LIVRE CINQUIÈME

 

CATHERINE ET SES CONTEMPORAINS

SES VISIONS ET LES TEMPS POSTÉRIEURS

SES DERNIERS JOURS ET SA MORT

 

Chapitre 1

Relations de Catherine avec plusieurs de ses contemporains

 

 

Durant le cours de sa vie Catherine fut instruite de bonne heure, sur mainte personne qui entrerait en relation avec elle, pour retirer des fruits de son activité méritoire. Par cette activité, elle devait faire de ces âmes des instruments aptes à accomplir une triple mission. Ces âmes devaient d'abord amener Catherine à la plus haute perfection ; elles avaient ensuite la mission de faire parvenir la connaissance des dons intellectuels et des visions de Catherine au monde contemporain et futur. Enfin Catherine devait les amener à leur tour, à suivre fidèlement leur vocation pour opérer leur propre salut et défendre les droits de l'Eglise.

 

Certes, il est étonnant de voir cette vierge humble et illettrée, entretenir des relations intimes avec des hommes de distinction, universellement reconnus comme les porte-étendards de la foi et de la science ecclésiastique. Mais Dieu les conduisit au chevet de notre humble malade pour leur montrer, que même à une époque d'indifférence et de dépravation, sa main puissante n'abandonnait pas son Eglise.

 

Catherine était la contemporaine de ces hommes excellents qui, unis par les liens d'une solide amitié et animés des mêmes tendances scientifiques et religieuses, se groupèrent sous le nom de "Familia sacra" autour de la princesse Gallitzin à Munster, en Westphalie. C'était une association d'esprits éminents, unique alors dans toute l'Allemagne. Cette réunion de savants, s'opposant à l'esprit du temps pour la défense de leurs convictions religieuses, nous apparaît comme une oasis rafraîchissante au milieu du désert aride de la dissolution, du désordre, et de la décadence générale. Les membres de cette société ont presque tous entretenu des relations suivies avec Catherine. Elle était considérée comme une amie, respectée et vénérée par des hommes d'une célébrité incontestable, tels que Frédéric-Léopold de Stolberg, Overberg, Clément-Auguste de Droste-Vischering, les professeurs Katerkamp, Kellermann, etc. Ces érudits amenèrent chez notre vierge d'autres personnes éminentes, telles que le grand Sailer, Chrétien et Clément Brentano, Louise Hensel, Melchior et Apollonie Diepenbrock, qui se sentaient tous vivement attirés vers l'humble fille de Flamsche, que la Providence divine avait établie comme le centre des esprits distingués de son temps.

 

Nous avons appris que les deux hommes les plus considérables du diocèse de Munster, le vicaire général ClémentAuguste de Droste-Vischering et Overberg, Régent du grand séminaire et le professeur le plus célèbre de son temps, sont demeurés en liaison perpétuelle avec Catherine. Nous avons vu plus haut ce qu'elle fit pour le vicaire général. Elle opéra de même pour Overberg, qui d'ailleurs a toujours été son conseiller spirituel et son père consolateur. Chaque année il lui rendait visite pendant plusieurs jours. La confiance de Catherine dans ce prêtre nous est prouvée par une lettre que l'on conserve à Dülmen, et dans laquelle la malade appelle Overberg son père bien-aimé.

 

Le premier membre de la "Familia sacra", la princesse de Gallitzin, était morte en 1806, alors que Catherine se trouvait encore dans le cloître. Catherine ne connut donc pas la princesse personnellement, et cependant celle-ci a été certainement montrée à la vue spirituelle de la stigmatisée lorsque Dieu l’initia aux affaires ecclésiastiques du diocèse. La fille de la noble princesse, Mme de Salm Reifferscheid, fut introduite auprès de Catherine en 1813 par Overberg lui-même. Ces deux visiteurs qui séjournèrent plusieurs jours au chevet de la martyre, furent témoins oculaires du saignement de toutes ses blessures. Cette dame excellente renouvela fréquemment ses visites, et resta en communication continuelle de prières avec Catherine. Plus tard elle amena à son tour Louise Hensel.

 

Le 23 juillet 1813, le célèbre historien de l'Eglise, Frédéric-Léopold comte de Stolberg ainsi que son épouse, furent conduits par Overberg auprès de Catherine. Dans une lettre à sa soeur, le comte atteste la vérité de toutes les plaies, et témoigne en même temps sa profonde vénération pour la martyre, dont il devint plus tard l’apologiste intrépide. Il fait partie dès lors du nombre des personnages, pour lesquels la malade sacrifiait principalement ses prières et ses souffrances. Nous devons reconnaître une faveur spéciale du Ciel dans cet enchaînement curieux de circonstances, qui amena bientôt après la première enquête, un des hommes les plus éminents de l'époque, dans la modeste chambre de la malade, pour laquelle il redit hautement témoignage devant le monde entier. Sa lettre qui est réellement un petit traité sur la vie et le caractère de Catherine, a été souvent répandue dans le public ; elle restera toujours un document précieux à cause de son illustre auteur. Entendons-le raconter lui-même quelle bienfaisante édification il a puisée dans cette pauvre chambrette

 

"Le matin à 9 heures, Overberg nous conduisit près d'elle. Elle est extrêmement propre ; dans la petite chambre il n'y avait pas la moindre odeur. Elle nous reçut avec une grande amabilité. C'était un vendredi. A la prière d'Overberg elle ôta son bonnet et son mouchoir, non sans éprouver une profonde affliction d'être obligée de se montrer. Le front et la tête étaient comme transpercés de larges épines ; on vit distinctement les plaies d'où coula du sang encore frais. Tout le cercle autour de sa tête était sanglant ; les plaies de ses mains et de ses pieds saignaient de même. Catherine se prononça sur la religion dans un langage noble, qui manifesta non seulement de la dignité et de la modestie, mais encore un esprit éclairé. Son regard lucide, son affabilité sereine, sa sagesse éclatante et son amour profond s'exhalèrent de tout ce qu'elle dit. Elle parle bas, mais d'une voix sonore et pure. Il n'y a rien d'extravagant dans ses paroles, car l'amour ne connaît pas d'exagération. Elle parle de choses sublimes, de l'amour souverain et universel de Dieu, de sa longanimité envers les pécheurs, de la charité mutuelle des hommes. Loin de s'enorgueillir des signes extérieurs qui attestent son élection et sa mission divines, elle s'en trouve bien indigne, et porte humblement les trésors du Ciel dans le vase fragile de son corps."

 

Le noble comte mourut d'une mort sainte et digne de sa vie en 1819. Il expira en présence du doyen de la cathédrale Kellermann, son ami, qui affirme que cette mort marque l'une des heures les plus édifiantes de sa vie. Dans une vision Catherine vit la transfiguration de son âme au Ciel.

 

0 Faisons encore mention de la visite d'un autre personnage considérable de ce temps, le professeur Sailer, plus tard évêque de Ratisbonne. Passant un jour par le pays, Sailer avait demandé à Overberg la permission de visiter et d'examiner la malade. Overberg y consentit avec d'autant plus de joie, qu'alors une multitude d'adversaires déclaraient que les événements de Dülmen n'étaient que des impostures évidentes ; ils osaient même accuser l'autorité ecclésiastique d'ambiguïté et de connivence dans cette affaire. On ne pouvait donc souhaiter mieux que d'entendre le jugement d'un homme aussi célèbre et aussi respecté que Sailer. C'est pourquoi Overberg crut l'occasion favorable de faire taire l'opposition par le témoignage aussi sérieux que solide de Sailer, auquel il accorda l'autorisation d'entendre la confession de la malade. De plus, le Père Limberg fut chargé, par lettre, de communiquer à Catherine le désir de ses supérieurs, de rendre à son visiteur le compte le plus détaillé de son état de conscience.

 

Le lendemain de son arrivée à Dülmen étant un vendredi, Sailer en passa la plus grande partie au chevet de Catherine. C'est avec un attendrissement sincère, qu'il put se convaincre de la réalité de ses états extatiques, de son obéissance envers les ordres de l'autorité ecclésiastique et de la pénétration de son esprit. Il vit les saignements merveilleux de ses plaies et s'entretint longuement avec elle. Elle se confessa à lui, et puisa une consolation véritable dans les enseignements de ce digne prêtre. Le lendemain il lui donna la sainte communion. Après avoir rendu visite au comte de Stolberg à Sondermühlen, accompagné des frères Brentano, il retourna encore une fois à Dülmen.

Avant de prendre définitivement congé de Catherine, il lui donna l'assurance de son entière amitié, et de l'assiduité qu'il apporterait à se souvenir d'elle en ses prières ; il lui demanda également son intercession puissante pour attirer les bénédictions du Ciel sur les travaux de son ministère.

 

L'indifférence en matière de religion réveillant dans beaucoup de personnes la nécessité de croire au surnaturel, l'esprit corrompu du temps les conduisit aux erreurs du faux magnétisme, de la clairvoyance spirite et à d'autres effets magiques qui arrêtaient l'essor de la foi en la révélation divine et aux opérations salutaires de l'Eglise. Nous pouvons donc voir un effet particulier de la Providence en ce que tant de médecins et de physiciens furent appelés à se réunir au chevet de Catherine, pour se convaincre de ses dons surnaturels et pour parvenir ainsi à voir en elle l'opération miraculeuse de la grâce. Par eux cette conviction devait se propager parmi le monde éclairé et distingué de cette époque. Ajoutons aux noms connus de Wesener et de Druffel, ramenés par elle dans le sein de l'Eglise, celui d'un érudit qui a joui d'une grande et salutaire influence sur son temps. Chrétien Brentano bien qu'élevé dans la religion catholique, mais séduit par les fausses lumières d'une civilisation mal comprise, en était arrivé au mépris complet de la foi et de la religion de ses aïeux. Il fut ramené à la vérité principalement par ce qu'il vit de miraculeux en la personne de Catherine.

 

Instruit sur la malade par Sailer, Chrétien la visita accompagné d'un médecin de Francfort en 1817. N'ayant pas de notions sur la vie de Catherine, il vit d'abord en elle une de ces personnes, nombreuses alors, dans lesquelles les forces de la nature, telles que le magnétisme, produisaient des apparitions problématiques, des hallucinations et des enthousiasmes étranges. Il séjourna des semaines entières à Dülmen, et Catherine le traita avec la plus grande amabilité et douceur, bien qu'elle n'ignorât pas son jugement erroné à son sujet. Cependant l'auréole de sincérité, brillant sur le front de la modeste vierge, l'impression de son innocence inviolable, à laquelle personne ne savait se soustraire, ont éclairé le savant docteur aussi bien que tant d'autres, que la Soeur Emmerich a ramenés dans la voie du bien. Le temps passé à Dülmen lui a valu d'abondantes grâces, et afin de faire participer son frère Clément à cette même bénédiction, il quitta Dülmen, pour se rendre auprès de lui à Berlin. Plus tard il visita encore Catherine à plusieurs reprises.

 

Avant de décrire la rencontre de Catherine avec Clément Brentano, relatons d'abord celle de la poétesse Louise Hensel avec notre humble vierge.

 

Cette dame célèbre, née en 1798, était la fille d'un pasteur protestant à Linum, près de Berlin. Après la mort de son père, Louise demeura avec sa mère à Berlin. Non seulement elle montrait dès son enfance des propensions à la piété, mais elle se sentait même vivement poussée par une voix intérieure à embrasser et à pratiquer la religion catholique. Elle éprouva toujours une grande vénération pour la Sainte Vierge ; elle soupçonna très tôt la vérité de l’institution divine du sacrement de pénitence, et elle aspira à goûter les fruits, malgré son éducation sévèrement morale. La confirmation luthérienne qu'elle reçut à l'âge de quinze ans ne lui suffit pas ; car aux yeux de la jeune fille, elle ne s'accordait pas avec les enseignements de l’Ecriture et du Credo, et elle n'équivalait point aux forces et aux secours augustes procurés par l'Eglise catholique à ses membres défaillants.

 

Elle se mit à la recherche de la véritable Eglise fondée par Jésus-Christ pour tous les temps, et qui seule devait posséder

 

toute la richesse de sa doctrine sublime. C'est pourquoi, elle ne se lassa pas de prier et de scruter et de chercher, jusqu'à ce qu'elle parvînt à obtenir un catéchisme catholique. Elle avait alors dix-neuf ans. Là elle trouva enfin la réponse à toutes les questions qu'elle s'était vainement posées jusqu'alors à elle-même, ainsi qu'à ses amis et même à des pasteurs protestants. Et ce qui lui parut inappréciable, ce fut la découverte que ces réponses étaient argumentées par des sentences de la Bible.

 

L'année suivante elle se rapprocha davantage de sa conversion. Jamais personne ne lui avait inculqué des notions catholiques ; mais celles-ci s'étaient développées en elle dès son enfance comme par un effet mystérieux de la grâce divine. Personne au monde n'avait la moindre idée de ses recherches et de ses combats intérieurs. Elle ignorait que dans la petite ville inconnue de Dülmen, elle fut montrée au regard spirituel d'une pieuse et humble vierge, qui acheva cette conversion par ses prières et ses souffrances. Louise était une de ces âmes prédestinées douées de la grâce divine, et qui, par la coopération de notre martyre, furent destinées à l'accomplissement d'une mission difficile dans un temps dépourvu de tout esprit religieux.

 

C'est à la fin septembre 1818, que Clément Brentano, un ami de Louise, arriva de Berlin à Dülmen, pour voir Catherine. Comme partout, la réputation de la "béguine de Dülmen" avait pénétré jusque dans les hautes sphères de la société berlinoise : on parlait d'elle dans les réunions protestantes, et même à la Cour, l’existence de cette humble fille n'était pas ignorée.

Plus que tout autre, Louise avait ardemment désiré apprendre des détails sur la vierge célèbre, et pour atteindre ce but, elle avait poussé Clément à entreprendre le voyage de Dülmen. Ce dernier, bien qu'ayant entretenu des relations amicales avec Louise et sa famille, ne savait rien de ses voeux intimes, ni de son intention de devenir catholique. Maintenant il allait devenir sans le savoir le correspondant entre ces deux âmes distinguées. Sa surprise fut donc très grande, lorsque Catherine lui découvrit qu'elle le connaissait déjà lui et son amie Louise, et lorsqu'elle le chargea d'écrire à la poétesse qu'elle appuyait son grand dessein, par sa prière et ses souffrances. Cette nouvelle excita le plus vif étonnement de Louise ; elle y reconnut un avertissement d'en Haut et y trouva un affermissement précieux dans son combat. Cette lettre calma les vagues ondoyantes de son esprit agité ; et elle se sentit heureuse, d'avoir conquis l'intérêt de celle, qui, comme elle l'écrit dans son journal, "porte le blason de la Passion du Christ."

Dès lors Clément eut souvent à écrire au nom de Catherine, des lettres encourageantes à Louise. Celle-ci persuadée depuis longtemps de la vérité de l'Eglise catholique, se sentit obligée en conscience d'entrer formellement dans cette Eglise malgré les difficultés que lui opposerait, dans ce pas décisif, son entourage protestant.

