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GEMMA GALGANI



Mysticisme ou Psychopathie ?


Par le R. P. Germain de Saint-Stanislas, C, P.

 

Traduit de l'Italien

Par le R. P. Félix de Jésus Crucifié




Parmi les troubles pathologiques qui affligent la nature humaine il en est un, devenu fameux, que l'on met sur le compte des nerfs et du cerveau. Chez le sexe faible spécialement, l'organe cérébral produit des phénomènes très étranges et de formes très variées. Les anciens ont connu ce fléau. Croyant qu'il prenait son origine chez la femme, ils l'ont appelé, d'un mot grec, l'hystérie. Les modernes, après avoir beaucoup élargi la signification du mot, l'ont généralisé an point de faire de cette maladie le triste apanage de presque tous les mortels, la cause principale et presque la forme des troubles les plus vulgaires.

À les entendre, pour un motif ou pour un autre, nous sommes tous hystériques. Hommes et femmes, jeunes et vieux, que nous ayons un bon ou un mauvais tempérament, nous pouvons tous, par la seule force des nerfs et de l'imagination, donner en spectacle, non seulement ces phénomènes très curieux qui furent toujours attribués à l'hystérie, mais ceux que de bons esprits continuent de tenir pour surnaturels.

Certes on ne pouvait rendre un meilleur service à l'incrédulité contemporaine, si pressée de bannir Dieu du monde. Cette nouvelle doctrine a été lancée aux quatre vents, et favorisée par l'autorité de maîtres tels qu'un Charcot, un Richer, un Warlomont, un Charbonnier, un Michea et cent autres de l'école matérialiste et positiviste. Ils ont réussi à la faire accepter par beaucoup de savants d'un sens ordinairement droit.

Voici en quels termes la thèse a été exposée : « Tout ce qui psychologiquement est anormal dans l'homme procède le plus souvent d'un trouble des centres nerveux. Les visions, les apparitions, les extases et tous les autres phénomènes extraordinaires qui se manifestent en lui sont une chose très naturelle ; ce sont des phénomènes hystériques qui dépendent du domaine de la pathologie, dans lequel les a très heureusement fait rentrer la science moderne. »

On n'exempte même pas de ce jugement les miracles de Jésus-Christ racontés dans le saint Évangile, ceux des Apôtres rapportés par saint Luc ; tout cela est l'effet de nerfs ébranlés et d'une imagination maladive. À combien plus forte raison s'il s'agit de faits récents que l'on peut constater un peu partout, surtout chez les femmes.

Mais doucement, Messieurs, vous voulez faire pénétrer dans notre esprit des choses si nouvelles et si étranges sans prouver ce que vous avancez.

Certes nous reconnaissons le mérite de vos études et de vos découvertes sur le terrain spécial de l'observation, où l'on vous considère à juste titre comme des maîtres. Mais sur le terrain commun de la science et de la logique nous avons le droit de raisonner et de n'accepter à l'aveugle l'opinion d'aucun docteur, de ceux surtout dont le but avéré est de détruire le surnaturel, sans même s'être donné la peine de l'étudier.

À dire vrai, nous ne nions pas que bien des gens, aujourd'hui comme autrefois, ne soient un peu trop portés à regarder comme faits surnaturels ce qui n'en est pas même l'ombre. Nous pensons, en nous mettant le plus possible de votre côté, qu'il est bien malaisé de comprendre jusqu'où peut aller la puissance de la nature. La prudence demande que l'on procède avec beaucoup de sagesse avant de conclure que tel ou tel fait relève des forces physiques, de nous connues et soumises à notre observation, ou bien qu'il se présente comme un phénomène d'un ordre supérieur, inexplicable par les seules lois de la nature. Cela, nous le confessons de bonne grâce. Mais vouloir rejeter comme absurde toute intervention de Dieu au sujet de sa créature et réduire absolument tout à des phénomènes de névropathie, pour faire plaisir aux incrédules, voilà qui est bien déraisonnable.

J'entre dans une telle discussion, afin de mettre dans une pure lumière les faits surnaturels que je raconte dans la biographie de la vierge de Lucques, Gemma Galgani, sachant bien que sans une rigoureuse démonstration beaucoup de lecteurs pourraient hausser les épaules ou rire de l'excessive crédulité de l'auteur. Je me prépare donc à démontrer : 1° Que Gemma Galgani n'a pas été hystérique. 2° Que l'hystérie ne peut en aucune façon expliquer les phénomènes extraordinaires que nous admirons en elle. - Dans d'autres dissertations je parlerai de l'hypnotisme, de l'autosuggestion et du spiritisme.

La science est le patrimoine de tous. Je me permettrai donc d'en prendre le langage, en m'appliquant toutefois à le mettre à la portée des plus humbles lecteurs.



PREMIERE DISSERTATION


LES FAITS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE DE GEMMA NE PEUVENT

AVOIR POUR CAUSE L'HYSTÉRIE



I



On parle beaucoup aujourd'hui de l'hystérie. Cependant lorsqu'il s'agit d'en préciser la nature et les causes, d'en décrire l'évolution et les effets, très peu paraissent bien savoir ce qu'ils disent. C'est une maladie spéciale, qui se contracte comme toute autre maladie et n'exclut pas l'influence de l'hérédité. Elle doit donc avoir un diagnostic propre et positif que devra faire avec diligence et patience auprès du malade tout observateur soucieux de savoir s'il a vraiment devant lui l'hystérie ou quelque autre infirmité. Un savant en cette matière a pu dire avec raison : « C'est un triste médecin que celui qui en toute rencontre se prononce pour l'hystérie. »

Commençons par indiquer les signes les plus caractéristiques de cette maladie protéiforme, en prenant pour guides les meilleurs maîtres. Les très savants Charcot et Richer (1) distinguent deux espèces d'hystérie : la grande et la petite. La grande comprend quatre périodes ou accès, savoir : 1° La période épileptoïde les membres se contractent convulsivement et donnent de vives secousses terminées par une détente de courte durée. 2° La période des contorsions et des grands mouvements dite clownique, parce que le malade fait penser aux tours de force des clowns ou baladins de rue. 3° La période des gestes gracieux et des attitudes passionnelles ; c'est un spectacle auquel la décence défend souvent d'assister. 4° La période du délire, qui finit par une contracture générale des membres, etc.

La petite hystérie, outre qu'elle est moins grave, n'a que les trois dernières périodes.

Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les figures qui illustrent l'ouvrage de Richer (La grande hystérie) et celui de Bourneville (Iconographie photographique de la Salpêtrière) pour se faire une idée de la gravité des symptômes de cette maladie. Ces auteurs, il est vrai, n'en décrivent que les phases aigües, mais le plus ou le moins dans une même chose ne peut en changer l'espèce, selon l'enseignement des philosophes. Tels sont donc les accidents caractéristiques dc l'hystérie. Le médecin doit les constater, avec plus ou moins d'intensité, dans un sujet, avant de le déclarer véritablement atteint de cette affection nerveuse.

Maintenant je dis et j'affirme que jamais on n'a vu de pareils phénomènes en Gemma Galgani, ni ensemble, ni séparément, ni sous forme grave, ni sous forme bénigne. On n'en a même pas vu l'ombre. Chez elle pas de convulsions, de contorsions, de secousses, de contraction de nerfs ou de muscles ; pas de spasmes ni de tremblements ; aucune rigidité dans les membres ; jamais d'état léthargique ni cataleptique ; aucun désordre dans les paroles ni dans les actes, et cela, même durant la grande maladie qu'elle fit vers l'âge de vingt ans.

Dans ses extases douloureuses la jeune fille souffrait cruellement à la tête d'abord, toute ensanglantée par de nombreuses piqûres paraissant l'œuvre d'épines ; aux mains et aux pieds, transpercés à leur centre comme par de gros clous aux épaules, sillonnées de plaies profondes que l'on eût dites ouvertes par des fouets. Et ces douleurs, loin de résulter d'une imagination en détresse, étaient aussi réelles que leurs causes et duraient autant qu'elles, environ une vingtaine d'heures. Or, même en cet état, pourtant si propice, on n'aperçut jamais chez la patiente la moindre ébauche de contorsions dont ne peuvent se défendre dans leurs crises les hystériques les plus retenues. C'était au contraire un calme, une sérénité seulement interrompue de moment en moment par des paroles embrasées d'amour céleste, qui eussent attendri le cœur d'un athée et engendré dans son âme la croyance au Christ.



II



Les accidents hystériques se manifestent sous des formes plus ou moins violentes et parfois isolément. Une fois la crise passée, le patient redevient calme, au point de paraître en état normal de santé. Cependant il n'en est pas ainsi. Une maladie aussi grave et presque incurable ne disparaît pas si promptement. Certaines dispositions habituelles, aisément constatées chez ceux qui en sont atteints, sont des indices manifestes de sa persistance après les accès passagers.

La première de ces dispositions, au dire de tous les hystérologues, c'est une sensibilité excessive aux impressions physiques, et plus encore aux impressions morales. Cette sensibilité paraît même le propre des hystériques, dont le commerce est par là rendu si pénible à ceux qui ont le malheur de vivre avec eux. Mais Gemma est modérée, et on admire en elle un calme merveilleux. Ni les malheurs les plus graves, ni les joies les plus pures ne peuvent l'émouvoir. Elle n'est pas contristée par des maladies longues et fastidieuses et c'est avec un aimable sourire qu'elle accueille la mort. Continuellement assaillie par les démons, qui se montrent sous les formes les plus horribles et les plus menaçantes, elle ne paraît pas effrayée. De même, elle reste, pour ainsi dire, indifférente dans les visions les plus douces et pendant les plus suaves communications du ciel. Ni les louanges ne lui donnent d'orgueil. ni les outrages de trouble. En un mot, dans tout le cours de sa vie elle se montre le parfait modèle d'une égalité d'âme inaltérable. Et ce serait une hystérique ?



III



Le second caractère qui permet de reconnaître facilement la présence de cette maladie, caractère commun, comme le précédent, à tous les hystériques, c'est la mobilité de l'esprit et du cœur. « L'hystérie, dit Richet, autre neurologue remarquable, c'est l'impuissance de la volonté à refréner les mouvements du cœur et les passions ; les hystériques ne savent pas ou ne peuvent pas vouloir. La passion ou l'impression du moment les mène toujours. » Et d'après le docteur Huchard : « L'hystérique n'est pas maîtresse de l'impulsion qui germe dans son cerveau. D'une heure à l'autre, d'une minute à l'autre, elle passe, avec une incroyable rapidité, de la joie à la tristesse, du rire aux pleurs. Versatile, fantasque, capricieuse, elle parle un moment avec une loquacité merveilleuse ; puis, sans transition, la voici taciturne, pensive. Elle laisse courir sa pensée après une imagination vagabonde et déréglée, qu'elle est incapable de gouverner. On la dirait, ni plus ni moins, sous l'influence continuelle d'un empoisonnement par le haschish. ». - « Le bon sens, reprend Richet, leur manque absolument. »

Tel est le triste sort des personnes hystériques. Celui de la vierge de Lucques en est bien éloigné. Quel caractère fut plus ferme, plus constant, plus résolu que le sien, plus maître de soi et de ses passions, plus fidèle à ses résolutions jusqu'à leur entier accomplissement ? Ayant résolu d'aimer Dieu, elle n'aima que Lui, depuis sa tendre enfance, pendant son adolescence et plus tard ; elle l'aima dans les aridités les plus profondes comme au milieu des consolations spirituelles ; et lorsque, à l'heure de la mort, dans la plus désolée des agonies, le démon s'efforce de lui persuader que le Seigneur l'a abandonnée sans retour, elle affirme qu'elle ne veut que Dieu et meurt avec son saint nom sur les lèvres. Elle se propose de pratiquer les vertus chrétiennes toujours et à n'importe quel prix ; et elle les pratique, depuis ses jeunes années jusqu'à son dernier soupir.

Elle combat sans trêve la vivacité de sa nature ; elle surmonte avec un courage héroïque les difficultés infinies qu'elle rencontre dans son chemin ardu, de la part des hommes et plus particulièrement de la part des démons, contre lesquels elle soutient une guerre impitoyable.

Que le lecteur repasse dans son esprit l'histoire de la vie de cette servante de Dieu, il n'y verra pas une seule parole, une seule action qui ne soit en parfaite harmonie avec l'ensemble, rien qui trahisse de la faiblesse ou de la légèreté d'esprit. Une personne ayant un caractère de cette trempe ne peut pas être appelée hystérique, hallucinée et folle.

Je dis folle, parce que l'hystérie est en réalité un vrai commencement de folie. En effet, cette maladie, quelle qu'en soit l'origine, trouble l'union de l'esprit et de la volonté raisonnable.

