CHAPITRE XVI

MASSACRE DES INNOCENTS.


Il y avait six mois qu'ils étaient en Egypte, lorsque Hérode, devenu furieux à la nouvelle des diverses choses qu'il apprit être arrivées aux rois Mages à Bethléem, et au saint enfant à Jérusalem, ordonna le cruel massacre .des innocents. Aussitôt que l'ordre barbare du roi commença à s'exécuter, notre grande reine vit que son fils priait le père éternel pour les parents de ces enfants et qu'il offrait ces jeunes victimes qui mouraient, comme les prémices de sa rédemption. Elle vit qu'afin que ces innocents fussent sacrifiés au nom de leur rédempteur, il demanda pour eux l'usage de la raison et qu'il récompensât leur mort par la gloire et la couronne des martyrs. La sainte Vierge connut que le père éternel avait accordé au verbe incarné toutes ces demandes. Elle désirait connaître ce qui était arrivé à Elisabeth et à Jean-Baptiste dans cette cruelle persécution, mais elle n'osait point à cause du respect qu'elle lui portait et de la prudence avec laquelle elle agissait en matière de révélations, néanmoins elle en fit l'humble demande à son très-saint fils. Le Seigneur contenta son pieux désir et lui fit savoir, que Zacharie était mort quatre mois après son enfantement virginal, et qu'Elisabeth alors veuve s'était retirée sans autre compagnie que son fils Jean, dans le désert, pour éviter la persécution d'Hérode, et qu'elle était cachée dans une grotte où elle passait sa vie dans de grandes mortifications. Elle apprit aussi du Seigneur que sainte Elisabeth mourrait dans trois ans, et que Jean-Baptiste continuerait de vivre dans le désert. La sainte Vierge d'après ces nouvelles envoya visiter souvent sa sainte cousine par ses anges et lui fit apporter plusieurs fois de la nourriture, qui fut le meilleur mets qu'elle eût au désert. Lorsque Elisabeth fut sur le point de mourir, elle lui envoya plusieurs de ses anges pour l'assister et ensuite pour l'ensevelir dans cette solitude. Après sa mort, elle envoya jusqu'à sept ans au jeune Jean-Baptiste la nourriture nécessaire, qui était du pain et quelque autre mets. Après sept ans elle ne lui envoya plus rien, parce qu'alors il put déjà se procurer par son industrie sa nourriture, qui consista en herbes, en miel sauvage et en sauterelles.

Elle vit comme si elle eût été présente le cruel massacre des innocents qui furent égorgés par la jalousie insensée d'Hérode, elle en connut le nombre et elle vit qu'il était accordé à tous, (et les uns avaient 8 jours, les autres deux mois, les autres six, mais aucun plus de deux ans), l'usage de la raison, afin qu'ils offrissent volontairement à Dieu leurs vies. Ils reçurent une profonde connaissance de l'essence divine; et les vertus infuses de charité parfaite, d'espérance, de foi et de vertus de religion avec lesquelles ils exercèrent des actes héroïques de foi, d'espérance, d'amour de Dieu et de vénération. Elle vit une multitude d'anges qui assistaient à leur martyre et qui les accompagnaient aux limbes, afin de les amener plus tard dans le paradis. A cette vue enflammée du saint amour, la grande reine entonna, remplie de joie, le cantique; Laudate pueri dominum, et les anges l'accompagnèrent.

