LIVRE DEUXIÈME

LE GRAND CHEMIN DE CROIX DE CATHERINE

 

Chapitre I

L'enquête ecclésiastique

Première partie du chemin de croix

 

 

Lors de sa première visite à Catherine le 22 mars 1813, le docteur Wesener avait tellement été frappé du caractère surnaturel, qui se dégageait de tout ce qui se passait en la personne de cette humble fille des champs, qu'il se crut obligé d'en faire part au curé de la ville, le doyen Rensing. Il engagea celui-ci à vérifier en présence des vicaires Lambert et Limberg ci du médecin Krauthausen la réalité de ces stigmates merveilleux, et d'en faire rapport à l'autorité ecclésiastique. Cette réunion eut lieu le même jour et l'acte signé par tous, mentionne ce qui suit : "Qu'il est admirable le Dieu des armées, notre Seigneur et notre Père tout-puissant, impénétrable dans ses intentions, incomparable dans ses oeuvres ! Il opère des miracles jour par jour et heure par heure ; mais ces décrets extraordinaires exigent doublement notre adoration et notre humble soumission. Pénétrés de cette conviction, les soussignés se rendirent aujourd'hui, lundi 22 mars 1813 chez la soeur Anna Katharina Emmerich, née à Flamsche près Coesfeld, actuellement locataire de la veuve Roters, rue de Münster à Dülmen. Pour le salut de nos âmes et celui de nos confrères, nous voulions nous convaincre, si Dieu nous permettait de voir ses merveilles extraordinaires."

Le procès-verbal énumère ensuite tous les stigmates de Catherine et atteste le serment de celle-ci, qu'elle n'avait pas reçu ces plaies d'une manière naturelle. L'examen étant terminé la malade dit au doyen Rensing : "L'affaire n'en restera pas là ; des docteurs viendront de Münster pour faire d'autres recherches. "

 

Le 25 mars, le doyen envoya le dit document ainsi qu'une notice détaillée sur la vie de l'ex-religieuse, au vicaire général du diocèse de Munster. Ce poste si important était alors occupé par Clément-Auguste, baron de Droste-Vischering, plus tard si célèbre comme archevêque de Cologne.

 

Déjà depuis 1802 le siège épiscopal de Munster était vacant ; le dernier prince-évêque Maximilien-François archiduc d'Autriche, était mort en 1801, et son successeur quoiqu'élu, ne prit point possession de son siège, car sa principauté fut occupée par la Prusse, le 3 août 1802, et fut reconnue à ce pays par le traité de Vienne en 1803. A la fin de 1806 les Français vinrent à Munster, et de 1807 à 1810 la ville et ses environs appartenaient au grand duc de Berg. Dülmen avait déjà été soumis au duc de Croy depuis plusieurs années (1803-1807). De 1810 à 1815 Munster fut incorporé à l'empire français pour revenir plus tard à la Prusse. Clément-Auguste (né en 1773) fut administrateur du diocèse de 1807 à 1821 (note).

 

Note - De 1827 à 1835 il fut évêque coadjuteur de Munster ; et en 1836 il devint archevêque de Cologne. Ce grand défenseur de l’Eglise fut emprisonné en 1837. Après avoir résigné son siège (1839) il passa le reste de sa vie à Munster. Il mourut en 1845.

 

En 1813, Napoléon voulut faire monter le doyen Spiegel sur le siège épiscopal sans la nomination du Pape, ce qui échoua devant la résistance du Chapitre. Enfin en 1821 le siège fut occupé canoniquement par le baron de Lüning, l'ancien abbé de Corvey.

 

Le vicaire général était ainsi à la tête d'un diocèse depuis longtemps soumis aux vicissitudes de la politique. Sa position était par là même très difficile et l'instruction de Dülmen lui vint très mal à propos. C'est en effet ce jour-là même, que Napoléon fit prévaloir ses principes antireligieux à Munster. Clément-Auguste, plus que tout autre, ressentit une douleur profonde à la vue de l'Eglise que l'esprit moqueur de son époque raillait et diffamait dans ses cérémonies les plus saintes et les plus solennelles. On ne peut donc s'étonner que sous l'impression de ces circonstances, la cause de Catherine lui parut importune, car elle était entièrement opposée à l'esprit du temps. Il prévoyait qu'une stigmatisation et des dons spirituels si extraordinaires donneraient sujet à de nouvelles invectives contre la foi de la port des ennemis de la religion. Lui-même il serait exposé aux inconvénients les plus graves s'il ne procédait ici avec précaution et prudence. Aussi dès le premier instant, le vicaire général se crut obligé d'entreprendre, touchant la personne en question, un examen rigoureux.

Mais ce fut là précisément l'intention de Dieu que de rendre publiques les souffrances de cette religieuse, pour l'édification et le bien spirituel d'un temps affadi et corrompu.

 

Ainsi donc les paroles que Catherine avait adressées au doyen Rensing s'accomplirent bientôt. Déjà le 28 mars -c'était le quatrième dimanche de Carême - le vicaire général vint à Dülmen pour commencer son enquête. Il était accompagné par Overberg, régent du séminaire et par le conseiller de médecine De Druffel. Clément-Auguste voulait à l'aide de ces deux experts soumettre la malade à un examen sévère, et dans le cas d'un doute quelconque, supprimer tout bruit pour empêcher une divulgation injurieuse pour l'Eglise. Mais il trouva le cas plus extraordinaire qu'il ne l'avait cru.

 

Les trois inquisiteurs ne se convainquirent pas seulement de la réalité des stigmates, des extases et des capacités merveilleuses de Catherine, mais encore de sa vertu personnelle. Sa conduite simple et ingénue, son regard extrêmement affable et candide, son empressement enfin à se soumettre à toutes leurs exigences, même les plus désagréables, les impressionnèrent fortement. Ils abandonnèrent tout soupçon possible d'hypocrisie et de fourberie. Une circonstance remarquable augmenta encore cette impression générale. Avant l'arrivée de De Druffel, la soeur Emmerich avait déclaré à Overberg qu'elle ne saurait recevoir chez elle le conseiller ; car, dit-elle, il est franc-maçon. Cette assertion consterna et Overberg et le vicaire général, qui tous deux n'avaient jamais soupçonné De Druffel d'appartenir à la franc-maçonnerie. Overberg néanmoins lui fit ouvertement part des paroles de la malade : le médecin, stupéfait de cette soudaine révélation, put se convaincre aussitôt des dispositions miraculeuses de la Providence à son égard. Il promit aussitôt d'abandonner la secte (note) et alors il fut reçu par Catherine.

 

note - Il a tenu cette promesse et abandonné la secte franc-maçonnique peu de temps après.

 

Elle devait donc obtenir encore à celui-ci, comme à Wesener, la grâce inestimable de chercher le salut et la paix au sein de l'Eglise catholique.

 

Ces trois hommes éminents à divers titres, étaient donc intimement persuadés de l'état surnaturel de cette vierge privilégiée. Cependant à cause des circonstances difficiles de l'époque, le vicaire général crut à la nécessité d'une enquête nouvelle : il voulait écarter ainsi de l'autorité ecclésiastique le soupçon de crédulité, de ménagement ou de manque de gravité : ce qui aurait prouvé une coupable négligence de son devoir, dans une affaire où la tromperie et l'imposture en définitive étaient possibles. Le vicaire général calculait qu'il aurait suffi à son devoir, lorsque cette enquête aurait établi d'une part, la vérité de ces phénomènes surnaturels et d'autre part le caractère probe et moral de Catherine. De quelle manière on voulait ensuite s'expliquer cette vérité bien établie et bien prouvée de l'existence réelle des stigmates en la personne de Catherine, cela restait abandonné à la réflexion de chacun. Ce raisonnement du vicaire général était très juste. Nous ne pouvons de même appeler que très sage sa manière d'agir, en traitant la malade en toute sévérité et sans le moindre égard pour ses douleurs incessantes. Il voulait aller au-devant de l'esprit du temps en démontrant la vérité à la face du monde entier.

Pour remplir cet office, il dut faire violence à son coeur, comme il l'écrivit au doyen Rensing. Il proposa lui-même la manière de procéder en ce nouvel examen, et assigna à chacun sa tâche spéciale.

 

Le conseiller De Druffel devait examiner les phénomènes corporels ; Krauthausen avait à la traiter en l'absence du Conseiller et à tenir un journal exact sur la malade, jusqu'à la tin clos discussions. L'observation du côté moral chez Catherine échut à Overberg ; le doyen Rensing fut déclaré observateur quotidien de tous les accidents extérieurs et intérieurs qui se produiraient ; et Catherine elle-même fut forcée par obéissance de se communiquer à lui. Son confesseur Limberg fut obligé de même à faire part à Rensing de ce qu'il remarquait en dehors du confessionnal. Rensing devait tenir un journal de ses observations. Ce dernier enfin était chargé en outre de demander des renseignements à toutes les personnes de Flamsche, de Coesfeld, du couvent, de Dülmen et autres qui avaient été en rapport quelconque avec la soeur Emmerich.

De cette manière, le vicaire général devait arriver à se procurer pour lui et pour les autres, un portrait fidèle et véridique de Catherine. Il avait d'ailleurs choisi pour conduire cette enquête tics hommes capables, éclairés, et propres en un mot à mener à bien la solution de ce problème.

 

Quant à De Druffel, qui commença de suite son inquisition en compagnie des deux médecins Wesener et Krauthausen, il était un professeur très érudit dans les sciences naturelles ; comme médecin il jouissait d'une grande renommée et l'on respectait partout son expérience et son jugement. Son caractère était celui d'un homme d'honneur qui rendait témoignage à la vérité sous tous les rapports.

D'accord avec ces deux collègues, il déclara que les plaies n'étaient point faites, ni ne pouvaient être entretenues artificiellement : en effet, elles existaient déjà depuis trois mois contre toute nature, sans inflammation ou suppuration aucune. Ils constatèrent ensuite que les saignements ne dépendaient luis de lois physiques, mais de jours et d'heures se rapportant aux fêtes ou aux cérémonies de l’Eglise. Le flux du sang était entièrement merveilleux. Le sang prenait dans chaque position de Catherine, le cours qu'il devait prendre dans le corps de notre Seigneur attaché à la croix ; même lorsque la malade tenait la tête couchée en arrière le sang coulait de la même façon : toujours il ruisselait du front sur le visage, de la paume des mains le long des bras, et des plaies des pieds vers les orteils. Les médecins déclarèrent au vicaire général, que d'après leur conviction, ces découvertes, ainsi que le caractère droit de Catherine, rendaient toute supposition d'imposture impossible et qu'une recherche détaillée serait inutile.

Mais on voulait poursuivre l'enquête jusqu'au bout. Krauthausen était chargé d'essayer la guérison des blessures par voie médicale. Il devait en outre forcer la malade à manger, car, depuis l'apparition des plaies, elle n'avait plus pris aucune nourriture.

 

Le premier avril Krauthausen lui mit des bandages aux mains et aux pieds, de sorte que les doigts et les orteils ne pouvaient se mouvoir librement. Comme d'ailleurs le moindre attouchement des blessures causait déjà des douleurs excessives, ce procédé causa à Catherine de terribles souffrances. Dès le premier soir, Catherine fondit en larmes amères arrachées par la douleur. Le doyen Rensing, touché de compassion, tâcha de la fortifier par la promesse que, le lendemain, deux prêtres offriraient pour elle le Saint Sacrifice, afin de lui obtenir de Dieu courage et persévérance. Après une très mauvaise nuit, les douleurs diminuèrent pour grandir le lendemain, et augmenter dès lors de jour en jour. Bien qu'accoutumée aux souffrances, Catherine succomba souvent à l'excès des tourments.

Elle passa dans ces tortures sept jours et sept nuits sans goûter le moindre repos. La veille du huitième jour, elle faillit désespérer, lorsque tout à coup le vicaire général se présenta avec Overberg et De Druffel, pour un second examen. On enleva les bandages. Les plaies avaient saigné beaucoup, mais on n'y vit aucun changement. Elles ne montraient ni inflammation, ni suppuration, mais nul indice non plus de guérison, preuve authentique qu'elles se soustrayaient à tout effet médical. Les tentatives réitérées pour forcer Catherine à prendre de la nourriture furent inutiles : elle ne supporte que de l'eau pure. La commission resta trois jours à Dülmen et à son départ, Krauthausen fut chargé de continuer son journal, et de faire encore des essais pour habituer Catherine à la nutrition.

 

Au bout de douze jours, le vicaire général et Overberg firent leur troisième visite ; le premier resta trois jours à Dülmen, tandis qu'Overberg y séjourna plus longtemps. Ils soumirent Catherine à une dernière et douloureuse épreuve : on voulait guérir une seule de ses plaies ; mais malgré l'emploi des médicaments, l'effet demeura nul et la blessure n'accusa aucune amélioration.

 

Le 26 avril, (l'enquête durait depuis quatre semaines), Krauthausen envoya son dernier bulletin au vicaire général. A la fin de ce document il dit: "En ma qualité d'ancien médecin des religieuses d'Agnetenberg, j'ai acquis une connaissance entière de soeur Catherine Emmerich. Jamais le soupçon de tromperie ne s'empara de moi, et c'est uniquement le respect envers l'autorité ecclésiastique qui m'a engagé à entreprendre rate consultation, et à dresser le journal des détails quotidiens. Mais il répugne autant à ma conviction sincère de l'innocence de Catherine, qu'à ma compassion naturelle, de la voir soumise plus longtemps aux ennuis d'une telle inquisition."

