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La Charité
par Émile Catzeflis

Allocution prononcée à Alexandrie le 28 Décembre 1919

Mesdames, Messieurs,

Vous savez l'objet de notre réunion de ce soir.   Il s'agit de venir en aide aux petits martyrs qui, par milliers, dans toute l'Europe, meurent, en ce moment, de froid et de faim, à la suite des perturbations causées par la grande secousse mondiale à laquelle ces jeunes êtres semblent cependant n'avoir pris aucune part.  C'est ainsi que, du temps de la naissance du Christ, de nombreux petits enfants, dont on commémore la fête aujourd'hui, furent mis à mort par la cruauté d'Hérode, rien que pour le fait d'être nés à la même époque que l'Enfant prédestiné.

Évidement, nous savons que rien ici-bas n'arrive au hasard et que chacun subit son juste sort; mais cela ne nous empêche pas d'avoir l'obligation, dans la mesure de nos moyens, de venir en aide à ceux qui souffrent et de nous apitoyer sur leur destin.   Nous expliquerons, tout à l'heure, pourquoi.

Pour le moment, nous pouvons tirer un enseignement de l'acte d'Hérode, en le mettant en parallèle avec celui de la naissance de Jésus.   L'un est l'illustration de l'égoïsme brutal et sanguinaire d'un homme qui craint pour son trône et qui, dans cette crainte, fait lâchement, et inutilement d'ailleurs, assassiner de pauvres enfants.   Pour sa sécurité à lui, qui, dans sa courte vue, lui semble menacée, il répand l'épouvante dans le pays, fait verser les larmes des mères et couler à flot le sang innocent.   Je vous fais remarquer que l'égoïste agit toujours de la sorte : pour se satisfaire, il n'hésite pas à susciter la douleur autour de lui, ne voyant pas qu'il se rabaisse ainsi lui-même et nuit à son être véritable.

Considérons, au contraire, en face du geste cruel d'Hérode, l'acte de la naissance du Christ afin de comparer les manifestations de l'amour avec celles de la haine.

Et ici, permettez-moi d'ouvrir, au préalable, une parenthèse pour vous prier de ne pas vous froisser de ce que je vais dire, à quelque opinion ou religion que vous apparteniez.   En effet, ce n'est pas un esprit d'intolérance ou de rabaissement pour les autres doctrines, que professent les tenants de l'initiation christique.   Au contraire, ils considèrent que toutes les religions, que toutes les initiations contiennent, au fond, le même dépôt de vérité et conduisent, finalement, au salut de toutes les âmes douées de bonne volonté.   Ils ne combattent aucune bonne initiative et tiennent pour louable tout effort vers la Lumière.   Seulement, dans cette marche de tous vers la Vérité, il y a peut-être des sentiers plus-directs plus courts, plus sûrs; il est permis de les indiquer aux voyageurs, afin de les faire profiter de ces coursières et de leur permettre d'arriver plus vite au céleste Royaume.

L'Évangile ne nous apprend-il pas qu'a Sa naissance, des mages, ayant vu Son étoile en Orient, se sont rendus en Palestine pour L'adorer et Lui offrir des présents ?   Que signifie cette démarche, faite au prix d'un long et coûteux voyage, si elle n'est pas un hommage éclatant rendu par la science ésotérique orientale au Maître né à Bethléem ?

Voici des mages versés dans la connaissance des arcanes les plus cachés, qui avaient épuisé toutes les connaissances humaines, et arraché leurs secrets aux temples les plus fermés, voici des initiés, des adeptes peut-être qui viennent, du fond de leurs royales et lointaines demeures, rendre hommage à un pauvre enfant né dans une crèche !

C'est ici que nous devons admirer l'abnégation, l'humilité de ce Maître des Maîtres qui, des régions de l'Absolu, où il demeurait, omniscient et omnipotent, a voulu se faire homme assujetti à toutes nos misères et couvert de toutes nos infirmités.   Il est né dans une étable, fils d'un humble charpentier.   Éclatante illustration de l'amour en face de l'égoïsme et de l'orgueil d'Hérode !

