LA GRÂCE ET LES OEUVRES.

« C'est de sa plénitude que nous avons 
tous reçu grâce sur grâce. »
(Jean, I, 16).


     « La loi a été donnée par Moïse, dit saint Jean, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (1, 17). «Vous n'êtes plus sous la loi, dit saint Paul, mais sous la grâce » (Rom., VI, 14) : dans cette antithèse est contenue toute la doctrine du Salut, telle que l'ont exposée en parfaite communion de pensée les deux premiers théologiens du christianisme, saint Jean et saint Paul. Le Christ est mort sur la Croix ; c'est donc que la loi n'avait pas affranchi de la servitude du péché l'homme déchu, sinon le sacrifice du Christ eût été vain. Au régime de la loi, Dieu a substitué le régime de la grâce, parce que la loi n'a pas procuré aux pécheurs la justification qui pouvait les sauver de la colère divine et leur obtenir la réconciliation. « Le salaire du péché, c'est la mort ; mais la grâce de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ » (Rom., 51, 23). L'Évangile est ainsi « la révélation de la justice de Dieu qui s'obtient par la foi et qui conduit à la foi » (Rom., I, 17).

I

     La doctrine du salut par la foi est commune à saint Jean et à saint Paul « quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu, écrit saint Jean aux fidèles d'Éphèse, tout ce qui est né de Dieu est victorieux du monde et la victoire par laquelle le monde a été vaincu, c'est notre foi. Quel est celui qui est victorieux du monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?... Le témoignage de Dieu, c'est celui qu'il a rendu à son Fils. Celui qui croit au Fils de Dieu a ce témoignage en lui-même. Et voici ce témoignage : c'est que Dieu a donné la vie éternelle et que cette vie est dans son fils. Celui qui a le Fils a la vie ; celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie. je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle » (I, Jean, V, 1-13). C'est dans les mêmes termes que l'Apôtre avait achevé son Évangile : « ces choses ont été écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et qu'en croyant vous ayez la vie par son nom » (Jean, XX, 31). « C'est indépendamment de la loi, dit pareillement saint Paul, que la justice de Dieu a été manifestée ; la justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. Car nous estimons que l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi » (Rom., III, 21-31). Et ailleurs encore : « ayant connu que ce n'est point par les oeuvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ que l'homme est justifié, nous avons nous-mêmes cru en Jésus-Christ afin d'être justifié par la foi, la foi en Christ, et non par les oeuvres de la loi, car personne ne sera justifié par les oeuvres de la loi...Si la justice s'obtenait par la loi, le Christ serait mort en vain... Que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident, puisque le juste vivra par la foi ».Or, la loi n'est pas du même ordre que la foi : « Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi pour nous permettre de recevoir, par la foi, l'Esprit qui avait été promis. » (Gal.,II, 16-21 ;III, 11-14).

     Cette, doctrine du Salut par la foi est elle-même fondée sur l'enseignement du Divin Maître. A combien de reprises n'a-t-il pas déclaré que celui qui croit en lui a la vie éternelle ! « Dieu a tellement aimé le monde, lit-on dans l'entretien avec Nicodème, qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. En effet Dieu n'a point envoyé son Fils dans le monde pour Juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en Lui n'est point jugé, Celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du fils unique de Dieu » (Jean, III ; 16-18). « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle celui qui refuse de croire au Fils ne verra point la vie, mais le «courroux de Dieu demeure sur lui » (Jean, III, 36). « Voici la volonté de mon Père : c'est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi je le ressusciterai au dernier jour » (Jean, VI, 40). « En vérité, en vérité, je vous le dis ; celui qui croit a la vie éternelle » (Jean, VI, 47)
     Cette foi au Christ, qui confère la vie éternelle, n'est pas simplement une adhésion de l'esprit à des vérités d'ordre spéculatif ; c'est proprement une habitation de Dieu en nous, qui fait que, s'il demeure en nous, nous aussi, nous demeurons en lui. « Celui, écrit saint Jean, qui confesse que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en Lui et lui en Dieu » (I, Jean, IV, 15). Et celui qui demeure ainsi en Dieu lui est uni comme au cep le sarment : « je suis le vrai cep, dit Jésus,... demeurez en. moi et moi je demeurerai en vous. Comme le sarment ne saurait de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure attaché au cep, de même vous n'en pourrez porter, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits ; car, sans moi, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment. Il sèche et on le ramasse ; on le jette au feu et il brûle (Jean, XV, 1-7). Saint Paul a bien exprimé ,cette nécessité, pour le salut, de notre incorporation au Christ quand il écrit que nous devons devenir « une même plante avec lui », Si nous voulons vivre d'une vie nouvelle en Celui qui est « mort pour le péché une fois pour toutes » et qui maintenant est « vivant pour Dieu » (Rom., VI, 5-11). Et cette vie nouvelle, est-ce autre chose précisément que la vie du Christ en nous ? « Si je vis, écrit encore saint Paul, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ; et, si je vis encore dans la chair, je vis dans la foi au fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi » (Galat., V, 20-21).

