LE CHRIST, NOTRE JUGE. «. Le Père même ne juge personne Jésus-Christ est « la voie, la vérité, la vie ». Parce qu'il est la voie, notre devoir est d'obéir à son commandement et de marcher à sa suite : il est notre Chef. Parce qu'il est la vérité, notre devoir est d'écouter son enseignement et d'y donner notre foi : il est notre seul Docteur, notre Maître. Parce qu'il est la vie, notre devoir est de conformer nos pensées et nos actes à son image, afin qu'à notre tour nous possédions la vie : et pour cela nous devons reconnaître en lui notre Frère premier-né. Et parce qu'il est à la fois notre Chef, notre Maître et notre Frère, c'est à lui, enfin, qu'il appartient d'être notre juge : « Le Père, dit Saint Jean, a donné au Fils le jugement tout entier, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père... Et il lui a aussi donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'homme, » (Jean VI 22, 27). I Sans doute, « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jean,III, 17). A ses disciples qui, pour punir les Samaritains qui n'ont voulu le recevoir dans leur ville, lui demandent s'ils peuvent commander que le feu du Ciel descende sur eux et les consume, il répond : « vous ne savez pas de quel esprit vous êtes. Le Fils de l'Homme est venu, non pour perdre les âmes, Mais pour les sauver. » (Luc, IX, 55). Il est le bon Pasteur qui laisse dans la montagne les quatre-vingt-dix-neuf brebis de sa bergerie pour aller à la recherche de celle qui s'est égarée et qui, lorsqu'il l'a retrouvée, a plus de joie pour elle que pour les quatre-vingt dix-neuf autres qui ne se sont pas égarées. (Matth.,XVIII, 12-14). Il est le père de famille qui fait tuer le veau gras et donner un grand festin pour fêter le retour de l'enfant prodigue, parce que celui-ci était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé. (Luc, XV, II et suiv.). Il est le médecin des âmes qui est venu appeler, non pas les justes, mais les pécheurs à la pénitence, parce que « ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades » (Luc, V, 32). Et, parce qu'il est venu pour sauver ce qui était perdu, il se fera le serviteur de tous, jusqu'à « donner sa vie pour la rançon du plus grand nombre. » (Marc,X, 45). Mais, si le Père a envoyé son Fils dans le monde, afin que le monde soit sauvé par lui, c'est donc « la volonté du Père que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle » (Jean, VI, 40) ; mais aussi celui qui ne croira pas en lui sera condamné et périra. « Je Suis venu dans le monde comme une lumière, dit Jésus, afin qu'aucun de ceux qui croient en moi ne demeure dans les ténèbres. Si quelqu'un entend ma parole et ne la garde pas, moi, je ne le juge pas, car je suis venu, non pour juger le monde, mais pour le sauver. Celui qui me méprise et ne reçoit pas ma parole, il a son juge : c'est la parole même que j'ai annoncée ; elle le jugera au dernier jour. » (Jean, XII, 46-48). Voici donc la cause de la condamnation : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. » (Jean,III, 19). La seule présence du Verbe incarné parmi les hommes suffit ainsi à les discriminer et comporte déjà un véritable jugement : celui qui croit dans le Christ n'est pas condamné,mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, par cela même qu'il n'a pas cru « au nom du Fils unique de Dieu ». Jésus peut dire en toute vérité que, s'il n'est pas venu pour juger le monde, néanmoins « c'est maintenant que le jugement du monde a lieu. » (Jean, XII, 31), car sa venue dans le monde est déjà par elle-même un jugement : « je suis venu dans le monde pour un jugement, afin que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Ayant entendu ces paroles, quelques Pharisiens qui étaient là lui dirent : « Sommes-nous donc aussi des aveugles ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais maintenant vous dites : nous voyons ; donc votre péché demeure. » (Jean, IX, 39-41). Ils ont vu et ils ont entendu ; Mais ils n'ont pas cru : « si je n'étais pas venu, dit Jésus, et que je ne leur eusse point parlé, ils seraient sans péché ; mais maintenant leur péché est sans excuse. » (Jean, XV, 22). Mais celui qui aura vu et entendu et qui aura cru, celui-là sera sauvé , car « celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle ; il n'encourt point la condamnation et il est passé de la mort à la vie. > (Jean, V, 44). II Est-ce à dire qu'à cette présence du Christ parmi les hommes lors de son Incarnation doive se borner sa mission de juge ? Non, car elle n'a réalisé que le premier avènement du Fils de l'Homme dans le monde. Or, un second avènement de ce même Fils de l'Homme est annoncé pour la fin des temps et ce second avènement doit comporter le jugement définitif de toute l'humanité. jusque-là, c'est la mesure de leur foi dans le Christ qui établit la discrimination des hommes en justes et pêcheurs, en bons et méchants ; mais, quel que soit le lot auquel ils appartiennent, les uns et les autres demeurent côte à côte ici-bas et cela non seulement dans le monde, mais au sein même de l'Église du Christ. Une séparation devra donc être opérée au terme du devenir cosmique, afin que