Le Christ dans les Définitions
Dogmatiques
Nous avons, dans une précédente étude, recherché quelle fut la conception traditionnelle du Christ chez les Pères de l'Église. Nous voudrions aujourd'hui poursuivre la même enquête à travers les définitions des Conciles qui ont servi à fixer en Christologie le point de vue dogmatique. Ne soyons point surpris de retrouver ici les thèses mêmes que nous avons déjà rencontrées sous la plume des Pères de l'Église, puisque ce sont eux qui ont le plus contribué dans les Assemblées conciliaires à donner à la doctrine chrétienne sa formule dogmatique. Néanmoins, si la doctrine est encore la même, l'exposition en est cette fois, plus ferme et mieux arrêtée : c'est qu'il s'agissait d'exprimer la croyance officielle de l'Église en des termes qui, d'une part, ne laissent place à aucune équivoque, à aucune interprétation arbitraire, et, d'autre part, confèrent à la règle de foi sa teneur définitive. Cette règle n'est ainsi, au total, que la cristallisation en schèmes abstraits du contenu toujours vivant de la Tradition.
I
Du premier Concile de Nicée (en 335) au Concile du Vatican (1869 -1870) on compte vingt conciles oecuméniques, au cours desquels s'est affirmée et définie solennellement la foi de l'Église universelle sur la personne de son divin fondateur ; et si, du premier Concile au dernier, il est permis de constater un progrès dans l'explication du contenu dogmatique, il faut reconnaître que ce contenu est demeuré immuable dans sa substance et qu'aucune vérité nouvelle n'a été formulée qui n'ait été tirée du fonds commun de la Révélation, close à jamais par la mort du dernier apôtre. Le symbole rédigé par les Pères du premier Concile de Nicée (325), et que compléteront les Pères du Concile de Constantinople (381) pour mettre fin à l'arianisme qui s'obstinait à nier la divinité de Jésus, contient déjà en un puissant raccourci tout l'Enseignement de l'Église sur le Christ, « Fils de Dieu, seul engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, engendré et non point créé, consubstantiel au Père et par qui toutes choses ont été faites dans le Ciel et sur la terre ; qui, pour nous hommes et pour notre salut, est descendu, s'est incarné, s'est fait homme, a souffert, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux d'où il reviendra juger les vivants et les morts. » Mais cette magnifique synthèse doctrinale, que l'on peut bien appeler catholique, devait bientôt provoquer de graves divergences entre théologiens ; car elle impliquait en Jésus-Christ à la fois l'unité de la personne et la dualité des natures, l'une divine, l'autre humaine. Les uns, à la suite de Nestorius, contesteront l'unité de la personne et sépareront dans le Christ le Verbe de Dieu de l'homme Jésus -, les autres, par réaction, insisteront avant tout sur l'union des deux natures et finiront, avec le monophysisme, par absorber la nature humaine du Christ dans sa nature divine. Ce fut la tâche du Concile d'Éphèse (431) d'affirmer contre le nestorianisme l'unité de la personne du Sauveur, comme ce sera la tâche du Concile de Chalcédoine (451) de maintenir la dualité de ses natures, divine et humaine. Parce qu'elle fut ratifiée à l'unanimité par les évêques présents au Concile d'Éphèse, la lettre adressée par saint Cyrille d'Alexandrie à Nestorius au début de l'année 430 doit être considérée comme la définition dogmatique du Concile : « Nous ne disons pas que la nature du Verbe, par je ne sais quel changement, s'est transformée en chair, ni même: qu'elle s'est transformée en un homme complet, composé de corps et d'âme ; mais nous soutenons que le Verbe s'est uni hypostatiquement la chair animée par une âme raisonnable, est devenu homme d'une façon inexprimable et incompréhensible, s'est appelé dès lors le Fils de l'homme, non point seulement par bonne volonté, ni par bon plaisir, encore bien moins en en prenant seulement le personnage. Et, quoique les natures soient différentes, elles sont unies néanmoins dans une véritable unité, un seul Christ, un seul Fils résultant des deux ; non que la dualité des natures ait été supprimée à cause de l'union, mais parce que de la divinité et de