Toute la vie de ce Jésus a été une suite d'abnégations, jusqu'au suprême sacrifice de Son sang, consenti pour nous donner l'exemple du renoncement par lequel s'opère le salut.   Lui-même, Il a dit : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis".   Et de fait, Il a donné la sienne pour nous.

Nous devrions, en ces temps-ci, d'autant plus méditer ces enseignements que nous voyons s'accomplir sous nos yeux ses prophéties.   Ne lit-on pas au chapitre XXIV de Saint Mathieu : " Car on verra se soulever peuple contre peuple et royaume contre royaume; et il y aura des pestes, des famines et des tremblements de terre en divers lieux...Malheur aux femmes qui seront enceintes ou nourrices en ces jours-là....  etc.  ! ".   N'est-ce pas le tableau exact de ces temps troublés où nous nous trouvons, tableau décrit cependant il y a vingt siècles ?

Dans cette prophétie, le Christ ajoute : " Quel est donc le serviteur fidèle et prudent, que son maître a établi sur ses gens, pour leur donner la nourriture au temps convenable ?   Heureux ce serviteur si son maître, à son arrivée, le trouve agissant de la sorte.   Je vous le dis, en vérité, il l'établira sur tous ses biens." 

Arrêtons-nous un instant et considérons ces paroles profondes où, à la suite de l'annonce des malheurs et des maux occasionnés par les prévarications humaines, viennent les promesses les plus magnifiques faites à ceux qui persévèrent dans la voie droite et accomplissent les bonnes oeuvres.  " Heureux, dit le Christ, le serviteur que son maître trouvera agissant de la sorte".   Faisant quoi ?   Distribuant la nourriture aux serviteurs, au temps convenable; faisant, par conséquent, la charité matérielle, intellectuelle et spirituelle, car la nourriture ne s'entend pas seulement de l'alimentation du corps.

Le Christ a joute : " Je vous le dis en vérité, le maître établira ce serviteur dans tous ses biens ".   Parole considérable et qu'il faut méditer pour la comprendre.   Jésus a parlé en parabole.   Le maître représente ici le Père, l'Absolu.   Or, si le Père, pour récompenser le serviteur charitable, l'établit sur tous ses biens, c'est qu'il lui donne l'omnipotence et l'omniscience, car tels sont les biens du Père.

Et, en effet, les maîtres du mysticisme aussi bien que de l'occultisme, enseignent que l'homme régénéré par la grâce, délivré des illusions du moi, rentre dans l'Absolu, se confond avec Lui et, par là, acquiert la Toute-puissance et l'omniscience.   Le Père lui fait connaître toutes choses et lui donne pouvoir sur tout.

A diverses reprises, L'Évangile insiste sur cette connexion de la charité et de la vraie connaissance.   Voici ce qu'on lit au chapitre XV de Saint Jean (versets 12 et suivants) : "C'est ici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés.   Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande.   Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je Vous fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père".   Et plus loin, le Christ ajoute : " ...afin que ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne".

Voyez-vous ? : "je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père", "et ce que "vous demanderez il vous le donnera".   Il n'y a pas de restriction et cela à une seule condition, que l'on aime le prochain comme soi-même et jusqu'à donner sa vie pour lui.

C'est ainsi que, mieux que toutes les études ésotériques, que tous les entraînements, les rites et les jeûnes, plus sûrement que toutes les initiations même les plus transcendantes, la simple charité nous ouvre les portes de l'Inconnaissable.   Elle est le grand arcane, la clef de tous les mystères, le mot de passe des temples les plus secrets.

Pourquoi ?   L'explication vraie est connue de Dieu seul.   Voici, cependant, une ébauche, un modeste essai qui pourra, peut-être, nous mettre sur la voie L'Absolu est l'Etre Universel, Omniscient, la cause initiale et Une, le Bien total.   Tout ce qui nous rapproche de l'universel et nous éloigne du particulier, nous rapproche de Lui, comme Centre de tout et, par conséquent, nous ouvre la compréhension.

