COR JESUS

« Voici ce coeur qui a tant aimé les hommes ».
(Révélations à Sainte Marguerite-Marie).


 


     Celui qui n'a pas reconnu dans le Christianisme la religion par excellence de la charité, de l'amour compatissant et miséricordieux, n'a rien compris au message évangélique. Sans doute, déjà dans le judaïsme, l'Éternel n'est pas seulement le Dieu vindicatif qui punit sur les enfants les crimes de leurs pères, mais aussi Celui « qui fait les délices des enfants des hommes » (Proverbes VIII, 31) ; mais la notion de l'amour divin y demeurait encore bien imprécise : les fulgurations du Sinaï avaient laissé dans l'âme d'Israël un tel souvenir de la gloire du Très-Haut, qu'en face de sa manifestation, tous les coeurs étaient bien plus frappés de la majesté de sa toute-puissance que de la grandeur de son infinie miséricorde.

     Avec le Christ une ère nouvelle s'ouvre vraiment dans l'histoire religieuse de l'humanité. N'est-ce pas parce que Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a envoyé son fils unique ? Et ce fils, qui portait en soi l'empreinte de la substance divine et qui pourtant s'est humilié jusqu'à revêtir la condition d'esclave, pourquoi donc a-t-il pris une chair humaine si ce n'est, en devenant comme l'un quelconque d'entre nous, pour se faire notre frère et donner sa vie en rançon pour le péché de ceux qu'il a toujours aimés d'un amour sans mesure et sans réserve ? « Deus caritas est » (I. Jean, IV, 8).

     Après Saint Paul essayons d'entrevoir quel fut « cet amour du Christ qui surpasse toute connaissance », afin qu'« étant enracinés et fondés dans l'amour, nous saisissions avec tous les Saints quelle en est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur ». (Ephès. III, 18-19).

I

     Méditons tout d'abord cette parole du Sauveur : « Ce n'est pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais ceux qui se portent mal. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs »(Marc, II, 17). N'y aura-t-il pas plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance ? (Luc, XV, 7). Ce fut assurément pour Jésus l'une des causes profondes de son agonie à Gethsémani que la pensée de l'inutilité de sa Passion pour un trop grand nombre d'âmes endurcies dans leur péché ou assez peu confiantes en la générosité de son amour, pour ne plus croire à la vertu rédemptrice de son sang. Et pourtant, au cours des trois années de son ministère public, que ce soit par les enseignements de sa prédication ou par les actes de sa vie quotidienne, n'avait-il pas multiplié les marques de sa pitié pour tous ceux qui pleurent, de sa compassion pour tous ceux qui souffrent ; de sa miséricorde envers tous les égarés de l'intelligence ou du coeur, de sa mansuétude infinie pour toutes les âmes éplorées qui, du fond de leur détresse ou de leur infamie, jettent vers le ciel un cri d'angoisse et de supplication ? Parce qu'il était « doux et humble de coeur ». (Matt., XI, 29), aucune douleur humaine ne lui fut étrangère et, bien qu'il fût le Saint des Saints, il est allé jusqu'à se faire « péché pour nous », (II Cor., V, 21), afin d'appartenir plus étroitement à notre race, d'être vraiment de notre sang et de partager ainsi, non sans doute aucune de nos fautes, mais toutes nos faiblesses et toutes nos misères.

     Comme il allait à Naim, accompagné de ses disciples et suivi d'une grande foule, voici qu'en approchant de la porte de la ville, il rencontra un cortège funèbre : on emportait un mort, fils unique de sa mère qui était veuve. A cette vue Jésus fut rempli de compassion et il dit à la mère : « ne pleure pas » ; puis, s'étant arrêté près du cercueil, il s'écria : « jeune homme, lève-toi, je te l'ordonne », et Jésus rendit à la mère ce mort qui, levé sur son séant, commençait à parler (Luc., VII, 11-17).

     Une autre fois, il montait à Jérusalem pour la fête et, en passant près de la porte des brebis, il aperçut autour de la piscine de Bethesda un grand nombre de malades, d'aveugles, de paralytiques qui, couchés, attendaient l'agitation de l'eau pour s'y plonger les premiers et être guéri « Il y avait là un homme qui était malade depuis trente-huit ans. Jésus, le voyant couché et sachant qu'il était malade depuis longtemps, lui dit : « Veux-tu être guéri ? ». Le malade lui répondit : « Seigneur, je n'ai personne pour me plonger dans la piscine, quand l'eau est agitée et, pendant que j'y vais, un autre y descend avant Moi ! ». Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton lit et marche ». Et aussitôt, cet homme fut guéri ; il prit son lit et se mit à marcher. (Jean, V, 5-9).

