Le Christ, notre Grand-Prêtre
 
 

« Nous avons un Grand-Prêtre qui
s'est assis à la droite du trône de la
Majesté dans les Cieux. »
(Hébr., VIN, 1).


 




     Qui donc pourra jamais tracer du Christ un portrait qui épuise tous les aspects, si complexes, de son visage ? Nous l'avons, dans de précédentes études, considéré tour à tour comme notre Frère, notre Maître, notre Chef, notre Juge ; nous voudrions aujourd'hui esquisser une nouvelle face de sa personnalité et le présenter comme notre Grand-Prêtre. C'est peut-être ici le trait dominant de sa physionomie sacrée, riche de toute la plénitude des dons surnaturels, le signe le plus révélateur de sa mission parmi les hommes, le caractère le plus profond de sa nature essentielle. N'est-ce pas de lui qu'il a été dit : « Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech » ? (Ps.109). Prêtre, il l'est dans son humanité de Verbe incarné ; il l'est aussi dans son humanité glorieuse, lorsque, après son Ascension, il fut remonté vers son Père pour s'asseoir à la droite de la Puissance dans les Cieux ; prêtre, Il l'est enfin sur nos autels, dans l'oblation sacramentelle de son corps et de son sang sous les espèces du pain et du vin. Et si, à notre tour, selon la parole de l'Apôtre Pierre, nous constituons un « sacerdoce royal » (la Petri,II, 9), n'est-ce point par participation à sa vocation et à sa consécration sacerdotales dans l'unité de son corps mystique qui est l'Église ? Et le don de la grâce sanctifiante qui nous est fait ici bas au cours de notre existence terrestre, et la consommation dans la gloire qui constituera notre béatitude dans la vie éternelle sont liés pareillement au degré de notre appartenance au sacerdoce du Christ ; car la configuration de notre âme à l'image du Christ-Prêtre lui confère sa plus haute dignité spirituelle et c'est elle qui nous donnera à la fin des temps le droit de « porter Son Nom sur notre front. » (Apoc. XXII, 4)

I

     « Tout grand-prêtre est pris d'entre les hommes. » (Hébr., V, 1). Le sacerdoce du Christ est donc une prérogative de son humanité et non de sa divinité : c'est en tant que Fils de l'Homme qu'il a reçu de Dieu le pouvoir de juger (Jean, V, 27) ; c'est aussi en tant que Fils de l'Homme qu'il a reçu de Dieu la consécration sacerdotale. Il y a néanmoins entre le sacerdoce du Christ et sa filiation divine un rapport fondamental qui le voue plus particulièrement à la mission de Grand-Prêtre de l'humanité.

     Le Christ en tant qu'homme n'a droit au titre de Fils de Dieu qu'en vertu de l'union hypostatique qui relie sa nature humaine à la nature divine dans la Personne du Verbe ; or cette union, en déterminant une appartenance totale et substantielle de la nature humaine du Christ à l'être personnel du Verbe, sanctifie, d'une façon qui est suréminente et unique en son genre, son humanité et de cette sanctification, qui est de l'ordre de l'être et pas seulement de l'agir, l'humanité du Christ reçoit une onction spéciale qui, dès le principe et absolument, la constitue au service de Dieu selon une appropriation directe et immédiate, en laquelle consiste précisément sa vocation sacerdotale. C'est par nature, dans la substance même de son être hurnano-divin, que le Christ est consacré au sacerdoce; c'est sa prédestination que d'être par excellence le Prêtre de Dieu, le Religieux de Dieu : « la gloire d'être Grand-Prêtre, le Christ l'a reçue de Celui qui lui a dit : Tu es mon Fils, je t'ai engendré aujourd'hui. » (Hébr.,V, 5).

     La filiation divine du Christ ne confère pas seulement à son humanité une aptitude privilégiée au sacerdoce ; elle revêt en outre ce sacerdoce d'un caractère, que ne possède aucun autre sacerdoce parmi les hommes. Parce que l'humanité du Christ est unie substantiellement à la divinité dans la Personne du Verbe, sa vocation sacerdotale est surnaturelle en soi et de condition divine ; et, parce que sa consécration au service de Dieu est celle d'un être qui est à la fois homme et Dieu, elle possède une dignité exceptionnelle et sans égale. Si le sacerdoce du Christ est bien une fonction de sa nature humaine, nous venons d'établir qu'elle n'en résulte pas comme un effet de sa cause, et demeure fondée sur sa filiation divine comme sur un principe indéfectible. N'est-ce pas déclarer que le Christ-Prêtre est, dans son humanité même, si près de Dieu, qu'il se trouve en quelque sorte placé aux confins de la divinité et par conséquent au plus haut degré de l'échelle des créatures, au sommet de tout l'ordre humain ?

