I TIMOTHÉE XV
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

Accueil
Remonter
PRÉFACE
I TIMOTHÉE I
I TIMOTHÉE II
I TIMOTHÉE III
I TIMOTHÉE IV
I TIMOTHÉE V
I TIMOTHÉE VI
I TIMOTHÉE VII
I TIMOTHÉE VIII
I TIMOTHÉE IX
I TIMOTHÉE X
I TIMOTHÉE XI
I TIMOTHÉE XII
I TIMOTHÉE XIII
I TIMOTHÉE XIV
I TIMOTHÉE XV
I TIMOTHÉE XVI
I TIMOTHÉE XVII
I TIMOTHÉE XVIII
II TIMOTHÉE I
II TIMOTHÉE II
II TIMOTHÉE III
II TIMOTHÉE IV
II TIMOTHÉE V
II TIMOTHÉE VI
II TIMOTHÉE VII
II TIMOTHÉE VIII
II TIMOTHÉE IX
II TIMOTHÉE X

HOMÉLIE XV. MAIS ÉVITEZ LES VEUVES TROP JEUNES; CAR, LORSQU'ELLES SONT SORTIES DES BORNES DE LA MODESTIE CHRÉTIENNE, ELLES VEULENT SE MARIER, ET SONT CONDAMNABLES PARCE QU'ELLES ONT TRANSGRESSÉ LEUR FOI PREMIÈRE. ELLES SONT D'AILLEURS OISIVES ET APPRENNENT A SE PROMENER DE MAISONS EN MAISONS; NON-SEULEMENT OISIVES, MAIS BAVARDES ET CURIEUSES, DISANT CE QU'ELLES NE DEVRAIENT PAS DIRE. JE VEUX DONC QUE LES JEUNES VEUVES SE MARIENT, AIENT DES ENFANTS, GOUVERNENT LEUR MAISON, ET NE DONNENT POINT A L'ENNEMI UNE OCCASION DE DIFFAMATION. CAR DÉJÀ QUELQUES-UNES ONT ÉTÉ DÉTOURNÉES DE LEUR VOIE, A LA SUITE DE SATAN. (V, 11-15 JUSQU'À 21.)

334

 

Analyse.

1. Se défier des jeunes veuves. — L'oisiveté enseigne tous les vices.

2. Tout ouvrier mérite un salaire, l'ouvrier de la prédication non moins que les autres.

3, 4. Instabilité et néant des choses humaines.

 

1. Paul tient grand compte des veuves; il a déterminé leur âge, en disant: « Qu'elle n'ait  pas moins de soixante ans », et fait connaître les qualités qu'elles doivent remplir quand il ajoutait : « Si elle a élevé ses enfants, exercé l'hospitalité, lavé les pieds des saints ». Maintenant il dit encore : « Evitez les veuves trop jeunes ». Quant aux vierges, bien que leur état soit bien plus difficile, il ne fait rien entendre, et avec raison. Pourquoi ? Parce qu'elles se sont enrôlées pour une milice plus haute, et que leur état vient d'une pensée plus sublime. Les mots : « Si elle a exercé l'hospitalité, lavé les pieds des saints » et tout ce qui s'y rapporte, il les a implicitement compris dans l'application aux bonnes oeuvres, et dans cette parole : « Celle qui n'est point mariée songe au service du Seigneur». (I Cor. VII, 34.) Et, s'il ne s'étend pas avec détail sur la question du temps, n'en soyez pas surpris; car les conséquences de ce qu'il dit sont fort claires. J'ai dit ailleurs qu'une grande pensée leur a fait choisir la virginité. En outre il s'était déjà produit des chutes, et c'est à l'occasion des coupables que vient cette prescription dont il n'est pas question dans l'autre passage. Qu'il y en ait eu, cela résulte clairement de ces mots : « Car lorsqu'elles sont sorties des bornes de la modestie chrétienne, elles veulent se marier », et de ceux-ci : « Car déjà quelques-unes ont été détournées de leur voie, à la suite de Satan ». — «Evitez les veuves trop jeunes ». Pourquoi ces mots : « Car lorsqu'elles sont sorties des bornes de la modestie, elles veulent se marier?» Et qu'est-ce à dire : « Sorties des bornes de la modestie?» C'est lorsqu'elles sont coquettes, amollies par les délices; semblables à l'épouse d'un homme de bien, qui l'abandonnerait pour un autre. L'apôtre fait voir par là, qu'elles avaient embrassé la viduité sans une résolution réfléchie. La vraie veuve devient épouse du Christ dans son veuvage. Car c'est lui, dit l'Ecriture, qui est le protecteur des veuves et le père des orphelins. (Ps. LXVII, 5, 6.) L'apôtre fait voir qu'elles n'ont pas vraiment choisi la viduité, mais qu'elles se sont livrées à la mollesse. Il les supporte cependant; mais il dit ailleurs aux Corinthiens : « Je vous ai fiancés comme une vierge chaste au Christ pour unique époux ». (II Cor. XI, 2.) Et, après qu'elles se sont inscrites au nombre des veuves, « elles veulent se marier, et sont condamnables, parce qu'elles ont transgressé leur foi première ». Par leur foi, il entend leur promesse; elles ont menti, abandonné le Christ, transgressé leurs engagements.