Au contraire, tout ce qui détourne de l'universel et porte au particulier, au limité, au circonscrit, éloigne du Centre omniprésent et omniscient et, par conséquent, jette dans l'illusion et le mensonge.

Regardons autour de nous et voyons si l'incompréhension n'est pas liée à l'égoïsme, à la recherche exclusive du soi inférieur.   La bête féroce ne regarde qu'à la satisfaction de ses appétits; pour les contenter, elle tue et dévore.   Chez l'homme primitif, il en est à peu près de même.

Plus tard, les hommes, groupés en tribu, commencent à se sentir solidaires du bien et de la prospérité de la tribu.   L'idée de l'être collectif commence à percer chez eux, avec la nécessité parfois de se sacrifier pour cet être.   L'égoïsme collectif a remplacé l'égoïsme individuel du primitif.

Ensuite, cette idée de solidarité se développe dans un groupement plus étendu : la race.   L'individu se solidarise avec sa race, mais le mobile est encore l'égoïsme, car s'il s'expose au danger, c'est pour avoir part au butin commun résultant de l'attaque et du pillage des autres races voisines, plus faibles.

L'idée du sacrifice pur ne naît qu'avec l'avènement du christianisme et, avec elle, se forment les groupements modernes qui méritent le nom de nations.   Dans une nation, l'individu évolué acquiert la notion du devoir, de l'immolation de soi pour le bien général.   S'il défend sa patrie, ce n'est pas pour recueillir une part du butin pris sur les autres peuples, mais c'est parce qu'il s'est constitué, de cette idée de patrie, un idéal collectif avec lequel il s'est identifié et pour lequel il meurt volontiers.

Les individus les plus méritants dans une nation ne sont pas ceux qui ont le plus de succès ou qui acquièrent la plus grande notoriété, mais bien ceux qui sont le plus capables de sacrifice, ceux qui ont remplacé l'amour et la recherche égoïste de soi, par l'amour et le service du prochain, qui se sont ainsi confondus eux-mêmes avec le bien général qu'ils recherchent de toutes leurs forces.   Ce sont les vrais héros, les vrais martyrs et les vrais saints.

Et ce sont ceux-là qui ont vraiment compris la vérité et la Vie.   La vie est, en effet, universelle, absolue.   Quelle raison, dès lors de se préférer soi-même, simple apparence transitoire et mensongère, à l'universalité des êtres et des choses ?   Se rechercher soi-même est une laideur morale et une illusion.   Voici pourquoi :

Qu'est-ce qui constitue la personnalité éphémère que nous sommes en ce monde ?   C'est un groupement de cellules matérielles, astrales et mentales, prises dans les divers plans de la Nature, qui nous sont simplement prêtées et que nous devrons, tôt ou tard, restituer à la commune mère.   Ces cellules qui ont nos préférences coupables, ne sont donc pas le moi vrai; c'est un agrégat dont nous avons la gestion transitoire et de la direction duquel nous sommes responsables.   C'est donc une folie de le prendre comme but de nos efforts, comme objet de nos complaisances, tandis qu'il n'est qu'un instrument pour nous aider à acquérir seul le but vraiment digne de nos recherches, l'union avec l'Absolu, moi véritable et universel.

Tant qu'il n'a pas compris cela, tant qu'il est attaché à ses illusions corporelles ou même mentales et à la principale de ces illusions qui est celle du moi distinct du reste du monde et, pour ainsi dire, en opposition ou en concurrence avec l'univers, l'homme reste attardé dans les basses formes de la vie, plongé dans la ténèbre de l'ignorance et de l'impuissance.   Il n'y échappera qu'en brisant ces liens du moi par l'immolation personnelle.