 

Le conseiller De Druffel avait déjà prononcé son jugement décisif en faveur de Catherine après la seconde visite. Vers la fin de l'année, il écrivit un compte rendu complet et véridique, de toutes ses observations concernant la malade. Il décrit les phénomènes si extraordinaires et si opposés à la nature qu'il avait remarqués en la personne de Catherine, et il repoussa mute intention malhonnête en elle. Il dit dans ce traité : "Dès sa jeunesse elle a été fort zélée pour la religion, sans connaître de don du Ciel plus désirable que la résignation à la volonté divine, surtout à l'heure de l'épreuve et de la détresse. C'est ainsi qu'elle tâcha de devenir semblable à notre Sauveur crucifié." De Druffel ne craignit pas de publier cet écrit sous sa signature dans le Salzburger medizinisch chirurgische Zeitung (année 1814 - Journal médico-chirurgique de Salzburg).

 

Wesener de même, resta fidèle à son assertion qu'il avait prononcée dès l'abord, en présence du vicaire général, et qui s’accorde avec celles des deux autres médecins. Lui aussi a écrit dans le même journal, sur les manifestations du surnaturel et du merveilleux en Catherine. Il dit entre autres choses

« Tous mes efforts pour découvrir de la fourberie ont échoué. En homme qui aime et cherche la vérité, j'affirme devant Dieu, la Vérité éternelle lui-même, que je suis persuadé de ce que j'atteste : j'ai trouvé dans cette malade un coeur candide, qui vit en paix avec soi-même et avec le monde entier, un coeur qui adore en tout la volonté de Dieu, et qui se croit le dernier parmi les humains. »

 

Apportons à côté de ces assertions scientifiques, une autorité protestante, celle du médecin Ruhfuss de Gildhaus. Il désira voir Catherine à l'époque où se faisait l'enquête, et après sa visite, cet homme, qui, une heure avant, avait encore ridiculisé la malade dans une auberge, avoua au doyen Rensing

"Ce que je viens de voir m'émerveille. Nulle fourberie ne se laisse supposer à l'aspect de cette figure si calme et si sereine, qui reflète tant de piété et tant de simplicité chrétienne. Pour le connaisseur enfin, tout doute tombe à l'inspection des blessures."

 

Overberg accomplit sa charge d'inquisiteur en trois visites, pour lesquelles il resta chaque fois plusieurs jours à Dülmen. Le choix d'Overberg pour cette mission ne pouvait être qu'excellent. Estimé hautement par tous ceux qui le connaissaient comme directeur de conscience, il savait poursuivre dans les âmes les voies secrètes de Dieu en elles. Catherine donna toute sa confiance à ce digne prêtre. Elle lui déclara dans leur premier entretien : "Je vous ai connu en esprit et je vous ai vu venir. " Ces paroles étaient bien propres à l'étonner. Mais plus il entretint des relations avec elle, plus il se sentit convaincu de la vérité de ses dons d'esprit, de ses privilèges et de sa haute destinée. Aussi, l'enquête terminée, alla-t-il souvent lui rendre visite ; jusqu'au dernier jour de la martyre, il demeura son ami, son bienfaiteur et surtout son conseiller spirituel. Ainsi ses notices sur Catherine embrassent toute la vie intérieure de celle-ci, et sont encore aujourd'hui les documents les plus précieux pour les biographes de Catherine Emmerich.

 

Le doyen Rensing à son tour, remplit avec une précision scrupuleuse ses visites quotidiennes auprès de la malade, pour être à même de donner un compte rendu complet de tous les événements. Jamais occasion n'a été plus favorable à pouvoir tracer un portrait fidèle de l'âme de Catherine, que cette époque de sa vie, où elle fut soumise à l'épreuve la plus dure d'obéissance et d'humilité, de patience et de résignation profonde. Le journal de Rensing qui repose dans les archives du vicariat épiscopal à Munster nous rapporte un grand nombre de faits et de renseignements précieux sur le haut degré des vertus de Catherine, et sur les voies miraculeuses que Dieu lui fit cuivre. Nous empruntons quelques-unes de ses notices pour nous former sur la malade, un jugement en rapport avec celui de son propre curé : "Son obéissance, dit Rensing, sa vénération envers l'autorité ecclésiastique étaient sans bornes.

Complaisante et serviable, elle se soumit à toutes nos dispositions quelque difficiles et quelque amères qu'elles aient été. Lorsque les douleurs de ses plaies devinrent excessives, son plus grand souci était de devenir désobéissante par faiblesse. Elle suppliait alors Dieu de lui donner la force nécessaire pour souffrir patiemment, et pour ne pas manquer de résignation et de docilité."

 

Le doyen était témoin continuel des douleurs insupportables que lui causaient ses blessures, surtout dans les commencements : chaque jour il remarqua une perte de sang abondante. Celui-ci coulait en raies du front sur les joues et teignait en rouge les croix imprimées sur la poitrine et même mouillait la robe de dessus. Lorsqu'il devint difficile à la piété du doyen, de persévérer auprès du lit de Catherine, et qu'il ressentit le désir de la quitter, ce furent les instances et le doux regard de la vierge qui le retenaient : sa présence et sa bénédiction la fortifiaient et la consolaient, comme elle l'a souvent avoué.

 

Elle ne montrait jamais la moindre impatience ni la moindre humeur ; au contraire ses traits affables accusaient toujours la plus profonde paix d'âme et le plus grand dévouement. Elle offrait à Dieu ses prières et ses mérites pour le retour des âmes égarées et en faveur de celles du purgatoire. Dans des visions touchantes, Jésus lui manifesta son amour immense pour les lécheurs et la désolation indicible des âmes des défunts.

 

Plus grande cependant que ses souffrances corporelles, était l'affliction de voir les regards du monde tournés vers elle à cause de ses plaies. Elle aurait préféré de beaucoup, l’humiliation et la honte d'être jugée et traitée comme coupable d'imposture, à la distinction singulière qui la mettait en évidence aux yeux du monde. C'est pourquoi, elle suppliait Dieu de lui enlever ses plaies et priait en même temps le doyen de ne plus admettre de spectateurs en sa présence. L'unique ambition de son coeur était une vie cachée et obscure, passée dans la prière et la souffrance secrètes, ignorée de tous.

Ce sont là des communications du journal de Rensing.

 

Pendant l'inquisition, le doyen put observer Catherine durant un Vendredi Saint ; il en rapporte ceci : "Les souffrances adoucies par la vertu de la sainte communion, reçue la veille, augmentèrent tellement le Jeudi Saint, qu'elle croyait en mourir. Toutes les plaies commencèrent à saigner vers onze heures du soir et le saignement n'avait pas diminué à ma première visite le matin à huit heures. La plaie du côté en particulier, avait donné tant de sang, que je frissonnai à l'aspect du linge qui en était abreuvé. « Le temps m'a paru bien long, me dit-elle, car j'ai médité d'heure en heure ce que notre Seigneur a souffert dans cette nuit. » Durant la semaine sainte, elle eut à subir sans interruption les peines les plus affreuses ; tous ses nerfs étaient endoloris jusqu'aux extrémités des doigts, et elle ne se sentit soulagée que dans la nuit de Pâques. Consolée par la méditation de la Résurrection, elle passa ce jour de fête dans une sainte allégresse. (C'était le 18 avril.)"

 

Le journal de Rensing nous rapporte encore un autre détail. Après avoir trouvé, à l'heure des premières vêpres de Catherine de Sienne (30 avril), les blessures toutes sanglantes, il continue comme suit : "J'allai la visiter vers trois heures de l’après-midi ; je fus tellement surpris de voir couler le sang si abondamment de sa tête et de ses mains, que je sus à peine remettre mes esprits. Un entretien que j'eus alors avec cette âme pure et humble, me fit pénétrer dans ses secrets, et me fit reconnaître comment Dieu l'avait guidée et protégée depuis son enfance. Je fus surpris et ému de découvrir des notions si justes, si sublimes et si pures de Dieu et des choses divines, dans une personne qui n'avait reçu qu'une éducation purement rudimentaire. Elle me raconta que la nuit précédente, Dieu lui avait demandé : « voulez-vous mourir, ou préférez-vous souffrir plus longtemps pour moi ? » Elle avait répliqué: « Si vous voulez, je veux souffrir davantage ; mais donnez-moi la grâce de me conformer toujours à votre sainte volonté. »

 

Voilà des assertions très propres à faire briller sous un jour favorable le caractère vertueux de Catherine devant l'autorité ecclésiastique.

 

La seconde charge d'accueillir les rapports de ceux qui avaient été en relation avec Catherine, fut exécutée par le doyen du 7 au 16 avril. Toutes les dépositions des témoins furent faites en faveur de la stigmatisée. A la demande de Rensing, le professeur Bertram Rickers, de Coesfeld, entendit les parents et les amis d'enfance et d'adolescence de Catherine, qui ne dirent également que du bien d'elle. Quant aux religieuses de Dülmen, nous savons qu'elles avaient méconnu et maltraité la soeur Emmerich ; c'est pourquoi leur témoignage a d'autant plus de valeur. La supérieure et six religieuses déclarèrent que Catherine avait été toujours aimable envers les autres ; ses rapports avec les Soeurs avaient été les plus humbles et les plus serviables. Résignée, patiente et affable dans la maladie, modeste et soumise en face de la médisance, elle était incapable de haïr. "Son obéissance, dit la supérieure, était toujours spontanée, parfaite et prompte."

 

Six semaines s'étaient écoulées depuis le commencement de l'enquête, lorsqu'Overberg put enfin terminer ses interrogatoires. Durant le même espace de temps, le doyen Rensing avait fait jour par jour ses annotations ; il les avait de même régulièrement transmises au vicaire général. Etant importuné par une multitude d'étrangers qui voulaient voir la malade, il désirait ardemment voir arriver la fin de l'enquête. Catherine aussi ne souhaitait pas moins la fin des discussions ; elle ne supportait que douloureusement l'humiliation de ces visites étrangères. Elle ressentit même une certaine crainte sur l'incertitude de retrouver jamais la paix et l'obscurité. Son esprit prévoyait le chemin de croix de l'avenir, encore plus long et plus pénible que celui du passé.

 

Le vicaire général néanmoins, ne voulait pas terminer le cours des inquisitions avant d'y avoir ajouté un acte important. Il voulait justifier la loyauté de Catherine en face du public ; à cette fin, il fit attester l'existence des apparitions miraculeuses (qu'il avait d'ailleurs découvertes lui-même) par une commission représentative et officielle. Elle se composa de vingt citoyens honorables de Dülmen. Après une discussion de plusieurs semaines, il vint enfin le 3 juin et fit surveiller Catherine par cette commission durant dix jours. Du 9 au 19 juin, les membres du comité élu surveillèrent alternativement la malade jour et nuit. Un médecin s'était mis à la tête de cette réunion.

Dans le registre final, tous déclarèrent sous prestation de serment, le manque d'alimentation de Catherine, l'existence et le saignement des plaies, les extases surnaturelles. Durant ces dix jours, personne, ni la soeur elle-même, ne s'était occupé de ses blessures ; la surveillance avait été exécutée sans interruption, et rien n'avait pu être dit et fait, sans qu'ils ne l'aient aperçu.

 

Le vicaire général mit fin alors à l'enquête qui avait duré du 28 mars au 20 juin. Il exprima par écrit ses remerciements au doyen Rensing, car, grâce aux efforts et à la circonspection de celui-ci, l'enquête s'était accomplie à souhait. Clément Auguste présenta ses louanges à Catherine, se recommanda lui-même et son Eglise aux prières de la malade et la visita souvent en société d'hommes éminents. Il lui offrit le rare honneur d'établir sa demeure dans son château de Darfeld pour lui assurer la paix et la sécurité. Emue et reconnaissante, Catherine cependant, après avoir consulté son confesseur, refusa cette offre généreuse : cela lui semblait une transgression du voeu de pauvreté. Elle n'aurait d'ailleurs su se passer des visites des pauvres et des malheureux, qui trouvaient auprès de son lit de souffrance, aumône, consolation et encouragement.

 

Considérons cette enquête ecclésiastique dans sa profondeur comme un acte de la Providence particulière de Dieu. Elle devait en effet conserver la vie et la haute importance de la mission de Catherine pour la vénération des temps futurs. Anne-Catherine Emmerich était alors âgée de trente-huit ans ; elle a vécu encore onze ans sous la surveillance de la même autorité ecclésiastique, c'est-à-dire sous l'égide du vicaire général Clément-Auguste, du pieux Overberg et du même confesseur. Les deux premiers l'ont visitée jusqu'à sa mort ; et des rapports détaillés leur furent adressés sur elle par les vicaires Lambert et Limberg, ainsi que par Wesener.

