PANORAMA MYSTIQUE DU MONDE
 

 Depuis l'infiniment petit jusqu'à la resplendissante et gigantesque étoile, depuis le démon furibond qui vocifère jusqu'à l'archange radieux qui prie, aucun être n'existe qui n'ait sa place marquée et qui ne donne un son harmonieux dans cette immense symphonie de l'univers;  aucun qui n'ait son histoire de développement progressif et qui ne soit l'objet de la parfaite sollicitude divine, comme s'il était seul au monde!  

 Pensons, dans nos moments de solitude méditative, à ce miracle perpétuel de la Toute-Puissance et, de nous-mêmes, nous nous prosternerons dans l'adoration!  Songeons combien nous sommes las, nous, quand il nous arrive d'avoir, plus qu'à l'ordinaire, un certain nombre de personnes à recevoir ou à visiter et, en nous comparant à Celui dont la providence soutient les milliards et les milliards de créatures à la fois, nous sentirons combien Sa stature incommensurable nous dépasse, que dis-je?   combien elle nous montre l'évidence de notre néant!  
 Tous ces êtres reçoivent à temps les forces qui leur sont convenables, proportionnées à leur capacité réceptive, depuis les formes infimes dont l'aliment est encore, en grande partie, matériel, jusqu'aux formes radieuses dont la nourriture est devenue toute céleste, par l'accomplissement de la volonté du Père.  Car toutes cherchent ou possèdent déjà Dieu, chacune à sa manière et selon son degré de compréhension et d'évolution. 

 Pour nous limiter au spectacle de notre humanité terrestre et en restant sur le plan spirituel, quelle distance effroyable n'y a-t-il pas, par exemple, entre un détrousseur qui plonge son poignard dans le coeur d'un passant, pour lui arracher une misérable monnaie et un Curé d'Ars qui va, au contraire, trouver, de nuit, son propre voleur pour le prévenir que la police le cherche et lui faciliter son évasion!   Et pourtant Dieu nourrit l'un et l'autre, selon les besoins de l'heure. 

 Quelle variété, quelle largesse, quelle profusion dans les moyens qu'Il a mis à notre portée pour nous efforcer vers Lui!   Ici c'est le savant penché sur ses cornues;   là, le philosophe médite et l'érudit fouille les vieux textes.  Voici le rabbin squelettique qui tourne les pages du Talmud, en pensant au Messie promis à Israël;  en Perse et en Egypte, le moullah et le cheikh enturbanné psalmodient les versets du Coran devant des disciples respectueusement accroupis et qui balancent le torse dans des gestes harmonieux.  Et dans l'Orient plus lointain, les aspirants au « Yoga », isolés dans des sites sauvages, se livrent aux terribles exercices du « tcheud », en évoquant les esprits démoniaques, dans des combats dont nous ne pouvons avoir aucune idée et à l'issue desquels plusieurs d'entre eux trouvent effectivement la mort!  

 Voici, enfin, au fond des monastères, les moines silencieux plongés dans l'oraison, tandis que les religieuses cloîtrées adorent, jusqu'à l'aube, agenouillées devant les autels!  

 Et tout cela sur notre globe minuscule, lui-même perdu au milieu des astres sans nombre où d'autres humanités reproduisent, sans nul doute, des gestes analogues de désir et d'adoration!  

 O mystère des mystères!  A ce spectacle immense et pathétique du Monde, si vous y avez songé, n'éprouvez-vous donc pas une sainte terreur?   Ne sentez-vous pas qu'au centre de toutes ces poitrines brûlantes, dans ces coeurs ardents tendus vers l'incompréhensible Idéal, au front de ces savants qu'écrase la grande énigme universelle, dans l'oeil de l'artiste ébloui des reflets de l'éternelle Beauté, dans la substance de tout être enfin qui s'efforce et qui cherche, sans trop savoir d'ailleurs pourquoi, c'est le même adorable Seigneur qui vit, au fond de chacun, Celui-là même qui a dit :   « Ce que vous avez fait au plus petit d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait »?  