 

Lorsque le temps béni de l'Avent s'approcha, Louise commença la préparation prochaine à sa conversion officielle. Elle se fit instruire par le curé Taube, prévôt de l'église de Sainte Hedwige à Berlin. Ce fut entre les mains de ce prêtre que Louise Hensel déposa à l'âge de vingt ans, l'acte d'abjuration au protestantisme, pour entrer dans le giron de l’Eglise catholique, le 7 décembre 1818.

Le lendemain, en la fête de l'Immaculée Conception, elle fit sa première communion. Elle accomplit ce grand acte en secret, forcée qu'elle y était par certaines circonstances indépendantes de sa volonté. Quelques jours plus tard, Brentano, ne sachant nullement ce qui était arrivé, adressa une lettre à Louise, pour lui communiquer que le 8 décembre Catherine avait offert pour elle le chemin de croix, ainsi que toutes les douleurs et toutes les consolations éprouvées ce jour-là. Peu de jours après, cette nouvelle étonnante fut suivie par une autre qui la convainquit encore davantage que la main de Dieu la guidait par l'intermédiaire de l'humble malade de Dülmen. Le passage de la lettre qui n'était intelligible que pour elle seule, était le conseil, "d'exécuter la résolution conçue tel... soir, lorsqu'elle se promenait entre deux jardins, et de considérer comme décisif pour sa vie future, les vers qu'elle avait récités alors à voix basse ;car, disait la lettre, ce vers vous a été inspiré par votre ange gardien, non moins que la pensée qui l'accompagnait." Cette pensée n'était autre que le voeu de virginité perpétuelle, que fit Louise, alors qu'elle avait l'occasion de contracter une alliance distinguée et honorable sous tout rapport.

 

Quant aux vers en question les voici

"Je dois encore sur cette terre,

Me sanctifier par l'Esprit Saint,

Je dois t'aimer, toi seul, mon Père

Sois mon secours, donne-moi ta main."

 

Le texte allemand est celui-ci

"Ich muss noch mehr auf dieser Erden

Durch Deinen Geist geheiligt werden ;

Der Sinn muss tiefer in Dich gehn

Der Fuss muss unbeweglich stehn."

 

Le message de Dülmen que Louise respectait comme un avertissement envoyé du Ciel, remplit son coeur de confiance et d'espoir. Ses luttes intérieures pour la vérité d'abord, et pour sa vocation ensuite étaient déterminées, et l'oeuvre de la grâce était accomplie parfaitement. Elle sacrifia sans restriction sa virginité au Seigneur, en écrivant dans son journal : "Ich habe einen Liebsten funden, Derselb'ist nicht von dieser Welt, etc. (J'ai trouvé un amant qui n'est pas de ce monde, etc.)"

Cette merveilleuse conversion de Louise étant en rapport direct avec les mérites de Catherine, se présente à nos yeux comme une oeuvre spéciale de la Providence. Dieu a ennobli ses éminentes qualités morales et ses dons intellectuels extraordinaires, par les ornements de sa grâce céleste, afin de la rendre pour des milliers d'autres vierges un modèle digne d'imitation, et cela, dans un temps où la virginité n'était plus guère en honneur, et les principes féconds de notre sainte religion oubliés et disparus, pour ainsi dire, de la pratique ordinaire de la vie.

 

Pour pouvoir suivre ouvertement les préceptes de sa nouvelle confession Louise se vit forcée de quitter la maison paternelle où elle avait été si heureuse. Son regard se dirigea vers la Westphalie ; Catherine l'attirait puissamment, "comme l’aimant attire le fer."

La Providence lui vint en aide. Elle reçut une invitation du prince Salm-Reifferscheid, habitant alors Munster, en qualité de chef du régiment. Dans cette maison dont la maîtresse était une fille de la célèbre princesse de Gallitzin, Louise allait devenir dame de compagnie des jeunes princesses. Après avoir fait à sa famille des adieux naturellement pénibles et douloureux, Louise entra au mois de mars 1819 dans cette maison princière à Münster. Et quelques semaines plus tard, son désir le plus ardent eut son accomplissement ; la princesse l'accompagna elle-même à Dülmen pour visiter Catherine. Cette dernière embrassa son amie, et la combla de tant de marques et de bienveillance et d'amour, que Louise en fut profondément touchée. Mais Catherine lui dit : "Votre résolution est bonne. "

Louise manifesta dans une de ses lettres l'abondance de sa félicité, par cette exclamation échappée à sa plume : "Oh ! que cette rencontre m'a procuré de joies et de consolations !

Louise révérait sa chère stigmatisée comme son ange tutélaire. Elle la visita souvent durant les cinq dernières années de la vie de Catherine ; et elle séjourna des jours entiers auprès de son lit de douleur. Elle aurait aimé rester à jamais près de "celle qu'elle affectionnait le plus sur la terre", mais d'autres tâches lui incombaient.

Pendant une de ces visites Louise demanda la bénédiction de Catherine. Celle-ci lui fit le signe de la croix sur la bouche, les oreilles, la poitrine ; en lui bénissant les épaules, elle dit "Qu'elles soient fortes, pour porter la croix du Seigneur!' Elle lui parla de choses édifiantes et futures ; leurs adieux furent un tendre et affectueux embrassement. Louise resta intimement liée avec Catherine et ne cessa de la vénérer et de garder un souvenir ineffaçable de la martyre. Peu de temps après la mort de celle-ci, Louise vint à Dülmen, pour recueillir l'héritage des reliques, et planter un rosier sur la tombe qu'elle visita à plusieurs reprises. Les objets ayant appartenu à la bienheureuse étaient pour elle des reliques précieuses qu'elle légua plus tard, et consacra ainsi que sa fortune à procurer la vénération de Catherine parmi les hommes, et s'il plaît à Dieu, à procurer sa glorification et sa canonisation.

 

Louise a fidèlement suivi les traces et les exemples de Catherine, durant toute sa vie, qu'on peut appeler à juste titre une chaîne non interrompue d'oeuvres de charité. L'esprit d'abnégation, fruit d'un sincère amour du prochain - abnégation qui était en parfaite opposition avec l'égoïsme de l'époque -anima toute son âme. Ce n'était qu'une conséquence directe de son immense amour pour Dieu. Elle a consacré sa longue vie à l'éducation des jeunes filles, tantôt dans des instituts, tantôt dans des familles nobles, tout comme le voulait la Providence. La graine qu'elle a semée dans les jeunes coeurs a produit des fruits merveilleux : presque toutes ses élèves favorites se sont vouées à la vie religieuse ; trois d'entre elles sont devenues fondatrices d'Ordres et ont porté et répandu les bienfaits d'une éducation chrétienne dans les pays de l'Ancien et du Nouveau monde. Clara Fey fonda la Congrégation des "Soeurs du Pauvre Enfant Jésus" à Aix-la-Chapelle ; Pauline de Mallinckrodt, soeur du célèbre chef du Parlement, celle des "Soeurs de la Charité Chrétienne" à Paderborn. D'autres élèves de Louise sont devenues Supérieures de couvents. Par son exemple édifiant, par son éducation pieuse des jeunes filles, ainsi que par ses poésies exhalant une foi vive et sincère, elle est devenue comme une étoile brillante à l'horizon de la vie chrétienne.

Elle mourut, âgée de soixante-dix-huit ans, après une vie pleine de mérites. Ses dépouilles mortelles reposent dans le cimetière de Paderborn.

 

Chapitre 2

 

Apollonie et Melchior

Diepenbrock

 

Nous rencontrons mêlée à la vie de Catherine Emmerich et à celle de Louise Hensel, une personne de race, dont la vie n'est pas moins méritoire. C'est Apollonie Diepenbrock fille du Conseiller d'Etat Antoine Diepenbrock, de Horst près Bocholt.

Les parents d'Apollonie étaient chrétiens dans le vrai sens du mot, et ils donnèrent à leurs huit enfants une éducation véritablement vertueuse. La mère aimait à cultiver dans les âmes de ses enfants la compassion envers les pauvres et la joie de faire du bien en secret. Cette éducation trouva un sol fertile surtout dans la jeune Apollonie, qui par la simplicité exquise de son coeur et par sa tendre piété fut l'ornement de sa famille. De bonne heure elle se sentit portée à soigner les malades délaissés et à veiller à leur chevet. Dans cette inclination elle se plut à reconnaître toujours davantage, l'appel divin à la vocation qu'elle aurait à suivre dans sa vie. Dieu se servit de sa fidèle servante de Dülmen, pour la mise en oeuvre du projet d'Apollonie. A l'âge de seize ans elle vint pour la première fois à Dülmen. L'esprit lucide de Catherine approfondit le coeur et la tâche de la jeune fille. Celle-ci, à son tour, trouva dans la parole et l'exemple de Catherine l'enseignement d'un amour pur et héroïque à l'égard des pauvres et des souffrants, et cette charité prête à tous les sacrifices est devenue le motif puissant de toutes ses actions.

 

Un souci bien grave affligeait alors cette noble famille de Diepenbrock. Le fils aîné, Melchior, qui avait pris part aux campagnes de 1815, s'était éloigné peu à peu des pratiques religieuses. Jusqu'alors personne n'avait réussi à le ramener et à lui faire recevoir les sacrements. Apollonie aimait tendrement ce frère, auquel l'avenir devait la lier encore plus intimement, à cause de leur vocation commune à tous deux. Elle ne cessa pas d'adresser au Ciel des prières ferventes, jusqu'à ce que sonnât l'heure, où la grâce émut enfin ce coeur opiniâtre.

La visite de Sailer à Catherine Emmerich, eut lieu le 22 octobre 1818, en compagnie de Chrétien Brentano, lequel avait fait la connaissance de la stigmatisée en 1817. Ces deux personnages rencontrèrent à Dülmen Clément Brentano qui y était depuis quatre semaines. Tous les trois alors allèrent saluer le comte Frédéric-Léopold de Stolberg en sa terre de Sondermühlen, près Bielefeld.

De retour à Dülmen, ils se rendirent ensemble à Bocholt, pour revoir le juge Bostel, ami des frères Brentano. Comme l'épouse de Bostel était une fille de Diepenbrock, il est naturel que le juge introduisit ses hôtes dans cette dernière famille. Apollonie avait alors dix-neuf ans.

La mère confia au bon et savant Professeur Sailer, le chagrin de son coeur maternel au sujet de Melchior. Le savant s'intéressa à l’affaire. Il invita Melchior à un entretien particulier, et au bout d'une demi-heure la brebis errante était regagnée à la vérité. Le jour même il se confessa à Sailer. Chose étrange ! Sailer avait uniquement demandé la permission de pouvoir confesser dans un autre diocèse, pour s'approcher de la martyre de Dülmen. Et grâce à cette permission il fut mis en état de ramener au bercail une brebis égarée, qui devait devenir plus tard une si grande lumière et un si bel ornement de l'Eglise ! Ne sont-ce pas les rayons lumineux qui partaient de la couche de Catherine, qui ont accompagné le zélé professeur dans cette nouvelle mission ? Nous sommes enclins à l'admettre, si nous considérons ce qui se passa une année plus tard, dans la chambrette de Dülmen. Mais avant de rapporter ce fait, arrêtons-nous encore un peu dans la maison de Horst.

Pour toute la famille, le lendemain de cette confession était un jour de fête, dont la conclusion fut une amitié perpétuelle entre la maison Diepenbrock d'une part, et Sailer et Brentano de l'autre. Elle eut en même temps pour résultat, de vivifier les rapports de la famille avec la martyre de Dülmen, dont tous

devinrent les amis et les visiteurs enthousiastes. Catherine leur témoigna une amitié et une sympathie particulières, surtout à Melchior et à Apollonie.

 

Melchior qui portait une affection sincère à Sailer, suivit bientôt son "père spirituel" à Landshut, pour y faire ses études de Cammeralia. Lorsqu'en automne 1819 il revint en vacances dans sa famille, il ne manqua pas d'aller à Dülmen. C'est alors qu'arriva l'événement dont nous parlions tantôt, et que Mgr Forster nous rapporte en ces termes : "Quand plus tard Melchior parla de cette visite chez Catherine, il le fit toujours d'une manière singulièrement mystérieuse qui, en disant beaucoup, faisait deviner encore davantage. D'après ce que je pouvais conclure de son récit, Melchior accompagna le poète (Clément Brentano) jusqu'à la porte de la maison de Catherine, pour y attendre son retour. Clément fut reçu par Catherine par cette question : "Pourquoi le jeune homme reste-t-il devant la porte ? faites-le venir. " A peine Melchior fut-il entré que les plaies de Catherine commencèrent à saigner, tandis qu'elle se levait, pour saluer le nouveau venu. Elle paraît même avoir ajouté à ce salut une prédiction qui ébranla tellement Melchior qu'il ne sut quitter la chambre qu'appuyé sur son compagnon. Il était pâle comme la mort."

 

Ce que l'on sait de cette prophétie ne sont que des hypothèses ; mais certaines allusions ultérieures que Melchior fit à ce sujet, nous font croire qu'elle se rapporta à sa dignité future de prince de l'Eglise. En tout cas il est incontestable que, les vacances terminées, Melchior commença l'étude de la théologie pour pouvoir se vouer à l'état ecclésiastique. Comme évêque de Ratisbonne, Sailer l'ordonna prêtre ; il en fit son confident intime et son secrétaire privé, jusqu'à ce que Melchior devînt lui-même prince-évêque de Breslau, afin de prêter main-forte à l'Eglise et à l'Etat à une époque dangereuse et difficile.

Melchior et Clément ont entretenu une correspondance suivie. Différents passages de leurs lettres nous prouvent combien cette alliance de coeurs nobles était inséparable ; et en effet elle était basée en Dieu, leur bien suprême et s'appuyait sur une fidélité mutuelle. A la mort de Catherine, Clément écrivit à son ami : "Cher Melchior, épanchez à présent votre coeur ; vous êtes un enfant chéri de la défunte. Qui est-ce qui aurait partagé comme vous mes afflictions de même que les siennes ?"

 

Poursuivons maintenant le récit de la vie de sa soeur Apollonie. Certes, c'est l'effet d'une Providence particulière, qu'à la couche de Catherine, deux des vierges les plus distinguées de son temps, Louise Hensel et Apollonie Diepenbrock, s'unirent par une de ces alliances de coeur qu'aucun orage ne saurait ébranler.

Durant toute leur vie les deux amies se prodiguèrent les marques d'un amour sincère et partagé, et montrèrent une vénération profonde pour la martyre de Dülmen. Comme Louise, Apollonie a marché sur le chemin de la vie, fortifiée par la bénédiction de la Soeur Emmerich. Comme Louise elle est devenue pour tous un exemple édifiant de vertus virginales et de charité. Toutes les deux ont tracé et aplani la route à la vie religieuse et virginale de l'avenir, vie dont leur époque avait perdu toute idée. Nous avons vu quelle part Louise a eue dans cet apostolat.

