La cinquième et dernière considération. est celle de certaines apparitions, révélations et miracles, que Dieu fit et montra après la mort de saint François, pour confirmer les Stigmates et pour révéler le jour et I 'heure où le Christ les lui donna. Et quant à cela, il faut savoir que l'an du Seigneur 1282, le troisième jour d'octobre (2), frère Philippe, Ministre de Toscane, par ordre de frère Bonagrazia, Ministre général (3), exigea, au nom de la sainte obéissance, que frère Matthieu de Castiglione Aretino, homme de grande piété et sainteté, lui dît ce qu'il savait du jour et de l'heure où les Stigmates sacrés furent imprimés par le Christ sur le corps de saint François, parce qu'il connaissait qu'il en avait eu la révélation. Ce frère Matthieu, obligé par la sainte obéissance, lui répondit ainsi : « Comme j'étais, l'année passée, de famille à l'Alverne, je me mis un jour, au mois de mai, en prière dans cette celIule qui se trouve à l'endroit où eut lieu, croit-on, cette apparition du Séraphin. Et dans ma prière, je priais Dieu avec une très grande dévotion qu'il lui plût de révéler à quelqu'un le jour, l'heure et le lieu où les Stigmates sacrés furent imprimés sur le corps de saint François. Et comme je persévérais dans cette prière et dans cette supplication au delà du premier sommeil, voici que saint François m'apparut dans une très vive lumière et me parla ainsi: « Mon fils, de quoi pries-tu Dieu ? » Je lui dis: « Père, ». Il me répondit: « Je suis ton père François, me reconnais-tu bien ? - Oui, mon Père, lui dis-je. Alors il me montra les Stigmates de ses mains, de ses pieds et de son côté, et il me dit : « Le temps est venu où Dieu veut que se manifeste pour sa gloire ce que les frères ne se sont pas jusqu'ici préoccupés de savoir. Sache que celui qui m'apparut ne fut pas un Ange, mais que ce fut Jésus-Christ sous l'aspect d'un Séraphin: de ses mains, il imprima sur mon corps ces cinq plaies ( 4) comme il les reçut sur son corps quand il était en croix. Et cela se passa ainsi: la veille de l'Exaltation de la Croix, un Ange vint à moi et me dit de la part de Dieu de me préparer à supporter la souffrance et à recevoir ce que Dieu voulait m'envoyer . Et je répondis que j'étais prêt à tout ce qui plairait à Dieu. Puis, le matin suivant, c'est-à-dire le matin de la Sainte Croix, qui était cette année un vendredi, je sortis à l'aurore de ma cellule en très grande ferveur d'esprit, et j'allai me mettre en prière dans ce lieu où tu te trouves actuellement : je priais souvent à cet endroit. Et comme je priais, voici que par les airs il descendait du ciel, avec une grande impétuosité, un jeune homme crucifié en forme de Séraphin, avec six ailes: à son merveilleux aspect, je m'agenouillai humblement et je commençai à contempler avec dévotion l'amour sans mesure de Jésus crucifié et la douleur sans mesure de sa Passion; et son aspect fit naître en moi une telle compassion, qu'il me semblait, à proprement parler, éprouver cette Passion dans mon corps; et à sa présence toute cette montagne resplendissait comme un soleil. Et en descendant ainsi il vint près de moi et, se tenant devant moi, il me dit certaines paroles secrètes que je n'ai encore révélées à personne; mais le temps approche où elles seront révélées (5). Puis, après quelque temps, le Christ s'en alla et remonta au ciel; et je me trouvai ainsi marqué de ces plaies. Va donc, dit saint François, et ces choses, dis-Ies en toute confiance à ton Ministre; car cela est oeuvre de Dieu et non pas oeuvre de l'homme ». Et après avoir dit ces paroles, saint François me bénit et retourna au ciel avec une très grande multitude de jeunes gens d'une éclatante splendeur ». Toutes ces choses, ledit frère Matthieu dit qu'il les avait vues et entendues, non pas en dormant, mais à l'état de veille. Et il jura matériellement qu'il en était ainsi, audit