     Comme il enseignait dans le temple, il remarqua dans la foule qui l'écoutait une femme qui, toute courbée, ne pouvait pas se redresser : elle était possédée d'un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans. Jésus l'appela et lui dit : «femme tu es délivrée de ton infirmité ». Et il lui imposa les mains ». A l'instant elle se redressa et se mit à rendre gloire à Dieu. (Luc., XIII, 10-14).

     Un aveugle qui, sur la route de Jéricho, entendait passer la foule escortant Jésus et ses disciples, se mit à crier : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! » et, comme on voulait le faire taire et qu'il criait plus fort . « Fils de David aie pitié de moi ! », Jésus s'arrêta et ordonna qu'on l'amenât près de lui et lorsque l'aveugle se fût approché, il lui demanda « que veux-tu que je te fasse ? » - « Seigneur que je recouvre la vue ! » et Jésus aussitôt de répondre : « Recouvre la vue, ta foi t'a guéri. » A l'instant il recouvra la vue et suivit le Maître, en glorifiant Dieu. (Luc., XVIII, 35-43).

II

     Ce ne sont pas seulement les infirmités du corps qui éveillent la pitié du grand Compatissant ; les maladies de l'âme ne pouvaient laisser indifférent celui qui pénétrait le secret des coeurs et savait ce qu'il y a dans l'homme.

      Comme il était assis dans le temple pour enseigner, les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme qui avait été surprise en délit d'adultère et, la plaçant au milieu de la foule, ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant défit d'adultère ; or, Moïse nous a ordonné dans la toi de lapider ces sortes de personnes. Et toi, qu'en dis-tu ? ». Jésus, s'étant baissé, écrivait avec le doigt sur la terre, mais ils continuaient à l'interroger pour le mettre à l'épreuve. Alors il se releva et, ayant regardé l'un après l'autre tous ces hommes qui l'entouraient, hostiles, il leur dit : « que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Les accusateurs de la femme s'étant retirés l'un après l'autre, Jésus, resté seul avec elle, lui dit : « Femme, où sont-ils ceux qui t'accusaient ? Personne ne t'a condamnée ? » - « Personne, Seigneur ». - « Moi non plus, je ne te condamne point ; va, mais ne pèche plus ! » (Jean, VIII, 3-11)..

     Voici une autre femme, de celles que l'on montre au doigt dans le pays, parce qu'elle a eu plusieurs amants et qu'elle vit encore en concubinage. C'est une Samaritaine et elle vient chercher de l'eau au puits auprès duquel Jésus s'est assis, fatigué de la route, à l'heure de midi. « Femme, lui dit-il, donne-moi à boire ». Et, comme la femme s'étonne de s'entendre adresser la parole à elle, Samaritaine, par un juif, Jésus continue : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : donne-moi à boire, c'est toi qui lui aurais demandé à boire et il t'aurait donné une eau vive ». Et bientôt le Maître d'amener la femme, toute troublée, à avouer l'état de péché dans lequel elle vit : la bonne semence est jetée dans son coeur. Laissant là sa cruche, elle retourne au village annoncer à tous qu'elle a rencontré un prophète qui lui a dit tout ce qu'elle a fait : « Ne serait-ce pas le Christ » ? déclare-t-elle. Et tous plus tard de confirmer son témoignage : « Nous savons que c'est lui qui est véritablement le Sauveur du monde ». (Jean, IV, 7-42).

     Celle-ci est encore plus coupable et tout le monde sait à la ville qu'elle est « une femme de mauvaise vie ». Et pourtant, comme Jésus prenait son repas chez le pharisien, elle ne craint pas de pénétrer dans la salle du festin et de venir s'agenouiller aux pieds du Maître, qu'elle arrose de ses larmes. Tous les regards sont fixés sur elle et déjà des gestes réprobateurs se dessinent à son adresse ; l'hôte lui-même murmure dans son indignation : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche. » Alors Jésus d'intervenir : « un créancier avait deux débiteurs, l'un lui devait cinq cents deniers, l'autre cinquante. Et, comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur remit à tous deux leur dette. Lequel des deux l'aimera le plus ? » -« J'estime, répond le pharisien que c'est celui à qui il a le plus remis ». - « Tu as bien jugé, réplique Jésus et, se tournant vers la femme, il ajoute : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison et tu ne n'as pas donné d'eau pour mes pieds ; mais elle les a arrosés de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser ; mais elle, depuis qu'elle est entrée, n'a cessé de me baiser les pieds. Tu n'a pas oint ma tête d'huile ; mais elle a oint mes pieds de parfum. C'est pourquoi, je te le déclare, ses péchés qui sont en grand nombre lui sont pardonnés ; car elle a beaucoup aimé ». Puis il dit à la femme : « tes péchés te sont pardonnés, va en paix ; ta foi t'a sauvée ». (Luc., VII, 36-50).


