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  L'UNION EN ESPRIT ET EN VÉRITÉ  

 (Conférence donnée en 1937)


 


« Si vous êtes deux ou trois réunis en mon Nom, Je serai au milieu de vous ».
     ÉVANGILE.

   Cette parole de Jésus trouve son application dans tous les domaines.

  Tout d'abord, dans le plan de la vie individuelle, la cellule la plus infime n'existe que parce que la Toute-puissance créatrice a rassemblé, uni un certain nombre d'éléments de la Nature première qu'Elle a tirée du néant. Et, en supposant que la matière originelle pût exister par elle-même (hypothèse ab-surde à notre avis, car ce qui est limité, conditionné, assujetti à des lois, comme la matière, ne saurait exister par soi-même), le simple bon sens affirme qu'elle serait restée à jamais dans l'état chao-tique si la Sagesse divine n'avait réuni ses éléments suivant des lois harmo-nieuses, si Elle n'avait enjoint au grain de sable d'être un grain de sable et à la montagne d'être la masse formidable que nous admirons.

  Cette empreinte du Tout-Puissant fixe à chaque être sa course, sa forme, son existence et son développement futur, en un mot son nom. Elle est « l'esprit  de cet être qui le distingue des autres et qui l'accompagnera jusque dans la Vie éternelle à laquelle le Père destine toutes Ses créatures sans exception. C'est dans ce sens que Jean a écrit dans son évangile : « Tout ce qui a été fait a été fait par le Verbe divin et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui. »

  Or le Verbe est la Vie du Père, ainsi qu'Il S'est défini Lui-même en disant : « Je suis la voie, la vérité et la vie. »  Dès lors qu'Il anime toutes les créatures, puisque a rien n'a été fait sans Lui », Il ne saurait les abandonner sans les con-duire au bonheur éternel, don royal inimaginable, infini, mais qui ne doit pas nous étonner, étant le don de Dieu. Tout autre don inférieur à celui-là, un don limité dans le temps, s'arrêtant aux bornes d'une existence passagère, eût été indigne d'un tel Donateur.

  Tout est vivant en effet. La plus petite molécule d'un organisme quelconque a son « soi-même ». A plus forte raison en est-il ainsi des organismes composés d'un grand nombre de cellules.

  Le biologiste Paul Vignon a démontré cela dans un ouvrage remarquable inti-tulé « Introduction à la Biologie expéri-mentale » en citant d'innombrables exemples tirés de la constitution et des moeurs des insectes et des animaux. Tout se passe, conclut-il, comme si un esprit vivant et indépendant de leur corps, dictait à chaque espèce animale, à chaque variété d'insectes, leurs formes, couleurs, habitudes et manière d'être. Il a décrit, entre autres (un cas pris entre mille), un papillon qui réussit à donner à son corps et à ses ailes une nuance de vert tellement identique à la couleur des feuilles d'arbres, que, lorsqu'il est poursuivi par un ennemi, il se pose sur une feuille verte et y étend ses ailes. Alors aucun oeil, si perçant soit-il, ne peut plus distinguer sur quelle feuille il s'est posé; il échappe par là au danger et, une fois ce dernier écarté, le beau papillon reprend son vol, sous les rayons du soleil. Et que d'autres faits analogues !

  Tout le monde connaît les moeurs vraiment admirables des abeilles qui montrent qu'elles ont de l'intelligence, du savoir-faire, de la prudence pour parer aux éventualités et même l'esprit d'in-vention et d'ingéniosité en présence d'un obstacle surgissant devant elles d'une manière insolite.

  Aussi, mis quotidiennement en pré-sence de toutes ces merveilles que la Nature nous offre, arrivait-il souvent au célèbre entomologiste Henri Fabre, dont les ouvrages suscitent un intérêt passionnant, de répondre à ceux qui lui demandaient s'il croyait en l'existence de Dieu : « Non, je n'ai pas à croire en Lui, puisque je Le vois avec évidence ! »

  Si maintenant nous passons du domaine des êtres individuels à celui des collectivités : une famille, une société, une nation, nous découvrons aussi en chacune un esprit qui la caractérise; et la famille, la société, la nation auront une vie d'autant plus longue et prospère qu'il y aura plus de cohésion, d'union entre leurs membres.

  Mais, plus on s'élève sur l'échelle des êtres, plus l'union, pour être durable, devra être fondée sur des principes supérieurs; pour une nation, ce sera la communauté d'idéal s'appuyant sur les mêmes traditions séculaires, sur l'unité de la langue nationale, sur les chefs-d'oeuvre littéraires et artistiques, le folklore commun, le sang des héros qui se sont sacrifiés pour la patrie, etc.

