CHAPITRE XLVI

L'ARCHANGE GABRIEL ANNONCE A LA SAINTE VIERGE SON HEUREUSE MORT. MERVEILLES QUI ARRIVENT.


La très-sainte Vierge était parvenue à l'âge de soixante-sept ans, sans avoir jamais interrompu, pas même le plus petit instant, le cours de ses oeuvres admirables et héroïques, ni arrêté les élans de son coeur, ni diminué les feux de son amour; au contraire celui-ci ayant toujours continuellement augmenté dans tous les moments de la vie, elle s'était en quelque manière spiritualisée et déifiée, de sorte que les flammes de son coeur ardent ne lui permettaient aucune sorte de repos. Le Père éternel désirait sa fille unique, le Verbe sa bien-aimée, et le Saint-Esprit sa très-pure épouse. Les anges souhaitaient vivement la vue de leur reine; les saints désiraient ardemment la présence de leur grande souveraine, et tous les cieux demandaient à leur manière leur impératrice, afin qu'elle les remplit tous de gloire et de joie. La très-sainte Trinité envoya l'archange Gabriel avec une multitude d'esprits bienheureux, pour annoncer à leur reine dans quel temps, et de quelle manière elle passerait à la gloire éternelle. Le Prince céleste descendit avec le cortège des anges dans l'oratoire, où il trouva la divine mère prosternée à terre en forme de croix, qui demandait avec larmes miséricorde pour les pécheurs. Et comme réveillée par la mélodie des anges, elle se releva et resta à genoux pour entendre l'embassade du Seigneur. ils arrivèrent tous avec des couronnes et des palmes à la main, toutes différentes, qui signifiaient diverses récompenses et mérites de la grande reine. L'archange l'ayant saluée par l'Ave Maria, continua : Le Tout-Puissant et le saint des saints nous envoie à votre Majesté, pour vous annoncer de sa part l'heureuse fin de votre pèlerinage: Ils vous reste encore trois ans pour être reçue pour toute l'éternité dans la gloire bienheureuse, où tous les habitants vous désirent. Elle reçut cette agréable nouvelle avec une joie ineffable et prosternée de nouveau à terre, elle répondit de la même manière qu'à l'annonciation: Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Elle pria les anges de l'aider à rendre grâce au Seigneur pour cette nouvelle si agréable, et elle commença un nouveau cantique-d'actions de grâces, les esprits bienheureux y répondirent pendant deux heures, ensuite elle ordonna aux anges de prier le Seigneur de la préparer à ce passage. L'archange lui répondit qu'elle serait obéie, et ayant pris congé, il retourna à l'empyrée; elle resta le visage contre terre en versant des larmes d'humilité et de joie, et elle dit ces paroles: Terre, je vous rends les grâces que je vous dois, de ce que sans l'avoir mérité vous m'avez supportée pendant soixante-sept ans; comme j'ai été créée de vous et en vous; qu'ainsi de vous et par vous j'arrive à la fin désirée de la vue et de la possession de mon créateur. Elle fit encore un long entretien avec les créatures.

Du moment qu'elle eut reçu cet avis, elle s'enflamma du feu de l'amour divin, de sorte qu'elle multiplia ses exercices, comme si elle avait eu quelque chose à réparer, semblable à un voyageur qui,. voyant venir le soir lorsqu'il lui reste encore à faire une grande partie de son chemin se hâte et marche avec rapidité, en ranimant ses forces; la grande reine ne faisait pas cela par crainte de la mort, ni par le danger du péché qu'elle n'avais jamais commis; mais à cause de son grand amour et de son désir de la lumière éternelle, elle se hâtait donc dans ses héroïques actions, non pour arriver plutôt, mais afin d'entrer plus riche et plus heureuse dans l'éternelle jouissance du Seigneur. Elle envoya ses anges à tous les apôtres et à tous les disciples dispersés dans le monde, afin de les animer toujours plus aux entreprises héroïques, et dans ces trois ans elle le fit plusieurs fois; de même elle fit des démonstrations d'amour plus grandes à tous les fidèles qui étaient à Jérusalem, et de pressantes exhortations d'être fermes dans la foi, et quoiqu'elle gardât le secret, néanmoins elle agissait comme une personne qui s'attend à partir, et qui veut laisser tout le monde comblé de biens. Il en fut autrement avec saint Jean, car un jour à genoux à ses pieds, elle lui demande la permission de parler, et après l'avoir obtenue elle lui dit: Mon Seigneur et mon fils, vous savez qu'entre toutes les créatures je suis la plus redevable au pouvoir divin. Sachez que la divine miséricorde a daigné me faire connaître que le terme de ma vie mortelle pour passer à la vie éternelle arrivera bientôt, il ne me reste que trois ans pour finir mon exil; je vous supplie donc, mon Seigneur de m'aider dans ce temps si court, afin que je m'applique à chercher à correspondre en quelque chose aux immenses bienfaits que j'ai reçus; priez pour moi, je vous en supplie de l'intime de mon coeur.