III

     Jésus n'est pas satisfait de n'offrir qu'à ceux qu'il rencontre ou qui viennent à lui le secours tout puissant de sa parole qui guérit et ressuscite ou de son geste qui pardonne et console. Son coeur divinement compatissant veut ouvrir tout grand pour accueillir tous les repentirs et apaiser tous les remords. Le bon Pasteur connaît toutes ses brebis par leur nom ; et, lorsqu'une d'elle s'est égarée dans les chemins de la perdition, c'est avec une sorte d'angoisse qu'il épie son retour afin de lui ouvrir sans retard les portes du bercail.

      « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche. Après qu'il eût tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à être dans l'indigence. Alors il s'en alla et se mit au service d'un des habitants du pays qui l'envoya dans ses champs pour paître les pourceaux. Et il aurait bien voulu se rassasier des caroubes que mangeaient les pourceaux ; maïs personne ne lui en donnait. Étant donc rentré en lui-même, il se dit : combien de gens aux gages de mon père ont du pain en abondance et moi ici, je meurs de faim. Je me lèverai, j'irai vers mon père et je lui dirai : mon père j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes mercenaires. Il se leva donc et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, et courant à lui, il se jeta à son cou et l'embrassa. Alors son fils lui dit : Mon père j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs Apportez vite la plus belle, robe et l'en revêtez mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous, parce que mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé » (Luc, XV, II -25).

     Mais, parfois, c'est en vain que le père guette au détour du chemin le retour de l'enfant prodigue les jours, les années passent et le fugitif ne revient pas. Que fera le bon Pasteur ? « Si un homme a cent brebis et que l'une d'elle s'égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf dans les montagnes pour aller chercher celle qui s'est égarée ? Et, s'il lui arrive de la retrouver, en vérité, il en a plus de joie que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées ». (Matth. XVIII, 12-14). Et le bon Pasteur a tant de joie d'avoir retrouvé sa brebis perdue que, pour lui épargner la fatigue du retour, il l'emporte sur ses épaules et, rentré à la maison, il appelle ses amis et ses voisins et leur dit : « Réjouissez-vous avec moi ; car j'ai retrouvé ma brebis qui était perdue ». (Luc., XV, 367).

     Lorsque le divin Maître eût ainsi partagé entre tous ses frères en humanité les trésors infinis de son coeur pitoyable, il lui restait encore quelque chose à leur donner, sa propre vie en rançon pour le salut de toutes les âmes. Il avait connu la faim, la soif, l'ardeur brûlante du soleil d'Orient, la lassitude du chemin trop long, la dureté du gîte improvisé le soir après l'étape, l'inclémence des froides nuits d'hiver, la contradiction des hommes, le sarcasme des foules incrédules ou hostiles, la haine de ceux qui se prétendaient les purs, l'ingratitude des miraculés qu'il avait rendus à la santé et à la vie, parfois même l'incompréhension de ceux qu'il avait choisis pour être ses compagnons, ses familiers, ses amis, Une dernière souffrance lui était réservée, celle de sa Passion, souffrance de tout le corps et de toute l'âme, depuis l'agonie du Gethsémani jusqu'au crucifiement du Calvaire. Il lui fallait vider le calice jusqu'à la lie, parcourir tous les degrés de l'amertume, de l'humiliation, de l'abandon total ; descendre jusqu'au plus profond de la douleur humaine, plus bas peut-être, qu'aucun homme n'est jamais descendu dans les abîmes de la détresse et de l'angoisse. Et il est mort sur la Croix pour que, tous, nous ressuscitions à la vie.

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Coeur de Jésus qui avez partagé toutes nos misères et toutes nos détresses, ayez pitié de ceux qui se lamentent et pleurent !

Coeur de Jésus qui avez connu toutes les lassitudes et tous les abandons, ayez pitié de ceux qui n'ont plus confiance et se laissent aller au désespoir !

Coeur de Jésus, qui avez guéri les malades et ressuscité les morts, ayez pitié de ceux qui souffrent dans leur corps et aspirent à la délivrance !

Coeur de Jésus, abreuvé d'amertume par toutes nos lâchetés et toutes nos récidives ; ayez pitié de ceux qui ne répondent pas à l'appel de votre miséricorde et retournent à leur péché.

Coeur de Jésus agonisant à Gethsémani, ayez pitié de ceux qui vont mourir et que torturent les angoisses de la séparation !

Coeur de Jésus, ouvert sur la Croix par la lance du Centurion, ayez pitié de ceux dont le coeur est déchiré par l'ingratitude, le mensonge ou la calomnie !

Coeur de Jésus, généreux et libéral, qui vous êtes donné tout à tous dans un amour sans mesure et sans réserve, ayez pitié de tous les hommes et plus particulièrement de ceux qui, vous méconnaissant, détournent de vous leur visage, leur pensée oui leur coeur.

Gabriel HUAN.