« Elles apprennent d'ailleurs à être oisives ». Car ce n'est pas seulement aux hommes que le travail est prescrit; c'est aussi aux femmes, car l'oisiveté enseigne tous les vices. Et ce n'est pas seulement de leurs fautes qu'elles ont à répondre, mais des péchés d'autrui. S'il est inconvenant pour une femme de se promener de maisons en maisons, combien plus à une vierge ! « Non-seulement elles apprennent à être oisives, mais bavardes et envieuses, disant ce qu'elles ne devraient pas dire. Je veux donc que les jeunes veuves se marient, aient des enfants, gouvernent leur (335) maison ». Qu'arrivera-t-il en effet, si une femme n'a plus à s'occuper de son mari, et que la pensée de Dieu ne la remplisse pas? Elle deviendra naturellement oisive, bavarde et curieuse. Car celui qui ne se préoccupe pas de ce qui le regarde, se préoccupe sans cesse des affaires d'autrui ; de même que celui qui songe à ce qui le concerne n'aura ni souci ni curiosité de ce qui regarde les autres. « Disant ce a qu'elles ne devraient pas dire ». Rien n'est si inconvenant pour une femme que ces recherches d'une vaine curiosité, et non-seulement pour une femme, mais pour un homme, car c'est une grande preuve d'effronterie et d'impudence. « Je veux donc », puisqu'elles le veulent, je le veux aussi moi, « que les jeunes veuves se marient, aient des enfants, gouvernent leur maison » et s'y tiennent, car cela vaut beaucoup mieux que de se conduire ainsi. Il fallait se préoccuper du service de Dieu et lui garder fidélité; mais, puisqu'il n'en est point ainsi, mieux vaut se marier, car Dieu n'est pas renoncé et elles ne contractent pas ces défauts. Une telle viduité ne produit rien de bon, et au contraire , en pareil cas, le mariage a d'heureux effets; il pourra détourner leurs esprits de la langueur et de la paresse. Et pourquoi, voyant la chute de plusieurs, n'a-t-il pas dit qu'elles devaient être l'objet de grands soins pour ne pas tomber dans un tel malheur, mais leur recommande-t-il le mariage? Parce que le mariage n'est pas défendu. « Qu'elles ne donnent point à l'ennemi une occasion de diffamation », ni de prise aucune ; « car déjà quelques-unes ont été détournées de          leur voie, à la suite de Satan ». Il s'oppose donc à une viduité pareille, ne voulant pas de veuves trop jeunes qui se rendent coupables d'adultère, ne voulant pas d'oisives, qui disent ce qu'elles devraient taire, de curieuses, qui donnent occasion au démon; si pareille chose n'avait pas eu lieu, il n'aurait pas mis cette opposition.