Elle se répand dans tout le système nerveux, pour y produire les multiples et très tristes effets déjà mentionnés. Tous les hystérologues du monde sont d'accord là-dessus. Considérez un fou, quelque modéré qu'il soit, il ne peut s'empêcher de faire des extravagances ; de bien loin on le distingue facilement de toute autre personne ayant le bonheur de posséder un cerveau solide. Comment donc ne le distinguerait-on pas d'une personne telle que Gemma, douée d'un bon sens si éminent qu'elle aurait pu en faire part à autrui. Et c'est ce qui arrivait. On venait de tout côté, (et c'étaient parfois des personnages considérables), lui demander conseil de vive voix ou par écrit. Et tous admiraient la prudence et la sagesse de ses réponses. Elle n'était donc pas hystérique.



IV



D'autres caractères pullulent chez les hystériques, comme s'ils sortaient d'une source funeste. Je vais les indiquer en reproduisant les propres paroles de maîtres illustres que nous pouvons suivre avec sécurité. « Un caractère particulier des personnes hystériques, dit Tardieu, c'est une dissimulation instinctive, un besoin invétéré et incessant de mentir sans raison et sans but, uniquement pour mentir, non seulement en paroles, mais encore en actions. Et ce qui est surprenant, ajoute Charcot, c'est la sagacité et la ténacité inouïes qu'elles mettent à tromper. » « C'est tellement surprenant, dit de son côté Niemeyer, que la chose approche de l'incroyable. » « Et ces mensonges, dit Richet, sont énoncés avec une telle audace, une telle crudité, un ton si affirmatif qu'ils en sont absolument déconcertants. » En un mot, « tous les auteurs, écrit Huchard, se sont plu, et avec raison, à insister sur l'incroyable tendance des hystériques vers le mensonge. »

À cette démangeaison de mentir s'ajoute un autre défaut la vanité. « La vanité chez les hystériques, dit Niemeyer, arrive un tel degré qu'elle dépasse les limites de l'imaginable. Elle devient l'unique motif d'actions étranges que ne peuvent comprendre ceux qui ne connaissent pas la nature de pareilles névrosées. » Et Richet : « Les personnes hystériques n'ont qu'un désir, c'est que les autres s'occupent d'elles, prennent à cœur leurs petites passions, s'associent à leurs aversions et à leurs inclinations, admirent leur intelligence et leurs toilettes. La toilette est toujours l'un des points qui occupent principalement une hystérique. »

Et maintenant, devrons-nous employer beaucoup de paroles pour démontrer que Gemma fut complètement réfractaire à cette double infirmité d'esprit, non moins par vertu que par caractère ?

Elle se montra toujours si candide et si ingénue qu'on l'aurait dite une enfant, et cette qualité la faisait aimer et adorer le tous. La règle de sa vie était celle de l'Évangile : c'est ; ce n'est pas. Tout un chapitre de sa biographie est consacré à démontrer que la simplicité fut le signe particulier, l'émanation spéciale de la sainteté chez cette vierge. On peut en dire autant de l'humilité. Elle ne craignait rien tant que de voir les choses merveilleuses que Dieu opérait en elle venir à la connaissance du publie ; elle s'en taisait même avec ses directeurs spirituels qui devaient s'ingénier, dit l'un d'eux, pour lui en arracher un seul mot. En étudiant sa vie, si l'on trouve dans une seule de ses paroles, dans un seul de ses actes, une ombre même de jactance, de vanité ou de duplicité, je m'avouerai vaincu. Mais si le contraire se produit, il faudra bien reconnaître sans hésitation que cette jeune fille n'a jamais été le moins du monde hystérique.



V



On ne réussira pas mieux, si l'on veut appliquer à Gemma Galgani les autres symptômes de cette maladie, tels que : une imagination ardente, de l'irascibilité, de l'exagération en tout et pour tout, un penchant vers tout cc qui est propre à causer des émotions, émotions dont les hystériques sentent en elles-mêmes un fort et continuel besoin. Par exemple, elles raffolent de la musique, de la danse, des spectacles, des romans, et d'autres divertissements semblables. En vérité, l'inclination naturelle de Gemma était tout opposée. D'imagination, elle paraissait n'en pas avoir ; ou du moins cette faculté était chez elle si bien réglée que jamais personne ne la vit sortir des limites de la plus stricte modération. En fait de sentiments, elle n'a éprouvé que l'amour de Dieu et l'horreur du péché. Si dans son enfance la vivacité de sa nature la fit parfois donner clans quelque imperfection de son âge, la vertu eut bientôt refréné toutes les passions. Elle devint un tendre agneau qu'on pouvait maltraiter sans encourir son ressentiment. Sa pondération égalait sa douceur. On n'a jamais rien remarqué d'exagéré dans ses pensées, ses discours et ses actes. Au contraire, en toute chose se voyait sa modération et son égalité d'âme. Aucune affectation ou grimace ni dans ses exercices de piété, ni dans la pratique des vertus, ni dans ses pénitences, ni dans ses prières publiques ou privées. Elle coupait court aux émotions et aux désirs, même dès son enfance, alors qu'un sang vif bouillonnait dans ses veines. De même, elle ne supportait pas qu'on les excitât par la parole en sa présence. Et toutes les fois qu'elle ne pouvait empêcher de semblables discours, elle s'éloignait adroitement du lieu de la conversation.



VI



Les caractères secondaires de l'hystérie, dont nous venons de parler, s'appellent psychologiques parce qu'ils ont pour sujet l'esprit. Il en est aussi qui se manifestent dans le corps et que l'on appelle pour cela somatiques, ce sont : 1° Des douleurs dorsales dont le docteur Sydenham paraît tenir grand compte ; on éprouve aussi des douleurs épigastriques. 2° La suffocation que sous le nom de boule hystérique les anciens ont aussi reconnue comme caractéristique de l'hystérie, et parfois comme précurseur des terribles accès qu'ils appelaient fureur hystérique. La perte de la sensibilité ou anesthésie dans une partie déterminée du corps et le plus souvent au côté gauche. 4° L'hyperesthésie, c'est-à-dire un excès morbide de sensibilité dans quelque partie déterminée, interne ou externe, qui donne lieu à des spasmes intolérables. 5° Un visage pâle, amaigri, des yeux cernés. 6° Un goût singulier pour les aliments indigestes, tels que herbages crus, salaisons, etc ; pour les substances acides, pour le café chargé et amer. En un mot, les hystériques ont ce qu'on appelle vulgairement un estomac capricieux. D'ailleurs, tout est anormal et étrange chez une femme hystérique la nutrition, la circulation, le sommeil, la veille, les règles mensuelles, etc. 7° Enfin il faut noter comme caractéristique de cette maladie la présence, dans la périphérie du corps, de points dits zones hystérogènes, dont dépend si étroitement le paroxysme hystérique qu'on peut le faire naître ou cesser, en les comprimant avec adresse.