II

     Et si tout fruit que porte notre âme est ainsi l'oeuvre en nous de la grâce du Christ, saint Paul n'a-t-il pas raison de s'écrier : « De qui vient la différence entre toi et un autre ? Qu'as-tu que tu ne l'aies reçu ? Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu ? » (I, Cor., IV, 7). « En effet, dit ailleurs l'Apôtre, c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu ! Ce n'est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie » (Ephés., II, 8). Ce serait « se séparer du Christ que de vouloir être justifié par la loi » ; ce serait « déchoir de la grâce ». « Pour nous, c'est de la foi que nous attendons par l'Esprit l'espérance de la justice. Car, en Jésus-Christ, ce qui a de la valeur, ce n'est ni la circoncision ni l`incirconcision mais la foi qui est agissante par la charité » (Gal., V, 4-6). « Tous ont péché, écrit. encore l'Apôtre, et sont privés de la gloire de Dieu et ils sont justifiés gratuitement par sa grâce au moyen de la rédemption accomplie en Jésus-Christ, que Dieu a établi comme victime expiatoire, par la foi en son sang » (Rom., III, 24).

     Telle est l'efficacité de la grâce que c'est dans la faiblesse de l'homme que se manifeste la force de Dieu... « Il m'a été imposé une écharde dans la chair, dit saint Paul, un ange de Satan pour me souffleter et m'empêcher de m'enorgueillir. Trois fois, j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi. Mais il m'a dit : ma grâce te suffit, car ma force s'accomplit dans la faiblesse ». « Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, ajoute l'Apôtre, afin que la force du Christ habite en moi » (II, Cor., XII, 8-9). « C'est par la grâce de Dieu, dit-il encore, que je suis ce que je suis ; et la grâce qui m'a faite n'a pas été stérile » (I, Cor., XV, 10). N'est-il pas remarquable que Jésus ait choisi ses apôtres parmi d'humbles pécheurs de Galilée ? que ce n'est pas à un docteur en Israël comme Nicodème, mais à un péager comme Matthieu qu'il ait dit : « Suis-moi » ? Et les Premiers chrétiens n'ont-ils pas été, pour la plupart, de pauvres gens ? « Considérez, frères, dit saint Paul, que parmi vous qui avez été appelés, il n'y a pas beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. , Mais Dieu a choisi les choses folles du .monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les forts ; Dieu a choisi les choses viles du monde et les plus méprisées, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont, afin que personne ne se glorifie devant Dieu. Mais c'est grâce à lui que vous appartenez à Jésus-Christ » (I, Cor., 1, 26-31)