     Cela signifie aussi qu'il est par excellence et de droit le médiateur entre l'homme et la divinité, dont il unit dans la Personne du Verbe les deux natures. En lui toute l'humanité est sanctifiée et consacrée à Dieu ; par lui toute l'humanité rend à Dieu le culte sacré qui lui est dû. Parce que le Christ est prêtre, il est en même temps médiateur, de sorte que la création tout entière est ordonnée à son sacerdoce, et ne peut offrir que par son entremise une oblation qui soit digne de la gloire divine. Et, parce que tout l'ordre humain se réfère ainsi à lui pour la célébration du culte divin, lui seul est notre Grand-Prêtre, l'unique qui a pouvoir et qualité pour parler à Dieu au nom de toutes les créatures, celui à qui Dieu a décrété de soumettre toutes choses, « afin que Dieu soit tout en tous. » (I Cor., XV, 28).

     L'office du Grand-Prêtre n'est pas seulement d'offrir des oblations, mais aussi des sacrifices. Le Sacerdoce du Christ a encore ceci de particulier qu'il est entré dans le saint des saints, non avec le sang des boucs et des taureaux, mais avec son propre sang » (Hébr., IX, 12). La filiation divine, qui sanctifie son humanité et consacre sa mission de Prêtre et de Médiateur, le constitue aussi dès le principe en état de victime : parce qu'il est le Prêtre le plus élevé en sainteté, il sera aussi la victime la plus pure qui puisse être offerte en propitiation pour le péché des hommes. Aussi a-t-il dit en entrant dans le monde : « vous n'avez voulu ni sacrifice ni offrande, mais vous m'avez formé un corps ; vous n'avez agréé ni holocaustes ni sacrifices pour le péché, alors j'ai dit : voici que je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté. » (Hébr., X, 5-7).

     Parce que le Christ, en vertu de l'union hypostatique, est saint et consacré dans son humanité, son sacrifice sera doublement agréable à Dieu : et par, la qualité de la victime qui aura été immolée. Et l'immolation du Christ-Hostie aura ainsi une vertu de réparation et de satisfaction, qu'aucun autre sacrifice n'a jamais connue : elle rétablira toute l'humanité dans l'amitié divine qu'elle avait perdue et fera descendre sur elle la miséricorde et le pardon du Créateur. Prêtre et Médiateur, le Christ est pareillement Hostie pour la rédemption de l'humanité coupable.


II

     Par l'exercice de sa fonction sacerdotale le Christ a rendu à Dieu, lors de sa vie terrestre, l'hommage de reconnaissance et d'adoration qui est dû au Créateur ; par l'offrande de son propre corps et de son propre sang en immolation, pour le salut de l'humanité prévaricatrice, il a payé la dette contractée par la créature et satisfait aux exigences de la justice divine. A la fois Prêtre et Hostie, il a été le Médiateur souverain qui intercède auprès du Père en faveur de ses enfants coupables, et de son sang répandu il a signé le testament de la nouvelle Alliance qui, ordonnant toute l'humanité au Christ rédempteur, la réintégrait dans les faveurs divines et la replaçait sur le plan de la vie surnaturelle.

     Ce pouvoir d'intercession, que le Christ tenait de sa consécration sacerdotale, a-t-il pris fin avec la consommation de son sacrifice sur l'autel du Calvaire ? Le Christ ne change pas : « il est le même, hier, aujourd'hui, éternellement. » (Hébr., XIII, 8), Il est donc « prêtre pour toujours selon l'ordre de Melchisédech » (Psaume 109) ; et si, son sacrifice, « il l'a fait une fois pour toutes en s'offrant lui-même » (Hébr.,VII, 27), néanmoins, parce qu'il est toujours vivant, il ne cesse pas d'intercéder pour nous auprès de Dieu, dans le Ciel où il est assis à la droite de la Puissance (Hébr.,VII, 25).

     C'est qu'en effet le Christ demeure au ciel, dans son humanité immortelle et glorieuse, ce qu'il était sur la terre, lorsqu'il passa parmi les hommes ; car l'union hypostatique qui liait sa nature humaine à la nature divine dans la Personne du Verbe incarné n'a pas été rompue au moment où le Rédempteur eut achevé ici-bas la mission pour laquelle le Père l'avait envoyé. Sans doute, le Christ ressuscité ne peut plus mourir ; mais c'est revêtu des marques de sa Passion qu'il est monté dans la gloire et c'est encore comme « ministre du sanctuaire et du vrai tabernacle » qu'il siège à la droite du trône de la Majesté divine (Hébr.,VIII, 6). Il est donc toujours notre Grand-Prêtre et notre Médiateur ; et sur « l'autel d'or » qu'aperçut le voyant de l'Apocalypse, il continue à célébrer pour le salut de l'humanité, en marche vers son destin, le sacrifice mystique qui n'aura point de fin, parce que celui qui est « l'Agneau immolé dès l'origine du monde » (Apoc, XIII, 8) est aussi le « flambeau » qui illuminera toutes les nations dans la nouvelle
Jérusalem (Apoc., XXI, 23).