 

Immédiatement après la mort de Catherine (1824) les deux amies se rencontrèrent à Dülmen, pour pleurer ensemble sur cette perte irréparable, et présenter à une tombe bien chère à leurs coeurs, leur tribut de prières et de larmes. Après y avoir achevé un petit reliquaire, commencé par Catherine, elles se séparèrent. Elles prirent avec elles plusieurs souvenirs de la défunte, pour s'assurer par là la bénédiction céleste de la bienheureuse ; car comme telle elles ont toujours vénéré Catherine. Elles ont légué ces objets à la maison où Catherine s'était éteinte, pour contribuer ainsi à augmenter sa vénération.

 

En automne 1825, ces deux nobles filles se revirent à Coblence. Elles s'étaient chargées du soin des malades de l’hôpital nouvellement fondé par le conseiller de Dietz et par Clément Brentano. Elles devaient garder cette charge jusqu'à l'arrivée des Soeurs de la Charité. Pendant huit mois les deux amies ne se lassèrent pas de soigner les malades avec le plus grand amour et la patience la plus admirable. Elles ne se soustrayaient pas aux veillées les plus pénibles ; elles priaient avec les mourants et ranimaient le zèle des âmes tièdes. Leur exemple engagea beaucoup de jeunes filles de la ville à consacrer leur jeunesse et leur vie à une si noble mission. Leur dernier service dans l'hôpital dut de préparer la réception des Soeurs de la Charité qu'elles servaient même à table le jour de leur arrivée. Puis elles se retirèrent pour faire germer ailleurs la semence du bon exemple.

Louise Hensel se dirigea vers Aix-la-Chapelle, où elle s'occupa de l'éducation de jeunes filles, comme nous l'avons dit. Après une courte absence Apollonie retourna à Coblence, pour se vouer à l'éducation et à l'instruction de la jeunesse dans un asile de jeunes filles. Ses compagnes étaient la comtesse Amélie de Merveldt et Caroline Settegast.

En 1833, elle se rendit à Ratisbonne afin d'être près de son frère Melchior, qui se sentait orphelin depuis la mort de son père en Jésus-Christ, Mgr Sailer. Dans cette ville elle continua ses oeuvres de charité envers les pauvres et les malades ; elle dépensa même sa propre fortune, pour pouvoir augmenter le chiffre de ses aumônes. Dans une maison louée à ses frais, elle abrita des enfants pauvres et des malades qu'elle ne négligeait pas de laver et de panser elle-même.

Plus tard elle conçut, d'accord avec son frère, le projet de fonder un hôpital aménagé pour recevoir six ou huit femmes malades ; cette maison existe encore aujourd'hui (en 1894) à Ratisbonne sous le nom de "Maison de saint Joseph".

A peine cet hôpital fut-il fondé que son frère, élu prince-évêque de Breslau, dut la quitter, et lui laisser tous les soins de l'établissement. Mais pleine de confiance en Dieu, Apollonie accomplit sa tâche jusqu'à sa mort, durant plus de trente-cinq ans. Des années entières elle soigna les malades, aidée d'une amie seulement ; lorsque les forces de toutes deux diminuèrent, elle remit l'institut aux pauvres franciscaines, et ne s'en réserva que la direction.

C'est dans cette maison qu'elle a achevé sa vie vertueuse et méritoire à l'âge de quatre-vingt-un ans en 1880.

 

Chapitre 3

 

Clément Brentano, le pèlerin

Sa conversion et sa vocation

 

A différentes reprises, Dieu révéla à la soeur Catherine Emmerich qu'il l'avait douée de l'intelligence profonde des saintes vérités de la religion, et de l'intuition de toutes ses oeuvres accomplies depuis la création du monde, non pas tant pour elle-même, mais plutôt pour l'édification des chrétiens, afin de prouver que jamais son Eglise n'était privée de sa Miséricorde et de Sagesse. Car c'était l'erreur du temps de Catherine, de reconnaître non pas une Eglise fondée par Jésus-Christ et possédant son saint Evangile, mais plutôt la pseudo-église de la franc-maçonnerie dont la doctrine était de ne croire qu'aux enseignements de la seule raison humaine.

 

Dès sa jeunesse, Catherine avait toujours entendu une voix intérieure qui l'exhortait à communiquer au monde les visions et les révélations dont elle était favorisée. Ce ne fut que dans sa quarante-troisième année, qu'elle trouva quelqu'un à qui elle crut pouvoir révéler ses visions. Souvent elle avait supplié ses confesseurs de l'entendre pour l'amour de Dieu ; mais aucun ne s'était donné la peine d'entendre les détails ou d'examiner la véracité de ses communications.

 

Rapportons ici quelques-unes de ses déclarations qui nous prouvent qu'elle fut obligée à se communiquer, pour révéler par là aux hommes, la volonté divine

 

"Toutes les manifestations merveilleuses m'étaient données par un effet de la Miséricorde de Dieu, non seulement pour m'instruire moi-même ; car il y avait beaucoup de choses que je ne pouvais comprendre, mais encore pour instruire les autres, pour révéler des mystères inconnus ou oubliés. Cet ordre me fut réitéré sans cesse. "

Une autre fois elle dit : "Lorsque je me plaignis auprès de mon fiancé de ce que j'avais tant de visions, sans les comprendre, il me consola en me disant que ces révélations m'étaient données non pour moi, mais pour les communiquer à d'autres qui m'en expliqueraient le sens. Il me dit qu'à présent ce n'était pas le temps convenable, pour opérer des miracles extérieurs. Aussi s'il m'accordait ces visions, c'était, comme il avait coutume de le faire toujours, afin de prouver qu'il restait avec son Eglise jusqu'à la consommation des siècles. "

 

En une autre occasion, Catherine ayant supplié Dieu, par crainte de sa responsabilité, de faire cesser les visions, elle reçut cette réponse : "Racontez autant que vous pouvez, même si vous courez le risque d'être raillée. Vous n'en reconnaissez pas l'avantage. C'est une affaire de l'Eglise. Un jour Dieu demandera rigoureusement compte aux hommes de tout ce qui s'est perdu ainsi, et le clergé qui n'éveille pas la foi en ces merveilles, aura un jour à répondre de cette négligence."

Nous remarquons d'ailleurs dans sa vie que la sainte Mère de Dieu, son ange gardien et plusieurs saints, surtout sainte Thérèse, lui ont recommandé à diverses reprises de ne pas omettre ses communications, même si elle en souffrait les plus grandes contrariétés, ou si elle ne pouvait les faire que par fragments. Dieu condescendit même à s'approcher davantage de Catherine. Comme le clergé montrait peu d'empressement sous ce rapport, Dieu désigna à Catherine l'homme dont il voulait se servir pour accomplir sa volonté. Mais elle dut le gagner et le préparer elle-même à cette haute mission, par le mérite de ses souffrances.

 

Cet homme était le poète Clément Brentano, de Berlin. Plusieurs années déjà avant son premier voyage à Dülmen, il s'était présenté à elle dans ses visions comme un homme du grand monde, mais dont la foi, malheureusement, avait fait naufrage. La tâche de Catherine était d'obtenir par sa prière et ses oeuvres réconciliatrices la conversion de son ami, pour qu'il devînt apte à remplir sa vocation, qui était de noter et d'écrire les visions dont Catherine était si fréquemment favorisée. Avant même d'avoir fait la connaissance personnelle de

 

Brentano, celui-ci lui avait été montré plusieurs fois en vision. Aussi lorsque la première fois il entra dans la chambre de Catherine, elle le reconnut à l'instant, et il fut vraiment surpris de la réception aimable et de la confiance particulière qu'elle lui témoigna dès son arrivée. Son étonnement, bien compréhensible d'ailleurs, augmenta encore lorsqu'elle lui dit : "Vous ne m'étiez pas étranger; je vous connaissais avant votre arrivée ici. Souvent j'ai vu dans mes visions un homme au teint bruni, assis à côté de moi et écrivant; et en vous voyant entrer, je me dis : c'est bien lui !"

 

Admirons ici, une fois de plus, les voies admirables de Dieu, qui, par la puissance de sa grâce, attire à lui ce Clément Brentano, tout rempli cependant des désirs de la gloire et des honneurs du monde, pour l'envoyer malgré lui auprès de cette vierge inconnue, afin d'y être élevé et préparé à la mission finale qu'il veut bien lui confier.

 

Clément Brentano, fils d'Antoine Brentano, de Francfort-sur-le Main, naquit en 1778 à Ehrenbreitstein, dans la maison de sa grand-mère, madame La Roche qui avait épousé le Chancelier de la province électorale de Trèves. Cette dame, célèbre romancier, qui entretenait des relations avec Goethe et Wieland, garda l'enfant pendant deux ans. Le petit Clément fut alors confié aux soins d'une tante, Madame Môhn à Coblence, où il demeura jusqu'à l'âge de neuf ans. Mais ni la grand-mère, ni la tante Môhn ne savaient élever un enfant. Celle-là était protestante, et celle-ci n'avait guère de religion, et ainsi il advint à cet enfant si bien doué, d'être privé de toute éducation solide. Cette lacune regrettable devint un facteur important dans les phases de sa vie.

Après avoir passé une année chez ses parents à Francfort et six mois dans un pensionnat, on le retrouve encore pendant une année élève de cinquième du Lycée de Coblence sous la fausse direction de sa tante Môhn. Il entra alors comme apprenti dans la maison de son père, où il passa quatre années, malgré son grand désir de continuer ses études.

 

Au bout de ce temps son père reconnut enfin qu'il ne deviendrait jamais un bon commerçant. Son génie poétique, qui s'était éveillé depuis longtemps, dominait toute sa vie et tous ses désirs. Il rédigeait en vers les lettres et les quittances paternelles. C'est pourquoi son père lui fit suivre les cours de l'université de Bonn. Mais Clément alors âgé de quinze ans (1793) n'avait pas de maturité suffisante pour embrasser les études supérieures et des précepteurs devaient remplir ce vide. Mais une année plus tard, son père reprit le dessein, abandonné d'abord, de faire de lui un commerçant. Le jeune poète passa de nouveau trois ans dans cette carrière, qui, cela va sans dire, n'était pas la sienne. C'est alors que mourut son père ; Clément se rendit à l'université de Iéna. Mais hélas ! sa jeunesse était passée, et elle avait été inutile : il ne fit jamais d'études complètes et ne parvint pas à se former le caractère. Les circonstances indiquées plus haut étaient la cause de ce malheureux état.

Ne jugeons donc pas avec trop de rigueur, un homme qui ne porte pas seul la faute de ses erreurs. Celui-là seulement, qui, après une telle jeunesse si négligée, est devenu homme parfait, pourrait jeter la première pierre à celui qui fut le poète Clément Brentano.

 

Ainsi donc, ce jeune homme, naturellement enclin à la religion, entra dans la vie publique doué d'un esprit pétillant, mais sans discipline et n'ayant pas pour fondement des connaissances solides. Bonn, Marburg et Iéna sont les Universités qu'il a fréquentées. Mais il ne savait dompter son esprit impétueux, pour le soumettre à une étude sérieuse. Il s'adonna à la littérature et à la poésie, et se fit introduire dans un cercle de savants et de poètes, dont Fichte, Schelling, Goethe, Schiller, Wieland étaient les membres principaux et assidus. Cependant au lieu de déployer une activité positive, pour se préparer à une carrière quelconque, il dilapida et son temps et son talent.

Il composa des romans, des drames et des poésies, qui lui valurent bientôt une grande réputation dans le monde lettré. Mais ses écrits d'alors sont loin d'être irréprochables au point de vue moral. Il fut entraîné par le torrent irréligieux de son époque: il embrassa les idées joséphites et finit par perdre la foi. C'est ainsi que, dépourvu de tout soutien extérieur ou intérieur, ce caractère volage flotta dans l’océan de la vie en proie à toutes les tempêtes :vraie image de son temps, qui fut une époque de guerre et de dissolution générale (1798-1814.) Ainsi écarté du vrai chemin, il devint malheureux de coeur et d'esprit; car dans le secret de son âme il éprouvait le désir ardent de posséder la vérité, et de goûter la vertu chrétienne.

 

En 1814 il se rendit à Berlin, et se mit en relation avec des érudits, dont la plupart étaient protestants. Néanmoins il se convainquit toujours davantage de sa propre perversité et de sa misère intérieure. Dieu toucha son coeur, grâce aux supplications et aux sacrifices expiatoires de la béguine inconnue de Dülmen. La grâce divine le prévint de différentes manières. Elle lui envoya deux jeunes gens catholiques, animés d'une foi inébranlable : l'un Ringseis de la Bavière, une de ses anciennes connaissances, vint séjourner à Berlin pour achever ses études de médecine. L'autre, le jeune comte Chrétien de Stolberg, était le fils de Frédéric Léopold, l'ami de Catherine. Ces deux amis lui furent d'un grand secours dans ses recherches de la vérité.

Lorsqu'un soir, dans une réunion le comte Chrétien lut à toute l'assemblée une lettre de son père, contenant des détails sur les apparitions merveilleuses de la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich, tous furent émus, mais Clément le fut plus que tous les autres. C'était la première fois qu'il entendait prononcer le nom de la stigmatisée, et il fut envahi comme d'un vague pressentiment. Il conçut alors l'heureuse pensée de révéler sans réserve, tout son intérieur à son ami le professeur Sailer à Landshut. Comme un enfant à l'égard d'un père bien-aimé, il lui demanda le secours de ses lumières et de ses conseils. Cette démarche fut très efficace ; Sailer prit part à ses douleurs et une seule lettre procura à Brentano, instruction, espoir, conseil et consolation. Son frère Chrétien, retourné également à Dieu après une vie d'égarements pareils, s'unit aux instances de Sailer, et exhorta son frère à se rapprocher de l’Eglise et de ses bénédictions célestes. Mais Clément ne pouvait encore se décider à poser l'acte définitif de sa conversion. Il fallut pour le ramener définitivement à Dieu, un événement singulier.

 

Dans un salon de Berlin, il fit la connaissance de Mademoiselle Louise Hensel alors âgée de dix-huit ans. Le caractère solide de cette jeune fille, les capacités rares de son esprit et de son coeur, sa pureté morale et son innocence, le captivèrent singulièrement. Il se sentit saisi d'une inquiétude étrange, en comparant son coeur déchiré avec la paix et la candeur de cette âme innocente. Bien plus, il initia la jeune protestante à toutes les misères qui opprimaient son âme. Louise lui répondit par ces paroles excellentes et ineffaçables : "A quoi bon ouvrir votre coeur à une jeune fille ? Vous êtes catholique ; vous avez le bonheur de pouvoir vous confesser, dites à votre confesseur ce qui vous oppresse !" Ces paroles de vérité émurent Clément au plus profond de son coeur ; il éclata en sanglots, et s'écria : "Et c'est là ce que la fille d'un pasteur luthérien me conseille !"

Dès lors il en vint à des réflexions sérieuses qui étaient d'autant plus profondes, que Mademoiselle Hensel lui répéta cette admonition à plusieurs reprises. Outre ce renvoi aux sources intarissables de grâces dispensées par l'Eglise catholique, ce furent aussi les chants religieux de Louise qui firent vibrer les cordes les plus tendres de son âme sensible. Il en écrit à son frère Chrétien : "Ces chants pieux ont fendu la dure écorce de mon âme ; ils m'ont fait fondre en larmes ; ils sont réellement pour moi ce qu'il y a de plus saint parmi ce qui m'est encore venu jusqu'à ce jour d'une source humaine."

