Tout chrétien croit fermement que Jésus est véritablement homme, véritablement Dieu, quen lui la nature divine et la nature humaine sont distinctes, mais quil ny a en lui quune personne, celle du Verbe fait chair, Fils unique de Dieu fait homme. Il a dit en effet (Jo. XIV, 6) : « Je suis la voie, la vérité et la vie » ; cest à dire : je suis la voie comme homme : mais Dieu seul peut dire : je suis la vérité et la vie. Une créature intellectuelle peut avoir la vérité et la vie, mais elle ne peut pas être la vérité, ni la vie. I,e vrai, cest ce qui est, et Dieu seul qui est lEtre même, peut être
Cest là un mystère essentiellement surnaturel, inaccessible à la raison, mais celle-ci éclairée par la foi peut en obtenir une certaine intelligence, très fructueuse pour la vie intérieure. Encore faut-il conserver lénoncé exact de ce mystère, tel que les Conciles lont formulé.
Ces derniers temps quelques écrivains en reconnaissant quil n y a en Jésus quune seule personnalité ontologique (dans lordre de lêtre substantiel) celle du Verbe fait chair, ont admis en lui une personnalité psychologique humaine (ou conscience humaine de soi) et une personnalité morale humaine (ou libre maîtrise de soi par sa liberté humaine). Cette personnalité humaine, psychologique et morale, Jésus laurait affirmée en disant : « Je suis la voie » Jo. XIV, 6, « Je me sacrifie pour eux (les apôtres) afin queux aussi soient sanctifiés en vérité ». Jo. XVII, 19. - Dans le même sens quelques uns ont parlé non pas seulement de lhumanitas assumpta, de lhumanité assumée par le Verbe, mais de lhomo assumptus comme si le Verbe avait assumé une personne humaine, ou au moins un individu humain. Quelques uns ont même dit : de
En parlant ainsi on maintient sans doute lunique personnalité ontologique et divine du Christ, mais elle semble perdre toute influence sur lactivité méritoire et satisfactoire du Sauveur, tandis que sa personnalité concrète paraît être ce quon appelle sa personnalité humaine psychologique et morale. et ainsi, sans le vouloir, on se rapproche du Nestorianisme, qui admettait deux personnes en Jésus-Christ, de telle sorte que le Verbe habiterait en lhomme-Jésus comme il habite dans les justes, mais dune manière plus intime et plus haute.
Cette nouvelle conception de la personnalité du Christ a été condamnée par un décret du Saint Office du 27 Juin 1951 publié par lOsservatore Romano le 19 juillet 1951, avec article explicatif du R.me Père M. Browne, Maître du Sacré Palais.
A ce même sujet lEncyclique Sempiternus Rex, à propos du XVe centenaire du Concile de Chalcédoine, 8 septembre 1951, sexprime aussi :
« Quamvis nihil prohibeat quominus humanitas Christi, etiam psychologica via ac ratione, altius investigetur, tamen in arduis huius generis studiis non desunt qui plus aequo vetera linquant, ut nova astruant et auctoritate ac definitione Chalcedonensis Concilii perperam utantur, ut a se elucubrata suffulciant.
« Hi humanae Christi naturae statum et conditionem ita provehunt ut eadem reputari videatur subiectum quoddam sui iuris, quasi in ipsius persona Verbi non subsistat. At Chalcedonense Concilium, Ephesimo prorsus congruens, lucide asserit Utramque Redemptoris nostri naturam " in unam Personam atque subsistentiam " convenire vetatque duo in Christo poni individua, ita ut aliquis " Homo assumptus " integrae autonomiae compos, penes Verbum collocetur » (1).
