La Royauté universelle
de Notre-Seigneur Jésus-Christ
Data est mihi omnis potestas in caelo et in terra.
Depuis plusieurs années bien des Évêques et Généraux dOrdres religieux ont demandé au Souverain Pontife une messe et un office en lhonneur de la Royauté sociale de Jésus-Christ. Sous Léon XIII, une pétition signée par le Cardinal Sarto, le futur Pie X, et par dautres représentants du Sacré Collège, reçut du Saint-Père le meilleur accueil. Depuis lors le mouvement sest développé, dans le monde entier; environ six cents membres de la hiérarchie ont insisté auprès du Saint-Siège pour linstitution dune fête spéciale de Jésus-Christ, roi des nations.
A une époque où le mouvement bolcheviste, après avoir avec une fureur satanique ravagé la Russie, cherche à se répandre en Orient, et menace lEurope entière, on doit comprendre que lesprit du mal règne fatalement où ne règne plus lesprit du Christ. La Société des nations, qui se refuse à reconnaître les droits de Dieu sur les peuples, est manifestement et radicalement impuissante à rétablir lordre dont elle méconnaît le principe.
Comme lécrivait le Cardinal Mercier dans sa Pastorale de 1918, « le principal crime que le monde expie en ce moment, cest lapostasie officielle des États... Je nhésite pas à proclamer, ajoutait Son Éminence, que cette indifférence religieuse, qui met sur le même pied la religion divine et la religion dinvention humaine, pour les envelopper toutes dans le même scepticisme, est le blasphème, qui, plus encore que les fautes des individus et des familles, appelle sur la société les châtiments de Dieu ».
Le laïcisme, qui nie les droits de Dieu sur la société humaine dont il est lauteur, est un crime de lèse-divinité et le plus grand malheur du monde moderne. Pour réparer ce crime, il faut exalter Jésus-Christ, comme roi universel des individus, des familles et des sociétés. Si la royauté universelle du Christ est proclamée et son règne social reconnu, une des principales erreurs du monde moderne sera atteinte dans sa racine même. Cest le point sur lequel insistent les six cents membres de la hiérarchie qui demandent linstitution de la fête de Jésus-Christ, roi des nations.
« Le Saint-Père, écrivait récemment S. Ém. le Cardinal Laurenti [1], juge le projet très beau, très grand, très opportun. Précisément à cause de son importance, ce projet mérite une réalisation digne, grandiose, qui fasse époque, qui donne un ébranlement aux esprits... Pour obtenir cette préparation, il faut agiter, propager la question par la parole et par les écrits... Une telle préparation sera couronnée par un acte solennel du Pape, qui trouverait le monde disposé à en apprécier la portée. »
Cest pourquoi il nous a paru utile de traiter la question dans la Vie Spirituelle, en nous plaçant surtout au point de vue de la vie intérieure, qui doit être lâme du culte extérieur, soit individuel, soit social.
Voyons 1° ce que nous dit la Sainte Écriture de la royauté universelle de Jésus-Christ; 2° quelle est la nature, le fondement et lexcellence de cette royauté; 3° comment Jésus exerce ce pouvoir royal universel.
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I. La Royauté universelle de Jésus-Christ
dans la Sainte Écriture
Les textes messianiques, qui prédisent le Christ futur, manifestent progressivement ses attributions de roi universel.
La Genèse annonce déjà que les nations de la terre seront bénies en lui et quil sera lattente des nations. Les Nombres disent que de Jacob sortira le vrai dominateur (Gn 12, 2. 3; 23, 17; 26, 449, 8; Nb 24, 17).