Ces paroles brisèrent le coeur si aimant de saint Jean, et il répondit tout en larmes ma mère et ma - reine, je suis résigné au bon plaisir de Dieu et au vôtre. Ma mère et ma reine, puisque vous êtes toute miséricordieuse, daignez secourir votre fils qui va se trouver seul, privé de votre précieuse compagnie; saint Jean ne put proférer d'autre parole, oppressé par le sanglots et la douleur; et quoique la miséricordieuse mère l'animât, néanmoins dès ce jour le saint apôtre fut pénétré et accablé d'une si grande tristesse, qu'elle l'affaiblissait et le rongeait, comme il arrive aux fleurs qui deviennent languissantes au coucher du soleil. La miséricordieuse mère lui promit de l'assister toujours comme une tendre mère, et elle pria son très-saint fils pour lui, afin qu'il ne perdit pas la vie. Saint Jean fit part de cette nouvelle à saint Jacques-le-Mineur, évêque de Jérusalem, et dès ce moment les deux apôtres furent plus assidus à visiter la divine maîtresse. Dans le cours de ces trois dernières années, le pouvoir divin disposa par une douce et secrète force, que toute la nature commençât à s'émouvoir et à prendre des signes de deuil, pour la mort de celle dont la vie donnait la, beauté à toutes les choses bées. Les apôtres, quoique dispersés dans le monde, ressentaient un vif désir de voir leur mère et maîtresse; les autres fidèles, qui étaient plus voisins, éprouvaient un pressentiment intérieur, que leur trésor et leur joie ne resterait pas longtemps parmi eux. Toutes les créatures s'émurent et gémirent, les cieux, les animaux et les oiseaux, et six mois avant la mort, le soleil, la lune et les étoiles donnèrent une lumière plus faible qu'à l'ordinaire. Les hommes en ignoraient la cause, saint Jean seul accompagnait ces signes de ses larmes, ce qui fit que tous les pieux fidèles de Jérusalem en connurent la raison; c'est pourquoi ils accoururent au cénacle, pour vénérer la grande reine, ils se jetaient à ses pieds, lui demandaient la bénédiction et baisaient la terre, qu'elle avait foulée de ses pieds divins. La mère de la miséricorde les consolait tous. Et quoique cette perte fut inévitable pour les fidèles, la miséricordieuse mère s'émut dans ses entrailles maternelles; et par ces prières et ses larmes, la-grande reine fit que tous les fidèles et tous les enfants de l'Eglise obtiendraient toutes les grâces temporelles et spirituelles qu'ils désireraient; (1) aussi il est impossible de rapporter le concours immense des personnes qui allaient auprès d'elle, et les miracles qu'elle opérait en faveur de tous. Elle en convertit un grand nombre aux vérités de la foi; elle mit un nombre immense d'âmes en état de grâce; elle remédia aux nécessités des misérables, en les secourant miraculeusement; elle les confirma tous dans la crainte de Dieu, dans la foi et dans l'obéissance à la sainte Église; et comme trésorière des richesses divines, elle ouvrit les portes du trésor divin, et en enrichit les fidèles de l'Église avant de t'éloigner d'eux. De plus elle les consola tous, et leur promit de faire beaucoup plus du haut du ciel, lorsqu'elle y serait parvenue.