La sagesse divine, en toutes choses, proportionne les moyens aux fins.   Si nous nous proposons pour but nous même exclusivement, c'est-à-dire cette forme temporaire du moi qui mourra demain, évidemment notre compréhension et nos pouvoirs seront tout juste ce qu'il faut pour entretenir ce moi inférieur.   Des pouvoirs plus étendus seraient dangereux entre nos mains, à ce stade attardé de la compréhension, car nous nous en servirions pour des buts égoïstes.   Ce n'est que lorsque nous aurons compris l'inanité du moi inférieur, le caractère illusoire de toute recherche de soi; lorsque par le sacrifice nous aurons identifié notre être avec l'Absolu; lorsque toute notre activité sera désintéressée, altruiste, empreinte d'amour pour nos frères, de pitié et de charité, que la connaissance vraie se dévoilera à nos yeux et que le Père nous remettra tous pouvoirs entre les mains, selon la parole déjà citée " Le maître établira le serviteur fidèle sur tous ses biens".

Ceci nous semble la logique même.   Dans nos petites administrations humaines, est-ce que nous ne cherchons pas à mettre chacun à la place où il pourra rendre le plus de services?   Confierions-nous une autorité et des pouvoirs étendus à un homme partial qui s'en servirait pour commettre des abus et de l'arbitraire ?   A plus forte raison, devons nous admettre qu'une harmonie souveraine préside au fonctionnement de l'univers moral.   Il est donc logique que les pouvoirs de l'être croissent avec son degré d'abnégation, de charité, afin qu'il ne s'en serve que pour le bien.   Or, dans cet ordre de choses, qui dit pouvoirs dit connaissances aussi; les deux marchent de pair.

Cela nous explique pourquoi nous ignorons tant de choses; leur connaissance serait autant de pouvoirs pour nous et il ne faut pas que ceux-ci nous soient accordés avant terme, avant que, par l'affranchissement de nos âmes, nous soyons mûrs pour les avoir et les exercer avec utilité.

Ainsi nous apparaît, en pleine lumière, l'illogisme radical de l'attitude de ces personnes qui prétendent vouloir, d'abord, comprendre toute la constitution de l'univers et toutes les religions, avant que de consentir à observer ce qu'elles commandent.   Cette compréhension que ces personnes réclament au préalable, sans être aptes à la posséder, elle ne peut leur venir que plus tard, quand elles seront elles-mêmes parvenues, par le sacrifice du moi, au Centre omniscient des choses.   Or, comment parvenir à ce centre qui est le Bien suprême, la sainteté absolue, sans se revêtir soi-même, d'abord, de la robe de sainteté ?   Comment soutenir l'éclat fulgurant, les splendeurs ineffables de la Vie incréée, si l'on est encore assujetti aux illusions du moi et à l'égoïsme de la chair ?

Voir la Vérité face à face, c'est voir l'Absolu lui-même, mais l'Absolu est, en même temps, le Bien suprême, et rien d'impur ne saurait s'approcher de Lui.   Or, ce que ces personnes désirent, c'est d'avoir, à l'avance, la récompense d'efforts et de sacrifices qu'elles ne sont pas prêtes à consentir; elles veulent bien avoir la moisson, mais sans labourer ni semer.   En un mot, elles réclament la quadrature du cercle.   C'est comme si une grenouille voulait décrire le monde et les richesses des continents sans sortir de sa mare.

Et veuillez noter que, pour cette compréhension centrale et surnaturelle, il n'y a que le chemin indiqué par le Christ : sacrifice de soi et l'amour de Dieu et du prochain.   Tôt ou tard, il faudra en venir là.   C'est faire fausse route que do vouloir, dans ce but, accumuler des connaissances même théosophiques.   L'étude est certes utile pour former et enrichir notre mental; mais ce serait se leurrer que d'espérer, par là, atteindre l'Absolu.   La pauvre raison humaine est un simple instrument de travail, un organe comme un autre, limité et imparfait, tout juste adapté aux fonctions qu'il doit remplir et qui consistent à nous éclairer le chemin immédiat.   Croire que cette faible lumière peut illuminer les routes de l'Infini, c'est une illusion semblable à celle qui consisterait à vouloir éclairer toute une immense cité avec une simple bougie !   Non, la vraie Lumière, la grande, ne peut venir que de Dieu; c'est un don gratuit que l'humilité obtient mieux que toute accumulation orgueilleuse de connaissances.

