La Chute de l'Homme et la Formation
Parce qu'ils sont émanés sous le signe de l'Être ou du Père, les Anges sont des essences pures, d'ordre intelligible : la théologie thomiste les désigne du nom d'Intelligences séparées. L'objet de leur connaissance est toujours en acte, parce que les idées représentatives des choses leur sont innées, connaturelles, au même titre que leur propre essence. Parce qu'il est créé sous le signe de la Vie ou du Verbe, l'Homme est une Pensée vivante, une essence d'ordre spirituel, un Esprit. Des occultistes l'appellent un Esprit vierge, parce qu'il renferme dans sa seule substance toute la lignée des Esprits qui doivent dériver de lui dans la suite des Temps et peupler sous sa domination les Jardins de Vie ou les Paradis Célestes. Mais, tandis que les Anges sont incorporels (1), en ce sens que leur être n'est pas naturellement et nécessairement uni à un véhicule de matière, même subtile, l'Esprit de l'Homme est entouré d'une enveloppe fluidique qui constitue son Corps de vie et a pour effet de le situer dans l'Espace, créé le deuxième jour avec le Firmament ou Ciel éthérique. Immatériels, les Anges sont incorruptibles en vertu de leur nature propre ; revêtu d'un corps, l'Homme n'est incorruptible que par le don gracieux de la Toute-puissance divine. Car dans ce corps de Vie Dieu a introduit, le sixième jour de la création, une âme de Vie destinée à servir à son Esprit d'un instrument qui pût animer, mouvoir et diriger son corps ; et cette âme, Dieu la fit immortelle. Et à l'Homme, ainsi constitué et établi dans le Paradis de Vie, Dieu présenta chacune selon son espèce, pour qu'il leur donnât un nom, toutes les semences de Vie (2) qu'il avait déposées dans l'Espace éthérique aux jours successifs de la Création et d'où devaient être engendrés tout végétal et tout animal. A chacune de ces Âmes de Vie l'Homme conféra, selon son espèce, un Nom ; mais il n'en trouva aucune qui fût semblable à lui. Dieu lui fit alors connaître qu'il lui déléguait le pouvoir de former un être semblable à lui, mais à la condition que son opération fût consacrée à la gloire du Très-Haut et exécutée dans la plus stricte obéissance à ses commandements. Et Dieu déclara qu'il bénirait son oeuvre. L'Homme commença aussitôt les préparatifs de son opération (3); mais à peine en avait-il accompli les premiers gestes qu'une ombre immense se leva à l'horizon et couvrit le soleil d'un voile ténébreux. Dans la nuit qui montait, l'Homme sentit une torpeur inaccoutumée l'envahir tout entier et son âme s'assoupit : pour la première fois, il s'endormit. Pendant son sommeil, l'uvre qu'il avait projetée se réalisa. Mais, à son réveil, quelle ne fut pas sa surprise ! L'être qui se tenait devant lui, resplendissant d'une étrange beauté, n'était pas semblable à lui ; ce n'était pas un être spirituel, mais une simple forme fluidique, sans âme ni vie. L'Homme invoqua le Très-Haut et Dieu, fidèle à sa promesse, insuffla une âme de Vie et un Esprit à l'oeuvre inerte sortie des mains de l'Homme. Et l'Homme la nomma HÉVA, pour être sa compagne, née de son corps. Mais aussitôt ils aperçurent qu'ils étaient nus, c'est-à-dire dénués de toute vertu propre et de lumière, stériles. Et l'Homme, qui n'était plus qu'Adam, entendit la voie courroucée de Dieu qui lui reprochait sa faute, et lui annonça les châtiments qui le frapperaient, lui et ses descendants. Et, après les avoir pourvus de tuniques de peau (4), Dieu chassa du Paradis céleste le couple humain. Ainsi commença pour l'Homme et sa postérité, à travers des mondes nouveaux, le pèlerinage des existences successives. Ces mondes nouveaux, la Kabbale juive les appelle mondes de la formation ou Ietsirah ; les occultistes les désignent du nom de mondes astraux ou éthérique. On doit les placer sous le signe de la Lumière ou de l'Esprit, de même que les mondes de l'émanation sont placés sous le signe de l'Être ou du Père, et celui de la création sous le signe de la Vie ou du Verbe. Mais, ainsi qu'il y a des degrés dans la Lumière, il y a une hiérarchie entre les mondes qui composent la sphère de l'Esprit ; et la descente de l'Homme à travers ces mondes va s'effectuer, en quelque sorte, par étapes successives qui constitueront chacune un plan de l'involution et, dans leur ensemble, le domaine de la Manifestation formelle. L'esprit, à chaque étape de son involution, se revêtira de formes ou de véhicules de plus en plus denses, jusqu'à ce qu'il ait atteint, dans un corps de mort (5), le nadir de la matérialité. Pour ne pas entrer dans le détail, je dirai simplement qu'on peut distinguer trois plans principaux : tout d'abord les plans zodiacaux, qui constituent les mondes de l'Esprit divin ; puis les plans solaires qui constituent les mondes de l'Esprit vital ; enfin les plans planétaires qui constituent les mondes de l'Esprit proprement humain. Et dans ces derniers on peut énumérer trois autres plans : le plan mental (mondes de la pensée abstraite et de la pensée concrète), le plan émotionnel (mondes du désir) et le plan physique (mondes organiques et chimiques) (6). Ce dernier porte dans la Kabbale juive le nom de monde de la faction ou Assayah ; il est à la limite de la Sphère de l'Esprit ou de la Lumière : au-delà s'étend le Domaine des Ténèbres, ces Ténèbres que l'Évangile appelle extérieures, parce qu'elles sont en dehors de Dieu et livrées à la domination de Satan. II. - Tableu figuratif de la sphère de l'homme (7) et des sphères de l'Esprit (1) Ce n'était point le sentiment unanime des Pères et saint Bonaventure admettait que les Anges ont une matière à eux, une matière spéciale, d'un ordre plus relevé que la matière corporelle et tout à fait à part. Les Pères ont parlé de corps subtils ou aériens. (2) Fabre d'Olivet traduit « puissances sementielles » ou « âmes de vie » (Langue hébraïque restituée, tome II : La Cosmogonie de Moïse). (3) On en trouvera les détails dans le Traité de la Réintégration des Êtres, de Martinès de Pasqually. (4) On sait que pour Platon le corps physique est le vêtement de l'âme (Phédon). (5) « qui me délivrera de ce corps de mort », dit saint Paul dans l'Épître aux Romains (VII, 24). (6) Dans la terminologie théosophique, le plan des Esprits Vierges ou Paradis s'appelle plan paranirvanique les plans zodiacaux, plans nirvaniques ; les plans solaires, plans bouddhiques ou de l'Intuition. Les plans nirvaniques appartiennent au rayon du Père ; les plans bouddhiques au rayon du Fils ; les plans inférieurs au rayon du saint Esprit. (7) (voir aussi le petit 1 dans le carré du shéma de l'auteur) La sphère de l'homme est un cube, parce que le paradis est identique la Jérusalem céleste qui est décrite dans l'Apocalypse et dont les douzes portes correspondent aux douzes signes du cercle zodiacale. Nous trouvons ici la réalisation de ce que les hermétistes désignaient symboliquement comme la "quadrature du cercle" (R.Guénon, Le Roi du monde, p.131). |