1846

Comment on essaya d’enfermer Don Bosco

Dans une maison de santé

Et ce qu’il en advint

 

 

Don Bosco passa un instant pour avoir la tête dérangée. Il parlait de construire un Oratoire capable de recevoir un nombre considérable d'enfants, avec des ateliers de tout genre, des salles d'étude, de vastes cours, une chapelle etc. Pareille entreprise eût exigé des sommes considérables, et l'on savait qu'il était sans ressources. Évidemment un tel projet ne pouvait être que l'illusion d'un cerveau malade.

 

Quelques-uns de ses amis le délaissèrent ; d'autres furent d'avis qu'il fallait le guérir, ou tout au moins le traiter, et rien ne leur parut plus convenable qu'un petit séjour dans une maison de santé spéciale. Ne pouvait-il pas compromettre le clergé, et déverser sur lui le ridicule ! Dès lors l'hésitation n'était pas, possible.

Le directeur de la maison d'aliénés fut prévenu. On le pria d'en agir envers le pauvre malade avec douceur, mais, au besoin, avec fermeté.

 

Restait à le conduire dans le lieu en question. Voici comment on s'y prit :

Deux ecclésiastiques se procurèrent une voiture bien fermée, et allèrent trouver Don Bosco dans sa petite chambre.

D'abord, ils le firent causer et ne manquèrent pas de le mettre sur le sujet qui les intéressait tout particulièrement :

— Monsieur l'abbé, vous voulez donc construire un Oratoire ?

D. Bosco ne fit aucune difficulté de leur parler de ses projets, des dispositions qui lui paraissaient les meilleures, du bien qui devait en résulter.

Au bout de quelques instants, nos deux ecclésiastiques échangèrent un signe d'intelligence qui signifiait : il n'y a pas à en douter, il est bien fou.

— Monsieur l'abbé, nous avons en bas une bonne voiture : venez donc faire une promenade avec nous.

Don Bosco paraissait ne pas se soucier du tout de cette invitation ; cependant, sur leurs instances réitérées, il finit par accepter.

La voiture était à la porte.

— Montez, monsieur l'abbé.

— Je n'en ferai rien ; après vous, messieurs.

— Mais montez donc !

— Je n'en ferai rien : je sais trop le respect que je vous dois ; après vous.

Impatientés de ces façons, les deux ecclésiastiques montent dans la voiture, Mais au lieu de les suivre, voilà que Don Bosco, prompt comme l'éclair, ferme la portière avec fracas, et s'écrie d'une voix de stentor :

— En route, à l'établissement !

 

Le cocher était prévenu qu'il devait partir au premier signal. D'un vigoureux coup de fouet, il enlève ses chevaux, et, sans faire la moindre attention aux appels désespérés de ses voyageurs, il arrive d'un trait dans la cour de la petite maison. Le portail était grand ouvert ; il se referme aussitôt, et le directeur parait, suivi de plusieurs infirmiers.

Les deux ecclésiastiques descendent. Ils sont suffoqués de colère et apostrophent avec véhémence le cocher, lui reprochant sa maladresse.

— Là, là, calmez-vous ! fait le directeur. On ne m'avait annoncé qu'un pensionnaire, mais j'ai de la place pour deux. Vous serez fort bien ici.

— Misérable insolent ! Pour qui nous prenez-vous ! Vous ne voyez donc pas à qui vous avez affaire ! Nous sommes des gens de marque et nous vous ferons punir.

— Peste ! Ce sont des fous furieux, reprend le directeur. Allons, infirmiers, conduisez-les à leur cellule, et s'ils ne sont pas sages, une  douche et la camisole.

Les pauvres ecclésiastiques étaient atterrés. Ils eurent heureusement l'idée de se réclamer de l'aumônier, qui vint constater leur identité et les fit mettre en liberté. Mais ils l'avaient échappé belle, et ils décampèrent au plus vite, jurant bien qu'on ne les y prendrait plus.

 

En effet, les rieurs ne furent pas de leur côté, et il fut bien avéré que, si Don Bosco était atteint de la sainte folie de la croix, il ne manquait pas, néanmoins, d'une certaine dose de malice tout humaine, laquelle ne lui fut pas inutile, en plus d'une circonstance, pour se défendre contre les embûches qui lui étaient tendues.