     Mais, s'il est vrai que c'est Dieu « qui donne la force » (I, Tim., 1, 9), de sorte que « nous pouvons tout en Celui qui nous fortifie » (Phil., IV, 13), Dieu fait aussi connaître « sa puissance par la profondeur de sa miséricorde. Car « celui qui fait une oeuvre reçoit son salaire, non pas comme une grâce, mais comme une chose due » (Rom., IV, 4) ; tandis que celui qui est justifié, non par les oeuvres, mais par la foi, ne peut se prévaloir d'aucun mérite. Le don qu'il reçoit est purement gratuit : « autrement, la grâce ne serait plus une grâce » (Rom., XI, 6). Dès lors « qui oserait contester avec Dieu ? Le vase d'argile dira-t-il à celui qui l'a façonné : pourquoi m'as-tu fait ainsi ? Le potier n'est-il, pas le maître de l'argile pour faire avec la même masse tel vase pour, un usage honorable, tel autre pour un usage vulgaire ? » (Rom., 19-22). Il n'y aurait donc aucune injustice en Dieu à faire miséricorde à qui il veut et à endurcir qui il veut. « Mais, à cause du grand amour dont il nous a aimés, lorsque nous étions morts par nos fautes, Dieu, qui est riche en miséricorde, nous a vivifiés avec le Christ » (Ephés., II, 4-6), de sorte qu'« il n'y a plus maintenant ;de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » (Rom., VIII, 1). Nous étions « des vases de colère destinés à la perdition » ; Dieu a fait de nous, dans son amour « des vases de miséricorde, destinés à la gloire » (Rom., IX, 22-23). « Immense richesse de la grâce. », s'écrie saint Paul, qui n'a point imputé aux hommes leurs offenses, mais s'est réconcilié toutes choses par le Christ, « car Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec lui-même. » (II, Cor., V, 19).

III

     Cette réconciliation du monde avec Dieu, c'est par le sacrifice de son sang que le Christ l'a accomplie. « Dieu, dit saint Paul, a fait éclater son amour envers nous en ce que, quand nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous » (Rom., V, 8). Par la faute d'un seul homme, « le péché est entré dans le monde et par le péché, la mort, de sorte que la mort s'est étendue sur tous les hommes... même sur ceux qui n'ont pas péché par une transgression semblable à celle d'Adam... Mais, là où le péché a abondé, la grâce a surabondé, afin que, comme le péché a régné en donnant la mort, ainsi la grâce régnât par la justice, pour donner la vie éternelle par Jésus-Christ » (Rom., V, 12-21). La faute d'un seul avait entraîné la condamnation de tous , par la grâce d'un. seul, la justification qui donne la vie s'est étendue à tous : « par la désobéissance d'un seul, tous avaient été rendus pécheurs par l'obéissance d'un seul, tous ont été rendus justes » (Rom., V, 19).

     Mais, si le sang du Christ nous a réconciliés avec Dieu, combien plus, ayant été justifiés par sa mort, « serons-nous sauvés par sa vie » ! « Si du fait d'un seul, la mort a régné, combien plus ceux qui reçoivent dans toute leur abondance la grâce et le don de la justice, régneront-ils dans la vie par un seul, Jésus-Christ » ! (Rom., V, 10-17). Car, si le Christ est mort, « il est mort pour le péché, une fois pour toutes ; et maintenant qu'il est vivant, il est vivant pour Dieu » (Rom., VI, 10). Il faut donc, si nous voulons vivre avec lui pour Dieu d'une vie nouvelle, que nous mourrions » d'une mort semblable à la sienne » ; il faut « que notre vieil homme soit crucifié avec lui, afin que le corps de péché soit détruit et que nous ne soyons plus asservis au péché » (Rom., VI, 6). Et, si nous mourons avec lui, nous ressusciterons aussi avec lui « par une résurrection semblable à la sienne », qui nous donnera « pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle, car le salaire du péché, c'est la mort ; mais la grâce de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ » (Rom., VI, 23). Celui qui est ainsi ressuscité avec le Christ est « une nouvelle créature » ; il est passé de la mort à la vie et « toutes choses sont devenues pour lui nouvelles » (II, Cor., V, 17). Parce ,qu'il est « né de nouveau », il verra le royaume de Dieu (Jean, 3).

     Comment pourrions nous rester indifférents en face de cet amour dont Dieu nous a gratifiés, au point « de traiter pour nous, comme le péché même, celui qui n'a point connu le péché, afin que nous devenions en lui justice de Dieu » ! (II, Cor., V, 21). « L'amour du Christ nous possède », s'écrie saint. Paul, et il ajoute : « nous vous en supplions au nom du Christ, soyez réconciliés avec Dieu » (II, Cor., V, 14-20). Prenons donc garde de ne point recevoir en vain la grâce de Dieu, encore moins de l'anéantir en nous ; sans elle, il nous est impossible, d'accomplir notre destinée surnaturelle. Elle est le secours indispensable à notre salut ; hors d'elle il n'est point de voie qui mène à la vie éternelle.