Ministre, à Florence, dans sa cellule, quand il en fut requis au nom de l'obéissance. Une autre fois, un frère pieux et saint, alors qu'il lisait la Légende de saint François au chapitre des Stigmates (6), commença à se demander, en grande anxiété d'esprit, quelles pouvaient avoir été ces paroles secrètes, dont saint François disait qu'il ne les révélerait à personne pendant sa vie, et que le Séraphin lui avait dites quand il lui apparut. Et ce frère se disait en lui-même : « Ces paroles, saint François n'a pas voulu les dire pendant sa vie, mais maintenant qu'il est mort, peut-être les dirait-il, s'il en était prié avec dévotion ». Et à partir de ce moment, ce pieux frère commença à prier Dieu et saint François qu'il leur plût de lui révéler ces paroles; et, après que ce frère eut persévéré huit ans dans cette supplication, il mérita la huitième année d'être exaucé de cette manière. Un jour après le repas et la récitation des grâces à l'église, comme il était en prière dans un coin de l'église et qu'il priait à ce sujet Dieu et saint François, plus dévotement que d'habitude et avec beaucoup de larmes, il fut appelé par un autre frère qui lui ordonna de la part du Gardien de l'accompagner à la ville pour l'utilité du couvent. Ce pourquoi, ne doutant pas que l'obéissance est plus méritoire que la prière, dès qu'il eut entendu l'ordre de son supérieur, il laisse la prière et s'en va humblement avec ce frère qui l'appelait. Et comme il plut à Dieu, par cet acte de prompte obéissance, il mérita ce qu'il n'avait pas mérité par une longue prière. Aussi, dès qu'ils eurent passé la porte du couvent, ils rencontrèrent deux frères étrangers qui paraissaient venir de lointains pays, l'un deux semblait jeune, l'autre vieux et maigre, et, à cause du mauvais temps, ils étaient tout trempés et crottés. Ce frère obéissant en éprouva, pour eux, grande compassion, et il dit au compagnon avec qui il cheminait; « Mon frère très cher, si l'affaire pour laquelle nous sommes en route peut être un peu retardée, comme ces frères ont grand besoin d'être reçus avec charité, je te prie de me laisser aller d'abord leur laver les pieds, et spécialement à ce vieux frère qui en a le plus besoin; et vous, vous pourrez les laver au plus jeune ; puis nous irons aux affaires du Couvent ». Alors ce frère ayant condescendu à la charité de son compagnon, ils rentrèrent, reçurent ces frères étrangers avec beaucoup de charité, et les conduisirent dans la cuisine auprès du feu, pour se chauffer et se sécher; huit autres frères du couvent se chauffaient à ce feu. Après qu'ils eurent été un peu auprès du feu, ils les prirent à part pour leur laver les pieds, ainsi qu'ils avaient convenu ensemble. Comme ce frère obéissant et pieux lavait les pieds au plus vieux des deux frères et qu'il en enlevait la boue, car ils étaient fort crottés, voici qu'il les regarde et qu'il voit ses pieds marqués des Stigmates; aussitôt, dans l'allégresse et la stupeur, en les embrassant étroitement, il commence à crier et dit: « Ou tu es le Christ, ou tu es saint François! » A ces cris et à ces mots, les frères qui étaient près du feu se lèvent et s'approchent pour voir avec grande crainte et respect ces glorieux Stigmates. Alors ce vieux frère leur permet, à leurs prières, de les bien voir, de les toucher et de les baiser. Et comme dans leur allégresse, ils s'émerveillaient encore plus, il leur dit: « Ne doutez pas et ne craignez pas, mes frères très chers, mes fils; je suis votre père, frère François, qui selon la volonté de Dieu, fonda trois Ordres. Et bien que j'aie été prié, depuis déjà huit ans, par ce frère qui me lave les pieds, et aujourd'hui avec plus de ferveur que les autres fois, de lui révéler ces paroles secrètes que me dit le Séraphin quand il me donna les Stigmates, paroles que je n'ai jamais voulu révéler durant ma vie, aujourd'hui par