Le psaume 2 représente le Messie comme une personne distincte du Père, que le Père appelle son véritable fils, et qui a pour héritage tous les peuples: « Dominus dixit ad me: Filius meus es tu, ego hodie genui te. Postula a me, et dabo tibi gentes haereditatem tuam...: Le Seigneur ma dit: Tu es mon Fils, je tai engendré aujourdhui. Demande, et je te donnerai les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre... Et maintenant, rois, devenez sages: recevez lavertissement, juges de la terre. Servez le Seigneur avec crainte, tressaillez de joie avec tremblement. »
Le psaume 109 décrit en même temps la Royauté et le Sacerdoce du Messie: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: "Assieds-toi à ma droite, jusquà ce que je fasse de tes ennemis lescabeau de tes pieds." Yahvéh étendra de Sion le sceptre de ta puissance: Règne en maître au milieu de tes ennemis!... Il exerce son jugement parmi les nations. »
Le psaume 71: Deus, judicium tuum regi da..., annonce la justice, la paix et la prospérité du règne du Messie: « Il dominera dune mer à lautre... Tous les rois se prosterneront devant lui; toutes les nations lui seront soumises. Car il délivrera le pauvre qui crie vers lui et le malheureux dépourvu de tout secours... Que son nom dure à jamais! Tant que brillera le soleil, que son nom se propage! Quon cherche en lui la bénédiction! Que toutes les nations le proclament heureux. »
Isaïe (9, 5) annonce de même: « Il sera appelé lAdmirable, Dieu fort, Prince de la paix,... pour létablir par le droit et la justice, dès maintenant et à toujours. »
Daniel (2, 34 ss.) parle aussi de ce royaume, lorsquil annonce quune petite pierre brisera la statue colossale aux pieds dargile, et deviendra une grande montagne qui remplira toute la terre.
Zacharie (9, 9) célèbre les vertus de ce roi humble et pauvre, mais juste et sauveur: « Ecce rex tuus venit tibi justus et salvator, ipse pauper: Voici que ton roi viendra à toi, juste et sauveur; lui-même pauvre. »
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Si lAncien Testament affirme déjà si souvent et si nettement la royauté universelle du Sauveur, le Nouveau Testament doit être plus explicite encore.
Larchange Gabriel, qui annonce sa naissance à Marie, lui dit: « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne naura point de fin » (Lc 1, 32). Cujus regni non erit finis, disons-nous dans le Credo.
Cette royauté se manifeste comme universelle par ladoration des rois mages, qui ne sont pas juifs, mais gentils, et qui lui offrent, comme à un roi envoyé de Dieu, de lor, de lencens et de la myrrhe.
Dans sa vie publique Jésus exerce de diverses manières ce pouvoir suprême: il perfectionne la Loi divine transmise aux hommes par Moïse (Mt 5, 7); il est le maître du sabbat, qui est aussi dinstitution divine (Mt 9, 15); dune seule parole il remet les péchés et régénère, vivifie les âmes comme il ressuscite les corps (Lc 5, 17-26); par ses miracles il manifeste son pouvoir sur toute la création corporelle et spirituelle[2]. Les anges eux-mêmes sont heureux de lui être soumis et de le servir (Lc 2, 13; Mt 4, 11. 24, 53).
Au terme de sa vie publique, lorsque Jésus entre triomphalement à Jérusalem, la foule crie: « Hosanna au Fils de David... (Mt 21, 9) Béni le roi qui vient au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux (Lc 19, 38). » Isaïe (42, 11) avait annoncé: « Dites à la fille de Sion: "Voici que ton roi vient à toi plein de douceur, assis sur une ânesse." » Cet équipage dhumilité est digne de celui qui vient au monde pour fouler aux pieds les grandeurs humaines, et chose frappante, comme le remarque Bossuet [3], Jésus, qui sétait enfui sur la montagne quand le peuple, après la multiplication des pains, avait voulu le faire roi temporel, accepte maintenant les acclamations de la foule en témoignage public de sa royauté spirituelle. Cest quil entre à Jérusalem pour consommer luvre de notre rédemption et conquérir son royaume. Les pharisiens, irrités de ces acclamations, lui disent: « Maître, réprimandez vos disciples. » Jésus leur répond: « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront (Lc 19, 40). »
Chose plus frappante encore, Jésus, qui a refusé les honneurs extérieurs de la royauté temporelle, confesse quil est roi pendant sa douloureuse Passion. Il na jamais été plus grand et plus digne que pendant ces heures dhumiliation et dignominie. « Lui, note Bossuet, qui na jamais dit à ses disciples quil est roi; il le dit à Pilate; lui qui nen a jamais parlé parmi ses miracles, il le publie parmi ses supplices. »
Il veut nous faire entendre que cette royauté spirituelle quil a par droit de naissance, il la conquiert aussi sur nos âmes en nous rachetant par sa mort.
Pilate lui dit: « Es-tu le roi des Juifs? » Jésus répond: « Mon royaume nest pas de ce monde » (Jn 18, 36); cest-à-dire: Mon royaume ne tire pas son origine dici -bas et ne sexerce pas comme celui des rois de la terre. Pilate insiste: « Tu es donc roi? » Jésus répond: « Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, et quiconque est de la vérité écoute ma voix »; cest-à-dire: je suis roi non seulement des Juifs, mais de tous ceux qui doivent entendre le témoignage de vérité que je leur apporte.