 

Les documents rassemblés par cette inquisition se trouvent dans les archives du vicariat épiscopal de Munster. Ils ont contribué à l'augmentation de la vénération publique pour Catherine ; car ils occupent une large place dans sa biographie citée plus haut, et composée par le Père Schmoger de l'Ordre du Saint Rédempteur. Cet auteur écrit dans l'avant-propos

"Un cher et incomparable ami, le savant et vénéré doyen de la cathédrale, Dr. Krabbe, m'a procuré la compilation entière de tous les actes originaux de l'enquête ecclésiastique de 1813 sur Catherine Emmerich." Il continue : "Par l'usage le plus consciencieux des actes que Brentano (note) n'avait jamais vus, l’auteur fut autorisé à baser sa narration sur des témoignages si probants, qu'aucune autre biographie ne puisse en posséder de plus absolus.

 

Note : voir plus bas Livre V, chapitre 3

 

La matière abondante renfermée dans ces documents, lui donna la clef d'une intelligence profonde de la tâche mystérieuse de la vénérable Emmerich." Krabbe procura en outre au Père Schmoger l'inspection du journal et de la dissertation de Wesener que nous avons mentionnés plus haut.

 

Chapitre 2

 

Conséquences de l'impression des stigmates en la personne de Catherine

 

Ainsi, la croix sur les épaules, Catherine était placée comme son modèle divin entre le Prétoire et le Calvaire sur la voie publique du monde. De même que son Maître elle a été conduite devant l'autorité ecclésiastique, et, si elle n'y a pas été condamnée avec lui, elle lui est devenue semblable, le crime de tous deux étant l'amour. Comme son modèle divin elle dut plus tard paraître devant l'autorité temporelle, pour être condamnée par celle-ci, à la face du monde entier.

Sur cette voie du Calvaire elle suivait fidèlement les traces de Jésus : elle saigne de toutes les blessures ; elle subit les douleurs de la flagellation, du couronnement d'épines, de la charge de la croix, du crucifiement. Elle partage avec Jésus l'outrage et le mépris ; avec lui elle est obéissante dans l'accomplissement de la tâche difficile qui lui est imposée.

 

Au commencement les plaies saignaient presque tous les jours ;plus tard le saignement de la couronne d'épines et des cinq plaies, se restreignit aux vendredis, et le saignement des croix gravées sur la poitrine, se reproduisit les mercredis ; en outre toutes les plaies saignaient les jours anniversaires de la Passion du Seigneur au cours de l'année ecclésiastique.

 

Les écoulements étaient très prononcés : le sang ruisselait autour du bandeau de la tête sur la figure de Catherine, et le sang qui jaillissait des autres plaies mouillait les vêtements et

 

le linge en divers endroits. On trouve encore de ce linge ensanglanté et empreint des signes de la croix, parmi les objets qu'on conserve encore à Dülmen.

 

Les mains parurent percées du creux jusqu'au-dessus, tandis que les perforations des pieds pénétraient du haut jusqu'à la plante des pieds. Les plaies de ces derniers étaient plus grandes que celles des mains. Celle du côté s'étendait comme si elle était faite par un coup porté de bas en haut ; elle avait la longueur de deux pouces. Catherine éprouvait des douleurs cuisantes, particulièrement quand le sang coulait ou commençait à couler: le moindre contact, même l'influence de l'air produisait en elle l'effet d'une flamme brûlante. Les douleurs se répandaient des mains et des pieds vers le coeur, où elles se fondaient pour ainsi dire ensemble. Durant ces crises, le doigt du milieu de chaque main semblait mort et déplacé de sa position naturelle.

Quelquefois elle souffrait les douleurs du crucifiement sous une forme miraculeuse : ses talons se croisaient alors comme si on les clouait; en même temps, elle sentait tous ses membres déchirés et percés.

 

De toutes ses souffrances, les plus sensibles lui furent causées par la couronne d'épines : celle-ci paraissait entourer sa tête comme d'un large et lourd bandeau. Ses cheveux semblaient se transformer en épines et elle ne pouvait appuyer sa tête sur le coussin sans éprouver les plus vives douleurs. Les impressions douloureuses s'étendaient autour du front, des tempes et des yeux jusqu'à la bouche et la gorge. Dans ses visions du couronnement d'épines, elle avait vu une longue pointe transpercer le palais de Jésus.

 

En certaines occasions spéciales, Catherine éprouvait les douleurs de la Flagellation. Ces douleurs étaient semblables à des meurtrissures produites par de violents coups de fouet ; ces peines furent toujours accompagnées de frissons, de fièvre.

 

Dès sa jeunesse, Catherine avait vénéré la blessure de l'épaule de Jésus que lui avait causée le portement de la croix. Elle reçut de Dieu l'assurance qu'il désirait voir honorer cette plaie qui l'avait fait tant souffrir. Elle en ressentit les douleurs sans en porter les marques visibles.

 

Arrêtons-nous un instant pour la considérer assise dans son lit,

berçant de côté et d'autre sa tête couronnée d'épines qu'elle ne peut appuyer nulle part : la sueur couvre sa blême figure ; son corps est écorché pour être depuis trop longtemps couché dans la même position ; elle ne peut se mettre sur le côté droit à cause de la plaie ; elle ne peut se tourner sur la gauche sans ressentir des douleurs violentes à la hanche froissée et blessée au couvent d'Agnetenberg, comme nous l'avons dit dans un chapitre précédent. Les tortures accablent jour et nuit le corps entier ; l'assistance des hommes lui est inutile, et la sympathie qui, en bien des circonstances console et soulage, lui est même refusée.

 

A ces peines corporelles, il faut ajouter les souffrances de coeur et d'âme bien plus pénibles encore : c'est là que se montre sa grande ressemblance avec son Sauveur, conduit par les Juifs ingrats au Calvaire, accablé d'ignominies et de traitements sans pareils.

 

Aucune des dures épreuves que la martyre avait déjà subies, l'avait tant impressionnée que l'apparition des plaies extérieures. D'abord elle les prit pour des marques qui disparaîtraient le soir :elle fut terrifiée par la certitude de les garder pour toujours ; sa plus grande douleur cependant fut celle d'apprendre qu'elle ne les porterait pas seulement dans l'obscurité, mais qu'elles parviendraient à la connaissance du monde. Pleine de joie de souffrir avec Jésus Christ, elle avait souffert des années entières sans jamais penser à des signes extérieurs. Dans l'affliction la plus profonde, elle supplia Dieu de les lui enlever, mais il répondit toujours : "Que ma grâce vous suffise !"

Qui saurait comprendre la grandeur de sa confusion ? Elle qui n'avait aimé et cherché dès sa première jeunesse que la retraite, qui avait mené pendant neuf ans une vie cachée au cloître, elle se vit placée forcément dans le monde, et à cause des signes merveilleux imprimés en elle par Jésus Christ lui-même, soumise aux tortures d'un examen sévère qui la rendait l'objet de l'attention publique. Dans la modestie et l'humilité de son coeur, elle pratiquait une obéissance complète ; mais elle ne sut déposer sa frayeur, même après une vision céleste ; devant le vicaire général, elle laissa échapper cette réflexion : "Que tout cela était fort pénible. " Le comble de sa confusion fut le moment de l'arrivée de sa vieille mère, qui était accourue au bruit de l'enquête pour apprendre des nouvelles de son ratant. Durant cette visite, Catherine cacha toujours ses mains wus la couverture pour ne pas montrer à sa mère ses signes distinctifs. Elle avait imploré Dieu d'empêcher que sa mère désirât voir les plaies. Cette demande fut exaucée. Sa mère ne l'interrogea pas sur ses blessures, mais exhorta sa fille au bien. Lorsqu'on louait celle-ci, elle disait : "Si longtemps que l'âme vit encore dans la chair, on ne doit point l'exalter."

 

Une autre peine pour Catherine fut la découverte des tracas et embarras qu'elle occasionnait et de la déférence des visiteurs à son égard. Elle était remplie d'un si grand dédain de sa propre personne, que rien ne pouvait l’offenser, et qu'il lui était insupportable d'être l'objet des hommages de son prochain. "Je crois mourir de honte, dit-elle, quand des prêtres vénérables regardent mes plaies. " Ce sont là des signes certains et indubitables, nous semble-t-il, du haut degré d'humilité et d'abnégation dont était rempli son esprit. C'est pourquoi aussi elle cherchait à soustraire ses plaies aux regards de tous et même de son curé. Pendant les extases, ce sentiment lui restait encore et maintes fois, elle cacha à son insu les plaies, dès qu'on en parlait avec respect. Chaque louange excitait en elle une vive contrariété ; elle en éprouvait une terreur comme de la morsure d'une bête venimeuse. Dès le commencement d'ailleurs elle n'avait pas eu égard à ses blessures, et ne s'était pas même aperçue de celles qui étaient couvertes par les vêlements, qu'au moment de l'enquête ecclésiastique. Car dès sa plus tendre enfance elle s'était habituée à ne jamais porter les regards sur une partie dénudée de son corps.

 

Cependant Dieu ne voulait pas seulement faire paraître les signes extérieurs à la connaissance et à l’édification de l'autorité ecclésiastique et des bons chrétiens, mais il voulait faire luire la prééminence de cette âme privilégiée aux yeux d'un monde blasphémateur. L'impiété, l’athéisme et la négation des choses divines, ayant pénétré alors toutes les classes de la société, le vicaire général se vit forcé d'éloigner de sa personne et de sa position, tout soupçon et toute calomnie arbitraire.

C'est pourquoi il dut permettre au monde instruit, en particulier aux médecins, même incrédules, l'accès auprès de Catherine, et le doyen Rensing les introduisit pendant de longues années encore après l'enquête. A l'occasion de celle-ci, la célébrité de Catherine se propagea par le moyen des feuilles publiques dans toute l'Allemagne, la Hollande et d'autres pays, pour faire surgir chez les uns l'édification, chez les autres la contradiction. Une multitude d'étrangers vinrent à Dülmen, et il s'éleva à son sujet un grand bruit dans le monde.

 

De cette manière, le coeur virginal de Catherine fut plongé dans une mer d'amertume indicible. Elle voyait en effet ses signes devenir pour beaucoup d'hommes l'objet d'une curiosité vulgaire ; elle devait en entendre d'autres éclater en haine et en dérision contre la sainte foi ; un grand nombre voyait en elle un objet d'étude scientifique, "un cas nouveau" ; ses extases enfin furent assimilées aux manifestations du magnétisme et du somnambulisme. Bien des médecins, surtout les incrédules, vinrent à Dülmen, pour démasquer par leurs recherches la fraude que De Druffel, Wesener et Krauthausen n'avaient su découvrir.

Le martyre le plus sensible pour Catherine, fut la contrainte de découvrir à chacun les stigmates de la poitrine et de lire, dans le coeur de ses spectateurs, des sentiments impies et surtout impurs. Qui saurait exprimer en paroles, l'humiliation intérieure de cette chaste vierge, qui se voyait exposée ainsi aux regards curieux de ces étrangers ! "Ah ! gémit-elle, faut-il que je ,souffre tant ?" Mais elle se courba aussitôt sous l'obéissance à ses supérieurs ecclésiastiques.

 

D'ailleurs, ses plaies devinrent un poids à ses amis même, et c'est pourquoi elle en souffrit doublement. Rien ne pouvait répugner davantage à ce temps privé de tout esprit religieux, que la manifestation des stigmates et les dons intellectuels de Catherine. On trouva facilement une explication de ces faits. Le vicaire Lambert, poussé par un fanatisme religieux, avait produit ces plaies par des incisions ; les extases de Catherine étaient des chimères maladives, elle-même une insolente comédienne. Elle supporta les calomnies personnelles avec un sang-froid admirable, car son humilité exemplaire ne connaissait pour elle-même ni tort ni injure, mais son coeur reconnaissant et sensible ne subit qu'avec peine les tourments que l'on fit endurer au vénérable prêtre, son noble bienfaiteur. Bien qu'éprouvée elle-même, elle dut soutenir le courage du pauvre vieillard.

En outre, elle vit et entendit que ses plaies étaient un sujet de gêne pour son confesseur, qui, timide et peu flexible dans ses relations avec le monde, craignit d'être soupçonné par le jugement public de défendre la fourberie.

 

Enfin, ses stigmates restèrent depuis l'enquête ecclésiastique ci pendant sept années encore, un sujet de contradiction et de persécution de la part du monde. D'après les opinions des hommes prétendument éclairés de cette époque, elle ne pouvait, elle ne devait pas porter en elle des signes surnaturels. Il s'éleva une discussion publique verbale et écrite pour et contre elle. Sous la dénomination de la "béguine de Dülmen" elle fut connue dans le monde entier.

Pendant tout ce temps, elle vivait dans l'angoisse incessante d'are privée de son soutien ecclésiastique et de tomber entre les mains de ses ennemis, pour être l'objet de leur examen indiscret et hostile, ce qui arriva réellement en 1819.

 

Avant de poursuivre l'histoire de sa vie, arrêtons-nous un instant, et de même que Véronique consola notre Sauveur en essuyant sa Face ensanglantée, cherchons à apercevoir quelques rayons du soleil consolateur, qui tombaient sur le chevet de Catherine au milieu des souffrances et des tristesses qui l'accablaient sur son chemin du Calvaire.