ordre de Dieu, à cause de sa persévérance et de sa prompte obéissance, qui lui a fait abandonner la douceur de sa prière, je suis envoyé par Dieu pour lui révéler devant vous ce qu'il me demanda ». Et se tournant alors vers ce frère, saint François lui parla ainsi : « Sache, mon très cher frère, que lorsque j'étais sur le mont Alverne, tout absorbé dans le souvenir de la Passion du Christ, je fus, en cette apparition du Séraphin, stigmatisé ainsi dans mon corps par le Christ, et le Christ me dit alors: « Sais-tu ce que je t'ai fait ? Je t'ai donné les empreintes de ma Passion, afin que tu sois mon gonfalonier. Et comme, au jour de ma mort, je descendis aux Limbes et que, toutes les âmes que j'y trouvais, je les en retirai, par la vertu de mes Stigmates et les conduisis au paradis, ainsi je t'accorde dès à présent, pour que tu me sois conforme dans la mort comme tu l'as été dans la vie, qu'après que tu auras quitté cette vie, tu ailles chaque année au jour de ta mort au purgatoire, et que, toutes les âmes de tes trois Ordres, c'est-à-dire des Mineurs, des Soeurs et des Continents et, en plus de celles-Ià, celles de tes dévots que tu y trouveras, tu les en retires, par la vertu de tes Stigmates que je t'ai donnés, et tu les conduiras au paradis ». Et ces paroles, je ne les ai jamais dites, tant que je vivais dans le monde. » Cela dit, saint François et son compagnon disparurent subitement. De nombreux frères entendirent ensuite ce récit de la bouche de ces huit frères qui étaient présents à cette vision et à ces paroles de saint François (7). Sur le mont Alverne, saint François apparut une fois à frère Jean de l'Alverne ( 8), homme de grande sainteté, pendant qu'il était en prière; il resta et parla longtemps avec lui; et finalement, au moment de le quitter, il lui dit : « Demande-moi ce que tu veux (9). » Frère Jean dit: « Père, je te supplie de me dire ce que depuis longtemps je désire savoir, c'est-à-dire ce que vous faisiez et où vous étiez quand vous est apparu le Séraphin. » Saint François répondit : « Je priais en ce lieu où se trouve maintenant la chapelle du comte Simon de Battifolle (10), et je demandais deux grâces à mon Seigneur Jésus-Christ. La première était qu'il m'accordât pendant ma vie, d'éprouver dans mon âme et dans mon corps, autant qu'il était possible, toutes ces souffrances qu'il avait éprouvées en lui-même au temps de sa très amère Passion. La seconde grâce que je demandai était que je sentisse de même dans mon coeur cet amour sans mesure dont il était embrasé pour supporter, pour nous pécheurs, une telle Passion. Et alors Dieu me mit au coeur qu'il m'accorderait d'éprouver l'un et l'autre, autant qu'il l'était possible à une simple créature: et cela fut exactement accompli dans l'impression des Stigmates. » Alors frère Jean lui demanda si ces paroles secrètes que lui avait dites le Séraphin avaient bien été telles que les rapportait ce pieux frère, ci-dessus rappelé, qui affirmait qu'il les avait entendues de saint François en présence de huit frères. Saint François répondit que ce que ce frère avait dit était la vérité. Alors frère Jean, poussé par la générosité de celui qui lui accordait tant, s'enhardit à interroger encore et parla ainsi: « O père, je te supplie très instamment de me laisser voir et baiser tes glorieux Stigmates, non parce que j'en doute aucunement, mais seulement pour ma consolation car cela je l'ai toujours désiré. » Et saint François les lui montrant et les lui offrant généreusement, frère Jean les vit clairement, les toucha et les baisa. Finalement, il demanda : « Père, quelle ne dut pas être la consolation qu'eut votre âme en voyant le Christ béni venir à vous et vous donner les empreintes de sa très sainte Passion ? Veuille Dieu maintenant que j'éprouve un peu de cette suavité! » Saint François répond alors: « Vois-tu ces clous ? » Et