Comme la noté le R.me Père Browne, art. cit., S. Thomas avait donné à ce sujet un avertissement très significatif (cf. III. Summam theol. q. IV, a. 3 ad Im) à propos de ces paroles de S. Augustin : « Filius Dei hominem assumpsit- et in illo humana perpessus est » (de Agone christiano, c. II). Saint Thomas avait dit : « Huiusmodi locutiones non sunt extendendae tanquam propriae, sed pie sunt exponendae, ubicumque a sacris Doctoribus ponuntur ; ut dicamus hominem assumptum quia eius natura est assumpta et quia assumptio terminata est ad hoc, ut Filius Dei sit homo ». Cela doit sexpliquer par le principe invoqué ibid. in corpore articuli : « illud quod assumptur, non est terminus assumptionis, sed assumptioni praeintelligitur. . Et ideo non est proprie dictum, quod Filius Dei assumpsit hominem, supponendo (sicut rei veritas se habet) quod in Christo sit tantum unum suppositum, et una hypostasis » - Cf. etiam S. Thomm Comm. in Epist ad Ephesios, c. IV, I0, lect 3 circa haec verba S. Pauli : « Qui descendit (de coelo) ipse est qui ascendit super omnes coelos, ut adimpleret omnia ». Saint Thomas note : « In quo designatur unitas Personae Dei et hominis. Descendit enim, sicut dictum est, Filius Dei assumendo humanam naturam, ascendit autem Filius hominis secundum humanam naturam ad vitae immortalis sublimitatem. Et sic est idem Filius Dei qui descendit et Filius hominis qui ascendit » Cf. Jo. III, 13.
Pour mieux voir quil ny a en Jésus quune seule personnalité, celle du Verbe fait chair, rappelons I° comment cette question sest posée a lépoque du modernisme, 2° comment elle séclaire par la notion communément reçue de personne, et 30 comment la personnalité éminente des saints permet dentrevoir de loin
(1) Acta Apost. Sed. 195I, p. 638. Citantur ibid. : Io I, 14, Philipp. II, 6-8 ; Gal. IV, 4, Io X, 30, XVI, 28 ; VI, 36 ; Ephes. IV, ro. S. Leo M. ; Sermo 30, P. L. 54,233.
Je me rappelle quen 1904 jallais assister dans un centre intellectuel à un cours de dogmatique sur lIncarnation. Le professeur y exposait en latin ce quil faut entendre au point de vue métaphysique par la personnalité du Christ. La plupart des élèves nécoutaient pas du tout et soccupaient manifestement dautre chose. A la fin du cours je dis à lun deux : « Mais vous nécoutez pas lenseignement de la théologie sur lIncarnation, comment pourrez-vous avoir une juste idée de ce mystère et de la personnalité du Christ ? En quoi consiste, selon vous, la personnalité ? ». Cet étudiant me répondit : « Lexposé métaphysique fait par les scolastiques qui nous parlent du suppôt, de la subsistence, et de la personnalité ontologique ne nous parait pas intelligible. Ces conceptions nont aucun intérêt pour nous ». - « Mais alors, lui dis-je, quest ce qui constitue selon vous
« Et puis, lui dis-je, combien y a-t-il de consciences de soi dans le Christ ? Il y en a deux : la conscience divine de soi et la conscience humaine de soi, comme il y a en lui lintelligence divine et lintelligence humaine. Et alors, si la personnalité est formellement constituée par la conscience de soi, il y a deux personnalités et par suite deux personnes en Jésus-Christ. On revient ainsi, sans le vouloir, au Nestorianisme ». Létudiant me regarda fort surpris et ne dit plus rien. Jen interrogeais un autre de la même façon. Il me répondit que la personnalité humaine est formellement constituée par la liberté ou la libre maîtrise de soi. « Mais, lui dis-je, la libre maîtrise de soi, comme la conscience de soi, suppose le moi qui par lexercice de sa liberté et de la vertu arrive à cette maîtrise, au « dominium suiipsius ». Et puis combien y a-t-il de libertés dans le Christ ? Il y en a deux : la liberté divine et la liberté humaine. Alors si la personnalité est formellement constituée par la liberté, il y a deux personnalités et par suite deux personnes en Jésus-Christ ; on revient ainsi par ignorance au Nestorianisme ». Ce deuxième étudiant me regarda aussi étonné que le premier sans trouver un mot à répondre.
Revenons, sans faire trop de métaphysique, a lintelligence naturelle ou au sens commun, qui contient une ontologie rudimentaire dans lusage quil fait du verbe être par rapport aux pronoms personnels : je suis, tu es, il est et aux adjectifs possessifs meus, tuus, suus. Lintelligence naturelle parvient rapidement à une notion de la personne, notion encore confuse, mais suffisante pour quon puisse parler avec vérité comme les Conciles de lunique personne du Christ.