 

Chapitre 3

 

Catherine sur son lit

de souffrance

 

Le vicaire Lambert resta jusqu'au 23 octobre avec Catherine dans la maison de Roters ; alors il s'installa avec elle dans la partie supérieure de la demeure de François Limberg, frère du confesseur de Catherine. La maison de Roters que Catherine avait habitée une année et demi, et qui était devenue fort vénérable par le séjour de la stigmatisée et l'enquête ecclésiastique, a été réparée et changée dans la suite, mais la nouvelle maison occupe le même emplacement que l'ancienne et la chambre qui donne sur le coin de la Münsterstrasse et de la Nonnenstrasse, est celle qui fut habitée par Catherine. Le vicaire Lambert avait sans doute en vue d'empêcher par là l'affluence des étrangers, vu la situation peu accessible de la nouvelle demeure ; néanmoins, un très grand nombre de visiteurs ont trouvé l'escalier en spirale qui y conduisait. C'est là que Catherine demeura près de huit ans. Son hôte et les descendants de celui-ci, ont laissé sa chambre dans le même état. Une table, un crucifix, un prie-Dieu et différentes images de saints suspendues au mur, en sont l'unique ornement. Beaucoup d'admirateurs de Catherine ont visité ce lieu après sa mort pour y prier.

 

Ce chapitre sera consacré à considérer Catherine, couchée sur son lit de souffrance en cette nouvelle demeure.

 

Ne prenant plus de nourriture depuis l'apparition des stigmates, Catherine vivait corporellement ainsi de la sainte communion. Celle-ci la fortifiait toujours ; au contraire elle se sentait affaiblie quand, en raison de certaines circonstances, elle manquait quelques jours de la nourriture céleste ; elle languissait alors comme une personne tombant d'inanition. Mais aussitôt qu'elle avait communié, ses esprits vivifiants se ranimaient à la surprise de son entourage.

l'An dehors du soulagement que lui procurait la sainte communion, elle puisait encore la force de souffrir dans la contemplation. Le don de contemplation s'était encore accru en elle depuis l'apparition des stigmates.

Chaque jour, son esprit était absent pendant des heures entières et gagnait dans les visions des choses divines, un nouveau courage et des forces nouvelles. Elle tombait souvent en prière extatique, ce que De Druffel et Wesener décrivent presque de la même manière : La faible patiente se lève tout à coup dans son lit, et, prompte comme une personne bien portante, elle tombe à genoux et étend largement ses bras ; ceux ci et le cou sont tout raidis ; quelquefois elle s'incline pour baiser l'image de la Mère de Dieu suspendue au rideau du lit. Elle persiste à peu près une demi-heure dans cette position merveilleuse et se recouche alors avec la même agilité. - Nous parlerons plus loin de l'étendue de ce don de contemplation et de ses fruits.

Ses extases étaient accompagnées par d'autres phénomènes inexplicables, dont les médecins nous parlent également, et qui prouvent à tous le surnaturel de l'Eglise catholique. Catherine était en rapport spirituel avec tout ce qui touchait à l'Eglise, et cette relation fut aussi bien physique que morale. Lorsqu’elle était aspergée avec de l'eau bénite, elle faisait le signe de la croix ; elle ne le faisait pas, quand l'eau n'était pas bénite. De même elle savait distinguer la bénédiction d'un prêtre de celle d'un laïque. Un jour, le vicaire Limberg entra chez elle avec le Saint Sacrement ; il voulait le porter en viatique à une malade et le tenait caché sous ses habits dans une boîte d'argent. Aussitôt elle s'agenouilla sur le lit et adora son Dieu en s'écriant: "Mon Sauveur réellement présent au tabernacle vient à moi. " Lorsqu'on apportait à sa proximité des objets bénits, comme des cierges, des palmes ou des croix destinées à l'usage privé, des médailles ou des objets saints par eux-mêmes, par exemple des reliques, elle les saisissait avec précipitation et les pressait avec bonheur sur sa poitrine, tandis que les objets non bénits ne l'émouvaient aucunement. Quoique pendant ses extases on ne savait influer sur elle ni par des secousses, ni par des cris, elle s'éveillait immédiatement sur l'ordre de ses supérieurs, même s'ils le commandaient par écrit ou même en pensée, tandis que, chose vraiment curieuse, d'autres paroles de ses supérieurs, ainsi que les commandements des laïques ne l'éveillaient pas.

 

Même en état de veille, elle possédait la connaissance et la distinction des reliques, par une force particulière de sa main droite ; ici, l'activité simultanée de l'esprit était remarquable ; son âme concevait ce que sa main touchait. Afin de se convaincre de ce don surnaturel, on effaça les noms des reliques avant de les lui présenter. Mais, sans se tromper jamais, elle indiqua toujours le nom juste qui convenait à chacune d'elle.

 

Outre cela elle avait le don de la prophétie. Elle prédit à des habitants de Dülmen, des sorts décisifs pour leur famille. Elle assura au commencement de 1813 au docteur Wesener la chute imminente de Napoléon ; elle calma les habitants de Dülmen, disant que la guerre française ménagerait leur ville, ce qui arriva contre toute attente. Un jour, plusieurs prêtres hollandais, attirés par la réputation de ses stigmates, entourèrent sa couche et lui demandèrent si la hiérarchie serait rétablie en Hollande. Elle répondit d'un ton tout affable: "Certainement, et je vois même un des évêques futurs ici devant moi. " Cette prédiction s'est réalisée, non seulement par le rétablissement de la hiérarchie hollandaise sous Pie IX, mais encore par l'élévation d'un de ces prêtres à la dignité épiscopale. A différentes reprises, elle se prononça sur l'avenir de plusieurs institutions de l'Eglise et sur les derniers temps.

 

Admirons ce miracle : admirons l'esprit divin se manifestant à une créature qu'il élève uniquement par sa volonté, au-dessus de son existence infime jusqu'à la participation de sa toute puissance et de sa sagesse, à la participation de sa splendeur céleste !

 

A côté de ces dons suprêmes dont Dieu daigna enrichir sa servante, nous découvrons en elle une autre merveille, d'une tout autre espèce, qui prend également sa source en Dieu, je veux dire l'humilité profonde dont le Saint-Esprit avait pénétré, rempli le coeur et l'âme de Catherine. C'est avec la plus humble soumission qu'elle descend de sa hauteur idéale et extatique, à l'accomplissement pénible de son devoir, qui consiste en couvres matérielles, terrestres et en épreuves douloureuses.

 

L'humilité est la victoire miraculeuse de la grâce divine sur la corruption de la nature humaine ; elle est la marque la plus évidente de la filiation de Dieu, le seul motif, pour lequel Dieu veut élever une créature à une mission supérieure. Bien que la lampe du sanctuaire devant le Saint Sacrement répande infiniment moins de clarté que le soleil, elle indique néanmoins infiniment plus, le Soleil de la divinité éternelle. Ainsi la lumière apparemment moins rayonnante des vertus, des souffrances et de l'abnégation, vaut incomparablement mieux que les dons d'esprit les plus splendides ; car l'abaissement et l’humiliation élèvent l'homme jusqu'à Dieu. C'est ce que nous retrouvons à chaque page de la vie de Catherine.

 

Lorsque la violence des douleurs diminuait un peu et que celles-ci n'absorbaient pas toutes ses forces, Catherine employait chaque instant du jour et de la nuit au travail et au règlement de ses affaires domestiques, ainsi qu'à l'ouvrage pour les pauvres et les malades.

Elle chercha à faire des épargnes sur la petite pension qu'elle touchait du magistrat depuis la dispersion du couvent, et reçut avec bonheur des aumônes de laine, de toile et d'étoffe pour en confectionner des bas et des vêtements pour les pauvres, et avec des lambeaux de soie elle arrangeait des bonnets de baptême pour les nourrissons des femmes pauvres. On en trouve encore à Dülmen parmi les objets qu'on y conserve en son souvenir. Quand ses souffrances l'interrompaient dans son murage, elle le trouvait achevé miraculeusement par l'intermédiaire de la Mère de Dieu.

 

Finissons la description de sa charité par les paroles de Wesener : "Dans ses relations avec les hommes, je trouvai la malade simple et naturelle. Elle était affable et affectueuse envers tout le monde : elle soulageait secrètement les pauvres et les aidait à porter leur fardeau avec résignation.

Plus tard, j'ai eu plus de lumières sur sa joie de souffrir pour les autres. Elle possédait une adresse particulière à consoler, et j'ai éprouvé sa sympathique charité. Son âme se confondait entièrement en Dieu, quoiqu'elle dût sans cesse participer au tumulte du monde : une infinité de personnes en effet lui ouvraient leur coeur en lui demandant allégement et conseil. Elle les a aidés tous et calmé maint coeur oppressé. Il est facile de deviner où elle puisait ses consolations, si l'on considère que son propre coeur était exempt de toute affection pour les créatures."

 

Wesener continue plus loin :

"Par amour de Dieu elle voulait être soumise à tous, et elle aspirait avec une constance admirable à l'immolation parfaite de sa propre volonté dans tous les accidents de la vie. Elle se sacrifiait presque à chaque instant à Dieu par la douleur et la mortification, la patience et la douceur.

Connaissant sa modestie étonnante, son entourage s'était habitué à voir en elle une malade qui n'avait pas besoin d'attentions et de sollicitude particulière. Jamais elle ne réclamait des égards à son état souffrant, tandis qu'elle était toujours attentive et serviable envers son hôte, autant par sa propre activité que par des instructions à sa soeur Gertrude, que Dieu lui avait envoyée pour l'exercer à l'humilité et à l'abnégation. Cette fille traitait sa soeur comme une personne qui ne voulait pas quitter le fit par caprice et par mollesse, et qui s'obstinait à rester couchée. Elle alla même jusqu'à refuser pendant des jours entiers un verre d'eau à la malade ; en un mot, elle la rudoyait au lieu de la soigner. Elle ne supportait pas la moindre exhortation de la part de sa soeur. Dans son absence complète d'égards elle faisait souvent entrer des odeurs de cuisine dans la chambre de l'infirme, et causait par là à Catherine une toux persistante et pénible. D'autres fois, elle lui présentait pendant ses extases, des mets qu'elle devait vomir ensuite avec des efforts de déglutition qui lui occasionnaient des maladies dangereuses. D'ailleurs Catherine lisait tous les jours des pensées détestables dans l'âme de sa soeur. Elle la supportait avec une patience admirable, et opposait à l'humeur morose de Gertrude une suavité et une bonté touchantes : par ses prières et par ses souffrances elle demandait à Dieu d'inspirer à sa soeur de meilleurs sentiments, mais ce fut seulement après la mort de la martyre que ces supplications furent exaucées.

 

Bien que la pauvre malade dût se passer du soin nécessaire à un état précaire, Dieu lui donna la force de faire tout ce que les convenances exigeaient. Les douleurs de ses mains blessées et de l'épine dorsale paralysée gênaient ses mouvements ; et cependant on ne la voyait jamais que dans l'ordre le plus parfait : ses vêtements et sa couche provoquaient toujours l'impression d'innocence et de pureté de coeur."

 

Catherine a été de tout temps une merveille surprenante de vertus. Racontons encore un trait de son touchant amour filial. Nous savons par son histoire, combien d'abnégation il lui a l'alla pour mettre en pratique la parole : "Celui qui aime son porc et sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi." Malgré ce sacrifice cependant, l’estime pour ses parents s'était accrue dans son coeur. Elle avait imploré de Dieu la grâce de voir mourir sa mère auprès d'elle et d'obtenir les forces nécessaires pour la soigner elle-même jusqu'à sa fin. Dieu l'exauça. Lorsque sa mère, âgée de quatre-vingts ans, sentit les approches de la mort, elle exprima le désir de mourir près de sa fille chérie. Le 3 janvier 1817 elle se fit transporter à Dülmen, où Catherine avait préparé à côté de sa couche le lit de mort de sa mère. Fortifiée merveilleusement durant la dernière maladie de celle-ci, Catherine était à même de remplir parfaitement tous les devoirs d'une enfant reconnaissante. Le 12 mars 1817, la mère de Catherine mourut, et sa fille lui ferma, avec ses mains marquées par Dieu lui-même, les yeux qui avaient veillé sur son enfance avec sagesse et fidélité. Son père était déjà mort à cette époque.

 

Chapitre 4

 

Faits ultérieurs

à l'enquête ecclésiastique

Seconde partie du chemin de croix

 

Nous reprenons ici notre histoire, interrompue par le chapitre précédent, pour relater les faits qui suivirent l'enquête ecclésiastique (1817-1819). Les bruits répandus sur Catherine augmentèrent de jour en jour au point d'attirer l'attention de l'autorité temporelle française : aussi le préfet du gouvernement et le commissaire de police Gamir se rendirent à Dülmen. Ces hommes distingués acceptèrent sans résistance l'impression de la vérité, résultant de la conduite et de l'apparence de Catherine, et se contentèrent de l'assurance qu'elle ne se mêlait pas des affaires politiques, mais n'aspirait qu'à la paix intérieure et ne désirait que d'être ignorée du public. Après l'enquête ecclésiastique, le vicaire général en communiqua le résultat favorable à l'autorité temporelle, avec la promesse de veiller à l'avenir avec soin sur cette affaire et les changements quelconques qui pourraient survenir. Le gouverneur se montra satisfait de ce rapport.

 

Cependant comme cela arrive toujours en pareil cas, si le magistrat ne combat pas l’Eglise et la foi, la société savante croit avoir cette mission pour éclipser par le flambeau d'une science orgueilleuse autant que vaine, la vérité et les oeuvres divines.