frère Jean : « Oui, père. - Touche une autre fois, dit saint François, ce clou qui est dans ma main. » Alors frère Jean, avec grand respect et crainte, touche ce clou, et aussitôt, en cet attouchement, une telle odeur en sortit, comme une légère fumée qui semblait de l'encens, et, entrant par les narines de frère Jean, emplit son âme et son corps d'une telle suavité qu'il fut ravi en Dieu en extase et devint insensible; et il resta ainsi ravi depuis cette heure, qui était celle de Tierce, jusqu'aux Vêpres. Cette vision et cet entretien familier avec saint François, frère Jean ne les dit jamais à d'autres qu'à son confesseur, si ce n'est quand il approcha de la mort; mais quand il fut près de la mort, il les révéla à plusieurs. Dans la province de Rome, un frère très pieux et saint eut cette admirable vision. Comme un frère, son très cher compagnon, était mort dans la nuit et avait été enterré le matin devant l'entrée du Chapitre, le même jour, après le dîner, ce frère se recueillit en un coin du Chapitre, pour prier dévotement Dieu et saint François pour l'âme de son susdit compagnon mort. Et comme il persévérait dans sa prière avec des supplications et des larmes, à midi, quand tous les autres frères étaient allés dormir, voici qu'il entendit une grande rumeur dans le cloître; ce pourquoi, en grande peur, il lève aussitôt les yeux vers la tombe de son compagnon; et il y voit, à l'entrée du Chapitre, saint François debout, et, derrière lui, une grande multitude de frères autour de ladite tombe. Il regarde plus loin et voit, au milieu du cloître, le très grand feu d'une flamme, et au milieu de cette flamme l'âme de son compagnon mort. Il regarde autour du cloître, et il voit Jésus-Christ faire le tour du cloître avec une compagnie nombreuse d'anges et de saints. Comme il regardait cela avec grande stupeur, il voit que, lorsque le Christ passe devant le Chapitre, saint François s'agenouille avec tous ces frères et parle ainsi: « Je te supplie, très saint Père et Seigneur, par cette charité sans prix que tu montras au genre humain dans ton incarnation, d'avoir pitié de l'âme de ce mien frère qui brûle dans ce feu. » Le Christ ne répond rien, mais passe outre. Comme il revient une seconde fois et passe devant le Chapitre, saint François s'agenouille encore avec ses frères comme la première fois et le supplie en ces termes: « Je te supplie, Père et Seigneur plein de pitié, par cet amour sans mesure que tu as montré au genre humain quand tu es mort sur le bois de la croix, d'avoir pitié de l'âme de ce mien frère. » Et le Christ passait de même et ne l'exauçait pas. Comme il revenait une troisième fois, en faisant le tour du cloître, et passait devant le Chapitre, saint François s'agenouilla encore comme les premières fois, lui montra ses mains, ses pieds et sa poitrine, et parla ainsi: « Je te supplie, Père et Seigneur plein de pitié, par cette grande douleur et cette grande consolation que j'éprouvai quand tu m'imposas ces Stigmates dans ma chair, d'avoir pitié de l'âme de ce mien frère qui est dans le feu du purgatoire. » Chose admirable! Le Christ, prié cette troisième fois par saint François au nom de ses Stigmates, arrête immédiatement sa marche, regarde les Stigmates et exauce la supplication en disant ces paroles: « A toi, frère François, j'accorde l'âme de ton frère. » Et certainement en cela, il voulut en même temps honorer et confirmer les glorieux Stigmates de saint François et faire entendre ouvertement que les âmes de ses frères qui vont au purgatoire ne peuvent être plus aisément libérées de ses peines et menées à la gloire du Paradis qu'en vertu de ses saints Stigmates, selon la parole que le Christ dit à saint François en les lui imprimant. Et aussitôt ces paroles dites, ce feu du cloître s'évanouit, et le frère mort s'en vint à saint François et, avec lui, avec le Christ et avec