CHAPITRE XX

PRÉDICATION DE NOTRE-SEIGNEUR, ET COOPÉRATION DE LA SAINTE VIERGE.


Notre-Seigneur commença à annoncer publiquement, qu'il était le Messie attendu. Il attira à sa suite deux disciples de Jean-Baptiste, l'un d'eux fut saint André, et l'autre saint Jean l'évangéliste. Après ceux-ci il appela saint Pierre, ensuite saint Philippe, qui apprit à Nathanaël la venue du Messie, il le conduisit à Jésus et celui-ci devint le cinquième disciple du Sauveur. Il vint, avec ces cinq disciples dans la Galilée, prêcher publiquement et baptiser. En même temps le Très-Haut annonça à la sainte Vierge, que c'était sa volonté qu'elle accompagnât son fils pour l'accomplissement de l'oeuvre de la rédemption. Elle se montra entièrement docile aux desseins du Très-Haut, et elle lui demanda avec humilité de lui accorder, ou de mourir à la place de son fils, ou au moins d'expirer avec lui.

Les disciples étant instruits du mystère de l'incarnation, furent enflammés du désir de voir, de connaître et de vénérer la mère du Sauveur. Ils demandèrent cette faveur avec de vives instances au Seigneur, et l'ayant obtenue ils se dirigèrent avec le divin maître vers Nazareth. La sainte Vierge eut connaissance de cela, et aussitôt elle prépara avec diligence sa pauvre maison, et prit soin d'apprêter le repas pour ses hôtes. Elle vint à la porte pour recevoir le Sauveur, prosternée devant lui, elle baisa ses pieds et lui demanda humblement la bénédiction; elle fit tout cela en présence des disciples, afin qu'ils apprissent avec quel respect et quelle vénération ils devaient traiter leur divin maître. Elle reçut dans sa maison les cinq disciples et les servit à table, mais non pas à genoux, comme elle faisait pour son fils. Dès que les disciples se furent retirés pour dormir, le Seigneur entra dans l'oratoire de sa mère, qui se prosterna. à ses pieds et lui demanda pardon du peu de soin qu'elle mettait à le servir. Le Seigneur la consola par des paroles de vie éternelle, il la fit lever avec bonté, mais avec une grande majesté et sérénité, car il agissait en ce temps avec elle, avec plus de gravité, pour lui donner occasion de mériter davantage. La très-pure Marie pria son fils de lui donner le sacrement du baptême qu'il avait institué, il y consentit pour l'unir à la société de ceux qui le suivaient, et pour célébrer avec une plus grande solennité ce sacrement, il ordonna que des milliers d'anges descendissent du ciel en forme visible, et Jésus, en leur présence baptisa sa très-sainte mère. En même temps, on entendit la voix du Père éternel qui dit : celle-ci est ma fille bien-aimée en qui je prends mes complaisances, et celle du verbe incarné ; celle-ci est ma mère bien-aimée que je me suis choisie, elle m'assistera dans toutes mes oeuvres, et celle du Saint-Esprit; celle-ci est mon épouse choisie entre mille.

Après son baptême, la grande reine fut invitée à des noces, que célébraient à Cana, des parents au quatrième degré du coté de sainte Anne. La sainte Vierge y alla et apprit aux époux l'arrivée de son fils avec ses disciples. ils eurent la pensée à la persuasion de la divine mère, de l'inviter aux noces, et ils le firent en effet. Le Seigneur entra dans la maison et salua les conviés par ces paroles: que la paix du Seigneur et sa lumière soient avec vous. Il fit ensuite une exhortation à l'époux, lui enseignant ce qui regardait son état, et les moyens à suivre pour y être saint et parfait. La sainte Vierge fit la même chose à l'épouse, et tous les deux dans la suite restèrent très-fidèles à leurs devoirs. Saint Jean était présent avec les disciples du Seigneur à ces saintes instructions, mais il est faux qu'il fut l'époux comme quelques uns l'ont cru. Notre-Seigneur et sa sainte mère mangèrent à table des mets qu'on leur servit, mais avec une grande sobriété, qu'ils cachèrent avec soin. Ils voulurent goûter ces mets, quoiqu'ils n'en mangeassent pas dans leur maison, car ils ne voulaient pas en s'en abstenant entièrement, montrer qu'ils condamnaient la vie commune des hommes, mais au contraire la perfectionner par leurs exemples, s'accommodant à tout sans aucune singularité dans ce qui n'est pas répréhensible et peut se faire avec perfection.