«Mais, si quelque fidèle a près de lui des veuves, qu'il pourvoie à leurs besoins, et que l'Église n'en ait pas le fardeau, afin qu'elle suffise à celles qui sont vraiment veuves (16) ». Il appelle de nouveau vraiment veuves, celles qui vivent dans la solitude et qui n'ont de consolation nulle part. Le conseil que donne ici l'apôtre est excellent, il produisait deux grands résultats : Les uns trouvaient une occasion de faire le bien en nourrissant ces veuves, — et l'Église n'était pas surchargée. Il ajoute fort à propos : « Si quelque fidèle »; car les veuves fidèles ne devaient pas être nourries par les infidèles, il ne convenait pas qu'elles eussent besoin d'unetelle assistance. Et voyez comment il est peu exigeant. Il ne parle point d'un secours dispendieux, mais dit seulement : « Qu'il pourvoie à leurs besoins, afin que l'Église... suffise à celles qui sont vraiment veuves ». Le bienfaiteur aura double récompense; car en assistant l'une, il aide aussi les autres, en permettant à l'Eglise de les secourir plus largement. « Je veux que les jeunes veuves » — Et quoi ? vivent dans la mollesse ? dans les délices ? Nullement; mais « se marient, aient des enfants, gouvernent « leur maison ». Et la gouvernent, comment? Afin que l'on ne pense pas qu'il les engage à une vie molle, il ajoute: « Et ne donnent point à l'ennemi une occasion de diffamation ». Elles devaient être au-dessus des pensées mondaines; puisqu'elles sont descendues plus bas, qu'elles sachent au moins s'y maintenir.

2. « Que les prêtres qui administrent bien soient jugés dignes d'un double honneur, surtout ceux qui se fatiguent ans la parole et l'enseignement. Car l'Écriture dit : Vous ne lierez point la bouche du boeuf qui travaille dans l'aire, et : Le travailleur mérite de recevoir son salaire (18) ». Par l'honneur il entend les soins et l'attention à fournir les objets nécessaires à la vie, comme on le voit par les textes qu'il cite. Lorsqu'il dit : « Honorez les veuves », il parle de même de pourvoir à leur subsistance; car il dit aussi: «Afin que l'Église puisse suffire à celles qui sont vraiment veuves», et: « Honorez celles qui sont vraiment veuves », c'est-à-dire qui sont dans la pauvreté, car elles sont d'autant plus veuves. Il cite des paroles de la loi et des paroles du Christ, paroles qui concordent entre elles. Car la loi dit : « Vous ne lierez point la bouche du boeuf qui travaille dans l'aire ». (Deut. XXV, 4.) Vous voyez dans quelles conditions il veut que travaille celui qui enseigne. Il n'est point de travail semblable à celui-là, il n'en est point. Voilà le témoignage de la loi; et celui du Christ, le voici : « Le travailleur mérite de recevoir son salaire ». (Luc, X, 7.) Ne nous attachons pas pour cela seulement au salaire, et le Christ le fait entendre puisqu'il dit : « Celui qui travaille mérite de trouver sa nourriture ». (Matth. X, 10.) En sorte que s'il vit dans la (336) mollesse et le relâchement, il n'est pas digne. Si le boeuf ne travaille pas dans l'aire, s'il ne traîne pas un joug pesant, sous une chaleur étouffante et à travers les épines, s'il ne persévère pas jusqu'à la fin de sa tâche, il n'a pas gagné les aliments qu'on lui laisse prendre. Mais il faut certes que ceux qui enseignent se voient fournir en abondance les objets nécessaires à la vie, afin qu'ils ne succombent pas à la fatigue, et de peur qu'ayant à s'occuper de petites choses, ils ne se détournent des grandes; ils se donneront ainsi aux oeuvres spirituelles, sans songer aux besoins de la vie.