  Ainsi en est-il d'un grand pays comme la France, être collectif supérieur et je suis tout heureux, à ce propos, de citer un témoignage non susceptible de par-tialité ou de chauvinisme en faveur de la France, puisqu'il vient d'un Allemand : M. Paul Distelbarth, qui a écrit deux beaux volumes sous le titre : « France vivante » et dont le premier tome s'inti-tule même « La personne France ». Voici ce qu'il écrit dans l'introduction de cet ouvrage, paru en Allemagne fin 1935 :
« C'est Michelet, l'historien génial du dix-neuvième siècle, qui a dit que la France est une personne. »
« D'autres ont parlé depuis longtemps de « l'âme collective » que la France se serait « donnée » au dix-septième siècle.   Ces mots cependant ne restaient qu'images et symboles. Jamais l'idée ne serait venue à personne de les prendre dans leur sens littéral. »
« Depuis un certain temps, la situation a changé. Nous avons compris qu'il existe en effet des âmes collectives. Nous savons que des êtres, vivant dans une communauté étroite, ont réelle-ment une âme commune à tous, et qui les enveloppe comme une aura. »

Et l'auteur ajoute : 

« Beaucoup de choses curieuses s'expliquent, beau-coup de mystères s'éclaircissent, quand on se décide résolument à considérer la France comme un grand Moi collectif, comme une personne. Toute son histoire devient par là simplifiée et ramenée à une ligne droite. Elle n'est autre que l'histoire du devenir et de l'évolution d'une personnalité... »
« Pour les Français, la France n'est pas une idée abstraite ni un symbole, mais une réalité, un être vivant. »

Plus loin encore, parlant de l'influence de la langue française, Distelbarth écrit :
« Il est inexact de croire que le siècle dit « de Louis XIV » fut grand par les victoires du Roi-Soleil. Quand le roi mourut, le pays était ruiné et les malé-dictions du peuple suivaient son cer-cueil. Ce siècle fut vraiment grand par les hommes qu'il a produits. C'est la personne France qui se manifesta dans tant de génies et de talents. Arrivée au sommet de son évolution, elle prit cons-cience d'elle-même et, après s'être com-prise, se tourna vers le monde extérieur, incarnant ses forces spirituelles en de nombreux individus qui lui servirent à la fois d'outils et de porte-paroles. »

 L'auteur reconnaît le caractère profondément chrétien de la France : 
« Nul autre peuple, écrit-il, n'a été pénétré et transformé par la doctrine chrétienne autant que le peuple français. Nulle part le christianisme n'a déclenché des forces aussi puissantes ni accompli des oeuvres aussi considérables : les cathédrales gothiques en témoignent. La valeur morale des idées chrétiennes n'est nulle part moins contestée qu'en France. Qu'elle puisse jamais être mise en doute n'est guère concevable. Même des orateurs socialistes ne craignent aucunement de citer des passages de l'Évangile. Tous les Français sont profondément convain-cus que l'homme « ne vit pas seulement de pain ». Et la communauté des hommes croyant dans la force de l'Amour, est de beaucoup plus grande que celle des pra-tiquants de l'Église. »

  Ce témoignage était précieux à noter; mais revenons à l'affirmation de l'au-teur au sujet des âmes collectives, ce qui nous ramène à l'objet précis de cette étude : « l'union en esprit et en vérité. »

  Puisque tous les êtres, individuels ou collectifs, sont chacun une manifestation de la Parole créatrice, puisque chacun a son « esprit » qui est, avons-nous dit, comme l'empreinte de cette Parole, le nom que le Père lui a donné dans l'éter-nité, il s'ensuit que notre planète a aussi son « esprit ». On peut se demander, dans ce cas, comment il se fait que ses habitants ne vivent pas tous en parfaite harmonie est concorde, dans la joie de l'amour fraternel, puisqu'ils sont tous frères, enfants du même Père céleste et régis par un même esprit collectif ?

  Il en est ainsi, en effet, dans le Royaume de Dieu dont tous les citoyens vivent d'amour réciproque, en union par-faite entre eux et en union avec l'Etre suprême, ce qui est loin d'être le cas dans la Nature où dominent partout les luttes, les dissensions, la haine et la guerre sous toutes ses formes.

  C'est que la Nature n'est pas le Royaume de Dieu; elle n'en est qu'une annexe très inférieure dans laquelle évoluent les créatures afin de devenir aptes à entrer dans ce Royaume. Comme l'a écrit Sédir, « elle est le domaine au-tour du palais qu'habite le Seigneur. »  Les êtres y sont en travail, en perpétuel com-bat contre les appels du mal et c'est seu-lement après en avoir complètement triomphé, qu'ils sont introduits dans ce Palais et qu'ils en deviennent les habitants.