Pour ne pas fausser lénoncé du mystère de lIncarnation proposé à tous les fidèles, il faut se demander ce que notre intelligence naturelle entend par ce terme : une personne.
Or selon le sens commun, une personne cest un sujet intelligent, conscient de lui-même et libre.
Cest dabord, il faut y insister, un sujet (subiectum reale, suppositum), qui a une nature douée dintelligence et de liberté. Cest un sujet qui peut dire : jexiste, je pense, jai conscience de moi même, je veux librement ceci ou cela ; je suis maître de mes actes. Aussi les théologiens admettent-ils généralement cette définition formulée par Boèce (in libro De duabus naturis, initio) « persona est rationalis naturae individua substantia » ; une personne est une substance individuelle qui a une nature raisonnable ; bref, cest un sujet réel intelligent et libre. (Cf. S. Thomas, Summa Theol. la q.
En ce sens on dit communément de tout homme, même dun enfant, quil est une personne, on peut le dire aussi de tout ange, et
Par le mot « personne » ou son équivalent dans les différentes langues nous entendons tous un sujet intelligent et libre. (Cest à cela quil faut toujours revenir pour ne pas se perdre en des subtilités peu fondées).
Or en Jésus-Christ, selon son témoignage, il ny a quun seul sujet intelligent et libre, un seul moi, bien quil y ait en lui deux natures (la nature divine et la nature humaine) et par suite deux intelligences, deux consciences et deux libertés.
Cest ce que signifie le mystère : Jésus est véritablement Dieu et véritablement homme, parce quil possède les deux natures en lunité dune seule personne, dun seul sujet, dun seul moi, celui du Verbe fait chair.
Mais cette union si intime reste impénétrable, elle dépasse non seulement lordre des natures créées et créables, mais lordre de la grâce et de la gloire, elle constitue un Ordre à part, lOrdre hy postatique. La possibilité intrinsèque de cette union toute surnaturelle dépasse la sphère du démontrable ; elle ne peut être ni prouvée, ni improuvée, on en donne des raisons de convenance qui peuvent toujours être approfondies davantage, et lon ne peut élever contre elle aucune objection insoluble (« obiectiones sunt aut evidenter falsae, aut non necessariae, non cogentes » dit S. Thomas in Boet. de Trin, q.
Pour avoir une certaine intelligence de lunique personnalité du Christ, il faut sélever progressivement vers elle, en considérant les personnalités créées les plus hautes.
Pour saisir ce qui constitue les personnalités supérieures, il faut se rappeler ce quest, par opposition à la fausse personnalité faite dorgueil plus ou moins subtil, le vrai développement de la personnalité des saints, qui permet dentrevoir de loin celle du Sauveur. Ici les actes de la vie intérieure manifestent le fondement ontologique, le centre doù ils procèdent.
La fausse personnalité consiste dans une soi-disant indépendance à légard de tout et de Dieu même. Elle méprise les vertus dites passives dobéissance, dhumilité, de patience, de douceur, elle nest quinsubordination et orgueil et elle se trouve pleinement réalisée dans le démon, dans sa devise : « non serviam ».
Par opposition, le plein développement de la vraie personnalité consiste à se rendre sans doute de plus en plus indépendant des choses inférieures et de toutes les déviations de lesprit et du cceur, mais aussi de plus en plus dépendant de la vérité et du bien, surtout de la vérité suprême et du souverain bien. Cest ce qui se constate chez lhomme de bien, et dans lordre intellectuel chez lhomme de génie vraiment fidèle à linspiration supérieure quil a reçue.
Mais au dessus de lhomme de bien et de lhomme de génie, seuls les saints ont vraiment compris que le plein développement de la personnalité consiste à la perdre en quelque sorte en Dieu, a seffacer devant Lui pour qu Il règne de plus en plus profondément en nous. En cela les saints nous font entrevoir de loin la personnalité unique de Jésus.