l'humanité est formé par leur union mystérieuse et indicible un seul Seigneur, un seul Fils, Jésus-Christ. De la sorte, le même qui avant tous les temps existe et a été engendré par le Père, est dit naître de la femme selon la chair, non que sa nature divine ait pris dans la Sainte Vierge un commencement d'existence, ni qu'il ait eu besoin d'être engendré encore après sa première production par le Père. Mais parce que, à cause de nous et pour notre salut, il s'est uni hypostatiquement la nature humaine, qu'il est né de la femme, pour cette raison il est appelé son Fils selon la chair... Ainsi nous confesserons un seul Christ, un seul Seigneur. » (Ep. 4). Si la distinction des deux natures dans la personne du Verbe incarné ne doit pas compromettre l'unité de celle-ci, il s'agissait cependant de montrer comment l'accord est possible. C'est un partisan de saint Cyrille d'Alexandrie, le moine Eutychès, qui va soulever le problème et qui, désireux de sauvegarder d'une façon absolue la divinité de Jésus, affirmera sa consubstantialité au Père, mais niera sa consubstantialité à sa mère, comme si tout ce qui compose sa nature humaine, corps, âme et esprit, devait seulement appartenir à sa divinité. En absorbant ainsi la nature humaine du Christ dans sa nature divine, Eutychès aboutissait au monophysisme. Le pape saint Léon, dans une lettre à l'Évêque Flavien (Ep. 28), exposera le véritable sentiment de l'Église et maintiendra avec force la doctrine de l'unité de personne en deux natures. Le Concile de Chalcédoine (451) reprendra la formule du Pape saint Léon pour en faire l'expression authentique de la foi chrétienne et donnera la. définition dogmatique des deux natures. « Nous reconnaissons, disent les Pères du Concile, un seul et même Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité et le même parfait en humanité, vrai Dieu et vrai homme, composé d'une âme rationnelle et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité, mais consubstantiel à nous selon l'humanité, « en tout semblable à nous, hormis le péché ». ; né du Père avant tous les siècles selon la divinité, mais aussi de la Vierge Marie, mère de Dieu, selon l'humanité dans les derniers jours à cause de nous et pour notre salut ; un seul et même Christ et Seigneur en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division ni séparabilité, sans que jamais la différence des natures puisse être effacée à cause de leur union, chaque nature gardant ses propriétés ; et en une seule personne ou subsistance, non point partagé ou divisé en deux personnes, mais un seul et même Fils, monogène, Verbe de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ : ainsi qu'autrefois les prophètes ont parlé de lui, que lui-même Jésus-Christ nous l'a enseigné et que le symbole des Pères nous l'a transmis dans la Tradition. »
II
La profession de foi du Concile de Chalcédoine ne devait pas mettre fin aux grandes controverses christologiques qui avaient rempli les IV° et V° siècles. En face de l'hérésie sans cesse renaissante, le second Concile de Constantinople (553) rappelle en quatorze canons les thèses condamnées par l'Église : « Si quelqu'un n'admet pas qu'il. y a deux nativités du Verbe de Dieu, l'une du Père avant les siècles, intemporelle et incorporelle, et l'autre de ce même Verbe dans les derniers jours, lorsqu'il est descendu des cieux, s'est incarné dans le sein de la glorieuse mère de Dieu, Marie toujours vierge, et est né d'elle, qu'il soit anathème... Si quelqu'un dit qu'autre est le Verbe de Dieu qui a fait des miracles, autre que le Christ qui a souffert, ou que le Verbe de Dieu a été avec le Christ né de la femme ou en lui comme dans un autre, et non pas un seul et même Seigneur Jésus-Christ, Verbe de Dieu incarné et fait homme, et que c'est le même qui a fait des miracles et qui a souffert volontairement dans sa chair, qu'il soit anathème.,. Parce qu'il n'y a qu'un seul Christ, Dieu et homme, le même à la fois consubstantiel au Père et consubstantiel à nous selon l'humanité, l'Église de Dieu rejette et condamne également et ceux qui divisent par partie et ceux qui confondent le mystère de la divine dispensation du Christ... Si