 

Ces événements amenèrent sa conversion définitive. Il consacra tout un mois à se préparer à une confession générale qu'il fit au prévôt Taube le 27 février 1817. Il avait vécu dix années sans se confesser. Le vénérable prêtre lui ayant donné l'absolution, l'embrassa avec des larmes de joie. Le lendemain Clément reçut la sainte communion. Il était au comble du bonheur d'avoir retrouvé sa mère l'Eglise, et il ne négligea plus jamais de s'approcher souvent des saints Sacrements. Il avait de rudes combats à subir, avant de posséder le calme et la paix que donne au coeur de l'homme la victoire sur les passions. Mais pour compléter sa purification intérieure, pour apaiser sa douleur de ne pas avoir de vocation propre à se rendre utile à son prochain, Dieu se servit de l'humble fiancée du Christ qui dans la lointaine Westphalie, avait tant prié pour Clément.

 

Ce fut dans la même année que son frère Chrétien visita Catherine à Dülmen comme nous venons de le voir. Profondément étonné à l'aspect de la pieuse stigmatisée, il retourna à Berlin, pour engager son frère à le suivre à Dülmen, afin de le faire participer, lui aussi, aux impressions ineffaçables qu'il venait d'y recevoir. Mais tandis que, même ses amis protestants, écoutaient avec le plus vif intérêt les paroles de Chrétien, Clément seul persévérait dans une retenue froide ; il s'efforçait même de mettre un terme à ces rapports trop animés sur Dülmen. Clément ne voulait plus quitter Berlin. Il y avait retrouvé la paix, et il s'était lié d'une amitié intime avec la famille Hensel. Il lui fut pénible de voir Louise elle-même l'engager à ce voyage de Dülmen. Son coeur se révolta à la pensée de devoir quitter Louise ; car elle était devenue pour lui un idéal supérieur, à côté duquel il voulait établir à jamais son séjour. Il aimait à voir en elle sa future épouse. Mais Dieu les avait prédestinés tous deux, Brentano non moins que Mademoiselle Hensel, à être guidés par Catherine à des voies supérieures. Qu'ils sont admirables les décrets du Seigneur, qui destinèrent ces deux âmes à se porter mutuellement à leur vocation future !

 

Sur ces entrefaites, une autre année s'était encore passée, lorsque soudain Clément reçut une lettre de son ami Sailer. Le digne professeur l'invitait à aller avec lui passer les vacances à Sondermuehlen dans les terres du comte Frédéric Léopold de Stolberg. Le comte, qui avait fondé sa réputation par son grand ouvrage sur l'histoire de l'Eglise, jouissait de l'estime la plus profonde auprès des savants catholiques. Clément accepta cette invitation, quoi qu'il lui en coûta beaucoup de quitter Berlin. L'unique motif de son voyage, était de revoir Sailer, avec lequel il voulait s'entretenir au sujet de ses combats intérieurs. Leur route étant différente, ils voulurent se rencontrer à Sondermuehlen. Clément y arriva ; mais Sailer n'y était pas encore. La famille du comte supposait que probablement Sailer se serait arrêté à Dülmen. C'est pourquoi Clément s'y rendit le troisième jour, pour revoir son ami. Pour le cas ou il n'y serait pas encore, il se fit donner à Munster une lettre d'Overberg, qui autorisait le docteur Wesener à introduire Brentano auprès de Catherine Emmerich. Le 24 septembre, il arriva à Dülmen, encore sans y trouver son ami.

 

Lorsqu'il entra avec Wesener dans la chambre de Catherine, celle-ci lui tendit les mains en disant: "Soyez de bienvenu !" Aussitôt elle reconnut en ion visiteur celui qu'elle avait vu depuis longtemps en vision. Elle l'honora dès le commencement, de plus de confiance qu'elle n'en témoignait à d'autres, et lui, qui n'était venu que pour une courte visite, se sentit retenu auprès d'elle par une force intérieure. Un nouveau monde s'ouvrait tout à coup aux yeux de son âme, et il résolut de demeurer à Dülmen jusqu'à l'arrivée de Sailer. Celui-ci arriva au bout de quatre semaines, avec Chrétien Brentano, comme nous l'avons raconté plus haut.

Clément, décidé à rester chez la malade aussi longtemps que possible, alla même jusqu'à ne plus vouloir la quitter du tout ; et de concert avec Catherine, il soumit cette décision au jugement de Sailer. Le sage professeur estima qu'un séjour continu de Clément à Dülmen, serait très utile à la rédaction écrite des visions de la malade.

 

C'est ainsi que, d'une simple visite, résulta un séjour prolongé, et même une vocation. C'était en effet une vocation du Ciel ! Car le cours de cette histoire nous montre clairement que Dieu seul l'a conduit au chevet de Catherine. Il devait échanger les splendeurs d'une vie mondaine contre le spectacle des misères d'une pauvre malade. Auprès de ce lit de souffrance il ne trouvait pas il est vrai, la sagesse du monde, mais les perles de la vérité céleste, pour l'obtention desquelles, il devait tout sacrifier. - Déjà, durant les premiers mois de son séjour à Dülmen il écrivit : "Je sens que je trouverai ici un domicile, et que je ne pourrai plus quitter cet être merveilleux avant son décès ; mon coeur me dit que c'est ici que j'aurai désormais ma tâche terrestre à remplir. Dieu a exaucé mes instances ; il m'a donné une mission proportionnée à mes forces et tendant à sa gloire. Que Dieu appuie mes efforts à recueillir et à garder de mon mieux le trésor inépuisable de grâces que j'aperçois ici !" Depuis de nombreuses années, cet homme s'était plaint douloureusement de ce qu'il vivait sans vocation positive lorsque son coeur avait le désir de se rendre utile à son prochain. Car la charité envers les hommes était la note principale de ce noble caractère.

 

Catherine ne l’a jamais appelé autrement que le Pèlerin ; car après avoir flotté au gré des vents sur les vagues inquiètes et agitées du monde, il était devenu comme un pèlerin cheminant vers le Ciel. Son plus grand désir était d'expier tous les scandales causés par ses écrits. Dieu qui ne se montre jamais plus généreux qu'envers les pécheurs pénitents, daigna réaliser ce désir. Après avoir ramené son coeur à la vérité, il lui donna une tâche à Dülmen, qui était aussi honorable pour ses facultés intellectuelles que profitable pour son prochain : cette tâche était l'annotation exacte et consciencieuse des visions de notre martyre.

 

Dieu seul sait pour combien d'âmes fidèles ces rapports de Brentano sont devenus une instruction salutaire. "Je serais déjà morte depuis longtemps, (c'est ainsi que parle la malade), si le Pèlerin n'avait dû livrer tout cela au public. Il devra noter tout: communiquer au monde toutes mes visions, c'est là mon premier devoir. Et lorsque le Pèlerin aura réglé toute cette affaire il mourra lui aussi. "

Clément demeura pendant cinq années au chevet de Catherine, occupé sans cesse à l'accomplissement de sa tâche. Il notait les visions, que la malade lui communiquait sur l'ordre de Dieu. Après l'arrivée du Pèlerin, son ange gardien exhorta la stigmatisée à rendre fidèlement compte à Brentano de tout ce qu'elle voyait. Elle avoua plus tard : "C'est en vain que je reçus tant de grâces et de visions, et cela parce que je n'ai pu en faire part à personne. " Telle était la volonté divine ; celle de l'autorité ecclésiastique n'était pas différente. Catherine avait déjà fait part à son confesseur de l'injonction de son ange gardien. Mais le vicaire général et Overberg qui vinrent bientôt après à Dülmen, lui ordonnèrent de communiquer ses visions au Pèlerin ; car celui-ci avait été évidemment envoyé par Dieu dans ce but.

 

Après un séjour de trois mois et demi à Dülmen, Clément se rendit à Berlin pour y régler ses affaires, afin de fixer son séjour définitif à Dülmen. A son départ la Soeur Emmerich lui dit d'un ton affable : "Nous nous reversons. Vous trouverez encore souvent de la consolation ici, et vous écrirez beaucoup. "

Arrivé à Berlin, le Pèlerin reçut de Lambert et de Wesener des lettres pleines de reproches: ils exigèrent de lui de ne plus revenir à Dülmen, afin de ne pas troubler de nouveau la paix de la malade. Wesener écrivit dans le même sens à Overberg.

 

Le Pèlerin fut consterné en recevant ces lettres. Il répondit humblement à ses correspondants et leur affirma que ses intentions étaient bonnes. Il leur demanda pardon de ses fautes. Cette modeste réponse changea leurs sentiments. Clément écrivit aussi à Overberg, remettant à celui-ci de décider sur la question de son retour. Overberg se décida pour la présence de Clément à Dülmen. En même temps il fit part de cette détermination à Wesener, auquel il dit entre autres choses, que le séjour du Pèlerin à Dülmen correspondait aux intentions divines.

Le Pèlerin retourna donc à Dülmen, et l'accueil qu'il reçut, fut des plus aimables. D'ailleurs le père Limberg se rendit à Münster pour délibérer avec Overberg en sa qualité de confesseur. Catherine avait désiré ce voyage pour que ses communications au Pèlerin fussent approuvées définitivement. Cette approbation fut accordée. Quelques mois plus tard, Overberg parut lui-même dans la chambre de la malade, et persuada encore une fois tout le monde de ce que les ouvrages du Pèlerin étaient conformes à la volonté divine.

 

Muni ainsi de l'autorisation ecclésiastique, le Pèlerin commença son grand ouvrage. Mais il dépendait complètement de cette autorité ; car dès que le confesseur défendit à Catherine de se communiquer, ses visions surnaturelles disparurent, et elle n'eut plus rien à rapporter.

Pendant les cinq années suivantes, le confesseur fut le témoin oculaire et le confident du travail du Pèlerin, et par des visites renouvelées de temps à autre, les deux supérieurs de Münster se tenaient au courant de l'oeuvre.

 

Ces visions décrites dans les circonstances les plus pénibles, gagnent sans contredit un haut intérêt et captivent par l'esprit qu'elles exhalent l'attention des fidèles de presque tous les pays. Aussi ne peut-on attribuer qu'à l'ignorance et à l'étourderie, l'assertion ridicule émise par les incrédules, que les visions de Catherine n'étaient que de pures fictions poétiques du Pèlerin. Ce jugement atteindrait en même temps et Catherine et l'autorité ecclésiastique. Pendant le cours de ces cinq années, la malade se serait facilement aperçue des infidélités narratives de Brentano, s'il en avait commises, et jamais elle n'aurait consenti à s'ouvrir à une personne indigne

 

de sa confiance. Et, du reste, les supérieurs de Catherine n'auraient-ils pas eu assez de jugement sain pour reconnaître si le Pèlerin était capable et propre à exécuter une oeuvre qui demandait une loyauté incorruptible ? Sans parler des raisons surnaturelles qui l'autorisaient à ce travail, une telle affirmation serait une injure infâme adressée aux trois hommes éminents qui avaient été choisis et établis par Dieu, pour diriger cette affaire divine. En effet, la sévérité incorruptible que pratiqua le vicaire général envers Catherine et qu'il était forcé de pousser à outrance, eu égard aux circonstances défavorables de l'époque ; la sagesse éprouvée du pieux Overberg, qui observa de la manière la plus minutieuse tout ce qui concernait la martyre ; enfin la réserve du confesseur que rien n'eut pu incommoder davantage que ces visions, n'auraient pu manquer de démasquer de bonne heure la fourberie d'un écrivain déloyal. Au lieu de cela, ils ont non seulement permis au Pèlerin de séjourner cinq ans auprès de la malade, mais ils ont encore approuvé publiquement son ouvrage'

 

1 - Dans une vision Catherine fut instruite des jugements erronés que l'on faisait sur ses rapports avec le Pèlerin. Elle en dit ceci : "On s'empara de moi, en me raillant et me couvrant d'opprobres de ce que j'entretenais des relations avec le Pèlerin pour former une nouvelle secte. " Un prêtre répliqua à ces accusations : Il faut pourtant que cet homme soit probe et raisonnable, et que nous jugions mal ses actions ; car enfin le confesseur est d'une probité exemplaire ; il ne souffrirait certainement pas ces relations, s'il y avait quelque mal.

 

Chapitre 4

 

L'école de vertu préparatoire à la vocation du Pèlerin

 

L'appel de Dieu trouva un écho dans le coeur de Clément Brentano. Il était prêt à tout quitter pour suivre l'impulsion de cette voix intérieure ; sa bonne volonté lui fit prendre la ferme résolution de mériter et d'amasser de son mieux le trésor qui lui avait été indiqué par Catherine. Mais le changement dans son existence était trop subit, et la différence entre la vie qu'il venait de quitter et celle qu'il abordait était trop grande pour être franchie sans danger, s'il n'avait pas, pour le guider, une direction sage et sûre.

Son intelligence éprise de sa propre valeur et pleine de propensions mondaines, devait se renoncer à elle-même, pour se soumettre aux lumières de la foi ; son caractère impétueux et impressionnable, ses sentiments passionnés devaient être vaincus par une humble soumission au joug de Jésus-Christ. Sa vie intérieure, qui échangeait Dülmen contre Berlin, la chambre d'une malade contre les salons à la mode, demandait de lui abnégation, humilité, indulgence et charité à l'égard d'un entourage mal instruit et peu éclairé.

 

"Nous sommes tous les apprentis de Dieu", dit la Sainte Ecriture. Chaque oeuvre extraordinaire demande une préparation essentielle. Après sa conversion, saint Paul passa trois ans dans la solitude en Arabie, avant de paraître en public pour enseigner les peuples. Ce ne fut qu'après un long séjour à Manrèse que saint Ignace fonda sa noble société de Jésus. Il en fut de même du "Pèlerin". Il ne commença qu'au bout de presque deux ans la description de la Vie et de la Passion du Sauveur et de sa sainte Mère. Durant ce temps, Catherine avait à préparer le Pèlerin à devenir un homme de Dieu qui serait à même d'annoter toutes les visions. Sa direction sage et ses douces admonitions réussirent à le gagner et à le transformer. Le coeur de Clément était prêt à tous les sacrifices.

Catherine gagna la confiance du Pèlerin par l'abandon et la confiance franche et sereine qu'elle lui témoignait presque à un aussi haut degré qu'à son confesseur. Elle ne se lassa pas de s'entretenir des heures entières avec lui. Elle lui révéla tous les événements, toutes les circonstances particulières de sa vie extérieure et intérieure. Quelquefois aussi elle dévoila des secrets du coeur de Clément, et il reconnut humblement la vérité de ses paroles.

Ces pieux entretiens lui rendirent les justes notions de la vie chrétienne, notions qu'il avait perdues depuis longtemps. Mais les exemples héroïques de Catherine l'impressionnèrent bien plus que toutes ses paroles.

4P Brentano observa la dureté rigoureuse de cette martyre innocente, il vit la simplicité candide de ce coeur enfantin tout rempli de Dieu, il admira enfin la béatitude d'une âme absorbée dans le plus pur esprit de foi.

