangeaient que des fruits et des aliments crus. Les portes des cellules étaient en clayonnage. Il y avait une source devant l'ermitage. Autour de la colonne centrale régnait un ressaut formant une espèce d'autel : elle était entièrement revêtue de tapis sur lesquels étaient brodées à l'aiguille des figures d'un travail fort simple, représentant entre autres certains apôtres et la sainte Vierge. Il me parut aussi qu'il y avait à l'intérieur de cette colonne comme une espèce d'armoire : je ne me rappelle plus ce qu'on y renfermait. Thècle et ses compagnes priaient ensemble autour de cette colonne. Une de leurs occupations était de tresser des couvertures.

Je vis Thècle, qui n'avait que dix-sept ans à l'époque de son martyre, couchée ici sur son lit de mort à l'âge de quarante. Ses compagnes étaient agenouillées autour d'elle et un prêtre, qui me parut aussi être un anachorète, lui donna la communion. Il portait la sainte Eucharistie dans une boîte oblongue de forme quadrangulaire, laquelle s'ouvrait à moitié. C'était un morceau de pain de forme ovale enveloppé dans un linge. Le prêtre avait une longue barbe et le corps ceint d'une corde. Thècle ne mourut pas tout de suite ; avant d'expirer elle resta longtemps encore étendue sur sa couche, silencieuse et immobile comme la sainte Vierge Marie au moment de sa mort. Plus tard j'eus une vision touchant ses funérailles. Ses compagnes l'enveloppèrent entièrement avec des bandelettes, comme on le faisait pour les morts dans ce pays. On la coucha sur une planche et celle-ci fut placée sur une autre qui était garnie de poignées pour l'aider à la porter. On déposa ensuite le corps dans une grotte sépulcrale où plusieurs autres reposaient déjà. Je crois que par la suite on bâtit là une chapelle.

Je me souviens encore que, me trouvant dans une chapelle près de son tombeau, la sainte m'apparut, me revêtit d'un vêtement blanc et me mit notamment sur la tête une coiffe blanche, très belle quoique fort simple et semblable à un capuchon qui recouvrait aussi la poitrine : elle était élégamment plissée et cachait presque entièrement je visage. J'ai oublié pourquoi Thècle m'habillait ainsi, mais je crois qu'il s'agissait d'une mission que je devais remplir quelque part dans ce costume pour n'être pas reconnue.

La pieuse Anne Catherine avait vu toute la vie de sainte Thècle, mais elle ne put communiquer que ce qui précède. Il lui fut dit encore que sainte Thècle, en qualité de première martyre, avait été comparée à la sainte Vierge par des Pères de l'Eglise.

L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX PAR SAINTE HELENE
2 mai 1820.

J'ai vu souvent cette scène dans le cours de ma vie, spécialement dans ma jeunesse : je voyais à cette occasion tous les lieux et tous les chemins avec les changements qu'ils avaient subis : mais je ne m'en rappelle plus que peu de chose. J'étais alors tellement occupée du chemin sacré de la croix et du saint Sépulcre que, par un effet de la bonté de Dieu, je les voyais habituellement dans le plus grand détail. Le jardin du saint Sépulcre descendait en pente douce, à partir de l'éminence qui renfermait le caveau sépulcral. Je vis un jour raser cette éminence et jeter dans le jardin la terre qu'on en avait retirée : tout fut comblé et obstrué par de nouvelles constructions. Cette nuit encore j'ai vu en vision tous ces saints lieux : la montagne du Calvaire et le tombeau avaient subi des changements qui les rendaient méconnaissables : beaucoup de chemins étaient encombres et coupés par d'autres. La montagne du Calvaire, autour de laquelle s'élevaient jadis d'autres collines entremêlées de sites agréables était notablement abaissée et la plate-forme qui la terminait très élargie. Je vis sur l'emplacement du saint Sépulcre un temple dans le haut duquel étaient pratiquées des ouvertures rondes. Les chemins qui conduisaient là n'étaient plus les mêmes : en quelques endroits les pentes douces étaient coupées à pic et l'on voyait du sable blanc et des pierres blanches. Il y avait aussi à l'entour de méchantes cabanes et des constructions élevées terminées en pointe. Je vis aujourd'hui tout cela au commencement de la vision : mais plus tard quand je vis Hélène faire faire des fouilles pour retrouver la croix, le temple était démoli. Je me souviens d'après une vision antérieure que lors de cette démolition je vis un vent d'orage déjouer la mauvaise volonté des ouvriers employés à ce travail, en balayant par-dessus leur tête d'énormes nuages de poussière et de débris et en déblayant ainsi ces saints lieux qu'ils auraient volontiers laissés enfouis sous les décombres.