Cependant son très-pur esprit était élevé avec des élans inconcevables, par les flammes de son amour, jusqu'à la sphère de la Divinité, sans pouvoir arrêter l'impétuosité de son coeur enflammé; pour donner quelque adoucissement à ses violences, elle se retirait seule et apaisait ses ardeurs avec le Seigneur, en disant: Mon doux amour, mon bien unique, trésor de mon âme, attirez-moi après vous à l'odeur de vos parfums; brisez maintenant les liens de la mortalité, qui me retiennent. Esprits célestes, dites à votre Seigneur et au mien la cause de ma douleur; dites-lui, que pour lui plaire, j'embrasse les souffrances pour mon exil, et c'est ce que je veux; mais je ne puis vouloir vivre en moi, mais seulement en Dieu; s'il veut donc que je vive, comment pourrai-je vivre étant éloignée de lui, qui est ma vie? D'une part il me donne la vie, et de l'autre il me l'ôte ; parce que la vie ne peut être sans l'amour, comment donc pourrais-je exister sans la vie, qui-est celui que j'aime uniquement? Je languis dans cette douce violence. Par ces paroles et par d'autres beaucoup plus tendres, la Vierge-Mère apaisait l'incendie de son coeur enflammé à l'admiration et à la joie des anges mêmes, qui l'assistaient et la servaient. Son divin fils la visitait plus souvent que par le passé et la fortifiait par ses visites; elle renouvelait ses prières pour l'Eglise et pour tous les ministres, qui, dans les siècles à venir, devaient la servir dans la prédication évangélique. Parmi les merveilles, que fit le Seigneur à sa divine mère dans ces derniers temps, il y en eut une qui fut non-seulement connue du saint évangéliste, mais encore de plusieurs autres fidèles qui l'approchaient ; c'était que lorsque la grande reine communiait, elle restait pendant plusieurs heures, revêtue d'une telle splendeur et clarté qu'elle paraissait transfigurée, comme son divin fils au Thabor, à la grande joie de ceux qui avaient le bonheur de la contempler.

Elle demanda à saint Jean la permission de sortir de la maison avec lui et les milles anges qui l'assistaient, et elle alla visiter les lieux saints, auxquels elle dit adieu en versant des larmes; mais elle s'arrêta pendant longtemps sur le mont du Calvaire, elle pria pour ses bien-aimés fidèles présents et futurs, et en considérant la douloureuse mort de son fils en faveur du genre humain, la flamme de son ardente charité s'accrut si fort, qu'elle aurait perdu la vie, si son divin fils ne fût venu lui-même, qui lui dit: Ma mère et ma colombe, coadjutrice de la rédemption des hommes, vos demandes sont déjà arrivées à mon coeur, je vous promets que je serai très-libéral envers les hommes et leur donnerai de continuels secours, afin qu'avec leur libre volonté, ifs puissent mériter, par les mérites de mon sang, la gloire éternelle, s'ils ne la méprisent pas; et dans le ciel vous serez leur médiatrice et leur avocate , et je comblerai de. mes faveurs et de mes miséricordes infinies, tout ceux qui obtiendront votre protection. La divine mère, prosternée à ses pieds, lui rendit de très-humbles actions de grâces, et ayant été fortifiée dans ses amoureuses peines, elle baisa avec un grand sentiment d'humilité cette terre consacrée, par la mort d'un Dieu fait homme; elle ordonna aux saints auges, de garder continuellement ces lieux sacrés et de les défendre toujours; elle dit aussi aux saints anges et à saint Jean de les bénir, ce qu'ils firent aussitôt. Elle retourna à son oratoire, et lorsqu'elle y fut arrivée tout attendrie et en larmes, elle dit adieu à la sainte Église, en disant: Église sainte et catholique, qui dans les siècles futurs vous appeler romaine, ma mère et ma reine, véritable trésor de mon âme; vous avez été l'unique consolation de mon exil, mon refuge et mon soutien dans mes douleurs; vous êtes ma force et ma joie, dans vous j'ai vécu étrangère et éloignée de ma patrie, et vous m'avez entretenue depuis que j'ai reçu en vous la vie de la grâce, par votre chef et le mien, Jésus mon fils et mon Seigneur; vous êtes pour les fidèles, ses enfants, un guide assuré pour les conduire à la gloire; vous les fortifiez dans ce dangereux pèlerinage. Vous m'avez orné et enrichi de vos beaux ornements, pour entrer aux noces de l'époux, en vous habite votre chef dans l'adorable sacrement; heureuse Église militante, ma bien-aimée, il est déjà temps que je vous laisse, daignez m'appliquer vos bien si précieux, lavez-moi dans le sang divin de l'agneau, qui vous a été confié, et qui peut sanctifier plusieurs mondes couverts de péchés. Sainte Eglise, mon honneur et ma gloire, je vous laisse dans la vie mortelle, mais je vous trouverai glorieuse dans la vie éternelle; de là, je vous regarderai avec tendresse, et je prierai toujours pour votre prospérité et vos progrès.