     Si le Christ poursuit de la sorte dans la gloire divine la mission sacerdotale qu'il a inaugurée sur la terre lors de son incarnation, son humanité sainte ne sera-t-elle pas toujours la véritable et l'unique cause instrumentale de toutes les grâces de régénération et de salut, sans lesquelles l'humanité pécheresse ne peut atteindre ses fins surnaturelles ? L'essentielle relation de nos âmes au Christ en son humanité, qui établit notre participation à sa consécration sacerdotale et par laquelle s'exerce son pouvoir souverain de médiateur auprès du père, subsiste intégralement après comme avant sa glorification. Mais il est évident qu'elle va désormais revêtir des modalités différentes. Le Christ, avant son Ascension, avait annoncé à ses fidèles qu'il ne les laisserait pas orphelins ; et, comme il ne devait plus manifester sa présence au milieu d'eux selon la chair, il leur donna une nouvelle preuve de son amour en instituant au cours de son dernier repas le sacrement de l'Eucharistie. C'est donc, à l'avenir, par son humanité eucharistique que le Christ perpétuera sur la terre, jusqu'à la fin des siècles, sa présence sensible parmi les siens.

     Mais la sainte humanité du Christ n'est pas en soi différente, sous les espèces eucharistiques, de ce qu'elle est substantiellement dans la gloire : c'est le même Christ qui est à la fois présent au ciel à la droite du Père et sur nos autels dans l'hostie consacrée, le même Christ en son humanité immortelle et glorieuse. C'est aussi le même sacrifice d'hommage et de propitiation qu'il offre à son Père sur « l'autel d'or » de la Jérusalem céleste et à la messe où l'officiant refait les gestes et redit les paroles qu'il accomplit et prononça à la Cène, la veille de sa mort. Sans doute,le sacrifice de la messe est purement rituel et c'est sacramentellement que le Christ, qui ne peut plus mourir, s'offre chaque jour à son Père comme victime pour le salut du monde.
     Ce sacrifice n'en est pas moins, comme tout sacrifice, à la fois un acte d'adoration et un acte de réparation par lesquels le Christ, à jamais vivant dans la gloire de Dieu, poursuit sur la terre sa mission rédemptrice ; de sorte que toutes les fois que nous mangeons le pain et buvons le vin de la nouvelle Alliance, « nous annonçons la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne. » (I Cor., XI, 26).
 


III

     Certes, le Christ a payé pour tous sur le Calvaire et les mérites de son immolation sanglante y furent infinis ; mais la lâcheté ou la faiblesse de ceux qui croient en lui grèvent chaque jour la créature de nouvelles dettes envers le Créateur, et le Christ, qui nous a déjà sauvés une première fois, veut encore nous sauver chaque jour en payant chacune de ces ,dettes nouvelles que nous contractons. Et c'est pourquoi il s'offre chaque jour comme victime à son Père, en une immolation rituelle qui reproduit et commémore son sacrifice Sur la Croix, afin que les grâces de rédemption et de salut qui jaillirent alors de son coeur ouvert continuent à se répandre sur nos têtes et à sanctifier notre vie.

     Mais, pour bénéficier de ces grâces, ne faut-il pas que nous soyons déjà marqués du sceau du Christ par une onction spéciale qui nous fasse participer aux prérogatives de sa sainte humanité ? Une sorte de consécration à son sacerdoce nous est donc nécessaire, pour qu'à notre tour nous puissions prendre part à son sacrifice et recevoir les fruits de son immolation : tel est précisément l'objet des sacrements qu'il a institués pour l'édification de son corps mystique qui est l'Église, et notamment du baptême et de la confirmation.

     Par ces sacrements nous portons l'empreinte ineffaçable d'un signe distinctif qui est celui de notre appartenance au Christ, notre Grand-Prêtre et Médiateur suprême de telle sorte que tout l'ordre humain en nous se refère désormais à son humanité sainte et que par elle et avec elle il est sanctifié pour la louange de la gloire divine.Consacrés à Dieu par le caractère qu'impriment en nous les sacrements, nous pouvons poser des actes cultuels, à la fois saints et sanctifiants, qui nous configurent au sacerdoce du Christ et font ainsi de chacun de nous, à certains égards, un prêtre à l'image du Christ (la Petri, II, 9).

     Cette consécration au sacerdoce du Christ, qui nous vaut d'être unis à lui ici-bas dans la grâce sanctifiante, nous vaudra aussi d'être unis à lui dans la gloire, lorsque nous serons consommés dans la v béatitude de la vie éternelle. Et le degré de cette béatitude sera mesuré pour chacun de nous au degré de son appartenance au sacerdoce du Christ, dont le sceau est à jamais imprimé sur notre front. Victimes avec lui sur l'autel du sacrifice, nous aurons eu part à son immolation et de ses mérites infinis nous recevrons une plénitude de vie bienheureuse qui n'aura pas de fin.

GABRIEL HUAN.