J'ai aussi vu le saint Sépulcre dans d'autres circonstances très diverses : à une certaine époque il n'y avait au-dessus qu'une petite coupole ronde. Je le vis déjà en honneur lorsque l'entrée était encore comme dans le principe en face de la couche où avait reposé le corps. Plus tard je vis cette entrée murée : on y avait adossé une petite construction où étaient déposés des objets sacrés. Maintenant l'entrée n'est plus la même qu'autrefois : on entre du côté où reposait la tête de Notre Seigneur.

Cette nuit, hier au soir et même déjà dans la journée, je vis une grande femme d'un port majestueux, très verte encore quoiqu'avancée en âge, et portant sur la tête un voile qui recouvrait une petite couronne, visiter les unes après les autres, comme pour y faire des recherches, de misérables habitations et des caves obscures attenantes au mur d'enceinte de Jérusalem. Je vis aussi un vieux Juif à longue barbe, petit et maigre, tout enveloppé dans une fourrure parsemée de longues queues d'animaux, se glisser successivement de l'une de ces maisons dans l'autre pour échapper aux recherches de cette femme. Je la vis une autre fois convoquer toute une assemblée de Juifs. J'eus encore, au milieu des tourments de cette nuit sans sommeil, une vision où je vis cette même femme, accompagnée du vieux Juif et de deux hommes qui portaient un instrument à forer de très grande dimension, se rendre au lieu où était enfouie la sainte croix. Le temple paien était déjà démoli. Le vieux Juif ne savait pas bien exactement où il fallait fouiller : on sonda d'abord en décrivant un cercle, et puis en se rapprochant de plus en plus du centre jusqu'au moment où l'instrument donna une indication dont je ne me souviens plus. Ce fut là qu'on commença les fouilles. Je vis l'impératrice Hélène lorsqu'elle arriva à cet endroit, déposer sa couronne et laisser flotter ses cheveux : elle retira aussi quelque chose de son cou et de sa poitrine, ôta sa chaussure et déposa tout cela sur une pierre blanche très propre qui se trouvait là. Il leur fallut creuser profondément avant de rien rencontrer. Ils trouvèrent d'abord la croix d'un des larrons, puis à peu de distance la croix de Jésus-Christ, puis enfin une autre croix. Je n'ai jamais pu comprendre qu'on raconte qu'ils ne purent pas distinguer la sainte croix des deux autres, car j'y ai toujours vu une grande différence Les croix des larrons étaient faites de pièces de bois rondes : les traverses étaient assujetties par un coin en bois qui faisait saillie. La croix du Christ, au contraire, était faite d'une pièce de bois régulièrement équarrie, et qui avait un peu plus de largeur que d'épaisseur : on y avait ajusté des bras qui s'élevaient obliquement en forme d'y. Il y avait en outre une planchette pour les pieds, fixée par un gros clou qui était je crois rivé par derrière. Lors de l'invention de la croix, je vis cette planchette retournée. Ils dressèrent la sainte croix et Hélène l'embrassa. Je vis qu'ils démontèrent les deux autres croix, et les laissèrent là comme du bois mutile : je me disais alors dans ma simplicité qu'ils auraient bien du conserver celle du bon larron. Je ne me souviens pas d'avoir vu trouver aujourd'hui l'écriteau ni les clous : mais cette vision a été interrompue par trop de souffrances pour que j'aie pu tout remarquer. Ce dont je me souviens encore, c'est que le peuple accourut en foule et qu'on plaça sur le chemin des soldats chargés de maintenir l'ordre. Je vis aussi transporter la croix en grande pompe : on amena sur son passage des boiteux et des malades qu'on soutenait sous les bras ou qu'on portait sur des civières, ils furent guéris par son attouchement. Je crois qu'on a considéré ces miracles comme servant à constater que c'était bien la vraie croix, mais non comme un moyen de la distinguer des deux autres.