Jésus est roi, mais roi pauvre, roi de douleur, et cest pendant sa Passion quil conquiert cette royauté spirituelle sur les âmes. Par dérision les Juifs lui donnent une couronne dépines pour diadème, et un fragile roseau pour sceptre; mais ils ne comprennent pas de quelle royauté universelle cette couronne dépine est le symbole, ils ne voient pas que les gouttes de sang répandues sur ces épines sont infiniment plus précieuses que tous les diamants de la terre.
Pilate fait écrire le titre de sa royauté au haut de sa Croix, dans les trois langues les plus connues du monde ancien; en hébreu, en grec et en latin, pour que toute la terre en soit informée. Les Juifs réclament, mais Pilate, tout à lheure si faible, maintient fermement ce quil a écrit.
Jésus est roi, mais roi crucifié, roi rédempteur par ses souffrances: « Sa Croix est son trône, son sang est sa pourpre, sa chair déchirée est sa force [4]. »
Qui le comprend au moment où Jésus expire? Marie corédemptrice, qui, pour avoir participé à ses souffrances, participe aussi à sa royauté.
Le royaume de Dieu est fondé. Notre roi, par son crucifiement, nous a rachetés de lesclavage du démon et du péché; dans trois jours, cette mystérieuse victoire sur le péché sera manifestée dune façon éclatante par sa victoire sur la mort, suite et châtiment du péché. Jésus ressuscité dira alors à ses apôtres: « Toute puissance ma été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations... Voici, je suis avec vous jusquà la consommation des siècles » (Mt 28, 18).
La Résurrection rend au Christ Jésus sa gloire, et saint Jean dans lApocalypse (19, 16) contemple son triomphe dans le ciel, il le voit sur un trône splendide, son nom est écrit sur ses vêtements: Rex regum, Dominus dominantium, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, Juge suprême, qui rend à chacun selon ses uvres (cf. Ap 1, 18; 4, 9; 6, 10; 22, 13; 17, 14)
Saint Paul affirme aux Philippiens (2, 5 ss.) que Jésus a cette royauté universelle par droit dhéritage à raison de « son égalité avec Dieu » et par droit de conquête: « Il sest fait obéissant jusquà la mort, et à la mort de la croix. Cest pourquoi Dieu la souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin quau nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le Père, que Jésus-Christ est Seigneur. » Item Rm 8, 31; He 1,1. « Oportet illum regnare: Il faut quil règne... Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même en fera hommage à Celui qui lui aura soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 25-27).
Parmi les Pères qui ont le plus nettement affirmé cette royauté universelle du Christ, il faut citer saint Justin [5], saint Irénée [6], saint Ephrem [7], saint Cyrille dAlexandrie [8], saint Ambroise qui écrit: « Cest à bon droit que le titre de Roi est placé sur la croix, parce que sur elle rayonnait la majesté du Roi Jésus, supra crucem tamen Regis majestas radiabat [9]. »
La liturgie dans le Te Deum salue le Christ, roi de gloire: Tu rex gloriae, Christe; dans les antiennes de lAvent elle lappelle roi des nations: O Rex gentium, et dans la fête du Saint-Sacrement: Christum Regem dominantem gentibus.
II. Quelle est la nature, le fondement et lexcellence de celle royauté?
On conçoit une double royauté: 1° la royauté temporelle, ordonnée à promouvoir le bien temporel dans la société; 2° la royauté spirituelle, qui a pour but de diriger tous les hommes vers la béatitude surnaturelle de la vie future.
Jésus-Christ eut-il la royauté temporelle sur le monde entier? En tant que Dieu et Créateur, il est certainement Maître absolu de lunivers, aussi bien dans lordre temporel que dans lordre spirituel (Cf. Col 1, 16). Mais en tant quhomme eut-il le pouvoir royal temporel? La majorité des théologiens répond: Il leut en droit, mais en fait il ne voulut pas lexercer.
Tel est lenseignement de saint Thomas: « Le Christ, dit-il, quoique constitué roi par Dieu lui-même, na pas voulu avoir sur la terre ladministration temporelle dun royaume terrestre[10]. » Saint Antonin parle de même, et cette doctrine, bien défendue par les Carmes de Salamanque[11], devient de plus en plus commune aujourdhui.