  Cette période de probation et de purification nécessaire avant d'entrer au Ciel et dont le résultat est de procurer aux créatures un plus grand pouvoir de béatitude, Sédir n'est pas le seul à l'avoir enseignée. Certains extatiques en ont eu l'intuition très nette. J'ai eu l'occasion de lire un écrit de grande valeur encore inédit d'une clarisse stigmatisée morte en 1905 et dans lequel, sur l'ordre exprès de sa supérieure et malgré sa répugnance à le faire, elle a consigné une vision extraordinaire dont elle a été gratifiée en 1903.

  C'est une espèce de voyage que son ange gardien, ou un autre guide invisible envoyé par le Christ, lui a fait faire à travers les mondes par millions, dont elle a vu les habitants, de forme, constitution et couleurs différentes de celles des terrestres, mais ayant chacun, dit-elle, une âme responsable comme la nôtre et rachetée par le sacri-fice du Verbe divin.

  Voici textuellement le passage auquel je fais allusion :
 « Dieu a commencé par créer les Anges. Ce sont les prémices de la création... Il ne les a pas créés au Ciel, mais proche du Ciel. J'ai compris que la raison en est que dans le lieu où est le Ciel, il ne s'est jamais commis de péché, qu'il n'y entre que les créatures confirmées en grâce; et les bons anges et les démons, à ce moment, avaient tous la liberté de bien faire ou de mal faire. »

  Ainsi, si les anges ne sont pas au Ciel proprement dit, car « il n'y entre que les créatures confirmées en grâce » tandis qu'ils ont encore la liberté de bien ou de mal faire, comme on l'a fait voir à notre extatique, n'est-ce pas singulièrement concordant avec ce qu'enseigne Sédir, à savoir : que nous étions des anges avant de nous incarner et que nous avons revêtu des corps afin de subir cette période d'épreuve qui nous rendra aptes à entrer au Ciel ?  .

  D'autre part, si les démons ont aussi la liberté de bien faire ou de mal faire, ainsi qu'il est dit dans le texte cité, cela ne donne-t-il pas l'espoir qu'eux aussi arriveront un jour à la Lumière ?

 Ne savons-nous pas, par l'Évangile, que Dieu veut le salut de tous les êtres ?
 C'est donc sciemment que le Père a permis que Satan et les esprits infer-naux éprouvent les créatures et leur opposent toutes sortes d'obstacles, afin qu'elles se fortifient par le combat et se libèrent elles-mêmes, tout en affranchis-sant leurs tentateurs, car « c'est l'homme qui est le libérateur des démons. » Et le résultat final, c'est que les uns et les autres et les uns par les autres : les dé-mons, les hommes et les êtres inférieurs à l'homme atteindront tous la félicité éternelle. Telle est la volonté infiniment admirable du Créateur !
 Cette conception de la destinée finale heureuse de tous les êtres donne de Dieu une idée de sagesse et de bonté inépuisa-bles. Comment un Père tout-puissant et aimant n'aurait-Il pas tout arrangé pour le plus grand bonheur de tous Ses enfants et de toutes Ses créatures sans exception? Et si les animaux, les végétaux et les minéraux qui sont, nous le répétons, des êtres vivants, n'avaient pas, eux aussi, une destinée heureuse, pourquoi les aurait-Il tirés du néant ? Serait-ce pour les y laisser retourner, après avoir peut-être beaucoup souffert ? Non, Dieu n'agit pas ainsi et, quand Il bâtit, c'est pour toujours; Il ne laisse aucune créature se perdre, aucun effort sans résultat. Son action a toujours lieu dans l'éternel même si elle se répercute dans le temps d'une manière qui nous paraît transi-toire. Le Père ne Se repent jamais de Ses dons, ce qui serait indigne de Lui. Il a donné la vie aux créatures; c'est pour toujours.

 C'est la seule manière d'ailleurs de comprendre le texte suivant de l'apôtre Paul, lequel, sans cela, serait absolument inintelligible et contradictoire : « La création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu, car la création a été, contre son gré, soumise à la vanité... avec l'espérance qu'elle aussi sera affranchie de la servitude de la cor-ruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Or nous savons que, jusqu'à ce jour, la création tout entière gémit et souffre les douleurs de l'enfantement. Et ce n'est pas elle seulement, mais nous aussi, qui avons reçu les prémices de l'Esprit, nous sou-pirons en nous-mêmes, en attendant l'adoption... » (Rom. VIII, 18 à 23).

 On peut se demander pourquoi la création « attendrait-elle, avec un ardent désir, la révélation des fils de Dieu » et comment pourrait-elle « participer à leur liberté glorieuse », comme il est affirmé ci-dessus, si cette création n'est pas cons-tituée d'êtres ayant chacun un esprit immortel, capable de cet « ardent désir », de cette participation à la liberté ?