 

Un des érudits était alors M. Bodde, professeur de chimie à Munster. Cet homme perspicace se chagrina de l'opinion publique qui disait les plaies de Catherine surnaturelles, et il déclara hardiment l'inquisition nulle et la souffrante une hypocrite, avant même de l'avoir vue. Il vint à Dülmen, se montra très hautain envers les médecins présents, mania la malade sans le moindre égard, et après cinq minutes, il prononça ce grand arrêt : les blessures sont taillées avec un canif, le sang séché est collé avec de la gomme arabique et le sang frais est une trace du pinceau. Son désir d'assister à une extase ne fut las exaucé par le doyen, à cause de son arrogance.

De retour à Munster, il publia hautement ses calomnies, y joignit l'assurance qu'il saurait guérir les plaies en peu de temps. Vu l'esprit de l’époque, le vicaire général se crut obligé de prêter attention à ce criailleur superficiel, qui en sa qualité de professeur passait pour une autorité publique. Il le prit au mot de guérir les plaies, en lui permettant de traiter Catherine dans une maison étrangère sous garde choisie par lui-même ; il voulait le contraindre par là à reconnaître la vérité et à révoquer ses mensonges. Cependant le président du gouvernement Français intervint en faveur de Catherine, qui était un sujet irréprochable ; il défendit une nouvelle inquisition, le témoignage de la discussion passée ayant été légitime et favorable à la patiente. Bodde la laissa donc en repos.

 

Mais le soi-disant libre examen en matière de religion avait pris de telles proportions, que les ennemis de l’Eglise traitaient mut ce qui regardait la foi avec dérision et mépris. Et même bien des catholiques en étaient arrivés à considérer tout événement merveilleux comme un conte d'un autre âge, et se croyaient bien au-dessus des temps passés, que les lumières modernes leur montraient comme plongés dans la superstition les plus ténébreuse. C'est pourquoi il y en eut, même parmi les gens de bien, un grand nombre qui préféra participer au soupçon général : on imputa au vicaire Lambert d'avoir, emporté par un enthousiasme fanatique, produit les blessures par des incisions qu'il entretenait sanglantes. On aima mieux croire à ces suppositions qu'aux démonstrations de l'enquête ecclésiastique, bien que tout le monde dût reconnaître avec quelle rigueur le vicaire général avait dirigé cette inquisition. Parmi ces sceptiques il y eut même beaucoup de prêtres.

 

Au mois de juin 1815, Catherine dut se soumettre à de nouvelles importunités. Overberg lui-même chercha à la persuader de se faire transporter à Munster pour être examinée de nouveau par des hommes prudents ; il attesta que c'était uniquement pour convaincre les incrédules, et non pas pour rassurer l'autorité ecclésiastique. Catherine répliqua qu'elle ne tarderait pas à obéir promptement à tout ordre émanant de cette autorité, mais qu'elle ne pouvait entreprendre le plus petit trajet sans risquer sa vie. D'ailleurs, observa-t-elle très justement, ceux qui se défient de la sentence prononcée par Overberg et par tous les autres membres de l'inquisition, ne croiront pas plus à une nouvelle décision. A la réplique d'Overberg que par la persuasion des docteurs de Münster, l'honneur du conseiller De Druffel, blessé publiquement à cause d'elle, serait rétabli, elle répondit : "J'ai toujours prié De Druffel de laisser l'histoire de ma maladie inédite, et pour cette raison la considération de l'honneur blessé du professeur ne peut être assez puissante pour risquer ma vie ; et elle ajoutait que c'était une belle occasion pour De Druffel d'exercer l'humilité et la patience chrétiennes. Jamais, remarqua-t-elle, la vérité comme telle, ne triomphera dans les coeurs de la foule dominée par les passions". Overberg ne put que se rendre à ses raisons.

 

La rumeur élevée par les hostilités des adversaires de Catherine, augmenta encore. La description véridique de son état, publiée dans la meilleure intention par le conseiller De Druffel, dans le Salzburger medizinische Zeitung (1814) apparut sous forme de brochure en Hollande. Le journal d'Amsterdam De Recensent, s'en émut au point d'injurier d'une manière honteuse l'assertion de De Druffel, en persiflant la foi aux miracles au dix-neuvième siècle. La réponse à ces invectives du Recensent fut donnée dans un ouvrage intitulé : Les catholiques romains au Recensent, qui parut en 1815 à Amsterdam: il réfuta sous une forme aussi radicale qu'attrayante le Recensent au point de vue religieux et médical. Ce traité était rédigé par des médecins et des prêtres qui avaient visité Catherine. Cette brochure qui parut aussi en allemand (Drosten, chez Schürholz, 1816), donna à Bodde l'occasion de renouveler et de répandre par écrit les diffamations et les outrages qu'il avait prononcés trois ans auparavant sur l'enquête ecclésiastique et les membres qui l'avaient dirigée. Il n'était plus retenu par la crainte du gouvernement, car celui-ci était redevenu prussien en 1815, et ainsi le professeur publia impunément ses articles dans le Recensent et dans un journal paraissant à Hagen.

Universellement, on discuta pour et contre la "béguine de Dülmen ". Erudits et ignorants, prêtres et laïques, hommes et femmes, même les enfants participèrent à ces débats et se permirent un jugement. Il en résulta qu'à Munster, plusieurs voix se tirent entendre qui imposaient à Catherine le devoir de se soumettre dans cette ville à une nouvelle inquisition, pour délivrer à jamais l'autorité ecclésiastique du reproche de ne pas avoir rempli ses fonctions avec la prudence et la sévérité requises. L’estimable Overberg se trouva prêt à renouveler auprès de Catherine son désir exprimé par lui précédemment. Cependant il dut reconnaître que la faiblesse corporelle de la malade rendrait un voyage à Munster impossible, et qu'une inquisition pourrait amener sa mort. Dès lors elle jouit du repos de ce côté, mais point encore de la part de l’autorité temporelle.

 

Wesener répondit aux injures de Bodde par une lettre pleine de douceur, dans laquelle il priait son antagoniste de venir à Dülmen, pour démasquer lui-même la fourberie. Bodde ne lui a ,jamais répondu. Le doyen Rensing qui, d'après l'opinion de Bodde, comptait également parmi les complices de la fraude générale, publia une défense de sa personne (Droste, 1818, chez Hess). Catherine l'avait prié instamment de ne pas écrire une réfutation publique contre les attaques de Bodde, qui, dans leur brossière calomnie, se condamneraient par elles-mêmes, tandis qu'une réponse n'aboutirait qu'à provoquer des outrages d'autant plus acerbes. Cette crainte se réalisa en effet. Bodde lança alors un pamphlet rempli du poison de l'incrédulité et des railleries d'un coeur corrompu. Dans ce discours il indiqua le ministère public comme la seule autorité compétente dans l'affaire de Dülmen. On n'impute pas sans raison à cet agitateur d'être la cause de l’inquisition civile. Bientôt après la publication de sa brochure, une commission politique convoquée par le président supérieur (Oberpräsident) De Vincke, se forma sous la direction d'un conseiller provincial, pour montrer, par cette nouvelle enquête, que Catherine était en réalité une misérable comédienne. Ce préjugé gagna les apparences de la vérité, lorsque le bruit circula que les plaies avaient disparu. Depuis la fin de 1818, celles des mains et des pieds s'étaient réellement refermées. Exauçant la prière fervente qu'elle lui avait adressée depuis six ans, de lui enlever les marques extérieures, Dieu la délivra des plaies visibles et les remplaça par des douleurs d'autant plus véhémentes. Les autres plaies cachées sous les vêtements, celle du côté, les croix sur la poitrine et de la couronne d'épines, lui demeurèrent. Les Vendredis Saints des années suivantes, les plaies des mains et des pieds se rouvrirent cependant, pour se refermer chaque fois le lendemain.

 

Il va sans dire que la discussion publique, conduite si impétueusement sur la personne de Catherine, fut un chemin de croix secret pour elle. Elle était instruite de toutes les discussions par sa lumière intérieure et par les communications de son entourage. Parmi ceux qui l'approchaient il n'y en avait pas un seul qui ne fût pas condamné comme complice, et ce fut elle qui les soutint alors par son conseil et l'exemple de sa patience. Toutefois, tout ce que ses supérieurs, son curé, son confesseur, son hôte, les médecins et d'autres personnes eurent à subir de calomnies et d'invectives, frappa le plus sensiblement le coeur de la martyre.

L'année 1819 devait être le point culminant de ses souffrances, l'arrivée au mont du Calvaire. Cette année devait lui donner l'occasion de rendre témoignage à son Sauveur devant le monde entier. A elle aussi fut réservé d'entendre la condamnation : Qu'on la crucifie ! L'autorité temporelle la condamna sans inquisition préalable comme imposteur : en elle on voulait constater en même temps un frappant exemple de la superstition catholique sur l'empreinte des plaies de Jésus Christ, et faire briller pour la première fois la lumière du protestantisme, introduit par le gouvernement nouveau. Longtemps avant déjà, Dieu avait fait voir à la souffrante, en visions, qu'elle serait livrée sans appui et sans aide à l'astuce de la franc-maçonnerie, qui avait mis en oeuvre l'inquisition. De plus, elle dut bientôt subir l'amertume que notre Sauveur a éprouvée au baiser perfide de Judas, en voyant des prêtres catholiques trahir la cause divine, en adhérant à la franc-maçonnerie. Elle eut à subir d'eux, le même traitement auquel fut exposé Jésus Christ dans son oeuvre de la Rédemption. Pour la consoler, Dieu lui fit connaître qu'il acceptait sa crainte de la persécution et des opprobres, en expiation, pour annuler l'activité des ennemis de la foi qui cherchaient à ébranler l'Eglise catholique dans tous les pays. Il la fortifiait aussi en lui montrant l'exemple des martyrs qui avaient souffert la même ignominie et les mêmes douleurs. Son ange l'exhorta surtout à la dévotion au Saint-Esprit, afin d'obtenir ainsi courage et sagesse dans ses réponses. Il l'assura d'avance de sa victoire finale.

 

Chapitre 5

 

L'inquisition politique

Troisième partie du chemin de croix

 

Au mois de février 1819, le docteur R. et le vicaire R. vinrent à Dülmen, comme précurseurs d'une nouvelle enquête pour examiner Catherine, selon l'ordre du gouverneur comme ils le prétendirent. La malade souffrit douloureusement qu'un prêtre rempli de ruse et de méchanceté s'ingérât dans ses affaires. Dans le coeur du médecin, elle lut l’intention de la dénigrer pour plaire aux puissants du monde. Plus elle vit dans ses visions les ennemis s'approcher, plus sa crainte augmenta.

 

Au commencement du mois d'août la commission dans laquelle se trouvaient deux protestants et un personnage haut gradé de la franc-maçonnerie, se présenta à Dülmen. Elle se composait d'un conseiller provincial comme président, d'un conseiller du gouvernement, et de quatre médecins. On leur avait adjoint comme membres du conseil, le pharmacien, le bourgmestre et plus tard un organiste, tous trois habitants de Dülmen. Le vicaire général ne fut point instruit de cette nouvelle disposition. Auparavant il est vrai, ayant entendu parler de ce projet, il avait proposé au tribunal de convoquer une commission composée d'un commun accord par l'autorité ecclésiastique et par l'autorité séculière. Mais lorsqu'il apprit la participation de trois prêtres à cette enquête nouvelle, il leur lit ordonner par le doyen Rensing, de se séparer immédiatement de cette société et de quitter Dülmen. Cette détermination épargnait à Catherine une douleur d'un genre particulier. Le président somma Catherine de se soumettre volontairement à une inquisition dans une maison étrangère. Elle répondit que, comme religieuse, elle ne devait obéissance qu'à l'autorité ecclésiastique ; celle-ci cependant avait déjà terminé son enquête complète, et elle n'en n'avait pas reçu à présent d'autre mandat ; par ce motif elle ne pouvait s'exposer de bon gré à une inquisition séculière.

Sur ces entrefaites les citoyens de Dülmen présentèrent au gouvernement une protestation rédigée par leur avocat Heuss. Ils protestèrent contre tout acte arbitraire de violence qui pourrait être fait à leur compatriote innocente et universellement respectée. Cette démonstration ne fut pas seulement jugée digne d'une réponse. Au contraire, le conseiller provincial réquisitionna toute la police des environs à Dülmen. Le matin du 7 août, il enleva la malade violemment de son lit, et à l'aide d'une garde étrangère il la déposa sur un brancard

quatre agents de police escortés d'une division de gendarmerie, un brigadier en tête, l'emportèrent. Des centaines de spectateurs témoignèrent leur sympathie envers Catherine, en pleurant des larmes amères à la vue de ces procédés barbares. Catherine fut portée dans une maison étrangère, où le brancard fut placé au milieu d'une grande salle (note) pour que la martyre pût être surveillée de toutes parts.