Maintenant, sans me perdre dans une nouvelle démonstration qui serait inutile et fastidieuse pour les lecteurs de la vie de Gemma, je me contente d'affirmer que pas une des manifestations morbides énumérées ci-dessus ne s'applique à notre cas. Notre jeune fille n'eut jamais de douleurs épigastriques, hors de la période de passagère infirmité pendant laquelle elle souffrit d'un échauffement d'entrailles dans la forme et pour la cause que j'ai racontée au chapitre XXV, page 295. Sa maladie de l'épine dorsale une fois guérie, elle n'eut plus de douleurs ni de dos ni de reins. De même elle n'éprouva jamais d'étouffement ou une sensation quelconque de boule hystérique. Jamais elle ne perdit la sensibilité sur un espace déterminé du corps. Pas de caprices d'estomac, pas d'irrégularités appréciables dans les fonctions physiologiques. Son visage n'était ni pâle ni émacié.

Au sujet de la zone hystérogène, ii me plaît de raconter une anecdote assez singulière qui peut servir à prouver ma thèse. J'avais décidé de soumettre Gemma à toutes les expériences suggérées par la science, pour faire briller la vérité dans tout son éclat. Ce qui concernait la zone me paraissant avoir été le seul point laissé en arrière, je pensai faire appel à une personne compétente, dès que se présenterait la première occasion favorable. À mon retour dans la maison, je trouvai Gemma en extase. Revenue de cet état, elle eut, en me voyant, son sourire ordinaire. Ce sourire faisait un gracieux contraste avec un certain sentiment de mécontentement qui paraissait dans ses yeux. Elle me dit avec une ineffable ingénuité : « Méchant, méchant Père ! Pourquoi voulez-vous faire à Jésus cette sorte d'affront et m'imposer une si grande mortification ? Vous savez bien combien il me répugne de me laisser toucher. Vous avez arrangé cela en secret, mais Jésus m'a tout révélé. Du reste qu'on fasse ce que l'on voudra. Jésus m'a dit de ne pas m'y opposer. » Je restai bouche ouverte, et je dis des choses peu agréables à l'adresse de l'hystérie et de ceux qui la voient partout.



VII



Et maintenant, examinons l'étiologie de cette maladie, c'est-à-dire les causes qui, au dire des médecins, la produisent ordinairement. Pour être bref, nous n'en retiendrons que deux, auxquelles on peut facilement ramener toutes les autres, savoir l'atavisme qui transmet l'hystérie avec le sang des aïeux ; et une perturbation morale causée par l'excitation des passions, par de grandes contrariétés, par une grande peur ou par l'incontinence (en prenant ce dernier mot dans son sens le plus ample.) Ceci est facile à comprendre de telles perturbations en effet se répercutent toujours sur les deux grands systèmes nerveux : le cérébro-spinal et le grand sympathique. Pour peu que l'on ou l'autre dc ces organes ne soit pas en état de résister à un choc ou à un mouvement violent (ce qui arrive le plus souvent chez le sexe faible), on voit se rompre l'harmonie et la subordination qui doivent régner entre eux pour le bien-être de l'organisme entier. « En cela consiste, dit le docteur Bernutz, le caractère primitif de l'hystérie. » Si nous consultons la statistique des hôpitaux, nous trouverons bien rarement des cas d'hystérie chez des personnes vivant dans un honnête célibat. La proportion est d'un peu plus de deux pour cent hystériques. Le plus fort contingent est donné par les personnes qui mènent une vie agitée dans le désordre des passions violentes et effrénées. « Quand une jeune fille, dit le docteur Lefèbvre, ne doit pas le germe de l'hystérie au sang de sa race, la maladie est presque toujours l'effet de sa (mauvaise) éducation et de son (triste) genre de vie. » C'est de la même manière et presque dans les mêmes termes que s'exprime le docteur Niemeyer.

Pour la raison contraire, de l'aveu de tous les hystérologues, de Bruchot, de Briquet, de Bernutz, les jeunes filles qui ont été élevées avec précaution jusqu'à leur puberté, qui s'appliquent à vaincre leurs passions, qui sont habituées à une vie calme, tranquille, encore que monotone et ascétique, ont toujours été les plus éloignées de l'atteinte de cette maladie.

Cela posé, qui ne voit combien Gemma Galgani était, par ses dispositions naturelles, réfractaire à l'hystérie ? Elle ne l'avait certainement pas héritée de ses parents, qui jouirent d'une santé parfaite sous ce rapport, comme toutes les autres personnes de son sang. Quelle vie d'enfant fut mieux instruite dans les bonnes mœurs, plus tranquille, plus séparée des désordres et des troubles du monde ? Des causes de mécontentement, elle en eut et beaucoup depuis son enfance. Mais habituée à voir toutes choses en Dieu et à tout accepter de sa main, elle gardait à ce point son calme qu'à peine éprouvait-elle le besoin de s'exciter au courage pour supporter avec patience les plus graves douleurs. Qu'on lise le chapitre V de sa vie et l'on me donnera raison. Des commotions morales, elle n'en ressentit pas. De la peur, on ignore si elle eut l'occasion d'en éprouver. D'ailleurs il n'était pas facile de l'effrayer. À l'âge de dix-neuf ans, à la mort de son père, à peine le corps avait-il été enlevé du lit pour être porté au cimetière, qu'elle se mit dans ce lit, et demeura dans cette même chambre tant que dura sa longue maladie de l'épine dorsale, qui dès lors commençait à l'affliger. Par quelle étrange aberration pourrait-on se figurer, malgré tant de preuves contraires, que Gemma a été hystérique ?

Si les symptômes assignés par la science à ce désordre nerveux, symptômes principaux ou accessoires, psychiques ou somatiques, habituels ou actuels manquent complètement, si on voit même en Gemma tout l'opposé de chacun d'eux, si les causes font défaut, si les effets n'y correspondent pas, on doit conclure avec certitude, en méprisant l'esprit léger du monde, qu'il n'y a pas eu l'apparence de cette fameuse maladie dans l'angélique vierge de Lucques.



