1860

De quinze si l'on ôte trois cents...

il reste quinze

 

 

Un enfant de l'Oratoire de Turin, après un mois de vie commune, écrivit à sa mère qu'il ne pourrait jamais s'y faire. Conclusion : — Venez me chercher.

La maman arrive, et l'on dispose tout pour le départ.

Le matin du jour fixé, l'enfant veut se confesser, une dernière fois, à Don Bosco ; mais les pénitents étaient nombreux, et le tour de notre petit homme n'arriva qu'à la fin de la messe. C'est l'heure du déjeuner, à l'Oratoire. Dalmazzo, – c'était le nom de l’enfant – allait commencer sa confession, quand un de ses camarades, attaché au service des subsistances, s'approche de D. Bosco, et lui souffle à l'oreille :

— Il n'y a pas de pain pour le déjeuner.

— Impossible ; cherchez bien, demandez à un tel, que cela regarde : il doit être par ici.

Un instant se passe. Le messager revient bredouille :

— Don Bosco, nous avons fouillé dans tous les coins, nous n'avons trouvé que quelque pagnotes.

On donne habituellement ce nom, dans les maisons italiennes, à des petits pains qui font juste la ration du déjeuner et du goûter.

Don Bosco paraît étonné :

— Alors, courez dire au boulanger qu'il apporte ce qu'il faut.

— Le boulanger ! C’est inutile. On lui doit douze mille francs ; il refuse de donner un seul morceau de pain, avant d'être payé.

— Bien, bien. Dans ce cas, mettez dans la corbeille ce que vous avez pu réunir : le reste, le bon Dieu l'enverra. Je viens à l'instant faire, moi-même, la distribution.

 

Le petit Dalmazzo, qui n'avait pas perdu un mot de ce dialogue, fut surtout frappé des derniers mots de Don Bosco ; et, quand il le vit se lever, il le suivit avec une curiosité bien naturelle, et d'autant plus vive que, les jours précédents, on avait beaucoup parlé de faits merveilleux, survenus à l'Oratoire, et auxquels Don Bosco n'aurait pas été étranger.

Dalmazzo se plaça donc derrière Don Bosco, et compta, avec soin, les pagnotes contenues dans la corbeille. Il y en avait quinze. Or, trois cents gaillards attendaient leur déjeuner, et, parmi eux, pas de bouches inutiles, on peut le croire.

Quinze pour trois cents ! Trois cents pour quinze ! se disait l'enfant, et la lumière ne se faisait pas dans sa tête.

Le défilé commence. Chacun passe à son rang, et reçoit sa pagnote. Dalmazzo, tout saisi, regardait, avec des yeux effarés, Don Bosco qui, souriant, ne renvoyait personne les mains vides.

Le dernier servi, Dalmazzo compte ce qui restait au fond de la corbeille : quinze pagnotes, juste !

Ses notions d'arithmétique étaient absolument bouleversées : une division qui devient une multiplication !

Quoi qu'il en soit, il annonça à sa mère qu'il restait décidément à l'Oratoire.

Le petit Dalmazzo, devenu Don Dalmazzo, est actuellement Supérieur de la maison de St-Jean l'Évangéliste, à Turin.