A cette occasion s'accomplit le miracle de l'eau changée en vin, au grand étonnement de celui qui présidait le repas comme intendant, et qui était prêtre de la loi. Il s'étonna, parce qu'étant à la première place, et le Seigneur avec sa mère occupant les dernières, il n'avait pas encore appris le miracle, lorsqu'il goûta le vin. La réponse de Jésus à sa mère, quid mihi et tibi mulier, ne fut pas faite en manière de reproche, mais avec une grande douceur; il ne l'appela pas mère, mais femme, parce que depuis quelque temps il n'usait plus avec elle de la même tendresse de paroles qu'auparavant. Saint Jean appelle ce miracle, le premier des miracles du Seigneur, parce qu'il fut le premier dont il se déclara l'auteur, mais il en avait opéré un grand nombre d'autres en secret.

De Cana Jésus vint à Capharnaüm, et amena avec lui sa mère avec ses nouveaux disciples, ils restèrent là quelques jours, et aussitôt il commença sa prédication dans les divers lieux circonvoisins. Plusieurs femmes pieuses s'unirent à la Vierge mère pour plus de décence et de bienséance. La sainte Vierge instruisait ces saintes femmes et leur répétait ce qu'elle avait appris dans les enseignements de Jésus. Elle opéra aussi plusieurs, miracles et prodiges, elle guérit des aveugles, des boiteux, des malades, elle chassa les démons et ressuscita même des morts, par le pouvoir qu'elle avait reçu de son divin fils. Les souffrances que ressentit la Vierge mère dans tous ses voyages pour nous furent si grandes, que jamais nous ne pourrons suffisamment les reconnaître. Plusieurs fois elle souffrit de si grandes peines, qu'il fut nécessaire que Dieu la secourût miraculeusement, et d'autres fois il rendit son corps si léger, qu'elle n'en sentait pas le poids et qu'elle pouvait se mouvoir sans peine, comme si elle volait. Lorsque le Seigneur prêchait, elle écoutait attentivement comme un simple disciple, quoique le doigt de Dieu eût gravé dans son coeur toute la loi évangélique. Elle prêtait la plus grande attention à la divine parole, et l'écoutait à genoux pour lui rendre lç respect qui lui était dû, ainsi qu'à la personne qui prêchait. En outre, voyant que le Seigneur en prêchant priait intérieurement le Père éternel, afin que la semence de la divine parole portât des fruits, elle faisait aussi la même prière. Elle connaissait l'intérieur, de ceux qui assistaient à la prédication de Jésus, l'état de grâce ou de péché dans lequel ils se trouvaient et selon la diversité de ces états, elle éprouvait en elle-même des sentiments différents. A la vue des âmes qui ne recevaient pas la divine parole elle éprouvait une profonde affliction, et déplorait leur malheur avec des larmes de sang. Au contraire à la vue des âmes qui correspondaient à la grâce, elle bénissait mille fois le Seigneur. Les conversions qu'elle opéra par ses ferventes prières, par ses instructions, et par ses saintes conversations sont innombrables. Elle parlait tantôt aux hommes, tantôt aux femmes, mais jamais en public, ni dans le lieu destiné aux ministres de la parole de Dieu. Elle parlait et mangeait, et avait des rapports avec les disciples, et les saintes femmes qui suivaient Jésus, mais toujours avec poids et mesure. Notre-Seigneur agissait de même, afin que personne ne fût offensé, et ne pensât pas qu'il n'était pas homme véritable et fils naturel de la très-pure Marie.

L'humilité de Marie fut extrêmement admirable en plusieurs occasions. Le Seigneur opérait presque tous les miracles par son entremise et à son intercession, et elle était connue pour la mère de ce maître si célèbre dans la Palestine par ses miracles, il devait dès lors en résulter une grande gloire pour elle, mais elle s'humiliait au-dessous de la poussière, et s'abaissait au-delà de ce que pourraient tous les hommes, elle s'efforçait même d'empêcher l'honneur qui pouvait lui en revenir, lorsqu'elle était présente aux grands miracles qu'opérait le Seigneur. Les évangélistes en rapportent deux occasions; la première fut lorsque le rédempteur délivra du démon le muet; car en ce moment une pieuse femme, cria en l'honneur de la très-sainte Vierge : beatus venter qui te portavit. En entendant ces paroles, l'humble reine pria intérieurement le Seigneur de détourner d'elle cette louange, ce que Notre-Seigneur fit aussitôt par ces paroles: bienheureux sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent. L'autre occasion fut celle que raconte saint Luc au chapitre huitième. En voyant la gloire qui devait lui revenir, à cause du concours du peuple accouru pour entendre son divin fils, jusqu'à ne pouvoir elle-même l'approcher, elle pria aussi intérieurement de détourner d'elle cette gloire. Le Seigneur l'exauça et lorsqu'une voix cria, voici voire mère et vos parents, notre Seigneur répondit ; ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent ma parole et l'observent.