VIII



Je suis arrivé ainsi à démontrer indirectement la seconde partie de ma thèse, à savoir que les faits extraordinaires manifestés en Gemma, n'ayant rien de commun avec l'hystérie, doivent être attribués uniquement à une cause surnaturelle. Néanmoins il sera bon de traiter la question directement avec les preuves qui lui sont propres ; et puisque les personnes reconnues vraiment hystériques donnent le spectacle de phénomènes étonnants qui semblent avoir quelque analogie avec les nôtres, nous emprunterons nos preuves à la comparaison. La matière ne peut être plus abondante. Aujourd'hui que tout s'observe, on recueille en de gros volumes les faits de ce genre partout où ils se produisent, surtout dans les grands hôpitaux, tels que celui de la Salpêtrière de Paris, où l'on reçoit et soigne des centaines de malheureuses hystériques. Je connais à peu près tout ce qui en a été écrit jusqu'à ces derniers mois. On ne pourra donc m'accuser de parler à la légère si j'affirme que tous ces faits, du premier au dernier, se ressemblent et qu'il suffit d'en choisir un seul comme type, par exemple, de l'extase hystérique, pour le comparer à l'extase chrétienne.

Traitons pour le moment cette seule question de l'extase, en remettant à la dissertation suivante l'examen des autres faits merveilleux dont Gemma a été le sujet.

Dans les recueils de Richer et dc Bourneville je relève les particularités suivantes, que le premier de ces deux auteurs regarde comme typiques. Il s'agit dc deux femmes hystériques de son hôpital. L'extase (hystérique), dit-il, s'annonce par la mélancolie et par l'abattement. Pendant des heures entières, les malheureuses ont un visage défait et paraissent plongées en de tristes pensées. Cependant ces accès de mélancolie alternent avec des moments de folle allégresse, dont personne ne saurait donner la cause. C'est un rire effréné et incoercible pour le plus futile motif ; cc sont des chants à perdre haleine, des enfantillages et des extravagances de toute nature. La future extasiée se montre soupçonneuse, jalouse, intraitable avec les personnes les plus intimes et, inversement, aimable jusqu'à l'excès pour des gens qu'elle n'a jamais connus auparavant. Elle se met à courir par le corridor et les escaliers en gesticulant comme une folle. Puis surviennent les accès décrits plus haut comme caractérisant l'hystérie aigüe à son paroxysme : elle a des convulsions, des vomissements, des contorsions, des tremblements ; elle roule les yeux, elle bave. En somme, elle ressemble à une vraie possédée.

Secouée, épuisée par ces terribles accès, la malheureuse se trouve parfaitement préparée pour son extase. Elle y entre en effet. C'est d'abord une extase très effrayante. La malade croit voir des ennemis et des fantômes de tout côté voleurs, assassins, feu et flamme. De toutes ses forces elle pousse des cris d'épouvante en appelant au secours. Elle s'agite comme si elle voulait prendre la fuite. Mais ne vous alarmez pas : en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle redevient calme, mais non bonne ; car elle éprouve le besoin de se répandre un moment en propos obscènes et scandaleux, tels que Bourneville n'a pas eu le courage de les reproduire textuellement.

Après cette sortie commence le ravissement mystique. Elle s'asseoit sur son lit, le regard tourné vers le ciel, les mains jointes, et demeure ainsi sans bouger, paraissant complètement absorbée. Dans sa prière, elle est plutôt édifiante. Toutefois l'illusion dure peu. Subitement l'extatique retourne à sa fureur, à son langage dévergondé, à d'horribles contractions du visage et à une telle expression de lubricité qu'on ne peut la regarder sans dégoût dans les photographies. Quelquefois néanmoins le ravissement se passe avec plus de dignité et sans convulsions préalables ou concomitantes Alors il semble une fleur de pure mysticité chrétienne. C'est toujours Bourneville qui parle et décrit.

Toute la personne : le visage, le buste, les membres sont rigides et immobiles. La tête, renversée en arrière, perpendiculairement à l'axe du corps, est légèrement inclinée sur l'épaule gauche. Les paupières, à demi fermées, ont parfois des mouvements convulsifs qui laissent voir les globes oculaires retournés vers le haut et en dedans. Les muscles des mâchoires sont contractés. Les arcs dentaires, séparés l'un de l'autre d'un centimètre, ne peuvent ni se rapprocher ni s'écarter davantage. Les bras sont tendus perpendiculairement au tronc, c'est-à-dire en croix. Les mains sont fermées, et les doigts tellement serrés sur les paumes qu'on ne peut les dénouer. Les jambes sont jointes et allongées ; les pointes des pieds, courbées. En un mot, la rigidité de tout le corps est si grande qu'on peut le soulever sans lui faire perdre son attitude, ni plus ni moins que s'il était de fer. Au bout de deux heures, elle ouvre les yeux, reprend ses sens et s'écrie : « Mon Dieu, que j'étais bien ! » Les membres, pâles et froids pendant l'accès, reprennent leur état ordinaire. Les bras se replient, puis se détendent comme si la malade voulait s'étirer. Elle porte les mains à son cou, qu'elle se déchirerait, si elle n'était retenue. Survient un gémissement entrecoupé, toujours croissant ; la tête s'incline et se relève, comme chez une personne qui s'éveille. Une fois assise, la malade se lamente « Où suis-je ? Ah ! j'étais si bien là-haut ! c'était si beau ! - Mais qu'as-tu donc vu là-haut, heureuse femme, pendant que tu étais comme clouée à la croix ? - Voici : Je me suis trouvée dans le ciel, au milieu d'une splendeur éblouissante. On y voyait de tous côtés (devinez !) de petites prairies de bourraches où erraient des petits Saint-Jean (?) et des agnelets tondus. Il y avait ensuite beaucoup de diamants, de peintures, des étoiles de toutes couleurs, etc. Quant à Notre-Seigneur, il a des cheveux châtains et bouclés, avec une grande barbe rousse. Il est beau, grand, robuste et tout vêtu d'or. La Madone est vêtue d'argent. »



IX



Maintenant je le demande Si c'est là l'hystérie, quelle effronterie ne faut-il point pour la comparer aux ravissements, aux extases et aux visions de notre Gemma, visions toujours si calmes, si spontanées, si pudiques, si édifiantes, si concordantes en toutes leurs parties. Au premier indice qui les lui annonçait intérieurement, elle se retirait dans sa chambre pour se soustraire aux regards d'autrui. Elle s'agenouillait sans aucun appui, joignait les mains et se mettait en prière. Après quelques minutes, elle perdait les sens, mais sans changer d'attitude, de sorte qu'il fallait s'approcher et la secouer pour s'assurer de l'état extatique. Ses membres étaient insensibles, mais non rigides ni tremblants. On pouvait les mouvoir en tous sens comme ceux d'une personne endormie. Elle se tenait droite sur ses genoux, sans pencher d'un côté ni de l'autre et sans avoir besoin de soutien. Elle revenait de l'extase comme elle y était entrée, sans effort, sans éprouver de lassitude, sans bailler, sans s'étirer les bras et sans manifester la moindre inquiétude. Elle semblait sortir d'un paisible sommeil. Un sourire angélique marquait seul le passage de l'état extatique à l'état naturel. Immédiatement elle retournait à ses occupations domestiques. Quelquefois le ravissement divin la surprenait pendant le repas, au salon ou à son bureau. Dès la reprise des sens, elle baissait les yeux sans se troubler, et avec la plus grande facilité, se remettait à manger, à causer ou à écrire. Pendant l'extase on ne voyait en elle aucun mouvement violent, aucune agitation. Elle ne tremblait pas, ne se débattait pas. Actions, paroles et gestes, tout indiquait une personne en intime conversation avec la Majesté de Dieu. Et ce serait là un phénomène naturel d'hystérie, c'est-à-dire, de perturbation morbide du système cérébro-spinal, comme on le reconnaît à première vue dans les étrangetés des extatiques des hôpitaux ?