Tels étaient les lévites : ils ne pensaient pas aux moyens de vivre; c'était aux laïques à y pourvoir envers eux, et la loi prescrivait de payer la dîme du revenu, les offrandes sur les objets en or, les prémices, les voeux et plusieurs autres objets. Ces avantages étaient justement garantis par la loi à des hommes qui. cherchaient les avantages de la vie présente; mais je ne demande pour ceux qui gouvernent les églises rien de plus que la nourriture et le vêtement, afin qu'ils ne soient pas entraînés à y donner leurs pensées. Et qu'est-ce qu'un double honneur? Double de celui des veuves, ou des diacres, ou simplement un grand honneur. Ne nous arrêtons pas à ce mot de double honneur, mais à ce que  l’apôtre y  a joint : Ceux qui administrent bien. Et quels sont-ils? Ecoutons la parole du Christ : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » . (Jean, X, 11.) Ainsi bien administrer, c'est ne rien épargner pour prendre soin de son troupeau. Principalement ceux qui travaillent dans la prédication et l'enseignement. —Où sont ici ceux qui disent qu'il n'est pas besoin de parole et d'enseignement? Quand l'apôtre donne de tels avis à Timothée — « Méditez ces choses, attachez-vous-y ». Et ailleurs: « Appliquez-vous à la lecture, à l'exhortation, car, en le faisant, vous vous sauverez vous et ceux qui vous écoutent ». (I Tim. IV, 15.) Voilà ceux que l'apôtre veut que l'on honore plus que tous les autres, et il en donne le juste motif c'est qu'ils supportent de grandes fatigues. Car lorsque l'un ne veille ni ne médite, mais reste tranquillement assis sans crainte ni soucis, tandis que l'autre se fatigue en occupant son esprit et ses soins, surtout s'il est étranger à la science profane, comment celui-ci ne devrait-il pas être honoré grandement et plus que tous les autres, quand il se donne tant de peines? Il est exposé à bien des langues; l'un l'a blâmé, l'autre l'a loué, un troisième l'a raillé, un quatrième a attaqué sa mémoire ou sa méthode ; il lui faut bien de la force pour endurer tout cela. C'est une grande chose pour l'édification d'une église, c'est une chose de grande importance, que de savoir enseigner, quand on la gouverne; sans cela bien des choses tombent en ruine, C'est pour cela qu'avec les autres qualités, avec l'hospitalité, la modération, en demandant que l'évêque soit irréprochable, l'apôtre ajoute: « Qu'il sache enseigner »; Le docteur, ce doit être celui qui, par sa vie, enseigne l'amour de la sagesse. Rien de mieux; mais il faut en même temps l'enseigner par ses discours. C'est pour cela que Paul dit : « Surtout ceux qui se fatiguent dans la parole et l'enseignement»; car, quand il s'agit d'exposer les dogmes, quelle vie saurait suppléer aux paroles ? Et quelles paroles? Non celles qui sont pompeuses et revêtues d'ornements profanes, mais des paroles pleines de force, de lumière et de prudence. Ce qu'il faut, ce n'est pas l'art du style et du langage; il faut des pensées, de quelque façon qu'on les exprime; non l'art de la com. position, mais seulement la sagesse.

« N'accueillez pas d'accusation contre un ancien, s’il n'y a deux ou trois témoins (19) ». Faut-il donc accueillir contre un jeune homme, ou contre qui que ce soit, une accusation sana témoignage? Ne faut-il pas prêter l’oreille avec un discernement scrupuleux ? Que veut donc dire l'apôtre? Qu'il ne faut accueillir ces sortes d'accusations contre personne , mais surtout contre un ancien. Et il ne parle pas ici de la dignité sacerdotale, mais de l'âge, car les jeunes gens sont plus sujets à faillir que les vieillards. Il est évident par tout ceci que désormais une église est confiée à Timothée, ou même toute la province d'Asie; aussi lui parle-t-il des anciens. — « Ceux qui sont en faute, réprimandez-les en présence de tous, afin que les autres en conçoivent de la crainte (20) ». C'est-à-dire, ne les rejetez pas trop vite, mais examinez tout avec une grande exactitude; et, quand vous vous serez rendu clairement compte de l'affaire, montrez-vous plein d'énergie, afin que les autres deviennent plus retenus. Car, s'il est nuisible de con. damner sans raison, ne pas agir contre les fautes manifestes, c'est ouvrir la voie aux autres, pour qu'ils osent en faire autant. Il ne dit (337) pas seulement de réprimander, mais de le faire avec sévérité, car c'est ainsi que-les autres en concevront de la crainte. Pourquoi donc le Christ a-t-il dit: « Va, et reprends ton frère entre toi et lui seul, s'il a péché contre toi » (Matth. XVIII, 15), tandis que Paul permet de l'accuser devant l'Eglise ?