De jour en jour, la vérité inaltérable et la puissance invincible de la foi catholique se révélèrent à sa vue illuminée de lumières ignorées jusqu'alors. Dans son journal il résuma ses impressions intérieures par les paroles suivantes : "Les événements merveilleux que j'aperçois autour de moi, l'innocence enfantine, la paix, la patience et la sagesse profonde de cette pauvre paysanne illettrée, dont la parole découvre à mes yeux un monde nouveau, me font ressentir douloureusement les erreurs coupables de ma vie passée. Hélas ! je vois maintenant la valeur inappréciable de tant de biens que j'ai perdus. La simplicité, la foi et l'innocence m'apparaissent dans une telle splendeur, que je pleure des larmes d'avoir perdu de si grands trésors. Lorsque, dans ma profonde affliction, je me recommandai à ses prières, la martyre me fit chercher de la consolation auprès de la Mère de Dieu."

Catherine ne se lassa pas d'instruire le Pèlerin peu à peu ; et sa patience infatigable, assistée de la grâce de Dieu, parvint à lui rendre l'humble foi de son enfance. Avant tout elle aspirait à lui donner des notions exactes et justes de l'Eglise de Jésus-Christ. Une instruction défectueuse, une indifférence absolue en matière de religion, une vie purement mondaine ainsi que ses relations intimes avec des protestants, parmi lesquels se trouvaient des personnes de bonne volonté et d'une conduite irréprochable, tout cela avait affermi en Brentano cette idée éminemment protestante d'une Eglise universelle et invisible, embrassant tous les enfants de Dieu. C'est pourquoi Catherine chercha à le convaincre et à le persuader de cette vérité que le bien et le bon qu'il admirait en ses amis leur étaient communiqués par l'heureuse influence qu'exerçait sur eux la sainte Eglise catholique, et que Dieu ne condescendait à leur faire grâce et à les épargner que parce que leur erreur n'était pas coupable. L'erreur néanmoins sera à jamais l'ennemie de la vérité ; celle-ci en effet ne peut être qu'une, tout comme l'Eglise de Jésus-Christ.

Le Pèlerin comprit cette vérité et il écrivit dans son journal

"A présent je reconnais ce que c'est que l'Eglise : elle est infiniment plus qu'une simple réunion d'hommes. Oui, elle est le corps de Jésus-Christ : Lui, il en est la tête qui communique sans cesse avec tous les membres et les assiste jusqu'à la fin des siècles. A présent je reconnais quels trésors inépuisables de grâces et de biens l'Eglise tient de Jésus-Christ ; et ces grâces-là on ne peut les recevoir que par elle et en elle."

 

Pour plusieurs autres doctrines concernant l'Eglise, Catherine lui fut non seulement une intermédiaire, mais aussi une preuve miraculeuse elle-même ; car Clément aperçut en elle la vérité et le surnaturel de l'Eglise. L'acceptation des souffrances d'autrui et les suites de celles-ci lui faisaient connaître immédiatement et dans toute sa beauté la doctrine de la communion des saints. Les opérations merveilleuses de la bénédiction du prêtre catholique et des objets bénits, et surtout les effets miraculeux qu'exerçait la Sainte Hostie sur le corps et l'âme de Catherine, lui étaient la preuve apodictique que l'Eglise catholique seule possédait le sacerdoce fondé par Jésus-Christ et l'autel institué par lui. Assez souvent Brentano se laisse aller, dans son journal, à l'émotion profonde produite en lui par ces merveilleux spectacles. "Un monde entier s'ouvre à ma vue maintenant éclairée ; maintenant je pressens ce que c'est que l'Eglise."

 

La grâce céleste trouvant en lui un coeur honnête et contrit, il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour épurer ses convictions de l'influence pernicieuse de l'incrédulité et de l'hérésie. Bientôt il embrassa sa foi avec une telle ferveur qu'il pratiqua la vertu jusque dans les moindres actions.

 

Les exhortations aussi douces qu'énergiques, les préceptes d'une pieuse vie chrétienne, prononcés par la bouche de l'innocence et de la pureté la plus parfaite, saisirent puissamment le coeur impressionnable du Pèlerin. Peu de temps suffit pour lui faire prendre la résolution inébranlable de servir en toute perfection ce Dieu qui reste toujours invisible et qui opère néanmoins chaque jour les plus grandes merveilles. Il écouta les admonitions et les instructions de Catherine avec un coeur avide de la vérité ; il aspira en toute sincérité à la vertu, à la perfection chrétienne et elle stimula son zèle pour la prière fréquente, la réception des Sacrements, la charité active, les visites des malades et la distribution des aumônes.

 

Elle l'encouragea surtout à la prière et aux oeuvres de charité faites en faveur des âmes du purgatoire. "Nous vivons, dit-elle, des biens de nos aïeux et de nos bisaïeuls, mais nous oublions trop facilement ce que nous leur devons. Ils nous supplient

Priez, souffrez, jeûnez, faites l'aumône pour nous ; présentez à Dieu le sacrifice de la messe !" Elle lui conseilla d'appliquer aux âmes du purgatoire toutes ses mortifications intérieures, ses actes d'abnégation et ses exercices de patience.

 

Quant aux fautes de sa vie passée, elle l'exhorta à la confiance en Jésus qui l'avait absous de ses péchés. Elle ranima son courage abattu en lui montrant la source intarissable de grâces, dont Dieu avait institué son Eglise dispensatrice, afin de nous réconforter dans notre faiblesse. Du reste, elle lui promit de lui enlever son chagrin, pour le subir à sa place. Cependant malgré la participation de Catherine, lui-même ne put se soustraire complètement à l'école de la croix pour devenir un véritable chrétien. Tous les jours il eut à endurer des luttes pénibles contre ses défauts naturels, et surtout contre l'impétuosité de son tempérament et les conséquences funestes d'une éducation négligée. Enfin son séjour à Dülmen fut un sacrifice perpétuel d'abnégation et de mortification. Catherine toucha sa conscience par des paraboles, des préceptes moraux et des exemples frappants qui enchantaient l'esprit de Brentano et l'entraînaient malgré lui à s'y conformer.

 

Et comment sa vie s'est-elle réglée sous la direction de Catherine ? Il se levait de bonne heure, pour assister à la messe, où il édifiait tous les fidèles. Jusque dans ces dernières années, nous avons entendu des vieillards parler de cet homme pieux qui se mêlait au peuple et récitait son rosaire avec une visible dévotion. Il ne manquait pas de participer à tous les offices de la paroisse. Chaque jour il disait le chapelet en commun avec ses colocataires ; toutes les semaines il allait faire le chemin de la croix ; tous les huit jours aussi, il s'approchait des saints Sacrements.

Dans ses lettres il allait même jusqu'à demander à ses amis de lui obtenir par leurs prières la contrition parfaite. Il se sentit même le désir de devenir prêtre et s'y prépara par des études théologiques privées. Mais, comme il avait été marié deux fois, une loi canonique vint mettre obstacle à ce grand et noble projet.

 

Son genre de vie était simple, on pourrait même dire pauvre, eu égard à sa grande fortune ; il se donnait la discipline, et après sa mort on le trouva revêtu d'un cilice. C'est avec une sévérité sans exemple et une persévérance infatigable qu'il a combattu ses mouvements d'impatience et d'irascibilité. Il pratiquait avec soin la charité envers le prochain, donnait des aumônes abondantes et visitait lui-même les pauvres et les malades, pour les consoler et s'enquérir de leurs besoins. Sa charité embrassait avant tout les enfants qu'il attirait par des cadeaux et par le récit de contes charmants. Bien que son extérieur fut en quelque sorte étrange et fort sérieux, il se montrait toujours très affable envers les petits : aussi l'entouraient-ils dès qu'ils l'apercevaient dans la rue ; ils lui tendaient leurs mains et l'accompagnaient par troupes à sa demeure.

 

C'est ainsi que ses jours se passaient, partagés régulièrement entre l'oraison, l'étude et les visites à la Soeur Emmerich. Sa tâche principale de chaque jour consistait dans l'annotation des visions qu'il déposait par écrit, étant assis à côté de la malade. Arrivé chez lui, il ajoutait d'autres détails qu'il avait retenus. Il faisait ensuite la lecture de ces notes à Catherine elle-même, et si celle-ci avait quelque chose à changer, il répétait la lecture pour éviter toute incorrection'.

 

note - L'auteur tient ce détail d'un témoin oculaire, d'une nièce de la bienheureuse, portant le même nom Catherine Emmerich. Elle vivait à Coesfeld. Elle a passé plusieurs années dans la maison de sa tante, en même temps que le Pèlerin.

 

Clément demeura pendant cinq ans à Dülmen. Après la mort de la martyre, son exemple et ses paroles inoubliables réglèrent sa vie jusqu'à son dernier jour. Il marcha fidèlement sur les traces de son saint modèle, en restant à jamais un fils pieux et obéissant de sa mère, la sainte Eglise catholique.

 

 

Chapitre 5

 

Le Pèlerin après la mort

de Catherine

 

Mentionnons encore en traits fugitifs et rapides, les fruits précieux que Brentano amassa pour le reste de sa vie, de ses rapports journaliers avec la soeur Emmerich. La première conséquence essentielle de ces entretiens édifiants, fut une charité sans bornes envers le prochain.

Ayant sans cesse devant les yeux la seule chose nécessaire au salut, selon la célèbre parole du Christ à la bienheureuse Marthe, soeur de Lazare et de Marie: "Porro unum est necessarium", il se sentait poussé à mener son prochain dans la voie du bien. C'est avec une douceur admirable que souvent il instruisait les coupables, conseillait les dévoyés, consolait les affligés et soutenait les faibles ; et par ses bons et charitables offices il a préparé et facilité à maints protestants leur retour à la religion catholique. Sa vie était une suite non interrompue d'oeuvres de charité, comme nous l'avons déjà dit plus haut. De pauvres apprentis, des étudiants et des artistes dans le besoin ont vécu des mois entiers de ses aumônes. Il les soutenait par des conseils et ses exhortations, et dans la vie chrétienne et dans leur position précaire, et les profits de tous ses ouvrages ont passé dans les mains des pauvres. Il lui arriva souvent de presser la publication d'une oeuvre achevée, afin d'en consacrer les bénéfices à soulager les misères d'autrui.

 

Il passa les deux années qui suivirent la mort de Catherine à Coblence, où il travailla avec le conseiller Dietz à l'organisation d'un hospice pour les pauvres, dont la direction fut confiée aux Soeurs de saint Charles Borromée. Brentano devint également le fondateur d'un orphelinat à Coblence. En 1831 il publia son beau livre sur les Soeurs de la Charité, dont il se plaisait à célébrer l'héroïsme et le dévouement. Gôrres ayant écrit la préface de cet ouvrage, en envoya un exemplaire au roi Louis de Bavière, qui lui répondit par une lettre charmante écrite de sa propre main. Ce n'est donc pas sans une certaine apparence de raison que l'on a prétendu que l'apparition de ce livre a été le premier moteur du rappel des Soeurs de la Charité en Bavière et en d'autres parties de l'Allemagne. L'école des pauvres à Coblence qui recueillit les revenus de cet ouvrage, toucha de la première édition la somme de trois mille trois cents marks. Dans son testament, Clément Brentano légua le tiers de sa fortune à cinq institutions religieuses du diocèse de Limbourg.

 

Comme saint Augustin, arraché aux passions du paganisme, n'a jamais souillé la grâce reçue au jour de son baptême, mais est devenu un vase d'élection dans la main de Dieu ; de même le Pèlerin, choisi par la Providence pour une haute mission, n'a jamais trahi, ne fût-ce qu'un instant, les résolutions qu'il avait prises lors de sa conversion.

Retraçons en peu de mots son activité jusqu'à sa mort.

 

Sa tâche principale était l'arrangement des annotations faites à Dülmen, pour les livrer à la publicité.

 

Voici ce qu'il disait de ce travail : "Je suis occupé à mettre en ordre le trésor immense des communications de notre chère défunte Catherine Emmerich. Ainsi je serai à même de dominer les manuscrits (4 in-folios) par un aperçu général des choses homogènes. La matière est accablante ; on n'a jamais vu de tels dons d'esprit : ils sont en relation directe avec les misères de notre époque."

Ce qui lui fut surtout pénible alors, ce fut de ne pouvoir compter sur aucune aide, aucune assistance de la part du clergé. Il n'accepta même pas une invitation de son frère Chrétien de venir le rejoindre à Rome (1826), afin de ne pas devoir se séparer de ses chers manuscrits. Pendant son séjour à Coblence et à Francfort, il travailla, hormis quelques interruptions de peu de durée, à rassembler les visions de Catherine sur la Passion du Sauveur et les emblèmes de l'Eucharistie. A cet ouvrage il voulut joindre une biographie de la défunte.

 

Sailer, qui l'avait excité en 1818 à entreprendre ce grand ouvrage, reçut quelques fragments du livre sur la Passion. Alors évêque à Ratisbonne, il écrivit en 1832 au Pèlerin : "Je te salue, mon cher Clément. Merci de ton aimable lettre : je prie Dieu pour toi, afin que sa sainte volonté se fasse en toi et par toi." Sailer mourut bientôt après. Alors Melchior Diepenbrock invita Brentano à venir à Ratisbonne pour pleurer avec lui la mort du cher défunt. Clément accéda à ce désir. La première entrevue avec Melchior étant finie, il reprit son ouvrage sur la Passion du Sauveur.

 

Le nouvel évêque, le vénérable Mgr Wittmann, prit la plus vive part à l’oeuvre du Pèlerin et le stimula à faire imprimer les Méditations sur la Passion. Mais hélas ! il suivit bientôt son prédécesseur dans la tombe. Au mois de février 1833, Melchior et Clément s'agenouillaient au lit de mort de Mgr Wittmann. Celui-ci dit en serrant les mains à Melchior

"Merci, grand merci de tout ce que vous avez fait pour moi. Puis il prit les mains Brentano entre les siennes, en disant: "O mon très cher ami, continuez à travailler fidèlement pour l'honneur de Jésus-Christ, oui, travaillez-y infatigablement !" Ensuite il le bénit. - Fortifié par cette bénédiction, Clément acheva le livre à Ratisbonne ; il parut dans le courant de la même année (1833). Une édition suivit l'autre, et trois ans plus tard le Pèlerin eut la satisfaction de voir paraître une traduction de ce livre en français et en italien. Ce livre reçut partout un accueil favorable.

 

En 1834 Brentano alla s'établir à Münich. Là, son esprit vif et son enthousiasme pour la religion, la science et l'art firent de lui le plus bel ornement d'un cercle de savants et d'artistes, qui s'étaient réunis sous la présidence du célèbre Gôrres, le "prophète" de son temps. Cette assemblée d'hommes de lettres, parmi lesquels nous trouvons les noms des Phillips, Môhler, Reithmayr, Klee, Cornelius, Hess, Windischmann, Haneberg, Dolinger, Guido Gôrres, Montalembert et d'autres, fut pour ainsi dire une continuation de la "Familia sacra" de Münster, éteinte par la mort de la plupart de ses membres. Les principes des deux cercles étaient en effet les mêmes ; réveiller et réchauffer par le culte de l'art et de la science chrétienne, l'esprit attiédi de l'Eglise d'Allemagne ; c'était là l'unique objet de leurs désirs. La tâche de Catherine qui vivait à l'époque la plus florissante du cercle catholique de Munster et mourut peu de temps avant l'établissement de celui de Munich, avait été d'amener cette renaissance spirituelle par ses prières et par ses souffrances. Dans cette dernière société Clément a donné des conférences publiques sur les visions de la vénérable Emmerich, et ce fut principalement le pieux et savant Mohler qui prit une part active à cette affaire. Il se fit lire maints passages des manuscrits et assista Brentano de ses conseils et de ses lumières.