X



Mais, dira-t-on encore, toutes les extases hystériques ne sont pas violentes, et il en est de si modérées et de si raisonnables qu'on peut les comparer aux meilleures de celles qu'énumèrent les mystiques chrétiens : par exemple, les extases d'Alexandrine Lanois, française, rapportées dans les Annales médico-psychologiques du docteur Sanderet.

Je réponds : je concède la première partie de l'observation ; la folie, en effet, n'est pas toujours furieuse. Je nie la seconde : quelque modérée qu'apparaisse la folie dans ses accès, elle résulte toujours cependant d'un trouble cérébral qui, par nature, doit nécessairement produire des incohérences et des extravagances. Nous en avons la preuve dans la même française, Lanois, citée comme exemple. Elle aussi dans ses extases disait partir pour le ciel et y contempler des choses secrètes ; mais écoutez quelles choses : « J'ai vu Dieu ; il était vêtu de blanc. dans un ciel, partie en argent, partie en or ; » et c'étaient de semblables sornettes. Si bien que le même docteur Sanderet, un témoin auriculaire, s'écrie après les avoir rapportées : « Ces visions ne font certes pas trop d'honneur à son imagination. »

Alexandrine Lanois, indubitablement hystérique, avait, comme telle, le cerveau troublé ! Aussi se figurait-elle Dieu vêtu de blanc, le paradis doré et argenté, de même que l'hystérique de la Salpêtrière voyait Notre-Seigneur tout d'or et la Sainte Vierge toute d'argent, avec des troupes de petits Saint-Jean et d'agnelets tondus. Pourrait-on s'étonner que, à la vue de si belles choses, elles restassent tranquilles, plutôt que de se débattre dans de violentes convulsions ?

La nature seule de leurs visions dénonce l'hallucination dans ces deux extatiques. D'ailleurs il n'est pas vrai que les extases d'Alexandrine aient été calmes au point de ne pas laisser paraître à première vue les symptômes d'un véritable accès d'hystérie, soit dans les mouvements convulsifs des paupières, soit dans les mouvements anormaux des bras, soit enfin en d'autres étrangetés soigneusement notées par le médecin qui l'observait. Il est également faux de tout point qu'Alexandrine Lanois fût toujours un modèle de tranquillité, car le docteur Jeannin, son propre médecin, affirme que les extases de forme édifiante avaient été précédées de violentes, avec des excès nerveux se répétant jusqu'à trente fois par jour. Elle se débattait avec une force si grande que plusieurs personnes ne pouvaient la maintenir. Et ce serait là un exemple à opposer à l'extatique de Lucques ? Au lecteur d'en juger.

Je m'abstiens de toute autre comparaison, parce que, je le répète, les manifestations hystériques se ressemblent dans tous les sujets et montrent plus ou moins le principe qui les cause et les dirige. Je l'ai déjà dit : l'hystérie est une maladie qui confine à la folie ; et la folie dans ses accès ne peut occasionner que désordres et extravagances. Croyons-en le docteur Huchard qui n'est certes pas suspect : « La facilité, dit-il, avec laquelle les hystériques, dans leurs accès délirants, (non pas, grâces à Dieu dans leurs extases, mais dans leurs accès délirants), passent d'un sujet à un autre, de la gaieté à la tristesse, d'un air riant à un air grave, du plaisant an tragique, est vraiment stupéfiante. Les sentiment les plus élevés, les pensées les plus pures, les expressions du langage le plus cultivé font place tout d'un coup et sans aucune transition aux instincts les plus bas et aux inclinations les plus honteuses, exprimées dans les termes les plus dévergondés. »

Que l'on soumette donc à un examen attentif, et une à une, ces tristes manifestations de l'infirmité humaine unanimement attribuées à l'hystérie, et le danger d'une méprise deviendra impossible. La différence entre ces étranges extases et les extases véritables de l'hagiographie chrétienne apparaîtra aussi grandi que l'espace qui sépare la terre du ciel. Si les premières eu effet sont de la terre, les secondes viennent certainement du ciel.



XI



À cette conclusion sont arrivés tous ceux qui, d'un esprit impartial, ont voulu étudier la question présente du point de vue, le seul véritable, que j'ai choisi dans cette thèse. Je cite, entre autres, Mantegazza, matérialiste et incrédule autant que personne, mais d'une intelligence et d'un sentiment esthétique que ses mauvais principes ne parviennent pas toujours à dominer dans les questions religieuses. Il a écrit un livre intitulé : Les extases humaines, dans lequel il s'élève contre Legrand de la Saulle, qui, ne voulant pas, comme tant d'autres de ses pareils, entendre parler de véritables extases, les réduit toutes à des phénomènes d'hystérie. Mantegazza l'appelle : « un petit écrivain léger et bluffeur, qui a l'audace de déclarer l'illustre sainte Thérèse une pauvre hystérique et rien de plus. » Et pour le convaincre d'erreur, il lui met devant les yeux de longs passages des œuvres de cette sainte, lui en faisant remarquer les sublimes pensées, l'harmonie et la beauté, qui s'accordent si peu avec le trouble cérébral de l'hystérie. Certes nous n'admettons pas les doctrines professées par Mantegazza dans son ouvrage, mais ce n'est pas peu de chose qu'un tel écrivain soit parvenu, par la seule voie de la comparaison, à la conclusion que je viens de citer. Que les autres l'imitent qu'ils examinent avec soin et sans parti pris tous les faits annexes et connexes des véritables extases fidèlement rapportés dans la vie de Gemma Galgani ; et si parmi les centaines d'extatiques hystériques qui, dans les maisons de santé, sont pour les curieux un spectacle et un divertissement, on peut en produire une seule capable de parler d'une manière aussi sublime que l'extatique chrétienne de Lucques, alors qu'on élève jusqu'aux étoiles cette noble maladie et sa magique vertu. Mais si l'on n'en peut rapporter que des incohérences et des puérilités de saltimbanque, il faut conclure que l'hystérie n'a rien à voir avec les merveilles de la vie de Gemma Galgani.