3. N'y aura-t-il pas là plus de scandale? Pourquoi ? Il y en aurait davantage si l'on connaissait la faute et non le châtiment. Mais de même que, si les fautes restent impunies, les coupables se multiplient, de même la répression en redresse un grand nombre. C'est ce qu'a fait Dieu, en châtiant aux yeux de tous Pharaon, Nabuchodonosor et bien d'autres; nous voyons que cités et individus ont porté la peine de leurs crimes. L'apôtre veut donc que tous craignent l'évêque, et il lui donne autorité sur tous. Parce que souvent les accusations proviennent du ressentiment, dit-il, il faut des témoins, des hommes qui discutent contre l'accusé, conformément à l'ancienne loi. « Toute parole doit être appuyée par deux ou trois témoins ». (Deut. XIX, 15.) « N'accueillez pas d'accusation contre un ancien ». Il n'a pas dit : Ne condamnez pas, mais : N'accueillez pas même d'accusation, ne le traduisez pas en jugement. Mais si deux témoins mentent? Cela est rare, mais on peut l'éclaircir dans le jugement et faire briller la vérité. On doit s'estimer heureux qu'une faute ait deux témoins, car elles se commettent en secret et à la dérobée; en sorte que c'est là matière à examen approfondi. Mais si les fautes sont reconnues et qu'il n'y ait pas de témoins, mais qu'on ait mauvaise opinion de l'affaire? L'apôtre l'a dit plus haut : « Il faut que, l'évêque ait bon témoignage de ceux du dehors».

Ayons donc l'amour et la crainte de Dieu. Il n'y a point de loi pour le juste, mais la plupart, suivant la vertu par contrainte et non par préférence, retirent de grands fruits de la crainte et répriment souvent leurs mauvais désirs. Ecoutons à cause de cela les menaces qui nous sont faites de l'enfer, afin de recueillir les précieux fruits de cette crainte. Car si Dieu, qui y précipitera les pécheurs, ne nous en eût pas d'avance adressé la menace, un bien grand nombre y fussent tombés. Si en effet, maintenant que la terreur agite nos âmes, il s'en trouve plusieurs qui pèchent si facilement, comme s'il n'y avait pas d'enfer, quels crimes ne commettrions-nous pas si nous n'en avions ni la révélation ni la menace, en sorte, comme je le dis sans cesse, que l'enfer ne montre pas moins l'intérêt que Dieu nous porte que son royaume céleste. L'enfer conspire avec le paradis, puisque la crainte de l'un nous pousse vers l'autre. Ne croyons donc pas que c'est l'oeuvre d'un être cruel et impitoyable, mais plutôt l'œuvre de la miséricorde et d'une immense bonté, du zèle avec lequel il veut nous attirer à lui. Si Ninive n'eût pas été menacée par clonas de sa ruine, cette ruine se serait accomplie ; s'il n'eût pas dit que Ninive serait détruite, Ninive n'aurait pas subsisté; si nous n'avions été menacés de l'enfer, nous y serions tous tombés; si nous n'avions été menacés du feu, nul n'y eût échappé. Dieu dit le contraire de ce qu'il veut, afin d'accomplir ce qu'il veut : il ne veut pas la mort du pécheur, et il parle de la mort du pécheur, afin qu'il ne se précipite pas dans la mort. Ce n'est pas une simple parole; il nous montre la réalité, afin que nous l'évitions.

