LE PROBLEME DE LA CONDUITE « Que sert à, l'homme de gagner le monde entier s'il vient à perdre son âme » ? (Matth., XVI, 26). Nous avons appris à connaître ce qu'est le monde et ce qu'il y a en lui : « convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie », et Aussi que « le monde passe avec sa convoitise ». (Jean, II,16, 17), Et, puisque « la figure de ce monde passe »,(I. Cor., VII, 31), n'est-ce pas folie d'y attacher son coeur ? « Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans le monde la conservera pour la vie éternelle » (Jean, XII, 25). C'est qu'en effet « ni la chair ni le sang ne peuvent posséder le Royaume de Dieu » (I, Cor., XV, 50) ; car « les sentiments que fait naître la chair produisent la mort, la chair ne se soumet pas à la loi du Dieu, l'attachement à la chair est inimitié contre Dieu » (Rom., VIII, 5-8). Ainsi ceux qui vivent selon la chair sont assujettis à la loi du péché et de la mort ; mais ceux qui vivront selon l'esprit seront affranchis, par la loi de l'Esprit de vie, de toutes les servitudes de la chair : conduits par l'Esprit de Dieu, ils seront fils de Dieu. Et « quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui » (I. Jean, III, 9). En opposition aux fils du Diable, qui forment « la synagogue de Satan » (Apoc.,II, 9 ; III, 9), les fils de Dieu composent l'Église du Christ, cette Église contre laquelle les Portes de l'Enfer, ne sauraient prévaloir. A quel signe les reconnaît-on ? « A ceci l'on reconnaît les enfants de Dieu et les enfants du Diable : quiconque ne pratique pas la justice n'est pas de Dieu ; il ne l'est pas non plus celui qui n'aime pas son frère » (I. Jean,III, 10). I « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Matth., VI, 33). Ce sont les païens qui prennent souci pour leur vie de ce qu'ils mangeront ou boiront et pour leur corps du vêtement dont ils le couvriront, comme si la vie n'était pas plus que. la nourriture et le corps plus que le vêtement ! « Ne vous mettez donc pas en peine pour le lendemain, car le lendemain aura soin de ce qui le concerne : à chaque jour suffit sa peine ». (Matth., VI, 34). Il y avait un homme riche dont le champ rapportait des fruits abondants et cet homme se disait en lui-même : « que ferai-je ? car je n'ai pas de place pour serrer ma récolte. Voici ce que je ferai : j'abattrai mes . greniers, j'en construirai de plus grands, j'y amasserai toute ma récolte et tous mes biens.. Puis je dirai à mon âme : mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour beaucoup d'années ; repose-toi, mange, bois et réjouis-toi. Mais Dieu lui dit : insensé, cette nuit même ton âme te sera redemandée >, (Luc XII, 16, 21). Pour être « riche en Dieu », ce n'est pas sur la terre qu'il faut amasser des trésors », là où les vers et la rouille détruisent, où les voleurs percent et dérobent » (Matth.,VI, 19), mais dans le ciel, afin que là où est notre trésor, soit aussi notre coeur. Cette justice du Royaume de Dieu, qui doit primer tous les soucis de la terre, ce n'est point dans la seule observance de pratiques pharisaïques qu'on l'accomplira, si l'on méconnaît par ailleurs les principaux commandements de la loi « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites car vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin et vous négligez les choses les plus importantes de la loi : la justice, la miséricorde et la fidélité ». (Matth., XXIII, 23). On nettoie « le dehors de la coupe et du plat », mais au dedans l'âme est pleine « de rapacité et de méchanceté » (Luc, XI, 39). On se purifie les mains avant le repas, comme si l'homme était souillé par ce qui entre dans la bouche ; « ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l'homme,car c'est du dedans, c'est du coeur des hommes que sortent les mauvaises pensées et les mauvaises passions (Marc, VII, 21-23). On charge les autres de fardeaux difficiles à porter ; quant à soi, « on ne les touche pas du doigt » (Luc, XI, 46). On sonne de la trompette dans les rues, quand on veut faire l'aumône afin d'être honoré des hommes ; on prie en se tenant debout dans les synagogues et au coin des places pour être vu des hommes ; on donne à son visage un air triste et défait, quand on jeûne afin de montrer aux hommes que l'on jeûne. Ceux-là en vérité, ont reçu leur récompense. « Gardez-vous, donc de pratiquer votre justice devant les hommes, pour être remarqués par eux ». (Matth., VI, 1). Parce que « le Royaume de Dieu est au dedans. de nous » (Luc, XVII, 24), ce n'est point sur nos actes extérieurs, ni sur nos gestes, nos attitudes que nous serons jugés, mais sur l'esprit qui aura dicté notre conduite, sur nos sentiments et nos pensées. Notre justice doit être autre chose qu'une conformité à des lois écrites ; il faut qu'elle émane de notre propre coeur, qu'elle soit l'expression de notre volonté la plus intime, la fidèle image de notre âme. « Il a été dit aux anciens : tu ne tueras point ; mais, moi je vous dis ; quiconque se met en. colère contre son frère sera jugé... il a été dit : tu. ne commettras point d'adultère, mais moi, je vous dis : quiconque jette sur une femme un regard de convoitise a déjà commis avec elle l'adultère dans son coeur... Vous avez encore entendu qu'il a été dit aux anciens : tu ne te parjureras point, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de tes serments. Mais, moi je vous dis de ne pas jurer du tout, mais que votre parole soit : oui, oui, non, non... Vous avez entendu qu'il a été dit : oeil pour oeil, dent pour dent ; mais moi je vous dis de ne pas résister aux méchants. Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi... Vous avez entendu qu'il a été dit : tu aimeras ton prochain. et tu haïras ton ennemi ; mais moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez les fils de votre Père qui est dans les Cieux » (Matth., V, 21-45). Qu'exige du chrétien, au total, la pratique d'une pareille justice ? rien de moins que la perfection....« Soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait » (Matth., V, 48) ; et. pour atteindre à ce degré, il ne suffit pas que notre justice « surpasse celle des Scribes et des Pharisiens » (Matth., V, 20), il faut qu'elle accepte avec sérénité, avec amour, avec joie, toutes les épreuves : « heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. » ( Matth., V., 10). « C'est une grâce, dit saint Pierre, d'endurer des peines et de souffrir injustement, par motif de conscience, pour obéir à Dieu. En effet, quelle gloire y aurait-il à supporter patiemment d'être battu pour avoir fait le mal ? Mais si, en faisant le bien, vous êtes maltraités, et que vous supportiez patiemment l'épreuve, c'est là une grâce aux yeux de Dieu » (I, Petr., II, 19-20). « qui, dit pareillement saint Paul, qui nous séparera de l'amour du Christ ? Sera-ce l'affliction ou l'angoisse, ou la persécution ou la faim, ou la nudité ou le péril, ou l'épée ? » Il est écrit en effet : « Nous sommes tout le jour livrés à la mort à cause de toi ; on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. » Mais voici que de toutes nos épreuves nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni la mort ni la vie, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l'amour que Dieu nous a témoigné en Notre Seigneur Jésus-Christ ». (Rom., VIII, 35-39). C'est que le Christ « a été fait pour nous, de la part de Dieu, sagesse et justice et sanctification et rédemption » (I, Cor., I, 30), « afin que nous ayons en nous, par Lui, et la joie et la paix, non pas la paix telle que la donne le monde, mais sa Paix » (Jean, XVII, 14), parce qu'elle est repos de l'âme en Celui qui est à la fois « Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu » (I, Cor.,.I, 24). II Le Chrétien demande chaque matin, dans sa prière, que la Justice de Dieu soit sans cesse la règle de ses paroles, de ses pensées et de ses oeuvres, Mais; il est une autre vertu qu'il doit aussi pratiquer avec persévérance et ferveur et qui ne doit pas moins que la justice inspirer toute sa conduite : la. charité. c'est-à-dire l'amour du prochain. Peut-être même est-ce là le grand commandement, celui qui domine tous tes autres et qui caractérise spécialement l'esprit tout entier du Christianisme : « c'est à ceci, a dit le Divin Maître, que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres... je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns, les autres comme je vous ai aimés. »(Jean, XIII, 34-35).. L'Apôtre Jean écrira à son tour aux fidèles d"Éphèse, en leur rappelant le commandement du Seigneur, que celui-là n'est pas de Dieu qui n'aime pas son ,frère : « le message que vous avez entendu dès le commencement, c'est que nous nous aimions les uns les autres... Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous et son amour est parfait en nous. » (I, Jean, III, II et IV, 12). Et il ne s'agit pas, entendons bien, d'amour en paroles et avec la langue, mais en action et en vérité : « à ceci nous avons connu l'amour que Jésus-Christ a donné sa vie pour nous ; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. Si quelqu'un. possède les biens de ce monde et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui ? » (Jean, III, 17-18). .Ainsi, finalement, l'amour du prochain ne se distingue pas de l'amour de Dieu « nous avons reçu du Seigneur ce commandement que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère » (I, Jean, IV, 21). Le Maître n'avait-il pas dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta ;pensée, c'est le grand, le premier commandement ; et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». (Matth., XXII, 37-40). Et au docteur de la loi qui lui demande : « Qui est mon prochain ? » Jésus de répondre par la parabole du bon Samaritain dont la leçon est assez claire pour que le docteur de la loi puisse lui-même donner à cette question l'exacte réponse : le prochain est « celui qui exerce la miséricorde envers ses frères ». (Luc, X, 25-37). N'est-ce point sur nos oeuvres de miséricorde, en effet, que nous serons jugés à l'heure de notre mort ? « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez recueilli ; j'étais nu et vous m'avez vêtu ; j'étais malade et vous m'avez visité ; j'étais en prison et vous êtes venu auprès de moi... En vérité, je vous le déclare, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait. » (Matth., XXV, 34-40). Ceux qui auront ainsi pratiqué la miséricorde envers leurs frères sont assurés, par la promesse du Divin Maître, de s'asseoir à sa droite, lorsqu'il viendra dans sa gloire juger les vivants et les morts, ; et leur récompense sera grande dans les cieux, parce