donc quelqu'un ne reconnaît pas en Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a été crucifié dans la chair, le vrai Dieu et Seigneur de gloire et l'un de la Sainte Trinité, qu'il soit anathème... » Le Concile de Chalcédoine avait défini contre les monophysites les deux natures du Christ ; le troisième Concile de Constantinople (680 - 681) va définir contre les monothélètes des deux volontés du Christ : « Nous enseignons qu'il y a dans le Christ deux volontés naturelles et deux opérations naturelles, inséparables, mais non confondues ; et deux volontés naturelles non contraires l'une à l'autre, car sa volonté humaine, loin d'y résister, suit toujours avec sa volonté divine toute puissante. De même, en effet, que sa chair est la chair même du Verbe de Dieu, la volonté de sa chair est la propre volonté du Verbe de Dieu ; mais aussi, de même que sa chair n'est pas supprimée par la déification qui la rend très sainte et immaculée, et garde son état propre, de même encore sa volonté humaine déifiée n'est pas abolie, mais bien plutôt sauvegardée. Et donc encore deux opérations naturelles, l'une divine et l'autre humaine... puisque nous reconnaissons en Notre Seigneur Jésus-Christ deux natures, rayonnant en une seule et même subsistance et conservant chacune dans cette seule et même subsistance leur spécificité naturelle ». Tout cet effort de la pensée chrétienne pour fixer dans l'admirable complexité de ses traits la vraie physionomie du Christ, à la fois Dieu et homme, va trouver son achèvement dogmatique dans la définition que donne de l'Incarnation le quatrième Concile de Latran (1215) : « Celui qui nous a montré manifestement le chemin de la vie est Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, incarné par toute la Trinité en commun et conçu de la Vierge Marie par la coopération du Saint-Esprit, vraiment fait homme, composé d'une âme rationnelle et d'une chair humaine, une personne en deux natures. Immortel et impassible selon la divinité, il a été fait selon l'humanité passible et mortel ; pour le salut du genre humain il a souffert et il est mort sur la croix, il est descendu aux enfers, est ressuscité des morts et est monté aux Cieux : mais il est descendu dans son âme et il est ressuscité dans la chair, et c'est avec les deux pareillement qu'il est monté au Ciel ; et il viendra à la fin des temps juger les vivants et les morts et rendre à chacun selon ses oeuvres. » La profession de foi de Michel Paléologue au deuxième Concile de Lyon (1274), la condamnation des erreurs de Pierre Jean Olive au Concile de Vienne (1312), puis celle de Wicleff et de Jean Huss au Concile de Constance (1414 - 1418), le décret pour les Jacobites à la suite des accords du Concile de Florence (1441) ne font que signifier et confirmer la foi de l'Église universelle dans le Christ, Verbe de Dieu, « éternellement né du Père, consubstantiel, tout-puissant et égal en tout au Père dans sa divinité ; né dans le temps de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie, avec une âme rationnelle ; ayant ainsi deux nativités, l'une du Père éternellement, l'autre de sa mère dans le temps : Dieu vrai et homme vrai, propre en chaque nature et parfait, non pas fils adoptif ou en apparence, mais le seul et unique Fils de Dieu, en deux et de deux natures, à savoir divine et humaine, dans la singularité d'une même personne, impassible et immortel selon la divinité, mais selon l'humanité pour nous et notre salut ayant souffert d'une vraie passion de la chair, mort et enseveli, descendu aux enfers, ressuscité le troisième jour d'une vraie résurrection de la chair, et, quarante jours après cette résurrection, monté au Ciel avec sa chair ressuscitée et son âme et assis à la droite du Père, d'où il viendra juger les vivants et les morts et rendre à chacun selon ses oeuvres. »
* * *
« Daignez, Seigneur, confirmer dans nos âmes les mystères de la vraie foi, afin
qu'ayant professé que le Fils de la Vierge est vraiment Dieu et homme, nous méritions de parvenir par la vertu salvatrice de sa résurrection à l'éternelle félicité. » (Missel romain).
GABRIEL HUAN.
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