Si quelques théologiens[12] ont nié ou douté que Jésus comme homme eut le pouvoir royal temporel, cest quils nont pas considéré la question à son vrai point de vue, mais dune façon trop étroite. A la suite des Carmes de Salamanque, le P. Hugon[13] remarque très justement: « Cest trop peu de dire que comme homme Jésus est roi seulement spirituel, car cest restreindre une royauté que lEcriture et la Tradition lui attribuent sans aucune réserve. Envisageons la question dune manière plus haute et plus universelle et disons: Le Christ tout entier, ce Rédempteur, ce Sauveur béni, qui subsiste dans ses deux natures, la nature divine et la nature humaine, est roi absolument, pour lordre temporel comme pour lordre spirituel, sans restriction aucune
Celui qui dit: Toute puissance ma été donnée au ciel et sur la terre (Mt 28, 18), cest le Christ dans sa double nature, le Christ visible, qui converse avec les Apôtres. Or rien nest exclu de son empire qui est absolu sur la terre comme au ciel... Cest dans le même sens que parle saint Paul: Omnia subjecta sunt ei, sine dubio praeter eum qui subjecit ei omnia (1 Co 15, 27). Tout, dans lordre temporel, comme dans lordre spirituel, tout, sauf le Père, lui est soumis. Il sagit du Christ, non pas seulement dans sa nature divine, selon laquelle il na pas besoin que le Père lui soumette les créatures, mais encore dans sa nature humaine, à raison de laquelle il peut recevoir lempire de lunivers. » Cest une conséquence de lunion hypostatique, comme Jésus « a été constitué par Dieu juge des vivants et des morts » (Jn 5, 22 et 27), juge des rois comme de leurs sujets, ainsi il a reçu le souverain domaine sur tous. Comme le dit saint Pierre: hic est Dominus omnium (Ac 15, 36-42).
Et cest pourquoi la liturgie lappelle aussi Roi des nations: « O rex gentium,... veni et salva hominem quem de limo formasti : O Roi des nations,
venez et sauvez lhomme que vous avez formé du limon de la terre » (Ant. O de lAvent).
Mais en fait Jésus ne voulut pas ici-bas exercer ce pouvoir temporel. Il choisit librement une vie humble et pauvre; il paya le tribut comme quiconque, sans y être obligé (Mt 17, 26). Bien plus, après la multiplication des pains, lorsque le peuple, ébloui par ce miracle et tout préoccupé de prospérités temporelles, voulut le faire roi, Jésus, voyant que ce peuple rêvait dune magnificence toute terrestre, se retira et senfuit sur la montagne (Jn 6, 15).
Les Apôtres eux-mêmes, illusionnés, croient quil va fonder un royaume temporel; la mère des fils de Zébédée demande pour eux les deux premières places dans ce royaume. Notre-Seigneur répond: « Vous ne savez pas ce que vous demandez... Pouvez-vous boire le calice que je dois boire? » Jusquà lAscension les Apôtres gardent quelque illusion à ce sujet et, au moment où Jésus va être élevé aux cieux, ils lui demandent: « Seigneur, le temps est-il venu où vous rétablirez le royaume dIsraël? » (Ac 1, 6). Ils navaient pas encore bien compris la réponse de Jésus aux Pharisiens: « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point: Il est ici, ou il est là; car voyez, le royaume de Dieu est au milieu de vous » (Lc 17, 20).
Jésus par ces mots nous montre que sa royauté est avant tout dordre spirituel. Elle sexerce par lascendant, par lattrait, par lamour, par lautorité intellectuelle, morale, surnaturelle, sur les intelligences, sur les volontés, sur les curs. Par elle, il a fondé une société spirituelle, lEglise, dont il est le chef. Cette royauté spirituelle lui appartient, nous lavons dit, à un double titre: 1° par droit de naissance, car il est le Verbe fait chair, le Fils de Dieu, et il hérite ainsi de son Père le droit de commander à tous les hommes; 2° par droit de conquête: car nous avions été infidèles, traîtres à notre roi; il nous a reconquis, en arrachant nos âmes à lesclavage du péché et du démon; « il nous a rachetés à grand prix » (1 Co 6, 20). Et par les vux de notre baptême, librement renouvelés, nous avons reconnu cette autorité souveraine du Christ sur nous.