Le saint, pour détruire en lui tout égoïsme et tout orgueil, cherche à substituer dans son intelligence à son jugement propre le jugement de Dieu, à ses petites idées personnelles les maximes de Dieu reçues par la foi ; il cherche à substituer dans sa volonté à lamour égoïste de lui-même lamour de Dieu et des âmes en Dieu, à sa volonté propre la volonté de Dieu, à agir non pas pour lui-même mais pour Dieu. .Il devient ainsi, au sens fort du mot, un serviteur de Dieu , dit lÉglise, comme notre main est la servante de notre volonté.
Le saint comprend que Dieu doit lui devenir un autre moi, « alter ego » plus intime à lui-même que son propre moi. Il abdique toute personnalité, toute indépendance à légard de Dieu. Il finit par dire comme Saint Paul, « Je vis, mais non, ce nest plus moi qui vis, cest Jésus-Christ qui vit en moi » Gal II, 2o.
En mourant ainsi à lui-même pour laisser Dieu vivre en lui, le saint trouve une impersonnalité supérieure, qui est une participation éminente de lindépendance de Dieu à légard de tout le créé. Cela se vérifie en tous les saints si différents soient-ils, en St Pierre, St Jean, St Paul, St Augustin, St Thomas, St Vincent de Paul, dans le Saint Curé dArs. On sent quils ont lâme pleine de Dieu et ils le donnent aux autres. Dautre part Dieu, qui est la bonté même, se communique de plus en plus intimement, lorsque les âmes souvrent à Lui.
Le saint semble avoir perdu en quelque sorte sa personnalité en Dieu, et pourtant, si élevé soit-il, il reste une créature infiniment inférieure à Dieu.
Ira personnalité du Sauveur nous apparaît comme le sommet inaccessible dont se rapproche la personnalité des saints sans latteindre jamais.
En Jésus ce nest pas seulement le jugement propre de lhomme et ses petites idées personnelles qui sont remplacées par le jugement de Dieu ; ce nest pas seulement la volonté propre de lhomme qui est remplacée par celle de Dieu ; mais à la racine de lintelligence et de la volonté humaines de Jésus, à la racine de sa sainte âme il ny a pas de moi humain.
Sa sainte âme na pas été seulement créée par Dieu, béatifiée par Lui, mais elle est lâme du Fils de Dieu fait homme. Il y a en lui un seul sujet des deux natures, un seul moi, bien quil ait deux intelligences, deux consciences, deux libertés.
On ne peut pas parler du moi humain de Jésus, de sa personnalité humaine psychologique et morale, car une personnalité humaine psychologique et morale suppose toujours une personnalité humaine ontologique, laquelle nexiste pas dans le Sauveur. Il ny pas en lui deux moi, mais un seul, et chaque fois quil dit Ego, il sagit du moi du Verbe chair, qui opère soit par nature divine lorsquil conserve les créatures dans lexistence, soit par sa nature humaine lorquils obéit, quil mérite etc. Il sagit toujours de lunique moi du Verbe quand il dit : Ego et Pater unum sumus, Jo. X, 30 ; Ego sum via, veritas et vita, Jo. XIV, 6. Amen, Amen dico vobis, antequam Abraham fieret, ego sum, Jo. VIII, 58. Qui non est mecum contra me est, Mt. XII, 30. Qui amat patrem aut matrem plus quam me, non est me dignus, Mt. X, 37. Qui credit in me, habet vitam aeternam. Jo. VI, 47.
Ce moi de Jésus est le moi souverainement adorable du Fils de Dieu. Cest cette personnalité incomparablement supérieure à toutes celles dont lhistoire a gardé le souvenir, qui donne une valeur strictement infinie à tous les mérites du Sauveur et aux souffrances satisfactoires quil a acceptées et offertes pour notre salut, de telle sorte que le moindre de ses actes méritoites et satisfactoires avait une valeur surabondante, « qui plaisait plus à Dieu, dit S. Thomas, que tous les crimes et les péchés réunis ne lui déplaisent » (III.a, q.