 

f Après la publication de l'ouvrage mentionné plus haut, Clément conçut le projet de faire paraître un second livre sur la vie de Marie et l'enfance de Jésus. Une troisième partie enfin traiterait de la vie publique de Notre-Seigneur. Mais ce fut un travail bien pénible que d'extraire et de mettre en ordre tous ces passages parsemés ça et là dans le vaste manuscrit. Affaibli par l'âge et l'infirmité corporelle, le poète conçut la pensée de transmettre l'exécution de l'oeuvre à des forces plus jeunes. "Je voudrais, écrivait-il à un ami, être plus près de toi. Je te donnerais mes journaux à toi et à F. W. avec la somme nécessaire pour subvenir aux frais de l'édition. Malheureusement, à cause de notre éloignement, cela ne peut se faire. Il faudrait en effet beaucoup d'explications verbales, des recherches particulières et une grande prudence ; car le sujet est délicat, comme les tableaux de poussière sur les ailes des papillons."

 

Clément n'a plus édité les livres lui-même ; mais les manuscrits étaient quasi-achevés et la Vie de la Sainte Vierge se trouvait sous presse lorsque la mort le surprit. Le tout a été compilé d'après ses instructions et la Vie de Marie apparut en 1852 à Munich. Brentano a légué tous ses manuscrits au savant professeur Haneberg. Tous les deux avaient demeuré dans la même maison à Munich et Haneberg avait déjà aidé son ami dans la composition du livre sur la Sainte Vierge. C'est de Haneberg que le père Schmôger a reçu les notices, d'après lesquelles il a édité la Vie publique de Jésus-Christ en trois volumes (1858 et 1860). Mais avant de le voir mourir, reportons nos regards sur la vie de cet homme si intéressant pour nous, afin de le considérer sous un autre point de vue.

 

Durant les dix-huit années qui s'écoulèrent entre la mort de Catherine et la sienne, le Pèlerin devint par son coeur magnanime et son regard prévoyant, le centre et le promoteur de beaucoup d'institutions qui aspiraient à réveiller alors l'esprit religieux de l'Allemagne catholique.

Et ce qui faisait entièrement défaut, la presse catholique, fut avant tout l'objet de sa sollicitude particulière. La littérature du jour était entre les mains des protestants et de catholiques de nom qui ne rougissaient pas de proférer chaque jour des blasphèmes et des ignominies. Lui-même fut rayé de la liste des littérateurs dès son retour à l'Eglise.

 

Il fut le premier qui donna, par ses propres écrits, un nouvel essor à la littérature catholique ; avec la coopération du vieux Gôrres, il a affermi l'existence de la nouvelle Revue "Le catholique". Quelques années plus tard (1838) il provoqua la fondation des "Historisch-politische Blütter" (feuilles historico-politiques), dont deux de ses meilleurs amis, le professeur Phillips et Guido Gorres étaient les rédacteurs. Maint écrivain et maint éditeur ont reçu de Brentano d'énergiques exhortations à publier un livre catholique.

 

Son activité se montra avec toute son intensité, dans un fait qui lui assure à jamais la gratitude de la postérité. Il a été en effet la cause unique de ce que Gôrres fut nommé professeur à la nouvelle Université de Münich. Cet appel, qui eut lieu en 1827, donna occasion à Gorres de faire valoir devant toute l'Allemagne le prix éminent de la foi et de la science catholique. Le Pèlerin avait demandé à Mgr Sailer, de faire valoir son amitié personnelle auprès du roi Louis pour amener l'installation de Gôrres à l'université de Münich.

On connaît le zèle infatigable dont le Pèlerin faisait preuve pour ranimer et vivifier partout en Allemagne la vie chrétienne, il n'est donc pas étonnant que le culte de la propagation de l'art chrétien parmi le peuple lui tint si fort au coeur. Dans le but de rehausser le culte et de perfectionner l'art chrétien, il poussa à la fondation d'une association qui s'occuperait de propager les bonnes images. Cette réunion s'est fondée plus tard à Düsseldorf. Il entretenait des relations avec les artistes les plus distingués de sa patrie, tels que Cornelius, Overbeck, Settegast, Führig, Schlottauer, Mademoiselle Limder, Steinle,

Déger et d'autres. Grâce à ses connaissances artistiques il fut souvent leur aide et leur conseiller. Il exerça une influence particulière sur Steinle qui a dessiné plusieurs images pour les oeuvres de Catherine Emmerich.

 

Il ne pouvait manquer qu'un homme intéressé à tout ce qui regarde la vie chrétienne, s'intéressât aussi à l'éducation de la jeunesse. A cet égard il a favorisé et appuyé de ses conseils et de ses visites la première école supérieure de jeunes filles catholiques à Boppard-sur-le Rhin. De même il entretint des relations avec les dames du Sacré-Coeur à Paris, qui s'étaient adressées autrefois à Catherine, pour demander le secours de sa prière, et qui espéraient pouvoir s'établir en Allemagne par l'intermédiaire de Clément.

 

Pressentant sa mort prochaine, il prit congé de tous ses amis de Münich pour suivre l'invitation de son frère Chrétien, qui l'appelait à Aschaffenburg. Là, il se prépara sérieusement à la mort, et donna l'exemple le plus héroïque de la patience et de la résignation.

 

Dieu mon Père ! Je vous salue, Marie ! Jésus pour vous je vis ! Jésus pour vous je meurs ! Mon Jésus, venez à moi ; mon coeur languit après vous ! - Tels furent les derniers soupirs d'amour qu'exhalèrent ses lèvres et son coeur. Il mourut au mois de juillet 1842, et fut enterré à Aschaffenburg.

 

"Il s'est éteint comme un héros chrétien ; je veillai à sa couche une partie de sa dernière nuit, et cette nuit a mûri ma vocation." Voilà les paroles qu'écrivait quelques jours après la mort de Clément son jeune ami spirituel Van der Meulen, professeur à Francfort. Cet homme plus tard se fit trappiste et fut longtemps abbé à Oelenburg en Alsace. Dans sa jeunesse il avait fait ses études à Dülmen, c'est ainsi qu'il avait connu Catherine et le Pèlerin. Toujours admirateur zélé de la martyre, il a emporté au couvent plusieurs souvenirs de la Soeur Emmerich.

 

Chapitre 6

 

Le secret de souffrir

et ses fruits

 

Le chemin de souffrances et de douleurs que Catherine a suivi pendant tout le cours de son existence nous est suffisamment connu. "Je vous ai couchée sur un lit de souffrances ; mais aussi je vous ai comblée de grâces, de trésors d'expiation et de bijoux célestes. Il faut que vous souffriez." Telles étaient les paroles adressées par le Sauveur à sa fidèle servante.

 

Tout ce que Catherine voulait acquérir pour l'Eglise et pour son prochain, devait être mérité par des souffrances. De même elle devait gagner les personnes nécessaires pour atteindre son but, par les trésors de la réconciliation. C'est ainsi qu'elle avait attiré le Pèlerin, mais en même temps elle était obligée de lui mériter par ses souffrances, la communication de ses vues intérieures.

Une grande utilité devait en résulter pour le salut des hommes qui, par la lecture de ces merveilles seraient ramenés au saint Evangile tant oublié de cette époque. Mais le Seigneur lui imposa une grande douleur qui la tourmenta du commencement jusqu'à la fin de ses communications. Cette souffrance servit en même temps à la conduire à la vertu la plus idéale et à un degré éminent de mérites. Et chose étrange ! cette tribulation devait lui venir du Pèlerin lui-même, que Dieu avait envoyé comme instrument de sa sainte volonté. On s'étonnera peut-être de voir ce même homme devenir l'exécuteur des voeux les plus ardents de la martyre, et troubler d'autre part la paix domestique et personnelle de cette même personne. Et cependant il en fut ainsi. Néanmoins on aurait tort d'en imputer la faute uniquement au Pèlerin que nous connaissons comme un homme aspirant à la plus haute perfection. La souffrance résulta en partie des qualités naturelles du Pèlerin, en partie des circonstances extérieures. Le Pèlerin était appelé à la couche de Catherine, pour lui faire atteindre le sommet de la vertu la plus pure et pour lui faire expier le dédain de l'Evangile, trop à la mode en ce malheureux temps.

En première ligne c'était le caractère susceptible et rebelle de Brentano. Emu, par la moindre chose, il n'avait nul égard à la situation de Catherine et de son entourage.

Et rien d'étonnant ! Le Pèlerin, homme entièrement indépendant sortait à peine des salons du grand monde de Berlin, et de là entrait sans transition dans la triste chambrette d'une pauvre malade. Sa vie antérieure ne lui avait pas appris à pratiquer la patience chrétienne dans des circonstances pareilles, ni à exercer la charité envers les autres. De plus, cet homme d'une intelligence extraordinaire, et d'une rare expérience amassée dans ses rapports avec le grand monde, était placé ici en face de trois hommes, instruits, il est vrai, mais très simples, qui avaient comme lui leurs obligations à l'égard de Catherine. Il ne faut donc pas nous étonner, si Clément tantôt blâma telle chose, tantôt proposa des changements ou s'insinua dans les affaires de ces trois autres personnes. La paix extérieure de la maison fut troublée. Ce fut encore la Soeur Emmerich qui en souffrait le plus ; car elle devait entendre les plaintes de chacun.

Ah ! qu'elle aurait souhaité ne pas avoir de visions ou de n'avoir pas à les communiquer ! Mais sachant ce que Dieu demandait d'elle, elle subit patiemment les agitations et les perturbations causées par le Pèlerin. Néanmoins, elle lui enseignait la patience, et l'exhortait toujours et sans cesse avec la même longanimité. Que de fois elle a dû redoubler d'amour et de patience, pour l'amener à montrer plus de douceur et plus de charité, afin de conserver ou rétablir la paix de la maison. C'est cette situation tendue qui avait provoqué de la part de Lambert et de Wesener les lettres dont nous avons parlé dans un chapitre précédent, et qui ne tendaient à rien moins qu'à empêcher le retour du Pèlerin auprès de Catherine. Mais nous avons vu la réponse pleine d'humilité de Brentano et nous savons aussi qu'Overberg se décida à lui permettre de revenir à Dülmen.

Chaque jour, deux heures étaient consacrées aux annotations ; tel était le désir de Catherine et par suite la prescription d'Overberg. Mais les tribulations n'en cessèrent point pour cela. Une autre cause de perturbation naissait encore des circonstances défavorables.

 

Ce n'est pas que le Pèlerin ait manqué de bonne volonté, ou qu'il n'ait pas pratiqué les vertus d'abnégation et de charité envers son entourage. Mais son irascibilité naturelle s'enflammait quand il ne trouvait pas toujours le temps voulu à ses annotations, et cela ne manquait pas de donner lieu à des scènes pénibles. Il avait certainement raison de considérer sa tâche comme un devoir qui lui était imposé par Dieu et par l'Eglise ; il était très juste de considérer les visions de la malade comme un trésor précieux, dont la perte serait à jamais irréparable ; pour l’acquisition de ce trésor, il avait d'ailleurs abandonné sa vie commode et insouciante pour se soumettre aux privations les plus diverses ; mais d'autre part, il alla trop loin en s'arrogeant un droit général et absolu sur la malade et sa vie, pour la forcer à abandonner tout le reste au devoir de lui communiquer ses visions.

 

Il n'appréciait pas et ne tenait pas compte des devoirs supérieurs de la malade, moins encore de ceux des trois hommes que Dieu lui avait adjoints. Ainsi il ne comprenait pas qu'elle pratiquât comme premier devoir, l'amour de Dieu et du prochain. A ce devoir elle faisait céder ses communications, car elle obéissait en premier lieu à son confesseur. Notre Seigneur Jésus Christ approuva cette manière d'agir, en disant à Catherine : "Je vous donne des visions, dont vous devez faire part aux autres, afin de prouver que je suis avec mon Eglise jusqu'à la fin des siècles. Cependant les visions ne peuvent vous procurer la béatitude, mais bien la pratique de l'amour, de la patience et de toutes les vertus." Un jour Catherine ayant demandé à Dieu de lui enlever les visions, pour ne plus en avoir la responsabilité, il lui répondit : "Racontez-en autant que vous le permet la pratique quotidienne de vos devoirs religieux." Citons encore quelques paroles qui décidèrent Catherine à communiquer ses visions malgré toutes les difficultés qu'elle y éprouverait. "Dites tout de votre mieux ; car vous ne savez pas combien d'âmes liront un jour ces pages pour y puiser du courage et du zèle." Il existe beaucoup de visions analogues, Dieu me montra un grand nombre de saints auxquels il avait fait voir des choses multiples en diverses visions, mais faute d'intelligence et de bonne volonté de la part des auditeurs, elles n'ont pas été efficaces. "Ce que vous racontez, sera compris et fructifiera, même s'il vous paraît devoir en être autrement."

 

Le Pèlerin cependant ne comprit pas ce que "la pratique quotidienne de ces devoirs religieux" signifiait. Il exigea d'elle de taire cesser son "ménage peu réglé", en congédiant sa soeur Gertrude. Elle devait laisser à d'autres ses soins pour le vicaire Lambert, dont les visites d'ailleurs n'avaient d'autre but que de lui faire oublier pour quelques instants les incommodités de la vieillesse. Et puisque les maladies de Catherine avaient des causes spirituelles, il déclara également les visites réitérées du docteur Wesener superflues et ses prescriptions inutiles. Il s'efforça de mettre fin aux visites de sa parenté, de ses anciennes compagnes de couvent, des pauvres et des affligés, qui tous ne faisaient que le priver d'un temps précieux pour ses annotations. Enfin il désira la voir changer de demeure, pour n'être accessible qu'à lui et au confesseur.

A différentes reprises le Pèlerin, empêché ou interrompu dans son ouvrage de la manière susdite, ne put faire taire le chagrin que cela lui causait. Les remarques faites en marge de ses traités, nous en rendent témoignage ; Clément se plaint de ce que des trésors ineffables ont été perdus non pas par sa faute, mais par l'indolence et l’insouciance d'autrui.

 

L'épreuve la plus dure pour la malade furent les reproches qu'il lui fit à elle et au confesseur, en disant qu'elle n'était pas à même d'apprécier ses visions et qu'elle avait tort de se faire empêcher dans cette affaire, par la pratique des oeuvres de charité et par des souffrances d'expiation et de réconciliation. Il alla même jusqu'à prétendre que le confesseur ne possédait ni l'intelligence, ni l'intérêt requis pour ces mystères augustes, et cela parce qu'il n'interdisait pas à Catherine de pratiquer la charité. Malgré cela, Catherine a toujours continué ses oeuvres pour le prochain. Comme par le passé elle a conseillé et consolé les uns et fait ses aumônes aux autres. Elle préférait même le travail pour les pauvres à la dictée de ses visions.