Le 18 août 1820, jour de la fête de sainte Hélène, Anne-Catherine eut la vision qui suit :

Je vis beaucoup de choses touchant cette sainte impératrice : Je raconterai ce dont je me souviens encore. Je la vis dans la ville principale d'une contrée assez déserte où il n'y avait pas beaucoup d'autres villes : : elle habitait une maison bâtie en pierre, mais fort simple : son père s'appelai Cléol ou Cloel : je crois que le pays en question était la Dacie. Je vis que l'empereur Constance, étant en voyage, passa par là et logea dans un palais peu éloigné de la maison d'Hélène. Il vit Hélène qui était belle, intelligente et de manières agréables. Il alla chez elle plusieurs fois et elle consentit à l'épouser avec l'agrément de son père. Il la quitta bientôt, lui laissant beaucoup d'argent et de bijoux. Je vis qu'alors elle s établit dans une maison de plus d'apparence, mena une vie conforme à son rang mit au monde un fils qui reçut le nom de Constantin. Je vis que, quand cet enfant eut deux ans, on le conduisit a une cour où il devait être élève. Hélène et ses parents continuèrent à vivre dans l'abondance. Mais elle resta dans son pays et n'alla pas rejoindre son mari qui venait quelquefois la voir. Je vis qu'elle avait de l'aversion pour l'idolâtrie et qu'elle frayait beaucoup avec des Juifs : elle croyait que ce peuple pour lequel Dieu avait tant fait devait être le premier peuple du monde. J'eus des visions où je vis que Constance était un homme excellent et qu'il traitait avec bonté ; les chrétiens eux-mêmes. Il était grand, il avait de l'embonpoint et le visage très pâle. Il semblait exercer l'autorité suprême dans le pays d'Hélène.