Et pour que personne ne pense que c'est une vaine menace, pour qu'on en connaisse la réalité, ce qui s'est passé en ce monde le rend manifeste. Le déluge de pluie qui a fait périr le genre humain n'est-il pas une image de la géhenne du feu? « De même », dit l'Evangile , « que dans les jours de Noé.., il y avait des hommes qui se mariaient, des hommes qui donnaient leurs filles en mariage... il en sera de même alors». (Maith. XXIV, 37, 38.) Il a prédit , cet événement longtemps d'avance; dans l'Evangile encore il le prédit d'avance quatre siècles et davantage (1) ; mais nul ne médite ses menaces, tous les regardent comme des fables et comme un objet de risée ; nul n'a de crainte, nul ne pleure ses fautes, nul ne se frappe la poitrine. Le fleuve de feu bouillonne, la flamme s'élève, et nous, nous rions, nous vivons dans les délices, nous péchons sans crainte. Nul ne fait entrer dans son esprit ce dernier jour, nul ne pense que la vie présente r passe, que tout ce que nous voyons n'a qu'un temps, bien que chaque jour les événements nous le crient et nous fassent entendre leur voix. Les morts prématurées, les changements qui ont lieu même pendant notre vie, ne nous instruisent pas, non plus que nos maladies de toute sorte. Et ce n'est pas dans nos corps seulement, mais dans les éléments aussi que l'on

 

1 L'orateur s'exprime ainsi parce qu'il parle quatre siècles après Jésus-Christ, dans l'ignorance absolue du temps où viendra le dernier jour.

 

338

 

peut voir les changements se produire: tout nous donne occasion de méditer sur cela même dans notre jeunesse ; partout et en tout l'instabilité est signalée. Ni l'hiver, ni l'été, ni le printemps, ni l'automne ne se sont jamais arrêtés dans leur cours; ils s'écoulent, ils s'envolent. Mais que dis je les années et les fleurs? Voulez-vous parler des dignités? des rois qui sont aujourd'hui et ne seront plus demain, des riches, des demeures somptueuses, de la nuit et du jour, du soleil? N'est-il pas souvent éclipsé, disparu dans les ténèbres, caché par un nuage? Rien demeure-t-il de tout ce que nous voyous? Non, rien que notre âme, et nous la négligeons; nous faisons grand cas de ce qui change, et ce qui demeure à jamais, nous y restons indifférents, comme s'il nous échappait sans cesse. — Un tel est puissant. — Oui, jusqu'à demain, et ensuite il périra; vous le voyez par l'exemple de ceux qui furent plus puissants que lui et qui ont disparu. La vie est un théâtre, un songe. De même que, chez les acteurs, quand le théâtre est enlevé, la diversité des rôles disparaît, de même que les songes s'envolent aux premiers rayons du matin, de même ici quand notre rôle est achevé dans la vie publique ou privée, tout se dissipe et disparaît. L'arbre que vous avez planté, la maison que vous avez bâtie demeurent après vous; l'architecte et le laboureur sont enlevés et meurent. Et, quand nous en sommes témoins, cela ne nous change point; nous disposons tout comme si nous étions immortels, et nous vivons dans le luxe et la mollesse.