 Si on n'admet pas cela, le passage ci-dessus de saint Paul devient incom-préhensible.

 Toutefois si toute créature a un esprit immortel et, par cela même, est destinée à participer à la vie divine, cette parti-cipation n'implique pas une union immédiate avec l'Absolu, pour les êtres inférieurs, car ils n'ont pas l'âme divine qui a été donnée seulement à l'homme. Leur régénération se fait donc par l'intermédiaire de l'homme, en devenant des cellules lumineuses de son corps de gloire, de ce « corps de la résurrection » dont a parlé le même apôtre Paul.
 Il y a ainsi une corrélation, une soli-darité mystérieuse qui unit tous les êtres de la Nature. Ne savons-nous pas que notre corps renferme des végétaux, des minéraux, des métalloïdes, des métaux, des fluides, des forces radiantes et invi-sibles ? Tous ces êtres, toutes ces forces convergent vers l'homme et tournent autour de son esprit comme les planètes autour du soleil.

 Les animaux, les plantes, les miné-raux, les métaux, etc. qui ont terminé leur évolution ascendante, entreront dans le royaume qui sera donné à chaque être humain quand il aura, de son côté, achevé sa période d'épreuve et vaincu entièrement le mal. Leur félicité sera d'être sous les rayons de l'esprit humain et, par lui, de recevoir indirectement la Lumière divine et cette félicité com-blera pour eux la mesure qu'ils peuvent recevoir, conformément à leur nature.

 Certes Dieu est présent partout et dans tous les êtres, mais l'intensité de Sa pré-sence varie dans des proportions infinies; même parmi les hommes, elle n'est évi-demment pas la même pour le meurtrier à qui Il reproche ses crimes que pour le saint avec qui Il S'entretient fami-lièrement et à qui Il S'unit d'une manière ineffable. A plus forte raison cette Présence sera-t-elle tout autre pour les êtres inférieurs à l'homme que pour les régénérés et les hommes libres.

 C'est que nous n'avons pas seulement les facultés raisonnables et naturelles qui nous sont communes avec les autres êtres de l'univers. Nous avons, en outre, l'âme éternelle : une étincelle directe du Soleil divin; c'est ce que l'apôtre appelle les prémices de l'Esprit Saint. Aussi, en ce qui concerne l'homme seul, parle-t-il d'adoption et il affirme que toutes les autres créatures soupirent après cette « adoption des fils de Dieu » qui va être le moyen de leur propre salut à elles !

 N'a-t-il pas d'ailleurs écrit dans cette même épître aux Romains (VIII, 14 a 18) : « Tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu... Cet Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ. »

 Et le Seigneur Lui-même, S'adressant à Ses disciples, ne leur a-t-Il pas dit : « Je ne vous appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; je vous appelle : mes amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître. » (Jean XV, 15) Et Il a demandé au Père que Ses disciples et tous ceux qui croiront par eux, deviennent un avec Lui et le Père.

 Comment cette union totale, cette unité avec l'Absolu serait-elle possible s'il n'existait dans l'homme un principe __ l'âme __ qui est une étincelle de cet Absolu même, le lien qui peut relier l'homme à Dieu ?

 Ainsi, dans les mondes relatifs où règne la lutte des intérêts matériels la domination des instincts, où les créatures cherchent à se dévorer les unes les autres de toutes les manières, il y a tout de même un principe d'éternité, d'amour pur qui vient du Ciel et relie toutes les créatures à ce Ciel : c'est l'âme humaine, non pas la « psyché », l'âme inférieure assujettie à la cupidité, à l'ignorance et au péché, comme celle des animaux, mais le a pneuma », l'âme supérieure, céleste.

 De quelle nature est-elle ? Étant un rayon de la Lumière divine, elle nous est inaccessible. Dans son commen-taire sur le Cantique des Cantiques, Sédir écrit que « la Sulamite a le visage caché derrière un voile, parce que l'âme est un mystère pour tout le reste des créatures. »

 En effet, si nous pouvions, par nos propres forces, connaître l'Absolu, Il ne serait plus l'Absolu. Tout ce qui peut être objet de connaissance est forcé-ment conditionné, limité, et ce qui ne l'est pas ne peut pas être objet d'étude ou de savoir. Il ne peut qu'être l'objet de notre adoration, en reconnaissant notre impuissance. Voilà pourquoi seule la foi nous relie à Dieu : la foi nue, celle qui renonce à toute  preuve, à tout signe, à tout raisonnement si simple soit-il, à tout entendement même, pour se tenir dans la nudité, dans la simplicité de l'enfant qui s'abandonne à sa mère.

