III Tous les hommes sont appelés La thèse annoncée par le titre du présent paragraphe se déduit naturellement du paragraphe précédent. Si la formation des saints est le but de la Création, ainsi que nous croyons l'avoir démontré, comme Dieu ne peut pas Se proposer une fin sans l'atteindre, il s'en suit que tout homme est appelé, un jour, à devenir un saint et à faire partie de l'Église intérieure. Cette conclusion est conforme à la doctrine du Salut pour tous, que nous avons exposée ailleurs, et que nous avons étayée sur les textes des Évangiles et des autres Écritures saintes. On nous objectera : le salut est-il donc fatal, et n'a-t-on plus qu'à se croiser les bras et à attendre une béatitude qui devra sûrement venir ? Non, puisque le salut est, pré-cisément, dans l'affranchissement de l'esclavage de la chair, du monde et de l'orgueil du moi, et que, pour parvenir à une telle libération, il faut lutter avec la plus grande énergie. Les paresseux et les tièdes ne font donc que prolonger indéfini-ment la période des épreuves et des souffrances sur cette terre ou ailleurs, jusqu'à ce qu'ils soient amenés, enfin, à suivre la voie étroite qui conduit au Royaume. En vue de cet aboutissement, le Père très bon a disposé diverses routes que les Créa-tures doivent suivre, et qui sont les seules choses stables dans l'Univers. Il y en a de très longues, d'autres plus courtes, et les hommes peuvent passer de l'une à l'autre, de manière à laisser au libre arbitre tout le jeu nécessaire. Les religions, les diverses églises extérieures sont du nombre de ces routes : elles fournissent des sauvegardes, des aides pour notre faiblesse, des stimulants pour notre paresse, des conseillers pour nos instants d'hésitation et de doute. Elles sont utiles et même nécessaires au plus grand nombre, qui ont besoin de s'appuyer sur des rampes, qui auraient le vertige de regarder directement dans les abîmes de leur âme, et qui aiment mieux s'y laisser conduire par un sacerdoce expérimenté. Ceux-là suivent donc de bonnes routes toutes tracées, mais forcément assez longues, puisqu'elles doivent s'adapter aussi bien aux retardataires qu'aux personnes plus diligentes. C'est pourquoi, latéralement à ces larges routes, le Père a disposé, pour les âmes ardentes, des coursières qui se détachent de la voie com-mune et montent les pentes abruptes. Ce sont des voies plus courtes, mais plus dangereuses et fatigantes; elles réclament de plus grands efforts de la part du pèlerin. Il lui faut souvent escalader des rochers escarpés, ou suivre des pistes à peine reconnaissables, sur lesquelles peu de voyageurs ont passé avant lui. Ce sont ces raccourcis qu'ont suivis les saints de toutes les églises et confessions et de tous les milieux, pour arriver aux mêmes som-mets; c'est que, vers la fin de leur parcours, les routes Se rapprochent et se rejoignent et les cour-sières aussi, car, si les pentes de la montagne sont vastes et comprennent de nombreux che-mins, les sommets sont solitaires et n'en admet-tent qu'un ou deux. Aussi y a-t-il plusieurs reli-gions extérieures, mais il n'y en a qu'une seule intérieure. Il s'ensuit nécessairement qu'aucune de celles-là ne peut prétendre posséder le mono-pole du salut, quoique, pour des raisons de disci-pline et de cohésion, souvent elles enseignent le contraire à leurs fidèles. Il en résulte aussi, puisque tout homme est appelé à l'union avec Dieu, que chacun est libre de quitter les voies communes et larges et de s'engager dans le chemin étroit. Nous n'en voulons, pour preuve, que les paroles et les enseignements du Christ, l'unique Sauveur : « Quiconque veut venir après moi, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive ». « Quiconque » est un terme général, qui s'adresse à tous. Ailleurs Il a dit expressément : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soula-gerai. Prenez mon joug sur vous. . . ». Tous peu-vent donc aller à Lui; il n'y a pas besoin, pour cela, d'appartenir à une église extérieure. Saint Marc nous raconte au chapitre IX de son Évangile (versets 37 et suiv. ) que saint Jean a été trouvé Jésus pour Lui dire que les apôtres ont rencontré quelqu'un qui chassait les démons en Son nom et qu'ils l'en