IV

     Si nous voulions résumer en quelques mots cette doctrine du Salut par la foi, nous ne pourrions mieux faire que de citer cette phrase de l'Épître aux Ephésiens : « C'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie ». Mais pourquoi l'Apôtre ajoute-t-il : « car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour,les bonnes oeuvres que Dieu a préparées d'avance, afin que nous les pratiquions » ? (Ephés., 11, 8-10). La foi a-t-elle donc un complément naturel et nécessaire ; la pratique des bonnes oeuvres ? C'est saint Paul lui-même qui déclare que « ce qui a de la valeur en Jésus-Christ... c'est la foi qui est agissante par la charité » (Galat., V, 6). Et que penser de cette autre déclaration du même Apôtre : « quand j'aurais toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien » ? (I,Cor., XIII, 29). Saint Jean, qui enseigne comme saint Paul la doctrine du salut par la foi, ne tient pas un autre langage. Il écrit aux fidèles d'Éphèse : « quiconque ne pratique pas la justice n'est pas de Dieu, il ne l'est pas non plus, celui qui n'aime pas son frère... Dieu est charité et celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui... Et voici en quoi consiste l'amour de Dieu, c'est que nous gardions ses commandements » (I, Jean, III, 10 ; IV, 16 ; V, 3). Le divin Maître n'avait-il pas déjà dit : « Si vous gardez rites commandements, vous, demeurerez dans mon amour,comme moi-même j'ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour» ? (Jean, XV, 10).

     On connaît la parabole de « l'homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc » : « la pluie est tombée, les torrents sont venus et les vents ont soufflé et se sont déchaînés sur cette maison-là, elle n'est pas tombée, car elle était fondée sur le roc. " . Mais l'homme insensé a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison-là, elle est tombée et sa ruine a été grande ».Semblable à l'homme prudent est « tout homme qui entend les paroles que je dis et les met en pratique » ; mais semblable à l'homme insensé est « tout homme qui entend les paroles que je dis et ne les met pas en pratique » (Matth., VII, 24-27). Il y a, en effet, plusieurs manières de recevoir la parole, telle la semence du senteur, selon qu'elle tombe sur la route ou dans un endroit pierreux, où elle ne peut prendre racine, ou parmi les épines. Ainsi l'un « entend la parole du royaume et ne la comprend pas » l'autre « entend la parole et la reçoit avec joie, mais iI n'y a point en lui de racine, de sorte qu'il trouve une occasion de chute dès que survient l'affliction ou la persécution à cause de la parole »; celui-là « entend la parole, mais les soucis de ce monde et la séduction des richesses étouffent en lui cette parole, de sorte qu'elle ne produit pas de fruit ». Heureux « celui qui a reçu la semence dans la bonne terre.; il a entendu la parole, il a compris et elle porte en lui beaucoup de fruit » (Matth XIII, 18-23). « Ce ne sont pas, dit Jésus, ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! qui entreront dans le royaume des Cieux, mais ceux-là seulement qui font la volonté de mon Père qui est ,dans les cieux » (Matth., VII, 21).

     N'est-ce point, en définitive, sur nos oeuvres et, en particulier, sur nos oeuvres de miséricorde que nous serons jugés, quand, à la fin des temps, nous comparaîtrons devant le Fils de l'homme ? « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez recueilli ; j'étais nu et vous m'avez vêtu ; j'étais malade et vous m'avez visité, j'étais en prison et vous êtes venus auprès de moi ». Et ceux. qui auraient accompli l'une de ces oeuvres pour Jésus, C'est-à-dire pour le plus petit de leurs frères, entendront la parole qui donne la béatitude : « Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde » (Matth., XV, 31-4l). Le Maître n'a-t-il pas prescrit que nous devions faire valoir jusqu'à son retour les « talents » qu'il nous a confiés, à chacun, selon notre capacité? Et ceux-là sont traités en « bons et fidèles serviteurs », qui ont fait porter du fruit au don de Dieu ; « quant au serviteur inutile, il sera jeté dans les ténèbres extérieures ; là où il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Matth., XV, 14-30). Écoutez avec le voyant de Patmos cette « voix qui vient du ciel : heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ! Oui, dit l'Esprit, qu'ils se reposent de leurs travaux, car leurs oeuvres les suivent » (Apoc., XIV, 13).