On enseigne communément en théologie quen Jésus le principe qui agit par sa nature humaine, cest la personne du Verbe : principium quod in eo operatur per naturam humanam et facultates humanas est Persona Verbi incarnati. Ce nest pas sa nature humaine qui agit : cest le Verbe fait chair. Ce nest pas sa sainte âme qui mérite, qui satisfait pour nous, cest le Verbe incréé par la sainte âme quil a assumée, par lhumanité quil a prise pour notre salut. Et alors chaque fois quil dit moi dans lÉvangile, il sagit de la personnalité divine du Verbe, quelle sattribue soit ce qui convient à la nature divine, soit ce qui convient à la nature humaine, par ex. Je suis la voie (comme homme) la vérité et la vie (comme Dieu).
Il ny a pas en Jésus une personnalité humaine psychologique et morale subordonnée à sa personnalité ontologique, proprement dite et divine.
Sans doute le Sauveur, au dessous de la conscience divine de sa personnalité, a une conscience humaine de soi, mais cette conscience ne constitue pas une personnalité humaine psychologique ; elle est trop haute pour cela, car le moi qui est lobjet de cette conscience humaine nest pas un moi humain, comme en nous, mais le moi divin et incréé du Verbe fait chair, son unique moi. Aussi, nous allons le dire, cette conscience humaine doit être surnaturelle comme son objet.
De même Jésus a, au dessous de sa liberté divine, sa liberté humaine par laquelle il est maître de soi et de ses actes humains ; mais cette « maîtrise de soi », ne constitue pas une personnalité hu maine dordre moral, elle est trop haute pour cela, car le moi ou le soi, dont il est ici question, est le moi unique du Verbe fait chair, qui est (principium quod) maître de ses actes humains par sa liberté humaine, comme il est maître de ses actes libres divins par sa liberté divine.
Ce que certains auteurs ont appelé parfois pour abréger « la personnalité humaine psychologique et morale de Jésus, cest la manifestation humaine psychologique et morale de lunique personnalité ontologique du Verbe fait chair ». Les expressions trop abrégées conduisent à des erreurs, comme lorsquon parle de « lannulation dun mariage » pour dire : « déclaration de la nullité de ce mariage, qui na jamais été valide ».
Cette personnalité divine étant essentiellement surnaturelle ne peut être naturellement connue ; ce qui est essentiellement surnaturel, comme lessence de Dieu, sa vie intime, les relations trinitaires, ne peut être connu par les forces naturelles daucune intelligence créée ou créable : id quod est supernaturale quoad substantiam vel essentiam est supernaturale quoad cognoscibilitatem, quia verum et ens convertuntur. Le vrai cest ce qui est, cest lêtre intelligible connu, le vrai est une propriété de lêtre en tant que lêtre est intelligible et connu. Si le miracle est naturellemnt connaissable, cest quil nest surnaturel que par le mode de sa production, non pas par lessence même de leffet produit ; par ex. la résurrection dun mort lui rend surnaturellement, non pas la vie surnaturelle, mais la vie naturelle végétative et sensitive.
Les anges eux mêmes ne peuvent voir lessence divine que sils ont reçu la lumière de gloire qui est essentiellement surnaturelle dune surnaturalité très supérieure à celle du miracle. De plus un ange qui naurait pas encore la vision béatifique ne pourrait pas avoir la certitude absolue dêtre en état de grâce sans une révélation spéciale. Et nous viatores nous ne pouvons atteindre obscurément les mystères surnaturels révélés que si nous avons reçu le don essentiellement surnaturel de la foi infuse.
Mais Jésus comme homme (on létablit en théologie, cf. S. Thomas III, q.
De plus il avait les dons dintelligence et de sagesse qui lui donnaient sous une inspiration spéciale du Saint-Esprit une connaissance expérimentale des choses divines, et donc du mystère de lIncarnation et de ses suites.
Les théologiens admettent généralement que si Jésus navait pas eu, en sa vie terrestre, la vision béatifique il naurait pas eu à proprement parler conscience de sa personnalité divine, il en aurait eu seulement la foi éclairée par les dons du Saint-Esprit ; et il naurait pas dit : « scio unde veni » (Jo. VIII, I4), mais « credo unde veni ». Il aurait cru à sa divinité comme les justes sur terre, par la foi éclairée par les dons, croient à lhabitation de
Si le Christ navait pas eu sur terre la vision béatifique, il naurait pas eu dans son intelligence humaine la conscience proprement dite dêtre le Fils unique de Dieu fait homme ; mais il aurait eu seulement conscience de soi en tant que la personnalité incréée du Verbe exerçait en lui linfluence quaurait eue la personalité humaine ontologique si elle avait existé en lui. Cela neut pas été une conscience humaine de sa personnalité divine comme divine ou incréée. En dautres termes il naurait pas eu conscience de sa divinité, ni de sa personnalité incréée ; mais seulement de sa personnalité divine « in quantum gerit vices personalitatis ontologicae humanae ».