toute cette glorieuse et bienheureuse compagnie, il s'en alla au ciel. Ce de quoi ce frère, son compagnon, qui avait prié pour lui, eut une très grande allégresse, en le voyant délivré des peines et mené au paradis; puis il raconta aux autres frères toute sa vision en détail, et en même temps qu'eux il loua et remercia Dieu (12). Un noble chevalier de Massa di Santo Piero (13), qui avait nom Messire Landolfe, qui était très dévot à saint François et qui finalement reçut de ses mains l'habit du Tiers-Ordre, fut assuré en cette manière de la mort de saint François et de ses Stigmates glorieux. Au temps où saint François était sur le point de mourir , le démon entra en une femme dudit château; il la tourmentait cruellement et de plus il la faisait parler comme une personne lettrée, si subtilement qu'elle triomphait de tous les hommes savants et lettrés qui venaient discuter avec elle. Il arriva que le démon, l'ayant quittée, la laissa libérée pendant deux jours et, de retour le troisième, il l'affligeait beaucoup plus cruellement qu'auparavant. Entendant cela, ce Messire Landolfe va trouver cette femme et demande au démon qui habitait en elle quelle était la raison pour laquelle il l'avait quittée deux jours et pour laquelle il était revenu la tourmenter plus âprement qu'auparavant. Le démon répond: « Quand je l'abandonnai, ce fut parce que moi et tous mes compagnons qui sont en ce pays nous nous réunîmes et allâmes en grande force à la mort du mendiant François, afin de lutter avec lui et d'emporter son âme : mais comme elle était entourée et défendue par une multitude d'anges plus nombreux que nous n'étions et qu'elle fut emportée par eux au ciel, nous nous sommes retirés confus (14) ; aussi je prends maintenant ma revanche et je rends à cette misérable femme ce que, pendant ces deux jours, j'ai laissé de côté. » Alors Messire Landolfe l'adjura, au nom de Dieu, de lui dire ce qu'il y avait de vrai touchant la sainteté de saint François, dont il disait qu'il était mort, et de sainte Claire, qui était vivante. Le démon répond: « Que je le veuille ou non, je t'en dirai ce qui est vrai. Dieu le Père était tellement indigné contre les péchés du monde, qu'il paraissait vouloir sous peu prononcer contre les hommes et Contre les femmes la sentence définitive de les exterminer du monde s'ils ne se corrigeaient pas. Mais le Christ, son Fils, priant pour les pécheurs, promit de renouveler sa vie et sa Passion, en un homme, c'est-à-dire en François, petit pauvre et mendiant, par la vie et la doctrine de qui il ramènerait beaucoup de gens du monde entier dans la voie de la vérité et à la pénitence (15). Et maintenant. Pour montrer au monde que cela il l'avait fait en saint François, il a voulu que les Stigmates de sa Passion, qu'il avait imprimés sur son corps pendant sa vie, fussent à présent vus et touchés, à sa mort, par beaucoup de gens. De même la Mère du Christ promit de renouveler sa pureté virginale et son humilité en une femme, c'est-à-dire en soeur Claire, de telle sorte que, par son exemple, elle arracherait beaucoup de milliers de femmes de nos mains. Et ainsi Dieu le Père, apaisé par ces promesses, retarda sa sentence définitive. » Alors Messire Landolfe, voulant savoir en toute certitude si le démon, qui est le père du mensonge (16), disait en cela la vérité, et en particulier sur la mort de saint François, envoya un de ses fidèles damoiseaux à Assise, à Sainte Marie des Anges, pour savoir si saint François était vivant ou mort. Ce damoiseau, à son arrivée, trouva en effet, ce qu'il rapporta au retour à son maître, que saint François avait passé de cette vie précisément au jour et à l'heure indiqués par le démon. Laissant de côté tous les miracles des Stigmates de saint François qui se lisent dans sa Légende (17), il faut savoir comme conclusion de cette cinquième considération, qu'au pape