Le démon étonné des nombreuses conversions qui étaient opérées par le Sauveur, eut de grands soupçons s'il n'était pas le Messie, ruais comme Jean-Baptiste en opérait d'aussi nombreuses de son côté, il ne savait distinguer qui des deux l'était. Il employa alors divers moyens pour le savoir, l'un fut de pousser les Pharisiens à envoyer cette ambassade rapportée par l'évangéliste. Mais la réponse du précurseur qu'il était la voix, le jeta dans une perplexité et une incertitude plus grande, car il doutait si cette parole, je suis la voix, ne cachait pas quelque mystère, et ne voulait pas signifier qu'il était la voix du Père, c'est-à-dire le verbe éternel. Quoiqu'il en fut, il se mit à chercher le moyen de le faire mourir et il se servit à cet effet d'Hérode et d'Hérodiade. La très-sainte Vierge vit toutes ses choses, et apprenant que Jean- Baptise était en prison, elle envoya ses anges le fortifier et lui apporter quelquefois la nourriture nécessaire; sachant ensuite qu'il devait être décollé, elle pria Jésus de l'assister en personne, afin de rendre sa mort plus précieuse à ses yeux. Le Seigneur le lui promit et le fit. Il commanda à la divine mère de le suivre, et aussitôt ils se trouvèrent par la vertu divine dans la prison, où le précurseur était renfermé chargé de chaînes et couvert de plaies, car l'adultère Hérodiade avait ordonné à six serviteurs de le flageller l'un après l'autre, sans miséricorde, dans le dessein de lui enlever la vie, avant même que le festin et le bal eussent lieu. A l'arrivée du Seigneur et de sa sainte mère la prison fut remplie de splendeur, les chaînes de Jean-Baptiste tombèrent à terre et ses plaies furent guéries. Le saint se prosterna à terre et leur demanda la bénédiction. Après quelques saints entretiens, il entra dans la prison un bourreau envoyé par Hérode, qui lui trancha la tête en présence de Jésus et de Marie, qui le fortifiaient. Lorsque la tête fut coupée, il s'éleva une dispute entre les bourreaux, pour savoir celui qui devait la porter à Hérode. En ce moment la reine du ciel la prit dans ses mains, et l'offrit au Père éternel. Le Sauveur envoya son âme accompagnée de légions d'anges aux limbes, où son arrivée causa une nouvelle joie aux saints pères, à cause de l'espérance prochaine de leur rédemption. Le saint précurseur reçut toutes ses faveurs par le moyen de la très-sainte Vierge Marie.