Un jour tandis que la sainte Vierge s'entretenait avec saint Joseph son chaste époux de l'incarnation du verbe, le saint enfant voulut donner une consolation à son saint tuteur en lui parlant de vive voix, ce qu'il n'avait encore jamais fait. La première parole qu'il lui dit fut de l'appeler père. Cette parole pénétra tellement le cœur de saint Joseph, que ce fut un miracle qu'il ne se liquéfiât point d'amour. Cela arriva un an après l'arrivée en Egypte. La sainte, Vierge avait toujours tenu emmailloté le saint enfant pendant cette première année, mais jugeant avec raison qu'elle pouvait enfin cesser, elle lui en demanda la permission. II lui fit alors cette réponse: « Ma mère, les liens de mon enfance m'ont paru doux à cause de l'amour que je porte aux âmes que j'ai créées, et que je suis venu racheter; à mon âge parfait je dois être arrêté, lié, conduit à mes ennemis et par eux à la mort, et si ce souvenir m'est agréable dans la vue de plaire à mon père éternel, tout le reste me sera facile. Je ne veux avoir qu'un habit dans ce inonde, car je désire seulement ce qui m'est nécessaire pour me couvrir. Quoique tout ce qui est créé soit à moi, je veux enseigner aux hommes par mon exemple à rejeter tout ce qui est superflu. Vous me revêtirez donc, ma chère mère, d'une longue tunique de couleur sombre qui me servira toujours, elle croîtra aussi avec moi, et ce sera sur elle qu'on jettera le sort à ma mort, car elle ne doit pas même être laissée à ma libre disposition, afin que tous les hommes sachent que je suis né, que j'ai vécu et suis mort pauvre. » La Vierge lui dit alors : je vous demande la permission de vous mettre aux pieds une chaussure, afin que dans un âge si tendre, vos pieds ne soient pas blessés, je désire aussi que vous mettiez cette espèce de ‘toile sous votre tunique pour protéger vos membres contre le rude vêtement de laine. Le Seigneur répondit: Ma mère, je consens à ce qu'à cet âge vous me mettiez quelque pauvre chaussure, jusqu'au temps de ma prédication où je marcherai pieds nu, mais je ne veux pas me servir de linge, pour enseigner au monde et à ceux qui m'imiteront dans la suite, en grand nombre la pauvreté dans les habits. La Vierge mère ayant connu la volonté de son cher fils lui prépara. les sandales de ses propres mains, ainsi que la tunique sans couture qu'elle tissa avec de la laine, tout d'une pièce, et cette tunique s'accrut ensuite toujours à proportion que Jésus grandissait. Elle ne vieillit jamais et ne se salit point pendant trente-deux ans qu'il la porta, et jamais elle ne perdit ni la couleur ni le lustre qu'elle avait la première fois qu'il la revêtit.

La consolation de la sainte Vierge et de saint Joseph fut incroyable, lorsqu'ils virent marcher l'e saint enfant. Il marchait en leur présence sans être soutenu, mais il dissimulait cette merveille pour les étrangers. La sainte Vierge continua néanmoins à l'allaiter trois fois le jour encore pendant six mois. Dans la suite aussi elle lui donnait trois fois ‘une légère nourriture, le matin, à midi et le soir, mais jamais il n'en demandait. Lorsqu'il fut devenu grand il mangea à la même heure que les saints époux, c'était lui qui donnait la bénédiction au commencement du repas et qui disait l'action de grâces à la fin. Aussitôt que Jésus commença de marcher, il allait souvent pour prier dans le petit oratoire de sa mère, Elle ne savait pas si elle devait le laisser seul ou le suivre pour l'imiter en tout et copier ses divines actions, mais il l'engagea lui même à entrer et à rester avec lui. Par cet ordre du Seigneur, elle devint de nouveau le disciple de son divin fils, et dès ce moment il se passa entre eux des. mystères si cachés et si grands, qu'il n'est pas possible à la langue humaine de les raconter. Nous ne devons pas omettre, que dans les saints exercices spirituels que faisaient Jésus et Marie, plusieurs fois dans ces prières, le Sauveur pleura et eut des sueurs de sang. Sa chère mère essuyait ce sang précieux et ces saintes larmes occasionnées, comme elle le découvrait dans l'intérieur de son fils, par la perte des réprouvés et des hommes ingrats envers leur rédempteur. Après avoir atteint l'âge de six ans, il commença à sortir quelquefois de la maison pour visiter les infirmes, les consoler et les fortifier dans leurs afflictions. Un grand nombre d'enfants accouraient vers lui, et il leur enseignait k tous la pratique des saintes vertus et la voie du salut éternel. Dans la maison il commença à prendre dans la conversation un air plus sérieux que lorsqu'il était plus petit. Il cessa les caresses dont il usait à l'égard de sa mère et de saint Joseph, et il apparut sur son visage une si grande majesté, que s'il ne l'avait tempérée par une incomparable douceur, personne n'eût osé lui parler par la crainte respectueuse qu'il imprimait.