Grégoire IX, qui doutait un peu de la plaie du côté de saint François, comme il raconta ensuite, saint François apparut une nuit et, levant un peu haut le bras droit, il découvrit la plaie de son côté et lui demanda une fiole; le pape la faisait apporter; saint François la faisait mettre sous la plaie de son côté, et il paraissait vraiment au pape qu'elle se remplissait jusqu'au bord de sang mélangé d'eau qui sortait de ladite plaie (18). Et à partir de ce moment tous ses doutes le quittèrent. Puis, de l'avis de tous les Cardinaux, il attesta la vérité des Stigmates de saint François; et il en donna aux frères un privilège spécial par une bulle scellée; et cela il le fit à Viterbe la onzième année de son pontificat (19) ; puis, la douzième année de son pontificat, il en donna un autre plus étendu (20). Le Pape Nicolas III (21) et le pape Alexandre (22) donnèrent aussi, à ce sujet, des privilèges considérables, aux termes desquels on pourrait procéder contre quiconque nierait les Stigmates de saint François comme à l'encontre d'un hérétique. Que cela suffise quant à la cinquième et dernière considération des glorieux Stigmates de notre père saint François, dont Dieu nous donne la grâce d'imiter la vie en ce monde, afin que, par la vertu de ses glorieux Stigmates, nous méritions d'être sauvés avec lui en paradis. A la louange du Christ béni. Amen
Notes 1.Dans les années qui suivirent la mort de saint François, et même beaucoup plus tard, l'authenticité des Stigmates fut très vivement révoquée en doute; voir, par exemple, à ce sujet, dans le Codice dipJomalico..., les documents qui figurent aux p. 8, 10, 12, 21, 32, 44, etc. Le recueil d'apparitions, révélations et miracles que l'on va lire a manifestement été compilé pour répondre à ces détracteurs. Il en existe beaucoup d'autres analogues. Comme le fait remarquer très justement le P. Benvenuto Bughetti, O.F.M., éd. citée des Fioretti, p. 238, n. I, ces récits" ajoutent peu à la valeur historique et morale des Stigmates, qui n'ont pas besoin de ces nouvelles preuves et de ces nouveaux détails pour nous paraître plus vrais et plus grands. » 2. Ce jour, qui n'est pas indiqué dans les manuscrits des Considéralions, est donné par l'instrumentum de Sligmalibus beati Francisci, Analecta Franciscana t.III, p. 641. Contrairement à ce que dit le P. Bughetti, le célèbre manuscrit du couvent Sainte-Antoine de Rome, publié dans AFH 1919 p. 391 et s., donne comme date le V des ides d'octobre, ce qui correspond au Il. L'auteur des Considéralions traduit presque littéralement ce texte, au commencement et à la fin de son récit. - Paul Sabatier à signalé une traduction en italien de l'Instrumentum de Stigmatibus dans un manuscrit de la bibliothèque Riccardi de Florence, Speculum perfectionis, p. CLXXIII. 3. Cet ordre du Ministre général Bonagrazia, élu en 1279, est rapporté dans la Chronique des XX/V Généraux, AF t. III, p. 374 ; il fut donné au Chapitre général tenu à Strasbourg en 1282. 4. Ceci est développé dans un passage du texte latin que l'auteur des Considéralions n'a pas traduit: « Post hec ipse Dominus lhesus Cristus manus suas corpori meo applicuil et primo manibus, secundo pedibus, tertio lateri mihi sligmata ista cum vehemenlissimo doloris sensu et cum magna pro qualibet vice mei clamoris voce impressil. » 5. Voir plus loin, p. 1377. 6. Saint Bonaventure (LM 13 4) ; " Le Saint ajoute que celui qui lui était apparu avait prononcé quelques paroles que, tant qu'il vivrait, il ne révélerait jamais à aucun homme. " Saint Bonaventure renvoie à la lIt Epître aux Corinthiens, 12 4 : « Il a entendu des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de révéler. » Le frère pensait évidemment que ce qui est interdit à un vif ne l'est pas à un mort. Sa vision est rapportée dans de nombreux recueils franciscains, sur lesquels on peut notamment consulter AF t. V, p.97, n.4, et Actus, éd. Paul Sabatier, p. XXXVII, n.l. 7. Le témoignage de l'un de ces huit frères est invoqué à la fin du récit, dans le manuscrit de Saint-lsidore que décrit Paul Sabatier, Actus, I. c. : « Frater Jacobus Bancusector Romanus praedicavit hoc et dixit se audisse ab uno fratre de supradictis octo. » 8. Sur le Bienheureux Jean de l'Alverne, voir les chapitre 49-53 des Fioretti et les notes. 