 Cet effort de renoncement intérieur est l'amour d'intelligence que le Seigneur a ordonné en disant : « Tu aimeras Dieu de toute ton intelligence. » Quand celle-ci cherche à comprendre, en réalité elle cherche à s'alimenter, donc à prendre et non à donner. Or l'amour ne consiste pas à prendre pour soi, mais à donner, à se sacrifier pour autrui. En essayant de comprendre ce qui la dépasse, l'intelligence ne se sacrifie donc pas : elle n'aime pas, elle cherche à prendre. Son amour sera le renoncement à elle-même, par la foi nue dont je parle et qui seule réalise le commande-ment divin : « Tu aimeras Dieu de toute ton intelligence ! » ainsi que cette autre parole du Christ qui signifie la même chose au fond : « Heureux les pauvres en esprit ! » c'est-à-dire les déta-chés de toute possession, de toute cupi-dité et surtout de toute science consi-dérée comme un bien propre à posséder, comme une richesse, de tout désir même de connaître, en un mot de tout orgueil.

 Devenons humbles. De quel droit exigerions-nous d'abord de compren-dre pour croire ensuite ? Ne sommes--nous pas, même dans le domaine de la Nature, entourés de mystères impénétrables ? Et, à ce propos, permettez-moi de vous rappeler la belle réponse d'un vrai savant, M. Georges Claude, à l'enquête du journal « Comoedia » sur « la Religion devant la Science »,   qui fut publiée en juillet 1929 :

 « Pour peu qualifié qu'il puisse être, écrit modestement M. Georges Claude, voici mon sentiment. La science n'a rien à voir avec les choses de la conscience.

 « Pour qu'il en fût autrement, semble--t-il, pour qu'elle pût nous défendre de croire ou de ne pas croire, il faudrait que cette science, si puissante à d'autres points de vue, fût capable d'abattre tout l'inconnu, tout le mystère qui nous étreint. Combien elle s'en reconnaît loin ! Effrayante notion de l'infini, impossibilité de remonter aux causes premières, existence même et harmonie des choses, mystère de la pensée et de la vie, mystère partout, quelles raisons pour la science de proclamer son ignorance ! »

 Cette déclaration dénote, de la part de son auteur, de la loyauté et de l'humi-lité.

 Oui, si nous devenons humbles, le Ciel nous parlera au dedans de nous-mêmes et, à mesure que nous Lui obéis-sons, Son entretien devient plus intime et plus clair jusqu'au jour où Il pourra Se montrer à nous sans voiles : ce sera le jour de notre régénération mystique. Celui-ci est certes encore très éloigné pour nous tous, mais d'ores et déjà nous pouvons avoir la certitude, par la foi, de la présence de Dieu en nous, selon la parole de Jésus : « En ce temps-là vous connaîtrez que je suis en vous et que vous êtes en moi. »

 Cette intimité de l'Infini avec la pous-sière que nous sommes, cette union pro-mise entre l'Absolu, source de Toute-puissance et de toutes éternelles perfec-tions, et Ses faibles créatures toutes chétives, c'est la merveille incomparable du christianisme et que vous ne trouverez que là.

 C'est pour témoigner que Dieu est en nous, tout près de nous, qu'Il veut Se donner tout entier à chacun de Ses enfants, qu'Il prend soin de chacun avec une ten-dresse infinie, que nous L'appelons le Christ, afin de distinguer notre foi de la croyance des simples déistes pour qui l'Absolu reste à jamais inaccessible à Ses créatures et Se tient éloigné d'elles à des distances incommensurables.

 Et il vous paraîtra sans doute assez pi-quant, à cause du genre spécial de ses écrits, que je vous cite ces lignes saisis-santes de Guy de Maupassant dans la nou-velle qu'il a intitulée « L'Angélus » :

 « Qu'est-ce que Dieu, mot vague avant le Christ? Nous autres, qui ne savons rien et ne nous attachons à rien que par nos pauvres organes, pouvons-nous adorer ces quatre lettres, dont nous ne  comprenons pas le sens, ce Dieu mystérieux dont nous ne nous figurons rien, ni l'existence ni l'intention ni le pouvoir?... Non, nous ne pouvons pas aimer ça. Mais le Christ, chez qui toute pitié, toute grandeur, toute philosophie, toute connaissance de l'hu-manité sont descendues on ne sait d'où, qui naquit dans une étable et mourut cloué sur un tronc d'arbre, en nous laissant à tous la seule parole de vérité qui soit sage et consolante pour vivre en ce triste lieu, Celui-là, c'est mon Dieu, c'est mon Dieu à moi. »

 Maupassant, avec son esprit réaliste bien connu, semble avoir saisi, dans ce passage, ce qui distingue le christianisme de toutes les autres religions, bien que toutes soient voulues par le Ciel, en ce sens qu'elles sont toutes adaptées à ceux qui les suivent. Mais ce qui caractérise vraiment notre foi c'est la notion du Christ, l'Emmanuel « Dieu avec nous » se faisant, par une condescendance infi-nie, notre Ami et nous destinant tous, don inouï, à l'union totale et définitive avec Lui.