XII



Malheureusement les incrédules de nos jours n'ont pas coutume de procéder ainsi dans leurs examens, lorsqu'ils se trouvent en présence d'extatiques chrétiennes. Laissant de côté les critériums essentiels, ils se perdent en certains détails secondaires qui ne servent qu'à les égarer davantage. Ils ne sont pas frappés de cette transformation du visage humain en visage céleste, de ce rayon de lumière divine que l'on voit briller dans les yeux, des pensées sublimes de leur foi illuminée, de la précision des termes dans leurs discours sur des sujets théologiques et mystiques, de la cohérence entre leurs paroles et leurs actes, etc. Mais ils s'attachent à de véritables puérilités dont un esprit sérieux ne devrait tenir aucun compte. Par exemple, ils découvrent les pupilles de l'extatique, et s'ils les trouvent tant soit peu dilatées, comprimées ou convergentes, ils s'écrient aussitôt : « II faut se rendre : c'est une extase hystérique. » D'autres se mettent à pincer ou à piquer avec une épingle les mains et la tête. Les trouvant anesthésiées, c'est-à-dire dans une insensibilité absolue, ils ne doutent plus : c'est bien un accès hystérique puisque l'anesthésie et l'irrégularité des pupilles s'y rencontrent fréquemment.

Qui ne voit combien déraisonnable est un pareil jugement, combien il est illogique d'argumenter des accidents à la substance, de quelques qualités secondaires à l'essence ? Le strabisme momentané des yeux se trouve, il est vrai, dans la léthargie hystérique ; mais il ne lui est pas tellement particulier qu'on ne puisse le constater dans d'autres états physiologiques. Autrement tout dormeur serait dans un accès d'hystérie, parce que dans le sommeil, les globes des yeux divergent sous les paupières. De même, dans les accès hystériques le malade reste parfois les yeux ouverts et immobiles, fixes sur un point déterminé. Mais qui voudrait soutenir que cela n'arrive qu'aux hystériques ? Toute forte impression physique on morale peut, on le sait, immobiliser le regard, affaiblir les autres sens et même modifier les mouvements du cœur.

Le caractère essentiel de l'hystérie, je l'ai dit dès le début, n'est pas constitué par un certain aspect des yeux, par tel ou tel mouvement des mains ou des pieds, mais bien par un trouble morbide des centres nerveux qui se manifeste en phénomènes et en accès determines, phénomènes et accès qu'il faut constater, les principaux du moins, pour être certain de se trouver en présence de cette maladie.

Mais il est une autre erreur à éviter. Certains pourraient supposer qu'un phénomène, pour être dit d'ordre surnaturel, doit l'être dans tous ses détails, à l'exclusion de tout concours des forces physiques. Voilà, dis-je, une erreur, car Dieu n'agit pas ainsi dans la nature. Il n'entend pas faire des miracles sans nécessité, mais seulement quand la nature ne peut d'elle-même parvenir à la fin voulue par Lui. Cette remarque s'applique à l'extase. Lorsque celle-ci est parfaite. certains principes de vitalité demeurent nécessairement suspendus dans l'âme, et alors les organes et les sens corporels sont assoupis et inertes, à peu près comme dans le sommeil. L'abstraction, le ravissement de l'âme vient certainement de Dieu, qui seul peut le produire, mais les conditions physiologiques qui en résultent sont, d'ordinaire au moins, chose fort naturelle et par conséquent sous la dépendance des mêmes lois qui régissent les états similaires provenant de causes non surnaturelles. Il n'y a donc pas à s'étonner si l'extatique et l'hystérique présentent dans leur corps certains symptômes assez semblables. La cause première et éloignée en est très différente, car dans le premier cas c'est le ravissement divin qui suspend l'influx de l'âme sur les sens. Dans le second, an contraire, c'est la maladie qui, en troublant des organes essentiels, empêche l'âme de vivifier les sens. La cause seconde et prochaine est la même dans les deux cas, c'est l'incapacité des organes à se mouvoir comme à l'ordinaire. La seule différence qui existe entre eux, la voici : l'hystérie n'est pas tant une cause d'incapacité pour les organes, qu'une cause de désordre et de trouble des centres nerveux, et c'est pourquoi elle produit les tristes effets particuliers dont nous avons parlé tout au long. Cette observation mérite d'être prise en considération, car elle peut aider à démontrer l'insuffisance de certains critériums : aujourd'hui en vogue, et elle servira de bon guide pour juger avec rectitude dans les cas particuliers.



XIII



J'ajoute une autre observation. Pour si triste que soit la condition d'une hystérique, elle ne l'exclut pas inexorablement des célestes communications et des extases. Il suffit que le trouble nerveux et cérébral produit par sa maladie n'ait aucune part ici et soit neutralisé par la cause qui opère et peut seule opérer dans l'âme de l'extatique. Manifestement cette remarque ne regarde pas le cas de Gemma Galgani. Il ne sera pas toutefois inutile de l'avoir faite, car quelqu'un pourrait peut-être prétendre, avec bonne ou mauvaise foi, avoir reconnu un jour en elle un symptôme appartenant, selon toute apparence, à l'hystérie. Mais que dis-je ? Lors même que l'on réussirait à établir une pareille assertion, on n'aurait rien prouvé, car pour avoir ressenti une fois un trouble nerveux, on n'en est point irrémédiablement condamné à le voir se répéter.

Le fait est que, non seulement personne jusqu'à ce jour n'a pu apporter aucun indice de ces accès occultes chez Gemma, mais tous ceux qui ont approché cette angélique jeune fille se sont plu à reconnaître en elle un tempérament très réfractaire à l'hystérie, car, je l'ai déjà dit, son caractère était paisible, calme, résolu, toujours égal et semblable à lui-même ; sa manière d'agir sensée, grave, modérée. Sa persévérance dans la pratique de la vertu, sa fermeté dans la réalisation de ses projets, son langage modeste et dépourvu d'affectation, sa rare simplicité d'enfant, enfin l'ensemble de ses qualités physiques et morales faisaient d'elle un sujet de vénération et d'amour pour son entourage. Si on n'aperçut jamais une ombre d'hystérie dans les relations de Gemma avec ses semblables, ni dans les actes de sa vie ordinaire, comment pourrait-on la supposer dans ses rapports avec Dieu et dans les phénomènes admirables de son mysticisme ? J'en appelle au bon sens des lecteurs de sa biographie.