 Oui, c'est Lui l'immuable Architecte des univers, l'Ancien des jours, l'Auteur éternel de toute existence, la Source de toute beauté, de toute vérité, de tout bien.  Invisible à nos yeux de chair, puisqu'Il est Esprit, transcendant tous nos moyens d'investigation, étant Lui-même inconditionné, les plus vastes intelligences ne font que refléter de faibles rayons de ce Soleil à l'incomparable et infinie splendeur. Et si, à toutes forces, elles veulent en saisir davantage, elles ne peuvent que s'abattre en avouant leur impuissance.  

 Foyer inextinguible d'incandescent amour, Il embrase les coeurs, dans la mesure où ils se laissent incendier, et quand ils sont revenus de toutes leurs illusions, dépouillés de toutes leurs attaches terrestres, d'un coup d'aile, Il les assume jusqu'à la Gloire. 

 Trésor d'inépuisable pitié, c'est Lui qui se penche sur la veuve éplorée, sur la mère brisée par la perte de son enfant, pour leur verser le baume de la consolation et de l'espoir.  Au fond des coeurs abattus, Il parle un langage inaudible qui les fait se ressaisir et reprendre courage. 

 Sa lumière ne s'éteint, d'ailleurs, jamais tout à fait;  même chez le plus noir criminel, elle reste là recouverte des cendres grossières de l'égoïsme et de la cruauté, jusqu'à ce que le vent de la douleur et du remords dissipe ces poussières superficielles;  alors la braise intérieure se rallume et attise dans la conscience de cet égaré le feu de la contrition;  plus il aura été loin dans le culte de soi et la haine des autres, plus il voudra s'enflammer d'amour pour eux. 

 Quel est donc l'Auteur anonyme de ce mystérieux drame du repentir, répété des milliards de fois sur des milliards de scènes différentes?  Qui est-ce qui verse l'eau de la compassion dans nos coeurs insensibles et allume dans nos poitrines glacées l'ardeur du sacrifice?  Quelle est cette Main formidable qui, si Elle règle les vibrations universelles, les courants des forces cosmiques et la course des astres géants, ne dédaigne pas de protéger la plus humble fleur sur sa frêle tige, et de sauvegarder l'innocent insecte contre les dangers de toute sorte qui menacent sa pauvre et obscure existence?  Eh bien!  c'est cette même Main providentielle qui prend également nos esprits frustes et, comme la vague fait du galet, les travaille, le long des siècles, jusqu'à ce qu'Elle en ait fait des êtres de lumière et d'amour!  

 Ne cherchons pas à voir ce Dieu par les yeux de notre intelligence si courte, qui ne sait même pas de quoi demain sera fait et qui se trompe sur les choses les plus vulgaires de notre existence de tous les jours.  Adorons plutôt Sa parole et efforçons-nous de La réaliser totalement et c'est Son Verbe éternel, un avec Lui, qui prononcera alors en nous les paroles définitives : à ce moment-là, nous verrons Son indicible présence, nous entendrons Son adorable langage. 

 Ne courons pas après les faits dits merveilleux;  n'essayons même pas de voir des miracles authentiques.  Quand nous en aurions constaté un, il nous en faudrait encore d'autres, pour confirmer le premier et cela nous détournerait de l'immense miracle qui nous entoure de toute part et que, aveuglés que nous sommes par le souci de nous-mêmes, nous n'apercevons pas. 

 Si nous faisions taire toutes les voix de l'orgueil en nous, nous entendrions l'« Ami » qui est là, qui frappe à la porte de notre coeur et qui nous répète :  

 » Heureux les pauvres en esprit,  
 » Heureux ceux qui pleurent,  
 » Heureux les débonnaires,  
 » Heureux les affamés de justice,  
 » Heureux les miséricordieux,  
 » Heureux ceux dont le coeur est pur,  
 » Heureux les pacificateurs,  
 » Heureux les affligés et persécutés pour la justice. » 

 Quand nous aurons vraiment entendu ces paroles, car la foi vient par l'ouïe, quand nous les aurons incorporées dans notre vie, quand elles seront devenues la substance même de notre chair et de notre sang spirituels, un jour ou plutôt au milieu d'une de ces terribles nuits de désolation que connaissent parfois les mystiques, le Très Miséricordieux nous dira : « Venez maintenant hériter le Royaume qui vous a été préparé dès le début, ainsi qu'il a plu au Père de vous le donner! »