 Aucune autre ascèse ou croyance n'a osé aller jusque là ni promettre à l'homme une chose aussi inimaginable. Elle est si inimaginable en effet que les églises chrétiennes elles-mêmes, tout en ayant l'espérance de cette union promise de l'homme avec l'Etre suprême, puis-qu'elle est nettement exprimée dans l'Évangile, ont cru prudent de la laisser encore sous le voile du mystère. Elles entretiennent toutefois les fidèles dans son ambiance.

 Or l'époque est venue de la proposer à toutes les personnes de bonne volonté, et c'est elle qui doit réaliser, dans le futur, l'unité morale de la race humaine, en vérifiant cette parole du Christ : « Il n'y aura qu'un troupeau et un Pasteur. »

 Tous les hommes réfléchis se préoccu-pent de cette unité si souhaitable et de cette pacification universelle; là-dessus il y a unanimité; mais dans les moyens proposés pour les atteindre, il y a des divergences considérables : l'un prône ceci, l'autre exalte cela, un troisième a une panacée infaillible. Or toutes ces méthodes n'oublient que le principal élément du succès : puisque c'est l'Ab-solu Bien qui a créé les mondes, seule l'obéissance à Sa volonté exprimée par le Christ, peut réaliser le bonheur et l'harmonie sur ces mondes.

 Beaucoup se sont imaginé que le pro-grès de la science pouvait amener plus de moralité sur la terre. Quelle erreur pro-fonde ! Les savants eux-mêmes en sont revenus. Ne voyons-nous pas que les découvertes scientifiques sont utilisées pour le mal autant et souvent plus que pour le bien ? Un vaste savoir n'empêche pas hélas ! la dureté du coeur, la vanité, l'or-gueil ni le dévergondage.

 Mon entendement livré à lui-même ne me commande pas de me sacrifier pour mon prochain. Au contraire, si je ne tiens pas compte d'une certaine intuition qui vient du coeur, ma froide raison pourrait m'inciter à accaparer les meilleures choses pour moi, à mettre tout en oeuvre pour m'attirer l'argent, les avantages, les honneurs; quitte à être impitoyable pour autrui.

 Le mal dont souffre le monde contem-porain vient, en grande partie, de ce qu'on a cultivé presque exclusivement l'intelligence au détriment du caractère et de la volonté, tandis qu'elle ne devrait être qu'un instrument au service de ces derniers.

 Ne puis-je pas, en effet, appliquer mon entendement à telle étude même si elle lui répugne, l'occuper de tel problème puis l'en détacher pour en examiner un autre, enfin satisfaire ses curiosi-tés ou l'en sevrer? Et, si l'occasion s'offre à moi de surprendre des secrets ou de dé-couvrir des arcanes de l'invisible dont la connaissance plairait à ma raison curieuse de savoir, ma volonté ne peut-elle pas intervenir pour m'y faire renoncer et me maintenir dans le jeûne spirituel ?

 Aussi la purification de la volonté, c'est-à-dire des mobiles de nos actes, est-elle de la plus grande importance. Elle est la faculté maîtresse en nous et c'est dans l'unification, dans la fusion de notre vouloir avec  la Volonté suprême que consistera notre régénéra-tion. Nous ne serons des hommes libres, de vrais enfants de Dieu, nous ne rece-vrons le baptême définitif de l'Esprit, que lorsque, détachés de tout bien propre, de toute cupidité, de tout désir personnel, nous n'aurons plus qu'un aliment : l'accomplissement de la volonté du Père et qu'une joie : faire du bien autour de nous. C'est cela la vraie liberté.

 De tous les principes constitutifs de notre personnalité, seule à présent l'âme est libre. Tout le reste est plus ou moins limité, asservi. En ce qui concerne notre corps, cela saute aux yeux, puisque la matière est assujettie à des lois qui la gouvernent et presque incapable d'en dévier; elle a bien aussi un certain libre arbitre, mais il est encore rudimentaire.

 Quant à notre esprit, je veux dire nos facultés de sensibilité, d'intelligence, de mémoire, de volonté, elles sont aussi plus ou moins enchaînées. Si nobles qu'elles soient, elles sont limitées dans leur action et leur puissance. Essayons d'étendre notre compréhension au delà de ses forces ! nous ne le pourrons pas; bien des pro-blèmes nous resteront insolubles, bien des mystères impénétrables; certains efforts de mémoire impossibles.