avaient empê-ché, parce qu'il ne les suivait pas. « Ne l'en em-pêchez pas, a répondu le Maître, car il n'y a personne qui opère un miracle en mon nom et qui puisse, aussitôt après, parler mal de moi. Celui qui n'est pas contre vous, est pour vous. » Voilà donc quelqu'un qui n'appartenait pas à l'église extérieure, puisqu'il ne suivait pas les apôtres et dont le Seigneur, cependant, approu-vait le travail, et quel travail ! Chasser les démons au nom du Christ, c'est une des choses les plus difficiles et qui implique la participation à la puissance même du Verbe, seul maître de l'Enfer et des esprits sataniques. Cet homme appartenait donc à l'église intérieure, à l'armée de la Lumière, puisqu'il ne peut y avoir que deux armées en présence, dans le Monde, celle de la Lumière et celle des Ténèbres. « Tous ceux qui ne sont pas contre le Christ sont pour Lui », donc tous les hommes de bonne volonté Lui appartiennent. L'on connaît aussi la parabole du Bon Samaritain où le Maître affirme que le vrai dis-ciple est l'homme secourable à son prochain et dans laquelle ce ne fut ni le prêtre ni le lévite (qui représentaient pourtant l'église extérieure de ce temps-là), mais bien le Samaritain, considéré comme hérétique, qui fut pitoyable à l'homme tombé entre les mains des voleurs. Si l'on nous demande donc comment se recrute l'Église intérieure du Christ, nous dirons que Lui-même a répondu à cette question, non seulement dans les passages que nous venons de citer, mais dans un grand nombre d'autres. L'Évangile tout entier est la leçon vivante de la charité indépendante des formes accessoires. A tout instant, le Seigneur critique les pharisiens hypocrites qui « élargissent leurs phy-lactères et allongent leurs franges » et qui, « sous prétexte de longues prières, dévorent les maisons des veuves ». « Malheur à vous, leur dit-il, qui payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin et qui avez abandonné ce qu'il y a de plus important dans la loi : la justice, la miséri-corde et la foi ». Ailleurs, Il dit que « ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais ce qui sort de la bouche et qui vient du coeur : les mauvaises pensées, les blasphèmes, les adul-tères, etc. __ La lettre tue et l'esprit vivifie __ Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie; la chair ne sert de rien ». Il nous faudrait citer tout L'Évangile. Il est certain que le Christ est venu fonder une Église, mais, par suite des qualités exigées du disciple, cette église ne peut être qu'intérieure, dans l'âme des vrais serviteurs. Les conditions posées par Jésus pour lui appartenir exigent qu'il en soit ainsi : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi. Celui qui aime son père ou sa mère ou ses enfants... ou ses champs plus que moi, n'est pas digne d'être mon disciple. » Il ne suffit donc pas, pour appar-tenir au Christ, de naître dans un collectif déter-miné, car il est évident que les fidèles d'aucune communauté religieuse connue ne représentent, dans leur ensemble, cette pureté exigée par Jésus pour être appelés Ses disciples et les membres de Son Église. Les circonstances dans lesquelles le Maître a parlé de cette dernière démontrent d'ailleurs ce qui vient d'être dit. A la question posée par Lui à Ses fidèles : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Simon-Pierre, prenant la parole, s'écrie : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus lui répondit : « Vous êtes bienheureux Simon, fils de Jean, parce que la chair et le sang ne vous ont pas révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi je vous dis que vous êtes Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église et les portes de l'enfer ne pré-vaudront point contre elle. . . » (Matthieu XVI, 15 à 18). Cette révélation que Jésus est le Christ, Fils du Dieu vivant, et qui confère à celui qui en est gratifié la qualité de disciple, membre de la vraie Église, le Maître déclare qu'elle ne peut pas venir de la chair et du sang, mais du Père céleste directement. Il ne suffit donc pas d'appar-tenir à une des communautés chrétiennes et d'avoir reçu extérieurement l'enseignement sur le Christ, pour avoir la révélation en question, car cela, c'est la voix de