Celui qui est Vivant
Après la mort et l'ensevelissement du Christ, les saintes femmes vinrent, le troisième jour, au sépulcre, et constatèrent que la pierre avait été ôtée. Elles entrèrent ensuite et ne trouvèrent point le corps du Seigneur Jésus.
Comme elles en éprouvaient une grande consternation, deux hommes parurent tout à coup devant elles, avec des vêtements brillants. Elles étaient saisies de frayeur et tenaient leurs yeux baissés à terre et les deux anges leur dirent : " Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est vivant ? " (Luc XXIV, 1 à 5).
Cette interrogation ne pourrait-elle pas nous être adressée, à nous aussi ? Ne cherchons-nous pas parmi les morts Celui qui est la vie même ? Nous poursuivons la conquête du bonheur et de la paix, parmi des ombres vaines qui ne peuvent pas nous les procurer. Et nous nous acharnons dans cette poursuite; les déceptions innombrables ne nous rebutent pas, puisque, après chacune d'elles, nous recommençons notre course, sans nous lasser. Ne devraient-elles pas cependant nous ouvrir les yeux ?
Toute forme, en tant que telle, est vide et morte; elle ne nous charme et ne nous attire que parce qu'elle est le revêtement de la Vie. Or, laissant échapper Celle-ci, nous nous attachons à des hardes qui s'usent et tombent en lambeaux, pauvres loques que la Déesse animait et qui, détachées d'Elle, s'effritent misérablement entre nos mains.
Les richesses matérielles, l'art, la science, la philosophie même représentent ces atours dont se revêt la Vie et qui nous fascinent à cause d'Elle; ce sont les mille visages sous lesquels Elle se montre pour nous attirer; mais, si nous les poursuivons pour eux-mêmes, ils nous laissent ce peu de cendre qui reste du fagot, quand le beau feu qui l'éclairait s'est éteint.
De cette constatation partent en triomphe les sceptiques raisonneurs pour conclure que tout est vain, que tout est faux. Selon eux, la conduite la plus sage la leur, bien entendu est, non pas de se détacher des créatures pour poursuivre l'unique Bien, mais, au contraire, puisque tout est illusion, de s'attacher aux illusions, les sachant telles, de leur prendre ce qu'elles peuvent donner, pendant le court temps de la vie, et, au fond, de se moquer de tout, jetant sur toute chose le sourire ironique du doute et éteignant toute énergie réalisatrice sous son souffle empoisonné.
Une telle attitude est dictée par l'orgueil de l'esprit qui voudrait tout savoir et qui, dans son dépit d'ignorer la Cause première des choses, se hâte d'affirmer que celle-là n'existe pas, que tout est dû au hasard aveugle et que, dès lors, le scepticisme est la seule marque d'une haute intelligence.
Comment ne se rend-on pas compte qu'en raisonnant ainsi, c'est précisément l'intelligence, que l'on voudrait exalter, qu'on sape la première, car si l'on est fondé à douter de tout, à plus forte raison devrait-on d'abord douter de sa propre intelligence, sujette à tant de variations et d'erreurs !
Non, cette attitude orgueilleuse ne sera pas la nôtre; elle ne peut être celle de l'homme de bonne volonté. Celui-ci, voyant ses limites et son impuissance à saisir la Vérité, sera loin de conclure qu'Elle n'existe pas. Il reconnaîtra plutôt que, s'il ne la voit point, c'est à cause de l'imperfection de son mental inapte encore à la recevoir et il s'appliquera à le purifier, de manière à le rendre pénétrable à ses divins rayons.
Est-ce que le poisson qui vit dans l'obscurité, au fond des mers, est fondé à nier l'existence du soleil, des étoiles, des forêts, des montagnes et de toutes les beautés terrestres, sous le prétexte qu'il ne les voit pas ?
Soyons assez humbles pour convenir de notre cécité intellectuelle et n'en accuser que nous-mêmes et notre propre imperfection et, alors, la Vérité commencera à descendre en nous. Si nous faisons ce qu'il faut pour cela, c'est-à-dire si nous obéissons en tout et toujours aux ordres intérieurs de notre conscience, si nous observons à fond la Loi morale, si nous gardons fidèlement le commandement de la charité envers le prochain, la Vie elle-même s'approchera de nous. Nulle nécessité, pour la trouver, de parcourir tout le champ des connaissances humaines, de sonder les ésotérismes et les philosophies : la chose la plus simple et la plus humble suffira à nous la révéler, car le moindre objet la contient : " Rien de ce qui a été fait ne l'a été sans le Verbe. " Les saints ne brûlent-ils pas de la vie la plus intense, même au fond des déserts ?