Jésus par son intelligence divine avait et a toujours une vision non seulement intuitive, mais compréhensive de lessence divine, cest à dire quil la connaît autant quelle est connaissable, infiniment (modo infinito). De même par son intelligence divine il voyait de façon compréhensive sa personnalité incréée, et sa sainte âme et son intelligence humaine élevée par la lumière de gloire. Donc par son intelligence divine il connaissait immédiatement et autant quelle est connaissable son intelligence humaine, beaucoup mieux quelle ne se connaît elle-même.
Dautre part lintelligence humaine de Jésus, élevée par la lumière de gloire, voyait et voit toujours immédiatement (sans lintermédiaire daucune représentation créée) son intelligence divine.
Il y avait donc une compénétration aussi intime que possible de ses deux intelligences, quoique son intelligence humaine restât très inférieure comme intelligence créée à son intelligence incréée. elles restent toujours réellement distinctes et infiniment distantes, mais pourtant se compénètrent, un peu comme lair et la lumière. Cette compénétration assurait et assure toujours admirablement lunité ou mieux lunion psychologique des deux intelligences du Sauveur. Il ny a jamais eu une compénétration pareille de deux intelligences, et sa racine est manifestement lunité de la personne du Verbe fait chair ( [1] ).
Jésus par sa volonté humaine a toujours voulu se conformer pleinement à sa volonté divine. On ne saurait concevoir une plus intime et plus constante union de ces deux volontés. Elle a commencé dès linstant où lâme de Jésus a été créée et unie personnellement au Verbe, lorsquil a dit à son Père : « Me voici, je viens ô Dieu, pour faire votre volonté »., Hebr. X, 7, 9, Ps. XXXIX, 8. Cette oblation na jamais été interrompue pendant la vie terrestre du Sauveur (même pendant son sommeil, grâce à sa science infuse et à la vision béatifique) ; elle a été incessante et après le Consummatum est elle dure sans fin dans « le Christ toujours vivant pour intercéder pour nous » (Hebr. VII, 25, Rom. VIII 34).
On peut donc parler dune compénétration du vouloir divin et du vouloir humain de Jésus-Christ. Cette compénétration assurait sur terre,et assure toujours au ciel lunion morale et spirituelle des deux volontés du Sauveur, qui restent pourtant très distinctes et même infiniment distantes lune de lautre : ainsi leau pénètre léponge, et le feu pénètre le fer incandescent. Il ny a jamais eu une compénétration pareille de deux volontés libres, compénétration dont la racine est lunité de la personne du Verbe fait chair.
Revenons, pour terminer, à la personnalité ontologique créée, qui permet de connaître analogiquement la personnalité incréée de chacune des trois Personnes divines.
Quelques théologiens, comme le Cardinal Billot et ses disciples, admettent que la personnalité ontologique créée, de Pierre par ex. est lexistence réelle de Pierre.
Les thomistes nadmettent généralement pas cette opinion, car selon Saint Thomas, comme lessence créée (de lhomme par exemple) nest pas son existence, puisquelle peut ne pas exister ;la personne créée (de Pierre par exemple) nest pas non plus son existence, car elle peut ne pas exister. « Nulla creatura est suum esse, nulla persona creata est suum esse, sic creatura distinguitur a Deo, solus Deus est suum esse ».
Avant la considération de notre esprit, la personne de Pierre (constituée formellement par sa propre personnalité) nest pas son existence, elle en est réellement distincte. Et alors lexistence créée ne peut pas constituer formellement la personne de Pierre.