la chair et du sang, les circonstances de la naissance charnelle, du milieu et de l'instruction, etc. Cette révélation, au contraire, ne peut qu'être intérieure, faite par le Père qui voit dans le secret de la conscience et qui la donne à celui qu'Il juge mûr pour la rece-voir. C'est proprement la foi conférée à l'homme de bonne volonté et qui est la pierre sur laquelle est édifiée la Société véritable des âmes. L'église catholique étant la plus parfaite des communautés religieuses extérieures, celle qui a le plus de cohésion, elle est comme l'organe principal, le bâtiment central, le noyau du corps de la grande Église intérieure. Comme toute forme matérielle, elle évolue et progresse et, à son complet développement, elle coïncidera avec l'autre Église, la vraie; elle sera comme son corps de gloire, de même que notre forme actuelle sera, un jour, à la résurrection, le corps de gloire de notre âme éternelle. C'est ainsi que s'explique la distinction théologique du corps et de l'âme de l'Église. Cette distinction ne diminue en rien le caractère vénérable de l'Église catholique et le respect qu'elle doit nous inspirer. Néanmoins, les promesses du Christ ne s'adressent pas à une société extérieure quelconque, mais à l'Assem-blée des âmes. Il a dit lui-même : « La chair ne sert de rien; c'est l'esprit qui vivifie. » L'Église, d'ailleurs, admet si bien la dis-tinction entre son corps et son âme, qu'elle enseigne que non seulement le salut après la mort est possible à ceux qui sont en dehors de son corps visible, mais même la sainteté dès cette vie, c'est-à-dire la possession de la vie divine en soi, la participation, par le don de miracle et de prophétie, à l'Omniscience et à l'Omnipotence du Verbe de Dieu, et cela sans la pratique des sacrements et du culte extérieur. Cette pratique, tout en étant utile à beaucoup, n'est donc pas indispensable, selon la théologie catholique elle-même, puisque, sans ces sacre-ments et ce culte, on peut aussi bien parvenir, non pas seulement au salut, mais encore à la sainteté. La revue catholique Les Recherches de Science religieuse a publié dans son numéro de Janvier-Avril 1922, une étude sur le Sadhou Sundar Singh, dans laquelle le Père de Grandmaison admet, selon l'enseignement des Pères de l'Église, la thèse dont nous venons de parler, de la sainteté possible hors du corps de l'Église. D'autre part, l'opinion théologique ancienne, à propos des grâces mystiques, incli-nait à penser que ces grâces étaient un don arbitraire que Dieu accorde à certains êtres exceptionnels et qu'Il refuse délibérément à d'autres, quelque effort qu'ils fassent pour les acquérir. Or, un courant nouveau, dans la pensée catholique contemporaine, s'est fait jour, qui enseigne, au contraire, que ces grâces, tout en étant un don gratuit du Père comme toutes autres choses, car tout vient de Lui, ne sont toutefois pas conférées arbitrairement, mais sont l'aboutissement logique et dernier de toute vie chrétienne parfaite, en ce sens que celle-ci, si elle n'attei-gnait pas aux grâces mystiques, ressemblerait à une plante qui n'aurait pas encore produit son fruit. Ainsi le but de la vie chrétienne serait manque, si l'âme n'arrivait pas a l'union avec Dieu et à la possession des dons du Saint--Esprit. Or ce but, raison d'être de l'Incarnation du Verbe, objet de Sa rédemption, destinée de la Création tout entière, ne peut pas être manqué, à moins de douter de la toute-puissance et de l'efficacité de la mission de ce Verbe d'amour. Comme, par ailleurs, très peu d'êtres arrivent, en cette vie, aux grâces mystiques, il faut, de toute nécessité, admettre que Dieu, dans Sa bonté, accorde du temps à l'homme, après la mort, pour continuer le travail qui doit le faire arriver à la possession de ces grâces et à la joie de l'union avec Lui. Car cette union, c'est pro-prement le salut promis à la postérité d'Adam. Il n'est donc pas vrai qu'aux portes de la mort le sort de l'âme est fixé pour toujours, soit dans le bien soit dans le mal. Puisque l'union avec Dieu, par la possession des grâces mysti-ques, est l'aboutissement de la vie chrétienne, puisque, selon toute évidence, l'immense majo-rité des hommes et même de ce qu'on appelle les