Le grand point donc est de ne pas nous obstiner à " chercher parmi les morts parmi les formes vides Celui qui est vivant. " Si nous faisons abstraction de toute chose hormis Dieu, tout en nous sacrifiant sans cesse en faveur de la moindre de Ses créatures, pour Lui et en Lui, nous finirons par Le sentir en nous, par Le voir et peut-être, pourquoi pas ? par Le rencontrer, quelque jour, sous une apparence physique, c'est-à-dire par trouver le Maître qui est Sa forme incarnée.
La merveille, la nouveauté que le Christianisme a introduite dans le monde, c'est de rendre ces rencontres possibles. Jésus n'était-Il pas Dieu même dans un corps matériel ? N'a-t-Il pas vécu de la vie commune comme chacun de nous ?
N'est-Il pas apparu, après Sa résurrection, d'abord aux pèlerins d'Emmaus et, ensuite, aux disciples réunis à qui Il a dit : (Luc XXIV 38 et suiv.) " Pourquoi vous troublez-vous ?... Regardez mes mains et mes pieds : c'est moi-même; touchez et voyez, un esprit n'a chair ni os comme vous voyez que j'en ai... " Et, pour leur enlever tout doute, il mangea en leur présence.
Pourquoi ce qui a eu lieu ne pourrait-il pas se renouveler ? Nous en avons pour garant les promesses formelles de Jésus : " Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus et encore un peu de temps et vous me verrez.." (Jean XVI, 16).
Et, afin d'expliquer Sa disparition temporaire suivie de Son retour, Il ajouta : " En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez et le monde se réjouira; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie... Je vous verrai de nouveau et votre coeur se réjouira et personne ne vous ravira votre joie. "
Au cours de tous les siècles, depuis que ces paroles ont été prononcées, quelques disciples privilégiés, collaborateurs fidèles de leur Maître dans le gouvernement spirituel de notre globe, ont été, même sur le plan physique, en contact constant avec Lui.
Les favorisés de cette intimité exceptionnelle et ici, il va de soi que nous ne parlons pas des simples visionnaires vrais ou faux, ni même des natures à extases et à ravissements, mais des authentiques soldats de l'unique Chef ces favorisés, disons-nous, conservent l'incognito et gardent jalousement leur secret, car il s'agit de rapports trop augustes pour être divulgués et communiqués à la foule.
Il y a des choses qui dépassent notre entendement et d'autres que le public doit ignorer, de crainte de les profaner et de troubler les faibles.
Il en est, en somme, du monde spirituel comme du monde sensible : " ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. " Dans l'univers physique, nous constatons qu'il n'y a nulle part de solution de continuité, mais une gradation ascendante en toutes choses qu'une harmonie intrinsèque relie les unes aux autres. Des chaînons intermédiaires existent entre les diverses espèces végétales ou animales et du règne animal au règne végétal, ainsi que de ce dernier au minéral. De même, dans le monde moral, les êtres s'étagent depuis la brute jusqu'à l'ange, depuis les criminels et les assassins jusqu'aux héros de la vertu et du sacrifice.
Au-dessus de ces derniers sont les vrais disciples qui s'incarnent, par intervalles et représentent les chaînons spirituels reliant notre pauvre humanité au royaume surnaturel. Ils sont le sel de la Terre qui l'empêche de se corrompre trop. Étant devenus des êtres tout d'amour, ils sont en communication constante avec Celui qui est Amour. Les autres, qui ne font que suivre de loin leurs exemples, ne peuvent aspirer qu'à Le voir occasionnellement.
Les traditions des peuples chrétiens attestent, d'ailleurs, que ces rencontres ont lieu de temps en temps. Quand une âme est devenue assez humble pour reconnaître son néant, pour s'avouer qu'elle n'est rien, qu'elle ne sait rien et ne peut rien, il lui arrive de se voir favoriser de la Présence physique de son Seigneur.
Nous ne devons pas croire que nous pouvons, en quelque manière que ce soit, provoquer cette Rencontre : outre que ce serait de l'outrecuidance de notre part, nos efforts volontaires seraient vains, car Il a dit Lui-même " qu'Il viendrait comme un voleur ".
Tout ce que nous avons à faire, c'est de " veiller et prier dans l'attente de l'Époux ", c'est-à-dire de travailler en toute humilité et d'obéir sans cesse. Qu'il nous suffise de savoir que le bonheur du Ciel n'est pas seulement après la mort, car il ne suffit pas de mourir physiquement pour l'avoir; par contre, il est possible dès ici bas à celui qui sait mourir à soi-même, prendre sa croix et suivre Jésus qui ne peut manquer de réaliser sa promesse (Jean XIV, 18 et 19) :
" Je ne vous laisserai pas orphelins; je viendrai à vous... Le monde ne me verra plus. Pour vous, vous me verrez, parce que je vis et que vous vivrez. "
Emile Catzeflis