chacun reçoive pour l'éternité la rétribution qu'il mérite, selon le sort auquel il aura lié sa conduite et sa destinée ; et c'est alors qu'il y aura « des pleurs et des grincements de dents », car le juge suprême « tiendra le van dans sa main, il nettoiera son aire, il amassera son froment dans le grenier et il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint pas. » (Matth.,III, 12 ; Luc,III, 17). L'heure, en effet, sera venue de la grande moisson où les anges moissonneurs, après avoir cueilli l'ivraie dans les champs où le Fils de l'Homme n'avait semé que le bon grain, la lieront en gerbes pour la brûler et mettront de côté le froment pour l'amasser dans les greniers : « comme on cueille l'ivraie et qu'on la brûle dans le feu, ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l'Homme enverra ses Anges et ils enlèveront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité, et ils les jetteront dans la fournaise ardente : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. »(Matth. XIII, 39 et suiv.). « Le royaume des cieux est encore semblable à un filet qu'on a jeté dans la mer et qui ramasse des poissons de toutes sortes. Lorsqu'il est plein, les pêcheurs le retirent et, s'asseyant sur le rivage, ils choisissent les bons pour les mettre dans des vases et ils jettent les mauvais. Il en sera de même à la fin du monde : les Anges viendront et sépareront les méchants d'avec les justes et ils les jetteront dans la fournaise ardente : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents, » (Matth., XIII, 47 et suiv.). C'est en vain que plusieurs s'écrieront alors « Seigneur ! Seigneur ! n'est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé ? n'est-ce pas en votre nom que nous avons chassé les démons ? et n'avons-nous pas en votre nom fait beaucoup de miracles ? » Car le juge leur répondra avec hauteur : « je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de moi, ouvriers d'iniquité. » (Matth., VII, 21, 23). Il faudra payer « jusqu'à la dernière obole. » (Luc., XII, 59) et « tout homme sera salé par le feu. » (Marc, IX, 48). Ce n'est pas seulement « selon ses oeuvres » que chacun sera jugé : il devra rendre compte aussi de toute parole vaine qu'il aura dite, car « tu seras justifié par tes paroles et tu seras condamné par tes paroles. » (Matth., XII, 36-37). Mais n'est-ce pas avant tout l'attitude envers le Christ qui déterminera la sentence définitive ? « je vous le dis, quiconque m'aura confessé devant les hommes, le Fils de l'Homme aussi le confessera aussi devant les Anges de Dieu ; mais celui qui m'aura renié devant les hommes sera renié devant les Anges de Dieu (Luc., XII, 8-9 , Matth., X, 32-33). Renier le Christ ? Mais déjà il suffit d'avoir rougi de lui devant les hommes pour être condamné : « Si quelqu'un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l'Homme rougira de lui, lorsqu'il viendra dans sa gloire et dans celle du Père et des saints Anges. »(Luc., IX, 26 ; Marc, VIII, 38). III Aussi avec quel soin devons-nous préparer notre « robe nuptiale » (Matth., XXII, 11-12), afin d'en être revêtus, lorsque nous serons invités à prendre part au banquet des noces divines ! Car nous ne savons pas le jour ni l'heure : « ni les Anges, ni le Fils même ne les connaissent, mais le Père seul qui est dans les cieux. » (Matth. XXIV, 36 ; Marc, XIII, 32). « Veillez donc, puisque vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir. » (Matth., XXIV, 42 ; Marc, XIII, 33 ; Luc, XII, 40). Rappelez-vous les jours de Noé et de Lot : « les hommes mangeaient et buvaient, ils se mariaient et mariaient leurs filles, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche et le déluge vint qui les fit périr tous. Et comme aux jours de Lot : les hommes mangeaient et buvaient, ils achetaient et vendaient, ils plantaient et bâtissaient ; mais le jour où Lot sortit de Sodome, une pluie de feu et de soufre tomba du Ciel qui les fit périr tous. Ainsi en sera-t-il le jour où le Fils de l'Homme paraîtra. » (Luc, XVII, 27 et suiv.). Veillez donc et soyez prêts, « semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin que, dès qu'il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. Heureux les serviteurs que le maître à son retour trouvera veillant ! je vous le dis, il se ceindra, il les fera mettre à table et s'approchera pour les servir. » (Luc, XII, 36-38). Veillez donc et priez sans cesse, « afin que vous soyez trouvés dignes d'échapper à tous les maux qui doivent arriver et de paraître debout devant le Fils de l'Homme. » (Luc, XXI, 34). Le mauvais serviteur est celui qui se dit à lui-même : « mon maître tarde à venir », et il se met à battre ses compagnons, à manger et à boire avec des gens adonnés au vin : « le maître de ce serviteur viendra le jour où il ne l'attend pas et à l'heure qu'il ne sait pas, et il le fera couper en morceaux et lui assignera son lot avec les hypocrites : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de. dents. »(Matth., XXIV, 45 et suiv. ; Luc, XII, 42 et suiv.). Est-ce que le père de famille ne doit pas veiller pour empêcher le voleur de forcer sa maison ? En vérité « le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit » (I Thess ; V, 2) et « craignez qu'il ne vous trouve endormis. » (Marc, XIII, 36). Sans doute, des signes visibles annonceront à ceux qui sauront les lire et les comprendre la venue prochaine du Fils de l'Homme dans sa gloire : non seulement les puissances des cieux seront ébranlées et la terre tout entière plongée dans l'obscurité et les mers secouées par d'effroyables convulsions; ces événements (1), qui témoigneront que le Seigneur est déjà « à la porte », seront précédés d'autres événements beaucoup plus graves, parce qu'ils sont d'ordre spirituel et qu'ils rendront inévitable la catastrophe suprême : ce sont, d'une part, la diminution de la foi dans les esprits (Luc, XVIII, 8) et, d'autre part, le refroidissement de la charité dans les coeurs (Matth., XXIV, 12). Lorsque les vrais croyants ne formeront plus dans le monde qu'un petit troupeau dispersé et persécuté, lorsque l'amour de soi aura à ce point envahi toutes les âmes que l'homme sera devenu un loup pour l'homme, c'est alors qu'en vérité « la cognée sera à la racine des arbres » (Matth.,III, 10) : « écoutez une comparaison prise du figuier. Dès que ses rameaux deviennent tendres et qu'il pousse des feuilles, vous savez que l'été est proche. Ainsi, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l'Homme est proche » (Matth., XXIV, 32-33 ; Marc, XII], 28-29 ; Luc, XXI, 28-31). Craignez donc et soyez prêts : « ayez aux reins la ceinture et dans vos mains la lampe allumée. » (Luc, XII, 35). La parabole des dix vierges a défini avec précision les conditions essentielles de cette préparation : Il faut qu'elle soit suffisante, actuelle, et personnelle (Matth., XXV, 1-13). Les vierges sages prirent de l'huile dans leurs vases avec leurs lampes ; et elles en prirent assez pour que leurs lampes fussent alimentées jusqu'à l'arrivée de l'Époux qui tardait à venir ; mais elles ne purent disposer de leur provision d'huile en faveur des vierges folles, qui, privées de l'assistance de leurs soeurs, trouvèrent close la porte de la salle des noces, lorsqu'elles revinrent après le passage de l'Époux. Il faut avec sa lampe, avoir sa provision d'huile, c'est-à-dire non seulement la foi, mais encore la charité qui enracine la foi dans le coeur du fidèle et aussi la grâce qui éclaire l'esprit dans la lumière des dons du Saint-Esprit. De plus, puisque « l'arbre reste où il tombe », c'est l'état de l'âme au moment de la mort qui décide de son sort éternel ; et, s'il est vrai que seules les dispositions finales comptent aux yeux du juge pour la rétribution définitive, celui-là seul qui sera dans les dispositions voulues par le Maître entendra la merveilleuse parole : « Venez, les bénis de mon Père et prenez possession du Royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. » (Matth., XXV, 34). Il faut donc être prêt à tout instant, puisque chaque instant qui vient peut être le dernier. Enfin chacun n'est responsable que de ses propres oeuvres et toute âme fait, au jour du jugement, l'objet d'un examen particulier : ce ne sont pas les mérites du prochain qui peuvent la sauver, si elle s'est obstinée dans la négation et dans le mal au cours de sa vie terrestre. IV Ne semble-t-il pas qu'il y ait ici, pour chacun de nous, comme un avertissement personnel ? Ce n'est pas seulement à ses Apôtres que le Christ recommande de veiller et de se tenir prêts : « ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. ».(Marc, XIII, 37). Lorsque, en effet, la mort viendra frapper à la porte de notre âme, ne sera-ce pas pour nous la fin du monde ? et tout ce que nous avons lu dans les Évangiles sur la préparation nécessaire au jugement dernier ne revêtira-t-il pas pour nous un aspect saisissant et tragique, lorsque sera venu le moment de notre passage ? Nous ne savons pas à quelle heure le Seigneur se présentera pour nous redemander notre âme : craignons que ce ne soit la nuit et qu'il nous trouve endormis. Il a le choix de l'heure et c'est pourquoi il importe que nous soyons toujours prêts à le recevoir, comme « ce serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur les gens de sa maison pour leur distribuer la nourriture en son temps. » (Matth., XXIV, 45). Prenons garde surtout qu'à aucun moment « nos coeurs ne soient appesantis par l'excès du manger et du boire et par les soucis de la vie » (Luc, XXI, 34), afin que nous puissions nous tenir debout devant le Fils de l'Homme, lorsque nous serons convoqués devant son tribunal pour y rendre compte de toutes nos pensées, de toutes nos paroles, de tous nos actes. Et, lorsque nous serons parvenus au soir de notre vie, puissions-nous répéter avec Saint Paul : « j'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi ; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée ; le Seigneur, le juste juge, me la donnera en ce jour-là, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui auront aimé son avènement. » (II. Tim, IV, 7-8). Gabriel HUAN. _______________________________________________________________________________________ (1) Nous ne faisons état, dans cette étude, que de l'eschatologie des Synoptiques. |