braves gens, sont encore inaptes à recevoir ces grâces, on ne peut pas raisonnablement penser que Dieu qui agit, en toute chose, avec mesure et sagesse et qui respecte partout les lois de développement progressif et harmonieux qu'Il a Lui-même établies, en vienne, à la mort, à éten-dre arbitrairement à toutes ces personnalités humaines incomplètement évoluées, et leur imposer, pour ainsi dire, les dons du Saint-Esprit. Leur travail de maturation et d'épuration devra donc continuer encore et, de là, vient le dogme du purgatoire catholique. Mais une autre conséquence, également capitale, découle de cette doctrine théologique qui considère les grâces mystiques comme l'aboutissement de toute vie chrétienne véritable, doc-trine qui est celle de saint Jean de la Croix et des grands maîtres de la spiritualité catholique. Voici cette conséquence : Puisque toute vie selon le Christ com-porte, dans son épanouissement, la possession d'un au moins des dons du Saint-Esprit, il en résulte que tout disciple authentique pourra espérer les grâces mystiques. Certes, toute thaumaturgie ne vient pas de Dieu, ni toute faculté extatique. De pareils pouvoirs ou leurs simulacres peuvent aussi être conférés par l'Esprit des Ténèbres. Il y faut du discernement. Par contre, tout vrai serviteur devra posséder quelques-uns des dons surnatu-rels authentiques. Le Seigneur a dit à Ses apô-tres, après Sa résurrection : « Ces miracles accompagneront ceux qui auront cru : ils chasseront les démons en mon nom, ils parleront de nouvelles langues, ils prendront les serpents; et, s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal; ils imposeront les mains sur les malades et ils seront guéris. » (St. Marc XVI, 17 et 18). Les membres de l'Église intérieure devront donc posséder ces dons énumérés par le Maître, conformément à Sa promesse formelle et ceci, avec leur grande charité, sera un second signe qui permettra de les distinguer éventuelle-ment des sacerdoces officiels, dans lesquels ces dons peuvent cependant et occasionnellement exister. Les miracles accompagneront « ceux qui auront cru ». C'est la seule condition posée par Jésus; elle est nécessaire et suffisante. C'est que la foi dont il est question ici, est autre chose que la simple adhésion intellectuelle et superfi-cielle à un credo. Comme nous l'avons dit, dans le premier paragraphe de cette étude, la foi vraie comporte toutes les autres vertus; c'est un don de tout l'être. C'est l'expression extrême de la bonne volonté de l'homme qui cherche Dieu seul et à qui Dieu répond par le don magnifique de la foi qui soulève les montagnes. Les rites, les régimes, les entraînements magiques ne suffisent pas pour la procurer : tout cela, c'est de l'extérieur, tandis qu'elle est de l'ordre intérieur et surnaturel qui a son siège dans le coeur de l'homme : il faut que le coeur s'embrase par la charité d'abord, pour que la vraie foi puisse, ensuite, l'habiter. La conclusion de ce qui précède, c'est que tout homme, quels que soient ses antécédents, sa religion extérieure ou son milieu, est appelé à se sanctifier et à posséder cette foi qui régénérera tout son être et le rendra participant des trésors infinis de la Science et de la Puissance divines. Oui, tous les hommes, même ceux qui, en ce moment, se perdent dans les faux plaisirs, ou s'isolent dans les régions glacées de l'orgueil du moi et s'exaltent dans la superbe de la raison, même ceux qui, d'un geste misérable et dont leur aveuglement ne perçoit pas tout le ridicule, sem-blent menacer le Christ de leurs poings levés. C'est que, dans la vérité des choses, tous ces mouvements grandiloquents et ces agitations fébriles et impies qui semblent vouloir éteindre les étoiles, ne sont pas plus, par rapport au Père, que les cris du nourrisson tout faible à qui sa mère veut donner le biberon et qui, dans son impuissance à le saisir tout de suite, se débat avec force larmes et lamentations. La comparai-son est encore trop inadéquate, car s'il arrive à la mère de s'impatienter, malgré son amour, le Seigneur ne S'impatiente jamais. Sa miséricorde mettra des siècles innombrables pour vaincre l'entêtement et l'aveuglement de quelques-uns de Ses enfants, mais Elle vaincra. Les