XIV



Une dernière observation. Outre l'hystérie plus ou moins aiguë qu'après la phalange des grands maîtres nous avons divisée en grande et en petite, il en est une troisième forme, beaucoup plus commune et plus bénigne, particulièrement étudiée par le docteur Briquet. Elle résulte du trouble des grands centres nerveux et présente tous les caractères des deux hystéries précitées, à part les accès. C'est un trouble latent, comme le trouble cérébral des demi-fous. Beaucoup de médecins la confondent avec la neurasthénie ordinaire ou névropathie, m laquelle les femmes sont si sujettes ; ce qui a fait croire avec peu de raison que la majeure partie du sexe faible est hystérique. Or, puisqu'il reste parfaitement démontré que les faits pathologiques de la grande et de la petite hystérie n'ont jamais été constatés chez Gemma, ne pourrait-on pas la croire hystérique dans cette dernière forme, c'est-à-dire sans accès, par suite d'un trouble cérébral à peine perceptible ?

Je réponds : admettons-le, bien que rien n'autorise à le supposer. Mais un tel expédient n'est pas capable d'infirmer ma thèse, car, en notre cas, admettre une hystérie assez bénigne et assez atténuée pour rendre sa présence incertaine, c'est réduire au minimum de son énergie une cause dont on attend de grands effets : Et certes ils sont grands les effets que nous avons admirés en Gemma : extases, larges stigmates des mains, des pieds et du côté, mystérieuses piqûres d'épines autour de la tête, larmes de sang tombant de ses yeux, sueur de sang coulant de tout son corps, cœur littéralement embrasé, incurvation de trois côtes avoisinant le cœur, et autres phénomènes aussi prodigieux. Si les violentes et effrayantes excitations de la grande hystérie des hôpitaux n'ont réussi à rien produire de semblable, comment nous ferez-vous croire qu'une ombre de cette maladie ait pu susciter les grands phénomènes dont Gemma Galgani fut le sujet ? Soyons logiques : l'effet doit toujours se trouver proportionné à la cause. Et quand cette proportion ne se découvre pas, il convient de recourir à un autre agent.

Maintenant je conclus et je dis : si à vos yeux (on devine à qui je m'adresse) Gemma est une hystérique de la forme que vous insinuez, bien que le contraire soit surabondamment démontré, contentez-vous de la plaindre sans vouloir la contraindre à faire des choses impossibles pour elle. En effet, ce genre d'hystérie dans une jeune fille indique un organisme épuisé, incapable d'aucun acte physiologique important. Le monde est plein de ces malheureuses, vous le confessez vous-mêmes. Il n'est pas de médecin qui n'en ait traité quelqu'une et qui ne puisse témoigner de leur incapacité absolue à rien produire d'extraordinaire. Donc, je le répète, contentez-vous de plaindre la pauvre Gemma, et laissez-la en paix, car, avec vos suppositions et vos assertions gratuites, jamais vous ne parviendrez à expliquer les prodigieux phénomènes de sa vie mystique.



XV



Un médecin, après avoir lu ma dissertation dans la première édition de la vie de Gemma, se contenta de hausser les épaules en disant que l'auteur s'appuyait « sur des théories mal assurées, qui changent d'un jour à l'autre. » S'il m'eût adressé à moi-même ces paroles, je l'aurais certainement fait taire. Comment ? lui aurais-je répondu, elles sont si peu sûres pour vous les théories que j'ai prises chez vos docteurs qu'elles ne vous inspirent aucune confiance, et cependant vous y adhérez avec ténacité toutes les fois qu'elles vous permettent de combattre les plus intimes convictions des catholiques.

Mais est-il bien vrai que ces théories changent d'un jour à l'autre ? Que dirait le célèbre Cliarcot, s'il pouvait vous entendre, lui qui a consacré toute sa vie à affermir ces théories ? Que diraient un Richer, un Bourneville et cent autres qui, par leurs profondes et patientes études, ont illustré son école ? Je sais bien que l'école de Paris, sans être certes bien ancienne, a été surpassée par celle, plus récente, de Nancy, et que l'éclat des premiers grands maîtres a été en partie obscurci par les nouvelles études d'un Liébault, d'un Ducos, d'un Bernheim, d'un Liégeois et d'un Beaunis. Toutefois on n'a point touché aux théories fondamentales, qui, une fois établies par des preuves solides, ne changent pas. Autrement, adieu la science ! La pathologie deviendrait une absurdité, et la thérapeutique une immoralité.

Mon censeur peut venir nous dire que les travaux de la nouvelle école ont perfectionné le système de Charcot et en ont rendu les notions plus claires et plus explicites, à la bonne heure ! mais non qu'ils en ont démontré la fausseté. Qu'il affirme que bien des opinions, des hypothèses et des conjectures, mises d'abord en avant pour expliquer certains phénomènes et découvrir certaines causes, paraissent aujourd'hui mal établies, comme le paraîtront peut-être demain celles qui sont aujourd'hui en vogue ; nous le comprendrons, car la science moderne est toute empirique et toute positive ; elle ne s'appuie pas sur les solides principes de la métaphysique. Mais que mon distingué censeur ne nous soutienne pas que rien ne subsiste plus des observations et des faits du passé. Ce serait mentir grossièrement que d'affirmer que l'hystérie n'est pas aujourd'hui la même maladie qu'il y a dix, vingt et trente ans, avec ses caractères spécifiques, avec ses faits pathologiques, avec les diverses formes et l'étrangeté de ses phénomènes, avec ses manifestations, diverses de degré et d'intensité.

De ces opinions, hypothèses et conjectures des écoles de Paris et de Nancy, je n'en avais que faire, aussi ne les ai-je pas mentionnées dans ce travail. Vouloir me battre en alléguant leur instabilité, c'est véritablement frapper dans le vide.

Ainsi donc, mon syllogisme demeure dans toute sa vigueur, et je l'enserre dans les termes suivants : l'hystérie est une maladie qui, de l'avis de tous les cliniciens anciens et récents, présente tels phénomènes annexes et connexes. Or les phénomènes remarqués en Gemma Galgani diffèrent de tout point de ceux de l'hystérie. Donc Gemma Galgani n'était pas hystérique. Donc, le merveilleux que nous admirons dans sa vie doit s'attribuer à une cause surnaturelle (2).



 

(1) Les ouvrages de ces deux auteurs étant fort connus des personnes qui peuvent les consulter utilement, je me dispenserai d'indiquer mes références.

(2) Voir les belles études du père Salis-Seewis S. 1. dans son opuscule : Les extases, les stigmates et la science : dont je me suis aidé dans cette première dissertation