Quelle sera donc la vraie demeure, la définitive? Nous l'avons dit, l'origine de tout ne peut être que le Bien. Dieu est Amour; l'amour est donc le roc éternel sur lequel doit être bâti le temple qui durera toujours. La charité en actes, le sacrifice de nos aises en faveur de nos frères, en fournira les matériaux. Le tout servira à l'édification des murs de la Cité céleste. La construction de ce temple pour cha-cun de nous et de cette Cité mystique pour l'ensemble des êtres, c'est toute l'histoire de la Création. Apprendre à nous aimer les uns les autres et à entraîner vers cet amour les êtres inférieurs, tel paraît être un des buts que Dieu s'est proposé, en nous envoyant expérimenter la vie rela-tive de la matière. En remontant vers la Patrie céleste, l'homme entraîne avec lui toute une armée de créatures qui gravitent dans son orbite et dont il est le soleil. Et ce retour vers le Royaume qu'il a quitté, voici des millénaires, pour atterrir ici-bas, entraîne pour lui, par la connaissance vivante que seule donne l'expérience, une augmentation de bonheur stable. Ses longues étapes dans les séjours terrestres, servent, d'autre part, à procurer le salut aux autres êtres créés qui ne peuvent voir Dieu que par son intermédiaire. Comme le dit saint Paul dans l'épître aux Romains (VIII, 19 à 20) « toutes les créatures sont, en ce moment, assujetties à la vanité et comme dans le travail de l'enfantement, en attendant de participer à la régénération des enfants de Dieu ». Il n'y a pas d'être, jusqu'à l'infime protozoaire, qui n'ait son esprit propre et qui ne soit destiné à une vie harmonieuse. L'homme, prêtre universel, a reçu, de plus, une étincelle de Dieu, une âme divine qui le destine à la plénitude de l'union avec Lui. Comme sa mission est de la plus haute importance et que, placé au milieu des forces qui l'attirent vers la violence et le mal, il doit lutter contre elles pour les tourner vers l'amour et vers le bien, sa résistance peut défaillir dans ce combat et entraîner, dans sa défection, les êtres infé-rieurs. C'est pourquoi le Verbe Christ, s'incarne dans chaque planète, sous la forme de Jésus, afin de retenir la création dans sa chute et de rendre possible la montée vers le Ciel. Jésus-Christ est ainsi l'intermédiaire universel entre le relatif et l'Absolu; par Son sacrifice, à Lui, source de toute innocence, Il réhabilite les créatures coupables et introduit dans les déserts de la ma- tière, les semences et la végétation luxuriante de la vie éternelle; car, « du point de vue de l'Esprit, la charité seule produit des fleurs et des fruits, écrit Sédir et là où elle est absente, ce n'est qu'un désert ». C'est le sacrifice du Verbe qui rend explicable celui des disciples et l'originalité inégalable du christianisme c'est que seul, parmi toutes les religions et les philosophies, il représente et propose à notre foi, en la personne de Jésus, le sacrifice de Dieu même. Si l'abnégation n'existait pas en Dieu, comment pourrait-elle exister dans Ses créatures ? Celles-ci peuvent-elles donc posséder une perfection que leur Principe premier ne contiendrait pas? Ne serait-ce pas absurde de le supposer? car la partie ne peut pas renfermer plus que le tout, ni la créature dépasser son Créateur. Or, il existe sur terre, quoique en petit nombre, des hommes capables d'abnégation. Du point de vue moral et esthétique, l'abnégation est si belle que, si Dieu ne la possédait pas, Il serait spirituellement inférieur aux hommes en question, chose impossible à admettre. C'est Dieu, au contraire, qui, chez ces êtres, est l'auteur vrai de leurs sacrifices, car aucun bien n'est possible que par Lui. C'est Son Fils qui leur inspire le désir de l'immolation, qui leur donne la force de l'accomplir. Il est l'invisible Ouvrier de toutes nos bonnes oeuvres. Comme Jésus devait incarner Sa totale perfection, Il ne pouvait que donner sa vie pour le rachat des créatures et mourir sur la croix. Le Père l'a ressuscité, car, si l'amour est l'holocauste total, il est aussi la toute-puissance, la liberté à qui rien n'est impossible. La matière est assujettie, impuissante; c'est pourquoi elle cherche à s'agrandir au détriment de tout ce qui l'entoure. L'Esprit, au contraire, est libre, spontané, omnipotent; voilà pourquoi Il se donne; Il pénètre la matière de toute part, afin de l'amener au sacrifice sauveur; mais elle résiste, elle ne peut recevoir l'Esprit sans pâtir. « Si on devait construire un temple dans un champ, il faudrait retourner le champ et s'il pouvait parler, il nous