Je vis ensuite comment Constantin devint empereur après la mort de son père et comment il alla à Rome après sa seconde campagne. Il y embrassa le Christianisme et il fit venir sa mère près de lui. Par suite de plusieurs apparitions il avait une grande confiance dans le signe de la sainte croix et il le faisait porter avec de grands honneurs devant son armée comme un étendard mais il agissait ainsi par pure superstition, comme font bien des gens de notre temps qui portent des amulettes sans être pieux. Il croyait que ce signe avait une vertu : il n'avait du reste que des idées grossières sur le Christ qu'il regardait comme un Dieu semblable aux autres dieux. Aussi, quoique souvent bien intentionné, il faisait beaucoup de mauvaises choses, persécutait souvent les chrétiens parce qu'on le trompait sur leur compte et il se contentait d'honorer la croix comme un signe de victoire qui portait bonheur. Le pape Sylvestre et beaucoup de prêtres s'enfuirent de Rome pour échapper a ses poursuites et se cachèrent dans les flancs d'une montagne. Il en fit tant que Dieu le châtia : il fut atteint de la lèpre et les prêtres des idoles lui dirent qu'il guérirait en se baignant dans du sang de petits enfants. Ce conseil lui avant fait horreur, il se fit amener le pape Sylvestre qui l'instruisit dans la religion chrétienne. Il fit pénitence pendant sept jours, et j'ai vu le pape Sylvestre lui donner le baptême. Il se plongea entièrement dans l'eau et en sortit parfaitement guéri. voyant alors ce que c'était que le christianisme, il envoya à sa mère par un homme de confiance une lettre ou il lui disait qu'il avait été guéri en se faisant chrétien et où il l'engageait à venir le joindre et à se faire chrétienne. Or Hélène, sa mère, connaissait fort peu le christianisme. Elle avait une certaine vénération pour le Messie ; on lui avait dit que le Fils de Dieu était venu dans le monde pour les Juifs, et c'est pourquoi elle les regardait comme un peuple d'élite et avait de fréquents rapports avec des Juifs instruits. Lorsqu'elle leur dit que l'empereur avait embrassé la religion chrétienne, ils accueillirent cette nouvelle par des exclamations bruyantes et furent saisis d'un grand effroi. Elle écrivit alors à son fils, que, voulant renoncer au paganisme, il aurait mieux fait d'embrasser la religion des Juifs. L'empereur ayant parlé de cela au pape, celui-ci l'engagea à faire venir sa mère à Rome avec des docteurs juifs et à assister à une conférence entre eux et lui. Constantin lui écrivit en ce sens : elle chercha partout des Juifs savants et vint à Rome avec les deux plus instruits qu'elle était pu trouver. La conférence eut lieu en présence de plusieurs autres Juifs et de deux philosophes païens choisis comme arbitres. Je vis Sylvestre réfuter victorieusement toutes les objections de ses adversaires : les deux Juifs se convertirent et je vis l'impératrice Hélène partir avec eux pour Jérusalem à la recherche de la sainte croix. Les deux convertis laissèrent croire qu'ils n'avaient pas changé de religion et ils obtinrent des Juifs de la ville les renseignements nécessaires sur l'emplacement du tombeau du Christ et du Calvaire. L'impératrice trouva au-dessus du saint Sépulcre un temple de Vénus orné de statues païennes ; l'idole d'Adonis avait été placée au haut de la montagne du Calvaire. Cependant les Juifs ne voulaient pas dire où était enfouie la croix du .Christ et ils renvoyaient ceux qui les interrogeaient à ce vieux Juif que j'ai vu à l'invention de la sainte croix. Je ne sais plus comment on finit par décider celui-ci à donner les renseignements qu'on voulait avoir. Lorsqu'on eut creusé à l'endroit désigné, on trouva les bras de la croix séparés de la pièce principale, mais ranges à côté : l'écriteau, sur lequel était cloué un parchemin portant l'inscription, était enfoui à quelque distance. Les trois clous étaient placés les uns à côté des autres, sur l'un des bras de la croix : celui qui avait traversé les pieds était long d'une palme et demie, les deux autres d'une palme seulement. Hélène envoya le grand clou à son fils. Je vis aussi déterrer les croix des larrons qui étaient plus grossièrement travaillées.

Le vieux Juif aussi devint chrétien et grand zélateur de la croix : il portait toujours une croix figurée sur le côté droit de sa robe. Il est devenu plus tard évêque de Jérusalem. Je vis qu'Hélène se fit baptiser à Jérusalem. Je vis aussi qu'elle fit démolir les temples d'idoles élevés sur l'emplacement du saint Sépulcre. Au commencement les Juifs ne voulaient pas s'y employer sérieusement, mais il s'éleva un orage terrible, le vent balaya tous les décombres et renversa de fond en comble plusieurs habitations juives qui recouvraient tout le terrain d'alentour. Les Juifs furent saisis de terreur et ils se mirent au travail avec une ardeur incroyable. L'entrée primitive du saint Sépulcre était fermée. mais on y entra par un des côtés : Hélène avait alors plus de cinquante ans : c'était une grande et belle femme, pleine encore de vigueur et d'agilité. Je la vis plus tard occupée à faire bâtir là une grande église. Les chrétiens à cette époque avaient encore la leur sur la montagne de Sion à l'endroit où avait eu lieu l'institution de la sainte Eucharistie.