III LE DON DE L'ESPRIT Si le Christ apparut à ses contemporains sous la figure d'un homme, vivant comme vivent tous les hommes, c'est désormais, après sa résurrection, sous la figure des espèces sacramentelles qu'il se manifestera à ses fidèles dans l'Eucharistie. Mais, de même que c'est par l'opération de l'Esprit qu'il est venu prendre une chair humaine sur cette terre, c'est par la vertu de l'Esprit que seront sanctifiées sur l'autel du sacrifice les espèces consacrées en son corps et en son sang ; et ainsi celui qui dans la communion participera au corps du Christ recevra en même temps le don de l'Esprit. Nous savons que le don de l'Esprit est lié à la glorification du Christ ressuscité : « le dernier jour, qui est le plus grand de la fête, Jésus se tenait debout et criait en disant : si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de son sein, comme dit l'Ecriture. Il dit cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui ; car l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié » (Jean VII, 37-39). Mais nous savons aussi que le don de l'Esprit, sous la forme où les Apôtres le reçurent du Christ ressuscité, lorsque le Sauveur souffla sur eux en disant : « Recevez l'Esprit-Saint » (Jean, XX, 22), ne se confond pas avec le don de l'Esprit qui avait été promis (Jean XIV, 16 et 26 ; XVI, 7 et 13) et qui ne sera envoyé qu'à la Pentecôte, lorsque Jésus sera retourné à son Père (Actes, II, 1-2). Remarquons, en effet, que le Christ lui-même a reçu deux fois l'Esprit-Saint : à son Baptême, sous la figure de la Colombe, pour signifier la propagation de la grâce dans les sacrements, car la Colombe est signe de fécondité ; puis à la Transfiguration dans une nuée transparente pour signifier le don de la grâce par la doctrine : « Ecoutez-le... ». De même les Apôtres ont reçu deux fois le Saint-Esprit : lorsque le Christ ressuscité souffla sur eux, pour signifier la propagation de la grâce dans les sacrements dont ils seront les Ministres : « ceux dont vous remettrez les péchés... » ; puis à la Pentecôte, sous la figure des langues de feu, pour signifier le don de la grâce par la doctrine : « et ils commencèrent à parler en langues... » (1). S'il faut distinguer ainsi le don de l'Esprit dans le sacrement et le don de l'Esprit par la doctrine, notons encore que l'Esprit est donné sous trois formes différentes : d'abord sous forme de Colombe, ensuite sous forme de Souffle, enfin sous forme de Feu. « Il se montre sous la première forme, dit Joachim de Flore, quand il procède du Père ; il se montre sous la seconde, quand il procède du Fils ; il se montre sous la troisième, quand l'Esprit lui-même souffle où il veut et que de lui-même, il se divise en autant de parts qu'il a décidé » (2). Le don de l'Esprit que nous recevons dans l'Eucharistie, parce qu'il est contenu dans le sacrement, n'est donc pas seulement lié à la glorification du Christ ressuscité ; ce don procède directement et immédiatement de la volonté même du Christ qui, rétabli dans sa gloire par la résurrection, n'attend pas d'être remonté au Ciel pour le distribuer aux Apôtres. Aussi la distinction dans les sources de l'effusion de l'Esprit que nous avons rattachée aux formes se sa manifestation sensible, est pour nous secondaire par rapport à la première ; car il importe peu en définitive, puisque les personnes divines sont consubstantielles dans la Trinité, que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, ou du Père et du Fils à la fois, ou enfin agisse de Lui-même en vertu de sa fécondité éternelle, qui est aussi infinie. Par contre, si le don de l'Esprit dans le sacrement a été conféré par le Christ lui-même à ses Apôtres avant son Ascension, alors que le don de l'Esprit par la doctrine ne sera effectué qu'à la Pentecôte, à la fois par le Père et le Fils, et demeurera néanmoins l'oeuvre propre du Saint-Esprit accomplissant à son tour la mission sanctificatrice, dans le même sens où le Fils a accompli en son temps sa mission rédemptrice, n'est-il pas évident que nous devons reconnaître dans le don du Saint-Esprit, tel qu'il a été conféré aux Apôtres par le Christ ressuscité, avant qu'il soit retourné à son Père, une opération essentielle du Verbe, achevant par l'octroi de ce don sanctificateur l'oeuvre salvatrice qu'il est venu accomplir sur la terre ? Cette opération, qui s'effectue totalement dans l'ordre de l'Esprit, inaugure pour le Christ glorieux un nouveau mode d'existence parmi les siens ; avec elle commence véritablement, pour ne finir qu'avec la consommation des siècles, son règne de Médiateur de l'humanité. Aussi cette opération ne prendra-t-elle tout son sens et sa valeur que dans l'Eglise. Jésus n'avait-il pas promis aux siens qu'il ne les laisserait pas orphelins ? (Jean, XIV, 18). Le corps mystique de cette Eglise sera constitué par l'ensemble des fidèles qui garderont sa parole et ses commandements ; le Christ glorieux en sera perpétuellement la tête ou le chef et c'est son Esprit qui continuera à l'animer d'une présence toujours réelle afin de conduire les élus vers les demeures du Père dans la vie éternelle. En vérité, en vérité, je vous le dit, avant que je vinsse au monde, aucune âme n'était entrée dans la Lumière. Et maintenant que je suis venu, j'ai ouvert les portes de la Lumière, j'ai ouvert les chemins qui conduisent à la Lumière ; et maintenant celui qui agira d'une manière digne des Mystères recevra les Mystères, afin qu'il entre dans la Lumière. Je vous ai donné les clefs du Royaume de la lumière, celle qui remettent les péchés des âmes, afin qu'elles soient purifiées, qu'elles deviennent pure lumière et qu'on les introduise dans la Lumière. Je vous ai donné les Mystères qui dissolvent tous les liens de l'âme et tous les sceaux qui sont attachés à l'âme ; ceux qui rendent l'âme libre et la sauvent des mains de ses pères, les archons ; qui lui donnent la pure Lumière, afin de l'introduire dans le Royaume de mon Père » (Pistis Sophia).
(1) cf. sur ces rapprochements Ludolphe le Chartreux, Vita Jesu-Christi, 2° partie, ch. LXXXIV.
(2) L'Evangile éternel, trad. Aegerter, p. 96. Paris, 1928.
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