dirait : Vous me faites souffrir en me travaillant ». La douleur n'a pas d'autre cause que la révolte de notre orgueil et de notre paresse, lorsqu'il s'agit de payer nos dettes ou d'agir en vue du bien. Ainsi, notre nature indolente et égoïste, ne peut recevoir le Verbe sans une lutte préalable contre les forces du mal qu'il y a en nous. Cette lutte c'est l'ascèse ou l'histoire de l'ascension de l'esprit vers son Seigneur; elle comporte des étapes multiples représentées par les vies succes-sives qui sont accordées à la créature pour parfaire ce travail. Sentant leur faiblesse, eu égard à l'im-mensité de l'entreprise, les hommes s'assemblent par groupes nombreux et se répartissent dans les diverses religions extérieures correspondant aux besoins et aux aptitudes différentes de leurs adhé-rents. Chacune de ces religions, par sa liturgie, par ses rites, par l'enseignement de ses prêtres, par les devoirs qu'elle impose, fournit des indications et une aide précieuses qui sont comme des étais sur lesquels s'appuie le croyant, des secours dans ses moments de défaillance, un excitant enfin contre son inertie. L'ob-ervance minutieuse des rites nous habitue à la soumission et ce n'est pas un résultat négligeable, quand on considère le fonds de révolte qu'il y a en nous. Toutes ces pratiques ne sont toutefois que la première ébauche de la religion essentielle qui est l'obéissance totale à Dieu dans toutes nos actions, dans toutes nos paroles, dans toutes nos pensées et jusque dans nos moindres désirs, le dépouillement total de soi pour accomplir en tout la Volonté divine. Or, celle-ci c'est le Christ; c'est donc ce même Christ qui naît dans l'esprit du disciple, lorsqu'il parvient à l'obéissance totale : c'est à proprement parler l'union mystique. Comment décrire la joie de cette union? Où trouver les expressions qui rendent ces ivresses, ces béatitudes indicibles dont rien, dans notre vie, ne peut donner une idée même approximative? Les premiers sourires de Jésus à Son enfant qui s'efforce vers Lui, les lueurs encore incertaines et fugitives de cette aube merveilleuse qui se lève, jettent parfois le coeur dans un tel abîme de félicité que l'on travaillerait cent ans pour l'éprouver, une seule fois, à nouveau. Et ce n'est là qu'un avant-goût du bonheur éternel destine à l'homme, un simple encouragement au travail. Ces lueurs de paradis ne durent, à l'or-dinaire, que quelques instants, fort heu-reusement, oserais-je dire, car si elles se prolongeaient davantage, on n'aurait plus la force de reprendre la dure besogne d'ici-bas. Or, celle-ci est la principale, car ce n'est pas le fait d'éprouver les délices spirituelles qui nous avance vers notre véritable destinée, mais c'est de combattre le bon combat, de maîtriser la colère et l'orgueil sous toutes leurs formes. C'est cela qui nettoie les chambres intérieures de notre esprit et le dispose à rece-voir la divine Visitation, but dernier de l'ascèse. Les personnes, mêmes pieuses, qui se lamentent de ne pas sentir la céleste Présence, ne réfléchissent pas à ce qu'elles désirent. Elles devraient s'examiner d'abord à fond, pour voir si elles sont vraiment aptes à supporter ce fulgurant contact. Si la compagnie d'un grand de ce monde nous gêne, dès qu'elle se prolonge un peu, à cause de la plus vigilante surveillance de nous-mêmes à laquelle elle nous oblige, que serait-ce de l'intimité du Roi des rois! Ces personnes, en se plaignant, prou-vent qu'elles sont loin d'être prêtes pour subir l'éclat de la divine Présence; ce qui caractérise les disciples plus avancés, c'est le sentiment de leur indignité des faveurs d'en Haut; ils se mettent dans la poussière à la vue de leur déficience et s'étonnent, avec une reconnaissante admiration, de ce que Dieu, dans Sa bonté, daigne, quand même, les regarder avec compassion. Nous ne pensons pas assez à la distance morale infinie qui nous sépare de Lui, quoiqu'Il soit tout près de chacun de nous. Il nous faudrait une telle pureté pour n'être pas anéantis par Son éclatante Splendeur! Or, nos pensées, nos sentiments sont rarement dénués de recherche de nous-mêmes ou de dureté. Combien de fois, par jour, nos critiques, ne vont-elles pas déchirer ou rabaisser le prochain! Quelle bonne opinion, par contre, n'avons-nous pas de notre « moi » envers lequel nous sommes si complaisants, tandis que nous n'avons que sévérité pour autrui! Même chez les meilleurs, il y a encore des taches sans nombre qui ternissent le miroir intérieur dans lequel pourrait se mirer le Soleil de justice. |