que « aimer son prochain comme soi-même est quelque chose de plus grand que tous les holocaustes et les sacrifices. » (Marc, XII, -33). De même, en effet, que le souci de la justice de Dieu passe avant l'observance pharisaïque des prescriptions légales, bien plus encore le devoir de charité doit-il primer toute pratique religieuse, quelqu'en soit d'ailleurs le mérite . « Si tu apportes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant l'autel et va premièrement te réconcilier avec ton frère ; après cela, viens et présente ton offrande ». (Matth., V, 23;14). Le pardon des injures est un des traits les plus saillants de la vertu de charité, et il n'y a pas de mesure au pardon : « Si ton frère a péché, reprends-le et, s'il se repent, pardonne-lui. S'il a péché contre toi sept fois dans un jour et, que sept fois il revienne à toi et te dise : je me repens, tu lui pardonneras. » (Luc, XVII, 4). Mais demande Pierre : «Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère, quand il aura péché contre moi ? Sera-ce jusqu'à Sept fois ? Et Jésus répondit : je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois » (Matth., XVIII, 21-22). Et suffit-il de pardonner pour « être miséricordieux comme le Père est miséricordieux » (Luc, VI, 36). Le chrétien qui possède « le sens du. Christ » ne juge pas ses frères, car ce n'est pas à lui qu'il appartient de sonder les reins et les coeurs « Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés ; car on vous jugera comme vous jugez et on se servira pour vous de la mesure avec laquelle vous mesurez, Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l'oeil. de ton frère, tandis que tu n'aperçois pas la poutre qui est dans ton oeil ? » (Matth., VII, 1-5). Apprenez donc ce que signifie cette parole « je veux la miséricorde et non le sacrifice » (Matth., IX, 13). « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Matth., V, 7). III Justice et Charité, mais justice du Royaume de Dieu et Charité dans l'Esprit du Christ, tels sont les idéaux sur lesquels le chrétien doit régler, chaque jour, en toute circonstance, la conduite de sa vie. Mais il ne peut être assuré de réussir dans cette tâche que s'il s'y applique dans l'humilité et le renoncement. Humilité de l'intelligence qui sait que la sagesse de l'homme est folie devant Dieu et que le Christ n'habite dans nos âmes que par la Foi. (Ephès, III, 17). Humilité de la volonté qui a fait l'épreuve de sa faiblesse et de son inconstance et qui a compris qu'elle ne possède rien qu'elle ne l'ait reçu, selon la parole de Celui qui a dit : « sans moi vous ne pouvez rien faire (Jean, XV, 3) ; car il est le Cep, le Berger, la Porte, la Voie, la Vérité, la Vie. Humilité du coeur qui, pour s'attacher au Divin modèle de toute perfection, doit pouvoir s'écrier comme Lui : « Recevez mes leçons, parce que je suis doux et humble de coeur » (Matth., XI, 29) ; humilité faite de douceur et de pureté : « heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre ! heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu >,. (Matth., V, 5-8). Humilité, mais aussi renoncement. Renoncement à tout ce qui est « convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie » (I, Jean, II, 16). N'est-il pas écrit qu'il est « plus facile à un chameau d'entrer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des Cieux » ? (Matth., XIX, 23). Le pauvre Lazare, à sa mort, va dans le sein d'Abraham goûter les joies du Paradis, tandis que le mauvais riche, en enfer, n'a pas une goutte d'eau pour rafraîchir sa langue desséchée (Luc, XVI, 19 et suiv.). Bien plutôt, « faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité, afin que, lorsque vous viendrez à manquer, vous soyez reçus dans les tabernacles éternels » (Luc, XVI, 8). Parce que vous êtes « lumière dans le Seigneur, marchez comme des enfants de la lumière » (Ephès, V, 8). Parce que vous avez été délivrés de la servitude du péché, « ne vivez pas selon la chair, mais selon l'Esprit car ceux qui vivent selon l'Esprit s'attachent aux choses de l'Esprit » (Rom. VIII, 13). Et « que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient. votre Père qui est dans les Cieux ». (Matth., V, 16). Cette « manifestation » des Fils.de Dieu n'est pas « orgueil de la vie », mais révélation de la vie du Christ en nous. Quel est le Chrétien qui n'oserait dire avec l'Apôtre : « ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en nous » ? (Galat.,II, 20). Car « il a dépouillé le vieil homme, corrompu par les convoitises trompettistes » et « il a revêtu l'homme nouveau créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritables ». (Ephès, IV, 210-24). Renouvelé dans l'esprit de son intelligence », il est maintenant « une nouvelle créature » : « les vieilles choses sont passées ; voici que toutes choses sont devenues nouvelles (I, Cor., VI, 17). L'« homme nouveau » a « revêtu le Christ » (Galat., II, 27) ; et c'est pourquoi il est le sel de la terre » et « la lumière du monde » (Matth., V, 13-15) ; il possède les paroles de la vie éternelle et il porte sur son front le sceau du Dieu vivant. « Que la Paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, garde vos coeurs et vos pensées en Jésus-Christ (Phil., IV, 7). Gabriel HUAN.
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