démons comme les hommes, les faux dieux comme leurs suppôts, les révoltés de toutes nuances, après avoir épuisé toutes les possibilités et les doulou-reuses conséquences de leurs erreurs et de leurs illusions, finiront par ouvrir les yeux à la Lumière, et las de lutter contre l'Amour, courberont, un jour, la tête et ploieront les genoux sous la main bienfaisante de l'unique Seigneur. Devant un tel trésor de beauté d'amour et de miséricorde infinies notre raison reste interdite et notre poitrine palpite ! Notre intelligence oblitérée par l'orgueil et notre coeur endurci par l'égoïsme ne sont guère capables de comprendre les opérations de la Suprême Bonté. Parce que, par la chute originelle, nous sommes enclins à la vengeance, nous ne voulons pas admettre que Dieu ne Se venge pas et que, pour Lui, la seule représaille possible est de sauver ceux qui s'entêtent à vouloir se perdre. Le Père ne peut pas avoir de vrais ennemis; Il est trop grand pour cela. Il ne peut donc avoir que des enfants plus ou moins indociles et turbulents et qu'il s'agit d'amener à la saine raison. Lucifer lui-même, quelque grand qu'il paraisse, n'est que Sa créature. Mais, alors, qu'attendons-nous pour entrer dans la phalange de Ses enfants soumis et pour collaborer à l'oeuvre rédemptrice de Son Fils unique ? Pourquoi prolonger d'une heure de plus la durée de l'épreuve universelle ? Puisque malgré nos fautes innombrables, nos trahisons et nos laideurs, Ses bras compatissants sont tendus vers nous et nous invitent, que dis-je, nous pres-sent d'entrer dans Sa maison magnifique, à l'abri des tempêtes, qu'attendons-nous ? Qui que vous soyez, mondain assoiffé de plaisirs, savant ayant l'insatiable désir de connaître, philosophe ébloui par l'étincelant manteau que la déesse Vérité fait miroiter à vos yeux ou artiste enfin qui essayez de saisir les arcanes du Beau, vous n'aurez que des décep-tions cruelles, tant que votre coeur et vos regards ne se seront pas décidément tournés vers l'unique Source d'où découle tout bien parfait, toute beauté, toute joie, tout savoir et toute vérité. Vous cherchez des rayons épars, tandis que Celui qui vous appelle à Lui est le Soleil central d'où émergent tous les rayons et toutes les lumières. Entrez dans le bercail du Vrai Berger et que personne ne se prétende indigne, car nul n'est digne d'un tel honneur. Le Père donne gra-tuitement à tous « et nous recevons tous de Sa plénitude » selon la belle expression de saint Jean. Vous qui vous sentez indignes et qui, à cause de cela, n'osez pas, vous êtes appelés avant les autres, à cause de votre humilité. Rappelez-vous la parabole du Maître où un roi, vou-lant donner un grand festin, à l'occasion des noces de son fils, et voyant que les premiers invités ont refusé de venir, a envoyé ses servi-teurs chercher, dans les carrefours, tous ceux qu'ils rencontreraient, pour les faire asseoir à la salle du banquet. La vie du mondain par rapport à celle du disciple du Christ, c'est la vie larvaire en comparaison de celle du papillon ailé. La seconde a une saveur, malgré ses sacrifices appa-rents, que la première est loin d'avoir; elle occa-sionne des joies que le monde est incapable même de soupçonner et des béatitudes telles que, si elles envahissaient brusquement notre coeur, notre personnalité serait inapte à les supporter et fondrait sous le choc, comme la cire au contact du feu. Cependant, n'ayons pas en vue ces béatitudes si nous voulons entrer dans la pha-lange des serviteurs, car « qui veut sauver sa vie la perdra. » Travaillons uniquement en vue de la Vérité et, selon la promesse, elle nous affran-chira. Et si la besogne nous paraît dure de premier abord, sachons qu'elle ne l'est que dans les débuts, à cause de la faiblesse de notre volonté encore vacillante et qu'au surplus, le Ciel nous aide et, quand nous faisons un pas vers Lui, Il en fait dix à notre rencontre. Que la vue de notre faiblesse ne nous arrête donc pas; au contraire, le fait que nous la sentons sera le gage du succès, car « celui qui s'abaisse sera élevé. » Une voix auguste et qui retentit encore depuis deux mille ans nous pro-teste que nous sommes tous « appelés ». Entendons-la ! Suivons-la ! Emile CATZEFLIS |