4. Ecoutez ce que dit Salomon, qui a éprouvé par lui-même ce que sont les choses de la vie présente : « Je me suis élevé des demeures », dit-il, « j'ai planté des jardins et des parcs, des vignobles... des piscines... j'ai acquis de l'or et de l'argent... je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses, des troupeaux de gros et de menu bétail ». (Eccl. II, 4-8.) Nul n'a joui de tant de délices, nul n'a été si illustre et si sage, nul n'a été maître si puissant, nul n'a connu comme lui les événements passés. Mais quoi ! rien de tout cela ne l'a satisfait, et que dit-il après en avoir joui ? « Vanité des vanités, tout est vanité » (Ib. 1, 2.) Non pas vanité seulement, mais il s'exprime avec plus d'énergie. Croyons-en, je vous en conjure, un homme qui en a fait l'expérience, écoutons-le et entreprenons des choses où l'on ne trouve pas la vanité, mais où réside la vérité, où tout est solide et stable, où tout est fondé sur la pierre, où rien ne vieillit ni ne passe, où tout est florissant et jeune, où le temps n'a point d'action, où rien ne doit dis. paraître. Je vous en conjure, désirons sincèrement Dieu, non par la terreur de l'enfer, mais par le désir du royaume éternel. Dites-moi, en effet, qu'y a-t-il de semblable au bonheur de voir le Christ? Rien assurément. Qu'y a-t-il de semblable à la jouissance des biens célestes? Assurément rien. Biens « que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus, qui n'ont point pénétré dans le coeur de l'homme et que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment ». (I Cor. II, 9.)

Efforçons-nous de les obtenir, et méprisons les biens terrestres. Ne nous plaignons-nous pas souvent de ce que la vie de l'homme n'est rien ? Pourquoi donc cet empressement pour un rien ? Pourquoi se donner tant de peine pour un rien? Vous considérez des habitations somptueuses; est-ce cette vue qui vous trompe? Levez donc les yeux au ciel, comparez-en la beauté avec ces pierres et ces colonnes, et vous verrez qu'elles ne sont qu'un ouvrage de fourmis et de moucherons. Adonnez-vous à la contemplation, élevez-vous vers les objets célestes, voyez de là ce que sont de somptueux édifices, et vous verrez qu'ils ne sont rien que des jeux de petits enfants. Vous savez que l'air devient plus subtil, plus léger, plus pur, plus transparent, à mesure que l'on s'élève ? C'est dans une semblable région qu'ont leurs demeures, leurs tabernacles, ceux qui pratiquent les oeuvres de miséricorde. Toute habitation terrestre sera détruite à la résurrection, et, avant la résurrection, le temps, dans son cours, la détruit, la dissout, la fait disparaître. Souvent même, avant l'action du temps, dans l'éclat de la nouveauté, un tremblement de terre la renverse, un incendie la dévore; car il y a des morts prématurées pour les édifices, comme il y en a pour les hommes: souvent, quand la terre est ébranlée, des bâtiments usés par le temps restent en équilibre, et ceux qui brillent de jeunesse, qui sont solides et nouvellement achevés, sont ébranlés et renversés par la foudre seule; Dieu l'a réglé ainsi sans doute pour que nous ne soyons pas orgueilleux de nos constructions. Voulez-vous ne pas vous laisser décourager? Allez dans ces édifices publics dont vous (339) jouissez comme les autres; car il n'est point de maison, il n'en est point, quelque somptueuse qu'elle soit, qui l'emporte sur les édifices publics; demeurez-y autant qu'il vous plaira, ils sont à vous, à vous comme aux autres; ils sont publics et non privés. Mais cela ne vous satisfait pas, dites-vous. Non, d'abord par l'effet de l'habitude, puis par celui de la cupidité. C'est donc la cupidité qui fait l'agrément d'une chose, et non sa propre beauté. Le plaisir c'est d'être cupide et de vouloir s'approprier ce qui est à tous.