 

Dieu lui révéla qu'elle devait se perfectionner dans la patience, en face de toutes ces contrariétés. C'est pourquoi elle souffrit avec résignation les caprices de sa soeur et continua, comme par le passé, de régler les affaires du petit ménage. Lorsqu'un jour elle supplia Dieu de lui enlever ces soins de ménagère, son ange lui ordonna de porter sa croix à l'exemple de son Epoux divin, qui avait porté la sienne sans murmurer.

 

Au milieu des souffrances de sa vie, Catherine eut une suite non interrompue de visions miraculeuses et se soumettant humblement aux ordres du Ciel, elle s'épancha au Pèlerin. Celui-ci, impatienté des perturbations continuelles du dehors, ne cessait d'exiger toujours de nouveau un changement dans le ménage de Catherine. Les larmes aux yeux, elle le pria de ne pas rendre sa situation insupportable ; elle le supplia de s'adapter aux circonstances présentes ; car, dit-elle, "Dieu le veut ainsi et je n'y puis rien changer. " Souvent elle l'exhorta à se défaire de son emportement contre le confesseur, dont elle eut également à fortifier la patience épuisée par les injures de Clément.

Il arriva que Limberg, indigné des reproches injustes du Pèlerin, que par sa faute une grande partie des visions de la malade ne pouvait être écrite, retira à Catherine toute permission de les lui communiquer encore. Elle en fit part au Pèlerin : "Mon ange m'a commandé de vous refuser désormais ce trésor. " Mes regards étaient troublés, dit-elle, je ne voyais plus rien. Déjà depuis neuf jours, elle n'avait plus eu de visions ; alors le Pèlerin, confus et honteux, se rendit à Münster pour obtenir d'Overberg le renouvellement de la permission abrogée. Overberg l'accorda, en exhortant le Pèlerin à la douceur et à la patience. Le confesseur retira lui aussi sa défense, et les visions eurent lieu comme auparavant.

 

Limberg était un guide excellent pour Catherine. Ce prêtre simple et droit n'avait pas l'intention de cultiver dans la malade ses dons extraordinaires et surnaturels ; l'unique objet de sa direction était de faire parvenir sa pénitente à la plus haute perfection chrétienne. Ce n'était donc pas une indifférence déraisonnable (comme le Pèlerin se l'était imaginé) qui l'empêchait de faire valoir son autorité auprès de Catherine, pour la faire accéder au désir du Pèlerin. Il n'admirait pas ses visions, il n'empêchait pas ses souffrances et ses maladies

 

réparatrices, il ne la protégeait pas contre les occasions de se perfectionner dans l'humilité, l'amour de Dieu et la patience ; il n'interdisait pas les remèdes naturels, malgré le caractère surnaturel des maladies. Mais pourquoi agissait-il ainsi ? !;tait-ce par indifférence ? Certainement non. Mais c'était son devoir d'être bref, prudent et réservé à l'égard de sa fille spirituelle, pour lui conserver ainsi sa simplicité et son humilité pleine de candeur. Catherine à son tour le suivait avec une obéissance parfaite ; elle estimait sa mâle énergie et se soumettait à ses ordres sans aucune restriction. Cette obéissance absolue nous prouve évidemment la profondeur de ses vertus et la sincérité de ses visions.

D'un autre côté cependant, on ne peut méconnaître que différentes raisons autorisaient les plaintes du Pèlerin sous plusieurs rapports. Suivant la volonté divine, Limberg stimula et détermina la malade à se communiquer à Clément ; mais encore pouvons-nous approuver sans réserve certaines manières d'agir du confesseur ? Pourquoi par exemple ne s'opposa-t-il jamais à des troubles souvent renouvelés que causaient à Catherine des soins vraiment futiles, tels que le lavage du linge ? Outre cela il aurait bien pu empêcher certaines visites oiseuses et onéreuses qui n'avaient d'autre but que de recueillir quelques paroles édifiantes de Catherine. Les notes de Brentano accusent maintes fois pareille interruption fâcheuse. C'est pourquoi, l'on doit peut-être imputer au caractère froid et timide du confesseur, la faute de ce que beaucoup de rayons lumineux composant les visions de Catherine, ne soient pas parvenus jusqu'à nous. Il n'est pas nécessaire d'ajouter, que ces situations devinrent pour le Pèlerin une école particulière d'abnégation et de renoncement à lui-même. Car malgré son zèle impétueux pour la solution de son grand problème, il n'a jamais cessé d'être affable à l'égard des trois autres personnes prémentionnées ; il s'est humblement soumis à leur bon plaisir. Sa présence auprès de Catherine était donc la cause de beaucoup de souffrances secrètes et mutuelles, qu'ils durent souffrir pour mériter les grâces dont le Ciel les comblait.

 

Sur ces entrefaites, presque deux années s'étaient passées ; pendant ce temps le Pèlerin avait noté toutes les visions que Catherine avait eues sur l'année liturgique, sur la vie de Jésus, de Marie et des saints, ainsi que sur les circonstances et événements de son époque.

 

En 1820, Dieu révéla à Catherine qu'il lui donnait le choix ou de mourir, ou de vivre dans le but d'exécuter une grande oeuvre pour le salut de son prochain, à savoir: la contemplation et la narration de la Vie publique et la Passion douloureuse du Christ. Il lui révéla ensuite qu'il ne pouvait la faire participer à cette grande grâce qu'à la condition suivante : Elle devait non seulement lui offrir toutes les souffrances de sa vie passée, mais encore être prête à se charger de sacrifices bien plus pénibles et bien plus sublimes encore. Tel était le chemin de Dieu : et Catherine comprenait très bien, que de plus grandes grâces de la part du Ciel, exigeaient aussi de sa part de plus grands sacrifices et de plus héroïques vertus. Catherine savait parfaitement que la plus pénible des souffrances qui l'attendaient, viendrait de ses communications au Pèlerin. Elle voyait aussi que cette souffrance durerait jusqu'à l'accomplissement de la tâche qu'elle allait entreprendre. Elle ne prévoyait donc que des souffrances jusqu'à la fin de sa vie ; et cependant, dans son héroïsme elle accepta cette nouvelle mission. Ici encore elle était guidée par le trait fondamental de sa vie, qui n'était autre que le désir ardent de se rendre utile au prochain et à lui procurer le bonheur éternel.

Dieu agréa son sacrifice, et regarda avec complaisance la pureté de son intention, qui ne tendait qu'à sa plus grande gloire et au salut des âmes. Déjà dans sa vie antérieure, Catherine avait eu la contemplation intuitive de certains traits de la vie et de la Passion du Sauveur. Les faits qu'elle vit alors, l'avaient aidée à marcher sur les pas de Jésus. Ce temps, qu'on pourrait considérer comme une préparation à sa grande oeuvre, réconforta l'esprit de l'humble vierge pour l'avenir, où Dieu daigna révéler à sa vue intérieure l'histoire entière de notre Rédemption. La vie publique du Sauveur, ses miracles et sa doctrine sublime furent aussi présentés à Catherine. Elle vit en même temps le pays, la nature, les villes et les villages de la Palestine ; enfin les scènes les plus intimes et les plus minutieuses, si l'on peut s'exprimer ainsi, de sa Vie publique, de sa Passion et de sa mort, de sa Résurrection, de son Ascension et de la descente du Saint-Esprit.

 

Ainsi les souffrances méritoires d'une pauvre malade, ont donné naissance à un des livres les plus remarquables du monde. Nous avons ici l'oeuvre la plus importante de la vie de Catherine.

Remercions-en Dieu, et souvenons-nous des paroles du Sauveur: "Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux simples et aux petits." (Mat. 11. 25) Les grands et les sages du monde d'alors reniaient le saint Evangile et la vie terrestre de l'Homme-Dieu. - Mais voilà que Dieu suscite une simple fille de campagne, qui devient par ses souffrances l'oracle de la Divinité ! L'accomplissement de cette tâche sera pour Catherine le terme de sa vie.

 

Chapitre 7

 

Dernier ouvrage et mort

de Catherine

 

Les contemplations et la dictée de la vie publique de Jésus Christ, étaient accompagnées de souffrances continuelles, qui augmentèrent de jour en jour jusqu'à la mort de Catherine. C'étaient les grandes souffrances, que Dieu daigna lui imposer alors pour déjouer, par ses expiations, les desseins des ennemis de Pie VII, et pour rendre à l'Allemagne la constitution ecclésiastique. C'étaient encore ces souffrances innombrables par lesquelles elle a mérité une bonne mort à tant de mourants. Cette charité héroïque qui se chargeait des souffrances physiques et morales des autres, n'était pas moins agréable à Dieu. Et c'est au milieu de tous ces sacrifices, que le Seigneur a communiqué à sa servante les mystères augustes de sa vie et de sa mort.

 

Une autre affliction pour Catherine fut à cette époque la mort de son bienfaiteur et ami, le vicaire Lambert. Ce bon prêtre tomba malade au printemps 1820 ; à l'automne suivant son état empira, et bientôt Catherine prévit sa mort prochaine. Saint Ignace et saint Augustin lui apparurent en disant

"Préparez-lui une robe blanche, pour qu'il échappe au purgatoire." - Dans la vision suivante Dieu lui révéla l’espèce de souffrance, par laquelle elle obtiendrait à son ami une mort heureuse, et la délivrance des tourments du purgatoire. Elle se vit placée sur un bûcher, qu'un vieillard (Lambert) avait élevé et embrasé. Elle-même se sentait mourir dans les douleurs les plus atroces, jusqu'à ce que le bûcher fût réduit en cendres blanches comme la neige, que le vieillard répandait sur les champs. Cette image nous rappelle les paroles des Saintes Ecritures : "L'ouvrage de chacun paraîtra enfin, et le jour du Seigneur fera voir quel il est... Si l'ouvrage de quelqu'un est brûlé, il en souffrira la perte ; il ne laissera pas néanmoins d'are sauvé, mais comme en passant par le feu." (I Cor. 3. 13)

Le décès de son protecteur et ami donna à Catherine l'occasion de lui prouver sa gratitude pour tout ce qu'elle lui devait. C’est pourquoi elle redoubla de prières ferventes et de supplications assidues pour le délivrer des peines et des châtiments de l'autre monde. Dieu l'exauça: durant les trois derniers mois de la vie du prêtre Lambert, elle était tellement accablée de douleurs qu'elle en faillit mourir. La bénédiction et les prières seules de ses amis Limberg et Niesing l’arrachèrent à la mort. L'abbé Lambert jouit des effets merveilleux de ce sacrifice ; ses peines furent adoucies, la crainte et la pusillanimité firent place en son coeur à la foi, à l'espérance et à la charité ; et les attaques du démon furent chassées par les suggestions de son ange gardien et par la protection de saint Martin, son patron.

Catherine se fit porter à son lit de mort, et fondant en larmes tous deux, ils prirent congé l'un de l'autre. Le père Limberg, profondément ému, dit à Catherine qu'elle ne retrouverait plus en ce monde, un ami pareil.

En ces jours-là, le Pèlerin écrivit à Overberg : "M. Lambert vient de recevoir les saints Sacrements ; jusqu'à l'avant-dernière semaine il a toujours dit son bréviaire, et jusqu'à avant-hier il n'a pas manqué un seul jour depuis ses années d'études, de dire le chapelet. Sur le point de mourir, le digne prêtre dit

« J'attends que Dieu m'appelle ! »

Il mourut le 7 février 1821. Catherine distribua à son intention sept pains aux pauvres. Pendant la célébration de ses funérailles, elle tomba en extase, et pria les mains jointes. Plus tard elle en rapporta ce qui suit : "Après avoir fait le chemin de la croix pour lui, j'allai à la rencontre du cortège funèbre, que je vis accompagné de plusieurs âmes portant des cierges. J'assistai aussi à ses obsèques. A présent je vois l'abbé Lambert dans un jardin céleste, parmi des prêtres et des âmes pieuses. A l'heure de sa mort il a été assisté par saint Martin et sainte Barbe, dont j'avais imploré le secours." Elle s'était donc parfaitement acquittée de sa tâche, et avait procuré le bonheur du Ciel à son ami Lambert.

 

Peu de temps après la mort de ce prêtre vénérable, son fiancé céleste dit à Catherine : "Le nombre de ceux qui aiment la souffrance est si petit, et cependant il y a tant à expier !" En même temps il lui mit une robe noire marquée de beaucoup de croix, symboles de nouvelles souffrances causées par le Pèlerin.

 

A peine Lambert fut-il décédé, que le Pèlerin essaya de faire changer de demeure à Catherine pour mettre définitivement fin à ses liaisons d'autrefois, et pour gagner plus de temps à consacrer à ses annotations. Il chercha à exécuter ce dessein sans le consentement ni de la martyre, ni du confesseur, ni des autres amis de Catherine. Mais celle-ci s'en tint à l'arrêt de son confesseur, et le changement n'eut pas lieu.

Le Pèlerin lui fit des reproches de ce qu'elle s'opposait à son désir de lui faire du bien, tandis qu'elle suivait les conseils inutiles d'autrui. Tous étaient exaspérés contre Brentano, surtout l'hôte François Limberg qui refusait absolument de laisser partir ce trésor précieux de sa maison. Catherine elle-même eut à subir les conséquences de toutes ces contrariétés, qui altéraient la concorde parmi son entourage. Ses angoisses grandirent ; car elle connut intérieurement toute la persistance et l'absolue ténacité de l'intention du Pèlerin. Elle tomba malade au point de mourir, et fut exposée sans cesse à des combats terribles contre Satan.

 

Quelques mois plus tard la confusion et l'animosité augmentèrent dans son entourage de la manière suivante. A la nouvelle du décès de l'abbé Lambert, le conseiller Diepenbrock invita la malade à passer le reste de ses jours au sein de sa famille. Il offrit en même temps au père Limberg la position d'aumônier dans sa maison : de telle sorte que Catherine ne fût pas privée de son secours. Cet intérêt témoigné à son sort remplit le coeur de Catherine de la plus vive gratitude. Et lorsqu'au bout de quelques semaines M. Diepenbrock fit renouveler cette offre et cette invitation par la bouche de sa fille Apollonie, qui venait voir Catherine à Dülmen, celle-ci tint à lui exprimer par Apollonie, sa reconnaissance profonde. Mais elle lui assura néanmoins qu'elle agirait contre les vues de la Providence en quittant Dülmen, pour améliorer sa situation matérielle. Mais Brentano ravi à la pensée que le séjour de la malade à Bocholt, lui procurerait enfin la liberté voulue pour ses communications, lui reprocha si amèrement son refus, que Catherine fondit en pleurs et tomba de nouveau malade.

 

Au mois de juillet Overberg vint à Dülmen. Il la consola en disant qu'elle n'était pas coupable de ces tiraillements : "car, dit-il, votre refus était légitime ; maintenez toujours votre résolution." Les jours suivants elle dit : "Je vois une grande croix qui me sera imposée. " Et en effet, elle fut atteinte d'une grave maladie.