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Lexcellence de la royauté spirituelle et temporelle du Christ est celle de lAutorité suprême, qui conduit toutes les âmes de bonne volonté vers léternelle béatitude. Cest lautorité du Fils de Dieu qui a pouvoir non seulement sur tous les corps, mais sur toutes les âmes, non seulement sur les peuples, mais sur tous les rois ou autres chefs dÉtat, et lui-même nest soumis à personne quà son Père. Cest lautorité de la plus haute intelligence, du cur le plus aimant, de la volonté la plus droite, la plus bienveillante et la plus forte. Elle implique le pouvoir du législateur et du juge suprême. En venant parfaire lancienne Loi, Jésus, dans le Sermon sur la montagne, se déclare, par sa manière de parler, légal du législateur divin du Sinaï, dont Moïse était le prophète. Il dit à plusieurs reprises: « Il a été dit aux anciens: ... Et moi je vous dis: ... » En perfectionnant lancienne loi de crainte, il fait de la loi nouvelle une loi de grâce et damour: « Je vous donne un commandement nouveau de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés... Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient » (Jn 13, 34 ; Mt 5, 44).
Son pouvoir est aussi celui du Juge suprême, qui dit à ses Apôtres: « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel; tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » (Mt 16, 19; 18, 18). Il annonce quil viendra un jour juger les vivants et les morts (cf. Jn 5, 22, 27).
Cette autorité suprême est par suite universelle; elle sétend à tous les lieux, à tous les temps, à toutes les créatures, car Jésus commande même aux anges, qui sont les ministres de son royaume. En droit dès maintenant « tout lui est soumis »; en fait, à son second avènement tout lui sera soumis sur la terre comme au ciel. A son égard la neutralité nest pas possible: « Qui nest pas avec moi est contre moi. » On ne peut rester neutre à légard de la fin dernière de toute la vie; ne pas la vouloir, cest se détourner delle.
Cest vers cette fin ultime que la royauté universelle de Jésus ordonne toutes choses; « il est la voie, la vérité et la vie ». Il conduit les âmes vers léternelle béatitude, où elles doivent jouir de Dieu vu face à face et aimé par-dessus tout, avec labsolue certitude de ne jamais le perdre par le péché. Là surtout apparaît linfinie bonté de notre roi, mais bonté qui nest point faiblesse. Les rois de la terre cherchent à obtenir pour leur peuple les biens temporels par des moyens imparfaits, souvent impuissants. Le Christ, lui, nous conduit efficacement vers la fin dernière surnaturelle, vers la béatitude qui ne finit pas; il nous donne sa lumière, sa force, sa vie, son amour, pour nous y faire parvenir; il se donne lui-même en nourriture pour refaire nos énergies et nous communiquer sa vie. Ceux-là seuls manquent le but, qui refusent obstinément de se laisser conduire, de se laisser sauver, qui méprisent lAmour divin, qui voudrait les attirer à lui.
Mais même les ennemis de Jésus servent indirectement sa gloire; les obstacles quon dresse contre lui, il les transforme en moyens; il fait servir les persécuteurs à la gloire des martyrs, et du plus grand obstacle, la croix, il a fait le plus grand moyen de salut.
Un jour viendra où tous les ennemis obstinés du Christ seront définitivement vaincus. Sil ne règne pas sur eux par miséricorde, il régnera sur eux par justice; comme il est dit dans le psaume messianique: « il les brisera avec un sceptre de fer (qui remplacera celui de roseau), et il les mettra en pièces comme le vase du potier » (Ps 2, 8). Dès maintenant lenfer tremble en entendant prononcer son nom.
Mais à légard des hommes de bonne volonté, en qui sa grâce aura suscité cette bonne volonté, il sera la douceur et la paix, Princeps pacis. Comme il est dit dans lApocalypse (21, 4): « Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux et la mort ne sera plus; il ny aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur », car il aura vaincu la mort après avoir triomphé du péché, qui, dans le plan actuel de la Providence, a été la cause de la douleur et de la mort.
Le règne de notre Roi, cest notre bonheur et notre salut, dans la paix parfaite; dans la tranquillité de lordre qui vient de lui et qui de lui doit rayonner sur nous tous.
Telle est la royauté universelle de Jésus et son incomparable excellence.
III. Comment Jésus exerce-t-il ce pouvoir royal universel?
Il lexerce toujours avec une sagesse très haute qui descend pourtant aux moindres détails, avec une bonté faite de force et de douceur, mais de façon différente dans la société civile, dans le gouvernement de lEglise, dans la direction intime des âmes.