 

note - Cette salle se trouve dans un étage supérieur de la maison actuelle de Wernekink dans la Lüdinghauser Strasse à Dülmen

 

Aussitôt qu'elle eut quitté sa demeure, la commission apposa les scellés sur les armoires et les portes pour en empêcher l'accès à tout le monde, et visiter à loisir tous les objets appartenant à Catherine, pour découvrir les caustiques et les instruments qui, à leur avis, produisaient ou entretenaient artificiellement les plaies. Dans la même intention on examina les vêtements et le lit ;cependant les rapports rédigés sur cette enquête entreprise et conduite dans un but manifestement hostile, ne font mention d'aucune trouvaille de ce genre. Alors, la prisonnière fut surveillée jour et nuit par deux membres de la commission qui étaient assis vis-à-vis d'elle, la regardant fixement. On ne permit à personne de son entourage et de ses amis de venir la voir. Seulement, le doyen reçut la permission d'entendre sa confession au lieu de son confesseur habituel. Au commencement de son emprisonnement, Catherine demanda à Dieu la résignation à sa sainte volonté, la patience et la victoire sur les pensées de révolte qui se glissaient dans son esprit ; et enfin le pardon pour ses ennemis obstinément aveugles. On lui permit de même la réception de la sainte communion, qui la réconforta au point qu'elle perdit sa tristesse et sa crainte, et lui communiqua la force nécessaire pour subir les interrogatoires.

four l'assister, on lui avait envoyé une garde-malade de Munster, qui était recommandée par son ennemi capital Bodde. On ordonna à cette personne, d'observer la malade sans aucun répit pour aider à démasquer la fourberie.

 

Dans la nuit du lundi 9 août, le temps des plus affreuses souffrances commença. Les observateurs lui tenaient toute la nuit la lumière devant les yeux, et l'effrayaient par des appels réitérés. Le lendemain son interrogatoire commença. L'orateur était le médecin R. En même temps ses plaies furent regardées et tâtées sans le moindre égard pour sa pudeur virginale. Le procès-verbal dura toute la journée, jusqu'à ce que la malade s'évanouît d'épuisement. La nuit suivante se passa dans les mêmes tortures que la précédente.

 

Le mardi, les interrogatoires et les expérimentations furent renouvelés par la répétition des mêmes questions auxquelles Catherine avait déjà plusieurs fois répondu en toute sincérité, mais elles étaient posées en termes différents, pour la surprendre en contradiction avec elle-même. Puis on lut l'acte ; et pendant la lecture de celui-ci, chaque membre s'arrogea le droit de scruter les plaies de Catherine, pour se faire un jugement. Ces discussions durèrent de huit heures du matin jusqu'à cieux heures de l’après-midi. "Ces heures, dit-elle plus tard, ont été pour moi les plus douloureuses que j'aie jamais passées. Je fus brisée d'affliction et de honte, à cause des dénudations que j'eus à souffrir, et des paroles que j'eus à entendre. Quand je cherchais à me couvrir un peu la poitrine, on m'arrachait le linge. " Lorsque l'après-dîner, le martyre dut être répété, Dieu montra à Catherine par une vision, le pénible martyre du saint du jour, saint Laurent: c'était le 10 août. Ce jour-là, plusieurs citoyens de Dülmen lui manifestèrent leur vénération en organisant une procession publique à la chapelle hors de la ville, pour supplier Dieu de rendre la liberté à Catherine !

 

L'emprisonnement dura trois semaines entières. Nous ne voulons pas faire une description détaillée des scènes déplorables qui se produisirent durant cette période, car elles heurteraient trop le coeur sensible du lecteur ; nous ne dépeignons que quelques scènes caractérisant le sentiment de Catherine et la signification de ses souffrances.

 

Les commissaires ne purent se soustraire à la conviction que les plaies ne prenaient pas leur source dans la nature. Comme ils ne voulaient pas les reconnaître pour des merveilles, ils répandirent le bruit que Catherine était un imposteur. Pour la forcer à avouer l'origine trompeuse de ses blessures, elle fut troublée incessamment de différentes manières. L'un crut s'insinuer dans sa confiance en lui disant qu'il était discret comme un confesseur ; et en vantant la vie vertueuse de sa jeunesse, il en concluait qu'elle s'était taillé des blessures par piété, comme d'autres se flagellaient. Un autre exalta ses dons intellectuels, son entendement, son esprit éclairé et sa mémoire fidèle ; il eut même la hardiesse vulgaire de faire à cette vierge vénérable cette flatterie banale qu'elle était agréable et jolie. Un autre lui fit au nom du président, pour elle et pour sa famille, des promesses splendides de richesse, de liberté et de prospérité. Ensuite on fit succéder à la conduite polie et pleine de ménagements, des paroles grossières, des reproches d'hypocrisie et des menaces terrifiantes. A l'assurance de la martyre qu'elle préférait la mort à l'imposture et au mensonge, et qu'elle pouvait corroborer par serment ses assertions sur ses plaies, on lui répondit que ses serments ne valaient rien.

 

Outre le sentiment fortifiant de sa présence, Dieu envoya à cette vierge désolée deux appuis humains. Déjà dès la première semaine, la garde fut persuadée de l'innocence de Catherine et de la vérité de ses extases. Le premier vendredi, lorsque les commissaires trouvèrent dans le bandeau de tête le sang de la couronne d'épines, et celui des plaies de la poitrine dans la chemise, cette femme fut interrogée rigoureusement sur l'origine de ce sang. L'assurance qu'il ne provenait d'aucun moyen artificiel fut rejetée, et la garde attristée et stupéfaite, dit a Catherine : "Oh ! ma pauvre fille, vous êtes trahie et vendue, on a déclaré que le sang de votre linge de corps était du café, et prétendu que le sang de votre bandeau a été produit par vous-même. Que je suis malheureuse d'être venue au milieu de ces impies ! Mais non, je m'en réjouis, puisque j'ai tait votre connaissance et que je puis vous assister." Catherine exhorta cette femme à se confier à Dieu.

Son second appui fut un nouveau membre de la commission. Au haut de huit jours, un médecin de Munster nommé Zümbrink vint à Dülmen, envoyé par le président supérieur. On s'était trompé à son sujet ; car il était probe et honnête, approfondissant tout, mais en se comportant en tout comme un homme de bonne éducation : Catherine mit immédiatement sa confiance en lui. Il lui dit : "Ne vous laissez pas déconcerter ; restez fidèle à la vérité, elle ne fait jamais tort à personne." L'avis qu'il donna plus farci, fut qu'il ne pouvait trouver de tromperie chez la malade, dont il jugeait le caractère incapable de fourberie.

 

Rapportons encore quelques autres scènes. Un jour, durant une visite nouvelle des enquêteurs, Catherine ne put cacher le désagrément que lui causaient ces visites sans cesse renouvelées, le président lui dit : "Nous sommes tous membres de l'Etat, et il faut que l'un travaille pour l'autre ; vous aussi vous devez rendre compte à l'autorité sur les événements extraordinaires que l'on remarque en vous." - "Je suis prêtre à remplir mon devoir, dit Catherine, je respecte le gouvernement, mais je ne vous crois pas juges compétents dans cette affaire. " Questionnée alors par un autre : "Et pour qui nous tenez-vous donc ?", elle répliqua : "Je vous crois tous les satellites de Satan !" Le pharmacien Nagelschmitt se leva en disant: "Je lie veux plus être un satellite de Satan." ; lui et tous les autres s'éloignèrent ne sachant quoi répondre. Nagelschmitt ne revint plus et fut remplacé par l'organiste A.

 

Déjà trois semaines s'étaient écoulées depuis le commencement de l'inquisition, lorsque la garde, impatiente et ennuyée, dit en présence de plusieurs commissaires : "Les frais de l’inquisition, me semble-t-il, seront énormes." Elle reçut cette réponse : "C'est le roi qui paie tout !" Alors Catherine répliqua: "Ses sujets obéissent mal au roi. On lui fait de fausses démonstrations, on le trompe, on pille l'État de l'argent procuré par la sueur du citoyen et du paysan accablés de charges et d'impôts. A quoi aboutira un examen fait par des hommes, qui n'en ont ni la capacité ni le droit devant Dieu !" Les employés écoutèrent en silence cette verte réplique, et s'éloignèrent en se faisant part l'un à l'autre de l'étonnement où les plongeait la justesse de ce langage.

 

Par ordre du magistrat, la soeur de Catherine, Gertrude, les vicaires Lambert et Limberg et le docteur Wesener furent interrogés comme complices prétendus de l'imposture de Catherine. Le vicaire Limberg ayant fait dire par le maire qu'en sa qualité de confesseur de l'accusée il n'avait à faire aucune déposition, le président le somma d'une manière menaçante de s'exécuter; mais l'estimable prêtre ne comparut pas. Le président furieux, exhala sa colère devant Catherine qui lui répliqua, qu'un confesseur ne pouvait être écouté sur ses pénitents. "Niaiserie ! interrompit-il, je sais fort bien qu'il faut donner à l'empereur ce qui est à l'empereur, et à Dieu ce qui est à Dieu. On ne demande pas de vous des secrets du confessionnal. Qu'il y réfléchisse ! Jean Népomucène a dû mourir pour ce motif !" Catherine lui répondit: "Eh bien, pour remplir son devoir et suivre la voix de sa conscience, le vicaire Limberg saura mourir également. "

 

Pendant la troisième semaine, Catherine fut traitée durement par les commissaires, surtout par le président. Les membres se sentaient honteux, vexés, de n'avoir pu découvrir la moindre trace de fraude. Mais Dieu se plut à jeter la désunion et la discorde parmi ces hommes orgueilleux.

 

Le président surtout sentait combien sa position était devenue fausse et pénible : comment allait-il se tirer d'un si mauvais pas vis-à-vis du président supérieur et du public à qui il s'était, dans son étourderie, vanté par anticipation, de livrer les preuves de l'imposture de Catherine. Il craignit, à ce qu'il dit lui-même, perdre son emploi, si les recherches n'amenaient pas la découverte de la fourberie. C'est pourquoi il chercha à atteindre son but moyennant des menaces et des suspicions, pour amener Catherine à avouer que les plaies étaient faites artificiellement. "Les prêtres français" (il y avait auprès d'elle, outre le vicaire Lambert deux curés exilés), lui dit-il, ont vu que vous êtes une personne religieuse et patiente, prête à tout ; c'est pourquoi ils ont cru rendre aux usages et aux cérémonies

de l'Église catholique, leur crédit perdu, en rétablissant la foi aux légendes et autres histoires pareilles, par l’invention d'un conte de cette espèce."

Catherine ne put s'empêcher de faire voir à sa gardienne combien l'aveuglement volontaire et la méchanceté de ses ennemis lui causaient de douleur. Elle avait reconnu depuis longtemps qu'on cherchait à la décrier comme fourbe et s'attendait au résultat le plus défavorable.

 

La troisième semaine se termina, et tous souhaitèrent la fin des discussions. Incertaine du sort qui lui était réservé, elle adressa à Dieu, comme elle l’avait fait tous les jours, ces paroles suppliantes : "Mon Seigneur et mon Dieu, mon fiancé, mon unique trésor, voyez, le monde me méconnaît; les hommes qui vous ignorent, ainsi que votre esprit, cherchent à m'attirer. Je me suis unie à vous en vérité et vertu, et on veut nu. forcer à la trahison et aux mensonges, pour me rendre la liberté et me récompenser par de l'argent. Seigneur, c'est votre ouvrage ; je suis impuissante, guidez-moi dans les voies où vous voulez que je marche !" Dieu la secourut en délivrant son coeur de la crainte et de la tristesse ; elle se sentit rassurée miraculeusement. Le jeudi de la troisième semaine elle eut encore à subir un interrogatoire d'à peu près cinquante questions insignifiantes et ridicules.

 

Le vendredi 27 août, vers trois heures du soir, pendant les vêpres de saint Augustin, le président vint la voir, fit sortir la garde, et ferma la porte à clef. Les dernières heures d'angoisse allaient commencer pour la martyre. Catherine fut consternée de l'air farouche de cet homme ; cependant Dieu l’aida à remettre ses esprits et lui donna une force et un courage invincibles. "Tous les jours, à toutes les heures, commença-t-il, on découvre de nouveau que l'affaire devient toujours plus sérieuse et plus embrouillée. Lambert s'est trahi lui-même par ses rapports ; il est fort rusé, mais moi je le suis encore davantage. Enfin, les Français ont mis la chose en oeuvre, ou vous en êtes vous-même l'auteur. Avouez votre culpabilité !"

Catherine : Je ne révoquerai jamais ce que je vous ai dit.

Le président (prenant un ton solennel) : Prenez garde ! avouez donc enfin ! Le tout est une imposture, un artifice des Français.

Catherine se tut.

Le président (plus affable) : Il ne vous arrivera rien, tout finira aussitôt que vous aurez avoué. Ne craignez rien ; on prendra soin de vous et des vôtres.

Catherine : Je ne puis dire ce que vous exigez ; car cela serait un affreux mensonge.

Le président (tout irrité) : Si les Français n'en sont pas les auteurs, ce sont les Allemands. Avouez donc d'avoir occasionné vous-même le saignement de la tête !

Catherine : Cela serait également un mensonge. Interrogez la garde !

Le président: La garde n'est pas digne de foi. Et votre bon docteur Zümbrink ne me convient pas non plus.

Catherine : Ne vous donnez plus de peine ; je vois où vous voulez aboutir ; mais tout sera inutile.

Le président: Vous êtes une hypocrite ! Je vous connais, vous ayant observée minutieusement et ayant souvent tâté votre pouls. Je suis convaincu que vous avez assez de force, si vous voulez.

 

Un torrent d'invectives et de menaces suivit alors ; il poussa des cris de fureur. Catherine gardait le silence.