Après avoir fait cet adieu, la grande reine résolut de faire son testament, elle en demanda la permission au Seigneur, qui voulût le confirmer par sa divine présence; la très-sainte Trinité vint elle-même dans son oratoire, avec des milliers d'Esprits bienheureux; il sortit du trône divin une voix, qui dit: Notre épouse et notre élue, réglez votre dernière volonté selon votre désir, car elle sera accomplie et confirmée par notre divine puissance. Seigneur tout-puissant, Dieu éternel, dit-elle avec une profonde humilité, moi, vil vermisseau de terre, je vous reconnais et vous adore du plus profond de mon âme, Père, Fils et Saint-Esprit, trois personnes distinctes dents une seule nature, indivisible et éternelle; je déclare et je dis que ma dernière volonté est celle-ci: Je n'ai rien à laisser des biens temporels, car je n'ai jamais possédé autre chose, que vous, mon souverain bien; je remercie toutes les créatures, qui m'ont entretenue sans que je le méritasse! Je laisse à Jean deux tuniques et un manteau, qui m'a servi pour me couvrir, afin qu'il en dispose selon son plaisir, comme mon fils. Je demande à la terre de recevoir mon corps; je remets mon âme, dépouillée enfin de son corps, dans vos mains, ô mon Dieu, afin qu'elle vous aime éternellement. Je laisse la sainte Église, ma mère, héritière universelle de tous mes mérites, que j'ai acquis parle moyen de votre grâce et par mes souffrances, afin qu'ils servent à l'exaltation de votre saint nom. En second lieu, je les offre pour les apôtres bien-aimés, et pour les prêtres présents et ceux qui existeront dans l'avenir, afin qu'ils deviennent de dignes ministres, pour édifier et sanctifier les âmes. En troisième lieu, je les applique pour le bien spirituel de mes dévots, qui me serviront, m'invoqueront et intercèderont auprès de moi, afin qu'ils reçoivent votre grâce et à la fin la vie éternelle En quatrième lieu, je désire et je souhaite que vous vous considériez, comme obligé par mes souffrances et mes oeuvres envers tous les pécheurs, enfants d'Adam, afin qu'ils sortent du malheureux état du péché; et dès ce moment je désire et je veux intercéder toujours pour eux, en votre divine présence tant que le monde durera. Ceci est, mon Seigneur et mon Dieu, ma dernière volonté toujours soumise à votre bon plaisir. Lorsqu'il fût terminé, la très-sainte Trinité le confirma et le Christ l'approuva, en gravant dans le coeur de sa mère ces paroles: Il sera fait comme vous voulez et ordonnez. Prosternée le visage contre terre, elle fit de très-humbles actions de grâces et elle demanda que les apôtres vinssent l'assister, afin de prier pour elle dans ce passage, et qu'elle mourût avec leur bénédiction, ce qui lui fut accordé. Les personnes divines cessèrent d'être visibles, et l'humanité de Jésus-Christ retourna à l'empyrée.

                                                            


(1) N'est-ce pas exactement la parole de saint Bernard , qui défie toutes les générations, d'entendre jamais dire qu'aucun de ceux, qui se sont adressés à Marie, en ait été abandonné. On n'a jamais entendu dire qu'aucun de ceux, qui ont eu recours à votre protection, imploré votre assistance et réclamé votre secours, ait été abandonné de vous. Ah! fidèles, priez donc Marie pour vous, pour les autres, pour vos âmes, pour vos corps, pour l'Église, pour l'Etat.