Il ne fut pas seul à recevoir des grâces de la miséricordieuse mère, car tous les saints apôtres lui durent les faveurs les plus importantes. Saint Jean reçut par elle la grande science qu'il eut, et son beau titre de disciple bien-aimé du Seigneur. L'apôtre saint Pierre lui dut sa conversion, après les trois reniements de son maître, et saint Jacques son glorieux martyre. Ainsi tous les autres, et surtout la Magdeleine qu'elle instruisit , non-seulement dans les mystères de la rédemption, mais à qui elle enseigna comment elle devait régler sa vie, dans sa retraite de Marseille. Plusieurs fois elle la consola dans ce désert, tantôt par des ambassades d'anges en son nom, tantôt par sa présence, en allant la visiter souvent elle-même. Seul l'apôtre Judas ne sut pas mettre à profit l'inappréciable affection de la grande reine~ Judas vint à la suite de Jésus excité extérieurement par sa doctrine et intérieurement par un esprit bon, et il le pria de le recevoir au nombre de ses disciples. Le Seigneur qui ne rejette personne le reçut, et lui accorda plusieurs faveurs, il se fit même remarquer parmi les autres disciples, et il fut choisi pour un des douze apôtres. La sainte Vierge l'aima aussi, quoique par sa science infuse elle connût déjà la trahison qu'il commettrait. Elle connaissait que le naturel de Judas ne se laisserait pas vaincre par la rigueur, mais qu'il s'endurcirait au contraire toujours davantage, c'est pourquoi elle le traita avec une grande bienveillance et douceur. La bonté de la reine du ciel fut si grande, que les disciples ayant plusieurs fois discuté quel était le plus favorisé de la sainte Vierge, Judas ne soupçonna jamais qu'il put être exclu de cette prérogative. Judas était peu~ favorisé par son naturel, et les apôtres n'étant pas encore confirmés en grâce, avaient leurs défauts, l'imprudent se permit de censurer ceux de ses frères, les jugeant plus grands qu'ils n'étaient et ne fit pas attentions aux siens. Ce défaut s'accrut au point qu'il en vint à la médisance, et il critiqua surtout saint Jean, comme plus aimé de Jésus et de Marie. Par ces fautes il ouvrit la porte à de plus grandes encore. Sa charité envers le prochain et envers Dieu commença à se refroidir, de sorte qu'il en vint à regarder les apôtres avec quelque envie, et à trouver à redire à leurs actions mêmes les plus saintes. La Vierge mère voyait le dérèglement de ce malheureux disciple et s'efforçait d'y apporter remède avant qu'il augmentât, elle lui parla plusieurs fois, l'avertissant. avec une grande douceur et avec les raisons les plus fortes, mais au lieu de se corriger il se laissa tenter par le démon et en vint à s'irriter contre la douce colombe, cachant ses fautes avec une grande hypocrisie. De cette aversion pour la sainte Vierge, il passa au mépris pour son divin maître, il condamna sa doctrine et trouva trop dure la vie apostolique. Malgré la conduite indigne de Judas, ni Jésus, ni la Vierge Marie ne lui montrèrent jamais un visage irrité et différent de celui qu'ils lui avaient témoigné au commencement de sa vocation. Ce fut la raison pourquoi le mauvais état de Judas fut si caché aux apôtres, quoiqu'ils en eussent quelque Soupçon en le voyant se conduire si mal à l'extérieur. Pour ce même motif, lorsque Jésus dit à la cène légale, l'un de vous me trahira, ils furent tous incertains sur qui tombait cette sentence, sans qu'ils soupçonnassent Judas, qu'ils avaient toujours vu traité avec tant de bonté par le Rédempteur. Une autre occasion le poussa à la trahison. Le nombre des disciples s'étant accru, le Seigneur voulut que l'un d'eux eut la charge de recevoir et de garder les aumônes pour les distribuer ensuite, et payer le tribut aux princes. Le Seigneur fit part de ce dessein à tous ses apôtres, sans en désigner aucun. Le désir d'avoir cet emploi vint aussitôt à Judas, et il pria saint Jean, afin qu'il le lui obtint par le moyen de la sainte Vierge; mais celle-ci, connaissant que c'était un effet d'ambition, ne voulut pas en faire la demande à son divin fils. Ce moyen ne lui ayant pas réussi, Judas alla trouver saint Pierre pour le prier ainsi que les autres apôtres de l'aider à obtenir cet emploi, mais ce moyen encore n'eut pas de succès. Alors Judas toujours plus opiniâtre dans son désir, eut le courage de prier lui-même' la sainte Vierge, et se montra disposé à la servir elle-même et son fils dans cet emploi qu'il exercerait, disait-il, avec plus de soin que les autres. Elle lui répondit de bien considérer ce qu'il demandait et qu'il valait mieux se confier à la volonté de Dieu, qui savait ce qui lui était convenable. Le malheureux disciple s'irrita intérieurement à cette réponse, la sainte Vierge s'en aperçut, mais elle le cacha avec prudence. Il avait de la honte à faire lui-même cette demande à son maître, mais son ambition l'emporta, et sous le spécieux prétexte de faire le bien à son service et de veiller au bonheur du petit troupeau, il le pria de lui donner le soin de recevoir et de distribuer les aumônes. Le

Seigneur lui répondit: Sais-tu ô Judas, ce que tu demandes? Ne sois pas si cruel envers toi-même pour chercher ton malheur et te procurer les armes qui peuvent causer ta mort. Judas répartit: Je désire de vous servir et d'employer toutes mes forces pour le bien de votre société, et je vous servirai mieux dans cet office que dans aucun autre. Le Seigneur, par cette obstination de Judas, justifia sa conduite en permettant qu'il entrât dans cette charge dangereuse et s'y perdit. Après avoir obtenu cet emploi si désiré, sa joie dura peu, en voyant que contre son attente fondée sur les miracles du Seigneur, il ne recevait pas d'aumônes aussi abondantes qu'il l'avait pensé. Il s'attristait aussi lorsqu'il voyait la grande reine libérale envers les pauvres, et s'irritait contre le Seigneur, lorsqu'il n'acceptait pas les grandes aumônes qui lui étaient souvent offertes, et la chose en vint à ce point plusieurs mois avant la mort du Sauveur, qu'il s'éloignait souvent des autres apôtres et quittait même son divin maître, dont il ne pouvait plus supporter la compagnie.