Dans la société civile Jésus exerce discrètement sa royauté universelle. Il a droit dexiger que cette société, loin dêtre régie par les principes athées du laïcisme, qui détruisent la famille et la patrie, soit gouvernée selon les principes de la loi chrétienne; que les chefs dEtat, loin de nier lautorité divine, fondement de la leur, la reconnaissent publiquement, en se soumettant à elle. Le Christ Jésus, incarnation de la Vérité, de la Bonté, de la Justice, a droit à être enseigné à lécole, à être représenté au tribunal au moment où lon va prêter serment, à être parlé au malade à lhôpital. Il a droit à un culte public dans nos villes; et les chefs dEtat seront jugés pour avoir violé ce droit imprescriptible du Christ roi, ou pour avoir voulu rester neutres[14].
Ici-bas Notre-Seigneur vient en aide aux peuples qui réclament son secours. Il donne à leurs chefs les inspirations qui les portent à se conformer à lesprit évangélique, à y conformer leurs institutions, à respecter par exemple la loi divine de lunité et de lindissolubilité du mariage, à gouverner pour la sécurité de tous, pour obtenir la paix temporelle subordonnée à celle de lâme et à la vie de léternité. Sous saint Louis en France nous avons vu ce que peut être et doit être le règne de Jésus-Christ dans un pays et dans la chrétienté tout entière.
Dans lÉglise, le Christ Jésus exerce sa royauté spirituelle en la gouvernant par son Vicaire, par toute la hiérarchie ecclésiastique: les évêques, les pasteurs, les supérieurs des Ordres religieux. Lhérésie et le schisme ont souvent voulu diviser ce royaume du Christ, mais lÉglise restera une et indéfectible jusquà la fin des temps. Les efforts de lenfer ne prévaudront pas. Le Christ est dans son Église, comme il était dans la barque avec Pierre et avec les Apôtres pendant la tempête; il lui suffit de dire un mot pour apaiser la tourmente.
De ce royaume il nest pas seulement le Maître absolu, mais la tête vivante, qui dirige tout, qui vivifie par les sacrements, qui régénère lenfant par le baptême, le confirme ensuite, qui sanctifie le mariage, nous rend la grâce par labsolution, laugmente par la communion; qui nous soutient à lagonie, et nous conduit à la vie de léternité. Cest lui qui inspire ses ministres, éclaire les docteurs, fortifie les missionnaires, protège les vierges, assiste les familles chrétiennes, y fait germer des vocations. Et sil permet dans son Église limperfection humaine, cest en vue du plus grand bien, jusquà lheure où le mal sera définitivement vaincu.
Cest enfin dans la direction intime des âmes que Jésus exerce sa royauté spirituelle de la façon la plus profonde et la plus cachée, que Lui seul et son Père pourraient révéler. Ici ce sont des merveilles que manifeste de temps en temps la vie des saints et qui seront connues au dernier jour. Jésus éclaire intérieurement les âmes par les illuminations de la foi, des dons de sagesse, dintelligence, de science, de conseil. Il nous attire et nous console, en nous inspirant une piété toute filiale envers son Père, envers lui-même et sa sainte Mère. Il nous meut et nous fortifie dans nos bonnes résolutions.
Jésus, comme Dieu, nous a envoyé le Saint-Esprit; comme homme, il a reçu la plénitude de ses dons et veut nous y faire participer. Si nous nous abandonnons pleinement à lui, il nous comblera de ses grâces, nous serons de plus en plus vivifiés par lui, et nous comprendrons expérimentalement que le servir cest régner, régner avec lui sur nos passions désordonnées, sur lesprit du monde et celui du démon; nous comprendrons de mieux en mieux le chant du Te Deum: « Tu Rex gloriae, Christe: Vous êtes le Roi de gloire, ô Christ », et la parole du Credo qui ravissait sainte Thérèse en extase: Cujus regni non erit finis[15].
Il convient donc que la souveraineté royale du Christ soit lobjet dun culte spécial, à lheure surtout où le laïcisme athée sefforce de plus en plus de la détruire. Lapostasie officielle de plusieurs nations est un crime qui demande une réparation par un culte non seulement intérieur mais extérieur, non seulement privé mais public, et cette réparation ne peut mieux sexprimer que par la reconnaissance solennelle, sincère, profonde et effective de la royauté du Christ sur les intelligences, les volontés, les curs, sur les nations elles-mêmes et sur leurs chefs. « Oportet illum regnare. Il faut quil règne... Et lorsque tout lui aura été soumis, alors il en fera hommage à Celui qui lui aura soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 25, 27).
Rome, Angelico.
fr. Réginald GARRIGOU-LAGRANGE, O. P.
NOTES