Notre raison ne peut atteindre l'Absolu, car elle s'est constituée au contact des apparences, des limites de la forme, tandis que l'Absolu est sans limites ni formes.   La science mathématique elle-même, qui semble la plus certaine de ses résultats et que l'on appelle, pour cela, exacte, sur quoi s'applique-t elle ?   N'est-ce pas sur des nombres et des grandeurs exprimées par des nombres ?   Or, que sont ces grandeurs : lignes, surfaces, solides, sinon des formes illusoires ?   Quant aux nombres, quelle valeur ont-ils dans l'Absolu ?  ...

Ainsi, toute science n'est qu'approximative.   Non, ce n'est pas le savoir humain qui nous donnera la vraie compréhension spirituelle.   Chercher, par des procédés occultes et des entraînements spéciaux, à capter des pouvoirs magiques, ne nous amènera pas bien loin, non plus.   Toute force qui ne part pas du Centre incréé et éternel, est sujette à la décrépitude et à la mort.   C'est une chose, d'ailleurs, fort dangereuse que de se mettre en rapport avec des courants et des forces disproportionnés avec nos faibles moyens.   On peut rouler dans l'abîme, si l'on est pris par le vertige, sur ces sommets à l'atmosphère irrespirable pour nos poitrines.   Le moins qui puisse nous advenir, c'est d'arriver devient un mur infranchissable.

C'est ici qu'apparaît la supériorité de l'initiation christique; au lieu de procéder du dehors au dedans, c'est-à-dire, qu'au lieu de commencer par des entraînements physiques, suivis par la maîtrise progressive de l'astral, puis du mental, selon la yoga hindoue et toutes les écoles ésotériques, l'Évangile procède d'une manière inverse; il vous introduit directement dans le centre, dans le spirituel.   Si vous n'êtes pas de taille à vous y maintenir, vous vous contenterez de la pratique extérieure et cultuelle; mais petit à petit, les revers et les infortunes de la vie vous ouvriront les yeux et vous amèneront doucement vers la vraie compréhension.   Il n'y a pas d'accident, de chute dangereuse.   Au contraire, dans les entraînements orientaux, vous expérimenterez à vos risques et périls; si, à un moment donné, le courage vous manque, vous voilà brisé pour longtemps.

Mais la méthode de l'Évangile, parce qu'elle est simple, nous la négligeons et nous cherchons ce qui est compliqué et savant.   Et pourtant cette simplicité de l'Évangile n'est pas si négligeable que cela; pour la réaliser véritablement, que d'efforts héroïques et persévérants !   Les plus audacieux s'arrêtent en chemin et reculeraient même, si un secours du ciel n'était envoyé.

    " Aimez vos ennemis; faites du bien à ceux qui vous calomnient.   Si l'on vous demande votre manteau, donnez aussi votre tunique.   Que celui-là qui m'aime renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.   Quiconque veut être grand parmi vous, qu'il soit le serviteur de tous" etc.  Croyez-vous qu'il faille moins d'efforts pour réaliser ces simples paroles, que pour s'entraîner à la plus haute yoga ?   Essayons un peu et nous verrons ce qu'il en coûte, mais aussi nous sentirons le bien immense qui en résultera pour notre âme.

Mais je vois que je me suis laissé entraîner trop loin et pour vous expliquer l'excellence de la charité, il ne fallait pas tant de développements.   Il n'y avait qu'a s'adresser directement à votre coeur.   Chacun de nous sent, en effet, dans son tréfonds, que c'est là la plus haute perfection à laquelle il puisse aspirer.   Aimer véritablement Dieu et son prochain, mais c'est, par le fait même, renoncer à l'égoïsme, à l'orgueil, à la haine, à l'envie et à tous les mensonges du monde; c'est se sacrifier et se donner tout entier; c'est, enfin, se fondre dans l'âme universelle, vivre dans l'Absolu et pour l'Absolu et, n'étant plus retenu par aucun lien, par aucune chaîne, vaquer tout entier à l'oeuvre divine et à l'accomplissement de la volonté du Père.