 Or ce qui est ainsi borné n'est pas vraiment libre; il est conditionné par sa propre impuissance. Notre intelligence, n'étant pas libre, ne peut donc pas nous affranchir; on ne peut donner ce qu'on n'a pas soi-même; c'est du simple bon sens.

 De là vient la déception occasionnée à nos contemporains par le progrès indé-niable des connaissances. Ils sont étonnés et même scandalisés de voir que toutes ces belles découvertes scientifiques, toutes ces incursions admirables dans les do-maines de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, n'ont pas amené l'apaise-ment des consciences ni affranchi l'huma-nité de la haine, de l'envie, de la guerre et de la souffrance.

 C'est une grande déception, mais elle nous sera salutaire au plus haut degré, en nous incitant à nous tourner enfin vers le vrai Principe de la liberté et de la paix : vers notre âme qui est le germe du Christ en nous.

 Du moment qu'il y a trois parties en nous : la matière ou le corps, l'esprit ou les facultés naturelles et l'âme surnatu-relle et divine, il va de soi que ce n'est pas un appel à la matière qui pourra nous régénérer et nous pacifier.

 La réflexion, l'observation et l'expérience définitive de notre époque appelée, à juste titre d'ailleurs, « siècle des connais-sances et des grandes découvertes » dé-montrent, d'autre part, que ce n'est pas non plus un appel au savoir et à la raison qui pourra amener l'union et la paix tant désirées.

 Force nous sera donc de nous tourner vers la troisième partie constitutive de notre personnalité : vers notre âme céleste qui, elle, ne nous décevra pas, puisque, rayon de la Lumière incréée, elle porte en elle le trésor de toutes les perfections et de la vraie liberté. C'est donc elle qui nous unifiera, lorsque nous nous serons tous décidés à lui obéir, car elle se trouve en tout homme; c'est l'image de Dieu en nous. N'avons-nous pas tous été « créés à Son image et à Sa ressemblance » ?

 Ainsi c'est bien par leur âme céleste que les hommes sont uns et non par la matière ou par les facultés naturelles et mentales qui sont, l'une et les autres, sous le signe de la multiplicité. Et c'est par l'âme que se réalisera l'union.

 Vous allez peut-être m'objecter : « Voilà longtemps que les hommes con-naissent l'existence de l'âme; si c'est elle qui doit amener la pacification universelle, pourquoi ne l'a-t-elle pas fait jusqu'ici? »

 Tout d'abord, il ne suffit pas d'avoir la notion de notre âme éternelle, mais il faut obéir à tous ses commandements, ce que nous n'avons pas suffisamment fait jusqu'ici. Ensuite, croyez-vous que l'on ait eu réellement la connaissance de l'âme? Ce que l'on a désigné par le mot « âme » ne se rapportait-il pas plutôt a ces organismes invisibles que nous appelons : intelligence, sensibilité, volonté, mémoire, discernement, autre-ment dit à l'esprit créé et non à l'âme divine ? Celle-ci, seuls quelques grand  mystiques en ont eu l'intuition plus ou moins parfaite, comme saint Paul, Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Ruys-broek l'Admirable, Pascal et certains autres. Nos facultés naturelles, toutes limitées et accessibles à la convoitise et au péché, ne sont pas l'âme divine.

 Aux fidèles, de tout temps, on n'a pas cessé de parler d'âmes coupables, d'âmes inconstantes ou ingrates, d'âmes damnées mêmes ce qui, évidemment, ne peut pas s'appliquer à l'étincelle de Dieu en nous, laquelle, de par sa nature, est impec-cable, immuable et parfaite.

 Aucune science, aucun entraînement ésotérique ou patent, aucune méthode de développement spirituel, nul effort volontaire, quelque gigantesque qu'il soit, n'est capable de nous mettre en relations immé-diates avec cette âme céleste. Et pourtant elle est présente en nous et nous parle par ces appels mystérieux qui sourdent au fond de notre conscience. Elle com-munique incessamment avec nous par ces injonctions intérieures qui nous com-mandent l'accomplissement du devoir, qui nous ordonnent la charité et l'humi-lité et qui, venant de la Source infinie de tout bien, portent les caractères de la liberté et de la douceur et ne nous con-traignent en aucune manière, tout en nous sollicitant.

 Seule notre libre obéissance à ces commandements et à ces appels, en nous purifiant, nous rendra capables de rece-voir la Lumière divine, Elle ne demande qu'à nous inonder, mais Elle ne peut le faire avant que nous soyons devenus, nous-mêmes, aptes à La supporter. Son éclat est si vif, Son feu si brûlant, qu'Elle nous consumerait et nous détruirait si Elle venait en nous dans Sa plénitude, vu notre état actuel d'égoïsme et d'imperfec-tion. Il nous faut, au préalable, construire le temple intérieur capable d'abriter une telle Lumière et former les yeux spirituels susceptibles de soutenir Son incompa-rable éclat.