 

Le président: Pourquoi ne répondez-vous pas ?

Catherine : Je n'ai plus rien à vous dire. Vous ne cherchez pas la vérité.

Le président : Je vous dis la vérité ; c'est tromperie et rien d'autre. Vous pouvez vous sauver et rendre heureuse votre famille, avouez seulement que vous avez joué la comédie. Les plaies ne sont pas d'origine divine ; du moins quant à moi, je ne voudrais pas adorer un Dieu qui fit de telles choses. N'avez-vous pas de conscience ? J'ai bien quelque chose sur le coeur ; mais je ne voudrais pas échanger mon fardeau contre le vôtre

Catherine : Vous me torturez ! Vous voulez me perdre, moi et toute ma famille ! Mais Dieu me protégera ; la vérité triomphera ! Je n'ai plus rien à vous dire ! - Elle se détourna de lui.

Le président (s'éloignant) : Vous vous en repentirez ; je vous accorde un délai pour délibérer jusqu'à demain ! Acceptez mon conseil !

 

La scène formidable que nous venons de retracer en quelques mots rapides, avait duré des heures entières. Toute effarée et pleurant amèrement, la garde rentra, après avoir guetté dans l'antichambre et dit en sanglotant : "Quel homme horrible ! J'ai beaucoup souffert par la crainte incessante qu'il vous maltraitât." Catherine la rassura.

 

Le samedi matin, fête de saint Augustin, le docteur R. vint pour la dernière fois et dit ironiquement : "Etrange affaire, je retourne chez moi ; je ne m'en mêle plus." Il partit pour ne plus revenir. Bientôt après le président entra en disant

"L'affaire occasionne encore des formalités. Vous ne pouvez encore rentrer chez vous ; peut-être ne le ferez-vous jamais. Réfléchissez-y jusqu'à ce soir." Pendant la journée, le bourgmestre s'efforça de persuader la malade des bonnes intentions du président, pour l'amener à approuver tous ses actes. Elle se refusa énergiquement à cette exigence.

A six heures du soir le président revint en grande agitation, ferma la porte à clef et répéta ses menaces de la veille. Cette séance dura de nouveau deux heures. La fureur du président ne connut bientôt plus de bornes, et sa figure devint effrayante à voir, il cria et proféra les invectives et les menaces les plus terribles. Catherine opposa le silence à sa fureur. "Ma patience est épuisée, dit-il enfin, je vous ferai transporter cette nuit même. Je vais écrire l'acte de détention. Je vois clairement qu'un horrible serment vous lie et vous impose un silence absolu sur cette fourberie ; mais je relèverai la vérité. Vous serez transportée ailleurs." Une heure plus tard il rentra, la lettre en mains et recommença ses menaces. "Voulez-vous que ,j'expédie la lettre ? dit-il ; il est encore temps de l'empêcher. Pensez-y bien !" - "Oui, envoyez-la au nom de Dieu !" Cette scène se répéta trois fois. La garde exprima sa crainte que Catherine fût transportée cette nuit-là même.

 

Pendant ces dernières scènes, la malade fut soutenue merveilleusement par l'assistance de Dieu. Elle se sentit, comme elle le dit plus tard, calme et résignée, même sereine, bien que le souvenir de cet homme terrible et de ses paroles la fit frémir. La fin du temps des épreuves approchait enfin. Dieu lui envoya pour la première fois depuis le commencement de cette enquête odieuse, un sommeil calme et fortifiant. La nuit se passa tranquille ; les menaces iniques de la transporter, ne furent pas exécutées. Elles n'avaient été que de fausses alertes pour l'amener à un aveu mensonger et coupable.

Le lendemain dimanche, Catherine fut remportée dans sa demeure entre les bras de la servante de la maison. On peut appeler avec raison ce dernier jour de souffrance le grand jour de confession de sa vie, et ce fut par un bel enchaînement des circonstances que ce jour coïncida précisément avec la fête de saint Augustin, son intrépide patron.

Dans cette lutte pour la vérité, elle a été la fille fidèle de son père devenu si célèbre par ses combats contre les hérétiques, que les membres de son Ordre l'exaltent par ces paroles : "Toi seul tu es plus utile à la foi, que toutes les hérésies ne lui sont nuisibles."

 

Même si nous ne le savions pas par les révélations intérieures, par lesquelles Dieu fit reconnaître à cette vierge que les maux' de l'Eglise étaient la cause de sa persécution, les événements extérieurs nous prouveraient suffisamment, qu'elle était établie par Dieu comme le rempart de la puissance spirituelle contre ses ennemis, qui étaient en même temps les persécuteurs de l'Eglise. La franc-maçonnerie qui n'aspirait qu'à former une Eglise sans Jésus Christ, n'a pu nier les marques de la Rédemption imprimées à cette vierge privilégiée. Catherine reconnut en vision les agitations pernicieuses de cette secte, fermentant dans toutes les classes de la société et considérant l'Eglise catholique comme anéantie ; elle fut destinée par Dieu à entreprendre la lutte contre les représentants de cette secte, pour confesser Jésus Christ.

 

Le protestantisme entrant dans la Westphalie catholique à l'aide du nouveau gouvernement, s'unit à la franc-maçonnerie pour nier ces signes surnaturels et pour les condamner comme imposture et superstition catholiques. Mais l'incroyance ne réussit pas à nier l'existence réelle dans Catherine des signes miraculeux de Celui qui a aimé son Eglise, et s'est immolé pour elle, afin de la guider, la protéger et ne l'abandonner jamais. La ridicule prétention du gouvernement séculier d'être le guide supérieur des consciences de l'humanité, ne fut pas respectée par cette vierge fidèle à l'Eglise. Nous avons appris de sa propre bouche qu'elle s'opposa à ses exigences avec le noble courage d'une martyre : bien que dépourvue de toute assistance dans sa déplorable situation, elle déclara qu'ils allaient trop loin, et qu'ils n'étaient point des juges compétents dans une affaire spirituelle.

 

Même les prêtres prévaricateurs avaient envoyé leurs représentants à cette persécution de l'innocence ; mais Dieu les en éloigna par la voix de leurs supérieurs.

 

Bien des membres tièdes de l’Eglise, croyant rendre service à Dieu en cherchant sincèrement la vérité en la personne de Catherine, ont trouvé dans le coeur généreux de cette vierge une place spéciale et ont été sauvés par ses mérites. Nous en parlerons plus loin.

 

Chapitre 6

 

Conséquences de l'enquête civile

 

Fin du chemin de croix

 

Pendant que les ennemis de la foi déployaient leur activité hostile contre la vierge martyre, Dieu se plaisait à entourer sa fidèle servante d'une protection spéciale. En elle il manifesta de nouveau cette vérité qu'il est près de ceux qui ont le coeur opprimé. Dans les situations les plus désagréables, Catherine voyait à côté d'elle un corps lumineux qui lui suggérait ce qu'il fallait dire. Sans cette assistance surnaturelle, ses faibles forces n'auraient pas suffi à subir ces épreuves ; son âme aurait succombé à la détresse. Quelquefois elle se sentait forte et joyeuse dans les ténèbres de l'affliction, et son coeur ému de pitié se laissait aller à la prière en faveur de ses ennemis.

 

Qu'elle nous paraît merveilleuse dans sa pudeur et sa force chrétiennes ! Dans ses réponses elle ressemble à sa patronne auguste d'Alexandrie qui par sa sagesse et la sublimité de son caractère éblouit les juges et les couvrit de confusion. La découverte du plus petit désordre dans la vie de Catherine, aurait été pour ses ennemis un motif suffisant pour la tenir à jamais sous la surveillance la plus stricte et la plus sévère. Mais au contraire son droit et franc langage envers plusieurs membres de l'enquête auxquels elle reprocha la perversité de leurs sentiments et de leurs actions, les confondit souvent jusqu'à les faire rougir de honte. Un jeune médecin ayant à peine fini ses études, fut si bien mis à la raison par Catherine, qu'il dit tout perplexe à la garde-malade : "Cette béguine s'entend parfaitement à vous réveiller la conscience." D'où venaient donc à Catherine cette franchise et cette éloquence, sinon du Saint-Esprit que le Seigneur avait promis aux Apôtres pour de semblables situations ? Les commissaires aveuglés par leur mauvaise volonté nous rappellent les paroles des Ecritures

"Malheur à vous qui dites que le mal est bien et que le bien est mal, qui donnez aux ténèbres le nom de lumière et à la lumière le nom de ténèbres, qui faites passer pour doux ce qui est amer, et pour amer ce qui est doux." (Is. 5. 20)

Ces hommes nous présentent un frappant exemple de la corruption du coeur humain ; car malgré leur préjugé de l’origine artificielle des plaies, ils devaient reconnaître le surnaturel des stigmates en ce que les blessures n'accusèrent pendant trois semaines aucun changement; ceci en effet déroute et contredit complètement la nature.

 

Peu de temps après le retour de Catherine dans sa demeure, elle reçut la visite de Wesener qui fut épouvanté de son triste aspect : ses yeux ternes, son regard languissant et sa figure blême, lui rappelait plutôt un cadavre qu'un corps vivant. Epuisée par les luttes constantes des dernières semaines, elle tomba si gravement malade que l'on crut sa mort inévitable ; mais Dieu la guérit et la fortifia pour de nouvelles épreuves. Overberg écrivit une lettre à Catherine dans laquelle il dit : "Votre esprit ne se réjouit-il pas dans la pensée de devenir semblable à votre céleste époux ? Après avoir partagé les douleurs de Jésus Christ, il vous manquait encore le manteau de pourpre et la robe dérisoire ainsi que l'insulte

Qu'on la crucifie ! je ne doute pas que ces sentiments ne soient les vôtres." Il n'aurait pu faire valoir de consolation plus vraie. Bientôt après il vint lui-même en compagnie du conseiller De Druffel à Dülmen, pour rendre visite à Catherine. Il passa avec elle des heures entières pendant lesquelles la martyre épancha son coeur dans celui de cet ami qui la fortifia et l'encouragea.

 

Le sentiment de ses concitoyens fut manifesté par les paroles suivantes de M. de Schilgen, qui écrit dans le Rheinisch-Westfalischer Anzeiger, premier organe du pays

"Aujourd'hui, 29 août, la malade Anne-Catherine Emmerich a été reportée dans son lit. Je ne saurais décrire la joie générale, et la part que toutes les personnes impartiales prennent à ses souffrances. Tout le monde juge que l'on ne l'aurait pas mise en liberté, si cette perquisition de vingt-deux jours avait découvert la moindre chose au désavantage de la prisonnière."

 

Non seulement à Dülmen, mais encore dans toute la province, on était indigné qu'une personne déclarée innocente et estimable par l'autorité ecclésiastique, eut été privée de sa liberté sans le moindre droit. Aussi, attendait-on avec impatience la publication du résultat de cette enquête arbitraire. Mais cette publication ne parut pas. C'est pourquoi un médecin, M.C. Lutterbeck de Münster, entreprit de censurer publiquement les torts faits à Catherine. Ce monsieur avait fait la connaissance de la malade par une visite qu'il lui fit en la société du prédicateur Koch. Il écrit entre autres choses

 

"On donnait unanimement à Anne-Catherine Emmerich, dès sa première jeunesse, le témoignage d'une vie retirée, candide et irréprochable ; elle n'abusa jamais de ses plaies pour en tirer des profits matériels, car elle a toujours refusé tout présent. Elle ne faisait jamais étalage de ses préférences ; au contraire, elle cherchait à échapper aux visiteurs curieux. En présence de ces faits, je ne sais comprendre comment la police supérieure du pays ait pu se tenir autorisée à déclarer cette personne déchue de tout droit domestique, à la condamner à une détention de trois semaines et à une enquête publique et tortionnaire, comme on l'exige pour un criminel accablé de preuves et de charges accablantes. Les jours passés nous ont prouvé que chaque citoyen, même s'il ne montrait que peu d'intérêt aux stigmates de Catherine Emmerich, était indigné d'un tel traitement et se sentait atteint et lésé dans sa propre liberté domestique. La police civile avait d'autant moins le droit de se mêler des affaires d'une religieuse étrangère à la vie publique, que la véracité de ses stigmates avait été constatée par des observations faites pendant plusieurs années, par des hommes d'une loyauté incorruptible : qu'il suffise de nommer le doyen Rensing, le comte de Stolberg, le conseiller De Druffel, le médecin Wesener. On pourrait ajouter multitude d'autres médecins et personnes qui attestent la même chose, sans compter que la ruse la plus infatigable de ses antagonistes n'a pas réussi à démontrer la fausseté de leurs assertions. Malgré cela, le public demande néanmoins : Quelles observations et quels résultats la Commission a-t-elle démontrés ?"

 

Cette interpellation était accompagnée des témoignages de la garde-malade, qui avait été présente à toute l'enquête civile

elle déclarait celle-ci complètement injuste et était prête à corroborer ses assertions par serment.