Eh ! jusques à quand serons-nous cloués et collés à la terre? Jusques à quand nous roulerons-nous dans la boue comme des vermisseaux? Dieu nous a fait un corps de terre afin que nous l'élevions vers le ciel, et non pour qu'il nous serve à abaisser notre âme elle-même vers la terre; mon corps est terrestre, mais, si je le veux, il devient céleste. Voyez quel honneur Dieu nous a fait, en nous confiant une si grande oeuvre. C'est moi, dit-il, qui ai fait le ciel et la terre; je te rends participant de la création : fais de la terre un ciel, tu le peux. On dit de Dieu qu'il fait et qu'il change tout. (Amos, V, 8.) Il a aussi donné cette puissance aux hommes, comme un père plein de tendresse, qui sait peindre, mais qui veut aussi instruire son fils dans cet art. Je t'ai donné, nous dit-il, un corps qui est beau; je te confie l'accomplissement d'une oeuvre plus grande : fais une belle âme. J'ai dit en effet : Que la terre produise l'herbe verdoyante... et les arbres portant des fruits » (Gen. I, 11); dis aussi, toi : Que la terre produise son fruit, et tout ce que tu voudras faire se produira. Je fais la chaleur et le brouillard ; je suis l'auteur du tonnerre et le créateur du vent, j'ai formé le dragon, c'est-à-dire le démon pour me jouer de lui. (Ps. CIII , 26.) Je ne t'ai point envié cette puissance : joue-toi de lui, si tu le veux; car tu peux le lier comme un petit oiseau. Je fais lever mon soleil sur les bons et sur les méchants : imite-moi, fais part de tes biens aux bons et aux méchants. Je suis patient dans les outrages, et je fais du bien à ceux qui me les adressent; imite-moi, car tu le peux. Je fais le bien, non pour en obtenir en retour; imite-moi, et tu ne le feras plus pour obtenir un retour, pour qu'on te le rende. J'ai allumé des flambeaux pour le ciel: allumes-en de plus brillants, car tu le peux; éclaire ceux qui sont dans l'erreur, le bienfait de me connaître est plus grand que celui de voir le soleil. Tu ne peux créer un homme, mais tu peux former un juste, un homme agréable à Dieu. J'ai créé sa substance, embellis sa volonté. Vois combien je t'aime et pour quels grands objets je t'ai donné du pouvoir.

Voyez, mes bien-aimés, quel honneur vous recevez; et cependant il est des insensés, des ingrats qui demandent pourquoi nous sommes maîtres de notre volonté. Dans tous ces objets que nous venons de parcourir, nous pouvons imiter Dieu; il nous serait impossible de le faire si notre volonté n'était pas libre. Je règne, dit-il, sur les anges, et toi aussi par tes prémices. Je suis assis sur un trône royal, et toi aussi par tes prémices (1) : « Il nous a ressuscités et nous a fait asseoir à la droite de « Dieu ». (Ephés. II, 6.) Les chérubins, les séraphins, toute l'armée des anges, les principautés, les puissances, les trônes, les dominations, s'inclinent devant toi à cause de tes prémices. N'accuse pas ton corps, qui jouit d'un honneur si grand, que les puissances incorporelles vénèrent. Mais que dis-je? Ce n'est pas seulement par là que je veux te gagner, mais aussi par mes souffrances. C'est pour toi que l'on m'a craché au visage, que l'on m'a souffleté, que j'ai anéanti ma gloire, et que, descendant du séjour de mon Père, je suis venu vers toi, qui me haïssais, qui te détournais de moi et ne voulais pas entendre mon nom ; j'ai couru à ta poursuite afin de te saisir; je t'ai uni et attaché à moi-même; je t'ai dit : Mange ma chair et bois mon sang; je t’élève au ciel et je viens t'embrasser sur la terre. Je ne me suis pas contenté de placer si haut tes prémices, cela ne suffisait pas à mon amour. Je suis descendu sur la terre; et je ne me joins pas seulement à toi, mais je pénètre tout ton être, je suis mangé par toi, je m'amincis peu à peu, afin que la fusion, que l'union soient plus parfaites. Ce qui s'unit demeure dans les limites de sa propre étendue, mais moi je ne fais plus qu'un tout avec toi. Je veux que rien ne nous sépare plus; je veux que nous ne fassions plus qu'un. Sachant cela, sachant la grande tendresse de Dieu pour nous, faisons tout pour ne pas être indignes de si grands dons; obtenons-les tous dans le

 

1 C'est-à-dire, l'Homme-Dieu, qui est les prémices de l'humanité, et qui est assis à la droite de Dieu son Père. (J.- B. J.)

 

340

 

Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil Remonter Suivante