LE SAINT ABANDON « Il n'y a pas d'amour et par conséquent pas d'union là où il n'y a pas conformité des volontés, disons mieux, absorption et fusion des volontés ; car la conformité implique sans doute la fidélité dans l'obéissance aux préceptes ou aux conseils, elle ne comporte pas encore cette absolue confiance qui se laisse docilement porter par la volonté de Celui dont les desseins secrets demeurent toujours mystérieux et impénétrables. « Nous autres, comme petits enfants du Père céleste, dit saint François de Sales, nous pouvons aller avec Lui en deux sortes : nous pouvons aller premièrement marchant des pas de notre propre vouloir, lequel nous conformons au sien, tenant toujours de la main de notre obéissance celle de son intention divine et la suivant partout où elle nous .conduit, qui est ce que Dieu requiert de nous par la signification de sa volonté.,.. Mais nous pouvons aussi aller avec Notre Seigneur sans avoir aucun vouloir propre, nous laissant simplement porter à son bon plaisir divin comme un petit enfant entre les bras de sa mère, par une certaine sorte de consentement admirable qui se peut appeler union ou plutôt unité de notre volonté avec celle de Dieu. » (1). Des deux volontés que les théologien distinguent en Dieu, la volonté signifiée par les préceptes et les conseils et la volonté de bon plaisir, qui nous reste inconnue et mystérieuse, le saint abandon se réfère à la seconde. Il suppose déjà dans L'âme cette résignation parfaite qui préfère la volonté de Dieu à toutes choses et, au-dessus même de cette résignation, l'indifférence qui n'aime plus rien, sinon pour l'amour de la volonté de Dieu. Un pas de plus et nous voici, au-dessus même de cette indifférence, dans l'état de l'homme abandonné. « Certes, dit encore saint François de Sales, notre volonté ne peut jamais mourir, non plus que notre esprit ; mais elle outrepasse quelquefois les limites de sa vie ordinaire pour vivre toute en la volonté divine : c'est lorsqu'elle ne sait ni ne veut plus rien vouloir, mais s'abandonne totalement et sans réserve au bon plaisir de la divine Providence, se mêlant et détrempant tellement avec ce bon plaisir qu'elle ne parait plus, mais est toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu, où elle vit, non plus elle-même, mais la volonté de Dieu vit en elle » (2). Sainte.Véronique Giuliani a bien marqué, dans son Journal, ce progrès de la volonté qui tend à son propre anéantissement dans le vouloir divin : « Dieu dit par trois fois : « je veux ! je veux ! je veux ! » Au premier, tu te lias à Lui ; au second, tu t'unis à Lui ; au troisième tu te transformes en Lui avec un avant-goût de la vie éternelle. » (3). « Quand, par les puissances supérieures de notre âme, dit Gerlac Peters, nous sommes unis à Dieu, nous agissons en tout avec Dieu, par le moyen de sa grâce. Ce qu'il permet, nous le permettons ; ce qu'il nous accorde, nous nous l'accordons ; nous vivons d'une certaine façon, comme si nous n'étions plus dans la chair. Avec Lui nous permettons à tout ce qui se présente de nous exercer, quelles qu'en soient les causes intérieures ou extérieures, humiliations, infirmités, souffrances, disant à tout ce qui nous arrive : « Ceci a été Préordonné de toute éternité, et c'est ainsi que la chose doit se passer, et c'est ainsi que je veux qu'elle se passe, je ne veux pas qu'il en soit autrement. Le Seigneur m'a envoyé des infirmités, des aridités il m'a environné de souffrances et de ténèbres je veux m'en servir pour m'exercer, me tenant uni à Dieu dans un amour sans réserve, et chercher à tirer tout le fruit possible de ces épreuves. Car c'est à cause de son grand amour pour moi que Dieu les a permises, pour me fournir l'occasion de progresser encore et d'assurer mon salut éternel. »... Si nous nous laissons ici mener par la grâce de Dieu sans nous en écarter jamais, nous serons toujours dans la lumière, et, si ce n'est pas dans une lumière sensible dont nous puissions goûter le charme pénétrant, c'est du moins dans cette lumière en laquelle nous ne recherchons et ne désirons que ce que Dieu veut bien donner, que ce soit ténèbres ou lumière. » (4). L'âme, désormais, ne sait plus, ne veut plus qu'une chose : que Dieu fasse d'elle ce qu'il lui plaît ; elle est tellement soumise au bon plaisir de son Seigneur qu'elle trouve dans cet abandon à la volonté de Dieu sa joie suprême et le plus parfait accomplissement de tous ses désirs. Elle peut s'écrier en toute vérité : « Seigneur ! que votre volonté soit faite ». « Oui, Seigneur, dit sainte Thérèse, que votre volonté s'accomplisse en moi ! que ce soit de toutes les façons et de toutes les manières qu'il vous plaira. Si vous voulez que ce soit au milieu des travaux, accordez-moi la force de les supporter et qu'ils viennent ! si vous voulez que ce soit au milieu des persécutions, des infirmités, des opprobres, de l'indigence, me voici devant vous, ô mon Père, je ne les refuse pas. Il ne serait pas juste de les fuir, Dès, lors que votre Fils, parlant au nom de tous, vous a remis ma volonté en même temps que celle des autres, je ne saurais manquer pour ma part de vous donner ce qu'il vous a promis en mon nom. Mais faites-moi la grâce de me donner votre royaume qu'il vous a demandé Pour moi, afin que je puisse être fidèle à un pareil engagement ; puis disposez de. moi, à votre gré, comme d'une chose qui vous appartient. » (5). |