Cest pourquoi S. Thomas dit, IIIa, q.17, a. 2, ad Im : « Esse consequitur naturam non sicut habentem esse, sed sicut qua aliquid est ; personam autem consequitur sicut habentem esse » id autem quod sequitur personam, non formaliter constituit eam, sicut id quod sequitur naturam, non formaliter eam constituit. C. Gentes, l. II, c. 52 : « In substantiis intellectualibus creatis differt esse et quod est » ; quod est significat suppositum ; solus Deus est suum esse ». - Item Quodlibet 2, q.
La personnalité ontologique créée de Pierre nest pas lexistence contingente de celui-ci ; cest ce qui constitue formellement Pierre comme sujet réel (suppositum), sujet de tout ce qui lui est attribué : sujet de sa nature, de son existence, de ses opérations, etc. La personne est un sujet réel intelligent et libre, et la personnalité créée est ce qui constitue ce sujet, comme moi, toi, lui, cest ce quexprime le pronom personnel je, quand je dis : jexiste, je pense, jai conscience de moi, je suis libre. Cest le principe radical de possession, par lequel je possède tout ce qui mest attribué. Personalitas est id quo aliquis est subiectum quod est, quod operatur, quod est sui conscium et sui iuris.
Et quand il sagit de la personnalité incréée du Verbe fait chair les théologiens disent communément : « persona Verbi incarnati erat principium quod operationum suarum theandricarum quae proinde habebant valorem infinitum ad merendum et satisfaciendum pro nobis ; natura eius humana et facultates eius humanae erant principium quo tales operationes producebat » (1).
Pour conclure au sujet de lunique personnalité du Christ nous dirons : Puisque la personnalité ontologique ou personnalité proprement dite du Sauveur est unique et incréée, on ne peut dire quil y a en lui une personnalité humaine psychologique et morale, car en lui la conscience humaine du moi nest pas la conscience dun moi humain. De même le moi qui en lui est maître de soi par sa liberté humaine nest pas un moi humain, mais le moi divin du Verbe fait chair. et par suite chaque fois que dans lÉvangile Jésus dit moi , il ne sagit pas dun moi humain, mais du moi divin du Fils unique de :Dieu, qui opère (ut principium quod) soit par sa nature divine, soit par sa nature humaine. Ainsi comme Dieu il conserve, avec le Père et le Saint-Esprit, toutes les créatures dans lexistence, et Jésus comme homme adore, prie, mérite, satisfait, obéit ; produit les actes qui procèdent de ses facultés humaines comme dun principe prochain ; mais le principe radical qui agit principium quod operatur, cest le Verbe fait chair, qui donne une valeur infinie à tous ses actes théandriques.
Ainsi seulement est sauvegardée lunité de personne du Christ malgré la distinction réelle et la distance sans mesure des deux natures. Cest manifestement la doctrine de lÉglise au dessus des deux déviations contraires du monophysisme et du nestorianisme. On nous parlait récemment des richesses de la personnalité humaine psychologique et morale du Christ comme si la théologie ne les avait pas encore attentivement considérées. Ces richesses nont jamais été méconnues par les grands théologiens notamment par S. Thomas, mais il les attribuait non pas à la personnalité humaine psychologique et morale, mais à la sainte âme du Sauveur, à sa sainte humanité, comme au principe quo dopération, et il les attribuait au Verbe fait chair comme au principe quod, qui donnait à tous ces actes une valeur infinie. Il suffit pour sen rendre compte de lire tout ce qua écrit Saint Thomas dans sa Somme théologique IIIa, q. q. jusqua la fin du traité de Christo Salvatore, cest à dire jusquà la question 59 (de natura assumpta, de coassumptis, de consequentibus ad unionem hypostaticam, de meritis Christi, de eius oratione, sacerdotio, de passione Christi, de triplici eius victoria de daemone, de peccato, de morte ; de Christo iudice, rege et capite totius corporis mystici).
Cette doctrine de lunique personnalité du Sauveur se trouve exprimée en ces paroles du Sauveur (Io. XIV, 6) : « Je suis la voie, la vérité, et la vie » cest à dire : je suis la voie, comme homme ; je suis la vérité et la vie comme Dieu : une créature peut avoir la vérité et la vie, mais Dieu seul, qui est lEtre même, peut être la vérité et la vie.
[1]
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