Les rares privilégiés qui sont arrivés à cet état sublime, ont vu briller une telle Lumière que leurs yeux en sont restés éblouis et leur être transfiguré à jamais.   Et voilà pourquoi nous les voyons, au cours de l'histoire, affronter, sans broncher, les plus grands sacrifices, subir en souriant des tourments dont la seule description nous ferait frémir.   C'est que, quand on a le coeur pris par cette flamme divine de la charité, les sensations du corps n'existent plus pour nous; nous vivons dans une autre sphère, la seule réelle, le monde physique n'en étant qu'un pâle reflet illusoire.

Si nous ne pouvons pas prétendre entrer de plain-pied dans cette sphère sublime, du moins cela doit-il constituer pour nous l'idéal à atteindre; idéal que nous devons nourrir constamment en nous, afin de rendre possible sa réalisation un jour.

Oui, la charité est la chose la plus belle et la plus haute.   C'est elle qui nous identifie avec l'Absolu et qui nous délivre de nous-même.   Sortir de soi, briser les chaînes de l'illusion, de l'égoïsme des convoitises, se donner totalement, c'est une ivresse dont, seuls, ceux qui l'ont goûtée peuvent comprendre la profondeur !

Tandis que le mal disperse, dissocie, disjoint, et par la concurrence et la lutte, sème la haine et les discordes, ainsi que nous le voyons, hélas !   sur cette terre, l'amour, au contraire, réunit, rassemble, fortifie, harmonise.   Il répand autour de lui la confiance, la paix, la joie, le pardon.   Il est lui-même le Ciel véritable.

Aimons donc; relevons, consolons, donnons notre temps, notre argent, nos efforts.

Entre autres, l'oeuvre pour laquelle nous sommes réunis aujourd'hui, est digne do notre sympathie.   Des milliers d'enfants souffrent le froid, la faim.   D'innombrables femmes enceintes ou nourrices n'arrivent pas à se sustenter suffisamment pour pouvoir nourrir leur progéniture et cela devient une cause de stérilité angoissante pour l'avenir de ces pays la.   C'est vraiment l'abomination de la désolation dont parle l'Écriture.   Les douleurs sont partout répandues et ne disons pas que c'est trop éloigné de nous, car nous sommes tous frères d'une extrémité du monde à l'autre.

La guerre, avec ses conséquences effroyables, est une opération chirurgicale, comme dit Sédir dans un de ses ouvrages.   Quand les moyens ordinaires de la médecine ne sont plus suffisants, on est obligé d'opérer.   Bien qu'elle soit douloureuse, l'opération sauve souvent le malade.

Or, un des bons effets de la guerre c'est précisément, en occasionnant beaucoup de souffrances, d'exciter la pitié, le courage des timorés, de réveiller la charité dans les coeurs que les jouissances de la paix auraient endormis dans une mortelle et froide indifférence.

Mesdames et Messieurs, nous sommes à un tournant du monde dont doit sortir un grand changement pour l'espèce humaine.   Le temps n'est plus où l'on pouvait se laisser aller au gré de ses caprices et de sa paresse, remettant toujours à plus tard l'oeuvre nécessaire.   Aujourd'hui, il faut choisir, et voici déjà que les ouvriers du Bien préparent le terrain pour l'avènement de l'Esprit.   Il faut se mettre en rang avec ces soldats du Ciel, car c'est le moment où le Bien va triompher.   Pendant trop longtemps le mal a régné avec la foi exclusive dans la matière.   Il faut bien que l'ordre soit rétabli.

Bossuet a écrit cette belle pensée : " Quand Dieu efface, c'est qu'il va écrire." Oui, ces bouleversements auxquels nous assistons, ces révolutions et ces troubles, sont annonciateurs de temps nouveaux.   Tous les prophètes modernes l'ont dit et tous les mystiques se le répètent entr'eux.

Serrons nos rangs, nous qui croyons à l'Idéal et portons haut le drapeau de l'Esprit.   Nous savons que la foi transporte les montagnes; ayons foi et tous les obstacles s'évanouiront devant notre route.   Surtout, par la charité, tachons de gagner les coeurs et d'aplanir dans les âmes, les sentiers de Celui qui vient !

ÉMILE CATZEFLIS