V

     Si telle est la part des oeuvres dans l'économie du salut, comment saint Paul peut-il écrire que « c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi, ce n'est pas par les oeuvres » ? (Ephès., II, 8). Remarquons tout d'abord que, lorsque saint Paul oppose la foi et les oeuvres, il s'agit exclusivement des oeuvres de la loi : « nous estimons, dit-il que l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi » (Rom., 111, 29). Et les raisons qu'il en donne sont tirées du caractère même de la loi. Ceux, en effet, « qui s'attachent aux oeuvres de la loi sont sous la malédiction de la loi, puisqu'il est écrit : maudit est quiconque n'observe pas avec persévérance tout ce qui est écrit dans la loi » (Galat., III, 10). Aucun homme, dit-il encore, ne sera justifié devant Dieu par les oeuvres de la loi, parce que c'est la loi qui donne la connaissance du péché » (Rom., III, 20). D'ailleurs, Dieu n'est pas Seulement le Dieu des juifs, mais aussi le Dieu des Païens « il n'y a donc qu'un seul Dieu qui justifie par la foi les circoncis et, par la foi également, les incirconcis » (Rom., III, 30). Si, enfin, c'est de la loi que provient l'« héritage, la foi est rendue vaine » (Rom., IV, 14) et c'est aussi « en vain que le Christ est mort » (Galat.,II, 21). Saint Paul est donc autorisé à conclure que « l'homme est justifié, non par les oeuvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ » (Galat., II, 16).

     N'oublions pas l'enseignement du divin Maître : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits, dit-il à propos des faux prophètes. Cueille-t-on des raisins sur des épines ou des figues sur des chardons ? Ainsi tout arbre, qui est bon, produit de bons fruits, mais le mauvais arbre produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits, ni un mauvais arbre ne peut produire de bons fruits. Vous les reconnaîtrez donc à leurs fruits (Matth., VII,15, 10). Quels fruits a produits la loi ? « Des fruits pour la mort », répond saint Paul (Rom., VII, 6), « de sorte qu'il s'est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie m'a conduit à la mort ; car le péché, ayant saisi l'occasion, m'a séduit par le commandement même et par lui m'a fait mourir » (Rom., VII, 10-11). Mais vous, reprend l'Apôtre, « vous êtes morts à la loi par le sacrifice du corps du Christ, pour appartenir à celui qui est ressuscité des morts, afin que nous portions des fruits pour Dieu » (Rom., VII, 4). Et les fruits que nous portons ainsi pour Dieu sont des fruits pour la vie ; car, « si le Christ est mort, il est mort une fois pour toutes pour le péché ; et, maintenant qu'il est vivant, il est vivant pour Dieu » (Rom., VI, 10). Si donc « le Christ habite dans nos coeurs par la foi » (Ephès.,III, 17), nous aurons « pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle » (Rom., VI, 22). La foi en Jésus-Christ est une vie, selon qu'il est écrit : « le juste vit de la foi », et cette vie de la foi, en même temps qu'elle nous affermit « dans l'espérance de la gloire de Dieu », ouvre notre âme à cet amour de Dieu, qui est « charité » (Rom., V, 2). La foi qui justifie n'est pas une foi, stérile ; c'est « la foi agissante par la charité » (Gal.; V, 6) ; c'est une loi vivante et féconde en oeuvres. « Si la foi ne produit. pas d'oeuvres, dit à son tour saint Jacques, elle est morte en elle-même. Quelqu'un dira : tu as la foi et moi j'ai les oeuvres. Montre-moi ta foi sans les oeuvres et moi je te montrerai ma foi par mes oeuvres... La foi sans les oeuvres est inutile... Ce sont les oeuvres qui rendent la foi parfaite » (Jacq., V, 17-22).