 Ce temple intérieur doit, dans l'avenir, remplacer tous les autres, tous ceux bâtis de main d'homme, qui sont nécessaires en ce moment, parce que nous sommes encore faibles et avons besoin d'étais et d'appuis matériels. Ne voyez pas, dans ce que je dis là, la moindre critique à l'égard des institutions religieuses existantes qui ont toutes droit à notre respect et qui sont des plus utiles, au contraire, pour nous entraîner à vivre, plus tard, de la vraie vie spirituelle.

 Mais c'est la pente naturelle de notre esprit ingrat de mésestimer et mépriser ce qui pendant longtemps a servi à le nourrir et à le guider. Veillons-y ! Celui qui veut apprendre la natation est bien forcé, dans les débuts, pour se soutenir dans l'eau, de se servir de flotteurs qu'il mettra de côté, par la suite. Ainsi en est-il des rites dont l'humanité ne pourra se passer que lorsqu'elle sera devenue apte à « l'adoration en esprit et en vérité » annoncée par Jésus. Les temples de pierre resteront indispensables tant que « l'Agneau de Dieu Lui-même, l'Amour infini, ne sera pas devenu le temple unique dans le coeur des hommes », selon la vision de saint Jean appe-lée l'Apocalypse. (XXI, 22 ).

 Puisque nous croyons que l'origine et la fin de tout, c'est le Christ, c'est-à-dire le Bien suprême et que toutes les créatures parviendront, à la fin des temps, au bonheur éternel, notre devoir est de hâter la venue de Son règne sur la terre, en mettant notre coeur en action, en nous entraînant à aimer tous les êtres.

 Un Ami de Dieu a dit : « Efforcez--vous d'aimer tous ceux qui vous entourent. Souhaitez-leur du bien et ne désirez pour eux que félicité. Et leur joie, que vous créez par ces pensées, vous entourera et votre route, sans nuages, sera douce. 

 Mettons ces paroles en pratique quoti-dienne; ce faisant, nous aurons plus fait pour la paix véritable que toute les tentatives de grand style et que tous les congrès organisés avec fracas pour la pacification du monde et qui n'aboutissent pas, parce que ceux qui y prennent part n'ont pas en eux la paix

 Tout est dans l'homme, en effet : le Ciel et l'enfer; c'est à lui de choisir. S'il cède à ses instincts qui le portent à l'égoïsme, à l'injustice, à la domination des autres, il emploiera la violence et rencontrera la violence qui le fera souffrir à son tour; il prolongera ainsi indéfiniment la durée de sa prison terrestre et il contribuera à la prolonger pour le reste de l'humanité. Mais, si l'enfer est en nous, le Ciel aussi est en nous. Pour Le trouver, il suffit d'obéir avec persévérance à Ses commandements intérieurs, car le Ciel c'est Dieu. Et que peut nous commander Celui qui est tout amour, qui est l'Amour infini, si ce n'est de nous aimer les uns les autres; de nous pardonner les uns aux autres, de nous entr'aider de toutes les manières; en un mot, de devenir tous de vrais amis les uns pour les autres ?

 En nous efforçant de vivre selon cet amour, nous nous acclimatons à l'atmosphère du Ciel ou plutôt nous attirons le Ciel en nous, car Il ne demande qu'à descendre et à Se donner, conformément à cette parole divine : « Mes délices, c'est d'habiter parmi les enfants des hommes. »

 Et, lorsque nous aurons le Ciel en nous, Ses effluves de joie, de paix et d'amour ne se feront-ils pas sentir à tous ceux qui nous approchent et même jusqu'aux confins du monde, puisque toutes les créatures sont solidaires les unes des autres?

 C'est par là, croyez-le, que se fera l'union de tous. Ce qu'il nous faut, ce n'est donc pas des discoureurs ni même des savants; la terre n'en manque pas; ce qu'il faut, ce sont des disciples au coeur embrasé qui communiquent la céleste flamme partout où ils se trouvent, qui vont consolant les affligés, relevant ceux qui se découragent, réconciliant les ennemis, pleurant avec ceux qui pleu-rent, allégeant les souffrances de tous et déposant dans les coeurs ce quel-que chose qui vient d'En Haut et qui fait qu'ils se réveillent et, s'enflammant à leur tour, répandent autour d'eux la même divine semence. Devenons de ces disciples-là et ainsi, de proche en proche, se fera l'universelle pacification : « l'U-nion en esprit et en vérité ».