Il y avait déjà deux ans et demi que notre Seigneur prêchait, et le temps de revenir vers son Père éternel approchait. Pour prévenir ses disciples contre le scandale qu'ils recevraient de sa mort, il voulut se montrer à eux transfiguré. Il choisit à cet effet le Thabor, montagne de la Galilée, éloignée de quelques milles de Nazareth, vers l'orient, et ayant pris Pierre, Jacques et Jean il se transfigura devant eux, avec les circonstances que raconte l'évangéliste. Dans le temps que les anges allèrent chercher l'âme de Moyse et d'Elie, la sainte Vierge fut de son côté portée par les anges, et non-seulement elle vit la sainte humanité transfigurée plus clairement et plus longtemps que les apôtres, mais encore elle vit intuitivement la divinité. L'impression que cette vision glorieuse fit dans son âme fut si profonde qu'elle ne s'effaça jamais tout le temps qu'elle vécut; Jésus à cette occasion demanda au Père éternel que tous ceux qui auraient mortifié leurs corps et auraient souffert pour son amour, participassent aussi à la gloire de son corps et que leurs âmes résuscitassent dans la joie de cette gloire, au jour du jugement général.

Après la transfiguration, le Seigneur vint à Nazareth, où s'était retirée la Vierge mère, pour dire le dernier adieu à sa patrie, et aller de là à Jérusalem, afin d'y souffrir sa passion. Il alla à Nazareth avec ses disciples, et quelques jours après il partit, accompagné de sa mère bien-aimée, des apôtres, des disciples et de quelques femmes dévotes, et traversa la Galilée pour aller à Jérusalem. En ce temps-là, il opéra en passant à Béthanie la résurrection de Lazare. Ce miracle opéré dans le voisinage de Jérusalem, irrita contre lui les princes des prêtres et les pharisiens, qui pleins de jalousie assemblèrent un conseil, où ils résolurent de faire mourir l'innocent Jésus, et ils ordonnèrent que si quelqu'un en avait des nouvelles, il les leur fit connaître. Le Seigneur, revint de nouveau; après six jours à Béthanie, et il fut reçu avec sa mère et ses disciples; des deux soeurs de Lazare. Alors Magdeleine répandit deux fois dans sa maison et dans celle du pharisien le parfum mystérieux sur la tête et les pieds du Seigneur. Judas en murmura et dès ce moment il résolut de procurer la mort du Seigneur et il le dénonça auprès des prêtres et des pharisiens. Il alla à cet effet les trouver secrètement et leur dit que son maître enseignait des doctrines contraires à la loi de Moyse, au gouvernement et à l'empereur romain, qu'il aimait la bonne chère, et fréquentait les gens de mauvaise vie, et qu'il conduisait avec lui des hommes et des femmes. Toutes ces démarches du traître et méchant apôtre furent connues de Jésus, qui comme Dieu voyait tout, et de la Vierge mère, mais elle ne lui en fit jamais aucune remontrance, et jamais ils ne donnèrent aucun signe de haine, comme modèles de la plus parfaite bonté. La grande reine s'efforça par des paroles pleines de douceur et d'amour d'arrêter sur les bords de l'abîme l'ingrat et perfide disciple, et pour satisfaire un peu son avarice, elle lui donna plusieurs choses qu'elle avait reçues de Magdeleine et qu'elle avait acceptées pour les donner à Judas. Mais rien ne fut capable de toucher ce coeur perfide et endurci, et ne pouvant manifester au-dehors la rage de son coeur, il en devint encore plus irrité contre l'innocente reine, néanmoins il accepta avec avidité ce qu'elle lui avait offert.

Après que Magdeleine eut répandu le parfum, le Seigneur se retira dans l'oratoire des saintes soeurs, et la sainte Vierge ayant laissé Judas dans son obstination, vint le trouver pour se livrer aussi selon sa coutume, à la prière et aux saints exercices qu'il pratiquait. Là, il s'offrit de nouveau au Père éternel et Marie l'imita aussi dans cette offrande héroïque; et cette oblation fut si agréable au Père éternel qu'il descendît en forme visible pour l'accepter. Alors , la sainte Vierge vit la très-sainte humanité de son fils élevée à la droite du Père; et entendit ce verset des psaumes : Dixit dominus domino meo , sede a dextris meis. La sainte Vierge fut toute environnée d'une splendeur admirable. Enflammés d'une ardente charité pour le genre humain, Jésus et Marie passèrent toute la nuit en de saints entretiens.