 

Dans ces conditions, le président ne put garder le silence plus longtemps. Il publia une invective intitulée : "Histoire et résultats préalables de l'examen officiel" (1819), où il ose désigner Catherine comme coupable d'imposture relativement à ses plaies, comme menteuse et hypocrite relativement à son caractère. L'argumentation fut tellement superficielle et insuffisante qu'à force de fausseté, ce fut elle qui, malgré l'esprit du temps hostile à la foi aux miracles, mit l'opinion publique du parti de Lutterbeck. Cependant, malgré sa déclaration finale qu'il ne se mêlerait plus jamais de pareille affaire, le président de l'enquête publia un second écrit, pour se défendre de l’abandon général dont le public l’honora. Dans sa réponse à ce traité, Lutterbeck dit : "Celui qui ose nommer Catherine Emmerich un imposteur sans prouver cette assertion, est autorisé à me placer moi-même sur le même rang. Tous les hommes distingués d'ailleurs sont de mon avis."

 

Alors le président publia une seconde réplique dans laquelle il parle de "clinquant miraculeux", d'une "Reservatio mentalis vraiment jésuitique", de "l'indigne superstition monacale", expressions qui suffisent à elles seules pour caractériser l'esprit de cet homme. L'écrit finit par ces paroles : "J'espère que je n'aurai plus lieu de parler en public de cette histoire vraiment étrange pour le dix-neuvième siècle. Je n'ai plus rien à faire avec ces fanatiques incorrigibles et ces fous superstitieux ; c'est le devoir des satiriques de s'occuper de ces indignes fourberies." - Ces dernières paroles se rapportent aux articles chargés de l'ironie la plus amère et des plus basses calomnies que Bodde et le président lui-même avaient lancées contre les prêtres et les médecins qui étaient en relation avec la martyre ; ces articles parurent durant l'enquête dans le Rheinisch-WestfalischerAnzeiger. - Cette polémique pamphlétaire dura jusqu'à la fin de 1820.

 

Le vicaire général ordonna à Catherine de faire part à Wesener de tous les détails de l'enquête, pour en dresser un compte rendu. Cela eut lieu. Alors le vicaire général proposa à Catherine de traduire le président de l'enquête devant le tribunal supérieur du pays, pour lui avoir refusé un procès-verbal sur les observations faites par lui. On ne lui avait remis ni condamnation, ni acquittement. Elle devait l'incriminer aussi de l'avoir calomniée publiquement en la qualifiant de fourbe et de menteuse dans son pamphlet.

Il s'en suit indubitablement que le vicaire général croyait les commissaires incapables de démontrer, sous prestation de serment, quelque fourberie dans Catherine. En outre, si ce procès avait lieu, la réclamation d'un bulletin sur l'enquête ecclésiastique et sur la conduite morale de l'accusée était inévitable. Le vicaire général devait donc désirer cette accusation, pour s'opposer avec dignité devant le tribunal à l'assertion insolente du président, qui l'accusait de ne pas être convaincu lui-même de la vérité des stigmates et des extases, car son état ne lui permettait pas de se lancer dans une polémique de pamphlets avec les prétendus "hauts esprits" du dix-neuvième siècle. Overberg détourna avec raison le docteur Wesener du projet de réfuter les détracteurs, en lui rappelant la parole des Ecritures qu'il ne fallait pas payer du fer-blanc avec de l'or pur.

 

Catherine ressentit la compassion la plus vive, à la vue des chagrins que des prêtres respectables et des médecins dévoués avaient à subir à cause d'elle ; et les encouragea à sauver leur honneur par des réponses publiques. L'invitation de l'autorité supérieure ecclésiastique, à déférer le président en justice, la jeta dans l'embarras et la perplexité, mais comme toujours dans les cas où les opinions humaines contredisent les intentions de la Providence, Dieu l'assista merveilleusement.

 

D'après le cours ordinaire des choses, le vicaire général ne pouvait agir autrement ; mais Catherine privée de ses droits et calomniée publiquement, était l'image de l’Eglise souffrante qui se trouvait être dans le même état ; aussi son ange lui défendit-il de se plaindre publiquement. "N'oubliez pas, dit-il, que ces signes ne vous sont pas donnés pour accuser, mais pour expier: n'oubliez pas cela et aimez toujours." En même temps, Dieu lui fit connaître qu'un procès servirait à ses ennemis de prétexte pour exiger une nouvelle inquisition hors de Dülmen. Et c'était là encore toujours l'intention de ces hommes, qui ne s'étaient séparés que par dépit, de voir leurs efforts incapables d'amener le résultat voulu. La contradiction, dont Catherine eut à souffrir sans cesse, fut la négation complète de tout ce qui n'était pas naturel : on rejeta tout cela simplement comme contraire à la saine raison.

 

Dieu lui fit voir que ses ennemis avaient eu souvent l'intention de l'emmener de force de Dülmen, pour l'avoir toujours sous la main. Le coeur timide de Catherine s'épouvanta à la pensée de redevenir le sujet de ces inspections grossières, et d'être forcée à entendre les blasphèmes honteux vomis contre les empreintes miraculeuses des plaies de Jésus Christ. Elle s'écria en gémissant: "Je ne prévois pas la fin de mes souffrances ; elles augmentent toujours !" Son époux divin lui répondit : "Vous souffrez ici des persécutions pour que beaucoup trouvent la vérité !" Catherine réitéra alors l'offrande de ses maux, en disant: "O mon Dieu, que les hommes, s'ils le roulent, déchirent mon corps, qu'il soit immolé pour vous, Seigneur. Me voici votre humble servante !" Dieu la réconforta par l'assurance qu'il agréait la secrète torture de ses angoisses, en compensation du mauvais traitement inévitable que ne manquerait pas de lui susciter un nouvel examen, et qu'ainsi il confondrait les ennemis de son Eglise. Les visions ayant trait à ses adversaires durèrent jusqu'à la mi-décembre, où elle les vit confondus et profondément divisés entre eux.

 

Au commencement de l'année 1820, Dieu lui découvrit le nouveau projet de ses ennemis de l'éloigner de Dülmen, si les plaies recommençaient à saigner. Ce qui l'affligea le plus dans cette vision, fut ceci : ce plan avait été conçu par un prêtre mal intentionné, qui avait en même temps proposé de demander au vicaire général la permission de faire cette nouvelle enquête afin de pouvoir procéder avec plus de sûreté. Mais le vicaire général refusa cette permission, et Catherine obtint par ses prières l'échec des intentions hostiles : l'attaque n'eut pas lieu. Elle offrit cependant en holocauste ses craintes et nombreuses souffrances de ce temps pour la conversion de ses persécuteurs.

 

Ses prières et ses sacrifices pour ses ennemis pendant le Carême 1820, nous montrent une fois de plus l'incomparable charité qui fut le cachet distinctif de toute sa vie. Comme elle vérifie bien les paroles de l'ange : "Vos marques amènent la réconciliation !" A côté de ses instances au Père céleste pour montrer sa Miséricorde aux âmes aveuglées de ses ennemis à cause des mérites de son Fils unique, elle fit holocauste aussi des souffrances corporelles que lui occasionnaient les stigmates. Celles-ci lui causaient des douleurs brûlantes aux mains et au front, au point que le tremblement de ses membres agitait le lit où elle gisait étendue. Dès le dimanche de la Quinquagésime, elle eut à subir pendant une semaine entière, sans aucun répit, les douleurs de toutes les plaies à un si haut degré, que souvent elle perdait connaissance.

 

Son expiation pour ses persécuteurs s'opéra pendant tout le Carême par des travaux emblématiques. Elle dut porter le président à l'église sur ses épaules, à travers des marais fangeux, sauver le médecin R. du danger de se noyer, délivrer le curé R. d'un gouffre, où il était tombé meurtri et écrasé ; elle dut soutenir le combat contre des tigres, des chiens furieux, des chats et des porcs, qui représentaient les passions et les noirs projets de ses ennemis. "Je me suis imposé une tâche difficile pour mes ennemis", soupira-t-elle, "cependant Dieu m'a accordé la rémission de toutes leurs dettes contractées jusqu'ici, s'ils se convertissent maintenant. "

 

Au milieu de ce temps de persécution, Dieu fit soudainement saigner toutes ses plaies le 9 mars, troisième vendredi du Carême. Elle paraissait bien portante, une splendeur étrange se peignit sur sa figure, et elle souriait pleine de dévotion et de sérénité. Le vendredi-saint, les plaies saignèrent de nouveau, et la violence des douleurs rendit en même temps témoignage de l'anniversaire de la mort du Sauveur.

Ces peines furent augmentées, par une crainte terrible d'être tourmentée de nouveau à cause de cette nouvelle effusion de sang. Dans cette détresse, elle répéta les paroles de Jésus attaché à la croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée ?"Mais elle ne fut pas inquiétée, aucun ennemi ne troubla son repos. Les plaies se refermèrent ce jour-là, pour ne plus s'ouvrir jusqu'au vendredi-saint 1821. Après cette journée de vendredi-saint 1820, on cessa de 1a persécuter directement.

 

Il y avait sept ans écoulés depuis le Carême 1813, où l'enquête ecclésiastique s'était produite, sept ans qu'elle avait été posée, à l'exemple de son Sauveur, comme un signe pour la ruine et la résurrection d'un grand nombre. Elle était un aigrie de contradiction pour les hommes, car la sagesse du monde ne voulut pas reconnaître les oeuvres de Dieu. Cependant Dieu s'unit à elle, comme elle à lui, et les contemporains révélaient leurs sentiments en se décidant pour ou contre l’Eglise.

 

Complétons en peu de mots l'histoire des plaies de Catherine durant les trois dernières années de sa vie

 

Dans une vision qu'elle eut en 1821, elle apprit que ses ennemis ne l'avaient pas oubliée, et elle y reçut cette exhortation

"Faites attention, vous partagerez la Passion de notre Seigneur le jour historique et non le jour liturgique." Et chose étrange, tandis que le vendredi-saint tombait le 20 avril, les saignements se produisaient déjà dès le 30 mars. Le sang coula de toutes les plaies ; sa figure était toute inondée du sang découlant de son front ; son corps montrait les traces de la flagellation, remarquées par son entourage sur ses bras. Au jour liturgique elle ne saigna point, c'était la première fois depuis l'origine des stigmates. Mais ce jour-là même, Dieu se chargea de donner l'explication de ce fait. Le matin du vendredi-saint en effet, le maire entra soudainement dans la chambre de Catherine pour s'informer, d'après des ordres supérieurs, gomme il le prétendit, si les plaies saignaient. En ce cas, elle aurait été exposée à de nouvelles tortures ; mais le maire ne découvrit rien, et elle fut laissée en paix.

 

Au mois d'août 1821, elle prit son domicile dans la demeure retirée du vicaire Limberg. Ce changement ayant eu pour effet de restreindre l'affluence des visiteurs, les adversaires de Catherine commencèrent à l'oublier peu à peu. Dans cette habitation, elle passa en toute paix les deux Vendredis Saints 1822 et 1823. Cette année devait être la dernière, où, prenant part à sa Passion, elle rendit par ses souffrances, témoignage à Celui qui donna sa vie en holocauste pour nous tous. Dans sa méditation, elle suivit l'histoire de la Passion de Jésus, de la veille jusqu'au soir du vendredi-saint (le 28 mars) ; les saignements ne furent pas très prononcés, mais causèrent tant de douleurs qu'elle se sentit épuisée jusqu'à penser mourir.

Exaltons dans le martyre sanglant et non-sanglant de cette vierge, la bonté miséricordieuse de Dieu ! La longue persécution qu'elle endurait à cause des signes de notre Rédemption, devint une expiation agréable à Dieu. Dieu l'accepta des mains de l'innocence, pour paralyser les efforts des persécuteurs de l'Eglise, et pour ranimer la foi précieuse et la piété aimante de nos ancêtres, dans laquelle Catherine avait été élevée.

 

Le doyen Rensing écrivit dans sa brochure contre Bodde

 

"Les événements merveilleux produits en Catherine Emmerich, sont pour nous un appel à des réflexions sérieuses sur l'esprit corrompu du temps qui, sous prétexte de répandre la lumière et le salut, blasphème le nom unique auquel nous devons la véritable lumière, et dans lequel seul réside notre salut."

 

Il affirme de plus, que les apparitions ont été vues et observées dans le même état, par plus de deux cents témoins de toutes les confessions chrétiennes, parmi lesquels il y avait plus de trente médecins, dont plusieurs venaient la raillerie sur les lèvres, et s'en retournaient stupéfaits de ce qu'ils avaient vu.

 

Un contemporain écrit encore au sujet de Catherine

 

"Elle est pauvre et éprouvée d'une maladie mystérieuse, sans protection, martyrisée, non comprise, jetée par la Providence au milieu d'un monde incrédule, scellée par les signes de l'amour crucifié, pour témoigner la vérité. Quelle tâche difficile de porter sur son corps les marques victorieuses du Fils vivant de Dieu, Jésus de Nazareth, roi des Juifs, en face d'un monde curieux et des hommes adulateurs serviles des princes de ce monde. Il faut pour cela une abnégation vraiment héroïque, et c'est seulement soutenue et fortifiée par la grâce divine, qu'une faible créature peut devenir apte à se laisser bafouer par le monde entier comme un objet de scandale, de fraude et de fourberie, comme une vivante énigme ; peut supporter enfin, de se voir un sujet d'observation générale, le centre des commérages les plus divers et les plus contradictoires ; d'être jetée, pour ainsi dire, sur la voie publique, où l'incrédulité et la superstition, la malice et l'orgueil, la science humaine et la trivialité prétendument éclairée par elle, se disputent la victoire."

 

 

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