     Aussi bien, saint Pau1, dans toutes ses Épîtres, multiplie les recommandations et les exhortations pour que ceux qu'il a retirés de la corruption du monde demeurent en communion avec le Christ par la pratique des bonnes oeuvres. « Celui qui sème peu moissonne peu, et celui qui sème abondamment moissonnera abondamment... Dieu est puissant pour vous combler de toutes sortes de grâces, afin qu'ayant toujours eu toute chose, tout ce qui vous est nécessaire, vous ayez encore largement de quoi faire toutes sortes de bonnes oeuvres » (II, Cor., IX, 6, 9). « Conduisez-vous, écrit l'Apôtre aux Colossiens, d'une manière digne du Seigneur afin de lui plaire en toutes choses, produisant toute espèce de bonnes oeuvres » (Coloss., I, 10). « Devenez les imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien-aimés , et marchez dans la charité, à l'exemple du Christ qui vous a aimés et qui s'est donné lui-même à Dieu pour nous en offrande et en sacrifice » (Ephés., V, 1, 2). La charité n'est-elle pas « le lien de la perfection » ? (Coloss., III, 14). Saint Paul termine sa lettre aux Ephésiens en leur souhaitant « la charité avec la foi, de la part de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ » (Ephés., VI, 23).

     Qui n'a lu dans la Première Épître aux Corinthiens le magnifique éloge de la charité où des trois : la foi, l'espérance et la charité, l'Apôtre ne craint pas de dire que « la plus grande des trois, c'est la charité » (I, Cor., XIII, 13). Car, si Dieu a établi dans son Église des apôtres, des prophètes, des docteurs, s'il a donné aux uns le pouvoir de faire des miracles, aux autres celui de guérir, de secourir, d'administrer ou de parler en langues, il est aussi « des dons plus grands », une « voie plus excellente » : c'est le don, c'est la voie de la charité, « qui excuse tout, voit tout, espère tout, supporte tout et qui ne périra jamais ». En effet, toutes choses et même la foi prendront fin, mais la charité, elle, jusque dans la vie éternelle. N'estce pas, d'ailleurs, posséder déjà la vie éternelle que de demeurer dans la charité ? « Dieu est charité, écrit saint Jean aux fidèles d'Éphèse ; et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui » (I, Jean, IV, 16). « Celui qui n'aime pas, dit le même apôtre, demeure dans la mort... il ne connaît pas Dieu » (I, Jean, III, 14 ; IV, 8). Et il ne s'agit pas « d'aimer en paroles et avec la langue mais par des oeuvres et en vérité » (I, Jean, III, 18). « Si un frère ou une soeur, écrit saint Jacques, sont dans le dénuement, s'ils manquent de la nourriture de chaque jour, et que l'un de vous leur dise : allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous et cela sans leur donner ce qui est nécessaire pour la vie du corps, a quoi cela sert-il ? » (Jacq., V, 15-16). On sait de quelle sollicitude fraternelle les fidèles des premières communautés chrétiennes étaient animés les uns pour les autres ; c'est à la lettre que, selon le conseil de saint Paul, « ils portaient mutuellement leurs fardeaux, accomplissant ainsi la loi du Christ » (Gal., VI, 2).

     Que chacun donc examine ses oeuvres, puisque, aussi bien, il sera rendu à « chacun selon ses oeuvres » (Matth., XVI, 27). Mieux que cela : il faut que chacun manifeste ses oeuvres à la lumière, « afin, dit Jésus, que les hommes voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Matth., V, 16). Car, si celui qui fait le mal hait la lumière et ne vient point à la lumière, parce que ses oeuvres sont mauvaises et qu'il craint qu'elles ne soient réprouvées, celui qui met en pratique la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient manifestées, parce que c'est en Dieu qu'elles sont faites » (Jean, III, 20-21). On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; le croyant doit être comme une « lumière dans le monde » : « que votre lumière, dit Jésus, luise devant les hommes» (Matth. V, 14). N'est-ce pas la création tout entière qui attend avec un ardent désir « la manifestation des fils de Dieu » ? (Rom.,VIII, 19). Elle aussi, gémit dans la servitude et aspire à la délivrance ; mais de qui peut-elle obtenir cette délivrance si ce n'est de ceux qui, « conduits par l'Esprit de Dieu » (Rom., VIII, 14) et « enracinés dans la charité » (Ephés., III, 17), ont été choisis pour le « grand oeuvre », selon la volonté de Celui en qui « toutes choses doivent être instaurées, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre » ? (Ephés., I, 10).

Gabriel HUAN.