Le 6 août, la signification de cette croix se révéla. Ce jour-là, une voiture louée par le Pèlerin s'arrêta devant l'habitation de la malade, pour la conduire sans retard à Bocholt. Mais le confesseur s'opposa au départ. Des discussions éclatèrent de part et d'autre ; les amis de Catherine se déclarèrent à l'unanimité contre les intentions du Pèlerin. Catherine éprouva la plus grande affliction de se voir le sujet de toutes ces aigreurs. Pour prévenir des dissensions et des embarras futurs, elle donna son assentiment à l'opinion de Limberg, et se fit transporter dans la propre demeure de ce prêtre. C'est ainsi qu'elle vint dans la nuit du 6 au 7 août, habiter la maison de Limberg dans la rue neuve (Neustrasse) (note).

 

I - En 1894 cette maison était encore accessible à la vénération du public.

 

C'est là qu'elle a passé les deux dernières années de sa vie.

 

Cette détermination semblait avoir réalisé les souhaits du Pèlerin et Catherine jouit d'un peu de calme. Mais hélas ! ce repos fut de courte durée, et les instigations du Pèlerin recommencèrent bientôt tout comme auparavant, pour ne plus ,jamais cesser.

Dans cette nouvelle demeure, Brentano lui reprocha vivement qu'elle se fût opposée à son désir. "C'est vous, lui dit-il, qui avez amené tout le monde à ourdir ce complot." Catherine était profondément attristée de ces reproches, et sa maladie s'aggrava. A plusieurs reprises elle transpira du sang et devint si infirme et si caduque, qu'elle savait à peine parler ; mais malgré tout, ses traits reflétaient une paix profonde.

 

Sa soeur Gertrude qui ne l'avait pas suivie dans sa nouvelle demeure, fut remplacée par une garde-malade, Madame Wissing, qui s'occupa des soins du ménage. Néanmoins l'éternelle plainte du Pèlerin s'éleva de nouveau, lorsqu'il apprit, à son grand chagrin, que les pauvres et les affligés continuaient

à visiter Catherine dans cet asile, et qu'elle ne cessait pas de les écouter, de prier, de souffrir et même de travailler pour eux. Elle reçut, tout comme avant, les visites de ces anciennes compagnes, de ses amis et même de sa soeur Gertrude. Elle se chargea de l'éducation de deux enfants, d'un neveu étudiant, qui venait la voir à l'époque des vacances, et d'une nièce qui a passé plusieurs années chez elle. Tout cela semblait inutile au Pèlerin, et il reprocha à Catherine son humanité qui ne faisait que perdre un temps précieux et qu'il était impossible de recouvrer. Telles furent leurs relations jusqu'à la mort de Catherine. Mais malgré ces tribulations incessantes, la malade n'avait négligé aucun jour de communiquer ses visions, quelque pénible que dut être ce devoir dans les circonstances décrites. Depuis le mois de juillet 1820 jusqu'à peu de temps avant sa mort, elle a vu et dépeint avec une cohérence et une liaison admirables, la vie publique et la Passion du Sauveur.

 

Peut-être le lecteur ne comprendra-t-il pas, pourquoi on n'a pas éloigné le Pèlerin de Dülmen afin d'assurer à cette pauvre martyre le don le plus désirable, dans l'état où elle se trouvait réduite, la paix domestique. Mais Catherine savait qu'il lui était envoyé par la Providence, et jamais son ange ne lui avait ordonné le renvoi de Clément. Au fond de son coeur il était loin de vouloir offenser Catherine ; mais son désir trop ardent de sauver ces trésors célestes, c'est-à-dire le récit de ses visions, l'a souvent poussé à des exagérations, et il eut aussi plus tard, l'humilité de s'accuser ouvertement lui-même de sa conduite erronée. Il n'a jamais compris qu'il voulait lui-même annuler l'unique condition de ce don de prophétie, à savoir les souffrances et les vertus de la martyre. Il ignorait que celui qui devait conserver ces visions précieuses était appelé en même temps à procurer les plus pénibles souffrances, et par là la haute perfection de Catherine. Elle était convaincue d'accomplir la volonté de Dieu, en se soumettant avec résignation aux épreuves les plus dures ; car elle avait été avertie en vision qu'elle avait à vaincre ces importunités à force de patience.

 

Achevons la biographie de notre héroïne, en méditant brièvement les neuf derniers mois de sa vie. Nous reviendrons de son lit de mort avec la persuasion de sa haute destinée, qui

 

était d'are un sujet de douleurs et de souffrances et une martyr pour l'Eglise.

 

Le Vendredi Saint de l'année 1823, elle dit à son entourage : "Je ne reverrai plus ce jour. " Vers la Fête-Dieu, les oeuvres de réconciliation pour l’Eglise lui causèrent de si grands tourments, qu'elle se sentit mourir, et pourtant elle avait à souffrir encore pendant neuf longs mois. Ses douleurs atroces augmentèrent de jour en jour. Elle ressentit les tortures du crucifiement et semblait écrasée sous la douleur. Sainte Barbe et sainte Catherine l'encouragèrent en lui montrant leurs propres souffrances ; et l'exhortèrent à ne pas désespérer, mais à vider le calice jusqu'à la lie. Sur ces entrefaites elle expia les pochés des impénitents. Elle souffrit longtemps d'une forte inflammation des paupières ; une toux convulsive accompagnée de vomissements lui firent à différentes reprises perdre l'ouïe et la vue. Elle connaissait le sujet en faveur duquel elle expiait ; mais elle ne fa jamais révélé.

 

Au mois de décembre, la supérieure des Dames du Sacré-Coeur à Amiens, lui demanda ses prières pour la nouvelle Congrégation, et Dieu seul sait quelle part la malade de Dülmen a eu dans l'efflorescence de cet institut ; car pour le bien de l’Eglise elle était prête à creuser une source dans le Sacré-Coeur de Jésus. Le jour de la fête de Noël, elle parut devoir succomber aux douleurs extrêmes qu'elle avait acceptées par compassion pour plusieurs malades. Cette fois, elle était dépourvue de toute consolation et de toute lumière.

 

Des souffrances indescriptibles l'introduisirent dans l'année 1824. Elle avait encore six semaines à passer sur cette terre. Durant ce temps encore elle aida les mourants dans leurs souffrances, et l'Eglise dans ses combats. Le Pape, dit-elle, m'a imposé un fardeau pesant ; il était très malade ; il a beaucoup à souffrir de la part des protestants. Je lui ai entendu dire qu'il préférait se laisser massacrer sur le seuil de l'Eglise de saint Pierre, plutôt que de souffrir plus longtemps l’intervention des novateurs, et que le siège de saint Pierre devait être absolument libre.

 

Le 12 janvier, ses peines augmentèrent encore. Elle en dit: "Je ne puis plus me charger d'une nouvelle tâche ; je suis épuisée.

Jusqu'à aujourd'hui je n'ai souffert que pour d'autres ; à présent je souffre pour moi-même. L'Enfant Jésus m'a fait cadeau de beaucoup de douleurs à la Noël; maintenant il est revenu, pour m'en donner davantage encore. Il m'a montré ses souffrances et celles de sa Mère, en disant: "Vous êtes ma fiancée ; souffrez ce que j'ai souffert moi-même ; ne demandez pas pourquoi !"

Dès lors elle ne reçut plus d'éclaircissements sur le motif de ses souffrances. "Je souffre, dit-elle, sans voir pourquoi, des peines terribles. Que la volonté divine soit faite en moi !"

 

Quatre semaines nous séparent encore du jour de sa sainte mort. Ses souffrances s'accrurent de nouveau par une inflammation dangereuse, et le docteur Wesener déclara qu'elle pouvait mourir à chaque instant. Elle fit part à Limberg de ses dernières volontés. Ensuite elle prit congé des membres de sa famille ; elle exhorta surtout le jeune étudiant, son neveu, à une vie pieuse. Il est devenu prêtre et mourut jeune durant les premières années de son ministère.

 

Dès lors l'état de la malade empira encore. Nuit et jour elle tressaillait de douleur sur sa couche, et était en proie à des évanouissements et à des sueurs mortelles. Les traces des plaies aux mains brillèrent comme de l'argent à travers la peau tendue. Ses traits respirèrent une paix céleste et une résignation parfaite durant son martyre atroce. Parfois elle balbutiait quelques prières pour demander à Dieu quelque soulagement ; on lui donna de l'huile de sainte Walburge qui adoucit un peu ses souffrances. Le 27 janvier, elle reçut l'extrême-onction en présence de son ancienne supérieure la Soeur Hackebram. Ce jour-là, elle se sentit merveilleusement réconfortée. Le 1er février, elle réprima ses soupirs, et le râle qui les accompagnait cessa, tandis que les cloches annonçaient par leurs volées joyeuses la fête de la Purification de Marie. Le lendemain matin elle dit: "Oh ! la Mère de Dieu a produit de grandes choses en moi ! Elle m'a enlevée, pour m'unir à elle à jamais ! mais je ne puis en parler !" Evidemment Marie lui avait fait voir la béatitude éternelle.

 

* Dans la dernière semaine de sa vie, elle ne parla plus qu'à son confesseur ; elle ne faisait que prier ; mais jusqu'au dernier soupir elle a toujours gardé sa patience et son regard aimable. Ne pouvant plus parler, elle serra les mains à ses visiteurs.

 

Le 6 février, elle fit célébrer une messe pour l'anniversaire de la mort de l'abbé Lambert. Le lendemain 7 février elle dit à diverses reprises : "Mon Seigneur, mon Jésus, je vous rends des actions de grâces pour ma vie entière ; qu'il en soit, non comme je veux, mais comme vous le voulez ! " Le 8 elle soupira : "Jésus, pour vous je vis ! Jésus, pour vous je meurs ! Garce à Dieu, je ne vois plus, je n'entends plus ! " Lorsqu'elle parut perdre l'usage de ses sens, le Pèlerin était agenouillé près de sa couche. Il lui donna une capsule contenant des reliques qu'elle avait portées jadis, et qu'elle lui avait données autrefois. Elle la serra quelques minutes dans sa main et la rendit ensuite à Clément. Le lendemain l'anneau d'argent qu'entourait cette capsule se trouvait brisé.

 

Le 9 février, fut le jour fixé par Dieu pour son passage de ce monde à un monde meilleur. Vers deux heures du soir, les approches de la mort se firent remarquer. Elle se plaignit des peines cruelles qu'elle éprouvait dans le dos, en disant : "Je ,suis étendue sur la croix; la fin approche. " L'abbé Limberg lui donna l'absolution générale, et dit les prières des agonisants. Catherine saisit sa main, le remercia et prit congé de lui. Alors aussi sa soeur Gertrude lui demanda pardon des torts qu'elle avait eus envers elle.

Cependant la mort se fit attendre encore jusqu'au soir. "Venez donc, Seigneur Jésus !", gémissait-elle. Et elle ajoutait: "Je crois que je ne pourrai mourir, parce qu'il y a des personnes qui, par erreur, pensent du bien de moi. Ah ! puissé-je proclame r à haute voix, pour que le monde entier l'entende, que je ne suis rien qu'une misérable pécheresse, bien pire que le larron sur la croix !"

 

Le soir tous ses amis et les voisins pieux s'étaient assemblés autour de sa couche ; le vicaire Hilgenberg était agenouillé à son chevet, les autres priaient dans l'antichambre. La martyre tint ses yeux fixés sur un crucifix que son confesseur lui tendit à baiser ; mais dans sa grande humilité elle chercha à ne toucher de ses lèvres que les pieds. Immédiatement avant sa mort elle prononça pieusement un acte de contrition, et ranimée d'une consolation intérieure, elle dit: "Maintenant j'ai une confiance sans bornes, une espérance aussi grande que si je n'avais jamais péché. " Son confesseur lui donna un cierge bénit, pria sur elle et agita une petite cloche de Lorette, comme c'était l'usage à Agnetenberg lors du décès d'une religieuse. A huit heures et demie il dit aux assistants : "Elle meurt !" Un dernier soupir et elle tomba sur son côté gauche, la tête inclinée sur la poitrine. Elle était morte !

 

Une martyre venait d'exhaler son âme pure pour aller recevoir la palme glorieuse des mains de Celui qu'elle avait servi et aimé jusqu'à son dernier soupir. Elle s'envola vers l'époux pour lequel elle avait combattu dans l'arène de l'Eglise, en martyre de coeur par ses souffrances, martyre de sang par ses plaies augustes ! Et avec sa mort se rapprocha enfin ce temps heureux, qui vit renaître, après un siècle d'indifférence, un nouvel esprit religieux et une vraie vie de foi, telle que la martyre de Dülmen l'avait prévue et annoncée au milieu de ses souffrances.

 

Sources de ce livre

 

I- Père Schmôeger : Vie de la vénérable Anne-Catherine Emmerich. I vol. 1867. 2 vol. 1870. Friburg. (Herder.)

Le cardinal-prêtre, Charles-Auguste, comte de Reisach, à Rome, a accepté une dédicace de ce livre (voir préface). De cette compilation noua nous sommes servi surtout des chapitres qui donnent les actes officiels déposés au vicariat épiscopal de Munster et les notices de Cl. Brentano sur la servante de Dieu, traitant de sa jeunesse et de ses rapports avec ses connaissances à Coesfeld et à Dülmen.

2- Les visions de la vénérable religieuse Anne-Catherine Emmerich.

a) l'ère Schmôeger O. S. Red. La vie de Notre-Seigneur Jésus Christ. 1 et 2 vol. 1858. 3 vol. 1860. Ratisbonne (Pustet).

b) l'ère Schmôeger : "La vie pauvre et la passion amère de Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte Mère Marie." 1881. Ratisbonne (Pustet).

3- L'auteur est en possession du journal du Dr Wesener, qui traite tous les événements pour une revue scientifique.

Ces deux documents restèrent inédits.

4- La lettre de Frédéric Léopold, comte de Stolberg, imprimée sous forme de brochure.

5- Les articles des feuilles périodiques et les brochures qui du vivant de Catherine apparurent pour ou contre elle.

6- Biographie de la servante de Dieu, par Brentano, imprimée en tête du livre sur la passion de N.-S.

7- Dr Krabbe : Souvenir d'Anne-Catherine Emmerich et première publication des annotations d'Overberg. Munster (Regensberg.) 1860.

8- Traités particuliers écrits sur la signification des visions d'Anne Catherine Emmerich, écrits par le Père Schmöeger, le vicaire général Windischmann, l'abbé des Bénédictins Guéranger, dans les Historisch-politische Blàtter, année 1858.

9- De notices prises par l'auteur lui-même dans le pays natal de Catherine, dont il a connu le frère et plusieurs autres parents.

10- Les ressources de l'auteur étaient :

a)                P Diel S. J. Portrait biographique de Clément Brentano, édit. par le P Kreiten, S. J. –

b)                Dr François Broder : Portrait biographique de Louise Hensel.

Après ces allégations générales, et attendu que l'oeuvre présente est un livre populaire, l'auteur n'a pas cru devoir citer chaque fois l’endroit exact d'où il tire ses citations.

 

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