9. Dans la Vie de frère Jean de L'Alverne, insérée dans la Chronique des XXIV Généraux, on retrouve cette offre de saint François, mais la réponse est beaucoup plus brève, c'est seulement celle que l'on verra un peu plus loin, où est exprimé le désir du Bienheureux de toucher les Stigmates" non quod de ipsis in a/iquo dubitem, sed ex devotione et ducedine spiritualite » ; Anaecta Franciscana, I. 111, p. 446. 10. La chapelle des Stigmates, que le comte Simon de Battifolle fit construire, à partir du jeudi qui suivit la fête de l' Assomption, c'est-à-dire du 20 août 1263, Sur le lieu de l'apparition du Séraphin, ainsi que le rappelle une inscription que l'on peut lire encore et où les dates sont données selon le comput de l'Incarnation, 25 mars, et non selon celui de la Circoncision: 1225 pour 1224; 1264 pour 1263 ; cf. P.S. Mencherini, Guida..., p. 161 et s. 11. L e P. B. Bughetti, O.F.M., fait remarquer, éd. c., p.245, n. 1, que ce détail indique une date qui se place entre le 3 mai et le 14 septembre, c'est-à-dire au moment des grandes chaleurs. Ce récit est traduit presque littéralement - par exemple: « cuncris dormiemibus » - d'un origine J latin, copié dans le manuscrit du couvent Saint-Antoine de Rome, immédiatement aprés J'épisode, raconté au début de Ja Cinquiéme Considération, de frère Matthieu de Castiglione Aretino; cf. Archivum..., I. c., p. 393 et s. 12. Le texte du manuscrit de Saint-Antoine se termine par cette note, qui n'a pas passé dans la tradition, et où l'auteur indique sa source: « Supra dictum autem miracuJum ego frater Franciscus Peri audivi a fratre Luca de Pistorio [Pistoia] tunc existens Aretii. » 13. Près de Gubbio. 14. La naïveté de ces diables, qui gardent l'espoir de s'emparer de l'âme de saint François d'Assise, nous paraît tout de même un peu excessive!On sait que le débat autour de l'âme qui quitte la terre, est un thème que J'on rencontre très fréquemment dans la Divine Comédie, Enfer, XXVI', 112-129, et Purgatoire, v, 103-108. 15. Une légende analogue, mais où il est question à la fois de saint François d'Assise et de saint Dominique, se trouve dans la Vie du fondateur des Frères Prêcheurs, écrite vers J290 par Thierry d'Appolda. Acta Sanctorum, août, t. p. 572. 16. Cette définition du diable, empruntée à l'Evangile selon saint Jean, 8, 44, était célébre; dans la Divine Comédie, le damné Catalano dei Catalani, pour consoler Virgile de s'être laissé abominablement « rouler » par le diable Malacoda, lui récite froidement ce texte, en disant qu'il l'a appris à l'Université de Bologne, Enfer, XXII', 142-144. 17. La Légende majeure de saint Bonaventure. 18. Légende majeure, Miracles, 1 2. Ce songe de Grégoire IX, avec le détail de la fiole, est le sujet de la fresque XXV du cycle de Giotto à la basilique supérieure d'Assise. 19. Cette bulle est datée du 5 avril 1237: Confessor Domini... ; cf. Codice diplomatico..., p. Il et s. 20. Cette bulle est probablement perdue; cf. ibid., p. 12. 21. Il m'est impossible de comprendre pourquoi le P. B. Bughetti, éd. c. p. 250, n.I, veut changer le nom de Nicolas III en celui de Nicolas IV, en disant qu'on chercherait en vain dans le codice diplomatico...des bulles de Nicolas III. Il a dû mal chercher! Bulle du 25 Août 1279 : Litteras felicis recordationis..., Codice diplomatico.., p.40 et s. Pour Nicolas IV, cf. ibid., p. 42 et s. 22. Il s'agit d'Alexandre IV; ses bulles sont nombreuses, ibid., p. 17 et s. |